3. Le quai de Ouistreham
Le Quai de Ouistreham est un
récit autobiographique de la
journaliste Florence Aubenas.
Cet ouvrage est l'aboutissement
d'un travail d'enquête dans
lequel, pendant six mois,
Florence Aubenas s'est
totalement investie pour « vivre
la vie » des plus démunis, ceux
et surtout celles qui galèrent de
petit boulot en petit boulot, de
travail précaire (femme de
ménage par exemple) en travail
à temps partiel qui ne permet
même pas d'en vivre.
4. Au départ de ce livre, il y a une question qui
taraude Florence Aubenas : comment définir et
préciser l’impact de la crise économique sur la
vie quotidienne des plus défavorisés?
Elle veut comprendre les mécanismes de
l'exclusion sociale et la vraie signification du mot
« crise » pour cette population, et témoigner.
Pendant plusieurs mois, elle joue le jeu et entre
dans la peau d’une femme d’une quarantaine
d’années, sans formation, sans expérience
professionnelle, à la fois femme de ménage et
bouche-trous, qui n'est que « transparente ».
Elle choisit Caen, ville moyenne a priori sans
difficultés particulières, où elle n’a aucune
attache, pour chercher un travail, affronter les
limites et les incohérences du système socio-
économique et découvrir un Pôle emploi dépassé
par l’ampleur de ses missions et le cynisme des
officines de placement.
Parmi ses nombreux emplois, l'un d'eux consiste
à nettoyer, quand ils sont à quai, les ferries
assurant la liaison entre Caen-Ouistreham et
Portsmouth, d'où le titre de l'ouvrage. Tout au
long de son récit, elle rencontre des gens
obnubilés par leur survie quotidienne sans savoir
de quoi demain sera fait .
5. Là-bas, elle va connaître la galère et les humiliations de toute femme de sa condition : ballottée entre petits
boulots durs et sans intérêt qui ne permettent guère de survivre, s’abaisser pour décrocher le moindre
emploi à temps partiel, s’astreindre à ne pas répondre aux provocations. « Je cours d’une chose à l’autre,
écrit-elle, maladroite, toujours en retard d’un reproche. »
Ses deux copines Victoria et Fanfan rencontrées dans ses galères, avaient créé une section syndicale pour
les précaires, tous les boulots dévalorisés des hypermarchés, entreprises de sous-traitance, intérimaires,
femmes de ménage…
Elles détonnaient dans ce monde syndical d’hommes et de métallos. Pour toutes ces femmes — elles sont
largement majoritaires — c’est la peur qui l’emporte, peur d'être licenciée et de tomber encore plus bas.
La dureté du travail tient autant aux normes imposées qu’à la mentalité des « petits chefs ».
6. Crise et précarité
L’État se contente le plus souvent d’organiser des
stages de formation qui permettent aux gens de
rester inscrits au chômage, de communiquer dans
les réunions et de masquer les problèmes. Le
tabou de la fonctionnarisation des agents, la
gestion administrative du chômage et la volonté
de « faire du chiffre » ne facilitent pas
l’instauration de relations de confiance.
Pour le reste, rien ne change, ce sont toujours les
mêmes petits boulots que ce soit à L’Immaculé,
au terminal du ferry ou au camping du Cheval
blanc. Vaille que vaille, le « tracteur », le vieux
tacot qui traîne Florence, roule encore, les heures
supplémentaires ne sont pas payées… Pourtant,
quand elle n’a plus d'espoir, elle décroche enfin le
sésame, ce fameux objectif qu’elle s’était fixé : un
CDI à temps partiel, bâton de maréchal de la
femme de ménage, qui n’est pourtant pas le
Pérou : 2h30 par jour de 5h30 à 8h du matin,
payées au tarif conventionnel de 8,94€ brut de
l’heure.
7. Juliette Binoche joue dans l’adaptation au cinéma du livre
Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas.
8. Le film
Ouistreham est un film français réalisé par
Emmanuel Carrère. Il est adapté du récit
Le Quai de Ouistreham de Florence
Aubenas paru en 2010.
Au tournant de la cinquantaine, l'écrivaine
Marianne Winckler s'immerge pendant six
mois dans le monde du travail intérimaire
et précaire en postulant à un poste de
femme de ménage à bord des ferries
faisant la liaison entre Ouistreham et
Portsmouth.
Après de nombreuses années de
tractations entre diverses sociétés de
production et Florence Aubenas, cette
dernière accepte finalement en 2015 que
ce soit Emmanuel Carrère qui adapte son
livre au cinéma.
Pour conserver l'aspect documentaire du
récit de Florence Aubenas, Emmanuel
Carrère décide qu'à part le rôle principal
tenu par Juliette Binoche tous les autres
rôles seront interprétés par des comédiens
non-professionnels.
9. Critiques
Un film adapté d’un livre suscite souvent la comparaison et parfois la critique “pas fidèle”. Je crois
cependant qu’il s’agit de deux formes d’expression différentes et, le propre d’un réalisateur est
d’apporter sa touche singulière sur le récit choisi.
C’est le cas du film Ouistreham d’Emmanuel Carrère, dans une adaptation du livre ‘’Le quai de
Ouistreham’’ de Florence Aubenas, journaliste, et qui décrit le travail et les conditions de vie des
ouvrières (et de quelques ouvriers) de nettoyage.
…
Une façon d’écrire, de faire connaître de l’intérieur, la vie de tous les jours des femmes et des
hommes qu’on désigne ‘’en bas de l’échelle’’.
Sens Critique Arthur Porto
…
Le récit de l’écrivaine ne fera
pas changer la vie des
ouvrières du nettoyage, mais
son ‘’intention’' est de faire
changer le regard voire de
dénoncer les conditions
imposées aux salariées.
Pour tout cela le film
d’Emmanuel Carrère vient,
comme le livre, nous alerter sur
ce que très souvent nous ne
voyons pas. Faire "connaître
ou reconnaître" le travail des
"invisibles"!
10. Ouistreham est une fiction à l’orée du
documentaire dans une veine réaliste. Ce
côté classique un peu trop prégnant est
contrebalancé par le sujet qui permet une
véritable prise de conscience. Grâce
à Emmanuel Carrère, le regard porté sur
ces agents secrets d’entretien ne sera
plus jamais le même. On en connait
désormais le mérite et les sacrifices qu’ils
sont obligés de faire. Si la proposition
cinématographique ne reste pas
forcément, le message de bienveillance
est, quant à lui, désormais bien ancré.
Bulles de culture
11.
12. Bien qu’entrant facilement dans le genre du « drame
social », notamment avec une scène d’ouverture à
Pôle emploi qui n’est pas sans rappeler Moi, Daniel
Blake, la palme d’or de Ken Loach, le film de
Carrère est moins sociologique que fictionnel. En
témoigne l’ajout de quelques nouvelles scènes
parfois dispensables. Une façon au mieux
maladroite pour l’auteur de Limonov et de
l’Adversaire de mettre au cœur de cette version sa
grande obsession : le mensonge. Et, par extension,
la duplicité d’une Parisienne bourgeoise au milieu
d’une sorte de safari social pourtant nécessaire.
Emmanuel Carrère ne s’éparpille donc pas dans
une galerie de portraits. Il se focalise sur la relation
amicale, empreinte de trahison, entre Marianne et
Christèle qui passent du « vous » au « tu » en une
coupe. Un choix judicieux tant il met en valeur la
force fragile d’Hélène Lambert, interprète non
professionnelle de cette mère célibataire de trois
enfants pour qui chaque centime compte, dont on se
souviendra longtemps.
Sens Critique Émile Meslet