Portrait de startuper #27 - MyCookr - Guillaume Sauvage Combat
Edito Lundis Radieux
1. ÉDITOS
INGRID
KANDELMAN
Le futur du travail est un thème à la mode. Des
séminaires professionnels aux cabinets de conseil
en transformation en passant par les évènements et
médias qui lui sont consacrés, impossible d’échapper
au phénomène « Future of work ».
Pourtant, le futur du travail est resté jusqu’ici une
idée assez décevante.
Souventparcequenouscherchonsàfaireautrement
en mobilisant les « façons de faire » d’hier, créant
autant d’injonctions paradoxales. Comment penser,
en effet, les nouveaux collectifs de travail ouverts
alors que notre culture est marquée par les limites
juridiques de l’entreprise ? Comment décréter
la créativité et l’innovation par les collaborateurs
après les avoir poussés à l’exécution sans remise en
question ? Comment penser le travail collaboratif
Responsable de l’exploration Futur(s) du travail thecamp
Ingrid est une de ces personnes avec qui je me suis
tout de suite sentie des atomes crochus. Son envie
d’emmener chacun vers cette destination encore
inconnue qu’est le futur du travail m’a beaucoup
parlé. Le travail qu’elle fait au quotidien à The Camp,
en emmenant les grands groupes sur les sentiers
inexplorés du travail de demain, est d’utilité publique.
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2. alors que les réflexes de protection (notamment la
rétention d’information) sont toujours aussi forts ?
Difficile de ne pas comprendre, dans ce contexte,
le désengagement grandissant des salariés, un
désengagement dont les répercussions sont bien
réelles puisque selon l’Institut Sapiens, le coût caché
de l’absentéisme au travail en France serait de 107
Milliards d’euros en France, soit presque 5% du PIB.
Ensuite,parcequedesidéesreçuescomme«demain
tous automatisés », « demain tous indépendants »,
« demain, le tout collaboratif » deviennent tellement
répandues que les organisations cherchent plus à
s’adapter à ces tendances qu’à dessiner leur propre
trajectoire de besoin.
Enfin, parce que paradoxalement, le futur du travail
semble être victime de son succès. Plus on en
parle et moins il semble évident d’y voir clair. Le
sujet a été tellement abordé que certains discours
nous viennent directement à l’esprit au moment
de questionner la manière dont nous travaillerons
demain. Ainsi, nourrie par les grands récits radicaux
du tout automatisation, de la singularité ou de la
société du loisir, notre vision du futur du travail est
bloquée, obstruée par des projections certes très
sensationnelles mais largement inopérantes.
Comment inverserla logique à l’heure où l’entreprise
fait face au besoin urgent de se réinventer ?
Comment rendre le futur du travail souhaitable ?
Une piste pourrait être de développer et diffuser
une nouvelle culture du travail.
Aujourd’hui, personne n’apprend vraiment à
travailler, dans ce que cela engage avec « les
autres » (et c’est d’ailleurs bien ce dont chacun se
plaintauquotidien !).Onseformeàdescompétences
techniques, éventuellement cognitives.
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3. Mais la question de savoir comment on pourrait
travailler, et comment on voudrait travailler, restent
des points aveugles de nos cursus.Travaillerdemain,
cela passera sans doute par une capacité de chacun
à pouvoir s’adapter à différents environnements,
différentes cultures du travail.
On passera de la startup au grand groupe, on
cumulera de plus en plus un statut de salarié avec
celui de freelance. Il faudra maîtriser les codes et
les cultures de ces différents cadres. Voire même
être capable de proposer de nouvelles pratiques de
travail en collectif à son employeur quand le besoin
s’en fera ressentir.
Et surtout, il faudra que l’on soit capable de savoir ce
dont on a envie et comment y parvenir. Il y a donc
un enjeu majeur à ce que chacun développe une
capacité à se saisir et à agir sur ses pratiques de
travail, à les faire évoluer, à inventer et décider des
modalités adaptées à ses objectifs et au contexte.
Il est primordial que chaque travailleur sache que
l’organisation pyramidale est loin d’être le seul
modèle organisationnel existant, qu’il est possible
de s’organiser en tribus, en cercles, de manière
horizontale ou en réseau. Et que chaque modèle a
ses avantages, et ses inconvénients.
Il est primordial qu’ils sachent que les décisions
peuvent être prises de différentes façons et qu’ils
aient conscience de leurs biais cognitifs ; qu’ils soient
conscients que la manière dont nous organisons
aujourd’hui le travailentre nous, dont nous l’évaluons,
le reconnaissons, n’est qu’un possible parmi un infini
de systèmes.
Et ces logiques ne doivent pas concerner que
les managers ! Bien au contraire ! Elles doivent
concerner tous ceux qui travaillent. Ensemble.
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4. Porter un nouveau regard sur son travail, et sur le
« travailler ensemble » est un facteur fondamental
dans l’équilibre de nos sociétés, pour ne pas subir les
transformations que nous connaissons aujourd’hui,
et pour ne laisser personne sur la route.
Tous les acteurs de l’emploi – les entreprises, les
collaborateurs, les pouvoirs publics…- y ont un rôle
à jouer.
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5. Les moeurs nous ont inculqué la distinction entre
notre “vie pro” et notre “vie perso”, pointant du doigt
les acharnés qui traînent du boulot chez eux le soir,
le week-end, en vacances, multipliant les conseils
pour trouver l’équilibre entre ces deux vies.
Il semblerait aujourd’hui que nous soyons en train
de découvrir avec stupeur qu’en réalité nous
n’avons qu’une seule et même vie avec un seul
et même set de paramètres d’entrée : nous, notre
personnalité, nos valeurs, nos envies, nos besoins,
etc. La recherche de sens qui contamine le monde
professionnel est le premier pas vers cette réalité
dont les slasher.euse.s, freelances, entrepreneurs,
remote workers sont les pionniers.
Une réalité où l’équilibre vie pro/vie perso est
caduque et où “gérer sa carrière” commence par
découvrir et assumer son set de paramètres pour
plutôt gérer sa vie.
AGATHE
MARTINOT
Co-fondatrice ERNESTE
Lorsque j’ai rencontré Agathe pour la première fois,
on a tout de suite accroché sur une vision commune
de la carrière. J’ai beaucoup aimé l’écouter parler de
la manière dont on peut ramener plus de sens dans
nos vies professionnelles. C’est ce qu’elle s’attèle à
faire auprès de la communauté Erneste, qu’elle a co-
fondée pour accompagner les jeunes professionnels
dans leurs choix de carrière.
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6. Lieux radieux pour travail libre
Parmi les tendances lourdes qui dessinent un futur
du travail, la montée du travail indépendant fait
couler beaucoup d’encre. D’un côté, la flexibilité et
l’horizontalité, si attirantes. De l’autre, l’ubérisation
et ses dérives, de nouvelles protections sociales
encore largement inexistantes. Les avis sont mitigés,
le doute plane. Pourtant, la perspective d’un travail
libéré de la relation de subordination gravée dans le
marbre du contrat de travail est enthousiasmante.
Ne dessine-t-elle pas une sorte d’ge adulte du
travail, de transition démocratique ultime de
l’entreprise, d’affirmation de travailleurs-personnes
dont la force de travail épouserait la singularité et
non une entité corporate désincarnée ? Elle extrait
l’arbitraire de l’un de ses meilleurs refuges, avec à
la clé les dégâts de souffrance humaine que l’on
connaît. Elle évite l’écueil de substituer à la tyrannie
du chef celle du groupe, bien connu de ceux qui ont
pu tester l’entreprise libérée. Elle est la clé d’un
1- Comme le rappelle Alain Supiot à l’occasion de la sortie de son ouvrage
consacré au travail du 21e
siècle et publié pour le centenaire de l’OIT, la
subordination à l’origine du salariat trouve sa racine juridique dans le droit
romain en filiation directe avec l’esclavage...
CAMILLE
RABINEAU
Fondatrice COMME ON TRAVAILLE
Camille repense les lieux de travail pour en faire des
incarnations de nos nouvelles façons de travailler. A
la croisée de l’architecture et du futur du travail, son
travail m’a interpellée : enfin un levier d’action concret
et palpable pour transformer de manière efficace notre
rapport au travail. Voici sa vision des choses.
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7. avènement réel d’une « entreprise à mission »
puisque, indépendants, chacun a la main pour
faire advenir ce qu’il estime être sa mission dans la
société.
Le boom des travailleurs indépendants pour
futur du travail : consécration de l’individualisme
? Renoncement au collectif et ses intelligences ?
Abandon du souci du bien commun ?
Au contraire. C’est vrai, la vision de « l’indépendant
» comme ce loup un peu esseulé est tenace. Je
ne compte plus les fois où, depuis que je me suis
lancée à la tête de mon activité, on me demande
comment va ma vie sociale, si je ne souffre pas
trop de la solitude. Pourtant, jamais je ne me suis
sentie plus entourée, nourrie de l’énergie des
autres, autant en quête de rencontres qu’à l’écoute
des rencontres qui viennent à moi. Autant avide
d’apprendre de nouvelles compétences, sans
autre agenda que celui de me développer là où
je m’épanouis (et non pas là où l’autorité de mon
manager s’épanouit.) Les sociabilités choisies ont
remplacé les sociabilités subies. L’interdépendance
a remplacé la coexistence. Le faire ensemble a
remplacé les process qui « ferrent » ensemble. En
somme, une expérience bienfaitrice de l’entraide et
del’émulationàl’heureoùtoutn’estqu’effondrement
et dérèglements...
La montée en puissance de l’indépendance peut
aussi rebattre profondément les cartes pour les
salariés et, pourquoi pas, augurer d’un « salariat
sans subordination », comme le plaide la sociologue
Danièle Linhardt. Car qui peut croire que celui qui
retourne dans l’entreprise après avoir été l’inventeur
de ses propres conditions de travail y retourne «
comme avant » ? Plus autonome, plus conquérant,
plus inventif aussi, plus débrouille : ces générations
de travailleurs-entrepreneurs sont ultimement plus
libres : on a moins peur de perdre son job quand on
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8. a été capable de créer le sien à partir de rien.
Reste à inventer les régulations et les cadres
protecteurs pour empêcher le scénario d’une
indépendance prédatrice, rendre ce mode de
travail accessible à tous ceux qui le souhaitent, peu
importent leur métier ou leur niveau de diplôme, et
permettre cette fluidité de passage d’un statut à
l’autre de manière choisie.
Enfin, moi qui ai fait de travailler sur la force des
lieux mon métier, je me demande quels seront les
lieux de ces nouvelles communautés de travailleurs
libres ? Il en faudra, des lieux de rencontre, des lieux
de vie, des lieux de création partagée. Débarrassés
des oripeaux corporate et du systématisme du
siège social forteresse, je les imagine s’ouvrant
sur l’extérieur, faisant corps avec leur quartier
et accueillant le monde du non-travail : enfants,
retraités, activités bénévoles. Grâce à eux, les
frontières du travail se floutent pour embrasser d’un
même geste ce qui rémunère matériellement et ce
qui élève spirituellement.
Il existe quelques (tiers)-lieux bien cachés qui
laissent entrevoir que ce futur peut éclore.
Allez-y : ils sont radieux.
1- Comme le rappelle Alain Supiot à l’occasion de la sortie de son ouvrage
consacré au travail du 21e
siècle et publié pour le centenaire de l’OIT, la
subordination à l’origine du salariat trouve sa racine juridique dans le droit
romain en filiation directe avec l’esclavage...26