Revue "What's Up Doc" n°25 - Mars Avril 2016
Son dernier film nous a tellement touchés qu’on a eu envie d’en savoir plus sur le cinéaste qui murmure à l’oreille des docteurs. Au coeur d’une promo intensive, il nous a fait le plaisir d’échanger quelques mots.
WUD Comment est né votre Médecin de campagne ?
T.L. Comme pour Hippocrate, dont le point de départ était l’hôpital, tout est parti de l’envie de filmer un lieu, un univers. Poser ma caméra, observer les gens qui y vivent, y travaillent, raconter leurs histoires, et voir où elles vont me mener. Certains sujets émergent plus que d’autres, mais tous sont importants.
Faire un nouveau film sur la médecine, c’était risqué !
T.L Je n’ai pas eu envie de refaire un fi lm sur la médecine, mais de raconter la campagne. Parce que j’y ai travaillé et qu’elle m’a marqué. Je me suis bien évidemment inspiré de mon vécu, de mes rencontres, et un personnage de médecin s’est naturellement imposé. Je pense que la médecine est un faux problème : si j’avais fi lmé la vie d’une classe de collège, cela aurait été probablement beaucoup plus proche d’Hippocrate dans le ton et l’esprit !
À nouveau on retrouve le thème de l’apprentissage et de la transmission. Avec toujours des personnages un peu outsiders extrêmement attachants, ainsi que des figures tutélaires. Dans votre apprentissage du cinéma, avez-vous eu affaire à votre Werner (nom du personnage principal, NDLR) ?
T.L Pas du tout, mais j’ai eu la chance de rencontrer et d’être accompagné par des professionnels de mon âge, nous avons en quelque sorte évolué ensemble. Il s’agissait plus d’un compagnonnage stimulant que de la transmission verticale que l’on peut retrouver dans les études de médecine.
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reseauprosante.fr
1. Sorti depuis le 23/03/16
What’s Up Doc? 25 mars-avril 201658
T
homas Lilti a cette capacité extraordinaire de capter l’essentiel dans
l’anecdote, de parler à chacun de nous au travers d’expériences
singulières. Avec Médecin de campagne, on craignait de le voir
succomber aux charmes de la facilité et de la répétition. Il n’en est rien.
Au contraire, comme les paysans qu’il décrit avec une formidable
humanité, il creuse son sillon tout en renouvelant son terreau.
Il reste le cinéaste engagé d’Hippocrate mais la caméra est apaisée, il prend
son temps, s’attarde plus sur ses héros, qu’on suit sans besoin d’en savoir
trop sur eux. Il offre l’opportunité d’une composition incroyable à Marianne
Denicourt – qui le lui rend bien par son talent –, leur complicité de cinéma
est évidente. Cluzet est très pro, son monologue sur le métier de médecin
(la « malédiction » dont parlait déjà Reda Kateb) est un sommet. La narration,
la mise en scène, la direction d’acteurs se sont affinées et affirmées.
Il y a du Sautet chez Lilti : c’est une divine et émouvante surprise.
Son dernier film nous a tellement touchés qu’on a eu envie d’en savoir plus sur
le cinéaste qui murmure à l’oreille des docteurs. Au cœur d’une promo intensive,
il nous a fait le plaisir d’échanger quelques mots.
WUD Comment est né votre Médecin de
campagne?
Comme pour Hippocrate, dont le point de départ
était l’hôpital, tout est parti de l’envie de filmer
un lieu, un univers. Poser ma caméra, observer
les gens qui y vivent, y travaillent, raconter leurs
histoires, et voir où elles vont me mener. Certains
sujets émergent plus que d’autres, mais tous sont
importants.
Faire un nouveau film sur la médecine, c’était risqué!
Je n’ai pas eu envie de refaire un film sur
la médecine, mais de raconter la campagne.
Parce que j’y ai travaillé et qu’elle m’a marqué. Je me
suis bien évidemment inspiré de mon vécu, de mes
rencontres, et un personnage de médecin s’est
naturellement imposé. Je pense que la médecine est
un faux problème : si j’avais filmé la vie d’une classe
de collège, cela aurait été probablement beaucoup
plus proche d’Hippocrate dans le ton et l’esprit!
À nouveau on retrouve le thème de
l’apprentissage et de la transmission. Avec
toujours des personnages un peu outsiders
extrêmement attachants, ainsi que des figures
tutélaires. Dans votre apprentissage du cinéma,
avez-vous eu affaire à votre Werner (nom
du personnage principal, NDLR)?
Pas du tout, mais j’ai eu la chance de rencontrer
et d’être accompagné par des professionnels de mon
âge, nous avons en quelque sorte évolué ensemble.
Il s’agissait plus d’un compagnonnage stimulant que
de la transmission verticale que l’on peut retrouver
dans les études de médecine.
MÉDECIN EN CAMPAGNE?
Interview réalisée par Guillaume de la Chapelle
Le repos de securite
GÉNÉRATION CINÉ’SANTÉ!
2. 59mars-avril 2016 What’s Up Doc? 25
Culture
Médecin de l'âme,
médecin du corps
Bérénice de la Mole
Par-delà le genre du roman d'anticipation
dont relève l'intrigue de Après.com, qui interroge
la pertinence de créer un site entretenant
le souvenir de tous les défunts, le roman de
Henri Gé est aussi une occasion d'apprivoiser un
peu, dans un rapport lucide et apaisé, la mort.
Après Platon, après Montaigne, on se demande
encore si philosopher ne serait pas apprendre
à mourir, ou si du moins l'accepter ne serait
pas la meilleure façon de vivre. L'exploration
satirique des âmes se poursuit aussi dans un
deuxième opus publié récemment, Dieu 2.0.
On trouve souvent dans la littérature morale
de l'Ancien Régime ce lieu commun selon lequel,
s'il est important de soigner son corps, il l'est
plus encore de soigner son âme. C'est à ce lieu
commun que je pensais lorsque je relisais, dans
Après.com, une scène de confrontation poignante
entre le narrateur et la fille désemparée d'un
patient qui doit subir une chimiothérapie.
Le narrateur, médecin et maïeuticien, amène
Isabelle à prendre conscience que ce n'est pas
de la chimiothérapie dont elle a peur, mais
bien de la mort.
Fiction et science-fiction sont également
l'occasion pour Henri Gé de dresser un portrait
saisissant de l'hôpital et des médecins, ceux qui
s'efforcent aussi de soigner les âmes, parfois à
coups de vérités douloureuses, et ceux qui en
sont incapables, comme le docteur « ça suit son
cours ».
Henri Gé, Après.com, Éditions Velours, 2012.
Henri Duboc, Dieu 2.0, Lajouanie, 2015.
Votre cinéma est très social, cousin français
de celui d’un Ken Loach.
Je le revendique totalement. La dimension
politique de mes films est bien présente, sans
pour autant m’échapper : ce ne sont pas des
tracts! Leur côté « social » est plutôt une source
d’inspiration qui vient nourrir mon écriture,
d’un désir militant initial. Au départ de Médecin
de campagne il y a la volonté de filmer mon
amour de la campagne et du geste médical.
Vous sentez-vous concerné par les sujets
d’actualité concernant la profession, son
avenir?
Totalement. Cela me passionne. J’ai
beaucoup suivi les débats sur la loi Leonetti et
son évolution. Je pense également que le tiers
payant généralisé est un système intéressant
et bénéfique, même si bien sûr il nécessite
une simplicité dans sa mise en œuvre.
« La dimension
politique de mes films
est bien présente,
sans pour autant
m’échapper »
Le film aborde le sujet épineux des déserts
médicaux et ne manquera pas de relancer
le débat sur la liberté d’installation.
Avez-vous une opinion à ce sujet?
Ce que je crois, c’est qu’on ne résoudra pas
le problème par la coercition. Un médecin qui n’a
pas envie de travailler à la campagne trouvera
le moyen d’y échapper. C’est en associant les
médecins, en les aidant, que l’évolution se fera.
Par ailleurs, il faudrait faire sortir les jeunes
médecins des hôpitaux pendant leurs études,
par exemple par le système de maisons de
santé universitaires.
On imagine que sur un tournage vous
pouvez être confronté à des situations,
des souffrances qui pourraient être gérées
avec la casquette de médecin. Cela a-t-il
pu être perturbant?
Non, dans le sens où je suis et reste docteur
en médecine. Même dans mon métier de
cinéaste. C’est une richesse qui fait partie
de moi, et je dois faire avec!
Le repos de securite