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Prélude
A propos d’un Cessenonais
Mort pendant la guerre d’Algérie

Il s’appelait Henri Phalip, il était né en 1934, le 29 novembre exactement.
Comme les jeunes de son âge il avait été appelé en Algérie pour y faire une
guerre qui ne disait pas son nom.
Il y est mort, le 23 avril 1956, victime d’un accident de camion je crois. C’est
qu’il y a eu presque autant de morts par accident qu’au combat. Il n’avait guère
plus de vingt ans.
Son père, qu’on surnommait La Verdure, était mineur de bauxite. Evidemment il
y avait beaucoup de monde aux obsèques. Personnellement j’étais interne à
l’Ecole Normale de Montpellier, je n’y avais donc pas assisté mais j’avais lu
dans La Marseillaise (je suppose qu’elle avait déjà succédé à « La Voix de la
Patrie) l’article, il tenait toute une page, qui était consacré à l’événement. Je me
rappelle que dans le titre il était fait état de « la maison du mineur. »
J’ai appris par la suite que c’est notre ami Pierre Escande de Murviel les
Béziers, maréchal des logis à la caserne Du Guesclin où il participait à la
formation militaire des jeunes recrues, qui avait commandé le peloton chargé de
rendre les honneurs.

-1-
NON A DE GAULLE
C’est une inscription qui est longtemps restée, écrite en gros caractères et à la
peinture noire, sur le rempart qui protège Cessenon de l’Orb. Elle était
parfaitement visible depuis le pont. J’ai participé à l’initiative. C’était une nuit
de l’été 1958.
Rappelons la situation. Aidé par les factieux d’Alger, le général de Gaulle avait
fait un Coup d’Etat le 13 mai précédent. Il entendait légitimer son opération
avec le référendum du 28 septembre qui portait sur les fonts baptismaux la
constitution de la 5ème république.
La question posée était simple : Êtes-vous pour la création de la Vème
République ? Naturellement rien n’était clair dans la tête des électeurs. Deux
ans plus tôt le parti socialiste avait remporté les élections sur un programme de
paix en Algérie mais avait trahi la confiance qui lui avait été accordée puisque
Guy Mollet avait envoyé le contingent en AFN et rappelé les soldats qui avaient
effectué leur période légale sous les drapeaux.
Seul en tant que parti, le PCF était opposé au retour de de Gaulle au pouvoir (le
PSU sera créé en 1960). Il s’opposait de fait à une constitution qui instituait en
France un bipartisme au terme duquel l’alternance politique pouvait s’exercer
sans rien changer quant au fond.
Mon frère m’avait donc proposé d’écrire ce NON A DE GAULLE. Nous
avions acheté une boîte de peinture, du noir métallique, dans une droguerie
biterroise, peut-être un pinceau. Il devait être entre minuit et 1 h du matin et il
était entré dans ma chambre pour que je l’accompagne. Je me rappelle que
j’avais plutôt sommeil et que j’avais suggéré de remettre notre affaire à un autre
jour.
Finalement il me décida, nous voilà donc partis. Nous habitions tout à côté du
rempart, dans la rue de l’Orb. Celle-ci était en cul de sac mais une échelle avait
été laissée en place et permettait d’atteindre la voie ferrée qui courait le long du
rempart. Il me semble que mon frère avait mis une blouse.
Une fois sur la voie nous avons hissé l’échelle et nous l’avons placée de façon à
descendre dans une rue parallèle, la rue du Bac, qui atteint l’Orb par Lo portal
de Tamben. Nous avons ensuite placé notre échelle contre le rempart, mon frère
y est monté et s’est occupé de peindre, j’ai dû me rendre utile, soit en tenant
l’échelle, soit en faisant passer le pot de peinture.
Il existait alors à Cessenon une cellule du parti communiste qui avait fait
campagne pour le NON au referendum. Je me souviens vaguement du texte de
l’une des affiches qui déclarait « Les châteaux voteront OUI, les chaumières

-2-
voteront NON ». Mais nous n’étions pas en contact avec ses adhérents et, je l’ai
su plus tard, ceux-ci se sont longtemps interrogés sur les auteurs de l’inscription.
Evidemment à Cessenon comme ailleurs, le OUI a été largement majoritaire :
680 voix contre 323. Toutefois le pourcentage des NON (plus de 32%) a été
supérieur au score qu’il a obtenu au plan national. Il y a eu en effet 82,6% de
OUI et 17,4% de NON. Je ne prétends pas bien sûr que notre inscription sur le
rempart en a été la cause !
Lors des élections législatives qui ont suivi le parti communiste n’a eu que dix
députés et n’a donc pas pu constituer un groupe à l’assemblée nationale.
Mais assez rapidement l’opinion publique s’est retournée contre la politique du
gouvernement du général de Gaulle et Cessenon, comme beaucoup de villages
du Biterrois, a vu dès 1962 une forte opposition au pouvoir central.
Il faut dire que les socialistes s’étaient ressaisis. Mon père leur avait prêté, en
guise d’acte de contrition, le propos suivant : « Nos sem tornarmai engarçats ! »
(nous nous sommes trompés encore une fois !)

-3-
De quelques souvenirs de Bédarieux

Le décès de Pierre-Henri Bonet m’a rappelé quelques souvenirs de Bédarieux où
je l’avais connu en 1959. J’y débutais ma carrière d’enseignant, c’était mon
premier poste d’instituteur à la sortie de l’Ecole Normale. Lui était mineur de
bauxite et conseiller municipal dans la municipalité de René Pagès. Ce maire
était une figure !
En fait je connaissais davantage les filles Bonet qui étaient de ma génération et
avec lesquelles j’étais aux Jeunesses Communistes. Claudette, l’aînée, doit avoir
deux ou trois ans de moins que moi, la seconde Danièle ne devait avoir que 14
ans à cette époque. Ceci étant, je la trouvais belle !
J’exerçais à l’école de La Plaine et on m’avait confié, c’était tout à fait illégal
pour un débutant, des instructions strictes avaient été données à ce sujet, un
cours moyen 2ème année. Il y a eu une mise au point de Favier, l’inspecteur
primaire après qu’il m’a eu fait passer mon Certificat d’Aptitude Pédagogique
au mois d’octobre. Il avait obligé les maîtres plus anciens à prendre en cours
d’année la classe dont ils n’avaient pas voulu à la rentrée.
Dans cette classe de CM2 j’avais un élève du nom de Grau, je n’ai pas son
prénom en mémoire, dont la famille avait habité Cessenon. Deux de ses frères,
José et Octave, qu’on appelait Tatave, étaient à peu près de mon âge. Je n’avais
pas fait le lien entre mon élève et ses frères dont j’ignorais qu’ils vivaient à
Bédarieux. Je l’ai en fait appris en même temps que le décès de José, tué en
Algérie.
Oui il est mort, « Pour la France » ne manque-t-on pas de dire en pareilles
circonstances, le 14 octobre 1959. Il avait dix mois de plus que moi. Je me
souviens vaguement de la cérémonie au cimetière où nous avions conduit les
élèves. Je me rappelle la veste pied-de-poule que j’avais et je perçois de manière
très floue un incident qui avait éclaté avec la mère du défunt !
De ce temps là date mon premier contact avec les pages dactylographiées du
livre d’Henri Alleg « La question ». J’ignore auprès de qui je me les étais
procurées.
De ce temps là aussi date le combat du Syndicat National des Instituteurs pour la
libération de René Domergue auquel j’avais participé, de manière sans doute pas
très efficace.
J’ai le souvenir d’un déplacement avec un car d’une trentaine de places
emmenant les JC de Bédarieux à Béziers où avait lieu une rencontre à la salle
Azam. J’avais été très impressionné d’entendre « La jeune garde » chanté par les
jeunes filles dont à coup sûr Danièle et Claudette.
-4-
Octave Grau était avec nous et avec sa « copine », encore que le mot n’était pas
employé à cette époque avec le sens qu’il a pris par la suite. Il était manœuvre
maçon et m’avait présenté à elle en indiquant que nous avions été à l’école
ensemble à Cessenon et que j’étais à présent instituteur. Elle l’avait interpellé
d’un « Pourquoi n’as-tu pas suivi la même branche ? » Philosophe il avait
répondu : « C’est que nous n’étions pas sur le même arbre ! »
J’ai aussi le souvenir d’une manifestation importante qui s’était tenue dans la rue
de la République contre la fermeture annoncée des mines de charbon du secteur.
Je me revois encore à un rassemblement organisé à l’Hôtel de Ville pour
protester contre les agissements des émeutiers lors des barricades d’Alger en
janvier 1960.
Je ne sais trop où le situer dans le temps mais je sais que j’avais assisté à un
meeting avec Raoul Calas à la salle du peuple où par ailleurs le jeudi j’assurais
la projection cinématographique pour le compte du patronage laïque.

-5-
Inscription à Aumes
La photo nous a été envoyée par Marianne et Jean-Pierre, des Vosgiens qui ont
une résidence secondaire à Aumes. Elle montre une inscription qui figure sur le
château d’eau du village.
Ladite inscription date de plus de cinquante ans puisqu’elle concerne la guerre
d’Algérie.
Si elle ne pose pas clairement la question de l’indépendance de l’Algérie, elle a
l’immense mérite de dénoncer la guerre que la puissance colonisatrice a choisi
comme réponse aux problèmes des Algériens.
"DU PAIN ET DES ROSES PAS DES CANONS » a écrit une main anonyme.
Enfin, anonyme pour nous, il existe peut-être à Aumes des personnes qui savent
qui a tenu le pinceau !
Il me semble qu’un mot d’ordre semblable avait été peint à Cessenon, ce qui
avait valu à leurs auteurs une interpellation par les gendarmes du canton.
L’histoire a tranché et on mesure aujourd’hui toutes les souffrances inutiles qu’a
produites la guerre d’Algérie Du côté du peuple algérien d’abord, du côté du
peuple français aussi car « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un
peuple libre » !
Et de fait les appelés du contingent étaient conditionnés par l’idéologie d’une
armée colonialiste à caractère fascisant, ce qu’ont illustré les diverses tentatives
de rébellion contre la République : coup d’Etat de 1958, semaine des barricades
en janvier 1960, putsch des généraux félons en avril 1961 et terrorisme
désespéré de l’OAS après cette date avec aujourd’hui encore des justifications
pour ses attentats meurtriers.
Alors je suggère que l’inscription sur le château d’eau de la commune de Aumes
soit l’objet de mesures de protection pour qu’elle reste un témoignage de la
volonté du peuple, contre l’avis des hommes politiques de l’époque, à l’évidence
atteints de cécité, d’obtenir la PAIX EN ALGERIE autrement que par le recours
à la force armée, à la torture et aux exactions qui l’ont accompagnée.

-6-
Défense d’afficher… sauf pour la paix en Algérie

Cette photo a été retrouvée récemment en faisant du rangement à la section de
Béziers du parti communiste.
Je me souviens de cette inscription à la peinture blanche « SAUF POUR LA
PAIX EN ALGERIE », qui complétait le « DEFENSE D’AFFICHER », qui
avait été tracée sur un mur du côté du Faubourg.
L’endroit exact je ne saurais dire mais je me rappelle que je voyais cela depuis
le car que je prenais pour me rendre à Cessenon à la fin des années 50. Peut-être
qu’à l’arrière ce sont les fenêtres d’une école primaire (Louis Malbosc ?),
aujourd’hui désaffectée, mais je ne jure de rien.
C’était astucieux d’utiliser le « DEFENSE D’AFFICHER » en le complétant
comme on peut le voir sur la photo. Une photo sépia qui a souffert du temps, il
m’a fallu la trafiquer un peu pour la rendre « lisible » !
Peut-être que quelque vieux Biterrois en sait plus que moi sur l’endroit et sur qui
tenait le pinceau à une époque où le parti communiste était engagé pour la Paix
en Algérie, c'est-à-dire pour le droit à l’autodétermination qui s’est finalement
imposé et qui a conduit à l’indépendance de ce pays après 132 ans de
colonialisme et presque 8 ans d’une guerre atroce et parfaitement inutile !

-7-
Mes « Trois jours »

Je vais essayer de me rappeler ce qu’ont été mes « Trois jours » effectués à
Tarascon. Ayant consulté mon livret militaire je constate qu’ils se sont déroulés
du 4 ou 6 novembre 1959. Ce devait donc être pendant les vacances de La
Toussaint et effectivement je n’ai pas le souvenir d’avoir demandé une
autorisation d’absence à mon travail.
Je revois une grande salle où nous étions je ne sais plus combien, une
soixantaine peut-être, à subir des tests. Il s’agissait d’un questionnaire à choix
multiples. Nous devions cocher au crayon à papier la case qui nous paraissait
être la bonne réponse à la question posée.
Je me souviens de deux d’entre elles : quel était, parmi une série d’appareils
électriques (rasoir, fer à repasser…), celui qui consommait le moins d’énergie ?
Quelle avait été la première victoire de la Révolution française (Valmy,
Jemmapes…) ?
J’avais été retenu parmi les quatre meilleurs. Il me semble que j’avais subi des
tests complémentaires, mais là je ne suis sûr de rien ! De toute façon cela ne m’a
pas amené bien loin !
Je n’ai jamais pu suivre l’Ecole des Officiers de Réserve, pas même le peloton
pour être sous-officier, j’ai juste passé celui de brigadier (l’équivalent de caporal
dans l’artillerie) sans jamais accéder à ce grade, je suis resté 2 ème CST
(Canonnier Servant Tireur) jusqu’à la fin de mon service militaire.
Je me rappelle l’entretien avec un officier supérieur, un commandant me
semble-t-il, à qui j’avais fait part de mon désir d’intégrer le bataillon de
Joinville. Eh non, malgré une bonne performance sur 800 m (1mn 58 s 9/10) je
n’avais pas été pris, les places étaient chères.
Restait à choisir une arme. A vrai dire je n’avais pas grand-chose à en faire.
Espérant me soustraire au contact avec l’ennemi (qui pour moi n’en était pas
un !) j’avais demandé la marine et l’artillerie.
C’est dans cette deuxième arme que j’ai été affecté. Eh bien cela ne m’a pas
empêché d’aller crapahuter comme un quelconque fantassin, j’ai dû tirer des
coups de canon lors de l’école à feu qui clôturait nos classes, une seconde fois
peut-être lors de manœuvres destinées à faire passer un examen à un sousofficier et une troisième pour préparer une DZ. Ah, une DZ ? Après recherche
j’ai appris que cela signifie Drop Zone c’est à dire un terrain destiné à recevoir
un héliportage. Donc nous canonnions la DZ afin de permettre aux unités
héliportées d’atterrir sur le site sans danger majeur. Il paraît que l’artillerie était
plus efficace que l’aviation.
-8-
De toute façon cela n’a eu aucun effet quant au résultat de la guerre. Devant le
manque d’enthousiasme des appelés du contingent nous avons dû abandonner
trois départements français.
Mais devant les protestations des nostalgériques qui condamnent les derniers
propos de Sarkozy, lequel a récemment déclaré que le colonialisme n’était pas
une bonne chose, je ne désespère pas de voir avant la fin de mes jours prêcher
une croisade moderne pour envoyer un corps expéditionnaire en Algérie afin de
les reconquérir !
Mes trois jours n’ont pas duré le temps indiqué, je suis revenu chez moi le
deuxième je pense, rapportant de mon expédition une serviette de toilette que
quelqu’un avait oubliée !

La première page de mon livret militaire

-9-
Sur un stage à l’Institut National des Sports

Il me semble bien que c’est ainsi que s’appelait l’organisme qui avait accueilli
quelques coureurs de demi-fond proposés comme stagiaires par la Fédération
Française d’Athlétisme.
Ce stage avait eu lieu un week-end de février 1960. J’étais alors instituteur à
l’école de La Plaine, à Bédarieux.
J’avais pris le train dans cette ville et j’avais rejoint la capitale par la ligne du
centre.
A Millau étaient montés des Maghrébins qui avaient pris place dans mon
compartiment. Nous avions sympathisé. Ils venaient d’être libérés du camp
d’internement qui avait été installé sur le Larzac. Nous vivions alors les
dernières années de la guerre d’Algérie.
Je leur avais appris que la France venait de faire exploser sa première bombe
atomique dans leur pays. Cela s’était passé le 13 février 1960 à Reggane, et
s’était accompagné d’un « Hourra ! » enthousiaste du général De Gaulle. Le
stage à l’INS où je me rendais avait donc dû avoir eu lieu quelques jours plus
tard.
Mes interlocuteurs m’avaient parlé de leur vie au camp d’internement : ils
s’étaient efforcés de ne pas trop perdre leur temps, profitant de la présence dans
le camp de compatriotes qui avaient des compétences dans divers domaines pour
s’instruire et se cultiver.
Nous avions échangé sur la question de l’indépendance de l’Algérie pour
laquelle ils étaient engagés et sur l’état de l’opinion publique en France.
Naturellement j’étais pour la Paix en Algérie et ipso facto pour la
reconnaissance du droit des Algériens à l’autodétermination. Hélas, la guerre
allait durer, pour mon plus grand désagrément, encore deux ans avant qu’il ne
soit effectif.
Arrivé à la gare d’Austerlitz et ne connaissant guère Paris j’avais pris un taxi
pour me rendre à l’INS, indiquant simplement « INS » au chauffeur. Celui-ci
m’avait déclaré : « Ah, vous allez faire le stage ? » Après coup je me suis dit que
cela devait être habituel des stages à l’Institut National des Sports.
Il me semble que nous étions quatre pour ce stage. Il y avait André Lopez qui
était de l’Aude, de Salles d’Aude me semble-t-il, à moins que ce ne soit de
Sallèles d’Aude, et Jean-Marie Argelès originaire de la région de Grenoble mais
qui pour l’heure se trouvait en Allemagne.

- 10 -
J’avais couru plusieurs fois avec le premier et assez régulièrement il me battait
au sprint jusqu’à ce que j’aie compris qu’il me fallait adopter une autre tactique :
décrocher « au train » ! Jean-Marie Argelès avait été champion de France
scolaire du 1500 m l’année précédente au stade Charléty. Je concourais aussi
pour ces championnats de France, également sur 1500 m, mais dans la catégorie
junior alors que lui, de quatre ans mon aîné, était senior. Mon résultat ? Eh bien
bousculé par le peloton je m’étais foulé une cheville sur la lice et j’avais souffert
pour finir la course.
En marge du stage nous avions vu Mimoun venu s’entraîner sur les
infrastructures du site. Je me rappelle qu’André Lopez m’avait dit : « Tiens à
l’apogée de ma carrière athlétique je voudrais seulement être comme Mimoun à
présent ! » Je n’étais pas loin d’avoir de plus grandes ambitions. C’était oublier
qu’il y avait quelque part une guerre coloniale où à la suite de décisions prises
par des hommes politiques qui n’avaient rien compris à l’évolution des choses,
on allait m’envoyer.
Le bilan du stage ? J’avais été bon au niveau respiratoire et de l’influx nerveux,
faible ou insuffisant au plan cardiaque et musculaire. Je ne le savais pas encore,
mais je n’avais guère plus rien à faire de cela ! J’allais faire un excellent
Deuxième Canonnier !
Jean-Marie Argelès m’a rappelé récemment que nous avions été hébergés dans
la même chambre et que nous avions pas mal dialogué sur la guerre d’Algérie.
C’est que nous étions tous les deux communistes mais lui en savait beaucoup
plus que moi sur l’aide, notamment financière, que les Algériens qui vivaient en
France, apportaient au FLN ainsi que sur les réseaux leur permettant de quitter le
pays quand ils étaient appelés pour effectuer leur service militaire dans les rangs
de l’armée ennemie !

- 11 -
Départ pour l’Algérie, arrivée à Oran

C’était à la fin février 1960 peut-être le 26, c'est-à-dire le jour de mes 20 ans.
C’était l’après-midi. J’étais dans ma classe de CM1 à l’école de La Plaine à
Bédarieux. Envoyé par Monsieur Espitalier, le directeur du cours
complémentaire, qui était aussi le directeur de l’école primaire, un élève est
venu m’apporter un courrier.
Il s’agissait de ce que dans la région on appelait « la billette ». C’était l’avis de
mon affectation pour effectuer mon service militaire. Il m’était ordonné de me
rendre au Camp Sainte Marthe le 1er mars à Marseille afin de prendre le bateau
pour Oran où je devais faire mes classes au 1/66ème Régiment d’Artillerie, un
régiment disciplinaire était-il précisé.
J’ai accusé le coup. J’espérais en effet que mes classes se feraient en France et
que cela me permettrait d’avoir un délai avant de partir en Algérie. Avec les
déclarations de De Gaulle sur le droit à l’autodétermination je pensais même que
ce serait bientôt la fin de la guerre. Eh non !
Je ne sais plus si je suis allé en classe le lendemain. En tout cas le 29 je ne me
suis pas rendu à mon travail. Le dimanche j’étais allé m’entraîner à La Prades.
Oui, à cette époque là je faisais du cross-country l’hiver et du demi-fond l’été. Je
me revois en train de faire ce qu’on appelait du fractionné. Je ne savais pas
encore que c’était déjà la fin de ma carrière sportive !
J’avais écouté la chanson de Berthe Sylva « On n’a pas tous les jours 20 ans »
en compagnie... elle s’appelait Jacqueline et nous avions l’un et l’autre perdu
notre vertu il y avait quelques jours !
Il fallait s’organiser pour aller prendre un train assez tôt à Béziers le 1 er mars.
Jeannot Escudier un Cessenonais de ma classe qui était appelé à Alger avait
trouvé une solution. Lucien Taillades qui était épicier allait se ravitailler à
Béziers le matin de bonne heure avec sa camionnette. C’est ce moyen de
transport que nous avons emprunté.
Nous avions beaucoup de temps devant nous avant le départ de notre train. Nous
l’avons passé chez un boulanger, il s’appelait Charles Orus, un parent de Jeannot
Escudier, et la boutique se trouvait pas très loin des Allées, rue Solferino.
En gare de Béziers d’autres conscrits prenaient également le même train que
nous. Je leur ai demandé si eux aussi allaient défendre nos puits de pétrole afin
de pouvoir approvisionner nos briquets en essence !
A Marseille nous n’avons pas eu à flâner. Des camions militaires nous ont
emmenés illico au Camp Sainte Marthe. C’était Mardi Gras et c’est ce jour-là
que j’ai été déguisé en troufion. Nous avons fait un paquet de nos vêtements
- 12 -
civils et l’armée s’est chargée de les expédier à l’adresse que nous avons
indiquée.
Il me semble qu’il y a avait un self installé sous une tente et que c’est là que
nous avons mangé.
Je revois le soir sous la lumière des réverbères du camp mon ombre portée avec
un calot sur la tête ! Je découvre aussi que la bière pouvait être conditionnée
autrement que dans des bouteilles puisqu’on la trouvait en boîte !
La veille il y avait eu un tremblement de terre à Agadir. Dans ma naïveté
j’imaginais que nous pouvions être envoyés au Maroc pour apporter notre aide
aux sinistrés. Mais la guerre se fout des serments d’amour… elle n’aime que le
son du tambour !
A l’armée on ne fait rien mais on le fait de bonne heure. Nous avons dû nous
lever vers les 3 h du matin pour embarquer au milieu de la matinée sur Le Ville
d’Alger. Le navire appartenait à la Compagnie Générale Transatlantique. Les
vêtements de l’équipage portaient le sigle CGT ! Il y avait de quoi rêver !
La société propriétaire du bateau Le Ville d’Alger (et de quelques autres à n’en
pas douter) a dû faire de bonnes affaires pendant toute la durée de la guerre.
Dommage pour elle que celle-ci se soit terminée. Le Ville d’Alger a été démoli
en 1969.
Sur le pont les postes radio à transistors donnaient la chanson de Bourvil
« Salade de fruits, jolie, jolie… »
Pour moi la nuit s’est passée sur un transat. Les membres de l’équipage louaient
leurs cabines à ceux qui pouvaient payer.
Nous avons dû arriver en vue des côtes d’Afrique au petit matin. La silhouette
bleue des montagnes que nous avions aperçues m’avait impressionné. Nous
sommes entrés dans le port d’Oran sans doute en début d’après-midi. Dans tous
les cas on nous avait servi un repas dans un plateau métallique à alvéoles. A
l’entrée du port, sur le quai apparaissait l’inscription en lettres énormes « ICI LA
FRANCE ». De rage j’ai envoyé mon plateau par-dessus bord ! C’était haut, il a
mis du temps à atteindre la mer !

- 13 -
ICI LA FRANCE

C’est donc l’inscription qui figurait sur la jetée du port d’Oran quand j’y suis
arrivé sur le Ville d’Alger en mars 1960. Je l’ai raconté ci-dessus, cela m’avait
mis hors de moi et de rage j’avais jeté par-dessus bord le plateau métallique dans
lequel on nous avait servi notre repas.
Un ancien d’Algérie, avec lequel j’ai pris contact via Internet, m’a envoyé la
photo de cette jetée et de cette inscription. De six mois mon aîné, lui n’avait
découvert l’inscription qu’après moi car il avait effectué 14 mois en métropole
avant de rejoindre le théâtre des opérations de « maintien de l’ordre ». Oui c’est
ainsi qu’on désignait ce que plus tard on a avoué être une guerre, la guerre
d’Algérie.
Avec le recul on mesure combien les autorités civiles et militaires n’avaient pas
préparé les Européens d’Algérie à l’issue pourtant prévisible. Deux ans avant le
cessez-le-feu, prélude à l’indépendance du pays, on entretenait encore la fiction
d’une Algérie française.
Fiction lourde de conséquences pour la suite. On a conditionné les Pieds Noirs à
l’idée qu’il n’y avait d’autre avenir pour eux que dans la perpétuation du
colonialisme lequel avait débuté en 1830 avec le débarquement à Sidi-Ferruch et
s’était maintenu par la force, y compris militaire, jusque là.
Que ce colonialisme ait été par nature source d’injustices et de révolte n’était
pas reconnu. Les rapports entre les communautés, entachés au mieux de

- 14 -
condescendance, mais le plus souvent de racisme, faisaient des autochtones des
gens que la logique des choses maintenait dans une manière d’apartheid.
En France aussi on avait entretenu l’illusion que nous apportions là-bas « la
civilisation ». L’Ecole laïque elle-même avait joué sa partition dans ce
concert même si des voix s’étaient élevées pour réclamer l’égalité entre les
citoyens d’Algérie, qu’ils soient d’origine européenne ou maghrébine.
A Oran nous étions donc en France affirmait l’inscription sur la jetée du port !
Pourtant dès 1959 De Gaulle avait déjà lâché le mot « d’autodétermination »
pour la plus grande colère d’ailleurs des Européens d’Algérie. Oui, on ne leur
avait vraiment offert aucune alternative, en tout cas pas celle de rester dans un
pays, qui était celui où ils vivaient, si celui-ci devait accéder à l’indépendance.
A partir de là s’est déroulé un enchaînement d’actes désespérés parmi lesquels,
outre la semaine des barricades à Alger, s’inscrit la tentative de putsch des
généraux félons en avril 1961 puis le déchaînement de violences qui a
caractérisé l’action de l’OAS.
On connaît la suite, particulièrement ce qu’ont été les événements du 5 juillet
1962 à Oran.
ICI LA FRANCE disait l’inscription sur la jetée ! Il eut à coup sûr été préférable
d’engager le dialogue sur d’autres bases. Mais le colonialisme n’est que le fruit
du capitalisme et à vrai dire ceux qui le justifient encore aujourd’hui sont
cohérents avec leur acceptation d’un tel système dans lequel « la raison du plus
fort est toujours la meilleure ». Sauf que… l’histoire a tranché !

- 15 -
Arrivée à Oran, l’instruction militaire

A peine débarquées du Ville d’Alger les nouvelles recrues étaient embarquées
dans des camions militaires direction le District de Transit situé dans le quartier
d’Eckmühl.
De la traversée d’Oran j’ai encore dans ma tête l’image, elle est floue à présent,
d’un Algérien vêtu d’un pantalon qui pendait entre les jambes.
Au District de Transit on se serait cru dans un camp de concentration nazi. Le
haut-parleur donnait le ton en aboyant les ordres.
La caserne du 1/66ème régiment d’artillerie dans lequel j’étais affecté n’était pas
très loin. C’était un bâtiment neuf, blanc, avec une architecture particulière
permettant de l’aérer par temps chaud. J’ai su qu’après l’indépendance elle était
devenue la résidence du chef de l’Etat Algérien quand il se rendait en Oranie.
Le premier soir on nous a laissés tranquilles et je garde le souvenir d’avoir passé
une nuit à dormir profondément. Le lendemain après-midi on nous a remis notre
paquetage. Je revois le lieutenant inspectant notre habillement. Comme je ne
cherchais pas spécialement à finasser dans ce domaine j’ai été interpellé d’un :
« Mais vous iriez vous marier dans cette tenue vous ! »
Là je n’avais pas le moral et je regardais le Murdjajo qui domine la ville, en
rêvant de désertion, de maquis… A son sommet était le fort de Santa-Cruz
représenté sur l’écusson du régiment. La statue de la vierge qui s’y trouvait a été
rapatriée dans le Gard.
Ce soir là j’ai dû monter ma première garde avec un fusil assez archaïque, un
mousqueton, et des cartouches soigneusement emballées !
Devant le bâtiment principal était un vaste espace où étaient disposés les canons.
Quatre me semble-t-il. En fait, à cause du calibre, 105 mm, on ne les appelait
pas canons mais obusiers ! Pendant l’instruction on avait droit à tous les détails
sur les caractéristiques de nos engins de mort : masse, portée… Bien que cela ne
me passionna pas j’étais capable de réciter tout ce qui avait été dit après l’avoir
entendu une fois !
Dans la caserne il y avait une salle destinée à l’action psychologique. Des
panneaux avaient pour objectif de nous persuader du bien fondé de l’action de
l’armée française. Ferrat Abbas était cité d’un « J’ai interrogé les morts, j’ai
interrogé les cimetières, je n’ai vu nulle part trace de la nation algérienne. » Il y
avait aussi des recommandations qui valaient leur pesant de confiture. « Ne
pense pas au pays si tu veux le revoir » ou encore « Si tu tombes dans une
embuscade, tu jaillis du camion comme un diable de sa boîte, tu te postes et tu
ripostes. »
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Les chambrées n’étaient pas très grandes, une douzaine de lits je crois, des lits
superposés bien sûr. J’étais perché en haut. C’était propre mais cela n’empêchait
pas la présence de punaises que nous noyions dans un verre d’eau laissé à
demeure sur une table.
Ah une scène s’est produite disons une quinzaine de jours après mon
installation. Deux maghrébins se sont pris d’une querelle, probablement à
propos de la guerre. Gater, l’un des protagonistes, avait participé à l’affaire des
barricades en janvier 1960, l’autre, je ne sais plus son nom, m’avait avoué qu’il
avait été sollicité pour des actes terroristes. Gater s’est retrouvé avec un coup de
couteau dans le ventre qui avait, je crois, touché le foie et qui avait nécessité son
hospitalisation. Précisément j’étais « d’intervention » c'est-à-dire que j’ai fait
partie de l’équipe qui l’a emmené à l’hôpital.
A peine de retour nous avons dû effectuer le transport de quatorze cercueils
depuis la morgue jusqu’au port où ils ont été embarqués pour être rapatriés en
France. Quatorze cercueils recouverts d’un drapeau tricolore. La mort devait
remonter à plusieurs jours car derrière le camion sur lequel on les avait chargés
on sentait une odeur de cadavre en décomposition.
Il y avait d’immenses WC et j'avais été intrigué par des bruits que pendant
longtemps je n'avais pas identifiés. Je crois que j’étais de corvée d’entretien des
lieux quand j’ai entendu des gémissements, comme si quelqu’un se trouvait mal.
J’ai demandé ce qui se passait mais je n’ai pas eu de réponse et ça a continué.
Ben oui, il devait y en avoir un qui se faisait sodomiser !
Il y avait trois sections au centre d’instruction : celle des élèves gradés, celle des
transmetteurs et chauffeurs, celle des servants tireurs. Dans cette dernière les
recrues étaient destinées à enfourner l’obus dans le canon et à tirer sur la corde
pour faire partir le coup. C’est dans cette section de canonniers servants tireurs
que j’ai été enrôlé. Lors de l’école à feu j’ai tiré je ne sais combien de fois sur
cette corde, impressionné par la tache noire de l’obus qui restait un bon moment
visible dans le ciel.
Nous passions à tour de rôle devant le capitaine qui commandait l’instruction. Il
me fut demandé si je n’avais pas été étonné de me trouver dans la section des
servants tireurs. Je répondis que je pensais qu’il devait s’agir d’une erreur. Eh
non, m’a-t-il été signifié. Et le capitaine a enchaîné en me questionnant sur ce
que je pensais de la guerre d’Algérie. Je fis la bête, prétendant que j’attendais de
voir pour me faire une idée juste. « Ah, ce n’est pas ce que vous avez exprimé
dans le civil ! » rétorqua mon interlocuteur.
Quelque temps plus tard le sous-lieutenant qui commandait ma section devant
fournir la liste de ses hommes qui avaient le niveau pour présenter le peloton de
brigadier m’informa qu’il m’avait inscrit sur cette liste. J’ai bien passé mon P1
mais cela ne me servit jamais à rien, comme me l’avait annoncé un secrétaire, il

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était inutile que je fayote j’étais marqué à l’encre rouge, j’étais condamné à
rester dans le grade de deuxième canonnier. C’est effectivement ce qui arriva.
Quelques souvenirs encore de cette période de quatre mois au centre
d’instruction ? Le démontage de je ne sais plus quel fusil dont on nous précisait
en guise d’entrée en matière que c’était « pour le tir à tuer ! » Les manœuvres
dans le Murdjajo ? Je revois un autochtone raclant de l’agave pour en extraire la
fibre et confectionner des sandales. Les exercices de tir à... Canastas ? J’entends
les balles miaulant au-dessus de ma tête alors que je me trouvais dans la fosse.
Les manœuvres ? Ah oui là je me rappelle un capitaine complètement déphasé
nous donnant l’ordre d’aller à tel endroit en répétant comme une scie « Sans idée
de manœuvre. »
Car à l’armée comme dans toute institution il y a des tarés, sauf qu’ici on subit
directement leurs manies sans guère pouvoir réagir. Par exemple cet autre
capitaine que nous appelions « Petits Pieds » mais dont le nom était Mariette,
exigeait que nous chantions haut et nous menaçait d’un « Dans l’Antiquité on
leur coupait les couilles, là on vous fera une piqûre ! »
Ce maréchal des logis n’avait pas apprécié que je m’éloigne de quelques mètres
pour un besoin urgent pendant qu’il fournissait des explications. J’eus droit à
une punition qui consistait à copier 50 fois je ne sais plus quel texte. Un qui
devait se venger de ses déboires scolaires !
Cet autre, un brigadier originaire d’Oran qui avait un nom espagnol, c’étaient les
noms les plus fréquents dans le secteur (il y avait d’ailleurs des arènes à côté de
la caserne), considérait sans complexe qu’on devait voir l’Algérie comme une
prostituée dont il fallait tirer bénéfice.
Dans l’enceinte de la caserne circulait librement une mascotte, un jeune
dromadaire désigné par le vocable de Wagram.
Une après-midi, un dimanche il me semble, je montais la garde avec le fameux
mousqueton et les cinq cartouches soigneusement empaquetées quand j’ai été
verbalement agressé par de jeunes maghrébins qui passaient de l’autre côté du
mur. Comment leur expliquer que je n’y étais pour rien ?
Un autre dimanche on m’avait collé une corvée qui n’avait rien d’urgent et je
râlais en mon fort intérieur en poussant une brouette.
J’ai quelques autres souvenirs divers comme la fois où un tremblement de terre a
ébranlé l’édifice et le goût de la salade, très fort ! La décision de je ne sais quel
gradé de nous faire commencer la journée par un décrassage. Celui-ci consistait
en fait à un footing mais l’un d’entre nous avait mal interprété les choses et
s’était pointé avec un gant de toilette et une serviette !
Un détail encore : pendant la corvée de vaisselle, les mains plongées dans les
bacs il se chantait « Oh, when the saints go marching in. »

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La première sortie en ville a eu lieu environ après un mois d’instruction. C’est
qu’il fallait avoir appris à saluer les gradés ! Oran est une très belle ville mais là
on ne la voyait pas sous son meilleur jour !
Les piqûres réglementaires (le TABDT) nous laissaient un peu fiévreux et nous
étions soumis à la diète après les avoir reçues. Lors de ces séances j’avais
contracté la varicelle. Il faut dire que le médecin major ne disposait que d’un
thermomètre pour la file de militaires qui se présentaient à lui. C’est sans doute
ainsi que j’ai été contaminé et que j’ai effectué un séjour à l’hôpital d’Oran.
Quand je m’y trouvais, de la fenêtre de la chambre je pouvais voir les régates
qui se déroulaient à l’entrée du port. Mais que faisais-je là ?
J’ai eu l’occasion d’assister à un match de football d’un tournoi international
miliaire dans lequel jouait l’équipe de l’armée grecque ainsi qu’à une rencontre
d’athlétisme au cours de laquelle j’ai revu un certain Argelès qui avait gagné
une épreuve de demi-fond aux championnats scolaires de 1959 au stade Charléty
auxquels j’avais moi-même participé.
Le séjour à Oran s’est achevé à la fin juin. L’avant-dernière nuit avant le départ
en zone opérationnelle j’étais de garde au mirador. Je m’étais offert une
bouteille de rhum. La dernière nuit nous avions couché sous des tentes et j’avais
eu la désagréable surprise de sentir une main se glisser sous mon traversin dans
le but de prendre mon portefeuille ce qui m’avait conduit à crier « Au voleur ! »
Qui volait qui dans ce pays ?

Trois vues d’Oran :
Le fort de Santa-Cruz ; le port ; le quartier d’Eckmühl avec les arènes

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L’incident de l’écusson

Je ne sais plus à quel moment situer cet épisode de mon opposition à la
hiérarchie militaire. A Oran à la fin des classes ? C’est possible.
Comme tous les régiments, le 1/66ème RA avait un insigne. Celui-ci reproduisait
le fort de Santa Cruz qui, au sommet du Murdjajo, domine le port d’Oran.
Cet insigne était reproduit sur un écusson en métal, fixé sur un support en cuir
que l’on accrochait à la pochette gauche de son veston. Cet écusson n’était pas
fourni par l’armée et tout le monde l’achetait au foyer où il était en vente.
Tout le monde ? Non, je considérais que je n’avais rien à acheter de mon
équipement militaire. Un jour de revue j’étais le seul à ne pas avoir d’écusson
pendu à la pochette de mon veston. Le gradé qui vérifiait la tenue de chacun, un
commandant je crois, mais je ne jure de rien, me demanda la raison de cette
singularité.
« Il n’y en avait pas dans le paquetage ! » ai-je répondu. Il n’y eut absolument
aucune suite à ma répartie. Je crois que cette absence d’écusson m’avait valu
d’être dispensé, pour cause d’irrégularité dans mon uniforme, de quelque défilé
prévu les jours suivants !
De la même façon nous était attribuée, après 90 jours de présence sur le terrain,
la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre
(de l’ordre colonial cela s’entend, j’ai eu l’occasion de le préciser par ailleurs !)
avec agrafe Algérie. Là encore le matériel n’était pas fourni, il fallait l’acheter.
Je n’allais quand même pas investir dans une telle médaille. Je n’en ai donc
jamais eu et n’ai jamais arboré cette décoration que pratiquement tout le monde
avait cousue sur sa tenue de sortie. Enfin elle n’était pas pendante toutefois, il ne
s’agissait que du ruban !

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Le Bled, Bled, Bled 5/7
Ce sont les trois titres successifs d’un hebdomadaire publié par l’armée française
pendant la guerre d’Algérie. C’était un instrument de propagande destiné à
« remonter » le moral des troupes. C’était un outil dans la panoplie de l’action
psychologique essentiellement destiné aux appelés du contingent dont
l’enthousiasme n’était généralement pas excessif dans cette affaire !
Le mot « bled » désignait la campagne, souvent aride et désolée, de l’Algérie.
Le journal qui se voulait organe d’information, de liaison entre les unités, était
tiré à 350 000 exemplaires et diffusé gratuitement. Je n’ai pas souvenir de
l’avoir beaucoup lu !
Je me rappelle toutefois cette analyse se voulant scientifique produite dans un de
ses numéros paru pendant que je faisais mes classes à Oran : « une pellemécanique enlève le travail à 50 manœuvres et… à 500 avec une cuillère à
café » !
J’ai appris que Le Bled avait été créé en décembre 1955 dans le cadre des
activités du 5ème bureau. Très rapidement l’état major constata la collusion des
partisans de l’Algérie Française et des responsables du journal. Ce fut le cas dès
1958 : le numéro 109 du 10 mai, consacré à Jeanne d'Arc, affirme de façon
prémonitoire que l'heure est venue de donner à la France un gouvernement de
salut public. Il était le journal des factieux ! Le commandant Caniot, un moment
directeur du Bled, se ralliera au putsch en avril 1961.
Le dessinateur Cabu mettra ses compétences au service du Bled en tant
qu’appelé du contingent pendant la guerre d’Algérie. Il gardera de cette période
un antimilitarisme militant et mettra en scène dans ses bandes dessinées le
personnage de l’adjudant Kronenbourg qu’il a peut-être réellement connu.
Je recevais deux publications envoyées par le parti communiste aux appelés du
contingent dont il avait l’adresse : « Secteur postal d’Algérie » et « Soldats de
France » mais je n’ai pas réussi à en récupérer un exemplaire.

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Première phase en zone opérationnelle

Après les classes effectuées à Oran j’ai donc été envoyé en zone opérationnelle
près d’Aïn el Hadjar, une commune située au sud de Saïda. Nous étions
cantonnés à côté d’une ferme, logés dans des baraquements en tôle ondulée
doublés à l’intérieur d’une manière de bâche. Je suppose que l’altitude devait
être d’environ 1000 m.
Tout autour du cantonnement c’était des champs de blé, quasiment à perte de
vue. Toutefois bordant la route qui y arrivait il y avait une vigne. Des cigognes
nichaient sur les cheminées des bâtiments de la ferme.
Peut-être que l’endroit s’appelait Bou Rached mais à vrai dire je n’en sais rien.
Nous le désignons sous le vocable de BCS, c'est-à-dire Batterie de
Commandement et de Services. C’était là qu’étaient le lieutenant-colonel Singer
et le chef d’escadron Guyot.
Il faut dire qu’en application des directives de l’Etat-major chaque régiment
dispersait ses unités au maximum pour occuper tout l’espace possible. C’est
ainsi que les quatre batteries du 1/66ème RA étaient étalées sur une centaine de
kilomètres.
J’étais arrivé là en juin 1960 et j’avais presque deux ans de service à effectuer. Il
valait mieux essayer de ne pas y penser ! Le soir vers l’ouest on voyait des
lumières qui me rappelaient celles de Prades s/ Vernazobres que l’on apercevait
depuis Cessenon !
A la radio passait une émission qui avait pour titre « En Alger il y a cent ans ! ».
On y évoquait la visite de Napoléon III.
L’eau était très calcaire et nous étions ravitaillés par une remorque qui nous
permettait d’avoir une boisson qui l’était moins. Malheureusement comme elle
restait exposée au soleil ce que nous buvions était vraiment tiédasse !
Ah, les latrines ? Une tranchée avec des planches en travers… et des mouches
qui n’avaient pas la patience d’attendre la fin des opérations. Les officiers
avaient droit à une cabane. Détail pittoresque, un jour celle-ci était occupée et le
capitaine était entré dans les WC collectifs. Un idiot avait crié « A vos rangs,
fixe ! »
Lors de ma première opération j’étais en protection du lieutenant-colonel. Il y a
eu une fusillade mais c’était quand même loin, je ne me suis pas senti en danger.
Je n’avais pas de fonction particulière dans cette BCS, j’étais « en section »
c'est-à-dire employé aux tâches les plus variées qui soient. C’est ainsi que j’ai
été amené à garder des prisonniers. Ils avaient été arrêtés dans un douar situé à
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côté de la ligne téléphonique qui reliait la Première Batterie à la BCS. A ce
niveau les poteaux avaient été coupés. Il n’en fallait pas plus pour rendre
suspects les habitants du lieu. En fait ces prisonniers avaient été tabassés toute la
nuit et le matin ils étaient dans un piteux état quand on me les a confiés.
J’essayais dans mon regard d’exprimer ma compassion.
Plus tard les choses se sont « améliorées », on a construit, en dehors du camp,
une salle affectée aux « interrogatoires » !
Cette après-midi là, ou une autre je ne sais plus, certains avaient été employés à
des travaux près d’immenses meules de paille. J’étais toujours de service, mon
fusil, un Garant, en bandoulière. Parmi mes prisonniers se trouvait un jeune qui
en avait sûrement fait plus que les autres. Pour l’heure je le surveillais et une
jeune fille qui m’a déclaré être sa sœur s’était approchée des fils de fer barbelés
et m’avait demandé l’autorisation de donner des pâtisseries à son frère,
autorisation que j’avais accordée, prenant quelques risques avec l’autorité
militaire. D’après ce qui m’a été rapporté par la suite ce garçon a eu une fin
tragique. On lui avait proposé de s’enrôler dans l’armée française et fourni une
mitraillette. Il avait tiré sur les gendarmes de la brigade d’Aïn el Hadjar et avait
été abattu.
La chose la plus pénible était de monter la garde. Nous le faisions une nuit sur
trois ! Quelle barbe qu’une faction de deux heures. Nous allions d’ailleurs la
monter dans un village qui s’appelait Wagram et qui était à quelques kilomètres
de la BCS. Avec l’indépendance, le village a changé de nom et s’est appelé
Moulay Larbi.
Le poste de garde était l’école du village et j’ai le souvenir d’avoir retrouvé un
texte que je connaissais dans un livre de lecture. Il y était question d’un
méridional exilé dans le Nord qui « aurait pleuré si pleurer n’était pas quelque
peu ridicule, en songeant que jamais plus sans doute il ne mangerait de cerises
sur un cerisier. »
Je me rappelle aussi avoir écrit au tableau la célèbre phrase « Un peuple qui en
opprime un autre ne saurait être un peuple libre » Personne n’avait réagi et si le
brigadier Rettier, que nous ne manquions pas d’appeler Ratier, s’en était pris à
moi, je n’en connais plus le motif. Il m’avait quand même menacé de la gégène !
Le pauvre, brigadier à 40 ou 45 ans, ce n’était pas le signe d’une forte
personnalité !
Je revois aussi, mais c’est très vague, le jour de marché à Wagram avec les
dromadaires, les marchands, la foule…
J’ai eu l’occasion, j’avais encore des velléités, d’aller courir tout seul, sans arme,
un peu loin du cantonnement. Il y avait quelques oueds avec de l’eau où
plongeaient quelques tortues aquatiques à mon passage.

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Mais revenons aux baraquements en tôle. Plusieurs d’entre nous avaient des
postes de radio à transistors. Quelqu’un avait laissé le sien en marche et tout le
monde devait dormir dans la chambrée. C’est ainsi que j’ai entendu dans un
silence total le récit de l’incendie du Reichstag dans le cadre d’une émission sur
l’histoire où devaient sévir Alain Decaux et André Castelot.
Quelques autres souvenirs de ce premier séjour à la BCS ? Oui, le 31 juillet
1960. Nous étions allés sécuriser un bal qui avait lieu à Aïn el Hadjar. Nous qui,
sur le plan affectif, étions particulièrement sous-alimentés, nous assurions la
protection de la jeunesse européenne du coin. Belles filles, beaux gars… et moi
qui n’ai jamais dansé de ma vie, en train de monter la garde à 1500 km de
Cessenon pour dissuader les terroristes éventuels de l’envoi d’une grenade sur la
piste de bal. Je ne suis ni méchant ni rancunier mais sans doute que si une
grenade avait éclaté là je n’en aurais guère été traumatisé ! Dans ce pays les
Européens avaient construit leur sécurité sur la base d’un rapport de forces
favorable. C’était évidemment une conception des choses parfaitement illusoire.
D’autres souvenirs encore ? Un dromadaire, une femelle qui était en état de
gestation, dépecé par un appelé qui était boucher dans le civil, et qui était destiné
à améliorer l’ordinaire.
Oui, je m’en rends compte, mon récit est décousu, c’est qu’il y a, au moment où
je le rédige, 47 années qui se sont écoulées !
Ceci étant, je continue. Ah, là, j’étais encore chargé de surveiller les prisonniers
qui nourrissaient des cochons pour le bénéfice de… allez, bien que je ne sois sûr
de rien je pense que ce devaient être des gradés ! J’ai l’image d’un cochon noir
qui éjaculait pendant je ne sais combien de temps ! Très fort l’animal !
J’entends aussi les commentaires du chef d’escadron Guyot passant devant une
équipe occupée à entretenir une route. Elle était commandée par un Pied Noir :
« Ces cons là, ils sont tous chefs de chantier ! » Oui, ça commençait à se
dégrader du côté de l’état d’esprit « Algérie française ! »
Cette fois nous étions en protection de la moisson. Tiens voilà une escouade
d’employés des PTT qui viennent s’occuper de la ligne du téléphone qui passe
dans le secteur. De petites gens, j’entends les propos de l’un d’eux concernant le
programme du concours qu’il fallait passer pour monter en grade dans son
administration : « Ils te demandent : Les effets du courant électrique ? » J’ai eu
l’occasion plus tard de repenser à lui en intitulant ainsi un des chapitres de mon
cours de physique !
Il y a aussi l’histoire de ce Corse qui s’était blessé au pied avec une balle en
montant la garde. Il n’est pas impossible, il est même probable, que ce n’était
pas un accident ! Et cet autre, toujours zélé pour aller voir ce que contenaient les
caches. Eh oui, il a dû être amputé d’un pied déchiqueté par une mine. Je ne sais

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plus pour lequel des deux j’étais « d’intervention » quand il a fallu l’emmener à
l’hôpital de Saïda !
On pouvait toujours se blesser, voire se détruire, sans trop se compliquer la vie.
Celui-ci, ayant je pense reçu de mauvaises nouvelles de chez lui, n’avait même
pas dégagé son arme du câble terminé par un cadenas qui la maintenait dans le
râtelier. Sans plus de cérémonie il s’était suicidé devant ses camarades
impuissants à intervenir !
Bon, j’ai dit que nous étions dans une grande misère sexuelle ! Eh bien cela n’a
pas été sans conséquences. Un soir, mais j’étais de garde, je n’ai pas assisté à la
scène, un jeune, il était communiste et il était resté longtemps avec un seul verre
à ses lunettes, l’autre était cassé mais non remplacé, s’était occupé avec
efficacité d’en soulager publiquement quelques-uns dans la chambrée !
Comme disait De Gaulle : « C’est beau, c’est grand, c’est généreux la France ! »

La carte du secteur

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Ma période à la Base Arrière

Nous étions au mois d’août 1960. Le capitaine qui commandait la BCS m’a
accosté dans le cantonnement pour m’informer qu’on m’avait trouvé un emploi
plus adapté à ma qualification. J’allais partir pour la Base Arrière située à Aïn El
Hadjar où je devais travailler dans un bureau.
La Base Arrière ? Comme son nom l’indique c’était là qu’était entreposé tout un
tas de matériel. Je revois une quantité incroyable de casques empilés les uns sur
les autres ! Les diverses batteries venaient s’y approvisionner. Le site est devenu
Ferme expérimentale d’état après l’indépendance.
Il existait à Aïn El Hadjar une papeterie qui fabriquait du papier de boucherie,
épais et vert, comme on en utilisait autrefois. J’ai le souvenir d’une carriole,
tirée par un âne, qui en était chargée. Dans « Bel-Ami » Maupassant fait décrire
par Madeleine Forestier une aventure imaginée entre son héros et une ouvrière
espagnole de cette manufacture d’alfa.
C’est un lieutenant, Guérin je crois, qui avait le commandement de cette Base
Arrière. Il ne semblait pas avoir vraiment besoin d’un secrétaire. J’étais disposé
à m’employer aux cuisines ou aux fournitures vestimentaires mais il considérait
que c’eut été ne pas utiliser mes compétences !
J’ai donc été installé dans un bureau dans lequel je devais coucher pour répondre
au téléphone, ce qu’au demeurant je ne savais pas faire ! J’étais donc dispensé
de monter la garde, ce qui n’était pas rien. En fait la solitude c’était pire !
Fort heureusement je ne suis pas resté dans cette situation, on m’a envoyé avec
les autres dans une grange immense reconvertie en dortoir. Nous devions être
une soixantaine là-dedans.
J’ai quelques souvenirs de ce dortoir. Le matin on nous servait du café et… des
boîtes de sardines ! Mais non nous ne trempions pas les sardines dans le café ! Je
revois aussi le tube de lait concentré que je m’étais procuré pour améliorer les
choses.
Je me rappelle aussi un numéro du Canard Enchaîné montrant de Gaulle en
survêtement. Devant l’échec des Français aux Jeux Olympiques de Rome le
dessinateur avait commenté « Dans ce pays, si on ne fait pas tout soi-même ! »
En fait j’ai été successivement dans deux bureaux. Arrivé dans le premier j’avais
rempli un curriculum vitae que je soupçonnais destiné à la Sécurité Militaire.
C’était bien cela et j’ai cru savoir qui à Cessenon s’occupait de répondre à
l’enquête !

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Pour l’heure je suis dans un des deux bureaux. Dans le second sans doute.
L’adjudant chef qui en était responsable, un Maghrébin qui devait être
complexé, avait eu l’occasion de m’agresser d’un « Ce n’est pas la peine d’être
instituteur pour être si con ! »
Ben oui, j’ai beaucoup plus souffert des gradés que des fellaghas. Tiens à propos
de fellaghas. Un jour le passage d’une katiba (une compagnie) de l’ALN a été
signalé pas très loin de la Base Arrière. Grand branle-bas de combat chez nous.
Tout le monde prend son arme et sus aux rebelles.
Tout le monde ? Non, je n’ai pas bronché ! Après coup le lieutenant m’a
demandé des comptes. Je lui ai répondu que je n’avais pas reçu d’ordre. Je
n’allais quand même pas faire du zèle ! Et si cela n’avait dépendu que de moi
nous aurions présenté les armes aux hommes de la katiba !
Un autre ennui avec mes supérieurs a lieu un dimanche en fin d’après-midi. Je
suis de garde à la porte d’entrée. Je suis à la fin de ma faction, il doit me rester
une dizaine de minutes. Après moi il n’est pas prévu de relève. Je ferme la
barrière et je me dirige vers le dortoir. Hélas je ne sais plus quel gradé m’a vu et
m’a imposé de monter la garde une ou deux heures de plus !
Dans le deuxième bureau j’ai accès aux archives du régiment. C’est ainsi que
j’ai trouvé sur une fiche le nom d’un Cessenonais : André Ibanez de deux ans
plus âgé que moi. Je n’ai pas eu l’occasion de le lui dire.
Aucune explication ne m’a été donnée quand le lieutenant m’a annoncé mon
départ de la Base Arrière. Je prenais sur-le-champ mon paquetage et mon fusil
(j’avais encore mon Garand) et je remontais en zone opérationnelle. Je me suis
naturellement douté de ce qui était en cause, le retour de l’enquête de la sécurité
militaire !
Je n’étais plus là quand a éclaté le drame que je relate plus loin.

Une vue de la Base Arrière ? Peut-être !
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Le drame de la Base Arrière

Je l’ai raconté, j’ai été affecté cinq semaines dans ce qui était une planque : la
Base Arrière du 1/66ème Régiment d’Artillerie qui se trouvait à Aïn el Hadjar.
Mon premier emploi a été celui de secrétaire dans un service dont le responsable
devait être un adjudant-chef du nom de Lambert paraît-il.
Il y avait dans le même bureau un second secrétaire, dont un autre appelé du
contingent, un certain Marcel Ferrer, un Pied Noir originaire de Mazagran, retiré
à Cabestany après avoir fait carrière dans la gendarmerie, avec lequel je suis
entré en contact via Internet, m’a rappelé les nom et prénom. Il s’appelait
Claude Douvier. Ils étaient de la même classe.
Claude Douvier était comme moi de taille moyenne, nettement plus carré, il faut
dire qu’à l’époque, mais les temps ont bien changé, j’étais très mince. Il était
originaire de Reims et était un garçon plutôt discret. En tout cas il ne se
manifestait guère.
Il suivait des cours par correspondance et si les renseignements que j’ai pu
recueillir par la suite sont exacts, c’était dans le but de devenir préparateur en
pharmacie. Ambition modeste donc, à la mesure de sa formation initiale sans
doute.
J’ai quitté ce service au bout d’une quinzaine de jours pour un autre bureau où
officiait également un adjudant-chef qui je crois s’appelait Abache et qui était
présumé né en 1911. Oui, en Algérie l’état civil laissait à désirer à cette époque.
On trouvait par exemple des gens qui s’appelaient SNP, c'est-à-dire Sans Nom
Patronymique.
Je reviens à Claude Douvier. Il était né le 09.05.1938. J’imagine qu’il jugeait
que son affectation lui avait permis de ne pas trop souffrir de cette guerre avec
laquelle il n’était certainement pas d’accord, pratiquement personne ne l’était
parmi les appelés du contingent.
J’ai quitté la Base Arrière en septembre 1960, le temps que revienne l’enquête
de la Sécurité Militaire au terme de laquelle on avait jugé que je risquais de
vendre le plan des cuisines aux Russes !
Je n’ai pas vécu le drame que je vais raconter à présent, il a eu lieu le
16.12.1960, mais on me l’a rapporté. Claude Douvier n’avait plus que deux mois
« à tirer » avant d’avoir la quille.
Un Maghrébin revenait d’Oran où il avait été hospitalisé quelque temps. Il avait
reçu de mauvaises nouvelles de sa mère. Il est donc entré dans le bureau de
l’adjudant-chef Lambert pour demander une permission. Celle-ci lui a été
refusée au motif qu’il avait déjà été absent.
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Le ton est monté, le Maghrébin est sorti en claquant la porte et s’est dirigé vers
le dortoir. A l’entrée étaient les armes, un câble passant dans chacun des pontets
qui entourent les gâchettes. Il a pris la clé qui fermait l’ensemble, a décadenassé,
s’est saisi de sa mitraillette et l’a pointée vers la personne qui venait d’entrer
derrière lui. Il a tiré, hélas ce n’était pas l’adjudant-chef qui était sur ses pas
mais le secrétaire qu’il avait envoyé. Celui-ci a été tué sur le coup et le
Maghrébin s’est donné la mort.
Ah, je ne sais quelle a été la réaction de l’adjudant-chef Lambert.
J’ai vérifié sur le site Mémoire des Hommes et j’ai bien trouvé trace du décès de
Claude Douvier à la date que j’ai indiquée avec évidemment, comme toujours en
pareilles circonstances, la mention « Mort pour la France ». Je ne vais pas
épiloguer sur ladite mention mais on sait ce que j’en pense.
J’ai cherché sur l’annuaire des gens de Reims dont le patronyme est Douvier.
J’en ai trouvé un, Raymond Douvier. J’ai appelé. C’est le frère du Claude
Douvier dont je viens de relater l’histoire.
Il m’a apporté quelques précisions : Claude était son aîné de 18 mois et luimême effectuait son temps de service militaire en Allemagne avec la perspective
de devoir partir en Algérie au retour de son frère. Il en a finalement, encore
heureux, été dispensé. Il a d’ailleurs fallu pour cela que ses parents multiplient
les démarches.
Raymond Douvier m’a confirmé que Claude était pour la paix en Algérie et pour
le droit à l’indépendance des Algériens. Il militait pour cela dans une section de
la Ligue des Droits de l’Homme de Reims.
Le lieutenant-colonel Singer qui commandait le 1/66ème RA avait écrit à sa mère.
Qu’avait-t-il pu dire pour la consoler ?
« Quelle connerie la guerre ! » a écrit Prévert. C’est assez universel mais dans le
cas de celle d’Algérie on a atteint des sommets !

A Reims, sur la tombe de Claude Douvier
Photo Jean-Claude Brouiller

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Le Gros Jules
En fait son vrai nom c’était Vern. C’est le chien dont j’étais chargé dans la
fonction de maître-chien pour laquelle j’avais été volontaire lorsque j’ai fait mon
service militaire.
Il faut préciser que c’était pendant la guerre d’Algérie. Après mes classes, que
j’avais effectuées à Oran, dans le quartier d’Eckmühl, au 1/66 ème Régiment
d’Artillerie, j’avais d’abord été affecté à la Batterie de Commandement et de
Services (la BCS) située un peu au sud de Saïda. Dans un premier temps on
m’avait envoyé dans un commando mais le sous-lieutenant qui l’avait en charge
ne voulait que des volontaires. Je ne l’étais pas, j’en étais même très loin !
Je suis donc resté un ou deux mois dans cette BCS, sans fonction particulière.
Puis le capitaine m’a annoncé que j’étais muté dans un bureau à la Base Arrière
qui se trouvait plus près de Saïda, dans une localité qui s’appelle Aïn el Hadjar.
Je n’y suis resté que cinq semaines, le temps que revienne l’enquête de la
Sécurité Militaire. Je n’ai eu droit à aucune explication quand celle-ci est
arrivée. J’ai été invité à prendre mon paquetage et mon fusil et à repartir pour la
BCS.
Si on ne m’a jamais donné les raisons de ma disgrâce (sans doute que la Sécurité
Militaire craignait que je ne vende le plan des cuisines aux Russes), à la BCS où
j’étais donc de retour les gradés eux étaient au courant. Aussi je n’étais guère
épargné. Toutes les corvées étaient pour moi et en opération on me chargeait du
poste radio, qui je crois faisait 11 kg, ou du fusil mitrailleur ou des sacoches de
munitions… A tel point que j’avais fait part de mon inquiétude à mon adjudant.
« Mais comment ferez-vous quand j’aurai la quille ? »
On demandait des volontaires pour être maître-chien. Ben oui, quand il y a la
guerre tout le monde participe. Déjà sous Hannibal on avait embauché des
éléphants. En 14 – 18 les chevaux et les mulets avaient été fortement sollicités.
Il y eut même des pigeons voyageurs dans les transmissions. Bon là c’était des
chiens de guerre.
Tout compte fait j’ai estimé qu’un chien je ne l’aurais pas sur le dos, au sens
propre du terme. Je me suis donc porté volontaire pour le stage de maître-chien
qui était proposé.
Dans un premier temps je suis descendu à Saïda où les chiens ont été tirés au
sort pour les postulants à l’emploi. C’est ainsi que j’ai hérité de Gros Jules. Il y
avait Zito qui avait des allures de renard, Emolf, Faro, Fangio qu’on a fini par
abattre car il ne comprenait pas que l’ennemi n’était pas dans les rangs de
l’armée française mais en face. Oui à plusieurs reprises il s’était jeté sur son
maître. On l’avait remplacé par Azno, un chien pisteur qui, quand on traçait une

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piste pour l’exercer à la suivre, prenait un air inspiré et partait à peu près
systématiquement de l’autre côté.
On nous a envoyés ensuite à Mostaganem à la caserne de La Remonte avec nos
chiens, nos fusils et nos paquetages. Nous y sommes restés tout le mois de
novembre 1960. Nous avions comme instructeur un sergent corse pas
spécialement mauvais diable.
Nous allions souvent avec nos chiens sur le plateau de Mazagran qui se trouve
au-dessus de Mostaganem. J’ai appris par la suite que Mazagran avait été le
théâtre de la résistance héroïque d’une centaine de chasseurs commandés par le
capitaine Lelièvre qui a tenu tête avec succès à des milliers d’Arabes des troupes
d’Abd El Kader. Les assiégés buvaient du café arrosé d’eau-de-vie. Quand
j’étais enfant j’ignorais l’origine de l’expression « Un mazagran » qui était la
commande que faisaient plusieurs clients du café le Helder après le repas de
midi. Nous allions aussi sur la plage de La Salamandre ou des Sablettes.
Les chiens étaient entraînés à s’attaquer à un mannequin et à mordre dans une
manchette rembourrée que lui présentait l’un d’entre nous, évidemment vêtu
d’une djellaba !
Il y avait un parcours du combattant du chien aménagé. Celui-ci devait ramper,
passer dans un cerceau, franchir une palissade haute de deux mètres environ…
Au début le gros Jules arrivait à sauter la palissade mais quelques mois plus tard,
devenu vieux et un peu handicapé, il n’aurait pu que la traverser aussi il avait
renoncé !
Gros Jules était naturellement privé d’amour mais dans le chenil il avait connu
spontanément une érection qui l’avait mis dans une situation embarrassante, il
n’arrivait pas à obtenir un… retour au calme ! Je crois qu’il en était gêné !
A l’issue de notre stage de un mois nous avons été affectés en zone
opérationnelle. C’est ainsi qu’accompagné de mon Gros Jules j’ai été cantonné à
Bou Ktoub, un bordj situé un peu à l’est du chott El Chergui, à l’endroit où
celui-ci est le plus étroit. Il y avait avec moi un autre maître-chien, Bernard
Donjon, dont le chien, très beau, s’appelait Bipso. Donjon était vraiment très
rigolo et avait un toupet incroyable.
Je sortais mon chien dans les environs du cantonnement, allant régulièrement
dans un bois de tamaris qui avait été planté de l’autre côté de la ligne de chemin
de fer Perregaux – Aïn Sefra. Après avoir fait promener ma bête je m’installais à
l’ombre et je lisais. Un livre durait à peine deux jours !
Nous revenions régulièrement à Saïda pour un regroupement des chiens et de
leurs maîtres dispersés dans les différentes batteries de notre régiment. Le chenil
était à côté de la gare de Saïda et un vétérinaire contrôlait la santé de nos bêtes.
L’intendance achetait quelquefois des ânes pour les nourrir mais nous prélevions
notre part pour améliorer notre ordinaire.
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J’ai un épisode amusant sur un de ces séjours à Saïda. Je prenais les pattes de
mon Gros Jules et je le mimais dirigeant un orchestre qui jouait La Marseillaise.
Cela n’avait pas plu à un autre maître-chien qui m’avait menacé de son arme en
déclarant qu’il ne voudrait pas qu’on « souille la mémoire de son chien » !
J’imagine qu’il avait un peu bu.
Le gros Jules, officiellement éclaireur, n’a jamais eu à s’en prendre à un
quelconque fellagha, du moins tant qu’il a été sous mes ordres. Une fois il a
failli empoigner un adjudant qui l’avait surpris en tournant à un angle de
bâtiment.
Le seul souci que j’ai eu avec lui c’est, au cours d’une opération, l’accrochage
qu’il avait eu avec Zito, l’éclaireur de la section voisine. En les séparant j’ai été
mordu mais je n’ai jamais su par lequel des deux !
Une autre fois j’avais dû le frapper avec ma mitraillette car il s’était attaqué au
jarret d’un âne lors d’une patrouille nocturne dans le village de Bou Ktoub.
Même qu’à cette occasion j’avais perdu un chargeur de cette mitraillette ce qui
n’aurait pas manqué de me créer des ennuis si un habitant ne l’avait ramenée au
bordj le lendemain !
A la fin de 1961, peut-être au début de 1962 mon unité a changé de secteur et,
pour des raisons administratives je pense, mon chien ne m’a pas suivi. Il faut
dire qu’à partir de cette période l’armée française faisait penser au poème de
Rimbaud « Bateau ivre ». Nous nagions en plein surréalisme.
J’avoue que nous ne risquions pas de gagner la guerre tant je manquais
d’enthousiasme, mais enfin j’ai contribué à faire flotter le drapeau français aux
confins du Sahara !

Là c’est sur le plateau de Mazagran en novembre 1960.
J’avais mis un bracelet-montre à la patte du Gros Jules
Photo Paul Malaurie

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L’autre maître-chien

Il s’appelait Donjon, Bernard Donjon. Je l’ai connu quand je me suis porté
volontaire pour être maître-chien. Lui aussi avait été candidat à cette fonction.
C’était un garçon pas très grand, bien physiquement, avec une moustache. Il
était Parisien. Il habitait la même rue que Jean-Paul Sartre et avait l’occasion de
le croiser. Dans le civil il avait été ajusteur je crois et avait travaillé dans une
usine qui fabriquait des compteurs de voiture, des compteurs Jaeger me semblet-il.
Il avait été sinon au parti communiste du moins aux jeunesses communistes et il
avait effectué une partie de son service militaire, 14 mois, en Allemagne.
Après notre stage de maître-chien à Mostaganem nous avions été affectés tous
les deux à la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Artillerie, au cantonnement de
Bou-Ktoub plus précisément. Nous partagions la même chambre à côté de ce qui
tenait lieu de chenil.
Il avait une guitare et en jouait quelquefois, chantant notamment une chanson de
Jacques Brel :
Sur la place chauffée au soleil / Une fille s'est mise à danser
…/…
L'amoureux l'appelle l'amour / Le mendiant la charité / Le soleil l'appelle le jour
Ainsi qu’une autre de Jean Ferrat :
Ma môme, ell' joue pas les starlettes / Ell' met pas des lunettes / De soleil / Ell'
pos' pas pour les magazines / Ell' travaille en usine / A Créteil
Il avait aussi fait des poèmes. Je vais essayer de retrouver une partie du texte de
l’un d’eux :
Cigarette dorée au bout des doigts vernis,
Chaussures Milano et bas que l’on soupçonne,
On pourrait croire qu’elle vit presque complètement.
Il lui arrivait aussi de peindre. C’étaient de petits tableaux non figuratifs et
j’étais chargé de leur trouver des titres. Je me rappelle que pour l’un d’eux je lui
en avais proposé deux : dans le sens horizontal, « Le passage de la Bérézina »,
dans le sens vertical « la défenestration de Prague » !
Il était réfractaire à toute contrainte mais curieusement il s’en sortait toujours.
Par exemple le matin les maîtres-chiens étions assez régulièrement embauchés
pour les pluches. Il traînait, traînait, n’arrivant que quand nous étions sur la fin.
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Il se faisait naturellement sermonner par le maréchal des logis de semaine. Il
avait une parade : « J’écrivais à ma fiancée. C’est que si je ne lui écris pas, elle
ne me répond pas et si je n’ai pas de nouvelle je n’ai pas le moral. Vous savez ce
que c’est, un soldat qui n’a pas le moral… »
Au début il feintait les diverses revues prétextant qu’elles avaient lieu au
moment où nous sortions les chiens et qu’il ne fallait pas les perturber dans
l’organisation de leurs activités. Ce n’est pas qu’il ne souhaitait pas faire la
revue, au contraire disait-il « Il aimait savoir où il en était de ses affaires ! »
Naturellement cela n’a duré qu’un temps.
Une fois je ne sais quel gradé voulait que nous graissions ou cirions le dessous
de nos rangers il avait ostensiblement attiré l’attention sur lui en soulevant ses
pieds et montrant ses semelles, déclamant à la cantonade « Moi chef, moi… »
Un jour, au cours d’une opération, il était chef de pièce, c'est-à-dire qu’il
commandait l’équipe chargée d’un fusil mitrailleur. Un sanglier avait déboulé
devant la section. Il avait fait tirer sur l’animal, lequel s’en était d’ailleurs sorti
sans une égratignure. A l’adjudant qui demandait qui était le responsable il avait
montré le soleil en disant que c’était lui, il faisait vraiment trop chaud.
Il avait relevé dans une revue assez bourge des adresses de jeunes filles qui se
proposaient pour être marraines de guerre. Il avait écrit et avait reçu un colis
avec je me rappelle des asperges en boîte ! Il s’était accommodé de la chose
d’un « Ça commence par des colis mais ça va suivre avec des mandats ! »
A propos de la misère de notre vie affective il avait ce commentaire : « On ne
pourrait pas s’empêcher de faire des avances à une chèvre qui aurait un tablier à
fleurs ! »
Comme il était plus ancien que moi j’avais encore quelques mois à effectuer
après son départ. A partir de là j’ai commencé à ne plus être protégé par la
chance insolente qui était la sienne et dont je bénéficiais. Ben oui quelques jours
après j’écopais de huit jours de prison pour avoir abandonné quelque temps mon
poste alors que je montais la garde. Huit jours que je n’ai d’ailleurs jamais faits !
Avec notre peu d’enthousiasme l’armée française n’avait aucune chance de
gagner la guerre mais nous pouvons cependant nous vanter d’avoir contribué à
faire flotter le drapeau tricolore aux confins du Sahara !
J’avais eu l’occasion de rendre visite à ce copain de régiment, et de manger chez
lui, lors d’une réunion syndicale qui s’était tenue à Paris en 1972. Il était alors
marié, avait un garçon et habitait un tout petit appartement près du Luxembourg.
Il avait changé de métier et s’occupait de coller des affiches.
Je l’ai perdu de vue quelque temps plus tard et en avril 2000 quand les maîtreschiens du 1/66ème RA nous nous sommes retrouvés du côté de Parthenay pour
fêter les soixante ans de l’un d’entre nous il était le seul absent.

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Donjon est assis à droite

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Vern et Bipso

Pierre Liebert m’a fait parvenir des photos de Vern, le chien qui m’avait été
attribué lors du tirage au sort et de Bipso, le chien de Bernard Donjon, l’autre
maître-chien qui était avec moi à la 4ème batterie du 1 /66ème RA.
Vern est à gauche et je ne sais pas avec précision à quel endroit la photo a été
prise. Peut-être au Kreider ? Je n’en suis pas sûr, je n’y suis resté qu’une
semaine. Bipso c’est apparemment à Bou-Ktoub qu’il a été pris en photo, BouKtoub où nous avons été cantonnés plusieurs mois.
Bipso était un très beau chien, Vern commençait à vieillir et avait l’arrière train
qui se bloquait. Il ne pouvait plus franchir la planche verticale haute de plus de 2
m qui faisait partie du parcours sportif que nous retrouvions à Saïda où nous
allions à intervalles réguliers.
Pierre Liebert a envoyé d’autres photos difficilement exploitables. Il y a
d’ailleurs des paysages et des personnages que je ne situe pas très bien.
Toutefois il y en a quelques-unes qui montrent l’armement dont nous disposions,
notamment les mitrailleuses lourdes de 12,7 montées sur des half-tracks. Il y a
aussi une colonne de GMC, tractant les obusiers de 105, qui partait en opération
(mais là c’est très flou).
De toute façon, je me tenais, autant que je le pouvais, fortement éloigné de ce
genre de matériel !

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Quel temps faisait-il à Bou-Ktoub ?

Comme Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux, à 1026 m d’altitude, j’ai plus
souffert du froid que du chaud. Il m’est même arrivé de voir tomber quelques
flocons. J’ai rencontré toutefois davantage de neige à Géryville où nous avons
été déplacés en janvier 1962.
Je me rappelle une nuit passée, au cours d’une opération qui n’avait guère
d’intérêt sinon d’occuper la troupe, dans un abreuvoir du point d’eau de Kef El
Ahmar. Au petit matin il faisait froid et les autochtones incorporés dans l’armée
française étaient en quête de bouse de dromadaire pour allumer un feu et faire
chauffer le café. Je n’ai guère de souvenir de la pluie. Sans doute que nous
avons dû l’avoir quelquefois.
Cela ne s’est produit qu’à quelques reprises mais j’ai connu le vent de sable, le
simoun. C’est véritablement infernal : on se calfeutre à l’intérieur car dehors on
ne voit rien ou pas grand-chose et le sable cingle le visage et tout ce qui est
exposé.
Il rentre par toutes les ouvertures qui s’offrent à lui, sous les portes en
particulier.
Ça dure en général une journée.
Il y avait dans le secteur des dunes assez hautes qui s’étaient formées. Plus vers
le sud, à Mécheria, c’était nettement plus désertique.
Naturellement il fait quand même chaud, et sec, en été. J’ai d’ailleurs appris que
la sécheresse s’étant étendue il n’y a plus d’alfa sur les hauts plateaux
Sur la route goudronnée qui remonte vers Saïda on pouvait observer les
phénomènes bien connus de mirages chauds. Des illusions de flaques d’eau
lointaines apparaissaient sur la route. Elles disparaissaient quand on avançait
pour se former plus loin.
En fait point n’est besoin d’aller au Sahara pour être confronté à ce phénomène
mais là c’était véritablement spectaculaire.
Sur le chott El Chergui on avait à droit au spectacle de l’image de La Rafale, le
train circulant sur la voie ferrée de faible écartement qui reliait Perrégaux à Aïn
Sefra, qui se reflétait dans la couche de sel.
Par ici c’était plat comme la main, sans une pierre. Ah si, il y en avait au moins
une. Un jour, descendant du camion où il était chef de voiture, un brigadier dont
j’ai oublié le nom, originaire de Phalempin dans le Nord, avait
malencontreusement posé son pied sur la seule qui se trouvait là à des centaines
de mètres à la ronde. Il avait écopé d’une cheville foulée !
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Bou-Ktoub, la rue principale

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Bou-Ktoub : le marabout
J’ai trouvé la photo qui illustre le présent article sur la Toile. J’ai un vague
souvenir de ce monument mais je ne suis pas sûr de l’endroit exact où il se
trouve. « A la sortie de Bougtob » (oui, c’est ainsi que s’écrit le nom de la ville à
présent) dit la légende qui l’accompagne.
Alors sur la route d’El Bayadh (anciennement Géryville) ? Peut-être, rien n’est
moins sûr !
Ce monument est donc un marabout c’est à dire le tombeau d’un… marabout !
Mais qu’est-ce donc qu’un marabout ? On pourrait traduire par « saint »,
« ermite », « homme sage »…
Toujours selon la légende qui accompagne la photo ce serait le marabout de
Mkam Sidi Bahous El Hadj encore appelé Abou Hafs El Gharib ou Dafin Missr
dont nous ne savons rien. C’est le fils de Abdelhakem, lui-même fils de Sidi
Chikh, un personnage important dans la région.
Il s’agit donc d’un mausolée. Naturellement il est en vert et blanc, couleurs de la
paix et de la bénédiction dans l’islam.
On connaît en Algérie, du côté de Sidi Bel Abbés un marabout célèbre, celui de
Sidi Brahim, célèbre pour la bataille qui s’y est déroulée du 23 au 26 septembre
1845. 82 chasseurs à pied retranchés dans le marabout résistèrent pendant trois
jours et trois nuits à 10 000 cavaliers d’Abdel Kader. 11 en sortirent vivants.
Déjà à cette époque la France ne lésinait pas avec le sang de ses soldats !

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Khaïma
On écrit aussi kheima et elle désigne la tente bédouine utilisée par les nomades
qui doivent se déplacer pour faire paître leurs troupeaux.
Une armature de bois soutient un assemblage de bandes de laine brune de teintes
différentes, cousues ensemble.
A Bou-Ktoub il y avait un camp de regroupement fait de khaïmas et j’ai eu
l’occasion de boire le thé devant l’une d’elles. L’occupant des lieux, un chibani
(un vieux monsieur) nous avait quasiment avoué que ses fils étaient « au
djebel », c'est-à-dire dans les rangs du FLN.
Un soldat maghrébin avait découvert, en piquant sa baïonnette dans le sol, un
casque de soldat enterré devant la khaïma. Je ne sais pas par quoi l’affaire s’était
soldée. Je ne sais pas non plus à quoi le chibani destinait ce casque, il ne me
semble pas que les fellaghas s’en coiffaient.
Dans les camps de regroupement, destinés à isoler les combattants du FLN de la
population, les pasteurs comme les agriculteurs, ne pouvaient plus avoir les
activités économiques qui étaient les leurs et bien sûr cela aggravait encore une
situation déjà difficile.
La guerre est une chose atroce et on ne répétera jamais assez qu’il faut
commémorer comme il se doit le 19 mars qui est la date d’entrée en vigueur du
cessez-le-feu. Ce qui s’est passé par la suite est une autre histoire qui mérite
analyse mais au moins les soldats du contingent n’étaient plus directement
concernés.

Photo Noureddine Toumi
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Sur le putsch d’avril 1961

Je ne suis pas exactement sûr de la chronologie dans le récit que je vais faire de
ces événements que j’ai vécus en tant qu’appelé du contingent.
Le samedi 22 avril, en fin d’après-midi en revenant de la piscine du Kreider qui
se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Bou-Ktoub où était cantonnée
la moitié de la 4ème batterie du 1/66ème régiment d’artillerie, j’ai appris la
nouvelle de la tentative de putsch qui venait d’avoir lieu à Alger.
Ce soir-là nous n’avons pas bougé. Le lendemain les langues allaient bon train
dans le bordj de Bou-Ktoub où était une garnison d’une cinquantaine de soldats,
essentiellement des appelés du contingent. Le capitaine était un certain Giscard
d’Estaing et était je crois un oncle du futur président de la république. Ceux qui
servaient au mess des officiers nous avaient signalé qu’il avait fait enlever la
photo du général de Gaulle aux murs de celui-ci.
Le dimanche après-midi nous avons décidé de rédiger une déclaration exprimant
notre volonté de rester fidèle au gouvernement légal. J’ai été chargé de la
rédaction du texte et Bernard Donjon, l’autre maître-chien de l’unité, s’est
occupé de le recopier.
Nous avons présenté cette déclaration à la signature de tous. Nous avons
recueilli me semble-t-il 47 signatures. Parmi le contingent il n’y a pratiquement
pas eu de refus, sauf celui du chauffeur du capitaine, lequel, selon le mot de
Donjon pratiquait de manière constante l’alliance du volant et du goupillon. Oui
il ne manquait pas la messe le dimanche !

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N’avait pas non plus signé un maréchal des logis d’origine bretonne, dont le
nom était peut-être Hascouet ou quelque chose d’approchant et qui avait paraît-il
le projet de s’engager dans les CRS.
Par contre un autre maréchal des logis, un certain Lucien Dugardin, originaire de
Roubaix et communiste, de « semaine » selon l’expression en usage dans
l’armée, nous avait fait distribuer la totalité de nos munitions. Oui, pour des
raisons de sécurité, on ne nous en laissait qu’une partie.
Dans l’après-midi du dimanche des camions de la Légion Etrangère sont passés,
montant sans doute vers Oran. Il y en avait un grand nombre, peut-être un
régiment complet, et nous n’aurions pas été en mesure de nous opposer à quoi
que ce soit.
Je pense que c’est le dimanche en fin d’après-midi qu’un train rempli de
libérables parti de Méchéria qui est à quelques dizaines de kilomètres au sud de
Bou-Ktoub avait été renvoyé depuis Saïda ou Perrégaux vers son lieu de départ
et avait stationné quelque temps dans la gare de notre localité. Nous étions allés
essayer de convaincre ces libérables de protester mais ils étaient trop accablés
pour réagir.
Le dimanche soir j’étais de garde. Pendant cette période les postes à transistors
ont joué un rôle important pour faire passer les informations. Nous avions
entendu, sur je ne sais plus quelle station, que le lieutenant colonel Singer qui
commandait le 1/66ème R.A. avait rallié les putschistes. Nous n’avons jamais pu
le vérifier.
Au milieu de la nuit il y a eu l’appel de Michel Debré précédé de La
Marseillaise. Comme j’étais à ce moment là au poste de police je me suis mis
ostensiblement au garde-à-vous ! On sentait de l’angoisse dans la voix du
Premier Ministre !
Le lundi nous avons fait partir notre pétition à notre lieutenant colonel qui se
trouvait à la Batterie de Commandement et de Services située près de Saïda.
Nous avons également envoyé un double dans les batteries où nous avions des
contacts.
Nous avons également avisé les deux sous-lieutenants, des appelés, qui étaient
en poste l’un à Bou-Ktoub l’autre au Kreider que nous leur confierions le
commandement s’il s’avérait que notre capitaine prenait partie contre le
gouvernement légal. Quoiqu’en désaccord avec les putschistes ils étaient dans
l’expectative ! L’aspirant responsable du service de santé avait lui par contre
signé notre déclaration de principe, fustigeant avec insistance et détermination
les généraux félons !
Le lundi ou le mardi soir je ne sais plus, nous avons tenu une réunion dans une
pièce qui servait de salle de classe. Oui l’armée faisait du social à bon compte

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avec les appelés du contingent qui étaient instituteurs dans le civil et même avec
ceux qui n’avaient pas de formation particulière en la matière.
Nous étions un groupe assez décidé. Pierre Liebert, le responsable du magasin
d’entretien, peintre dans le civil, était d’accord pour nous fournir de la peinture
afin d’aller badigeonner les murs de la ville d’inscriptions donnant notre
position sur le putsch. Comme j’étais surveillé il fut convenu que l’opération se
ferait le mercredi où je devais être de garde à nouveau. Mais le mercredi c’était
la reddition des putschistes !
Il y avait deux bistrots à Bou-Ktoub, l’un très exactement devant l’entrée du
bordj, l’autre guère plus loin, en face du chenil. Les propriétaires avaient
pavoisé et mis un drapeau tricolore sur la devanture de leurs établissements. Le
maréchal des logis qui n’avait pas signé notre pétition voulut se rattraper. Il
subtilisa le drapeau qui était le plus éloigné de l’entrée du bordj… et me le
remit !
Qu’en faire ? Je l’ai finalement planqué dans une espèce de galetas qui était audessus de la chambre des deux maîtres-chiens. J’étais un peu inquiet car il y était
pendant que s’effectuait une revue de munitions étalées sur nos lits. Oui, comme
il y en avait qui étaient subtilisées et qu’elles arrivaient sans doute dans les
mains des combattants de l’ALN ces contrôles étaient fréquents. Au passage je
dois dire que ce n’était pas très exaltant d’enlever les 8 fois 25 cartouches de nos
chargeurs de mitraillette et de les remettre après la revue. Aussi Donjon les
laissait dans un chapeau d’où il les sortait à la demande ! Pour un peu il serait
parti en opération avec des bouteilles de bière dans ses sacoches à la place de ses
chargeurs, arguant qu’en cas d’accrochage il se contenterait de les décapsuler !
Quelques jours après la fin du putsch le chef d’escadron Guyot qui commandait
en second fit une visite dans notre cantonnement. Nous étions tous rassemblés
dans la cour du bordj quand l’adjudant Chassagne me fit sortir des rangs afin
que je sois présenté à l’autorité en visite. Je n’en menais pas large ! Il y eut
simplement un discours au terme duquel on nous assura que nous n’aurions en
aucun cas été entraînés dans une aventure ! Après coup c’était facile de le dire !
Après ces événements nous ne revîmes plus notre capitaine Giscard d’Estaing.
Sans doute fut-il muté de manière disciplinaire. Nous reçûmes en remplacement
un capitaine que j’avais connu à la BCS avant de la quitter pour devenir maîtrechien. Le bruit courait qu’il était chargé de la sécurité militaire et qu’il enquêtait
pour savoir qui était à l’origine de la pétition.
Ce n’était pas mon écriture qui figurait sur celle-ci j’étais donc un peu à l’abri.
Donjon était tellement farfelu qu’on ne pensait pas à lui. Il était pourtant
communiste ! Les soupçons s’étaient portés sur un certain José Bianco,
originaire de Marseille lui aussi aux jeunesses communistes et fils de républicain
espagnol. Là c’est un maréchal des logis, un engagé, qui avait tenté de trouver le
responsable, faisant venir les choses de loin dans le style : « Vous, Bianco si vos
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parents sont partis d’Espagne c’est à cause du régime ? » A quoi Donjon, qui
assistait à l’interrogatoire, avait répondu ! « Mais non, c’est à cause du climat et
de la nourriture ! »
Ah non, nous n’étions pas encore au bout de nos peines, j’ai dû subir l’absurdité
de cette guerre pendant encore un an !

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Lui c’est Messmer

C’est le nom, celui du ministre des armées à l’époque, que nous avions donné à
ce chien qui était la mascotte de la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Infanterie
cantonnée à Bou-Ktoub au sud de Saïda et au bord du chott el Chergui.
La photo m’a été envoyée récemment par Pierre Liebert qui était responsable du
matériel pour l’entretien du cantonnement. C’est lui qui devait nous fournir la
peinture pour aller mettre des inscriptions hostiles aux factieux lors du putsch
des généraux félons en avril 1961.
Mais voici Pierre Liebert en train de peindre l’écusson du régiment à l’entrée du
bordj et à côté il s’occupe de la guérite. Le soldat accroupi s’appelle Legros.

Messmer ? On l’a coiffé d’un calot avec un galon de Premier canonnier. Il me
semble qu’il avait été abattu quand nous avons quitté Bou-Ktoub pour Géryville.

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La champignonnière

On s’ennuyait ferme au bordj de Bou-Ktoub. Un bordj ? C’est un fort. Celui-ci
avait dû être construit au début de la conquête de l’Algérie.
Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux du Sud Oranais à 1026 m d’altitude. Ce
n’est pas encore le désert mais c’est presque désespérément que le regard
cherche un arbre. Ici c’est le pays de l’alfa. Géryville, la sous-préfecture, située
à une centaine de kilomètres au sud est, est la capitale de cette graminée utilisée
pour la fabrication d’un papier de luxe. Elle nourrissait aussi des troupeaux de
moutons, de chèvres et de dromadaires.
A Bou-Ktoub on emballait l’alfa récolté dans le secteur et un dispositif
permettait de tresser des cordages avec la plante. Celui qui le servait courait
toute la journée !
A une dizaine de kilomètres au nord, de l’autre côté de l’étranglement du Chott
Ech Chergui, est Le Kreider, petite oasis qui possédait une caserne plus
importante et surtout une piscine alimentée par une source naturelle d’eau
chaude. A vrai dire à Bou-Ktoub aussi il y avait de l’eau chaude qui était
pompée et qui alimentait un établissement public de douches où nous allions une
fois par semaine.
La ville comportait une station de chemin de fer sur la ligne à voie étroite qui
reliait Perrégaux à Aïn Sefra (et peut-être antérieurement Colomb-Béchar). Le
train qui l’empruntait était appelé La Rafale et des wagons étaient placés à
l’avant de la locomotrice pour réduire les risques provoqués par une mine.
Je ne sais pas combien il restait d’Européens à Bou-Ktoub en dehors des deux
familles qui tenaient les bistrots situés face à notre cantonnement. Le cimetière
dont ils disposaient était envahi par le sable et sans doute désaffecté.
Il y avait un village en dur fait de mechtas et un douar formé de tentes qu’on
appelait des raïmas, peut-être un village dit de regroupement. Il y avait aussi une
SAS (Section Administrative spécialisée) avec laquelle nous n’avions pas de
contact. Une harka avait été recrutée et a dû compter une trentaine de supplétifs.
En dehors de la cour du bordj était un espace sablonneux entouré de fil de fer
barbelé. C’est dans cet espace qu’étaient installés les deux canons de 105 mm
dont nous disposions. Ils n’ont jamais guère quitté leur emplacement.
Comment s’appelait-il ? Je ne sais plus ! Sicard peut-être m’a soufflé Lucien
Dugardin, maréchal des logis dont j’ai retrouvé la trace 45 années plus tard.
Selon lui, Sicard, si c’est son nom, était originaire de… la Loire ?

- 47 -
Ce qui est sûr par contre c’est que dans le civil il cultivait des champignons de
Paris dans les galeries d’une ancienne carrière. L’ennui, et le mal du pays aidant,
il avait réalisé une champignonnière miniature avec des tôles cintrées en
principe destinées à servir d’abri. Il s’était procuré du fumier de cheval, sans
doute auprès d’un régiment de spahis qui était cantonné dans le secteur, s’était
fait envoyer de chez lui du mycélium et avait obtenu quelques spécimens
d’Agaricus bisporus.
Le capitaine qui commandait la 4ème batterie avait manifesté beaucoup d’intérêt
pour l’expérience clandestine ainsi menée. Aussi, avec l’aide du spécialiste, la
grande culture du champignon de Paris avait été entreprise… au sous-sol.
Enfin le sous-sol il avait fallu le créer. Deux galeries d’une douzaine de mètres
avaient été creusées dans le tuf que recouvrait un sable moins compact. Cela
n’alla pas très vite car planqué dans la fraîcheur du chantier on n’était pas obligé
de faire du zèle. Je me rappelle un Corse, remontant à la surface à l’heure du
déjeuner, avoir avoué qu’il n’avait donné que deux coups de pelle dans toute la
matinée !
On était loin des kilomètres de galeries dont disposait notre champignonniste de
profession mais enfin l’affaire fut menée à bien et j’ai le souvenir d’avoir vu un
soir flotter des champignons de Paris dans la soupe qui nous avait été servie.
Quand une autorité passait dans le secteur on ne manquait pas de lui faire visiter
la champignonnière, le responsable prenant un malin plaisir à le faire patauger
dans du grésil pour éviter toute contamination de sa culture.
L’ambition affichée de notre capitaine, qui souhaitait qu’à terme son unité
n’émarge plus au budget de la défense ne fut toutefois pas réalisée. Un jour, une
nuit plutôt, une des deux galeries, non étayées, s’effondra, sans toutefois faire de
victime, il n’y avait personne à l’intérieur.
Notre ordinaire n’en fut pas vraiment affecté mais peut-être que bien boisées ces
galeries auraient pu être généralisées à l’ensemble des hauts plateaux, voire au
Sahara tout entier.
La relance de l’économie de l’Algérie par la culture du champignon de Paris
nous aurait qui sait permis de gagner la guerre !

- 48 -
L’école de Bou-Ktoub

Je suis arrivé à Bou-Ktoub avec mon chien en novembre ou décembre 1960.
L’école était déjà en place dans un bâtiment en dur mais Mustapha Arzew, un
écolier qui a pris contact avec moi via mon blog, m’a affirmé qu’elle avait
d’abord été installée sous des tentes. Oui, en 130 ans de colonisation la France
n’avait pas encore construit d’école à Bou-Ktoub !
Vous savez les Arabes… Qui n’a pas entendu ce propos raciste !
Un mot sur Mustapha Arzew à qui j’ai demandé ce que faisait son père à BouKtoub. Avant la guerre il était paysan, sans doute avait-il des moutons ou des
dromadaires, on ne voyait pas de culture dans les parages.
Il avait rejoint les rangs du FLN et avait été tué début 1960, lors d’un ratissage,
par un commando de Saïda. Sans doute le commando George, composé de
harkis (au sens générique du terme.) Oui l’armée avait réussi ce tour de force de
faire se battre les Algériens entre eux. On appelait ça la pacification !
Evidemment ça ressemblait davantage à une guerre civile !
Bis repetita placent : "C'est beau, c'est grand, c'est généreux la France !" avait
déclamé De Gaulle !
Avec Bernard Donjon, l’autre maître chien, nous avons été logés après l’école
dans une chambre où nous n’étions que tous les deux, le chenil étant juste à côté.
Il y avait trois appelés du contingent qui faisaient la classe dans cette école :
Jacques Flotté, instituteur dans le civil, qui a fini sa carrière comme principal de
collège dans le Calvados, Robert Brochard originaire de l’Allier où il a travaillé
au Crédit Agricole et Serge Roccaz qui était de Grenoble.
Serge Roccaz était je crois ouvrier d’usine mais je ne sais pas exactement ce
qu’il est devenu. Je l’ai eu au téléphone il y a quelques mois et je lui ai envoyé
un courrier postal. Il n’a pas répondu à ce dernier.
C’était un homme de taille moyenne, pas très grand même, rouquin. Je pense
que son statut d’enseignant, même dans le cadre de son service militaire, l’avait
valorisé.
Je ne sais pas pourquoi il s’était mis à faire la cuisine et ma fois là aussi il
prenait les choses au sérieux avec son torchon noué autour de la taille !
Je lui avais demandé de nous préparer un hérisson que j’avais trouvé. Il s’était
certes exécuté mais m’avait fait remarquer qu’il y avait incompatibilité entre
l’ail et l’oignon avec lesquels je lui avais suggéré de le cuire.

- 49 -
J’ai échangé chaque année et sans interruption mes vœux de nouvel an avec
Robert Brochard. Avec Jacques Flotté nous avions perdu le contact mais il a été
renoué, via mon blog.
L’école n’était pas exactement mixte, elle accueillait les garçons et les filles par
demi-journées me semble-t-il.
Jacques Flotté m’a envoyé diverses photos de Bou-Ktoub. Sur l’une on voit un
jardin qui a dû être créé par l’école. Je n’en ai aucun souvenir.
Je ne sais pas à la suite de quelles circonstances j’ai, quoique toujours maîtrechien, enseigné un temps dans cette école. Peut-être en attendant le retour de
Jacques Flotté qui, ayant contracté une jaunisse pendant sa permission, avait
tardé à revenir.
Il faut dire que j’ai fait un peu tout à l’armée : maître-chien, maître d’école,
maître nageur. Il n’y a que de ma propre personne dont je n’étais pas maître !

Tiens voilà Serge Roccaz et sa classe

- 50 -
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Cros Jacques:Souvenirs de la mascarade

  • 1. Prélude A propos d’un Cessenonais Mort pendant la guerre d’Algérie Il s’appelait Henri Phalip, il était né en 1934, le 29 novembre exactement. Comme les jeunes de son âge il avait été appelé en Algérie pour y faire une guerre qui ne disait pas son nom. Il y est mort, le 23 avril 1956, victime d’un accident de camion je crois. C’est qu’il y a eu presque autant de morts par accident qu’au combat. Il n’avait guère plus de vingt ans. Son père, qu’on surnommait La Verdure, était mineur de bauxite. Evidemment il y avait beaucoup de monde aux obsèques. Personnellement j’étais interne à l’Ecole Normale de Montpellier, je n’y avais donc pas assisté mais j’avais lu dans La Marseillaise (je suppose qu’elle avait déjà succédé à « La Voix de la Patrie) l’article, il tenait toute une page, qui était consacré à l’événement. Je me rappelle que dans le titre il était fait état de « la maison du mineur. » J’ai appris par la suite que c’est notre ami Pierre Escande de Murviel les Béziers, maréchal des logis à la caserne Du Guesclin où il participait à la formation militaire des jeunes recrues, qui avait commandé le peloton chargé de rendre les honneurs. -1-
  • 2. NON A DE GAULLE C’est une inscription qui est longtemps restée, écrite en gros caractères et à la peinture noire, sur le rempart qui protège Cessenon de l’Orb. Elle était parfaitement visible depuis le pont. J’ai participé à l’initiative. C’était une nuit de l’été 1958. Rappelons la situation. Aidé par les factieux d’Alger, le général de Gaulle avait fait un Coup d’Etat le 13 mai précédent. Il entendait légitimer son opération avec le référendum du 28 septembre qui portait sur les fonts baptismaux la constitution de la 5ème république. La question posée était simple : Êtes-vous pour la création de la Vème République ? Naturellement rien n’était clair dans la tête des électeurs. Deux ans plus tôt le parti socialiste avait remporté les élections sur un programme de paix en Algérie mais avait trahi la confiance qui lui avait été accordée puisque Guy Mollet avait envoyé le contingent en AFN et rappelé les soldats qui avaient effectué leur période légale sous les drapeaux. Seul en tant que parti, le PCF était opposé au retour de de Gaulle au pouvoir (le PSU sera créé en 1960). Il s’opposait de fait à une constitution qui instituait en France un bipartisme au terme duquel l’alternance politique pouvait s’exercer sans rien changer quant au fond. Mon frère m’avait donc proposé d’écrire ce NON A DE GAULLE. Nous avions acheté une boîte de peinture, du noir métallique, dans une droguerie biterroise, peut-être un pinceau. Il devait être entre minuit et 1 h du matin et il était entré dans ma chambre pour que je l’accompagne. Je me rappelle que j’avais plutôt sommeil et que j’avais suggéré de remettre notre affaire à un autre jour. Finalement il me décida, nous voilà donc partis. Nous habitions tout à côté du rempart, dans la rue de l’Orb. Celle-ci était en cul de sac mais une échelle avait été laissée en place et permettait d’atteindre la voie ferrée qui courait le long du rempart. Il me semble que mon frère avait mis une blouse. Une fois sur la voie nous avons hissé l’échelle et nous l’avons placée de façon à descendre dans une rue parallèle, la rue du Bac, qui atteint l’Orb par Lo portal de Tamben. Nous avons ensuite placé notre échelle contre le rempart, mon frère y est monté et s’est occupé de peindre, j’ai dû me rendre utile, soit en tenant l’échelle, soit en faisant passer le pot de peinture. Il existait alors à Cessenon une cellule du parti communiste qui avait fait campagne pour le NON au referendum. Je me souviens vaguement du texte de l’une des affiches qui déclarait « Les châteaux voteront OUI, les chaumières -2-
  • 3. voteront NON ». Mais nous n’étions pas en contact avec ses adhérents et, je l’ai su plus tard, ceux-ci se sont longtemps interrogés sur les auteurs de l’inscription. Evidemment à Cessenon comme ailleurs, le OUI a été largement majoritaire : 680 voix contre 323. Toutefois le pourcentage des NON (plus de 32%) a été supérieur au score qu’il a obtenu au plan national. Il y a eu en effet 82,6% de OUI et 17,4% de NON. Je ne prétends pas bien sûr que notre inscription sur le rempart en a été la cause ! Lors des élections législatives qui ont suivi le parti communiste n’a eu que dix députés et n’a donc pas pu constituer un groupe à l’assemblée nationale. Mais assez rapidement l’opinion publique s’est retournée contre la politique du gouvernement du général de Gaulle et Cessenon, comme beaucoup de villages du Biterrois, a vu dès 1962 une forte opposition au pouvoir central. Il faut dire que les socialistes s’étaient ressaisis. Mon père leur avait prêté, en guise d’acte de contrition, le propos suivant : « Nos sem tornarmai engarçats ! » (nous nous sommes trompés encore une fois !) -3-
  • 4. De quelques souvenirs de Bédarieux Le décès de Pierre-Henri Bonet m’a rappelé quelques souvenirs de Bédarieux où je l’avais connu en 1959. J’y débutais ma carrière d’enseignant, c’était mon premier poste d’instituteur à la sortie de l’Ecole Normale. Lui était mineur de bauxite et conseiller municipal dans la municipalité de René Pagès. Ce maire était une figure ! En fait je connaissais davantage les filles Bonet qui étaient de ma génération et avec lesquelles j’étais aux Jeunesses Communistes. Claudette, l’aînée, doit avoir deux ou trois ans de moins que moi, la seconde Danièle ne devait avoir que 14 ans à cette époque. Ceci étant, je la trouvais belle ! J’exerçais à l’école de La Plaine et on m’avait confié, c’était tout à fait illégal pour un débutant, des instructions strictes avaient été données à ce sujet, un cours moyen 2ème année. Il y a eu une mise au point de Favier, l’inspecteur primaire après qu’il m’a eu fait passer mon Certificat d’Aptitude Pédagogique au mois d’octobre. Il avait obligé les maîtres plus anciens à prendre en cours d’année la classe dont ils n’avaient pas voulu à la rentrée. Dans cette classe de CM2 j’avais un élève du nom de Grau, je n’ai pas son prénom en mémoire, dont la famille avait habité Cessenon. Deux de ses frères, José et Octave, qu’on appelait Tatave, étaient à peu près de mon âge. Je n’avais pas fait le lien entre mon élève et ses frères dont j’ignorais qu’ils vivaient à Bédarieux. Je l’ai en fait appris en même temps que le décès de José, tué en Algérie. Oui il est mort, « Pour la France » ne manque-t-on pas de dire en pareilles circonstances, le 14 octobre 1959. Il avait dix mois de plus que moi. Je me souviens vaguement de la cérémonie au cimetière où nous avions conduit les élèves. Je me rappelle la veste pied-de-poule que j’avais et je perçois de manière très floue un incident qui avait éclaté avec la mère du défunt ! De ce temps là date mon premier contact avec les pages dactylographiées du livre d’Henri Alleg « La question ». J’ignore auprès de qui je me les étais procurées. De ce temps là aussi date le combat du Syndicat National des Instituteurs pour la libération de René Domergue auquel j’avais participé, de manière sans doute pas très efficace. J’ai le souvenir d’un déplacement avec un car d’une trentaine de places emmenant les JC de Bédarieux à Béziers où avait lieu une rencontre à la salle Azam. J’avais été très impressionné d’entendre « La jeune garde » chanté par les jeunes filles dont à coup sûr Danièle et Claudette. -4-
  • 5. Octave Grau était avec nous et avec sa « copine », encore que le mot n’était pas employé à cette époque avec le sens qu’il a pris par la suite. Il était manœuvre maçon et m’avait présenté à elle en indiquant que nous avions été à l’école ensemble à Cessenon et que j’étais à présent instituteur. Elle l’avait interpellé d’un « Pourquoi n’as-tu pas suivi la même branche ? » Philosophe il avait répondu : « C’est que nous n’étions pas sur le même arbre ! » J’ai aussi le souvenir d’une manifestation importante qui s’était tenue dans la rue de la République contre la fermeture annoncée des mines de charbon du secteur. Je me revois encore à un rassemblement organisé à l’Hôtel de Ville pour protester contre les agissements des émeutiers lors des barricades d’Alger en janvier 1960. Je ne sais trop où le situer dans le temps mais je sais que j’avais assisté à un meeting avec Raoul Calas à la salle du peuple où par ailleurs le jeudi j’assurais la projection cinématographique pour le compte du patronage laïque. -5-
  • 6. Inscription à Aumes La photo nous a été envoyée par Marianne et Jean-Pierre, des Vosgiens qui ont une résidence secondaire à Aumes. Elle montre une inscription qui figure sur le château d’eau du village. Ladite inscription date de plus de cinquante ans puisqu’elle concerne la guerre d’Algérie. Si elle ne pose pas clairement la question de l’indépendance de l’Algérie, elle a l’immense mérite de dénoncer la guerre que la puissance colonisatrice a choisi comme réponse aux problèmes des Algériens. "DU PAIN ET DES ROSES PAS DES CANONS » a écrit une main anonyme. Enfin, anonyme pour nous, il existe peut-être à Aumes des personnes qui savent qui a tenu le pinceau ! Il me semble qu’un mot d’ordre semblable avait été peint à Cessenon, ce qui avait valu à leurs auteurs une interpellation par les gendarmes du canton. L’histoire a tranché et on mesure aujourd’hui toutes les souffrances inutiles qu’a produites la guerre d’Algérie Du côté du peuple algérien d’abord, du côté du peuple français aussi car « un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre » ! Et de fait les appelés du contingent étaient conditionnés par l’idéologie d’une armée colonialiste à caractère fascisant, ce qu’ont illustré les diverses tentatives de rébellion contre la République : coup d’Etat de 1958, semaine des barricades en janvier 1960, putsch des généraux félons en avril 1961 et terrorisme désespéré de l’OAS après cette date avec aujourd’hui encore des justifications pour ses attentats meurtriers. Alors je suggère que l’inscription sur le château d’eau de la commune de Aumes soit l’objet de mesures de protection pour qu’elle reste un témoignage de la volonté du peuple, contre l’avis des hommes politiques de l’époque, à l’évidence atteints de cécité, d’obtenir la PAIX EN ALGERIE autrement que par le recours à la force armée, à la torture et aux exactions qui l’ont accompagnée. -6-
  • 7. Défense d’afficher… sauf pour la paix en Algérie Cette photo a été retrouvée récemment en faisant du rangement à la section de Béziers du parti communiste. Je me souviens de cette inscription à la peinture blanche « SAUF POUR LA PAIX EN ALGERIE », qui complétait le « DEFENSE D’AFFICHER », qui avait été tracée sur un mur du côté du Faubourg. L’endroit exact je ne saurais dire mais je me rappelle que je voyais cela depuis le car que je prenais pour me rendre à Cessenon à la fin des années 50. Peut-être qu’à l’arrière ce sont les fenêtres d’une école primaire (Louis Malbosc ?), aujourd’hui désaffectée, mais je ne jure de rien. C’était astucieux d’utiliser le « DEFENSE D’AFFICHER » en le complétant comme on peut le voir sur la photo. Une photo sépia qui a souffert du temps, il m’a fallu la trafiquer un peu pour la rendre « lisible » ! Peut-être que quelque vieux Biterrois en sait plus que moi sur l’endroit et sur qui tenait le pinceau à une époque où le parti communiste était engagé pour la Paix en Algérie, c'est-à-dire pour le droit à l’autodétermination qui s’est finalement imposé et qui a conduit à l’indépendance de ce pays après 132 ans de colonialisme et presque 8 ans d’une guerre atroce et parfaitement inutile ! -7-
  • 8. Mes « Trois jours » Je vais essayer de me rappeler ce qu’ont été mes « Trois jours » effectués à Tarascon. Ayant consulté mon livret militaire je constate qu’ils se sont déroulés du 4 ou 6 novembre 1959. Ce devait donc être pendant les vacances de La Toussaint et effectivement je n’ai pas le souvenir d’avoir demandé une autorisation d’absence à mon travail. Je revois une grande salle où nous étions je ne sais plus combien, une soixantaine peut-être, à subir des tests. Il s’agissait d’un questionnaire à choix multiples. Nous devions cocher au crayon à papier la case qui nous paraissait être la bonne réponse à la question posée. Je me souviens de deux d’entre elles : quel était, parmi une série d’appareils électriques (rasoir, fer à repasser…), celui qui consommait le moins d’énergie ? Quelle avait été la première victoire de la Révolution française (Valmy, Jemmapes…) ? J’avais été retenu parmi les quatre meilleurs. Il me semble que j’avais subi des tests complémentaires, mais là je ne suis sûr de rien ! De toute façon cela ne m’a pas amené bien loin ! Je n’ai jamais pu suivre l’Ecole des Officiers de Réserve, pas même le peloton pour être sous-officier, j’ai juste passé celui de brigadier (l’équivalent de caporal dans l’artillerie) sans jamais accéder à ce grade, je suis resté 2 ème CST (Canonnier Servant Tireur) jusqu’à la fin de mon service militaire. Je me rappelle l’entretien avec un officier supérieur, un commandant me semble-t-il, à qui j’avais fait part de mon désir d’intégrer le bataillon de Joinville. Eh non, malgré une bonne performance sur 800 m (1mn 58 s 9/10) je n’avais pas été pris, les places étaient chères. Restait à choisir une arme. A vrai dire je n’avais pas grand-chose à en faire. Espérant me soustraire au contact avec l’ennemi (qui pour moi n’en était pas un !) j’avais demandé la marine et l’artillerie. C’est dans cette deuxième arme que j’ai été affecté. Eh bien cela ne m’a pas empêché d’aller crapahuter comme un quelconque fantassin, j’ai dû tirer des coups de canon lors de l’école à feu qui clôturait nos classes, une seconde fois peut-être lors de manœuvres destinées à faire passer un examen à un sousofficier et une troisième pour préparer une DZ. Ah, une DZ ? Après recherche j’ai appris que cela signifie Drop Zone c’est à dire un terrain destiné à recevoir un héliportage. Donc nous canonnions la DZ afin de permettre aux unités héliportées d’atterrir sur le site sans danger majeur. Il paraît que l’artillerie était plus efficace que l’aviation. -8-
  • 9. De toute façon cela n’a eu aucun effet quant au résultat de la guerre. Devant le manque d’enthousiasme des appelés du contingent nous avons dû abandonner trois départements français. Mais devant les protestations des nostalgériques qui condamnent les derniers propos de Sarkozy, lequel a récemment déclaré que le colonialisme n’était pas une bonne chose, je ne désespère pas de voir avant la fin de mes jours prêcher une croisade moderne pour envoyer un corps expéditionnaire en Algérie afin de les reconquérir ! Mes trois jours n’ont pas duré le temps indiqué, je suis revenu chez moi le deuxième je pense, rapportant de mon expédition une serviette de toilette que quelqu’un avait oubliée ! La première page de mon livret militaire -9-
  • 10. Sur un stage à l’Institut National des Sports Il me semble bien que c’est ainsi que s’appelait l’organisme qui avait accueilli quelques coureurs de demi-fond proposés comme stagiaires par la Fédération Française d’Athlétisme. Ce stage avait eu lieu un week-end de février 1960. J’étais alors instituteur à l’école de La Plaine, à Bédarieux. J’avais pris le train dans cette ville et j’avais rejoint la capitale par la ligne du centre. A Millau étaient montés des Maghrébins qui avaient pris place dans mon compartiment. Nous avions sympathisé. Ils venaient d’être libérés du camp d’internement qui avait été installé sur le Larzac. Nous vivions alors les dernières années de la guerre d’Algérie. Je leur avais appris que la France venait de faire exploser sa première bombe atomique dans leur pays. Cela s’était passé le 13 février 1960 à Reggane, et s’était accompagné d’un « Hourra ! » enthousiaste du général De Gaulle. Le stage à l’INS où je me rendais avait donc dû avoir eu lieu quelques jours plus tard. Mes interlocuteurs m’avaient parlé de leur vie au camp d’internement : ils s’étaient efforcés de ne pas trop perdre leur temps, profitant de la présence dans le camp de compatriotes qui avaient des compétences dans divers domaines pour s’instruire et se cultiver. Nous avions échangé sur la question de l’indépendance de l’Algérie pour laquelle ils étaient engagés et sur l’état de l’opinion publique en France. Naturellement j’étais pour la Paix en Algérie et ipso facto pour la reconnaissance du droit des Algériens à l’autodétermination. Hélas, la guerre allait durer, pour mon plus grand désagrément, encore deux ans avant qu’il ne soit effectif. Arrivé à la gare d’Austerlitz et ne connaissant guère Paris j’avais pris un taxi pour me rendre à l’INS, indiquant simplement « INS » au chauffeur. Celui-ci m’avait déclaré : « Ah, vous allez faire le stage ? » Après coup je me suis dit que cela devait être habituel des stages à l’Institut National des Sports. Il me semble que nous étions quatre pour ce stage. Il y avait André Lopez qui était de l’Aude, de Salles d’Aude me semble-t-il, à moins que ce ne soit de Sallèles d’Aude, et Jean-Marie Argelès originaire de la région de Grenoble mais qui pour l’heure se trouvait en Allemagne. - 10 -
  • 11. J’avais couru plusieurs fois avec le premier et assez régulièrement il me battait au sprint jusqu’à ce que j’aie compris qu’il me fallait adopter une autre tactique : décrocher « au train » ! Jean-Marie Argelès avait été champion de France scolaire du 1500 m l’année précédente au stade Charléty. Je concourais aussi pour ces championnats de France, également sur 1500 m, mais dans la catégorie junior alors que lui, de quatre ans mon aîné, était senior. Mon résultat ? Eh bien bousculé par le peloton je m’étais foulé une cheville sur la lice et j’avais souffert pour finir la course. En marge du stage nous avions vu Mimoun venu s’entraîner sur les infrastructures du site. Je me rappelle qu’André Lopez m’avait dit : « Tiens à l’apogée de ma carrière athlétique je voudrais seulement être comme Mimoun à présent ! » Je n’étais pas loin d’avoir de plus grandes ambitions. C’était oublier qu’il y avait quelque part une guerre coloniale où à la suite de décisions prises par des hommes politiques qui n’avaient rien compris à l’évolution des choses, on allait m’envoyer. Le bilan du stage ? J’avais été bon au niveau respiratoire et de l’influx nerveux, faible ou insuffisant au plan cardiaque et musculaire. Je ne le savais pas encore, mais je n’avais guère plus rien à faire de cela ! J’allais faire un excellent Deuxième Canonnier ! Jean-Marie Argelès m’a rappelé récemment que nous avions été hébergés dans la même chambre et que nous avions pas mal dialogué sur la guerre d’Algérie. C’est que nous étions tous les deux communistes mais lui en savait beaucoup plus que moi sur l’aide, notamment financière, que les Algériens qui vivaient en France, apportaient au FLN ainsi que sur les réseaux leur permettant de quitter le pays quand ils étaient appelés pour effectuer leur service militaire dans les rangs de l’armée ennemie ! - 11 -
  • 12. Départ pour l’Algérie, arrivée à Oran C’était à la fin février 1960 peut-être le 26, c'est-à-dire le jour de mes 20 ans. C’était l’après-midi. J’étais dans ma classe de CM1 à l’école de La Plaine à Bédarieux. Envoyé par Monsieur Espitalier, le directeur du cours complémentaire, qui était aussi le directeur de l’école primaire, un élève est venu m’apporter un courrier. Il s’agissait de ce que dans la région on appelait « la billette ». C’était l’avis de mon affectation pour effectuer mon service militaire. Il m’était ordonné de me rendre au Camp Sainte Marthe le 1er mars à Marseille afin de prendre le bateau pour Oran où je devais faire mes classes au 1/66ème Régiment d’Artillerie, un régiment disciplinaire était-il précisé. J’ai accusé le coup. J’espérais en effet que mes classes se feraient en France et que cela me permettrait d’avoir un délai avant de partir en Algérie. Avec les déclarations de De Gaulle sur le droit à l’autodétermination je pensais même que ce serait bientôt la fin de la guerre. Eh non ! Je ne sais plus si je suis allé en classe le lendemain. En tout cas le 29 je ne me suis pas rendu à mon travail. Le dimanche j’étais allé m’entraîner à La Prades. Oui, à cette époque là je faisais du cross-country l’hiver et du demi-fond l’été. Je me revois en train de faire ce qu’on appelait du fractionné. Je ne savais pas encore que c’était déjà la fin de ma carrière sportive ! J’avais écouté la chanson de Berthe Sylva « On n’a pas tous les jours 20 ans » en compagnie... elle s’appelait Jacqueline et nous avions l’un et l’autre perdu notre vertu il y avait quelques jours ! Il fallait s’organiser pour aller prendre un train assez tôt à Béziers le 1 er mars. Jeannot Escudier un Cessenonais de ma classe qui était appelé à Alger avait trouvé une solution. Lucien Taillades qui était épicier allait se ravitailler à Béziers le matin de bonne heure avec sa camionnette. C’est ce moyen de transport que nous avons emprunté. Nous avions beaucoup de temps devant nous avant le départ de notre train. Nous l’avons passé chez un boulanger, il s’appelait Charles Orus, un parent de Jeannot Escudier, et la boutique se trouvait pas très loin des Allées, rue Solferino. En gare de Béziers d’autres conscrits prenaient également le même train que nous. Je leur ai demandé si eux aussi allaient défendre nos puits de pétrole afin de pouvoir approvisionner nos briquets en essence ! A Marseille nous n’avons pas eu à flâner. Des camions militaires nous ont emmenés illico au Camp Sainte Marthe. C’était Mardi Gras et c’est ce jour-là que j’ai été déguisé en troufion. Nous avons fait un paquet de nos vêtements - 12 -
  • 13. civils et l’armée s’est chargée de les expédier à l’adresse que nous avons indiquée. Il me semble qu’il y a avait un self installé sous une tente et que c’est là que nous avons mangé. Je revois le soir sous la lumière des réverbères du camp mon ombre portée avec un calot sur la tête ! Je découvre aussi que la bière pouvait être conditionnée autrement que dans des bouteilles puisqu’on la trouvait en boîte ! La veille il y avait eu un tremblement de terre à Agadir. Dans ma naïveté j’imaginais que nous pouvions être envoyés au Maroc pour apporter notre aide aux sinistrés. Mais la guerre se fout des serments d’amour… elle n’aime que le son du tambour ! A l’armée on ne fait rien mais on le fait de bonne heure. Nous avons dû nous lever vers les 3 h du matin pour embarquer au milieu de la matinée sur Le Ville d’Alger. Le navire appartenait à la Compagnie Générale Transatlantique. Les vêtements de l’équipage portaient le sigle CGT ! Il y avait de quoi rêver ! La société propriétaire du bateau Le Ville d’Alger (et de quelques autres à n’en pas douter) a dû faire de bonnes affaires pendant toute la durée de la guerre. Dommage pour elle que celle-ci se soit terminée. Le Ville d’Alger a été démoli en 1969. Sur le pont les postes radio à transistors donnaient la chanson de Bourvil « Salade de fruits, jolie, jolie… » Pour moi la nuit s’est passée sur un transat. Les membres de l’équipage louaient leurs cabines à ceux qui pouvaient payer. Nous avons dû arriver en vue des côtes d’Afrique au petit matin. La silhouette bleue des montagnes que nous avions aperçues m’avait impressionné. Nous sommes entrés dans le port d’Oran sans doute en début d’après-midi. Dans tous les cas on nous avait servi un repas dans un plateau métallique à alvéoles. A l’entrée du port, sur le quai apparaissait l’inscription en lettres énormes « ICI LA FRANCE ». De rage j’ai envoyé mon plateau par-dessus bord ! C’était haut, il a mis du temps à atteindre la mer ! - 13 -
  • 14. ICI LA FRANCE C’est donc l’inscription qui figurait sur la jetée du port d’Oran quand j’y suis arrivé sur le Ville d’Alger en mars 1960. Je l’ai raconté ci-dessus, cela m’avait mis hors de moi et de rage j’avais jeté par-dessus bord le plateau métallique dans lequel on nous avait servi notre repas. Un ancien d’Algérie, avec lequel j’ai pris contact via Internet, m’a envoyé la photo de cette jetée et de cette inscription. De six mois mon aîné, lui n’avait découvert l’inscription qu’après moi car il avait effectué 14 mois en métropole avant de rejoindre le théâtre des opérations de « maintien de l’ordre ». Oui c’est ainsi qu’on désignait ce que plus tard on a avoué être une guerre, la guerre d’Algérie. Avec le recul on mesure combien les autorités civiles et militaires n’avaient pas préparé les Européens d’Algérie à l’issue pourtant prévisible. Deux ans avant le cessez-le-feu, prélude à l’indépendance du pays, on entretenait encore la fiction d’une Algérie française. Fiction lourde de conséquences pour la suite. On a conditionné les Pieds Noirs à l’idée qu’il n’y avait d’autre avenir pour eux que dans la perpétuation du colonialisme lequel avait débuté en 1830 avec le débarquement à Sidi-Ferruch et s’était maintenu par la force, y compris militaire, jusque là. Que ce colonialisme ait été par nature source d’injustices et de révolte n’était pas reconnu. Les rapports entre les communautés, entachés au mieux de - 14 -
  • 15. condescendance, mais le plus souvent de racisme, faisaient des autochtones des gens que la logique des choses maintenait dans une manière d’apartheid. En France aussi on avait entretenu l’illusion que nous apportions là-bas « la civilisation ». L’Ecole laïque elle-même avait joué sa partition dans ce concert même si des voix s’étaient élevées pour réclamer l’égalité entre les citoyens d’Algérie, qu’ils soient d’origine européenne ou maghrébine. A Oran nous étions donc en France affirmait l’inscription sur la jetée du port ! Pourtant dès 1959 De Gaulle avait déjà lâché le mot « d’autodétermination » pour la plus grande colère d’ailleurs des Européens d’Algérie. Oui, on ne leur avait vraiment offert aucune alternative, en tout cas pas celle de rester dans un pays, qui était celui où ils vivaient, si celui-ci devait accéder à l’indépendance. A partir de là s’est déroulé un enchaînement d’actes désespérés parmi lesquels, outre la semaine des barricades à Alger, s’inscrit la tentative de putsch des généraux félons en avril 1961 puis le déchaînement de violences qui a caractérisé l’action de l’OAS. On connaît la suite, particulièrement ce qu’ont été les événements du 5 juillet 1962 à Oran. ICI LA FRANCE disait l’inscription sur la jetée ! Il eut à coup sûr été préférable d’engager le dialogue sur d’autres bases. Mais le colonialisme n’est que le fruit du capitalisme et à vrai dire ceux qui le justifient encore aujourd’hui sont cohérents avec leur acceptation d’un tel système dans lequel « la raison du plus fort est toujours la meilleure ». Sauf que… l’histoire a tranché ! - 15 -
  • 16. Arrivée à Oran, l’instruction militaire A peine débarquées du Ville d’Alger les nouvelles recrues étaient embarquées dans des camions militaires direction le District de Transit situé dans le quartier d’Eckmühl. De la traversée d’Oran j’ai encore dans ma tête l’image, elle est floue à présent, d’un Algérien vêtu d’un pantalon qui pendait entre les jambes. Au District de Transit on se serait cru dans un camp de concentration nazi. Le haut-parleur donnait le ton en aboyant les ordres. La caserne du 1/66ème régiment d’artillerie dans lequel j’étais affecté n’était pas très loin. C’était un bâtiment neuf, blanc, avec une architecture particulière permettant de l’aérer par temps chaud. J’ai su qu’après l’indépendance elle était devenue la résidence du chef de l’Etat Algérien quand il se rendait en Oranie. Le premier soir on nous a laissés tranquilles et je garde le souvenir d’avoir passé une nuit à dormir profondément. Le lendemain après-midi on nous a remis notre paquetage. Je revois le lieutenant inspectant notre habillement. Comme je ne cherchais pas spécialement à finasser dans ce domaine j’ai été interpellé d’un : « Mais vous iriez vous marier dans cette tenue vous ! » Là je n’avais pas le moral et je regardais le Murdjajo qui domine la ville, en rêvant de désertion, de maquis… A son sommet était le fort de Santa-Cruz représenté sur l’écusson du régiment. La statue de la vierge qui s’y trouvait a été rapatriée dans le Gard. Ce soir là j’ai dû monter ma première garde avec un fusil assez archaïque, un mousqueton, et des cartouches soigneusement emballées ! Devant le bâtiment principal était un vaste espace où étaient disposés les canons. Quatre me semble-t-il. En fait, à cause du calibre, 105 mm, on ne les appelait pas canons mais obusiers ! Pendant l’instruction on avait droit à tous les détails sur les caractéristiques de nos engins de mort : masse, portée… Bien que cela ne me passionna pas j’étais capable de réciter tout ce qui avait été dit après l’avoir entendu une fois ! Dans la caserne il y avait une salle destinée à l’action psychologique. Des panneaux avaient pour objectif de nous persuader du bien fondé de l’action de l’armée française. Ferrat Abbas était cité d’un « J’ai interrogé les morts, j’ai interrogé les cimetières, je n’ai vu nulle part trace de la nation algérienne. » Il y avait aussi des recommandations qui valaient leur pesant de confiture. « Ne pense pas au pays si tu veux le revoir » ou encore « Si tu tombes dans une embuscade, tu jaillis du camion comme un diable de sa boîte, tu te postes et tu ripostes. » - 16 -
  • 17. Les chambrées n’étaient pas très grandes, une douzaine de lits je crois, des lits superposés bien sûr. J’étais perché en haut. C’était propre mais cela n’empêchait pas la présence de punaises que nous noyions dans un verre d’eau laissé à demeure sur une table. Ah une scène s’est produite disons une quinzaine de jours après mon installation. Deux maghrébins se sont pris d’une querelle, probablement à propos de la guerre. Gater, l’un des protagonistes, avait participé à l’affaire des barricades en janvier 1960, l’autre, je ne sais plus son nom, m’avait avoué qu’il avait été sollicité pour des actes terroristes. Gater s’est retrouvé avec un coup de couteau dans le ventre qui avait, je crois, touché le foie et qui avait nécessité son hospitalisation. Précisément j’étais « d’intervention » c'est-à-dire que j’ai fait partie de l’équipe qui l’a emmené à l’hôpital. A peine de retour nous avons dû effectuer le transport de quatorze cercueils depuis la morgue jusqu’au port où ils ont été embarqués pour être rapatriés en France. Quatorze cercueils recouverts d’un drapeau tricolore. La mort devait remonter à plusieurs jours car derrière le camion sur lequel on les avait chargés on sentait une odeur de cadavre en décomposition. Il y avait d’immenses WC et j'avais été intrigué par des bruits que pendant longtemps je n'avais pas identifiés. Je crois que j’étais de corvée d’entretien des lieux quand j’ai entendu des gémissements, comme si quelqu’un se trouvait mal. J’ai demandé ce qui se passait mais je n’ai pas eu de réponse et ça a continué. Ben oui, il devait y en avoir un qui se faisait sodomiser ! Il y avait trois sections au centre d’instruction : celle des élèves gradés, celle des transmetteurs et chauffeurs, celle des servants tireurs. Dans cette dernière les recrues étaient destinées à enfourner l’obus dans le canon et à tirer sur la corde pour faire partir le coup. C’est dans cette section de canonniers servants tireurs que j’ai été enrôlé. Lors de l’école à feu j’ai tiré je ne sais combien de fois sur cette corde, impressionné par la tache noire de l’obus qui restait un bon moment visible dans le ciel. Nous passions à tour de rôle devant le capitaine qui commandait l’instruction. Il me fut demandé si je n’avais pas été étonné de me trouver dans la section des servants tireurs. Je répondis que je pensais qu’il devait s’agir d’une erreur. Eh non, m’a-t-il été signifié. Et le capitaine a enchaîné en me questionnant sur ce que je pensais de la guerre d’Algérie. Je fis la bête, prétendant que j’attendais de voir pour me faire une idée juste. « Ah, ce n’est pas ce que vous avez exprimé dans le civil ! » rétorqua mon interlocuteur. Quelque temps plus tard le sous-lieutenant qui commandait ma section devant fournir la liste de ses hommes qui avaient le niveau pour présenter le peloton de brigadier m’informa qu’il m’avait inscrit sur cette liste. J’ai bien passé mon P1 mais cela ne me servit jamais à rien, comme me l’avait annoncé un secrétaire, il - 17 -
  • 18. était inutile que je fayote j’étais marqué à l’encre rouge, j’étais condamné à rester dans le grade de deuxième canonnier. C’est effectivement ce qui arriva. Quelques souvenirs encore de cette période de quatre mois au centre d’instruction ? Le démontage de je ne sais plus quel fusil dont on nous précisait en guise d’entrée en matière que c’était « pour le tir à tuer ! » Les manœuvres dans le Murdjajo ? Je revois un autochtone raclant de l’agave pour en extraire la fibre et confectionner des sandales. Les exercices de tir à... Canastas ? J’entends les balles miaulant au-dessus de ma tête alors que je me trouvais dans la fosse. Les manœuvres ? Ah oui là je me rappelle un capitaine complètement déphasé nous donnant l’ordre d’aller à tel endroit en répétant comme une scie « Sans idée de manœuvre. » Car à l’armée comme dans toute institution il y a des tarés, sauf qu’ici on subit directement leurs manies sans guère pouvoir réagir. Par exemple cet autre capitaine que nous appelions « Petits Pieds » mais dont le nom était Mariette, exigeait que nous chantions haut et nous menaçait d’un « Dans l’Antiquité on leur coupait les couilles, là on vous fera une piqûre ! » Ce maréchal des logis n’avait pas apprécié que je m’éloigne de quelques mètres pour un besoin urgent pendant qu’il fournissait des explications. J’eus droit à une punition qui consistait à copier 50 fois je ne sais plus quel texte. Un qui devait se venger de ses déboires scolaires ! Cet autre, un brigadier originaire d’Oran qui avait un nom espagnol, c’étaient les noms les plus fréquents dans le secteur (il y avait d’ailleurs des arènes à côté de la caserne), considérait sans complexe qu’on devait voir l’Algérie comme une prostituée dont il fallait tirer bénéfice. Dans l’enceinte de la caserne circulait librement une mascotte, un jeune dromadaire désigné par le vocable de Wagram. Une après-midi, un dimanche il me semble, je montais la garde avec le fameux mousqueton et les cinq cartouches soigneusement empaquetées quand j’ai été verbalement agressé par de jeunes maghrébins qui passaient de l’autre côté du mur. Comment leur expliquer que je n’y étais pour rien ? Un autre dimanche on m’avait collé une corvée qui n’avait rien d’urgent et je râlais en mon fort intérieur en poussant une brouette. J’ai quelques autres souvenirs divers comme la fois où un tremblement de terre a ébranlé l’édifice et le goût de la salade, très fort ! La décision de je ne sais quel gradé de nous faire commencer la journée par un décrassage. Celui-ci consistait en fait à un footing mais l’un d’entre nous avait mal interprété les choses et s’était pointé avec un gant de toilette et une serviette ! Un détail encore : pendant la corvée de vaisselle, les mains plongées dans les bacs il se chantait « Oh, when the saints go marching in. » - 18 -
  • 19. La première sortie en ville a eu lieu environ après un mois d’instruction. C’est qu’il fallait avoir appris à saluer les gradés ! Oran est une très belle ville mais là on ne la voyait pas sous son meilleur jour ! Les piqûres réglementaires (le TABDT) nous laissaient un peu fiévreux et nous étions soumis à la diète après les avoir reçues. Lors de ces séances j’avais contracté la varicelle. Il faut dire que le médecin major ne disposait que d’un thermomètre pour la file de militaires qui se présentaient à lui. C’est sans doute ainsi que j’ai été contaminé et que j’ai effectué un séjour à l’hôpital d’Oran. Quand je m’y trouvais, de la fenêtre de la chambre je pouvais voir les régates qui se déroulaient à l’entrée du port. Mais que faisais-je là ? J’ai eu l’occasion d’assister à un match de football d’un tournoi international miliaire dans lequel jouait l’équipe de l’armée grecque ainsi qu’à une rencontre d’athlétisme au cours de laquelle j’ai revu un certain Argelès qui avait gagné une épreuve de demi-fond aux championnats scolaires de 1959 au stade Charléty auxquels j’avais moi-même participé. Le séjour à Oran s’est achevé à la fin juin. L’avant-dernière nuit avant le départ en zone opérationnelle j’étais de garde au mirador. Je m’étais offert une bouteille de rhum. La dernière nuit nous avions couché sous des tentes et j’avais eu la désagréable surprise de sentir une main se glisser sous mon traversin dans le but de prendre mon portefeuille ce qui m’avait conduit à crier « Au voleur ! » Qui volait qui dans ce pays ? Trois vues d’Oran : Le fort de Santa-Cruz ; le port ; le quartier d’Eckmühl avec les arènes - 19 -
  • 20. L’incident de l’écusson Je ne sais plus à quel moment situer cet épisode de mon opposition à la hiérarchie militaire. A Oran à la fin des classes ? C’est possible. Comme tous les régiments, le 1/66ème RA avait un insigne. Celui-ci reproduisait le fort de Santa Cruz qui, au sommet du Murdjajo, domine le port d’Oran. Cet insigne était reproduit sur un écusson en métal, fixé sur un support en cuir que l’on accrochait à la pochette gauche de son veston. Cet écusson n’était pas fourni par l’armée et tout le monde l’achetait au foyer où il était en vente. Tout le monde ? Non, je considérais que je n’avais rien à acheter de mon équipement militaire. Un jour de revue j’étais le seul à ne pas avoir d’écusson pendu à la pochette de mon veston. Le gradé qui vérifiait la tenue de chacun, un commandant je crois, mais je ne jure de rien, me demanda la raison de cette singularité. « Il n’y en avait pas dans le paquetage ! » ai-je répondu. Il n’y eut absolument aucune suite à ma répartie. Je crois que cette absence d’écusson m’avait valu d’être dispensé, pour cause d’irrégularité dans mon uniforme, de quelque défilé prévu les jours suivants ! De la même façon nous était attribuée, après 90 jours de présence sur le terrain, la médaille commémorative des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre (de l’ordre colonial cela s’entend, j’ai eu l’occasion de le préciser par ailleurs !) avec agrafe Algérie. Là encore le matériel n’était pas fourni, il fallait l’acheter. Je n’allais quand même pas investir dans une telle médaille. Je n’en ai donc jamais eu et n’ai jamais arboré cette décoration que pratiquement tout le monde avait cousue sur sa tenue de sortie. Enfin elle n’était pas pendante toutefois, il ne s’agissait que du ruban ! - 20 -
  • 21. Le Bled, Bled, Bled 5/7 Ce sont les trois titres successifs d’un hebdomadaire publié par l’armée française pendant la guerre d’Algérie. C’était un instrument de propagande destiné à « remonter » le moral des troupes. C’était un outil dans la panoplie de l’action psychologique essentiellement destiné aux appelés du contingent dont l’enthousiasme n’était généralement pas excessif dans cette affaire ! Le mot « bled » désignait la campagne, souvent aride et désolée, de l’Algérie. Le journal qui se voulait organe d’information, de liaison entre les unités, était tiré à 350 000 exemplaires et diffusé gratuitement. Je n’ai pas souvenir de l’avoir beaucoup lu ! Je me rappelle toutefois cette analyse se voulant scientifique produite dans un de ses numéros paru pendant que je faisais mes classes à Oran : « une pellemécanique enlève le travail à 50 manœuvres et… à 500 avec une cuillère à café » ! J’ai appris que Le Bled avait été créé en décembre 1955 dans le cadre des activités du 5ème bureau. Très rapidement l’état major constata la collusion des partisans de l’Algérie Française et des responsables du journal. Ce fut le cas dès 1958 : le numéro 109 du 10 mai, consacré à Jeanne d'Arc, affirme de façon prémonitoire que l'heure est venue de donner à la France un gouvernement de salut public. Il était le journal des factieux ! Le commandant Caniot, un moment directeur du Bled, se ralliera au putsch en avril 1961. Le dessinateur Cabu mettra ses compétences au service du Bled en tant qu’appelé du contingent pendant la guerre d’Algérie. Il gardera de cette période un antimilitarisme militant et mettra en scène dans ses bandes dessinées le personnage de l’adjudant Kronenbourg qu’il a peut-être réellement connu. Je recevais deux publications envoyées par le parti communiste aux appelés du contingent dont il avait l’adresse : « Secteur postal d’Algérie » et « Soldats de France » mais je n’ai pas réussi à en récupérer un exemplaire. - 21 -
  • 22. Première phase en zone opérationnelle Après les classes effectuées à Oran j’ai donc été envoyé en zone opérationnelle près d’Aïn el Hadjar, une commune située au sud de Saïda. Nous étions cantonnés à côté d’une ferme, logés dans des baraquements en tôle ondulée doublés à l’intérieur d’une manière de bâche. Je suppose que l’altitude devait être d’environ 1000 m. Tout autour du cantonnement c’était des champs de blé, quasiment à perte de vue. Toutefois bordant la route qui y arrivait il y avait une vigne. Des cigognes nichaient sur les cheminées des bâtiments de la ferme. Peut-être que l’endroit s’appelait Bou Rached mais à vrai dire je n’en sais rien. Nous le désignons sous le vocable de BCS, c'est-à-dire Batterie de Commandement et de Services. C’était là qu’étaient le lieutenant-colonel Singer et le chef d’escadron Guyot. Il faut dire qu’en application des directives de l’Etat-major chaque régiment dispersait ses unités au maximum pour occuper tout l’espace possible. C’est ainsi que les quatre batteries du 1/66ème RA étaient étalées sur une centaine de kilomètres. J’étais arrivé là en juin 1960 et j’avais presque deux ans de service à effectuer. Il valait mieux essayer de ne pas y penser ! Le soir vers l’ouest on voyait des lumières qui me rappelaient celles de Prades s/ Vernazobres que l’on apercevait depuis Cessenon ! A la radio passait une émission qui avait pour titre « En Alger il y a cent ans ! ». On y évoquait la visite de Napoléon III. L’eau était très calcaire et nous étions ravitaillés par une remorque qui nous permettait d’avoir une boisson qui l’était moins. Malheureusement comme elle restait exposée au soleil ce que nous buvions était vraiment tiédasse ! Ah, les latrines ? Une tranchée avec des planches en travers… et des mouches qui n’avaient pas la patience d’attendre la fin des opérations. Les officiers avaient droit à une cabane. Détail pittoresque, un jour celle-ci était occupée et le capitaine était entré dans les WC collectifs. Un idiot avait crié « A vos rangs, fixe ! » Lors de ma première opération j’étais en protection du lieutenant-colonel. Il y a eu une fusillade mais c’était quand même loin, je ne me suis pas senti en danger. Je n’avais pas de fonction particulière dans cette BCS, j’étais « en section » c'est-à-dire employé aux tâches les plus variées qui soient. C’est ainsi que j’ai été amené à garder des prisonniers. Ils avaient été arrêtés dans un douar situé à - 22 -
  • 23. côté de la ligne téléphonique qui reliait la Première Batterie à la BCS. A ce niveau les poteaux avaient été coupés. Il n’en fallait pas plus pour rendre suspects les habitants du lieu. En fait ces prisonniers avaient été tabassés toute la nuit et le matin ils étaient dans un piteux état quand on me les a confiés. J’essayais dans mon regard d’exprimer ma compassion. Plus tard les choses se sont « améliorées », on a construit, en dehors du camp, une salle affectée aux « interrogatoires » ! Cette après-midi là, ou une autre je ne sais plus, certains avaient été employés à des travaux près d’immenses meules de paille. J’étais toujours de service, mon fusil, un Garant, en bandoulière. Parmi mes prisonniers se trouvait un jeune qui en avait sûrement fait plus que les autres. Pour l’heure je le surveillais et une jeune fille qui m’a déclaré être sa sœur s’était approchée des fils de fer barbelés et m’avait demandé l’autorisation de donner des pâtisseries à son frère, autorisation que j’avais accordée, prenant quelques risques avec l’autorité militaire. D’après ce qui m’a été rapporté par la suite ce garçon a eu une fin tragique. On lui avait proposé de s’enrôler dans l’armée française et fourni une mitraillette. Il avait tiré sur les gendarmes de la brigade d’Aïn el Hadjar et avait été abattu. La chose la plus pénible était de monter la garde. Nous le faisions une nuit sur trois ! Quelle barbe qu’une faction de deux heures. Nous allions d’ailleurs la monter dans un village qui s’appelait Wagram et qui était à quelques kilomètres de la BCS. Avec l’indépendance, le village a changé de nom et s’est appelé Moulay Larbi. Le poste de garde était l’école du village et j’ai le souvenir d’avoir retrouvé un texte que je connaissais dans un livre de lecture. Il y était question d’un méridional exilé dans le Nord qui « aurait pleuré si pleurer n’était pas quelque peu ridicule, en songeant que jamais plus sans doute il ne mangerait de cerises sur un cerisier. » Je me rappelle aussi avoir écrit au tableau la célèbre phrase « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être un peuple libre » Personne n’avait réagi et si le brigadier Rettier, que nous ne manquions pas d’appeler Ratier, s’en était pris à moi, je n’en connais plus le motif. Il m’avait quand même menacé de la gégène ! Le pauvre, brigadier à 40 ou 45 ans, ce n’était pas le signe d’une forte personnalité ! Je revois aussi, mais c’est très vague, le jour de marché à Wagram avec les dromadaires, les marchands, la foule… J’ai eu l’occasion, j’avais encore des velléités, d’aller courir tout seul, sans arme, un peu loin du cantonnement. Il y avait quelques oueds avec de l’eau où plongeaient quelques tortues aquatiques à mon passage. - 23 -
  • 24. Mais revenons aux baraquements en tôle. Plusieurs d’entre nous avaient des postes de radio à transistors. Quelqu’un avait laissé le sien en marche et tout le monde devait dormir dans la chambrée. C’est ainsi que j’ai entendu dans un silence total le récit de l’incendie du Reichstag dans le cadre d’une émission sur l’histoire où devaient sévir Alain Decaux et André Castelot. Quelques autres souvenirs de ce premier séjour à la BCS ? Oui, le 31 juillet 1960. Nous étions allés sécuriser un bal qui avait lieu à Aïn el Hadjar. Nous qui, sur le plan affectif, étions particulièrement sous-alimentés, nous assurions la protection de la jeunesse européenne du coin. Belles filles, beaux gars… et moi qui n’ai jamais dansé de ma vie, en train de monter la garde à 1500 km de Cessenon pour dissuader les terroristes éventuels de l’envoi d’une grenade sur la piste de bal. Je ne suis ni méchant ni rancunier mais sans doute que si une grenade avait éclaté là je n’en aurais guère été traumatisé ! Dans ce pays les Européens avaient construit leur sécurité sur la base d’un rapport de forces favorable. C’était évidemment une conception des choses parfaitement illusoire. D’autres souvenirs encore ? Un dromadaire, une femelle qui était en état de gestation, dépecé par un appelé qui était boucher dans le civil, et qui était destiné à améliorer l’ordinaire. Oui, je m’en rends compte, mon récit est décousu, c’est qu’il y a, au moment où je le rédige, 47 années qui se sont écoulées ! Ceci étant, je continue. Ah, là, j’étais encore chargé de surveiller les prisonniers qui nourrissaient des cochons pour le bénéfice de… allez, bien que je ne sois sûr de rien je pense que ce devaient être des gradés ! J’ai l’image d’un cochon noir qui éjaculait pendant je ne sais combien de temps ! Très fort l’animal ! J’entends aussi les commentaires du chef d’escadron Guyot passant devant une équipe occupée à entretenir une route. Elle était commandée par un Pied Noir : « Ces cons là, ils sont tous chefs de chantier ! » Oui, ça commençait à se dégrader du côté de l’état d’esprit « Algérie française ! » Cette fois nous étions en protection de la moisson. Tiens voilà une escouade d’employés des PTT qui viennent s’occuper de la ligne du téléphone qui passe dans le secteur. De petites gens, j’entends les propos de l’un d’eux concernant le programme du concours qu’il fallait passer pour monter en grade dans son administration : « Ils te demandent : Les effets du courant électrique ? » J’ai eu l’occasion plus tard de repenser à lui en intitulant ainsi un des chapitres de mon cours de physique ! Il y a aussi l’histoire de ce Corse qui s’était blessé au pied avec une balle en montant la garde. Il n’est pas impossible, il est même probable, que ce n’était pas un accident ! Et cet autre, toujours zélé pour aller voir ce que contenaient les caches. Eh oui, il a dû être amputé d’un pied déchiqueté par une mine. Je ne sais - 24 -
  • 25. plus pour lequel des deux j’étais « d’intervention » quand il a fallu l’emmener à l’hôpital de Saïda ! On pouvait toujours se blesser, voire se détruire, sans trop se compliquer la vie. Celui-ci, ayant je pense reçu de mauvaises nouvelles de chez lui, n’avait même pas dégagé son arme du câble terminé par un cadenas qui la maintenait dans le râtelier. Sans plus de cérémonie il s’était suicidé devant ses camarades impuissants à intervenir ! Bon, j’ai dit que nous étions dans une grande misère sexuelle ! Eh bien cela n’a pas été sans conséquences. Un soir, mais j’étais de garde, je n’ai pas assisté à la scène, un jeune, il était communiste et il était resté longtemps avec un seul verre à ses lunettes, l’autre était cassé mais non remplacé, s’était occupé avec efficacité d’en soulager publiquement quelques-uns dans la chambrée ! Comme disait De Gaulle : « C’est beau, c’est grand, c’est généreux la France ! » La carte du secteur - 25 -
  • 26. Ma période à la Base Arrière Nous étions au mois d’août 1960. Le capitaine qui commandait la BCS m’a accosté dans le cantonnement pour m’informer qu’on m’avait trouvé un emploi plus adapté à ma qualification. J’allais partir pour la Base Arrière située à Aïn El Hadjar où je devais travailler dans un bureau. La Base Arrière ? Comme son nom l’indique c’était là qu’était entreposé tout un tas de matériel. Je revois une quantité incroyable de casques empilés les uns sur les autres ! Les diverses batteries venaient s’y approvisionner. Le site est devenu Ferme expérimentale d’état après l’indépendance. Il existait à Aïn El Hadjar une papeterie qui fabriquait du papier de boucherie, épais et vert, comme on en utilisait autrefois. J’ai le souvenir d’une carriole, tirée par un âne, qui en était chargée. Dans « Bel-Ami » Maupassant fait décrire par Madeleine Forestier une aventure imaginée entre son héros et une ouvrière espagnole de cette manufacture d’alfa. C’est un lieutenant, Guérin je crois, qui avait le commandement de cette Base Arrière. Il ne semblait pas avoir vraiment besoin d’un secrétaire. J’étais disposé à m’employer aux cuisines ou aux fournitures vestimentaires mais il considérait que c’eut été ne pas utiliser mes compétences ! J’ai donc été installé dans un bureau dans lequel je devais coucher pour répondre au téléphone, ce qu’au demeurant je ne savais pas faire ! J’étais donc dispensé de monter la garde, ce qui n’était pas rien. En fait la solitude c’était pire ! Fort heureusement je ne suis pas resté dans cette situation, on m’a envoyé avec les autres dans une grange immense reconvertie en dortoir. Nous devions être une soixantaine là-dedans. J’ai quelques souvenirs de ce dortoir. Le matin on nous servait du café et… des boîtes de sardines ! Mais non nous ne trempions pas les sardines dans le café ! Je revois aussi le tube de lait concentré que je m’étais procuré pour améliorer les choses. Je me rappelle aussi un numéro du Canard Enchaîné montrant de Gaulle en survêtement. Devant l’échec des Français aux Jeux Olympiques de Rome le dessinateur avait commenté « Dans ce pays, si on ne fait pas tout soi-même ! » En fait j’ai été successivement dans deux bureaux. Arrivé dans le premier j’avais rempli un curriculum vitae que je soupçonnais destiné à la Sécurité Militaire. C’était bien cela et j’ai cru savoir qui à Cessenon s’occupait de répondre à l’enquête ! - 26 -
  • 27. Pour l’heure je suis dans un des deux bureaux. Dans le second sans doute. L’adjudant chef qui en était responsable, un Maghrébin qui devait être complexé, avait eu l’occasion de m’agresser d’un « Ce n’est pas la peine d’être instituteur pour être si con ! » Ben oui, j’ai beaucoup plus souffert des gradés que des fellaghas. Tiens à propos de fellaghas. Un jour le passage d’une katiba (une compagnie) de l’ALN a été signalé pas très loin de la Base Arrière. Grand branle-bas de combat chez nous. Tout le monde prend son arme et sus aux rebelles. Tout le monde ? Non, je n’ai pas bronché ! Après coup le lieutenant m’a demandé des comptes. Je lui ai répondu que je n’avais pas reçu d’ordre. Je n’allais quand même pas faire du zèle ! Et si cela n’avait dépendu que de moi nous aurions présenté les armes aux hommes de la katiba ! Un autre ennui avec mes supérieurs a lieu un dimanche en fin d’après-midi. Je suis de garde à la porte d’entrée. Je suis à la fin de ma faction, il doit me rester une dizaine de minutes. Après moi il n’est pas prévu de relève. Je ferme la barrière et je me dirige vers le dortoir. Hélas je ne sais plus quel gradé m’a vu et m’a imposé de monter la garde une ou deux heures de plus ! Dans le deuxième bureau j’ai accès aux archives du régiment. C’est ainsi que j’ai trouvé sur une fiche le nom d’un Cessenonais : André Ibanez de deux ans plus âgé que moi. Je n’ai pas eu l’occasion de le lui dire. Aucune explication ne m’a été donnée quand le lieutenant m’a annoncé mon départ de la Base Arrière. Je prenais sur-le-champ mon paquetage et mon fusil (j’avais encore mon Garand) et je remontais en zone opérationnelle. Je me suis naturellement douté de ce qui était en cause, le retour de l’enquête de la sécurité militaire ! Je n’étais plus là quand a éclaté le drame que je relate plus loin. Une vue de la Base Arrière ? Peut-être ! - 27 -
  • 29. Le drame de la Base Arrière Je l’ai raconté, j’ai été affecté cinq semaines dans ce qui était une planque : la Base Arrière du 1/66ème Régiment d’Artillerie qui se trouvait à Aïn el Hadjar. Mon premier emploi a été celui de secrétaire dans un service dont le responsable devait être un adjudant-chef du nom de Lambert paraît-il. Il y avait dans le même bureau un second secrétaire, dont un autre appelé du contingent, un certain Marcel Ferrer, un Pied Noir originaire de Mazagran, retiré à Cabestany après avoir fait carrière dans la gendarmerie, avec lequel je suis entré en contact via Internet, m’a rappelé les nom et prénom. Il s’appelait Claude Douvier. Ils étaient de la même classe. Claude Douvier était comme moi de taille moyenne, nettement plus carré, il faut dire qu’à l’époque, mais les temps ont bien changé, j’étais très mince. Il était originaire de Reims et était un garçon plutôt discret. En tout cas il ne se manifestait guère. Il suivait des cours par correspondance et si les renseignements que j’ai pu recueillir par la suite sont exacts, c’était dans le but de devenir préparateur en pharmacie. Ambition modeste donc, à la mesure de sa formation initiale sans doute. J’ai quitté ce service au bout d’une quinzaine de jours pour un autre bureau où officiait également un adjudant-chef qui je crois s’appelait Abache et qui était présumé né en 1911. Oui, en Algérie l’état civil laissait à désirer à cette époque. On trouvait par exemple des gens qui s’appelaient SNP, c'est-à-dire Sans Nom Patronymique. Je reviens à Claude Douvier. Il était né le 09.05.1938. J’imagine qu’il jugeait que son affectation lui avait permis de ne pas trop souffrir de cette guerre avec laquelle il n’était certainement pas d’accord, pratiquement personne ne l’était parmi les appelés du contingent. J’ai quitté la Base Arrière en septembre 1960, le temps que revienne l’enquête de la Sécurité Militaire au terme de laquelle on avait jugé que je risquais de vendre le plan des cuisines aux Russes ! Je n’ai pas vécu le drame que je vais raconter à présent, il a eu lieu le 16.12.1960, mais on me l’a rapporté. Claude Douvier n’avait plus que deux mois « à tirer » avant d’avoir la quille. Un Maghrébin revenait d’Oran où il avait été hospitalisé quelque temps. Il avait reçu de mauvaises nouvelles de sa mère. Il est donc entré dans le bureau de l’adjudant-chef Lambert pour demander une permission. Celle-ci lui a été refusée au motif qu’il avait déjà été absent. - 29 -
  • 30. Le ton est monté, le Maghrébin est sorti en claquant la porte et s’est dirigé vers le dortoir. A l’entrée étaient les armes, un câble passant dans chacun des pontets qui entourent les gâchettes. Il a pris la clé qui fermait l’ensemble, a décadenassé, s’est saisi de sa mitraillette et l’a pointée vers la personne qui venait d’entrer derrière lui. Il a tiré, hélas ce n’était pas l’adjudant-chef qui était sur ses pas mais le secrétaire qu’il avait envoyé. Celui-ci a été tué sur le coup et le Maghrébin s’est donné la mort. Ah, je ne sais quelle a été la réaction de l’adjudant-chef Lambert. J’ai vérifié sur le site Mémoire des Hommes et j’ai bien trouvé trace du décès de Claude Douvier à la date que j’ai indiquée avec évidemment, comme toujours en pareilles circonstances, la mention « Mort pour la France ». Je ne vais pas épiloguer sur ladite mention mais on sait ce que j’en pense. J’ai cherché sur l’annuaire des gens de Reims dont le patronyme est Douvier. J’en ai trouvé un, Raymond Douvier. J’ai appelé. C’est le frère du Claude Douvier dont je viens de relater l’histoire. Il m’a apporté quelques précisions : Claude était son aîné de 18 mois et luimême effectuait son temps de service militaire en Allemagne avec la perspective de devoir partir en Algérie au retour de son frère. Il en a finalement, encore heureux, été dispensé. Il a d’ailleurs fallu pour cela que ses parents multiplient les démarches. Raymond Douvier m’a confirmé que Claude était pour la paix en Algérie et pour le droit à l’indépendance des Algériens. Il militait pour cela dans une section de la Ligue des Droits de l’Homme de Reims. Le lieutenant-colonel Singer qui commandait le 1/66ème RA avait écrit à sa mère. Qu’avait-t-il pu dire pour la consoler ? « Quelle connerie la guerre ! » a écrit Prévert. C’est assez universel mais dans le cas de celle d’Algérie on a atteint des sommets ! A Reims, sur la tombe de Claude Douvier Photo Jean-Claude Brouiller - 30 -
  • 31. Le Gros Jules En fait son vrai nom c’était Vern. C’est le chien dont j’étais chargé dans la fonction de maître-chien pour laquelle j’avais été volontaire lorsque j’ai fait mon service militaire. Il faut préciser que c’était pendant la guerre d’Algérie. Après mes classes, que j’avais effectuées à Oran, dans le quartier d’Eckmühl, au 1/66 ème Régiment d’Artillerie, j’avais d’abord été affecté à la Batterie de Commandement et de Services (la BCS) située un peu au sud de Saïda. Dans un premier temps on m’avait envoyé dans un commando mais le sous-lieutenant qui l’avait en charge ne voulait que des volontaires. Je ne l’étais pas, j’en étais même très loin ! Je suis donc resté un ou deux mois dans cette BCS, sans fonction particulière. Puis le capitaine m’a annoncé que j’étais muté dans un bureau à la Base Arrière qui se trouvait plus près de Saïda, dans une localité qui s’appelle Aïn el Hadjar. Je n’y suis resté que cinq semaines, le temps que revienne l’enquête de la Sécurité Militaire. Je n’ai eu droit à aucune explication quand celle-ci est arrivée. J’ai été invité à prendre mon paquetage et mon fusil et à repartir pour la BCS. Si on ne m’a jamais donné les raisons de ma disgrâce (sans doute que la Sécurité Militaire craignait que je ne vende le plan des cuisines aux Russes), à la BCS où j’étais donc de retour les gradés eux étaient au courant. Aussi je n’étais guère épargné. Toutes les corvées étaient pour moi et en opération on me chargeait du poste radio, qui je crois faisait 11 kg, ou du fusil mitrailleur ou des sacoches de munitions… A tel point que j’avais fait part de mon inquiétude à mon adjudant. « Mais comment ferez-vous quand j’aurai la quille ? » On demandait des volontaires pour être maître-chien. Ben oui, quand il y a la guerre tout le monde participe. Déjà sous Hannibal on avait embauché des éléphants. En 14 – 18 les chevaux et les mulets avaient été fortement sollicités. Il y eut même des pigeons voyageurs dans les transmissions. Bon là c’était des chiens de guerre. Tout compte fait j’ai estimé qu’un chien je ne l’aurais pas sur le dos, au sens propre du terme. Je me suis donc porté volontaire pour le stage de maître-chien qui était proposé. Dans un premier temps je suis descendu à Saïda où les chiens ont été tirés au sort pour les postulants à l’emploi. C’est ainsi que j’ai hérité de Gros Jules. Il y avait Zito qui avait des allures de renard, Emolf, Faro, Fangio qu’on a fini par abattre car il ne comprenait pas que l’ennemi n’était pas dans les rangs de l’armée française mais en face. Oui à plusieurs reprises il s’était jeté sur son maître. On l’avait remplacé par Azno, un chien pisteur qui, quand on traçait une - 31 -
  • 32. piste pour l’exercer à la suivre, prenait un air inspiré et partait à peu près systématiquement de l’autre côté. On nous a envoyés ensuite à Mostaganem à la caserne de La Remonte avec nos chiens, nos fusils et nos paquetages. Nous y sommes restés tout le mois de novembre 1960. Nous avions comme instructeur un sergent corse pas spécialement mauvais diable. Nous allions souvent avec nos chiens sur le plateau de Mazagran qui se trouve au-dessus de Mostaganem. J’ai appris par la suite que Mazagran avait été le théâtre de la résistance héroïque d’une centaine de chasseurs commandés par le capitaine Lelièvre qui a tenu tête avec succès à des milliers d’Arabes des troupes d’Abd El Kader. Les assiégés buvaient du café arrosé d’eau-de-vie. Quand j’étais enfant j’ignorais l’origine de l’expression « Un mazagran » qui était la commande que faisaient plusieurs clients du café le Helder après le repas de midi. Nous allions aussi sur la plage de La Salamandre ou des Sablettes. Les chiens étaient entraînés à s’attaquer à un mannequin et à mordre dans une manchette rembourrée que lui présentait l’un d’entre nous, évidemment vêtu d’une djellaba ! Il y avait un parcours du combattant du chien aménagé. Celui-ci devait ramper, passer dans un cerceau, franchir une palissade haute de deux mètres environ… Au début le gros Jules arrivait à sauter la palissade mais quelques mois plus tard, devenu vieux et un peu handicapé, il n’aurait pu que la traverser aussi il avait renoncé ! Gros Jules était naturellement privé d’amour mais dans le chenil il avait connu spontanément une érection qui l’avait mis dans une situation embarrassante, il n’arrivait pas à obtenir un… retour au calme ! Je crois qu’il en était gêné ! A l’issue de notre stage de un mois nous avons été affectés en zone opérationnelle. C’est ainsi qu’accompagné de mon Gros Jules j’ai été cantonné à Bou Ktoub, un bordj situé un peu à l’est du chott El Chergui, à l’endroit où celui-ci est le plus étroit. Il y avait avec moi un autre maître-chien, Bernard Donjon, dont le chien, très beau, s’appelait Bipso. Donjon était vraiment très rigolo et avait un toupet incroyable. Je sortais mon chien dans les environs du cantonnement, allant régulièrement dans un bois de tamaris qui avait été planté de l’autre côté de la ligne de chemin de fer Perregaux – Aïn Sefra. Après avoir fait promener ma bête je m’installais à l’ombre et je lisais. Un livre durait à peine deux jours ! Nous revenions régulièrement à Saïda pour un regroupement des chiens et de leurs maîtres dispersés dans les différentes batteries de notre régiment. Le chenil était à côté de la gare de Saïda et un vétérinaire contrôlait la santé de nos bêtes. L’intendance achetait quelquefois des ânes pour les nourrir mais nous prélevions notre part pour améliorer notre ordinaire. - 32 -
  • 33. J’ai un épisode amusant sur un de ces séjours à Saïda. Je prenais les pattes de mon Gros Jules et je le mimais dirigeant un orchestre qui jouait La Marseillaise. Cela n’avait pas plu à un autre maître-chien qui m’avait menacé de son arme en déclarant qu’il ne voudrait pas qu’on « souille la mémoire de son chien » ! J’imagine qu’il avait un peu bu. Le gros Jules, officiellement éclaireur, n’a jamais eu à s’en prendre à un quelconque fellagha, du moins tant qu’il a été sous mes ordres. Une fois il a failli empoigner un adjudant qui l’avait surpris en tournant à un angle de bâtiment. Le seul souci que j’ai eu avec lui c’est, au cours d’une opération, l’accrochage qu’il avait eu avec Zito, l’éclaireur de la section voisine. En les séparant j’ai été mordu mais je n’ai jamais su par lequel des deux ! Une autre fois j’avais dû le frapper avec ma mitraillette car il s’était attaqué au jarret d’un âne lors d’une patrouille nocturne dans le village de Bou Ktoub. Même qu’à cette occasion j’avais perdu un chargeur de cette mitraillette ce qui n’aurait pas manqué de me créer des ennuis si un habitant ne l’avait ramenée au bordj le lendemain ! A la fin de 1961, peut-être au début de 1962 mon unité a changé de secteur et, pour des raisons administratives je pense, mon chien ne m’a pas suivi. Il faut dire qu’à partir de cette période l’armée française faisait penser au poème de Rimbaud « Bateau ivre ». Nous nagions en plein surréalisme. J’avoue que nous ne risquions pas de gagner la guerre tant je manquais d’enthousiasme, mais enfin j’ai contribué à faire flotter le drapeau français aux confins du Sahara ! Là c’est sur le plateau de Mazagran en novembre 1960. J’avais mis un bracelet-montre à la patte du Gros Jules Photo Paul Malaurie - 33 -
  • 34. L’autre maître-chien Il s’appelait Donjon, Bernard Donjon. Je l’ai connu quand je me suis porté volontaire pour être maître-chien. Lui aussi avait été candidat à cette fonction. C’était un garçon pas très grand, bien physiquement, avec une moustache. Il était Parisien. Il habitait la même rue que Jean-Paul Sartre et avait l’occasion de le croiser. Dans le civil il avait été ajusteur je crois et avait travaillé dans une usine qui fabriquait des compteurs de voiture, des compteurs Jaeger me semblet-il. Il avait été sinon au parti communiste du moins aux jeunesses communistes et il avait effectué une partie de son service militaire, 14 mois, en Allemagne. Après notre stage de maître-chien à Mostaganem nous avions été affectés tous les deux à la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Artillerie, au cantonnement de Bou-Ktoub plus précisément. Nous partagions la même chambre à côté de ce qui tenait lieu de chenil. Il avait une guitare et en jouait quelquefois, chantant notamment une chanson de Jacques Brel : Sur la place chauffée au soleil / Une fille s'est mise à danser …/… L'amoureux l'appelle l'amour / Le mendiant la charité / Le soleil l'appelle le jour Ainsi qu’une autre de Jean Ferrat : Ma môme, ell' joue pas les starlettes / Ell' met pas des lunettes / De soleil / Ell' pos' pas pour les magazines / Ell' travaille en usine / A Créteil Il avait aussi fait des poèmes. Je vais essayer de retrouver une partie du texte de l’un d’eux : Cigarette dorée au bout des doigts vernis, Chaussures Milano et bas que l’on soupçonne, On pourrait croire qu’elle vit presque complètement. Il lui arrivait aussi de peindre. C’étaient de petits tableaux non figuratifs et j’étais chargé de leur trouver des titres. Je me rappelle que pour l’un d’eux je lui en avais proposé deux : dans le sens horizontal, « Le passage de la Bérézina », dans le sens vertical « la défenestration de Prague » ! Il était réfractaire à toute contrainte mais curieusement il s’en sortait toujours. Par exemple le matin les maîtres-chiens étions assez régulièrement embauchés pour les pluches. Il traînait, traînait, n’arrivant que quand nous étions sur la fin. - 34 -
  • 35. Il se faisait naturellement sermonner par le maréchal des logis de semaine. Il avait une parade : « J’écrivais à ma fiancée. C’est que si je ne lui écris pas, elle ne me répond pas et si je n’ai pas de nouvelle je n’ai pas le moral. Vous savez ce que c’est, un soldat qui n’a pas le moral… » Au début il feintait les diverses revues prétextant qu’elles avaient lieu au moment où nous sortions les chiens et qu’il ne fallait pas les perturber dans l’organisation de leurs activités. Ce n’est pas qu’il ne souhaitait pas faire la revue, au contraire disait-il « Il aimait savoir où il en était de ses affaires ! » Naturellement cela n’a duré qu’un temps. Une fois je ne sais quel gradé voulait que nous graissions ou cirions le dessous de nos rangers il avait ostensiblement attiré l’attention sur lui en soulevant ses pieds et montrant ses semelles, déclamant à la cantonade « Moi chef, moi… » Un jour, au cours d’une opération, il était chef de pièce, c'est-à-dire qu’il commandait l’équipe chargée d’un fusil mitrailleur. Un sanglier avait déboulé devant la section. Il avait fait tirer sur l’animal, lequel s’en était d’ailleurs sorti sans une égratignure. A l’adjudant qui demandait qui était le responsable il avait montré le soleil en disant que c’était lui, il faisait vraiment trop chaud. Il avait relevé dans une revue assez bourge des adresses de jeunes filles qui se proposaient pour être marraines de guerre. Il avait écrit et avait reçu un colis avec je me rappelle des asperges en boîte ! Il s’était accommodé de la chose d’un « Ça commence par des colis mais ça va suivre avec des mandats ! » A propos de la misère de notre vie affective il avait ce commentaire : « On ne pourrait pas s’empêcher de faire des avances à une chèvre qui aurait un tablier à fleurs ! » Comme il était plus ancien que moi j’avais encore quelques mois à effectuer après son départ. A partir de là j’ai commencé à ne plus être protégé par la chance insolente qui était la sienne et dont je bénéficiais. Ben oui quelques jours après j’écopais de huit jours de prison pour avoir abandonné quelque temps mon poste alors que je montais la garde. Huit jours que je n’ai d’ailleurs jamais faits ! Avec notre peu d’enthousiasme l’armée française n’avait aucune chance de gagner la guerre mais nous pouvons cependant nous vanter d’avoir contribué à faire flotter le drapeau tricolore aux confins du Sahara ! J’avais eu l’occasion de rendre visite à ce copain de régiment, et de manger chez lui, lors d’une réunion syndicale qui s’était tenue à Paris en 1972. Il était alors marié, avait un garçon et habitait un tout petit appartement près du Luxembourg. Il avait changé de métier et s’occupait de coller des affiches. Je l’ai perdu de vue quelque temps plus tard et en avril 2000 quand les maîtreschiens du 1/66ème RA nous nous sommes retrouvés du côté de Parthenay pour fêter les soixante ans de l’un d’entre nous il était le seul absent. - 35 -
  • 36. Donjon est assis à droite - 36 -
  • 37. Vern et Bipso Pierre Liebert m’a fait parvenir des photos de Vern, le chien qui m’avait été attribué lors du tirage au sort et de Bipso, le chien de Bernard Donjon, l’autre maître-chien qui était avec moi à la 4ème batterie du 1 /66ème RA. Vern est à gauche et je ne sais pas avec précision à quel endroit la photo a été prise. Peut-être au Kreider ? Je n’en suis pas sûr, je n’y suis resté qu’une semaine. Bipso c’est apparemment à Bou-Ktoub qu’il a été pris en photo, BouKtoub où nous avons été cantonnés plusieurs mois. Bipso était un très beau chien, Vern commençait à vieillir et avait l’arrière train qui se bloquait. Il ne pouvait plus franchir la planche verticale haute de plus de 2 m qui faisait partie du parcours sportif que nous retrouvions à Saïda où nous allions à intervalles réguliers. Pierre Liebert a envoyé d’autres photos difficilement exploitables. Il y a d’ailleurs des paysages et des personnages que je ne situe pas très bien. Toutefois il y en a quelques-unes qui montrent l’armement dont nous disposions, notamment les mitrailleuses lourdes de 12,7 montées sur des half-tracks. Il y a aussi une colonne de GMC, tractant les obusiers de 105, qui partait en opération (mais là c’est très flou). De toute façon, je me tenais, autant que je le pouvais, fortement éloigné de ce genre de matériel ! - 37 -
  • 38. Quel temps faisait-il à Bou-Ktoub ? Comme Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux, à 1026 m d’altitude, j’ai plus souffert du froid que du chaud. Il m’est même arrivé de voir tomber quelques flocons. J’ai rencontré toutefois davantage de neige à Géryville où nous avons été déplacés en janvier 1962. Je me rappelle une nuit passée, au cours d’une opération qui n’avait guère d’intérêt sinon d’occuper la troupe, dans un abreuvoir du point d’eau de Kef El Ahmar. Au petit matin il faisait froid et les autochtones incorporés dans l’armée française étaient en quête de bouse de dromadaire pour allumer un feu et faire chauffer le café. Je n’ai guère de souvenir de la pluie. Sans doute que nous avons dû l’avoir quelquefois. Cela ne s’est produit qu’à quelques reprises mais j’ai connu le vent de sable, le simoun. C’est véritablement infernal : on se calfeutre à l’intérieur car dehors on ne voit rien ou pas grand-chose et le sable cingle le visage et tout ce qui est exposé. Il rentre par toutes les ouvertures qui s’offrent à lui, sous les portes en particulier. Ça dure en général une journée. Il y avait dans le secteur des dunes assez hautes qui s’étaient formées. Plus vers le sud, à Mécheria, c’était nettement plus désertique. Naturellement il fait quand même chaud, et sec, en été. J’ai d’ailleurs appris que la sécheresse s’étant étendue il n’y a plus d’alfa sur les hauts plateaux Sur la route goudronnée qui remonte vers Saïda on pouvait observer les phénomènes bien connus de mirages chauds. Des illusions de flaques d’eau lointaines apparaissaient sur la route. Elles disparaissaient quand on avançait pour se former plus loin. En fait point n’est besoin d’aller au Sahara pour être confronté à ce phénomène mais là c’était véritablement spectaculaire. Sur le chott El Chergui on avait à droit au spectacle de l’image de La Rafale, le train circulant sur la voie ferrée de faible écartement qui reliait Perrégaux à Aïn Sefra, qui se reflétait dans la couche de sel. Par ici c’était plat comme la main, sans une pierre. Ah si, il y en avait au moins une. Un jour, descendant du camion où il était chef de voiture, un brigadier dont j’ai oublié le nom, originaire de Phalempin dans le Nord, avait malencontreusement posé son pied sur la seule qui se trouvait là à des centaines de mètres à la ronde. Il avait écopé d’une cheville foulée ! - 38 -
  • 39. Bou-Ktoub, la rue principale - 39 -
  • 40. Bou-Ktoub : le marabout J’ai trouvé la photo qui illustre le présent article sur la Toile. J’ai un vague souvenir de ce monument mais je ne suis pas sûr de l’endroit exact où il se trouve. « A la sortie de Bougtob » (oui, c’est ainsi que s’écrit le nom de la ville à présent) dit la légende qui l’accompagne. Alors sur la route d’El Bayadh (anciennement Géryville) ? Peut-être, rien n’est moins sûr ! Ce monument est donc un marabout c’est à dire le tombeau d’un… marabout ! Mais qu’est-ce donc qu’un marabout ? On pourrait traduire par « saint », « ermite », « homme sage »… Toujours selon la légende qui accompagne la photo ce serait le marabout de Mkam Sidi Bahous El Hadj encore appelé Abou Hafs El Gharib ou Dafin Missr dont nous ne savons rien. C’est le fils de Abdelhakem, lui-même fils de Sidi Chikh, un personnage important dans la région. Il s’agit donc d’un mausolée. Naturellement il est en vert et blanc, couleurs de la paix et de la bénédiction dans l’islam. On connaît en Algérie, du côté de Sidi Bel Abbés un marabout célèbre, celui de Sidi Brahim, célèbre pour la bataille qui s’y est déroulée du 23 au 26 septembre 1845. 82 chasseurs à pied retranchés dans le marabout résistèrent pendant trois jours et trois nuits à 10 000 cavaliers d’Abdel Kader. 11 en sortirent vivants. Déjà à cette époque la France ne lésinait pas avec le sang de ses soldats ! - 40 -
  • 41. Khaïma On écrit aussi kheima et elle désigne la tente bédouine utilisée par les nomades qui doivent se déplacer pour faire paître leurs troupeaux. Une armature de bois soutient un assemblage de bandes de laine brune de teintes différentes, cousues ensemble. A Bou-Ktoub il y avait un camp de regroupement fait de khaïmas et j’ai eu l’occasion de boire le thé devant l’une d’elles. L’occupant des lieux, un chibani (un vieux monsieur) nous avait quasiment avoué que ses fils étaient « au djebel », c'est-à-dire dans les rangs du FLN. Un soldat maghrébin avait découvert, en piquant sa baïonnette dans le sol, un casque de soldat enterré devant la khaïma. Je ne sais pas par quoi l’affaire s’était soldée. Je ne sais pas non plus à quoi le chibani destinait ce casque, il ne me semble pas que les fellaghas s’en coiffaient. Dans les camps de regroupement, destinés à isoler les combattants du FLN de la population, les pasteurs comme les agriculteurs, ne pouvaient plus avoir les activités économiques qui étaient les leurs et bien sûr cela aggravait encore une situation déjà difficile. La guerre est une chose atroce et on ne répétera jamais assez qu’il faut commémorer comme il se doit le 19 mars qui est la date d’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Ce qui s’est passé par la suite est une autre histoire qui mérite analyse mais au moins les soldats du contingent n’étaient plus directement concernés. Photo Noureddine Toumi - 41 -
  • 42. Sur le putsch d’avril 1961 Je ne suis pas exactement sûr de la chronologie dans le récit que je vais faire de ces événements que j’ai vécus en tant qu’appelé du contingent. Le samedi 22 avril, en fin d’après-midi en revenant de la piscine du Kreider qui se trouve à une dizaine de kilomètres au nord de Bou-Ktoub où était cantonnée la moitié de la 4ème batterie du 1/66ème régiment d’artillerie, j’ai appris la nouvelle de la tentative de putsch qui venait d’avoir lieu à Alger. Ce soir-là nous n’avons pas bougé. Le lendemain les langues allaient bon train dans le bordj de Bou-Ktoub où était une garnison d’une cinquantaine de soldats, essentiellement des appelés du contingent. Le capitaine était un certain Giscard d’Estaing et était je crois un oncle du futur président de la république. Ceux qui servaient au mess des officiers nous avaient signalé qu’il avait fait enlever la photo du général de Gaulle aux murs de celui-ci. Le dimanche après-midi nous avons décidé de rédiger une déclaration exprimant notre volonté de rester fidèle au gouvernement légal. J’ai été chargé de la rédaction du texte et Bernard Donjon, l’autre maître-chien de l’unité, s’est occupé de le recopier. Nous avons présenté cette déclaration à la signature de tous. Nous avons recueilli me semble-t-il 47 signatures. Parmi le contingent il n’y a pratiquement pas eu de refus, sauf celui du chauffeur du capitaine, lequel, selon le mot de Donjon pratiquait de manière constante l’alliance du volant et du goupillon. Oui il ne manquait pas la messe le dimanche ! - 42 -
  • 43. N’avait pas non plus signé un maréchal des logis d’origine bretonne, dont le nom était peut-être Hascouet ou quelque chose d’approchant et qui avait paraît-il le projet de s’engager dans les CRS. Par contre un autre maréchal des logis, un certain Lucien Dugardin, originaire de Roubaix et communiste, de « semaine » selon l’expression en usage dans l’armée, nous avait fait distribuer la totalité de nos munitions. Oui, pour des raisons de sécurité, on ne nous en laissait qu’une partie. Dans l’après-midi du dimanche des camions de la Légion Etrangère sont passés, montant sans doute vers Oran. Il y en avait un grand nombre, peut-être un régiment complet, et nous n’aurions pas été en mesure de nous opposer à quoi que ce soit. Je pense que c’est le dimanche en fin d’après-midi qu’un train rempli de libérables parti de Méchéria qui est à quelques dizaines de kilomètres au sud de Bou-Ktoub avait été renvoyé depuis Saïda ou Perrégaux vers son lieu de départ et avait stationné quelque temps dans la gare de notre localité. Nous étions allés essayer de convaincre ces libérables de protester mais ils étaient trop accablés pour réagir. Le dimanche soir j’étais de garde. Pendant cette période les postes à transistors ont joué un rôle important pour faire passer les informations. Nous avions entendu, sur je ne sais plus quelle station, que le lieutenant colonel Singer qui commandait le 1/66ème R.A. avait rallié les putschistes. Nous n’avons jamais pu le vérifier. Au milieu de la nuit il y a eu l’appel de Michel Debré précédé de La Marseillaise. Comme j’étais à ce moment là au poste de police je me suis mis ostensiblement au garde-à-vous ! On sentait de l’angoisse dans la voix du Premier Ministre ! Le lundi nous avons fait partir notre pétition à notre lieutenant colonel qui se trouvait à la Batterie de Commandement et de Services située près de Saïda. Nous avons également envoyé un double dans les batteries où nous avions des contacts. Nous avons également avisé les deux sous-lieutenants, des appelés, qui étaient en poste l’un à Bou-Ktoub l’autre au Kreider que nous leur confierions le commandement s’il s’avérait que notre capitaine prenait partie contre le gouvernement légal. Quoiqu’en désaccord avec les putschistes ils étaient dans l’expectative ! L’aspirant responsable du service de santé avait lui par contre signé notre déclaration de principe, fustigeant avec insistance et détermination les généraux félons ! Le lundi ou le mardi soir je ne sais plus, nous avons tenu une réunion dans une pièce qui servait de salle de classe. Oui l’armée faisait du social à bon compte - 43 -
  • 44. avec les appelés du contingent qui étaient instituteurs dans le civil et même avec ceux qui n’avaient pas de formation particulière en la matière. Nous étions un groupe assez décidé. Pierre Liebert, le responsable du magasin d’entretien, peintre dans le civil, était d’accord pour nous fournir de la peinture afin d’aller badigeonner les murs de la ville d’inscriptions donnant notre position sur le putsch. Comme j’étais surveillé il fut convenu que l’opération se ferait le mercredi où je devais être de garde à nouveau. Mais le mercredi c’était la reddition des putschistes ! Il y avait deux bistrots à Bou-Ktoub, l’un très exactement devant l’entrée du bordj, l’autre guère plus loin, en face du chenil. Les propriétaires avaient pavoisé et mis un drapeau tricolore sur la devanture de leurs établissements. Le maréchal des logis qui n’avait pas signé notre pétition voulut se rattraper. Il subtilisa le drapeau qui était le plus éloigné de l’entrée du bordj… et me le remit ! Qu’en faire ? Je l’ai finalement planqué dans une espèce de galetas qui était audessus de la chambre des deux maîtres-chiens. J’étais un peu inquiet car il y était pendant que s’effectuait une revue de munitions étalées sur nos lits. Oui, comme il y en avait qui étaient subtilisées et qu’elles arrivaient sans doute dans les mains des combattants de l’ALN ces contrôles étaient fréquents. Au passage je dois dire que ce n’était pas très exaltant d’enlever les 8 fois 25 cartouches de nos chargeurs de mitraillette et de les remettre après la revue. Aussi Donjon les laissait dans un chapeau d’où il les sortait à la demande ! Pour un peu il serait parti en opération avec des bouteilles de bière dans ses sacoches à la place de ses chargeurs, arguant qu’en cas d’accrochage il se contenterait de les décapsuler ! Quelques jours après la fin du putsch le chef d’escadron Guyot qui commandait en second fit une visite dans notre cantonnement. Nous étions tous rassemblés dans la cour du bordj quand l’adjudant Chassagne me fit sortir des rangs afin que je sois présenté à l’autorité en visite. Je n’en menais pas large ! Il y eut simplement un discours au terme duquel on nous assura que nous n’aurions en aucun cas été entraînés dans une aventure ! Après coup c’était facile de le dire ! Après ces événements nous ne revîmes plus notre capitaine Giscard d’Estaing. Sans doute fut-il muté de manière disciplinaire. Nous reçûmes en remplacement un capitaine que j’avais connu à la BCS avant de la quitter pour devenir maîtrechien. Le bruit courait qu’il était chargé de la sécurité militaire et qu’il enquêtait pour savoir qui était à l’origine de la pétition. Ce n’était pas mon écriture qui figurait sur celle-ci j’étais donc un peu à l’abri. Donjon était tellement farfelu qu’on ne pensait pas à lui. Il était pourtant communiste ! Les soupçons s’étaient portés sur un certain José Bianco, originaire de Marseille lui aussi aux jeunesses communistes et fils de républicain espagnol. Là c’est un maréchal des logis, un engagé, qui avait tenté de trouver le responsable, faisant venir les choses de loin dans le style : « Vous, Bianco si vos - 44 -
  • 45. parents sont partis d’Espagne c’est à cause du régime ? » A quoi Donjon, qui assistait à l’interrogatoire, avait répondu ! « Mais non, c’est à cause du climat et de la nourriture ! » Ah non, nous n’étions pas encore au bout de nos peines, j’ai dû subir l’absurdité de cette guerre pendant encore un an ! - 45 -
  • 46. Lui c’est Messmer C’est le nom, celui du ministre des armées à l’époque, que nous avions donné à ce chien qui était la mascotte de la 4ème batterie du 1/66ème Régiment d’Infanterie cantonnée à Bou-Ktoub au sud de Saïda et au bord du chott el Chergui. La photo m’a été envoyée récemment par Pierre Liebert qui était responsable du matériel pour l’entretien du cantonnement. C’est lui qui devait nous fournir la peinture pour aller mettre des inscriptions hostiles aux factieux lors du putsch des généraux félons en avril 1961. Mais voici Pierre Liebert en train de peindre l’écusson du régiment à l’entrée du bordj et à côté il s’occupe de la guérite. Le soldat accroupi s’appelle Legros. Messmer ? On l’a coiffé d’un calot avec un galon de Premier canonnier. Il me semble qu’il avait été abattu quand nous avons quitté Bou-Ktoub pour Géryville. - 46 -
  • 47. La champignonnière On s’ennuyait ferme au bordj de Bou-Ktoub. Un bordj ? C’est un fort. Celui-ci avait dû être construit au début de la conquête de l’Algérie. Bou-Ktoub est sur les hauts plateaux du Sud Oranais à 1026 m d’altitude. Ce n’est pas encore le désert mais c’est presque désespérément que le regard cherche un arbre. Ici c’est le pays de l’alfa. Géryville, la sous-préfecture, située à une centaine de kilomètres au sud est, est la capitale de cette graminée utilisée pour la fabrication d’un papier de luxe. Elle nourrissait aussi des troupeaux de moutons, de chèvres et de dromadaires. A Bou-Ktoub on emballait l’alfa récolté dans le secteur et un dispositif permettait de tresser des cordages avec la plante. Celui qui le servait courait toute la journée ! A une dizaine de kilomètres au nord, de l’autre côté de l’étranglement du Chott Ech Chergui, est Le Kreider, petite oasis qui possédait une caserne plus importante et surtout une piscine alimentée par une source naturelle d’eau chaude. A vrai dire à Bou-Ktoub aussi il y avait de l’eau chaude qui était pompée et qui alimentait un établissement public de douches où nous allions une fois par semaine. La ville comportait une station de chemin de fer sur la ligne à voie étroite qui reliait Perrégaux à Aïn Sefra (et peut-être antérieurement Colomb-Béchar). Le train qui l’empruntait était appelé La Rafale et des wagons étaient placés à l’avant de la locomotrice pour réduire les risques provoqués par une mine. Je ne sais pas combien il restait d’Européens à Bou-Ktoub en dehors des deux familles qui tenaient les bistrots situés face à notre cantonnement. Le cimetière dont ils disposaient était envahi par le sable et sans doute désaffecté. Il y avait un village en dur fait de mechtas et un douar formé de tentes qu’on appelait des raïmas, peut-être un village dit de regroupement. Il y avait aussi une SAS (Section Administrative spécialisée) avec laquelle nous n’avions pas de contact. Une harka avait été recrutée et a dû compter une trentaine de supplétifs. En dehors de la cour du bordj était un espace sablonneux entouré de fil de fer barbelé. C’est dans cet espace qu’étaient installés les deux canons de 105 mm dont nous disposions. Ils n’ont jamais guère quitté leur emplacement. Comment s’appelait-il ? Je ne sais plus ! Sicard peut-être m’a soufflé Lucien Dugardin, maréchal des logis dont j’ai retrouvé la trace 45 années plus tard. Selon lui, Sicard, si c’est son nom, était originaire de… la Loire ? - 47 -
  • 48. Ce qui est sûr par contre c’est que dans le civil il cultivait des champignons de Paris dans les galeries d’une ancienne carrière. L’ennui, et le mal du pays aidant, il avait réalisé une champignonnière miniature avec des tôles cintrées en principe destinées à servir d’abri. Il s’était procuré du fumier de cheval, sans doute auprès d’un régiment de spahis qui était cantonné dans le secteur, s’était fait envoyer de chez lui du mycélium et avait obtenu quelques spécimens d’Agaricus bisporus. Le capitaine qui commandait la 4ème batterie avait manifesté beaucoup d’intérêt pour l’expérience clandestine ainsi menée. Aussi, avec l’aide du spécialiste, la grande culture du champignon de Paris avait été entreprise… au sous-sol. Enfin le sous-sol il avait fallu le créer. Deux galeries d’une douzaine de mètres avaient été creusées dans le tuf que recouvrait un sable moins compact. Cela n’alla pas très vite car planqué dans la fraîcheur du chantier on n’était pas obligé de faire du zèle. Je me rappelle un Corse, remontant à la surface à l’heure du déjeuner, avoir avoué qu’il n’avait donné que deux coups de pelle dans toute la matinée ! On était loin des kilomètres de galeries dont disposait notre champignonniste de profession mais enfin l’affaire fut menée à bien et j’ai le souvenir d’avoir vu un soir flotter des champignons de Paris dans la soupe qui nous avait été servie. Quand une autorité passait dans le secteur on ne manquait pas de lui faire visiter la champignonnière, le responsable prenant un malin plaisir à le faire patauger dans du grésil pour éviter toute contamination de sa culture. L’ambition affichée de notre capitaine, qui souhaitait qu’à terme son unité n’émarge plus au budget de la défense ne fut toutefois pas réalisée. Un jour, une nuit plutôt, une des deux galeries, non étayées, s’effondra, sans toutefois faire de victime, il n’y avait personne à l’intérieur. Notre ordinaire n’en fut pas vraiment affecté mais peut-être que bien boisées ces galeries auraient pu être généralisées à l’ensemble des hauts plateaux, voire au Sahara tout entier. La relance de l’économie de l’Algérie par la culture du champignon de Paris nous aurait qui sait permis de gagner la guerre ! - 48 -
  • 49. L’école de Bou-Ktoub Je suis arrivé à Bou-Ktoub avec mon chien en novembre ou décembre 1960. L’école était déjà en place dans un bâtiment en dur mais Mustapha Arzew, un écolier qui a pris contact avec moi via mon blog, m’a affirmé qu’elle avait d’abord été installée sous des tentes. Oui, en 130 ans de colonisation la France n’avait pas encore construit d’école à Bou-Ktoub ! Vous savez les Arabes… Qui n’a pas entendu ce propos raciste ! Un mot sur Mustapha Arzew à qui j’ai demandé ce que faisait son père à BouKtoub. Avant la guerre il était paysan, sans doute avait-il des moutons ou des dromadaires, on ne voyait pas de culture dans les parages. Il avait rejoint les rangs du FLN et avait été tué début 1960, lors d’un ratissage, par un commando de Saïda. Sans doute le commando George, composé de harkis (au sens générique du terme.) Oui l’armée avait réussi ce tour de force de faire se battre les Algériens entre eux. On appelait ça la pacification ! Evidemment ça ressemblait davantage à une guerre civile ! Bis repetita placent : "C'est beau, c'est grand, c'est généreux la France !" avait déclamé De Gaulle ! Avec Bernard Donjon, l’autre maître chien, nous avons été logés après l’école dans une chambre où nous n’étions que tous les deux, le chenil étant juste à côté. Il y avait trois appelés du contingent qui faisaient la classe dans cette école : Jacques Flotté, instituteur dans le civil, qui a fini sa carrière comme principal de collège dans le Calvados, Robert Brochard originaire de l’Allier où il a travaillé au Crédit Agricole et Serge Roccaz qui était de Grenoble. Serge Roccaz était je crois ouvrier d’usine mais je ne sais pas exactement ce qu’il est devenu. Je l’ai eu au téléphone il y a quelques mois et je lui ai envoyé un courrier postal. Il n’a pas répondu à ce dernier. C’était un homme de taille moyenne, pas très grand même, rouquin. Je pense que son statut d’enseignant, même dans le cadre de son service militaire, l’avait valorisé. Je ne sais pas pourquoi il s’était mis à faire la cuisine et ma fois là aussi il prenait les choses au sérieux avec son torchon noué autour de la taille ! Je lui avais demandé de nous préparer un hérisson que j’avais trouvé. Il s’était certes exécuté mais m’avait fait remarquer qu’il y avait incompatibilité entre l’ail et l’oignon avec lesquels je lui avais suggéré de le cuire. - 49 -
  • 50. J’ai échangé chaque année et sans interruption mes vœux de nouvel an avec Robert Brochard. Avec Jacques Flotté nous avions perdu le contact mais il a été renoué, via mon blog. L’école n’était pas exactement mixte, elle accueillait les garçons et les filles par demi-journées me semble-t-il. Jacques Flotté m’a envoyé diverses photos de Bou-Ktoub. Sur l’une on voit un jardin qui a dû être créé par l’école. Je n’en ai aucun souvenir. Je ne sais pas à la suite de quelles circonstances j’ai, quoique toujours maîtrechien, enseigné un temps dans cette école. Peut-être en attendant le retour de Jacques Flotté qui, ayant contracté une jaunisse pendant sa permission, avait tardé à revenir. Il faut dire que j’ai fait un peu tout à l’armée : maître-chien, maître d’école, maître nageur. Il n’y a que de ma propre personne dont je n’étais pas maître ! Tiens voilà Serge Roccaz et sa classe - 50 -