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1
Laure Chauvet, Master 2 Marketing, IAE de Rouen
La curiosité appliquée au
marketing du cinéma
Figure 1 Poussée par sa curiosité, Lucy Pevensie découvre le monde de Narnia (Le Monde de Narnia :
Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique, 2005, Andrew Adamson)
3
Sommaire
I. INTRODUCTION
II. MARKETING CULTUREL : ORGUEIL ET PREJUGES
1. LE GRAND MECHANT MARKETING
A. Marketing vu par les consommateurs : harcèlement et mensonges
B. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité
2. MARKETING/CULTURE : UN COUPLE COMPLEMENTAIREE GRAND MECHANT MARKETING
C. La culture a besoin du marketing
D. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité
III. LA CURIOSITE ET L’ENVIE DE VOIR
1. LA CURIOSITE
A. La curiosité : un défaut mortel
B. La curiosité : une qualité intellectuelle
C. La pulsion de savoir chez l’enfant
2. LE CINEMA ET L’ENVIE DE VOIR
D. Le spectateur voyeur
E. Les trois types de curiosité
IV. LE MARKETING EXPERIENTIEL
1. LES CAMPAGNES DE COMMUNICATION : LA PROMESSE D’UNE EXPERIENCE
A. La bande annonce : présenter une ambiance
B. L’évènementiel : premiers pas vers le marketing expérientiel
2. LES BESOINS DES SPECTATEURS
C. Etude de cas n°1 : le marketing tribal et les séances Panic X Chroma
D. Etude de cas n°2 : les techniques immersives dans les salles de cinéma
E. Etude de cas n°3 : les techniques immersives hors salles de cinéma
F. Etude de cas n°4 : les salles tout confort
G. Etude qualitative
3. RECOMMANDATIONS
V. CONCLUSION
4
I. INTRODUCTION
Malgré plusieurs succès notables comme les films Le grand Bain et Bohemian Rhapsody qui
ont attiré chacun plus de 4 millions de français et qui sont restés exceptionnellement longtemps
à l’affiche, en France, le cinéma a perdu des spectateurs en 2018. Le Centre National du Cinéma
a, en effet, publié un bilan de fréquentation du cinéma sur l’année 2018 en baisse : les salles de
cinéma françaises ont observé un recul de la fréquentation de 4,3% par rapport à 2017. A
l’inverse, le nombre d’abonnés aux plateformes de services vidéo à la demande (La SVOD) ne
cesse d’augmenter. Le 13 février 2019, le leader de la SVOD Netflix, annonce dépasser
officiellement la barre des cinq millions d’abonnés en France1
et selon l’étude Global SVOD
de Médiamétrie, 5,5 millions de Français utilisent chaque jour un service de SVOD, soit 9% de
la population2
. Si certaines études ont démontré une certaine complémentarité entre la SVOD
et le cinéma et que Phil Contrino, le directeur Média et Recherche au sein de la « National
Association of Theatre Owners » a notamment commenté ces études en déclarant « Le message
à retenir, c'est qu'il n'y a pas de guerre entre le streaming et la salle : les gens qui adorent les
contenus les regardent sur toutes les plateformes et celles-ci ont toute leur place dans l'esprit
des consommateurs »3
, le succès de la SVOD inquiète la majorité des professionnels du cinéma.
En effet, lors de la cérémonie des Oscars en février 2019, Steven Spielberg a affirmé son
opposition à la présence aux Oscars des films diffusés sur la plateforme Netflix4
et plus
récemment lors de l’ouverture du Festival de Cannes, Edouard Baer, en tant que présentateur,
a fait une déclaration d’amour à la salle de cinéma et un discours contre Netflix5
. Sans rentrer
dans ce débat, à savoir si la SVOD représente un réel danger ou non pour la fréquentation des
salles cinéma, il est clair qu’elle pose un problème au niveau de la création de valeur.
En effet, en marketing, la création de valeur est centrale puisque selon la définition de
l’Association Française de Marketing, le rôle du marketing consiste à augmenter la valeur
perçue d’un produit ou d’un service6
. La valeur perçue est la perception par les clients des
bénéfices obtenus par rapports aux coûts. Les abonnés Netflix payent seulement une dizaine
1
http://www.lefigaro.fr/medias/2019/02/13/20004-20190213ARTFIG00119-netflix-depasse-la-barre-des-5-
millions-d-abonnes-en-france.php
2
https://www.mediametrie.fr/fr/global-svod-1
3
https://www.lepoint.fr/pop-culture/cinema/non-netflix-n-est-pas-l-ennemi-du-cinema-enfin-pas-tant-que-ca-
20-12-2018-2280998_2923.php
4
http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18679482.html
5
https://www.youtube.com/watch?v=6HMgJzsSd1o
6
https://lehub.laposte.fr/dossiers/connaissez-vous-nouvelle-definition-marketing
5
d’euros par mois et ont accès à tout un catalogue de films. Pourquoi le spectateur payerait
quasiment le même prix pour voir seulement un film ? C’est ce que beaucoup d’internautes ont
répondu en réaction au discours d’Edouard Baer et l’un des commentaires Tweeter des
internautes soulève un point important :
« Je suis d’accord avec Edouard Baer pour ce qui est de ma vision du cinéma, mais en même temps Netflix reste
quand même une très bonne alternative, les gens ont raison d’en profiter. Si les gens vont moins en salle c’est
aussi à cause du cinéma lui-même. » (Annexe 1)
Avant Netflix, les internautes avaient l’habitude de regarder des films illégalement, en
streaming de mauvaise qualité sur des sites douteux et cela ne semblait pas les déranger tant
qu’ils ne payaient pas. Les plateformes de SVOD comme Netflix ont réussi à démontrer que les
spectateurs étaient prêts à payer lorsqu’on leur proposait de voir des films de bonne qualité et
lorsqu’on rendait le visionnage en streaming plus simple. Netflix permet aux internautes de ne
pas avoir de publicités avant le film et leur permet également de ne pas avoir de virus. De plus
l’algorithme de Netflix se base sur les films visionnés par l’abonné pour lui proposer des
contenus qui devraient lui plaire. Netflix facilite donc la vie des internautes et la plateforme a
réussi à créer de la valeur perçue puisque les internautes payent pour avoir accès au service. Il
faudrait faire la même chose avec le cinéma, il faut augmenter la valeur perçue dans le fait de
voir un film au cinéma plutôt que chez soi.
C’est au cinéma de changer et de faire en sorte de créer de la valeur. Pour cela, nous
pouvons chercher à répondre au besoin d’évasion des consommateurs. Depuis bien longtemps
l’Homme moderne cherche à s’évader de son quotidien et c’est ce sur quoi Laurent Vonach
travaillait déjà en 2001 lorsqu’il publie un article sur « Les industries de l'évasion »7
. Le concept
d’évasion implique une idée de libération, et dans le sens commun lorsque l’on parle d’évasion,
nous pensons à une échappatoire pour se sauver d’une prison (Laurent Vonach, 2001, pp. 41-
44). L’évasion peut tout aussi bien être mentale que physique. En prison justement, les
bénévoles de l’association « lire pour en sortir », proposent un catalogue de livres à des détenus
pour que ceux-ci puissent s’évader mentalement.8
L’article « Les Années folles : un besoin
d'évasion »9
suggère que les consommateurs ont tendance à s’échapper de leur quotidien grâce
à la consommation. Il est évidemment possible de s’évader via internet mais aujourd’hui on
7
Vonach Laurent. Avant-propos. In: Quaderni, n°44, Printemps 2001. Les industries de l'évasion. pp. 41-44.
8
https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/lire-pour-s-evader-mentalement
9
« Les Années folles : un besoin d'évasion », Alternatives Économiques, 2006/7 (n°249), p. 56-56. URL :
https://www.cairn.info/magazine-alternatives-economiques-2006-7-page-56.htm
6
assiste à un véritable engouement pour les magasins qui sont favorisent l’imagination et qui
innovent en proposant au consommateur de s’évader au beau milieu des centres commerciaux.
On assiste à un retour des magasins physiques. Les entreprises essayent toutes de passer au
phygital10
c’est-à-dire d’allier le digital à leur magasin physique afin d’améliorer l’expérience
client. On pense notamment au succès des magasins comme Nature et découverte qui proposent
au consommateur une ambiance zen et apaisante ou encore à l’enseigne de magasins BUT qui
avait organisé en 2018 un Escape Game11
. Aujourd’hui, les consommateurs ont besoin de
s’évader et le succès des Escape Game en témoigne. Une jeune adapte de ces jeux a déclaré que
ces jeux lui permettaient de fuir une vie stressante « les études, le travail, la vie stressante de
Hong Kong". "On doit passer beaucoup de temps à étudier et travailler. Alors aujourd'hui, c'est
l'occasion de faire quelque chose de différent, un défi excitant »12
L’évasion reste beaucoup
plus marquante et appréciable lorsqu’elle est réelle. Le besoin d’évasion est donc l’une des
principales raisons amenant le spectateur à aller au cinéma. Pierre de Gardebosc,
programmateur et distributeur de films13
, déclare que « les gens ont besoin de s’évader,
d’oublier le quotidien » et qu’en période de crise, le cinéma va apparaître comme un bon moyen
d’évasion.
Plus qu’un besoin d’évasion, le consommateur est à la recherche d’expériences
sensibles (Maffesoli, 1990). D’après Antonella Carù et Bernard Cova, c’est donc le marketing
expérientiel qui va permettre de répondre à ce besoin d’expérience en réenchantant le quotidien
du consommateur14
. Au cours de mon voyage à Barcelone, j’ai pu voir beaucoup de personnes
heureuses de faire leur shopping parce que les magasins ressemblaient à des parcs d’attraction.
Par exemple, chez Sephora, les consommateurs avaient le choix entre prendre un escalier ou
passer par un toboggan géant. Au cinéma, le spectateur pourra s’évader et satisfaire son besoin
d’expérience grâce à l’immersion cinématographique car « l’Homme désire enchanter et
enrichir sa vie grâce à la multiplication d’expériences qu’il vivra à la fois émotionnellement et
rationnellement » (Firat & Dholakia, 1998). Aujourd’hui l’expérience au cinéma doit être
encore plus immersive puisque le spectateur a accès à des écrans de plus en plus larges et à du
10
https://www.ledigitalab.com/studio/le-phygital-la-nouvelle-ere-du-magasin/
11
http://magazine.reunir.com/lescape-game-by-but/
12
https://www.nouvelobs.com/societe/20130220.AFP4273/les-jeunes-hongkongais-jouent-a-s-evader-
virtuellement-d-une-vie-
stressante.html?fbclid=IwAR07aYjO3wrplbvHS_tA1EVCHjjE0gJ_nl_v10nVZFcU1I2U3IdFT4ewq8k
13
https://www.ledauphine.com/societe/2012/01/27/les-gens-ont-besoin-de-s-evader-d-oublier-le-quotidien
14
Carù Antonella, Cova Bernard, « Expériences de consommation et marketing expérientiel », Revue française
de gestion, 2006/3 (no 162), p. 99-113. DOI : 10.3166/rfg.162.99-115. URL : https://www.cairn.info/revue-
francaise-de-gestion-2006-3-page-99.htm
7
matériel cinématographique de plus en plus performant. Holbrook et Hirschman (1982)
évoquent aussi dans la recherche d’expériences immersives, le désir de fuite de la réalité que
l’on évoqué plus tôt. Selon le bilan annuel sur l’année cinéma 2018 de Médiamétrie15
, on
apprend qu’entre la télévision, le cinéma et la SVOD, c’est le cinéma qui est majoritairement
associé à « l’émotion » (76%), « au plaisir de parler de ce qu’on a vu après » (66%) et à
« l’immersion » (64%). Ces trois éléments font partis du marketing expérientiel et peuvent donc
être des pistes d’amélioration pour les salles de cinéma.
Faire vivre une expérience unique aux spectateurs, c’est l’idée révolutionnaire et à
priori paradoxale que Netflix a eue. En 2015, le leader de la SVOD créé le Netflix Fest. Le
festival consistait en la projection gratuite de séries et films issus de son catalogue dans des
lieux insolites. 6000 spectateurs ont pu regarder des séries ou films cultes comme Avengers ou
Friends avec un décor original et une mise en scène en rapport avec l’œuvre audiovisuelle
diffusée. L’opération est un réel succès et met en évidence la forte demande des spectateurs
concernant l’immersion et l’originalité. Les 6.000 places disponibles, se sont envolées en
quelques minutes et on peut donc en déduire que les spectateurs sont motivés quand on attise
leur curiosité : le site du cosmopolitan souligne que ce qui était le plus excitant dans
l’expérience, c’était le fait de ne pas savoir dans quel lieu atypique le film ou la série serait
diffusée16
.
Il est important de noter que le Netflix Fest était un festival gratuit, ce qui a permis
d’attirer le public pour ensuite lui proposer de payer pour le service proposé. Le public a besoin
d’évasion mais comme nous le verrons dans ce mémoire, les consommateurs sont fatigués de
la publicité qu’ils trouvent envahissante et surtout nous verrons que l’image du marketing est
de plus en plus négative auprès des consommateurs. Pour attirer l’attention du consommateur
et le faire venir au cinéma, il va donc falloir se faire entendre, il faut que les campagnes de
promotion des films soient innovantes et créatives et surtout, qu’elles attisent la curiosité du
consommateur.
Face à cette curiosité liée au besoin d’expérience du spectateur que nous avons pu
observer notamment avec le succès du festival Netflix, ce mémoire se propose de répondre à la
problématique « En quoi mobiliser la curiosité du spectateur et son besoin d’expérience
l’inciterait à aller voir un film au cinéma » ?
15
https://www.mediametrie.fr/fr/lannee-cinema-2018-spectateur-et-cinema-une-histoire-renouvelee
16
https://www.cosmopolitan.fr/,4-raisons-de-ne-pas-louper-le-netflix-fest,1924879.asp
8
Dans notre première partie nous nous concentrerons tout d’abord sur le rejet du
marketing par les consommateurs, renforcé par la critique de celui-ci via les différents produits
culturels et nous proposerons alors une alternative avec notamment les campagnes créatives et
artistiques qui permettent de redorer l’image du marketing tout en répondant au besoin
d’expérience du consommateur, attisant sa curiosité. Dans une deuxième partie, nous
aborderons le concept de curiosité et son lien avec le besoin d’expérience du spectateur de
cinéma. Enfin dans une troisième et dernière partie nous verrons en quoi le marketing
expérientiel appliqué au cinéma constituerait une réelle plus-value pour le spectateur et
contribuerait ainsi à créer de la valeur dans le fait de voir un film au cinéma plutôt que chez soi.
Nous conclurons ce mémoire par des recommandations qui s’appuieront sur toutes nos
recherches et sur les résultats d’un entretien qualitatif de huit personnes concernant leur freins
et leurs motivations à la venue au cinéma.
9
II. MARKETING CULTUREL : ORGUEIL ET PREJUGES
1. LE GRAND MECHANT MARKETING
A. Marketing vu par les consommateurs : harcèlement et mensonges
Le domaine culturel a du mal à accepter de faire équipe avec le domaine du marketing.
L’une des raisons principales serait que les consommateurs ont développé une certaine haine
envers le marketing (J-M Lehu, 2011). Tout le monde et, en particulier les consommateurs,
détesterait le marketing. Celui-ci souffre en effet d’une image très négative : on constate
aujourd’hui que les termes « marketing » ou « publicité » sont presque toujours associés à des
notions péjoratives. Emmanuelle Le Nagard, ancienne présidente de l’Association Française de
Marketing explique qu’aujourd’hui « le marketing est soit assimilé à de la manipulation, soit il
est considéré comme du vide, du pipeau. »17
Les critiques qui pèsent sur le marketing sont très
fortes aujourd’hui parce qu’elles ne datent pas d’hier (E.Arnould, 2007). Stidsen et Schutte,
publiaient en 1972 « Marketing as a Communication System : The Marketing Concept
Revisited », un livre qui rend compte de la perception très négative du marketing et dans lequel
les auteurs recommandent vivement une nouvelle approche de celui-ci. Donc il y a déjà presque
cinquante ans que le marketing est déprécié. Mais pourquoi le marketing est-il aussi peu
apprécié ? D’abord parce que même si le marketing est une science qui évolue et qui a subi des
transformations, les consommateurs ont toujours la vision du marketing traditionnel. Le
marketing est encore perçu comme un moyen pour une entreprise de faire de l’argent tout en
vendant des produits à usage essentiellement matériel comme les voitures automobiles alors
même que le concept de marketing concerne aujourd’hui les institutions à but non lucratif (J-
M Tobelem, 1992, pp. 49-70) et les entreprises culturelles comme le cinéma, sujet de notre
mémoire. De plus, comme l’explique J-M Tobelem en 1992, le marketing a évolué en plaçant
le bien-être du consommateur au centre de ses réflexions et non plus le bien-être de l’entreprise.
Et donc, malgré cette réalité, l’évolution du marketing est niée par le consommateur. Pour le
consommateur actuel, le marketing est toujours défini par un mot de « Trois syllabes qui
évoquent des vendeurs de voiture d’occasion, des procédés publicitaires suspects et des moyens
retors visant à pousser à la consommation » (Fronville, 1985, P.109). D’après cette citation, le
marketing est donc, non seulement, réduit à une fonction de simple outil d’aide à la vente de
produits, tout sauf spirituels, mais en plus, il semble prêt à tout pour vendre, quitte à utiliser des
17
https://www.afm-marketing.org/fr/content/la-d%C3%A9finition-du-marketing
10
moyens détournés pour arriver à ses fins. Cette citation fait donc ressortir trois critiques et elle
date de 1985. Quatre années plus tard, Christian Michel réalise une étude qui mêle
anthropologie et marketing et s’évertue à évacuer les clichés présentant le marketeur comme un
« grand manipulateur » du public. Les consommateurs perçoivent les marketeurs comme des
manipulateurs parce qu’ils rusent et pensent à des stratégies pour obtenir ce qu’ils veulent.
Ainsi, toutes les paroles, tous les actes des marketeurs deviennent calculés, réfléchis pour
conquérir le cœur du consommateur et donc tout paraît superficiel et faux chez le marketeur.
En 1997, le marketing est résolument devenu « corrompu » et « immoral » aux yeux des
consommateurs (F. McLean, 1997, pp. 15-37).
On peut en déduire que, non seulement, la mauvaise image du marketing n’évolue pas mais,
qu’au contraire, elle se dégrade avec le temps. Alors comment se fait-il que les consommateurs
aient un avis de plus en plus négatif concernant le marketing ? Tout simplement parce que les
idées reçues et les confusions à propos du marketing sont entretenus par les incendiaires de
celui-ci et la liste de ces incendiaires est très longue (J-M Lehu, 2011). Toujours d’après Jean-
Marc Lehu, on retrouve notamment dans cette longue liste, les médias. En effet, les médias
participent beaucoup à la propagation d’une mauvaise image du marketing : par exemple, sur
le site de la chaine de télévision LCI, à propos d’une crème anti-ride, on peut lire « Il ne s’agit
pas d’un attrape-nigaud marketing ». On se doute que le lecteur de l’article associera alors le
marketing a un mensonge, un piège. Dernièrement, j’ai pu voir lors du 20h sur TF1, un
reportage intitulé « Réalité ou marketing ? », là encore le marketing est encore plus perçu
comme un mensonge puisqu’il est présenté comme opposé à la réalité. Jean-Marc Lehu
explique que les médias se servent même parfois de la diabolisation du marketing pour imaginer
des titres aguicheurs comme l’a fait un quotidien belge « la tolérance zéro c’est du marketing !
», titre qui mélange du marketing à de la politique et donc qui est utilisé ici juste pour dire que
la tolérance zéro en Belgique est un mensonge. Donc, tout en le critiquant gratuitement, ils font,
là, eux aussi du marketing, puisque le titre de l’article donne envie de lire. Le marketing devient
alors un véritable bouc émissaire qui endosse toute la responsabilité des maux de la société et,
pire, qui en devient la principale cause. La haine du marketing s’explique donc par le fait que
les consommateurs ne croient plus aux « mensonges » du marketing mais aussi parce qu’ils se
sentent sans cesse harcelés par la publicité. Parmi les nombreux maux dont le marketing est
tenu pour responsable on retrouve l’invasion culturelle avec l’omniprésence de la publicité
(Pierre Volle, 2013, p.10-12). En février 2018, France Culture nous alerte concernant la
prolifération de publicités de plus en plus intrusives en publiant plusieurs chiffres : « Chaque
11
jour, nos yeux voient, en moyenne, 1 200 messages publicitaires. Dans la rue, sur la route ou à
la maison, la publicité est de plus en plus présente dans notre vie » 18
. Les consommateurs se
sentent donc tout logiquement harcelés par la publicité et traqués en permanence et toutes les
pratiques jugées abusives comme le démarchage téléphonique contribuent au rejet du marketing
par les consommateurs. En témoigne l’augmentation du nombre d’inscrits sur des listes
d’opposition à la publicité comme les bloqueurs internet Adblock et Bloctel pour le téléphone.
De même, les consommateurs sont nombreux à coller la vignette « pas de publicité » sur leur
boite aux lettres. Les associations de consommateurs font partie de la liste des incendiaires du
Marketing (J-M Lehu, 2011). Elles sont les porte-paroles du mécontentement des
consommateurs vis-à-vis de la publicité et n’hésitent pas à affirmer leur aversion pour le
marketing par des mouvements anti-publicités :
1. Les actions anti-pubs se multiplient dans toute la France et plus particulièrement à Paris,
que ce soit dans le métro ou dans les rues, on ne compte plus le nombre de tags dirigés
contre les publicités. Pour Khaled Gaiji, le président de l’association Résistance à
l’Agression Publicitaire (RAP), les mouvement antipublicités ne luttent pas contre la
publicité en soi mais contre « l’agression publicitaire ».19
Il déclare également qu’ils sont là
pour revendiquer le droit à « la liberté de réception »20
et que les consommateurs devraient
avoir le choix de recevoir ou non un message publicitaire.
Figure 2 Bannière du site www.antipub.org
18
https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/les-techniques-publicitaires-sont-beaucoup-plus-agressives-et-
intrusives-quauparavant
19
Propos recueillis par le journal Le figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/03/25/01016-
20170325ARTFIG00003-qui-sont-les-acteurs-du-mouvement-antipub-en-france.php, page consultée le
03/05/2019
20
D’après Khaled Gaiji : « la liberté de réception est l’envers de la liberté d’expression »
12
Si Khaled Gaiji déclare lutter principalement contre l’invasion
publicitaire et non contre la publicité en elle-même, certaines actions
de la RAP en France affirment pourtant que la publicité est
manipulatrice : dans le département de la Loire, des slogans « La pub
te manipule » ont été affichés par des membres de la RAP à Saint-
Etienne. La critique est donc directement dirigée contre la publicité et
non contre l’invasion publicitaire.
D’une manière générale, les comités antipublicitaires dénoncent une publicité manipulatrice,
mensongère. Des vignettes, reprenant cette idée, ont été créées et collées partout à Paris.
Figure 3 Détournement de la célèbre affiche du lapin du métro parisien (Affiche originale à gauche)
Le 25 mars 2019, la RAP a lancé l’observatoire de
la publicité sexiste. Il s’agit d’analyser et de
recenser toutes les publicités à caractère sexiste
sous n’importe quel format. Ceci nous amène à la
deuxième grande critique de la publicité : sa
superficialité
Figure 4 Affiche taguée datant de 2004. Les femmes
sont jugées trop belles et donc pas représentatives
de la réalité
13
2. Les mouvements « no make-up » et « no filtrer »
Aujourd’hui, les publicités qui présentent des femmes dépourvues de maquillage ou avec des
rondeurs sont à la mode. Ceci s’explique notamment par la quête d’authenticité du
consommateur (V.Cova, B. Cova, 2002, p.33-42) : les consommateurs sont des consommateurs
acteurs, à la recherche de sens. D’après V.Cova et B.Cova, lorsque le consommateur achète un
produit « bio », c’est une manière de montrer son envie d’un monde plus naturel et plus
authentique. Cette théorie est confirmée puisqu’en 2011, les résultats de l’enquête menée par
deux étudiants de Grenoble Ecole de Management, dans le cadre de leur mémoire «Le
consommateur face au naturel: représentations explicites et implicites de l’aspect naturel d’un
produit laitier »21
, ont démontré que les consommateurs associaient au concept du bio les
mots ; authentique, pur, sain. Aujourd’hui, les consommateurs vont plus loin dans cette
recherche de sincérité et de naturel : un retour au naturel, notamment avec les deux mouvements
« no make-up » et « no filtrer » très présents sur les réseaux sociaux. Georges Vigarello,
historien et sociologue du corps, explique que cet hashtag #no make-up a un but écologique et
globalement anti-marketing :
• Sensibilité pour l’écologie : ne pas polluer la planète avec des produits toxiques. Les
cosmétiques contiennent souvent des substances indésirables pour l’environnement.
C’est le cas par exemple des microbilles contenues dans les gels douches, dentifrices et
gommages pour le corps, qui polluent les océans. Les paillettes ; des micro-particules
de plastique, se retrouvent, quant à elles, ingérées par les poissons et mammifères
marins. Les marques de cosmétiques innovent et proposent donc des produits bio mais
le maquillage qui représentait déjà un investissement coûte plus cher avec la mention
bio et donc beaucoup de personnes continuent à boycotter le maquillage. Mis à part
l’économie financière et le gain de temps, ce boycott du maquillage est aussi dû à la
volonté d’affirmer son rejet du marketing
• L’acte militant anti-marketing : pour Georges Vigarello le no make-up est également
une manière de montrer le refus d’être la cible marketing des grandes marques qui
laissent penser qu’une belle peau ne l’est que si elle est maquillée 22
. En 2016, la
21
https://www.afm-
marketing.org/en/system/files/publications/20120307205738_S02_P2_CALLEGARI_CAPY_CUNY.pdf
22
http://madame.lefigaro.fr/beaute/no-make-up-tendance-durable-ou-effet-de-mode-230816-
115944?fbclid=IwAR3m8fpBAVbubFDjSCJoWBLVSmxR6K53zJMBO0bbMyBhSQQP1_fwS5GIh04
14
chanteuse Alicia Keys a décidé d’arrêter de se maquiller. Dans un message de la
newsletter féministe de Lena Dunham, elle s’explique :
« Avant de travailler sur mon nouvel album, j'ai écrit une liste de toutes les
choses dont je suis fatiguée. Et l'une d'elles, c'était de voir à quel point les
femmes subissent un lavage de cerveau pour leur donner l'impression qu'elles
doivent être minces, sexy, désirables ou parfaites."23
Depuis 2016, l’actrice s’est toujours présentée sans maquillage et cette même année
2016, son nouvel album dévoilait la chanson « Girl Can’t Be Herself », un véritable
hymne au mouvement no make-up pour lutter contre les diktats sur la beauté d’une
femme.
Aujourd’hui, l’hashtag « no make-up » a toujours autant de succès auprès des
utilisatrices Instagram :
Figure 5 : Ces trois photos Instagram sont les trois premiers résultats qui m'ont été proposés lorsque j'ai recherché l'hashtag
"no make-up" sur l’application le 06/05/2019
Le mouvement « no filtrer » vient renforcer cette idée d’une beauté au naturel, sans artifice.
Aujourd’hui, les consommateurs ne veulent pas une image idéalisée, ils veulent du vrai, du réel.
La beauté doit être sans filtre et les utilisateurs d’Instagram et les influenceurs le revendiquent
en publiant des photos de paysages avec l’hashtag « no filtrer ». Le « no-filtrer » devient
complémentaire au « no make-up » et les utilisateurs d’instagram posent devant des paysages
sans filtre ce qui veut dire ici sans retouche, sans artifice et donc devant une beauté authentique.
23
https://www.cosmopolitan.fr/,alicia-keys-arrete-de-se-maquiller-pour-la-plus-belle-raison-qui-
soit,1965361.asp
15
Le mot authentique est un des mots importants dans ce mémoire puisque, bien qu’il soit perçu
comme opposé au marketing dans l’esprit des consommateurs, nous verrons qu’il peut être
intéressant de le prendre en compte dans des campagnes de communication. Sans prendre parti
en affirmant que la haine du marketing est justifiée ou non, il est clair qu’elle est bien réelle :
critiquer le marketing devient presque automatique et l’expression « C’est du marketing ! » qui,
ici, signifie « c’est du vent, le seul but est de pousser à acheter » est utilisée par les
consommateurs mais aussi dans de nombreux domaines comme notamment les médias. Avec
cette idée bien ancrée dans les esprits d’un marketing, manipulateur et superficiel, n’existant
qu’à seul but lucratif, il est logique que les institutions culturelles rejettent totalement le
marketing. Ainsi associer l’art et la culture au marketing est très mal vu par les consommateurs
puisque, comme on l’a vu, ils ne le supportent plus. En témoigne l’exemple ci-dessous :
Figure 7 commentaire posté dans un groupe de Fans de BD sur Facebook
Figure 6 : ces trois photos Instagram sont les trois premiers résultats qui m'ont été proposés lorsque j'ai recherché
l’hashtag "no filtrer" sur l'application le 06/05/2019. La légende de la 3ème photo est importante parce qu’elle met
en évidence l’idée du mouvement « le no filtrer c’est apprécier les choses simples, naturelles
16
Ce commentaire a été posté dans un groupe Facebook « La communauté des bédéastes et
amateurs de bande dessinée » en réponse au post de la start-up « Edmond Art » qui proposait
la commande en ligne de planches de bande-dessinée faites sur mesure par des illustrateurs.
Dans ce commentaire, on voit bien l’opposition entre art et marketing pour les consommateurs :
d’un côté l’art, dans sa générosité désintéressée « la bande dessinée c’est le 9ème
art » et de
l’autre, l’argent « une foutue start up clientéliste qui cherche à vendre ».
B. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité
Comme expliqué dans l’ouvrage Le rejet du marketing par le monde de la culture se fonde
également sur une opposition historique : En 1999 Bourdieu l’avait rappelée, devant le conseil
international du Musée de la Télévision et de la Radio, en expliquant que « Réintroduire le
règne du commercial dans des univers qui ont été construits, peu à peu, contre lui, c’est mettre
en péril les œuvres les plus hautes de l’humanité, l’art, la littérature et même la science »24
.
Beaucoup de films, par exemple, portent un message contre le capitalisme et, plus précisément,
contre le marketing, souvent représenté, là, comme la cause de tous les maux de la société. Si
le marketing vient aider à vendre ces films, leur propos devient moins impactant, moins
authentique aux yeux du public. Le problème vient donc du fait que la culture ne rejette pas
seulement le marketing, mais qu’elle en est également son principal détracteur et incendiaire.
En effet, nous allons étudier plusieurs exemples pour montrer à quel point la culture exploite
les idées reçues et les préjugés attribués au marketing et, plus généralement, au commerce : les
films, livres et musiques sont les premiers à donner le mauvais rôle au marketing
1. « Le marketing crée des besoins » : Foule sentimentale d’Alain Souchon
Les paroles de Foule Sentimentale sont déjà une critique, à part entière, de la publicité : « on
nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir plein les armoires », « On nous inflige
des désirs qui nous affligent » ici, Alain Souchon explique que le marketing se sert de la
candeur des consommateurs et leur vend en apparence le bonheur, le rêve mais en réalité des
produits futiles et inutiles. Cette idée est renforcée par le refrain « foule sentimentale, on a soif
24
Bourgeon-Renault Dominique, Debenedetti Stéphane, Goumbault Anne, Petr Christine,
Marketing de l’Art et de la Culture, Editions Dunod, Septembre 2014, 312 p.
17
d’idéal, attirée par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales » Alain Souchon
insiste sur l’innocence et la naïveté des consommateurs qui ne rêvent que d’amour (Dans le
clip, Alain Souchon coupe la musique pour dire « l’amour » d’un ton rêveur juste après « les
étoiles, les voiles ».
Dans le clip d’Alain Souchon, le marketing est encore plus diabolisé puisqu’on nous présente
le personnage joué par Alain Souchon, qui ne désire que l’amour, qui se fait littéralement
envahir, chez lui, par la publicité. Le présentateur télé, interprété par le journaliste Karl Zéro,
sentant que cette interruption pourrait provoquer un bad buzz puisque le personnage d’Alain
Souchon a une allure effrayante, répète « mais coupez, coupez », ce qui, ici, montre un
marketing mensonger, qui se complait dans le superficiel et qui ne veut surtout pas que le
consommateur voie la réalité si celle-ci n’est pas jugée belle et attirante.
2. « Le marketing nous manipule » : Fight Club de David Fincher, 1999
Dans Fight Club, le personnage, Tyler Durden, joué par Brad Pitt nous parle des images
subliminales. Selon Channouf Ahmed, est considéré comme subliminal tout ce qui concerne
« la présentation en dessous du seuil de perception (visuelle, auditive, proprioceptive etc.)
consciente d'une information, qui, sans que l'individu en ait conscience, peut produire chez lui
une influence au niveau cognitif et comportemental ».25
Tyler Durden nous apprend qu’au
cinéma, notre œil ne peut percevoir que 24 images par seconde. Donc, si l’on insère une image
à la 25ème
seconde, le cerveau du spectateur l’enregistrera mais sans que celui-ci n’en ait
conscience. La scène de Fight Club fait référence à une anecdote de 1957 : James Vicary,
responsable marketing affirmait avoir réussi à booster les ventes de Coca Cola et de Pop-corn
grâce à l’insertion d’images subliminales durant un film projeté au cinéma26
. Plus tard James
Vicary avouera que les résultats de son expérience étaient frauduleux et que les images
subliminales à des fins promotionnelles dans les films sont interdites, mais cette affaire aura
tout de même accentué la méfiance des consommateurs envers le marketing.
3. « Le marketing détruit l’environnement »
En 2015, l’artiste Banksy crée une exposition sous la forme d’un parc avec l’aide de 50 autres
artistes. Ce parc, parodie et critique de Disneyland se nomme « Dismaland ». A travers cette
25
Channouf Ahmed, « L'influence des images subliminales (première partie) : les études expérimentales », dans :
Didier Courbet éd., La télévision et ses influences. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Médias-
Recherches », 2003, p. 35-41. DOI : 10.3917/dbu.courb.2003.01.0035. URL : https://www.cairn.info/la-
television-et-ses-influences--9782804143671-page-35.htm
26
https://sciencetonnante.wordpress.com/2013/06/03/les-images-subliminales-mythe-ou-realite/
18
exposition, Bansky s’attaque directement à l’empire Disney qui a pour slogan « Faire rêver,
c’est un métier ». Derrière le rêve et le divertissement, le parc de Banksy dénonce une triste
réalité et les travers de la société de consommation.
4. « Les marketeurs n’ont aucune morale » : Lord of War
Les marketeurs sont critiqués avant tout pour leur avarice et le marketing est plus généralement
montré du doigt parce qu’il est associé à la cupidité. L’avarice et la cupidité se définissent toutes
deux comme un désir immodéré des richesses ou de l'argent. On utilisera cependant davantage
la notion de « cupidité » que celle de l’avarice, étant donné que, par définition « la cupidité
reste une notion plus large que l'avarice car l’avarice concerne un vice personnel par rapport à
l'usage de l'argent, tandis que la cupidité embrasse, avec celle des individus la soif immodérée
des richesses, qui peut se concrétiser dans des sociétés qui exploitent de toutes sortes de
manières la confiance populaire »27
.
En 2013, Martin Scorsese nous présente son nouveau film le loup de Wall Street. Il met en
scène Léonardo Dicaprio interprétant un personnage manipulateur et avide de pouvoir : Jordan
Belfort. Jordan Belfort est le cliché du leader dominateur et égocentrique. C’est néanmoins un
personnage intéressant à étudier parce qu’il évolue et devient un homme cupide et dans la
27
http://www.lumenc.org/malcupidite.php
19
démesure. Au début du film, c’est un fils de comptable honnête et dès qu’il entre dans le monde
de la finance, on assiste à un véritable changement de personnalité. Ceci met en évidence l’idée
que si l’on travaille dans le monde du commerce, on doit forcément dire adieux à ses principes
et à sa morale.
Dans un contexte différent, c’est aussi ce qu’affirme le personnage principal Yuri, interprété
par Nicolas Cage à la fin du film Lord of War lorsqu’il s’adresse au spectateur : « Vous savez
qui héritera de la Terre ? Les marchands d'armes. Parce que tous les autres sont trop occupés à
s'entretuer. C'est le secret si on veut survivre. Ne jamais faire la guerre. [Pause] Surtout pas
contre soi-même ». La critique du commerce est ici violente car on parle du commerce des
armes et donc l’anti-héros Yuri réprime sa morale et ferme les yeux sur les millions de morts
qu’il cause en vendant des armes.
L’affiche du film (Annexe 2) constitue d’ailleurs une très belle métaphore : elle montre un
homme d’affaires debout sur des balles, ce qui renforce l’idée que le monde du business n’a pas
de limite dès qu’on parle d’argent puisqu’on peut même faire du business sur la mort.
Le produit culturel qui reprend quasiment toutes les critiques adressées au marketing et au
commerce est le livre 99 Francs écrit par Frédéric Beigbeder. Ce livre est un véritable
réquisitoire à l’égard de l’univers de la publicité. La critique est d’autant plus efficace qu’elle
est faite par un ex-publicitaire déçu par ce domaine : Frédéric Beigbeder écrit d’ailleurs au
début de son livre « J’écris ce livre pour me faire virer » et il le sera, ce qui rend son propos
encore plus impactant. Dans le livre, on suit l’histoire d’Octave, un rédacteur publicitaire qui
dépeint avec cynisme sa vie professionnelle au sein d’une agence de publicité. Le film éponyme
adapté du roman se concentre sur le cynisme et le dégoût d’Octave pour la société de
consommation en commençant par le suicide de celui-ci qui énonce une des répliques
marquantes du film juste avant de se jeter dans le vide : « Je suis Publicitaire. Je suis de ceux
qui vous font rêver les choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais
moches, bonheur parfait retouché sur Photoshop… vous croyez que j’embellis le monde ?
perdu, j’le bousille ». Comme tous les autres exemples étudiés plus tôt, 99 Francs critique le
marketing pour ce qu’il fait subir à la société et aux consommateurs en vendant des mensonges
et en faisant croire à un bonheur en fait illusoire et inaccessible. La critique va plus loin parce
que la publicité crée des désirs et détourne les consommateurs des dépenses nécessaires
correspondant à de vrais besoins ou de dons humanitaires : à la fin du film on voit un message
apparaître juste avant le générique « Chaque année, le budget mondial dépensé en publicité
s'élève à 500 milliards de dollars. Une étude de l'ONU estime que pour réduire de moitié la faim
20
dans le monde, 10% de cette somme suffirait ». La publicité, outre sa futilité, serait meurtrière.
Là où 99 Francs est plus intéressant que les autres exemples, c’est qu’en plus de mettre en scène
l’opposition publicité/consommateur, il évoque également le conflit entre les créatifs et les
publicitaires. En effet, Octave est un créatif dans un monde où la rentabilité règne. Le
personnage d’Octave est constamment frustré par le fait qu’il ne peut pas exprimer librement
sa créativité. Ceci nous amène au 5ème
et dernier point : les artistes ont peur du marketing.
5. « L’argent détruit la créativité »
Dans le domaine culturel et plus particulièrement dans les films, il y a une forte tendance au
manichéisme. Le mal ou l’aliénation est représenté par le marketing qui s’oppose au bien c’est-
à-dire à l’art, à la liberté. Les producteurs de disques ou de films sont objets de beaucoup de
clichés souvent repris dans les films et les chansons. Ces clichés sont généralement entretenus
par les artistes qui ne veulent pas du marketing parce qu’ils pensent qu’il met en danger leur
liberté. L’art permet à son auteur de se libérer, de s’exprimer. Comme disait une célèbre citation
d’Einstein « L'imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité alors que
l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l'évolution » 28
(Einstein,
1929). L’imagination est donc par définition sans limite. Or, le marketing est limité par des
contraintes budgétaires et est soumis à la loi de la rentabilité. Ainsi le marketing impose une
limite à un artiste qui forcément est frustré puisqu’il n’est plus du tout libre. Le marketing
devient donc un ennemi pour l’artiste et la critique du marketing est virulente dans les films,
notamment à travers les personnages de producteurs. L’un des clichés les plus répandus est
l’idée que les producteurs ne pensent qu’à l’argent et de ce fait, qu’ils sont absolument
incapables de prendre des risques. Les producteurs, que ce soit dans le domaine musical ou
cinématographique, sont assimilés à des êtres cupides dont l’obsession empêche toute créativité
et originalité. C’est ce qu’on a pu observer récemment dans le film Bohemian Rhapsody sorti
en octobre 2018 et réalisé par Bryan Singer. Dans une scène du film, on voit le producteur qui
refuse d’enregistrer justement la chanson nommée Bohemian Rhapsody parce que celle-ci dure
plus longtemps que la norme (six minutes). Cette scène est intéressante parce qu’elle met bien
en évidence le conflit entre la pureté, l’authenticité de l’artiste qui ici s’oppose au mercantile
marketing incarné par le producteur. Dans cette scène, Freddy Mercury est présenté comme un
artiste qui ne s’intéresse qu’à l’art et à sa musique. Sa musique est pure parce qu’il ne recherche
pas le profit, il est dans l’expérimentation. Le producteur, lui, veut à tout prix que son disque
28
Imagination is more important than knowledge. For knowledge is limited, whereas imagination embraces the
entire world, stimulating progress, giving birth to evolution.
21
se vende et donc refuse toute innovation. D’une manière générale, les films qui mettent en scène
l’histoire d’un artiste, font souvent en sorte de montrer le conflit entre cet artiste et le producteur
de la même manière qu’un héros se bat contre un méchant. Dans A Star Is Born par exemple,
le manager d’Ally Campana (Lady Gaga) est vraiment présenté comme celui qui pervertit le
talent pur d’Ally par « des recettes à succès ». Dans le film, Ally Campana devient peu à peu
une star reconnue mais au détriment de sa personnalité. Son manager en fait un produit formaté
et sa créativité, sa personnalité, tout ce qui fait son identité, est effacé. Son mari Jackson Maine
(Bradley Cooper) assiste, dans l’impuissance, à son renoncement mais Ally est dupe puisque
que son manager lui offre la gloire et le succès. Le manager d’Ally fait vraiment penser au
diable avec lequel Ally aurait passé un contrat : la gloire contre son identité.
Ce conflit entre succès et originalité est vraiment dominant dans le monde culturel et
visuellement les producteurs sont toujours présentés à l’écran comme des hommes d’affaires
avant tout :
Cette image est issue de la série Mad
Men, qui raconte le quotidien de
l’agence publicitaire Sterling Cooper
dans les années 60. Don Draper que
l’on voit ici sur l’image est l’un des
principaux cadres de l’agence et se
révèle être un maître manipulateur.
On ne peut que faire le lien entre cette
image et celle-ci, issue du film The Artist.
On y voit Al zimmer, le producteur de
George Valentin, star du cinéma muet. Sur
l’image, le producteur vient d’annoncer à
George qu’il arrête toute la production de
films muets pour miser sur le cinéma
parlant.
Figure 8 Mad men, Matthew Weiner, 2007
Figure 9 The Artist, Michel Hazanavicius, 2011
22
Durant tout le film The Artist, le producteur n’apparait que pour montrer à quel point il n’est
intéressé que par les business fructueux et il n’hésite pas à se débarrasser de George dès que sa
popularité décline.
Dans le livre de Dominique Bourgeon-Renault, le Marketing de l’art et de la culture, on
comprend que cette opposition entre créativité et succès est essentiellement due à la règle qui
voudrait que, dans le domaine culturel, ce soit l’offre avant la demande alors que la logique du
marketing consisterait à étudier la demande et le marché pour pouvoir ensuite proposer un
produit qui corresponde aux attentes. C’est d’ailleurs justement ce que reproche David Bowie
au marketing dans une interview :
« Le marketing, c’est lorsque l’on sait précisément ce que les gens attendent et qu’on le leur donne : tu
acceptes la tyrannie du grand public, tu t’en fais le complice. Mais lorsque tu empruntes l’avenue qui
part en sens inverse – celle qui reste en périphérie, autour des choses – alors le public a du mal à te
comprendre et à te suivre. Moi, je préfère rester à la périphérie plutôt que d’être une victime de cette
catastrophe qu’est le succès. »29
David Bowie considérait donc le marketing comme un piège et pour lui, les artistes qui
l’utiliseraient choisiraient en fait la voie de la facilité au détriment de l’art. Les artistes qui
utiliseraient le marketing sortiraient donc des disques ou des films conformes aux attentes. Dans
ce cas, aucune créativité ou originalité possible, l’artiste ne cherchant jamais à surprendre le
public. Selon ce raisonnement, un « vrai » artiste ne cherche pas à plaire, il propose quelque
chose sans viser le succès, tout en l’espérant.
Dans A star Is Born, comme dans beaucoup d’autres films, on retrouve le même discours que
tient David Bowie : le succès est une catastrophe pour l’artiste. Même si l’amour véritable et la
relation solide avec son mari artiste l’ont sauvée, Ally a failli perdre son âme à cause de son
attrait pour le succès. Le film Bohemian Rhapsody est intéressant parce qu’il reprend cette idée
d’un producteur qui formate les artistes mais il met en scène également un deuxième cliché
totalement contradictoire : les producteurs, en plus d’imposer leurs limites dues à leur peur
d’innover, se révèlent mauvais et ne comprennent pas vraiment les attentes des consommateurs.
Dans la scène de Bohemian Rhapsody que nous avons évoquée, Freddy Mercury persiste et
décide de rompre son contrat avec son producteur pour lancer son album. La chanson
« Bohemian Rhapsody » est un véritable succès. Ainsi, le producteur a eu tort et le film met
l’accent sur son incompétence due à son dénuement de sens artistique et à son singulier manque
29
Source : Interview de David Bowie (« Le retour du vrai Bowie », Les Inrockuptibles, 20 septembre 1995, n°24).
23
de « flair » en l’occurrence, ici, « d’oreille » en soulignant la peur d’innover du producteur. Le
film donne alors l’impression que tout se passe toujours ainsi et que ce sont toujours les artistes
qui ont raison puisqu’ils sont sincères et savent toucher le public sans calcul. Ainsi, dans le
milieu culturel, certains artistes se laissent gagner par l’orgueil.
2. MARKETING/CULTURE : UN COUPLE COMPLEMENTAIRE
C. La culture a besoin du marketing
Le film The Artist met bien en évidence cet orgueil qui existe dans le monde culturel. Lorsque
le producteur annonce en 1927 qu’il va maintenant tout miser sur le cinéma parlant et donc sur
des acteurs parlants, George Valentin, star du muet, est blessé dans son orgueil. Par fierté, il
décide de produire et de réaliser lui-même son prochain film muet et déclare « C’est moi que
les gens aiment. Et ils n’ont jamais eu besoin de m’entendre. Faîtes vos films parlants, moi je
vais leur faire un beau film ! et pour ça, je n’ai pas besoin de vous. » Finalement, le film de
George est un échec et marque le début de la chute de George. Dans cet exemple, c’est le
producteur qui veut innover et c’est l’artiste qui refuse. Cependant, à la différence de Freddy
Mercury, pour le producteur Al zimmer, l’innovation doit se limiter aux recettes à la mode et
en vogue et donc ce n’est pas véritablement une prise de risques. L’idée à retenir est celle de la
fin du film : George avec l’aide de sa bien-aimée Peppy Miller, convainc le producteur Al
Zimmer de se lancer dans la production de films avec des danseurs de claquettes en lui faisant
une démonstration. Le producteur est enchanté et c’est une « happy-end » pour tout le monde
parce qu’on sait qu’à partir des années 30, les claquettes américaines connaîtront un grand
succès dans les films américains. Il y a donc une possibilité d’entente entre le producteur et
l’artiste. Il faut qu’il y ait un équilibre dans la relation et cet équilibre se fera seulement si
l’artiste accepte de faire des compromis pour que son œuvre se vende et que de l’autre côté, le
producteur accepte de prendre quelques risques en faisant confiance à l’artiste. Dans Walt avant
Mickey, même si ce n’est pas le message du film, cette idée est reprise. Dans une scène Walt
Disney explique à son frère qui travaille dans la finance qu’il a besoin de lui parce qu’il ne sait
vraiment pas comment s’y prendre financièrement et qu’il n’est pas doué pour se fixer des
contraintes budgétaires ou pour vendre ses films. Dans les faits, la culture a besoin du
marketing. D’après la loi de Baumol (1967), le secteur industriel progresse très vite
contrairement au secteur culturel qui progresse lentement à cause de son fonctionnement
structurel. D’après Baumol, le secteur culturel a besoin de financements externes comme le
mécénat. Le marketing et la communication permettent de trouver des mécènes comme nous
24
l’a expliqué en cours, Juliette Démares, chargée des partenariats et du mécénat d'entreprises à
la Métropole Rouen Normandie, qui organise des évènements pour les mécènes de l’Opéra de
Rouen et qui réalise des campagnes de communication mettant en scène ces différents mécènes
(Annexe 3). Le marketing peut donc aider le secteur culturel à trouver des financements.
Résumé de la partie 1 : Vers un marketing culturel et créatif
Si le marketing est banni comme on l’a vu, les campagnes de communication sont, quant à elles,
tolérées lorsqu’elles sont originales. D’après Juliette Démares, le public est même très friand
des campagnes de communication lorsqu’elles sont innovantes et créatives. Ainsi, le mot
« communication » est plus apprécié dans le milieu culturel que le mot « marketing ». Ceci met
en évidence la méconnaissance du marketing étant donné que la communication en fait partie.
La partie communication est même un des principaux éléments de la stratégie marketing.
Pourtant, l’on voit beaucoup plus d’intitulés de masters avec des mots comme « communication
culturelle » ou « management culturel » plutôt que « marketing culturel ». De même sur le site
de recherche d’emplois spécialisés dans la culture ; https://www.profilculture.com/, lorsqu’on
recherche le mot « marketing » dans les mots clés, nous trouvons 80 offres d’emplois qui
utilisent le mot « marketing » et aussi la plupart du temps « communication ». En revanche,
lorsqu’on recherche le mot « communication », 190 offres nous sont proposées et donc 113
offres n’utilisent que le mot communication et pas le mot marketing dans l’intitulé de poste.
La culture et le marketing ont besoin l’un de l’autre et les campagnes de communication
artistiques vont permettre de réconcilier ces deux entités. C’est l’idée d’Alexandre Kson,
exposée dans le livre Art et Communication - Un mariage d'amour et de raison : la culture, l’art
va permettre à la publicité de communiquer avec le spectateur en faisant appel à ses émotions
et ainsi, va attirer son attention. On note que la communication est vraiment mieux appréciée
que le marketing dans le milieu culturel puisqu’ici, elle épouse l’art alors que, comme on l’a
vu, de nombreux auteurs ont travaillé sur l’opposition entre art et marketing. Dans son article
sur le Marketing en ligne, Kévin Mellet retrace l’histoire de la publicité sur internet et met en
avant la publicité créative, intégrant animations et vidéos, qui permettait de mieux capter
l’attention des internautes30
. La publicité est considérée, aujourd’hui, comme une industrie
créative en elle-même. Comme toutes les industries créatives, les agences de publicité vont
chercher à mettre la créativité au cœur de leur stratégie puisque c’est la créativité qui va
30
Mellet Kevin, « Marketing en ligne », Communications, 2011/1 (n° 88), p. 103-111. DOI :
10.3917/commu.088.0103. URL : https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-103.htm
25
constituer l’avantage concurrentiel31
: c’est la publicité, en particulier, qui va communiquer sur
un produit et si la publicité est originale, créative, le produit en lui-même sera différent des
autres aux yeux des consommateurs. Que son but principal soit cognitif, affectif ou conatif, la
communication se doit, avant tout, d’attirer l’attention du public32
. Pour cela, la publicité va
alors avoir recours à tout, et c’est notamment la créativité qui va l’aider à conquérir le cœur des
consommateurs. En effet, même si rien ne prouve encore que la créativité fait acheter, Werner
Reinartz et Peter Saffert affirment que « Rien n’est plus efficace que la créativité en matière de
publicité. Elle reste gravée dans les mémoires et son effet perdure. »33
. Dans leur article
« Publicité et créativité : quand ça passe et quand ça casse », les deux auteurs expliquent que
l’attention des consommateurs est mieux retenue lorsqu’on lui présente des messages
publicitaires créatifs et originaux.
La publicité se doit donc d’être originale et créative afin de susciter l’attention du
consommateur. Car si l’on parle de la vente d’un produit, l’objectif de la publicité va être
d’éveiller l’attention du consommateur afin de la transformer en désir d’acheter. Comme nous
l’avons dit plus tôt dans le mémoire, les consommateurs sont sans cesse harcelés par la publicité
et de ce fait, vont zapper très vite les messages publicitaires. (En moyenne, une personne passe
moins de 5 secondes à lire une annonce34
). En 1889, Théodule Ribot théorise le concept de
l’attention et la divise en deux catégories35
:
1. L’attention naturelle : elle est basée sur des stimuli instinctifs. On attire notre attention
par la peur, par le choc…et globalement par la curiosité.
2. L’attention artificielle : elle relève du choix. Par exemple je choisis de regarder une
vidéo parce qu’un code secret s’y cache.
Dans ce mémoire nous allons plutôt nous baser sur l’attention naturelle et nous intéresser au
concept de curiosité. En effet, plus que l’attention, c’est la curiosité du spectateur qu’il faudra
susciter pour lui donner envie de voir un film. Dans son livre « De la curiosité. L'art de la
séduction marchande », Franck Cochoy, fait un parallèle entre le marketing et le conte de
31
Vincent Anne, Wunderle Marcus, « Les industries créatives », Dossiers du CRISP, 2012/2 (N° 80), p. 11-90.
DOI : 10.3917/dscrisp.080.0011. URL : https://www.cairn.info/revue-dossiers-du-crisp-2012-2-page-11.htm
32
Lee Chang-Hoon, « Le langage est un « lieu » de communication », Sociétés, 2013/3 (n° 121), p. 83-91. DOI :
10.3917/soc.121.0083. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-2013-3-page-83.htm
33
https://www.hbrfrance.fr/content/uploads/2014/07/HBR_Aout-Septembre2014_creativite.pdf
34
http://tpeeconomie.e-monsite.com/pages/ii-les-techniques-publicitaires-utilisees-pour-influencer-le-
consommateur.html
35
Ribot Théodule, Nicolas Serge, Siéroff Éric, Psychologie de l'attention, 2007, Éditions L'Harmattan, Paris, 182
P.
26
Charles Perrault Barbe-Bleue. L’histoire raconte qu’un homme riche, doté d’une barbe bleue
qui lui donnait un aspect repoussant, cherchait à se remarier. Les femmes avaient
malheureusement peur de lui à cause de sa laideur et parce que personne ne savait ce qui était
arrivé à ses anciennes femmes. Finalement un mariage se conclut entre Barbe-Bleue et une de
ses voisines. Un mois après les noces, Barbe-Bleue doit partir en voyage et confie à sa femme
un trousseau de clés ouvrant toutes les portes du château. Dans ce trousseau de clés, il lui interdit
cependant d’utiliser celle qui ouvre le cabinet dans lequel la femme de Barbe-Bleue ne doit
absolument pas pénétrer. Evidemment, la femme de Barbe-bleue enfreint l’interdit, ouvre la
fameuse pièce et découvre avec effroi tous les corps des précédentes épouses qui avaient
désobéi tout comme elle à Barbe-Bleue. D’après Franck Cochoy, Barbe-Bleue éveille la
curiosité de sa femme, en lui parlant, tout d’abord, de toutes les pièces où elle sera libre de se
rendre, puis, en mettant l’accent sur une seule pièce qui lui est interdite, sans lui expliquer
pourquoi et, surtout, en lui donnant quand même accès à cette pièce interdite. Frank Cochoy
compare Barbe-Bleue à un marketeur qui capte la curiosité de l’acheteur (ici la femme) afin de
la pousser à l’acte. Après avoir défini dans une deuxième partie ce qu’est la curiosité, nous
verrons à quel point elle est importante dans le marketing du cinéma
27
III. LA CURIOSITE ET L’ENVIE DE VOIR
1. LA CURIOSITE
A. La curiosité : un défaut mortel
Selon ses définitions, la curiosité est double. Elle est considérée à la fois comme une qualité et
un défaut. Elle se définit en effet comme la « qualité de quelqu’un qui a le désir de connaître,
de savoir » mais aussi comme le « désir indiscret de savoir ». Dans la religion chrétienne, la
curiosité est à l’origine de notre vie de mortel sur Terre et donc à l’origine de tous nos maux.
Selon la bible, Eve et Adam vivaient heureux dans le jardin d’Eden, au Paradis, mais, un jour,
Eve gagnée par la curiosité se demanda ce qu’il y avait au-delà du jardin. Bien que la curiosité
d’Eve ne soit pas malsaine puisqu’elle veut juste comprendre le monde, sa curiosité est
condamnée. Elle rencontrera alors le serpent qui l’incitera à manger le fruit de la connaissance,
fruit interdit, en lui affirmant qu’elle saurait alors la vérité. Eve mangera le fruit défendu et
Adam en fera de même. Leur innocence sera alors bafouée et ils prendront connaissance de la
différence entre le bien et le mal. A cause de cette transgression, Dieu les exclura du Paradis.
D’une manière générale, dans les contes et la mythologie, la curiosité est perçue comme un
défaut plus qu’une qualité qui entraîne, comme on l’a vu, de très lourdes conséquences. Ce
passage de la bible est aussi une des raisons qui peut expliquer la mauvaise image du marketing.
Tout le monde n’est pas chrétien mais certains passages de la bible dont celui du Jardin d’Eden
font partie intégrante de la culture générale et de l’inconscient collectif. Le serpent peut
clairement être assimilé au marketing puisque c’est le serpent de l’envie. Il pousse l’innocente
Eve à commettre une faute. Dans cette histoire, la curiosité des femmes est punie par la mort.
On observe donc bien que la curiosité est en général, perçue comme un vice, avec la mort pour
sanction symbolique pour celui ou celle qui se laisse gagner par elle. Il y a une autre notion
importante introduite dans ces deux histoires : le concept de vérité. Eve et la femme de Barbe-
Bleue sont curieuses de connaître la vérité. Plus précisément, la femme de Barbe-bleue souhaite
savoir les raisons qui font que la pièce lui est interdite et désire connaître ce que son mari cache.
Dans la bible, Eve veut connaître la Vérité du monde.
Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez,
vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.36
36
https://saintebible.com/genesis/3-5.htm
28
Le bonheur au Paradis est ici opposé à la vérité. Donc, pour vivre heureux, l’homme ne doit pas
chercher à savoir la vérité. Ses yeux ne doivent pas s’ouvrir. Dans l’Odyssée d’Homère et plus
récemment dans le film Netflix Bird Box, les héros font face au même danger : l’idée que, si
l’on ouvre les yeux, si l’on regarde, on meurt instantanément. Si dans l’Odyssée d’Homère,
Médusa donne un châtiment mortel aux curieux en les faisant se changer en pierre, Bird Box va
plus loin, en montrant surtout des personnages qui ne supportent pas ce qu’ils voient et se
donnent la mort. Connaître la vérité s’oppose dans ces deux exemples, non plus au bonheur,
mais à la vie elle-même. Ceux qui veulent savoir s’exposent à un danger de mort. Le proverbe
britannique « Curiosity killed the cat » va d’ailleurs dans ce sens. Le chat est un animal connu
pour être très curieux. Ce proverbe est utilisé pour alerter quelqu’un du danger auquel il
s’expose, lorsqu’il pose trop de questions. De la même manière, les contes comme Barbe-Bleue
mettent en gardent l’enfant contre sa propre curiosité. D’ailleurs, lorsqu’on est enfant on nous
répète souvent que « la curiosité est un vilain défaut » et les héros de contes en font souvent la
cruelle expérience.
B. La curiosité : une qualité intellectuelle
Cependant, comme nous explique Clémentine Beauvais, auteure jeunesse et chercheuse en
littérature jeunesse et sociologie, la curiosité semble être condamnée chez les personnages
adultes, mais chez les personnages enfants, au contraire admirée37
. En effet, il est très rare que
les enfants des contes soient punis aussi sévèrement que les adultes. La curiosité des enfants
permet en réalité de raconter l’histoire. Clémentine Beauvais affirme même que sans la curiosité
des protagonistes enfants, nous n’aurions quasiment pas d’histoire en littérature jeunesse. On
le voit par exemple avec le personnage d’Alice dans le roman Alice aux Pays des Merveilles de
Lewis Caroll. Si Alice, poussée par sa curiosité, n’avait pas suivi le lapin blanc il n’y aurait pas
eu d’histoire. Toute l’intrigue d’Alice au pays des merveilles repose sur la curiosité d’Alice
face à un univers qu’elle ne comprend pas et qu’elle désire comprendre. Alice emploiera
d’ailleurs à maintes reprises le mot curieux pour qualifier ce qu’elle voit "Ma parole ! pensa
Alice, j'ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat !... C'est la chose
la plus curieuse que j'aie jamais vue de ma vie !"38
. Pour L. Frank Baum et James M. Barrie, Le
voyage d’Alice au pays des merveilles est interprété comme un passage de l’adolescence à l’âge
37
https://www.actualitte.com/article/ailleurs/un-vilain-defaut-la-curiosite-en-litterature-jeunesse/82042
38
CARROLL Lewis, Alice's Adventures in Wonderland, 1865
29
adulte39
et donc le récit d’Alice est un récit d’apprentissage. C’est cela qui est essentiel et qui
est retenu dans les contes : l’enfant doit être curieux parce que sa curiosité permet
l’apprentissage de la vie. Toujours d’après les propos de Clémentine Beauvais, la curiosité du
protagoniste enfant est perçue comme innocente et est donc encouragée. Ceci est en lien avec
les travaux de Sébastien Deluche, enseignant chercheur en musique, qui a réalisé son mémoire
sur la « curiosité, un besoin fondamental pour apprendre. » Dans ce mémoire, Sébastien
Deluche se propose de trouver des moyens pédagogiques qui permettent de valoriser et de
développer la curiosité. Il met également en évidence l’importance de la curiosité en citant
Einstein « L’important est de ne jamais cesser de s’interroger. La curiosité a sa propre raison
d’exister. On ne peut pas s’empêcher d’être en admiration quand on contemple les mystères de
l’éternité, de la vie, de la merveilleuse structure de la réalité. Il suffit simplement d’essayer de
comprendre un peu de ce mystère chaque jour. Ne perdez jamais votre sainte curiosité. » Cette
citation met en évidence la double signification de la curiosité et le combat entre religion et
science. Elle est en effet définie comme un péché dans la religion chrétienne et au contraire, les
scientifiques comme Einstein parlent de « sainte curiosité ».
La curiosité devient alors une qualité, une façon de s’ouvrir au monde. Pour William Ellison
et Michel Minard, la curiosité est un éveil sur les choses, que l’on soit adulte ou enfant40
(1995).
Être curieux c’est le désir de comprendre comment fonctionne le monde physique, comme
Archimède, ou comprendre le monde métaphysique, philosophique, comme Socrate ou Platon.
Être curieux, ici, c’est donc essentiellement vouloir comprendre le fonctionnement des choses,
ne pas être inculte. Pour Hoffman Christian, « Le chercheur est animé d’un désir de conquêtes
de nouveaux savoirs aux frontières de la connaissance, c’est-à-dire aux bords de ce qui fait
énigme pour nous. Il pousse ce désir jusqu’à l’amour du laboratoire. »41
. Pour commenter cette
soif de vérité, Freud parle de pulsion de savoir42
39
http://tracydarcy.blogspot.com/2013/05/le-passage-de-lenfance-vers-lage-adulte.html
40
Ellison William, Minard Michel, « De la curiosité de la curiosité », dans : Michel Minard éd., De la curiosité en
psychiatrie. Toulouse, ERES, « Questions de psychiatrie », 1995, p. 35-52. DOI :
10.3917/eres.minar.1995.01.0035. URL : https://www.cairn.info/de-la-curiosite-en-psychiatrie--
9782865863303-page-35.htm
41
Hoffman Christian, « Existe-t-il une pulsion de savoir ? », Le Carnet PSY, 2012/5 (N° 163), p. 33-35. DOI :
10.3917/lcp.163.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2012-5-page-33.htm
42
de Mijolla-Mellor Sophie, « L'impact de la scène primitive sur la pulsion de savoir », Revue française de
psychanalyse, 2010/4 (Vol. 74), p. 1007-1019. DOI : 10.3917/rfp.744.1007. URL : https://www.cairn.info/revue-
francaise-de-psychanalyse-2010-4-page-1007.htm
30
C. La pulsion de savoir chez l’enfant
La pulsion de savoir chez l’Homme trouve son origine dans son enfance43
. L’enfant cherche à
comprendre le fonctionnement des choses. Sa curiosité est insatiable et dans son article « D’où
s’origine le désir de savoir chez l’enfant ? », Virginie Jacob fait remarquer que l’enfant ne cesse
de demander « pourquoi » à ses parents. Pour Freud, ce besoin de percer les mystères et les
secrets de l’univers, va se traduire par une curiosité sexuelle car il n’y a pas de plus grand
mystère pour l’enfant que la sexualité dont il est tenu à l’écart par les adultes. Cette curiosité
sexuelle apparaît entre trois et cinq ans et José Garcia Ibañez44
explique qu’elle est très
influencée par le regard. L’enfant deviendrait alors un voyeur dont la curiosité serait satisfaite
par la contemplation des choses. Entre trois et cinq ans, toujours d’après l’article de José Garcia
Ibañez, la curiosité de l’enfant se manifeste par l’observation attentive de la miction et de la
défécation. En effet à cet âge on peut parler de curiosité sexuelle mais l’enfant n’en est pas
encore au stade des questions sur son origine et la procréation. La curiosité est donc nécessaire
à l’enfant pour qu’il puisse comprendre et appréhender la vie mais aussi pour qu’il puisse se
définir en tant qu’individu, que « Je ». C’est le stade du miroir45
que Lacan explique en Juillet
1949, lors du XVIe Congrès international de psychanalyse à Zürich. Dans son texte qui évoque
le stade du miroir, Lacan parle donc de l’identification chez l’enfant : lorsque celui-ci a entre 6
et 18 mois, il se retrouve confronté pour la première fois à sa propre image dans le miroir. Avec
l’aide d’un adulte, il va alors comprendre que cette image est la sienne et va donc se reconnaître
en tant que « Je ». Dès lors, cette révélation va lui permettre de se construire en tant qu’individu.
Le « Je pense donc je suis » du philosophe Descartes devient ici « je me vois, donc je suis ».
Au cinéma, le spectateur va reproduire ce stade du miroir en s’identifiant à une image.
3. LE CINEMA ET L’ENVIE DE VOIR
D. Le spectateur voyeur
Metz (1977) affirme que « l’exercice de cinéma » n’est rendu possible que par le désir de voir :
pulsion scopique, scoptophilie, voyeurisme46
et pour Michel Marie, historien du cinéma, la
43
https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2012/04/references-Virginie_Jacob-ie.pdf
44
Ibañez José Garcia, « La curiosité », dans : Michel Minard éd., De la curiosité en psychiatrie. Toulouse, ERES,
« Questions de psychiatrie », 1995, p. 111-117. DOI : 10.3917/eres.minar.1995.01.0111. URL :
https://www.cairn.info/de-la-curiosite-en-psychiatrie--9782865863303-page-111.htm
45
Jacques Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 93-100.
46
Renucci Franck, « Quand psychanalyse et cinéma mettent en scène la communication », Hermès, La Revue,
2015/1 (n° 71), p. 237-243. URL : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-237.htm
31
cinéphilie est directement décrite comme « le goût pervers du voyeurisme »47
. Le spectateur est
donc décrit comme un voyeur et sa pulsion scopique est satisfaite au cinéma car il peut voir
sans être vu. Ce thème de la pulsion scopique est très chère au réalisateur Hitchcock et elle se
retrouve notamment dans deux de ces films : Psychose et Fenêtre sur cour.
Dans Psychose, la pulsion de savoir est reprise avec le personnage de Norman Bates qui regarde
par un trou dans le mur, une femme en train de se doucher.
Avec cette scène, Hitchcock nous montre la
curiosité sexuelle de Norman. Norman est
attiré par la fille et la regarde se déshabiller, à
son insu. C’est bien la curiosité de Norman qui
le pousse à regarder.
Cette scène de Psychose fait penser à l’exemple de Sartre : le voyeur, honteux d’être surpris en
train de regarder par le trou de la serrure. Pour Jean-Luc Cacciali, ce qui est important pour le
voyeur qui regarde à travers la serrure, c’est le fait de voir quelque chose qu’il ne doit pas voir.
Le voyeur ressent de la honte non pas à cause de ce qu’il regarde mais parce qu’il est surpris en
train de désirer voir48
.
Dans le signifiant Imaginaire, Christian Metz affirme que le cinéma est une transgression, une
répétition de la scène primitive. La scène primitive est, selon Freud, l’observation fantasmée ou
réelle par un enfant d’un rapport sexuel entre les parents. Selon Metz, le cinéma reproduit la
situation de la scène primitive : l’obscurité de la salle rappelle celle de la chambre des parents,
le spectateur assiste à une scène cachée comme s’il regardait à travers un trou de serrure et
enfin, les personnes regardées ne savent pas qu’elles le sont. Le rapprochement entre ces deux
situations est particulièrement évident dans une scène du film Old Boy.
47
http://www.cinefiltours37.fr/index.php/le-journal-de-lassociation/les-anciens-articles/47-fragments-pour-
une-histoire-du-cinema
48
Cacciali Jean-Luc, « Une perversion du regard : le voyeurisme », Journal français de psychiatrie, 2002/2
(no16), p. 33-34. DOI : 10.3917/jfp.016.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-
psychiatrie-2002-2-page-33.htm
32
Dans cette scène, le héros
du film Oh Dae-su,
s’imagine retourner dans
son passé. Il se rappelle
que lorsqu’il était encore
lycéen, il avait surpris un
rapport sexuel incestueux
entre un frère et une sœur.
Au début, Oh Dae-su n’avait pas compris que c’était un rapport incestueux mais sa curiosité l’a
incité à regarder plus longtemps et les personnes regardées se sont rendu compte de sa présence.
En lien avec la première partie, la curiosité est, ici, défaut puisque c’est une curiosité perverse
et Oh Dae-su ne sait pas encore que c’est cet acte de voyeurisme qui le condamnera au malheur.
La curiosité du spectateur le pousse ainsi à un certain voyeurisme et Fenêtre sur cour
d’Hitchcock est une véritable mise en abime du voyeurisme au cinéma.
Sur l’image, on peut voir L. B. Jeffries,
reporter-photographe. Il est obligé de
rester chez lui à cause d’un accident. Sa
curiosité et sa soif d’aventure vont le
pousser à épier son voisinage.
Fenêtre sur cours aborde le voyeurisme du spectateur au cinéma mais aussi sa curiosité et son
désire de percer les secrets de la vie privée des autres.
E. Les trois types de curiosité
D’après Ian Leslie, on peut distinguer trois types de curiosité chez le spectateur (2014). Dans
son livre, The Quest for Knowledge: Curious: The Desire to Know and Why Your Future
Depends on It, Leslie définit ces trois catégories :
33
1. « Diversive curiosity » : c’est la curiosité dont nous avons parlé qui nous anime dès
l’enfance. Cette curiosité est naturelle et innée. C’est celle qui nous donne envie
d’expérimenter de nouvelles choses, ou de découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles
personnes, par exemple. Leslie explique que cette curiosité peut être dangereuse parce
que c’est celle qui nous pousse à expérimenter la drogue par exemple et qui nous donne
envie d’adrénaline.
2. « Epistemic curiosity » : c’est une recherche de savoir et de compréhension du monde.
C’est cette curiosité-là qui anime les scientifiques et qui pousse l’enfant à apprendre.
Leslie nous apprend que cette curiosité demande de l’effort parce qu’elle va plus loin
que la première curiosité qui est naturelle.
3. « Empathic curiosity » : C’est la curiosité par rapport aux autres. On se met à la place
des autres et on se demande ce qu’ils ressentent et pensent. Cette curiosité peut se révéler
très indiscrète.
Ces trois curiosités sont en fait toutes liées entre elles et nous allons voir qu’elles peuvent
chacune se retrouver chez les différents spectateurs.
• « Empathic curiosity » ou la curiosité indiscrète
Le film Fenêtre sur cour nous montre l’ampleur de l’indiscrétion. Quand on parle de
curiosité, on pense en effet directement aux commérages et au fait de se mêler de ce qui ne nous
regarde pas (M. Minard, 1995). La curiosité peut se définir comme on l’a vu plus tôt, comme
le désir de savoir les secrets, les affaires d’autrui. C’est exactement ce que fait L. B. Jeffries en
observant secrètement ses voisins. Aujourd’hui, la curiosité indiscrète est très présente : c’est
notre curiosité indiscrète qui fait que nous utilisons autant Facebook ou encore Instagram. Nous
aimons voir la vie des autres, nous aimons fantasmer sur la vie des autres. En témoigne le succès
de la télé-réalité avec ses programmes vivement critiqués mais toujours à grande audience. Le
cinéma se base sur cette curiosité indiscrète en inventant des histoires entre des personnages et
en donnant au spectateur le moyen d’accéder à la vie privée de ces personnages. On nous donne
même accès à la vie sexuelle inventée de ces personnages. Certains spectateurs ont d’ailleurs
bien du mal à différencier la réalité de la fiction et sont souvent déçus que les acteurs ne soient
pas, par exemple, réellement amoureux dans la vie réelle comme dans la vie fictive, à l’écran.
Cette curiosité peut être parfois malsaine lorsqu’on parle des émissions comme « Enquêtes
criminelles : le magazine des faits divers ». Comme dans une série policière, les spectateurs
suivent l’explication et la résolution du crime mais ce n’est plus une fiction. La chaîne Youtube
34
« NavylittleMonster » présente des histoires sordides de meurtres d’enfants, de viols, de
séquestrations…, et chacune des histoires est commentée et visionnée par des milliers de
personnes. Ces histoires représentent des défouloirs pour certaines personnes qui vont
commenter en insultant le coupable. Au cinéma, le spectateur va pouvoir encore une fois
satisfaire cette curiosité en allant voir par exemple des films d’horreur ou des films violents.
Cette curiosité peut être définie comme malsaine et pourtant elle peut découler d’une curiosité
intellectuelle.
• « Epistemic curiosity » ou la curiosité intellectuelle
Le spectateur peut également faire preuve de curiosité intellectuelle parce que comme on l’a
vu, il désire comprendre le monde et s’ouvrir aux autres. Le cinéma va alors se révéler un bon
moyen d’apprendre des choses tout en se divertissant. A travers un certain type de film, le
spectateur peut s’enrichir de deux façons différentes :
• Enrichir sa culture par le sujet du film : bien que souvent romancé, les films historiques
comme La liste de Schindler ou Amadeus, sont basés sur des faits historiques réels. Les
documentaires permettent également d’étancher la soif de connaissance du spectateur.
• Réfléchir sur les relations et sur la vie : aujourd’hui, beaucoup de films font se poser des
questions aux spectateurs. Le Grand bain est un film qui aborde les thèmes de la
dépression et de l’échec. Le film fait réfléchir quant à notre rapport à la vie et aux autres.
Dans un tout autre registre, le film Infinity War nous présente un villain qui a pour projet
de faire disparaitre la moitié de la population pour résoudre le problème de la
surpopulation. Au contraire des autres Villains qui veulent juste dominer le monde,
Thanos se pose la question de la surpopulation, question qui est posée notamment dans
la série Utopia ou dans Seven Sisters
Le cinéma est alors un bon outil de réflexion et d’apprentissage mais aussi, comme l’affirme
le réalisateur japonais Akira Kurosawa, le cinéma est un art qui rassemble plusieurs autres
arts. « Le cinéma ressemble tellement aux autres arts ; s'il y a des caractéristiques
éminemment littéraires, il y a aussi des caractéristiques théâtrales, un aspect philosophique,
des attributs empruntés à la peinture, à la sculpture, à la musique. » cette pluridisciplinarité
va être une des forces du cinéma parce que les films vont pouvoir se mêler aux autres arts.
Bohemian Rhadopsy et A star is Born sont des films qui ont eu beaucoup de succès en 2018
et qui intègrent, tous les deux, des chansons très appréciées du public. Le fait de mêler
35
plusieurs arts est très apprécié des millenials. En 2018, le Louvre est devenu une marque
« cool »49
parce que Jay-Z et Beyoncé ont loué ce musée pour faire un clip de musique.
Le Louvre proposait ensuite un parcours incluant toutes les œuvres vues dans le clip. Grâce à
cette association entre musique et musée, le Louvre a su attirer les consommateurs en attisant
leur curiosité intellectuelle. En lien avec cette envie de découvrir plusieurs arts, le spectateur
recherche avant tout l’émotion.
• « Diversive curiosity » ou la curiosité émotionnelle
Il ne faut pas oublier que la plupart des spectateurs cherchent avant tout à se divertir en
partageant avec les autres. Selon le box-office 201850
, en France, les spectateurs ont choisi
l’humour avec Les industructibles 2, Les Tuches 3 et La Ch’tite Famille dans le top 3. On en
revient à la chanson d’Alain Souchon dont nous avons parlé au début de ce mémoire, les
spectateurs sont une « foule sentimentale » et selon l’étude AOL, l’émotion est au cœur de
l’efficacité publicitaire. Le spectateur va chercher à ressentir des émotions, que ce soit le rire,
la tristesse ou encore la peur. Il va y avoir deux manières de ressentir des émotions au cinéma :
• Emotion par procuration : A Médiamétrie, lorsque l’on interrogeait les spectateurs qui
avaient vu une bande annonce, à la question « pourquoi avez-vous envie de voir ce film
? », certains répondaient « parce que le film a l’air émouvant » ou « parce que le film a
l’air rempli d’aventures et d’action ».
• La recherche d’émotion par la technique : grâce notamment aux innovations 4DX ou
Imax 3D, on va aller plus loin dans l’immersion.
49
https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/07/23/avec-jay-z-et-beyonce-le-louvre-devient-une-marque-
cool_5335012_3246.html
50
https://fr.wikipedia.org/wiki/Box-office_France_2018
36
Dans ce contexte de crise, les spectateurs et, en particulier, les 18-30 rêvent d’ailleurs. En effet,
selon une enquête d’OpinionWay, 75% des 18-30 ans interrogés rêvent de partir à l’étranger.
Julien Calmand, chargé d’études au Céreq, affirme que « Les jeunes pensent que partir
découvrir un autre pays leur permettra de mieux appréhender les phénomènes internationaux et
finalement de mieux comprendre le monde ».51
On retrouve de nouveau ce besoin de
comprendre le monde, ici associé à une envie d’éprouver des émotions grâce aux voyages. En
2017, selon le journal le Figaro, les français n’auraient jamais autant voyagé : plus de cinq
millions de Français ont voyagé à l'étranger.52
Parmi les principales motivations des français,
on retrouve un profond désir de découverte d’une autre culture et une recherche d’aventures.
On retrouve donc la curiosité intellectuelle mais aussi et surtout la curiosité émotionnelle. Le
cinéma va exploiter les 3 types de curiosité mais surtout les deux premières (l’intellectuelle et
l’émotionnelle).
Résumé de la partie 2 : Donner envie en attisant la curiosité du
spectateur
Depuis le début, depuis la naissance du cinéma, les spectateurs ont toujours été motivés par la
curiosité et l’envie de voir. Le réalisateur français Claude Lelouch affirme même que « le
cinéma est fait pour tous ceux dont la curiosité est le plus grand défaut ». Que la curiosité soit
un défaut ou une qualité n’aura pas d’importance puisque le cinéma permet au spectateur de
voir ce qu’il veut. Si le Beverley, temple du cinéma porno des années 70-80 a définitivement
fermé ses portes en février 2019, beaucoup de films d’aujourd’hui donnent à voir des scènes
érotiques qui n’ont rien à envier aux scènes pornographiques. Si l’envie est un des sept péchés
capitaux, elle est pourtant à la base du marketing du cinéma. Dans le livre Le marketing du
cinéma, Xavier Albert et Jean-François Camilleri rappellent que le marketing du cinéma a deux
missions : créer la notoriété du film et donner envie au spectateur d’aller le découvrir en salle.
L’envie est un des piliers du cinéma, c’est elle qui va faire en sorte que le spectateur préfèrera
voir un film plutôt qu’un autre. Le cinéma utilise le vocabulaire de la séduction : la bande
annonce en anglais se dit « Trailer » mais aussi « Teaser » et en français le verbe « teaser »
signifie aguicher. La bande annonce appelle ainsi à la curiosité du spectateur : la bande annonce
d’un film consiste à en montrer seulement des extraits pour attiser la curiosité du spectateur et
la transformer en envie de voir. De son côté, le spectateur veut qu’on le séduise, il ne veut pas
51
https://www.20minutes.fr/societe/2344803-20181001-sondage-exclusif-pourquoi-trois-quarts-18-30-ans-
revent-partir-etranger
52
En 2017, plus de cinq millions de Français ont voyagé à l'étranger.
37
que la bande annonce en dise trop. Beaucoup de spectateurs refusent de voir les bandes
annonces parce qu’ils trouvent que celles-ci dévoilent tout le film. Le spectateur n’a alors plus
besoin de voir le film puisqu’il n’y a plus rien à découvrir, il n’est plus curieux. Il faut donc
donner envie, oui mais, avant tout, il ne faut pas montrer tous ses atouts. Et c’est là toute la
complexité d’une bande annonce. Pour Emmanuel Durand, vice-président marketing de Warner
Bros. France, la bande annonce doit avant tout jouer sur la curiosité émotionnelle du spectateur
car "son objet n'est pas nécessairement d'exposer l'histoire du film mais d'accrocher les gens sur
des émotions, des sensations qui vont rester dans leur tête"53
. Dans notre première partie, nous
avons vu que les consommateurs rejettent le marketing et la publicité. Le cinéma possède un
avantage parce que d’après une étude récente, les bandes annonces et les actions de
communication qui promeuvent les films ne seraient pas perçues comme de la publicité et donc
ne gêneraient pas la majorité des consommateurs : 75% du panel ne perçoit pas les
communications cinéma comme de la publicité, 82% considérant même qu’il s’agit d’« un
contenu d’informations intéressant »54
Il s’agit donc de profiter de cet avantage en proposant
des communications créatives et qui plongent le consommateur dans l’immersion.
53
https://www.lexpress.fr/culture/cinema/bande-annonce-quand-elle-devient-plus-importante-que-le-
film_1186761.html
54
https://www.cbnews.fr/medias/mediatransports-iligo-etudient-franciliens-au-cinema-41286
38
IV. LE MARKETING EXPERIENTIEL
1. LES CAMPAGNES DE COMMUNICATION : LA PROMESSE
D’UNE EXPERIENCE
A. La bande annonce : présenter une ambiance
Attiser la curiosité du spectateur va notamment passer par les actions de promotion des films.
Cependant, attiser seulement la curiosité du spectateur ne suffit pas, il faut également donner
envie au spectateur de s’immerger dans le film et donc il faut lier cette curiosité au besoin
d’expérience du spectateur. Netflix maîtrise très bien l’art de promouvoir les films en utilisant
la curosité du spectateur. On pense notamment à la bande annonce de la série « 13 reasons
why » qui présente une jeune adolescente qui s’est suicidée et qui raconte pourquoi elle a
commis cet acte à travers des cassettes qu’elle a envoyées à ceux qui l’ont poussée au suicide.
La bande annonce joue vraiment sur le concept de curiosité puisque qu’à la fin de la bande
annonce, la protagoniste s’exprime « Si tu veux savoir la vérité appuie sur play » comme si elle
s’adressait aux spectateur. Ici, c’est seulement la curiosité intellectuelle qui est mobilisée. On
veut savoir ce qui est arrivé à cette adolescente, on veut résoudre le mystère. Pour qu’elle soit
vraiment efficace, la bande annonce doit mobiliser les trois types de curiosité dont nous avons
parlé. La bande annonce doit être le premier pas vers le marketing expérientiel. Celle-ci doit
être construite de façon à rendre compte de l’ambiance du film en seulement une ou deux
minutes. Nous sommes très proches des techniques utilisées en marketing expérientiel parce
que c’est bien l’idée d’immersion qui est retenue ici. On utilise deux sens sur cinq via la bande
annonce : l’ouie et la vue du spectateur sont mobilisées pour donner au spectateur l’impression
d’être dans le film. Le spectateur regardera la bande annonce entièrement si celle-ci arrive à
attiser sa curiosité en lui présentant un univers mystérieux. Plus le côté expérientiel, immersif
de la bande annonce sera mis en avant, plus le spectateur aura alors envie de continuer
l’immersion en allant voir le film au cinéma. Il y a donc un certain savoir-faire et un art dans la
manière de présenter un film. Sur Youtube, la chaine WatchMojo Français établit le top 10 des
bandes annonces bien meilleures que les films. Ces bandes annonces maitrisent très bien l’art
du suspens et ont donné envie d’aller voir un film qui était, soit très mauvais, soit décevant.
Nous allons voir que les bandes annonces les plus appréciées mobilisent principalement la
curiosité émotionnelle du spectateur, mais de deux façons différentes :
39
1. En se focalisant sur la recherche de sensations du spectateur
Lorsqu’il va au cinéma, le spectateur cherche à ressentir des émotions, que ce soit le rire, la
peur, la tristesse, le dégoût… C’est donc la clé d’entrée qui va permettre au monteur de créer la
bande annonce. Son but va donc de transmettre une émotion ou plusieurs émotions. En 2017,
le site sens critque a réalisé un sondage auprès de 241 membres pour faire le top 15 des
meilleures bandes-annonces de films. Dans ce Top 15 on retrouve notamment Interstellar de
Christopher Nolan et H2G2 : le guide du voyageur galactique de Garth Jennings. Si le premier
film est un succès auprès des spectateurs, il n’en reste pas moins que la bande annonce est très
réussie. D’une part, parce que comme le disent les commentaires, elle ne dévoile pas le film,
donc elle respecte la curiosité intellectuelle du spectateur vis-à-vis de l’intrigue et d’autre part,
elle, attise sa curiosité emotionnelle en lui donnant l’impression qu’il sera comme dans l’espace,
s’il va le voir au cinéma. Dans les top commentaires, un internanute s’exclame « ça doit faire
un de ces effets sur grand écran avec les vision de l'espace etc... 0.0 ». Les deux types de
curiosité émotionnelle sont ici exploités, puisque la bande annonce met également en avant la
tristesse du père qui est obligé de partir dans l’espace et d’abandonner sa petite fille. Les images
sont importantes mais également le son puisque c’est la musique qui va permettre au spectateur
de vraiment s’impliquer dans la bande annonce. La bande annonce parodique de The Shining55
met en évidence l’importance de la musique dans une bande annonce. Dans cette parodie, la
musique joyeuse qu’on entend combinée à la fausse voix du narrateur font penser à une comédie
dramatique familiale alors que Shining est un film d’horreur. En réalité, la musique permet à
elle seule de créer une ambiance. Dans la bande annonce d’un film d’horreur, il est clair que si
le spectateur n’a pas le son, il aura beaucoup moins peur et donc il aura beacoup moins envie
d’aller voir le film. La bande annonce de H2G2 : le guide du voyageur galactique utilise aussi
la curiosité émotionnelle mais sous forme d’humour. La bande annonce est en fait un guide
pour faire une bande annonce. C’est ingénieux puisque que le film montre quelques scènes tout
en ne disant rien du scénario et insiste sur le fait que le film est un guide puisque la bande
annonce guide le spectateur pour lui montrer comment se fait une bande-annonce. Ce film qui
est une référence pour les « geeks » nous amène au deuxième point important qui se retrouve
dans les meilleures bandes annonces actuelles : l’idée d’une communauté.
55
https://www.youtube.com/watch?v=wAcERijUXp4
40
2. Exciter la curiosité du fan
Dans le top 15 des meilleures bandes annonces, établit par Sens Critique, seulement deux des
films présentés sont des films qui ne sont pas des suites. Tous les autres films sont attendus par
une communauté de fans. De ce fait, dans les bandes annonces nous allons retrouver des
éléments que seuls les fans peuvent comprendre. La bande annonce d’Avengers Endgame a été
très appréciée. Lorsqu’on la regarde, le premier élément qu’on remarque c’est la puissance de
la musique : elle reprend le thème musical des Avengers mais elle est beacoup plus épique et
donc elle crée déjà des émotions chez le spectateurs. Toujours dans le top 15 de Sens Critique,
la bande annonce de Star Wars : le reveil de la force, se situe en 3ème
position. La musique a
joué un rôle important puisque beaucoup de fans ont applaudi le remixage de la bande originale
de Star Wars comme en témoigne les deux tops commentaires :
La bande annonce est donc réussie lorsqu’elle est immersive. Cependant, la bande annonce va
certes, donner envie au spectateur de voir le film mais pas forcément d’aller le voir au cinéma.
Attiser la curiosité est donc à la base du marketing du cinéma mais c’est le marketing
expérientiel qui va réellement se servir de la curiosité du spectateur pour lui donner envie d’aller
plus loin dans l’immersion en allant le voir au cinéma.
Depuis le modèle expérientiel de Holbrock et Hirschman (1982), beaucoup de
chercheurs en marketing se sont penchés sur le consommation expérientielle comme source des
émotions des consommateurs. Les théoriciens du marketing expérientiel estiment que plus
l’expérience de consommation permet au consommateur de sortir de l’ordinaire, plus le
consommateur va être satisfait. Bernard Cova et Véronique Cova affirment en effet que « ce
qui procure le plaisir, c’est l’immersion totale du consommateur dans une expérience
originale »
41
B. L’évènementiel : premiers pas vers le marketing expérientiel
Dans la première partie de notre mémoire, nous parlions du rejet du marketing et de la nécessité
de faire des campagnes de communication créative pour attirer l’attention du spectateur. La
communication hors-média va notamment permettre aux distributeurs de créer, de faire la
promotion d’un film ou d’une série en immergeant le spectateur dans des univers. La fiction, le
rêve va envahir la réalité et la curiosité des spectateurs va être mobilisée. Sur ces deux photos,
on peut voir deux exemples de campagnes de communication immersive :
Pour promouvoir le film « ça », la Warner Bros a placé des
ballons rouges au-dessus de bouches d’égout, un peu partout en
France et en Amérique. Ces idées de communication sont bien
trouvées puisqu’elles permettent de générer du « Earned
Media ». On parle de « Earned Media », lorsque les internautes,
eux-mêmes, font la promotion d’une marque ou dans le cas
présent d’un film, en partageant des photos de l’évènements et
en devenant sans le savoir ambassadeurs du film.
Netflix maîtrise très bien
cette technique comme
on peut le voir avec la
campagne de promotion
de la série Stranger
Things, qui plonge les
spectateurs dans les
années 70-80.
Le dernier exemple nous montre que ces campagnes permettent certes d’attiser la curiosité du
spectateur mais elles ne restent que des invitations à l’immersion et on sait que cette immersion
peut très bien se faire chez le spectateur lui-même puisque la série Stranger Things est
disponible uniquement sur la plateforme Netflix. Il faut donc faire plus de marketing
expérientiel dans les salles de cinéma pour améliorer l’expérience des spectateurs et donc
42
augmenter la valeur ajoutée d’un film vu en salles et non chez soi. Pour cela, il faut faire en
sorte que le film au cinéma devienne un plaisir pur qui satisfait tous les besoins du spectateur.
2. LES BESOINS DES SPECTATEURS
Dans mon mémoire de Master 1 sur la bande dessinée, j’abordais l’acte d’achat sans finalité
pratique en tant que quête de plaisir pur. Cette recherche d’un achat hédoniste par le
consommateur est ce qui va rendre possible le marketing expérientiel. D’après l’article de Jean-
Marie Bouissou, la quête de plaisir pur va passer par la satisfaction de six besoins
psychologiques fondamentaux :
1. La volonté de puissance : maîtriser en possédant ou en apprenant des choses
2. Le besoin d’accomplissement : vivre des situations gratifiantes, fût-ce par procuration
3. Le besoin de sécurité : retrouver des situations familières et plaisantes
4. Le besoin de distinction : se sentir différent et supérieur aux autres
5. Le besoin d’excitation : rechercher des émotions génératrices de poussée d’adrénaline
6. Le besoin d’évasion : s’abstraire d’un quotidien peu gratifiant ou stressant
Si le cinéma répond déjà à certains de ces besoins par la diversité des scénarios et des
personnages, c’est vraiment son association au marketing expérientiel qui va lui permettre de
développer au maximum sa capacité d’immersion et d’aller plus loin dans la satisfaction du
besoin d’excitation et d’évasion. A l’origine, le cinéma est déjà du marketing expérientiel :
C’est en 1895, plus précisément le 28 novembre, que le cinéma naît de façon officielle. Lors
d’une soirée au salon Indien, Louis Lumière et son frère Auguste présentent des petits films de
50 secondes appelées les « vues lumières ». La projection est publique mais est aussi et surtout,
payante. Ainsi, même si le vocabulaire de l’époque ne permet pas ici de parler de marketing
c’est pourtant bien de marketing expérientiel dont il s’agit : les frères Lumière vendent ici une
expérience, celle du cinéma.
En lien avec le marketing expérientiel et la satisfaction du besoin d’excitation et
d’évasion, il nous faut parler du besoin d’appartenance introduit par la pyramide de Maslow
(1954). Les travaux de Maslow classent les besoins humains en cinq niveaux et les besoins
d’appartenance se situent au 3eme niveau, après les besoins physiologiques et le besoins de
sécurité. Dans les besoins d’appartenance, on retrouve notamment le besoin d’avoir des amis et
de faire partie intégrante d’un groupe. Erich Fromm s’appuie sur les travaux de Maslow pour
La Curiosité appliquée au Marketing du Cinéma
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La Curiosité appliquée au Marketing du Cinéma

  • 1. 1 Laure Chauvet, Master 2 Marketing, IAE de Rouen La curiosité appliquée au marketing du cinéma Figure 1 Poussée par sa curiosité, Lucy Pevensie découvre le monde de Narnia (Le Monde de Narnia : Le Lion, la Sorcière blanche et l'Armoire magique, 2005, Andrew Adamson)
  • 2. 3 Sommaire I. INTRODUCTION II. MARKETING CULTUREL : ORGUEIL ET PREJUGES 1. LE GRAND MECHANT MARKETING A. Marketing vu par les consommateurs : harcèlement et mensonges B. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité 2. MARKETING/CULTURE : UN COUPLE COMPLEMENTAIREE GRAND MECHANT MARKETING C. La culture a besoin du marketing D. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité III. LA CURIOSITE ET L’ENVIE DE VOIR 1. LA CURIOSITE A. La curiosité : un défaut mortel B. La curiosité : une qualité intellectuelle C. La pulsion de savoir chez l’enfant 2. LE CINEMA ET L’ENVIE DE VOIR D. Le spectateur voyeur E. Les trois types de curiosité IV. LE MARKETING EXPERIENTIEL 1. LES CAMPAGNES DE COMMUNICATION : LA PROMESSE D’UNE EXPERIENCE A. La bande annonce : présenter une ambiance B. L’évènementiel : premiers pas vers le marketing expérientiel 2. LES BESOINS DES SPECTATEURS C. Etude de cas n°1 : le marketing tribal et les séances Panic X Chroma D. Etude de cas n°2 : les techniques immersives dans les salles de cinéma E. Etude de cas n°3 : les techniques immersives hors salles de cinéma F. Etude de cas n°4 : les salles tout confort G. Etude qualitative 3. RECOMMANDATIONS V. CONCLUSION
  • 3. 4 I. INTRODUCTION Malgré plusieurs succès notables comme les films Le grand Bain et Bohemian Rhapsody qui ont attiré chacun plus de 4 millions de français et qui sont restés exceptionnellement longtemps à l’affiche, en France, le cinéma a perdu des spectateurs en 2018. Le Centre National du Cinéma a, en effet, publié un bilan de fréquentation du cinéma sur l’année 2018 en baisse : les salles de cinéma françaises ont observé un recul de la fréquentation de 4,3% par rapport à 2017. A l’inverse, le nombre d’abonnés aux plateformes de services vidéo à la demande (La SVOD) ne cesse d’augmenter. Le 13 février 2019, le leader de la SVOD Netflix, annonce dépasser officiellement la barre des cinq millions d’abonnés en France1 et selon l’étude Global SVOD de Médiamétrie, 5,5 millions de Français utilisent chaque jour un service de SVOD, soit 9% de la population2 . Si certaines études ont démontré une certaine complémentarité entre la SVOD et le cinéma et que Phil Contrino, le directeur Média et Recherche au sein de la « National Association of Theatre Owners » a notamment commenté ces études en déclarant « Le message à retenir, c'est qu'il n'y a pas de guerre entre le streaming et la salle : les gens qui adorent les contenus les regardent sur toutes les plateformes et celles-ci ont toute leur place dans l'esprit des consommateurs »3 , le succès de la SVOD inquiète la majorité des professionnels du cinéma. En effet, lors de la cérémonie des Oscars en février 2019, Steven Spielberg a affirmé son opposition à la présence aux Oscars des films diffusés sur la plateforme Netflix4 et plus récemment lors de l’ouverture du Festival de Cannes, Edouard Baer, en tant que présentateur, a fait une déclaration d’amour à la salle de cinéma et un discours contre Netflix5 . Sans rentrer dans ce débat, à savoir si la SVOD représente un réel danger ou non pour la fréquentation des salles cinéma, il est clair qu’elle pose un problème au niveau de la création de valeur. En effet, en marketing, la création de valeur est centrale puisque selon la définition de l’Association Française de Marketing, le rôle du marketing consiste à augmenter la valeur perçue d’un produit ou d’un service6 . La valeur perçue est la perception par les clients des bénéfices obtenus par rapports aux coûts. Les abonnés Netflix payent seulement une dizaine 1 http://www.lefigaro.fr/medias/2019/02/13/20004-20190213ARTFIG00119-netflix-depasse-la-barre-des-5- millions-d-abonnes-en-france.php 2 https://www.mediametrie.fr/fr/global-svod-1 3 https://www.lepoint.fr/pop-culture/cinema/non-netflix-n-est-pas-l-ennemi-du-cinema-enfin-pas-tant-que-ca- 20-12-2018-2280998_2923.php 4 http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18679482.html 5 https://www.youtube.com/watch?v=6HMgJzsSd1o 6 https://lehub.laposte.fr/dossiers/connaissez-vous-nouvelle-definition-marketing
  • 4. 5 d’euros par mois et ont accès à tout un catalogue de films. Pourquoi le spectateur payerait quasiment le même prix pour voir seulement un film ? C’est ce que beaucoup d’internautes ont répondu en réaction au discours d’Edouard Baer et l’un des commentaires Tweeter des internautes soulève un point important : « Je suis d’accord avec Edouard Baer pour ce qui est de ma vision du cinéma, mais en même temps Netflix reste quand même une très bonne alternative, les gens ont raison d’en profiter. Si les gens vont moins en salle c’est aussi à cause du cinéma lui-même. » (Annexe 1) Avant Netflix, les internautes avaient l’habitude de regarder des films illégalement, en streaming de mauvaise qualité sur des sites douteux et cela ne semblait pas les déranger tant qu’ils ne payaient pas. Les plateformes de SVOD comme Netflix ont réussi à démontrer que les spectateurs étaient prêts à payer lorsqu’on leur proposait de voir des films de bonne qualité et lorsqu’on rendait le visionnage en streaming plus simple. Netflix permet aux internautes de ne pas avoir de publicités avant le film et leur permet également de ne pas avoir de virus. De plus l’algorithme de Netflix se base sur les films visionnés par l’abonné pour lui proposer des contenus qui devraient lui plaire. Netflix facilite donc la vie des internautes et la plateforme a réussi à créer de la valeur perçue puisque les internautes payent pour avoir accès au service. Il faudrait faire la même chose avec le cinéma, il faut augmenter la valeur perçue dans le fait de voir un film au cinéma plutôt que chez soi. C’est au cinéma de changer et de faire en sorte de créer de la valeur. Pour cela, nous pouvons chercher à répondre au besoin d’évasion des consommateurs. Depuis bien longtemps l’Homme moderne cherche à s’évader de son quotidien et c’est ce sur quoi Laurent Vonach travaillait déjà en 2001 lorsqu’il publie un article sur « Les industries de l'évasion »7 . Le concept d’évasion implique une idée de libération, et dans le sens commun lorsque l’on parle d’évasion, nous pensons à une échappatoire pour se sauver d’une prison (Laurent Vonach, 2001, pp. 41- 44). L’évasion peut tout aussi bien être mentale que physique. En prison justement, les bénévoles de l’association « lire pour en sortir », proposent un catalogue de livres à des détenus pour que ceux-ci puissent s’évader mentalement.8 L’article « Les Années folles : un besoin d'évasion »9 suggère que les consommateurs ont tendance à s’échapper de leur quotidien grâce à la consommation. Il est évidemment possible de s’évader via internet mais aujourd’hui on 7 Vonach Laurent. Avant-propos. In: Quaderni, n°44, Printemps 2001. Les industries de l'évasion. pp. 41-44. 8 https://www.lanouvellerepublique.fr/indre/lire-pour-s-evader-mentalement 9 « Les Années folles : un besoin d'évasion », Alternatives Économiques, 2006/7 (n°249), p. 56-56. URL : https://www.cairn.info/magazine-alternatives-economiques-2006-7-page-56.htm
  • 5. 6 assiste à un véritable engouement pour les magasins qui sont favorisent l’imagination et qui innovent en proposant au consommateur de s’évader au beau milieu des centres commerciaux. On assiste à un retour des magasins physiques. Les entreprises essayent toutes de passer au phygital10 c’est-à-dire d’allier le digital à leur magasin physique afin d’améliorer l’expérience client. On pense notamment au succès des magasins comme Nature et découverte qui proposent au consommateur une ambiance zen et apaisante ou encore à l’enseigne de magasins BUT qui avait organisé en 2018 un Escape Game11 . Aujourd’hui, les consommateurs ont besoin de s’évader et le succès des Escape Game en témoigne. Une jeune adapte de ces jeux a déclaré que ces jeux lui permettaient de fuir une vie stressante « les études, le travail, la vie stressante de Hong Kong". "On doit passer beaucoup de temps à étudier et travailler. Alors aujourd'hui, c'est l'occasion de faire quelque chose de différent, un défi excitant »12 L’évasion reste beaucoup plus marquante et appréciable lorsqu’elle est réelle. Le besoin d’évasion est donc l’une des principales raisons amenant le spectateur à aller au cinéma. Pierre de Gardebosc, programmateur et distributeur de films13 , déclare que « les gens ont besoin de s’évader, d’oublier le quotidien » et qu’en période de crise, le cinéma va apparaître comme un bon moyen d’évasion. Plus qu’un besoin d’évasion, le consommateur est à la recherche d’expériences sensibles (Maffesoli, 1990). D’après Antonella Carù et Bernard Cova, c’est donc le marketing expérientiel qui va permettre de répondre à ce besoin d’expérience en réenchantant le quotidien du consommateur14 . Au cours de mon voyage à Barcelone, j’ai pu voir beaucoup de personnes heureuses de faire leur shopping parce que les magasins ressemblaient à des parcs d’attraction. Par exemple, chez Sephora, les consommateurs avaient le choix entre prendre un escalier ou passer par un toboggan géant. Au cinéma, le spectateur pourra s’évader et satisfaire son besoin d’expérience grâce à l’immersion cinématographique car « l’Homme désire enchanter et enrichir sa vie grâce à la multiplication d’expériences qu’il vivra à la fois émotionnellement et rationnellement » (Firat & Dholakia, 1998). Aujourd’hui l’expérience au cinéma doit être encore plus immersive puisque le spectateur a accès à des écrans de plus en plus larges et à du 10 https://www.ledigitalab.com/studio/le-phygital-la-nouvelle-ere-du-magasin/ 11 http://magazine.reunir.com/lescape-game-by-but/ 12 https://www.nouvelobs.com/societe/20130220.AFP4273/les-jeunes-hongkongais-jouent-a-s-evader- virtuellement-d-une-vie- stressante.html?fbclid=IwAR07aYjO3wrplbvHS_tA1EVCHjjE0gJ_nl_v10nVZFcU1I2U3IdFT4ewq8k 13 https://www.ledauphine.com/societe/2012/01/27/les-gens-ont-besoin-de-s-evader-d-oublier-le-quotidien 14 Carù Antonella, Cova Bernard, « Expériences de consommation et marketing expérientiel », Revue française de gestion, 2006/3 (no 162), p. 99-113. DOI : 10.3166/rfg.162.99-115. URL : https://www.cairn.info/revue- francaise-de-gestion-2006-3-page-99.htm
  • 6. 7 matériel cinématographique de plus en plus performant. Holbrook et Hirschman (1982) évoquent aussi dans la recherche d’expériences immersives, le désir de fuite de la réalité que l’on évoqué plus tôt. Selon le bilan annuel sur l’année cinéma 2018 de Médiamétrie15 , on apprend qu’entre la télévision, le cinéma et la SVOD, c’est le cinéma qui est majoritairement associé à « l’émotion » (76%), « au plaisir de parler de ce qu’on a vu après » (66%) et à « l’immersion » (64%). Ces trois éléments font partis du marketing expérientiel et peuvent donc être des pistes d’amélioration pour les salles de cinéma. Faire vivre une expérience unique aux spectateurs, c’est l’idée révolutionnaire et à priori paradoxale que Netflix a eue. En 2015, le leader de la SVOD créé le Netflix Fest. Le festival consistait en la projection gratuite de séries et films issus de son catalogue dans des lieux insolites. 6000 spectateurs ont pu regarder des séries ou films cultes comme Avengers ou Friends avec un décor original et une mise en scène en rapport avec l’œuvre audiovisuelle diffusée. L’opération est un réel succès et met en évidence la forte demande des spectateurs concernant l’immersion et l’originalité. Les 6.000 places disponibles, se sont envolées en quelques minutes et on peut donc en déduire que les spectateurs sont motivés quand on attise leur curiosité : le site du cosmopolitan souligne que ce qui était le plus excitant dans l’expérience, c’était le fait de ne pas savoir dans quel lieu atypique le film ou la série serait diffusée16 . Il est important de noter que le Netflix Fest était un festival gratuit, ce qui a permis d’attirer le public pour ensuite lui proposer de payer pour le service proposé. Le public a besoin d’évasion mais comme nous le verrons dans ce mémoire, les consommateurs sont fatigués de la publicité qu’ils trouvent envahissante et surtout nous verrons que l’image du marketing est de plus en plus négative auprès des consommateurs. Pour attirer l’attention du consommateur et le faire venir au cinéma, il va donc falloir se faire entendre, il faut que les campagnes de promotion des films soient innovantes et créatives et surtout, qu’elles attisent la curiosité du consommateur. Face à cette curiosité liée au besoin d’expérience du spectateur que nous avons pu observer notamment avec le succès du festival Netflix, ce mémoire se propose de répondre à la problématique « En quoi mobiliser la curiosité du spectateur et son besoin d’expérience l’inciterait à aller voir un film au cinéma » ? 15 https://www.mediametrie.fr/fr/lannee-cinema-2018-spectateur-et-cinema-une-histoire-renouvelee 16 https://www.cosmopolitan.fr/,4-raisons-de-ne-pas-louper-le-netflix-fest,1924879.asp
  • 7. 8 Dans notre première partie nous nous concentrerons tout d’abord sur le rejet du marketing par les consommateurs, renforcé par la critique de celui-ci via les différents produits culturels et nous proposerons alors une alternative avec notamment les campagnes créatives et artistiques qui permettent de redorer l’image du marketing tout en répondant au besoin d’expérience du consommateur, attisant sa curiosité. Dans une deuxième partie, nous aborderons le concept de curiosité et son lien avec le besoin d’expérience du spectateur de cinéma. Enfin dans une troisième et dernière partie nous verrons en quoi le marketing expérientiel appliqué au cinéma constituerait une réelle plus-value pour le spectateur et contribuerait ainsi à créer de la valeur dans le fait de voir un film au cinéma plutôt que chez soi. Nous conclurons ce mémoire par des recommandations qui s’appuieront sur toutes nos recherches et sur les résultats d’un entretien qualitatif de huit personnes concernant leur freins et leurs motivations à la venue au cinéma.
  • 8. 9 II. MARKETING CULTUREL : ORGUEIL ET PREJUGES 1. LE GRAND MECHANT MARKETING A. Marketing vu par les consommateurs : harcèlement et mensonges Le domaine culturel a du mal à accepter de faire équipe avec le domaine du marketing. L’une des raisons principales serait que les consommateurs ont développé une certaine haine envers le marketing (J-M Lehu, 2011). Tout le monde et, en particulier les consommateurs, détesterait le marketing. Celui-ci souffre en effet d’une image très négative : on constate aujourd’hui que les termes « marketing » ou « publicité » sont presque toujours associés à des notions péjoratives. Emmanuelle Le Nagard, ancienne présidente de l’Association Française de Marketing explique qu’aujourd’hui « le marketing est soit assimilé à de la manipulation, soit il est considéré comme du vide, du pipeau. »17 Les critiques qui pèsent sur le marketing sont très fortes aujourd’hui parce qu’elles ne datent pas d’hier (E.Arnould, 2007). Stidsen et Schutte, publiaient en 1972 « Marketing as a Communication System : The Marketing Concept Revisited », un livre qui rend compte de la perception très négative du marketing et dans lequel les auteurs recommandent vivement une nouvelle approche de celui-ci. Donc il y a déjà presque cinquante ans que le marketing est déprécié. Mais pourquoi le marketing est-il aussi peu apprécié ? D’abord parce que même si le marketing est une science qui évolue et qui a subi des transformations, les consommateurs ont toujours la vision du marketing traditionnel. Le marketing est encore perçu comme un moyen pour une entreprise de faire de l’argent tout en vendant des produits à usage essentiellement matériel comme les voitures automobiles alors même que le concept de marketing concerne aujourd’hui les institutions à but non lucratif (J- M Tobelem, 1992, pp. 49-70) et les entreprises culturelles comme le cinéma, sujet de notre mémoire. De plus, comme l’explique J-M Tobelem en 1992, le marketing a évolué en plaçant le bien-être du consommateur au centre de ses réflexions et non plus le bien-être de l’entreprise. Et donc, malgré cette réalité, l’évolution du marketing est niée par le consommateur. Pour le consommateur actuel, le marketing est toujours défini par un mot de « Trois syllabes qui évoquent des vendeurs de voiture d’occasion, des procédés publicitaires suspects et des moyens retors visant à pousser à la consommation » (Fronville, 1985, P.109). D’après cette citation, le marketing est donc, non seulement, réduit à une fonction de simple outil d’aide à la vente de produits, tout sauf spirituels, mais en plus, il semble prêt à tout pour vendre, quitte à utiliser des 17 https://www.afm-marketing.org/fr/content/la-d%C3%A9finition-du-marketing
  • 9. 10 moyens détournés pour arriver à ses fins. Cette citation fait donc ressortir trois critiques et elle date de 1985. Quatre années plus tard, Christian Michel réalise une étude qui mêle anthropologie et marketing et s’évertue à évacuer les clichés présentant le marketeur comme un « grand manipulateur » du public. Les consommateurs perçoivent les marketeurs comme des manipulateurs parce qu’ils rusent et pensent à des stratégies pour obtenir ce qu’ils veulent. Ainsi, toutes les paroles, tous les actes des marketeurs deviennent calculés, réfléchis pour conquérir le cœur du consommateur et donc tout paraît superficiel et faux chez le marketeur. En 1997, le marketing est résolument devenu « corrompu » et « immoral » aux yeux des consommateurs (F. McLean, 1997, pp. 15-37). On peut en déduire que, non seulement, la mauvaise image du marketing n’évolue pas mais, qu’au contraire, elle se dégrade avec le temps. Alors comment se fait-il que les consommateurs aient un avis de plus en plus négatif concernant le marketing ? Tout simplement parce que les idées reçues et les confusions à propos du marketing sont entretenus par les incendiaires de celui-ci et la liste de ces incendiaires est très longue (J-M Lehu, 2011). Toujours d’après Jean- Marc Lehu, on retrouve notamment dans cette longue liste, les médias. En effet, les médias participent beaucoup à la propagation d’une mauvaise image du marketing : par exemple, sur le site de la chaine de télévision LCI, à propos d’une crème anti-ride, on peut lire « Il ne s’agit pas d’un attrape-nigaud marketing ». On se doute que le lecteur de l’article associera alors le marketing a un mensonge, un piège. Dernièrement, j’ai pu voir lors du 20h sur TF1, un reportage intitulé « Réalité ou marketing ? », là encore le marketing est encore plus perçu comme un mensonge puisqu’il est présenté comme opposé à la réalité. Jean-Marc Lehu explique que les médias se servent même parfois de la diabolisation du marketing pour imaginer des titres aguicheurs comme l’a fait un quotidien belge « la tolérance zéro c’est du marketing ! », titre qui mélange du marketing à de la politique et donc qui est utilisé ici juste pour dire que la tolérance zéro en Belgique est un mensonge. Donc, tout en le critiquant gratuitement, ils font, là, eux aussi du marketing, puisque le titre de l’article donne envie de lire. Le marketing devient alors un véritable bouc émissaire qui endosse toute la responsabilité des maux de la société et, pire, qui en devient la principale cause. La haine du marketing s’explique donc par le fait que les consommateurs ne croient plus aux « mensonges » du marketing mais aussi parce qu’ils se sentent sans cesse harcelés par la publicité. Parmi les nombreux maux dont le marketing est tenu pour responsable on retrouve l’invasion culturelle avec l’omniprésence de la publicité (Pierre Volle, 2013, p.10-12). En février 2018, France Culture nous alerte concernant la prolifération de publicités de plus en plus intrusives en publiant plusieurs chiffres : « Chaque
  • 10. 11 jour, nos yeux voient, en moyenne, 1 200 messages publicitaires. Dans la rue, sur la route ou à la maison, la publicité est de plus en plus présente dans notre vie » 18 . Les consommateurs se sentent donc tout logiquement harcelés par la publicité et traqués en permanence et toutes les pratiques jugées abusives comme le démarchage téléphonique contribuent au rejet du marketing par les consommateurs. En témoigne l’augmentation du nombre d’inscrits sur des listes d’opposition à la publicité comme les bloqueurs internet Adblock et Bloctel pour le téléphone. De même, les consommateurs sont nombreux à coller la vignette « pas de publicité » sur leur boite aux lettres. Les associations de consommateurs font partie de la liste des incendiaires du Marketing (J-M Lehu, 2011). Elles sont les porte-paroles du mécontentement des consommateurs vis-à-vis de la publicité et n’hésitent pas à affirmer leur aversion pour le marketing par des mouvements anti-publicités : 1. Les actions anti-pubs se multiplient dans toute la France et plus particulièrement à Paris, que ce soit dans le métro ou dans les rues, on ne compte plus le nombre de tags dirigés contre les publicités. Pour Khaled Gaiji, le président de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire (RAP), les mouvement antipublicités ne luttent pas contre la publicité en soi mais contre « l’agression publicitaire ».19 Il déclare également qu’ils sont là pour revendiquer le droit à « la liberté de réception »20 et que les consommateurs devraient avoir le choix de recevoir ou non un message publicitaire. Figure 2 Bannière du site www.antipub.org 18 https://www.franceculture.fr/emissions/hashtag/les-techniques-publicitaires-sont-beaucoup-plus-agressives-et- intrusives-quauparavant 19 Propos recueillis par le journal Le figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/03/25/01016- 20170325ARTFIG00003-qui-sont-les-acteurs-du-mouvement-antipub-en-france.php, page consultée le 03/05/2019 20 D’après Khaled Gaiji : « la liberté de réception est l’envers de la liberté d’expression »
  • 11. 12 Si Khaled Gaiji déclare lutter principalement contre l’invasion publicitaire et non contre la publicité en elle-même, certaines actions de la RAP en France affirment pourtant que la publicité est manipulatrice : dans le département de la Loire, des slogans « La pub te manipule » ont été affichés par des membres de la RAP à Saint- Etienne. La critique est donc directement dirigée contre la publicité et non contre l’invasion publicitaire. D’une manière générale, les comités antipublicitaires dénoncent une publicité manipulatrice, mensongère. Des vignettes, reprenant cette idée, ont été créées et collées partout à Paris. Figure 3 Détournement de la célèbre affiche du lapin du métro parisien (Affiche originale à gauche) Le 25 mars 2019, la RAP a lancé l’observatoire de la publicité sexiste. Il s’agit d’analyser et de recenser toutes les publicités à caractère sexiste sous n’importe quel format. Ceci nous amène à la deuxième grande critique de la publicité : sa superficialité Figure 4 Affiche taguée datant de 2004. Les femmes sont jugées trop belles et donc pas représentatives de la réalité
  • 12. 13 2. Les mouvements « no make-up » et « no filtrer » Aujourd’hui, les publicités qui présentent des femmes dépourvues de maquillage ou avec des rondeurs sont à la mode. Ceci s’explique notamment par la quête d’authenticité du consommateur (V.Cova, B. Cova, 2002, p.33-42) : les consommateurs sont des consommateurs acteurs, à la recherche de sens. D’après V.Cova et B.Cova, lorsque le consommateur achète un produit « bio », c’est une manière de montrer son envie d’un monde plus naturel et plus authentique. Cette théorie est confirmée puisqu’en 2011, les résultats de l’enquête menée par deux étudiants de Grenoble Ecole de Management, dans le cadre de leur mémoire «Le consommateur face au naturel: représentations explicites et implicites de l’aspect naturel d’un produit laitier »21 , ont démontré que les consommateurs associaient au concept du bio les mots ; authentique, pur, sain. Aujourd’hui, les consommateurs vont plus loin dans cette recherche de sincérité et de naturel : un retour au naturel, notamment avec les deux mouvements « no make-up » et « no filtrer » très présents sur les réseaux sociaux. Georges Vigarello, historien et sociologue du corps, explique que cet hashtag #no make-up a un but écologique et globalement anti-marketing : • Sensibilité pour l’écologie : ne pas polluer la planète avec des produits toxiques. Les cosmétiques contiennent souvent des substances indésirables pour l’environnement. C’est le cas par exemple des microbilles contenues dans les gels douches, dentifrices et gommages pour le corps, qui polluent les océans. Les paillettes ; des micro-particules de plastique, se retrouvent, quant à elles, ingérées par les poissons et mammifères marins. Les marques de cosmétiques innovent et proposent donc des produits bio mais le maquillage qui représentait déjà un investissement coûte plus cher avec la mention bio et donc beaucoup de personnes continuent à boycotter le maquillage. Mis à part l’économie financière et le gain de temps, ce boycott du maquillage est aussi dû à la volonté d’affirmer son rejet du marketing • L’acte militant anti-marketing : pour Georges Vigarello le no make-up est également une manière de montrer le refus d’être la cible marketing des grandes marques qui laissent penser qu’une belle peau ne l’est que si elle est maquillée 22 . En 2016, la 21 https://www.afm- marketing.org/en/system/files/publications/20120307205738_S02_P2_CALLEGARI_CAPY_CUNY.pdf 22 http://madame.lefigaro.fr/beaute/no-make-up-tendance-durable-ou-effet-de-mode-230816- 115944?fbclid=IwAR3m8fpBAVbubFDjSCJoWBLVSmxR6K53zJMBO0bbMyBhSQQP1_fwS5GIh04
  • 13. 14 chanteuse Alicia Keys a décidé d’arrêter de se maquiller. Dans un message de la newsletter féministe de Lena Dunham, elle s’explique : « Avant de travailler sur mon nouvel album, j'ai écrit une liste de toutes les choses dont je suis fatiguée. Et l'une d'elles, c'était de voir à quel point les femmes subissent un lavage de cerveau pour leur donner l'impression qu'elles doivent être minces, sexy, désirables ou parfaites."23 Depuis 2016, l’actrice s’est toujours présentée sans maquillage et cette même année 2016, son nouvel album dévoilait la chanson « Girl Can’t Be Herself », un véritable hymne au mouvement no make-up pour lutter contre les diktats sur la beauté d’une femme. Aujourd’hui, l’hashtag « no make-up » a toujours autant de succès auprès des utilisatrices Instagram : Figure 5 : Ces trois photos Instagram sont les trois premiers résultats qui m'ont été proposés lorsque j'ai recherché l'hashtag "no make-up" sur l’application le 06/05/2019 Le mouvement « no filtrer » vient renforcer cette idée d’une beauté au naturel, sans artifice. Aujourd’hui, les consommateurs ne veulent pas une image idéalisée, ils veulent du vrai, du réel. La beauté doit être sans filtre et les utilisateurs d’Instagram et les influenceurs le revendiquent en publiant des photos de paysages avec l’hashtag « no filtrer ». Le « no-filtrer » devient complémentaire au « no make-up » et les utilisateurs d’instagram posent devant des paysages sans filtre ce qui veut dire ici sans retouche, sans artifice et donc devant une beauté authentique. 23 https://www.cosmopolitan.fr/,alicia-keys-arrete-de-se-maquiller-pour-la-plus-belle-raison-qui- soit,1965361.asp
  • 14. 15 Le mot authentique est un des mots importants dans ce mémoire puisque, bien qu’il soit perçu comme opposé au marketing dans l’esprit des consommateurs, nous verrons qu’il peut être intéressant de le prendre en compte dans des campagnes de communication. Sans prendre parti en affirmant que la haine du marketing est justifiée ou non, il est clair qu’elle est bien réelle : critiquer le marketing devient presque automatique et l’expression « C’est du marketing ! » qui, ici, signifie « c’est du vent, le seul but est de pousser à acheter » est utilisée par les consommateurs mais aussi dans de nombreux domaines comme notamment les médias. Avec cette idée bien ancrée dans les esprits d’un marketing, manipulateur et superficiel, n’existant qu’à seul but lucratif, il est logique que les institutions culturelles rejettent totalement le marketing. Ainsi associer l’art et la culture au marketing est très mal vu par les consommateurs puisque, comme on l’a vu, ils ne le supportent plus. En témoigne l’exemple ci-dessous : Figure 7 commentaire posté dans un groupe de Fans de BD sur Facebook Figure 6 : ces trois photos Instagram sont les trois premiers résultats qui m'ont été proposés lorsque j'ai recherché l’hashtag "no filtrer" sur l'application le 06/05/2019. La légende de la 3ème photo est importante parce qu’elle met en évidence l’idée du mouvement « le no filtrer c’est apprécier les choses simples, naturelles
  • 15. 16 Ce commentaire a été posté dans un groupe Facebook « La communauté des bédéastes et amateurs de bande dessinée » en réponse au post de la start-up « Edmond Art » qui proposait la commande en ligne de planches de bande-dessinée faites sur mesure par des illustrateurs. Dans ce commentaire, on voit bien l’opposition entre art et marketing pour les consommateurs : d’un côté l’art, dans sa générosité désintéressée « la bande dessinée c’est le 9ème art » et de l’autre, l’argent « une foutue start up clientéliste qui cherche à vendre ». B. Marketing vu par la culture : manipulation et cupidité Comme expliqué dans l’ouvrage Le rejet du marketing par le monde de la culture se fonde également sur une opposition historique : En 1999 Bourdieu l’avait rappelée, devant le conseil international du Musée de la Télévision et de la Radio, en expliquant que « Réintroduire le règne du commercial dans des univers qui ont été construits, peu à peu, contre lui, c’est mettre en péril les œuvres les plus hautes de l’humanité, l’art, la littérature et même la science »24 . Beaucoup de films, par exemple, portent un message contre le capitalisme et, plus précisément, contre le marketing, souvent représenté, là, comme la cause de tous les maux de la société. Si le marketing vient aider à vendre ces films, leur propos devient moins impactant, moins authentique aux yeux du public. Le problème vient donc du fait que la culture ne rejette pas seulement le marketing, mais qu’elle en est également son principal détracteur et incendiaire. En effet, nous allons étudier plusieurs exemples pour montrer à quel point la culture exploite les idées reçues et les préjugés attribués au marketing et, plus généralement, au commerce : les films, livres et musiques sont les premiers à donner le mauvais rôle au marketing 1. « Le marketing crée des besoins » : Foule sentimentale d’Alain Souchon Les paroles de Foule Sentimentale sont déjà une critique, à part entière, de la publicité : « on nous fait croire que le bonheur c’est d’avoir, de l’avoir plein les armoires », « On nous inflige des désirs qui nous affligent » ici, Alain Souchon explique que le marketing se sert de la candeur des consommateurs et leur vend en apparence le bonheur, le rêve mais en réalité des produits futiles et inutiles. Cette idée est renforcée par le refrain « foule sentimentale, on a soif 24 Bourgeon-Renault Dominique, Debenedetti Stéphane, Goumbault Anne, Petr Christine, Marketing de l’Art et de la Culture, Editions Dunod, Septembre 2014, 312 p.
  • 16. 17 d’idéal, attirée par les étoiles, les voiles, que des choses pas commerciales » Alain Souchon insiste sur l’innocence et la naïveté des consommateurs qui ne rêvent que d’amour (Dans le clip, Alain Souchon coupe la musique pour dire « l’amour » d’un ton rêveur juste après « les étoiles, les voiles ». Dans le clip d’Alain Souchon, le marketing est encore plus diabolisé puisqu’on nous présente le personnage joué par Alain Souchon, qui ne désire que l’amour, qui se fait littéralement envahir, chez lui, par la publicité. Le présentateur télé, interprété par le journaliste Karl Zéro, sentant que cette interruption pourrait provoquer un bad buzz puisque le personnage d’Alain Souchon a une allure effrayante, répète « mais coupez, coupez », ce qui, ici, montre un marketing mensonger, qui se complait dans le superficiel et qui ne veut surtout pas que le consommateur voie la réalité si celle-ci n’est pas jugée belle et attirante. 2. « Le marketing nous manipule » : Fight Club de David Fincher, 1999 Dans Fight Club, le personnage, Tyler Durden, joué par Brad Pitt nous parle des images subliminales. Selon Channouf Ahmed, est considéré comme subliminal tout ce qui concerne « la présentation en dessous du seuil de perception (visuelle, auditive, proprioceptive etc.) consciente d'une information, qui, sans que l'individu en ait conscience, peut produire chez lui une influence au niveau cognitif et comportemental ».25 Tyler Durden nous apprend qu’au cinéma, notre œil ne peut percevoir que 24 images par seconde. Donc, si l’on insère une image à la 25ème seconde, le cerveau du spectateur l’enregistrera mais sans que celui-ci n’en ait conscience. La scène de Fight Club fait référence à une anecdote de 1957 : James Vicary, responsable marketing affirmait avoir réussi à booster les ventes de Coca Cola et de Pop-corn grâce à l’insertion d’images subliminales durant un film projeté au cinéma26 . Plus tard James Vicary avouera que les résultats de son expérience étaient frauduleux et que les images subliminales à des fins promotionnelles dans les films sont interdites, mais cette affaire aura tout de même accentué la méfiance des consommateurs envers le marketing. 3. « Le marketing détruit l’environnement » En 2015, l’artiste Banksy crée une exposition sous la forme d’un parc avec l’aide de 50 autres artistes. Ce parc, parodie et critique de Disneyland se nomme « Dismaland ». A travers cette 25 Channouf Ahmed, « L'influence des images subliminales (première partie) : les études expérimentales », dans : Didier Courbet éd., La télévision et ses influences. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, « Médias- Recherches », 2003, p. 35-41. DOI : 10.3917/dbu.courb.2003.01.0035. URL : https://www.cairn.info/la- television-et-ses-influences--9782804143671-page-35.htm 26 https://sciencetonnante.wordpress.com/2013/06/03/les-images-subliminales-mythe-ou-realite/
  • 17. 18 exposition, Bansky s’attaque directement à l’empire Disney qui a pour slogan « Faire rêver, c’est un métier ». Derrière le rêve et le divertissement, le parc de Banksy dénonce une triste réalité et les travers de la société de consommation. 4. « Les marketeurs n’ont aucune morale » : Lord of War Les marketeurs sont critiqués avant tout pour leur avarice et le marketing est plus généralement montré du doigt parce qu’il est associé à la cupidité. L’avarice et la cupidité se définissent toutes deux comme un désir immodéré des richesses ou de l'argent. On utilisera cependant davantage la notion de « cupidité » que celle de l’avarice, étant donné que, par définition « la cupidité reste une notion plus large que l'avarice car l’avarice concerne un vice personnel par rapport à l'usage de l'argent, tandis que la cupidité embrasse, avec celle des individus la soif immodérée des richesses, qui peut se concrétiser dans des sociétés qui exploitent de toutes sortes de manières la confiance populaire »27 . En 2013, Martin Scorsese nous présente son nouveau film le loup de Wall Street. Il met en scène Léonardo Dicaprio interprétant un personnage manipulateur et avide de pouvoir : Jordan Belfort. Jordan Belfort est le cliché du leader dominateur et égocentrique. C’est néanmoins un personnage intéressant à étudier parce qu’il évolue et devient un homme cupide et dans la 27 http://www.lumenc.org/malcupidite.php
  • 18. 19 démesure. Au début du film, c’est un fils de comptable honnête et dès qu’il entre dans le monde de la finance, on assiste à un véritable changement de personnalité. Ceci met en évidence l’idée que si l’on travaille dans le monde du commerce, on doit forcément dire adieux à ses principes et à sa morale. Dans un contexte différent, c’est aussi ce qu’affirme le personnage principal Yuri, interprété par Nicolas Cage à la fin du film Lord of War lorsqu’il s’adresse au spectateur : « Vous savez qui héritera de la Terre ? Les marchands d'armes. Parce que tous les autres sont trop occupés à s'entretuer. C'est le secret si on veut survivre. Ne jamais faire la guerre. [Pause] Surtout pas contre soi-même ». La critique du commerce est ici violente car on parle du commerce des armes et donc l’anti-héros Yuri réprime sa morale et ferme les yeux sur les millions de morts qu’il cause en vendant des armes. L’affiche du film (Annexe 2) constitue d’ailleurs une très belle métaphore : elle montre un homme d’affaires debout sur des balles, ce qui renforce l’idée que le monde du business n’a pas de limite dès qu’on parle d’argent puisqu’on peut même faire du business sur la mort. Le produit culturel qui reprend quasiment toutes les critiques adressées au marketing et au commerce est le livre 99 Francs écrit par Frédéric Beigbeder. Ce livre est un véritable réquisitoire à l’égard de l’univers de la publicité. La critique est d’autant plus efficace qu’elle est faite par un ex-publicitaire déçu par ce domaine : Frédéric Beigbeder écrit d’ailleurs au début de son livre « J’écris ce livre pour me faire virer » et il le sera, ce qui rend son propos encore plus impactant. Dans le livre, on suit l’histoire d’Octave, un rédacteur publicitaire qui dépeint avec cynisme sa vie professionnelle au sein d’une agence de publicité. Le film éponyme adapté du roman se concentre sur le cynisme et le dégoût d’Octave pour la société de consommation en commençant par le suicide de celui-ci qui énonce une des répliques marquantes du film juste avant de se jeter dans le vide : « Je suis Publicitaire. Je suis de ceux qui vous font rêver les choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, bonheur parfait retouché sur Photoshop… vous croyez que j’embellis le monde ? perdu, j’le bousille ». Comme tous les autres exemples étudiés plus tôt, 99 Francs critique le marketing pour ce qu’il fait subir à la société et aux consommateurs en vendant des mensonges et en faisant croire à un bonheur en fait illusoire et inaccessible. La critique va plus loin parce que la publicité crée des désirs et détourne les consommateurs des dépenses nécessaires correspondant à de vrais besoins ou de dons humanitaires : à la fin du film on voit un message apparaître juste avant le générique « Chaque année, le budget mondial dépensé en publicité s'élève à 500 milliards de dollars. Une étude de l'ONU estime que pour réduire de moitié la faim
  • 19. 20 dans le monde, 10% de cette somme suffirait ». La publicité, outre sa futilité, serait meurtrière. Là où 99 Francs est plus intéressant que les autres exemples, c’est qu’en plus de mettre en scène l’opposition publicité/consommateur, il évoque également le conflit entre les créatifs et les publicitaires. En effet, Octave est un créatif dans un monde où la rentabilité règne. Le personnage d’Octave est constamment frustré par le fait qu’il ne peut pas exprimer librement sa créativité. Ceci nous amène au 5ème et dernier point : les artistes ont peur du marketing. 5. « L’argent détruit la créativité » Dans le domaine culturel et plus particulièrement dans les films, il y a une forte tendance au manichéisme. Le mal ou l’aliénation est représenté par le marketing qui s’oppose au bien c’est- à-dire à l’art, à la liberté. Les producteurs de disques ou de films sont objets de beaucoup de clichés souvent repris dans les films et les chansons. Ces clichés sont généralement entretenus par les artistes qui ne veulent pas du marketing parce qu’ils pensent qu’il met en danger leur liberté. L’art permet à son auteur de se libérer, de s’exprimer. Comme disait une célèbre citation d’Einstein « L'imagination est plus importante que le savoir. Le savoir est limité alors que l'imagination englobe le monde entier, stimule le progrès, suscite l'évolution » 28 (Einstein, 1929). L’imagination est donc par définition sans limite. Or, le marketing est limité par des contraintes budgétaires et est soumis à la loi de la rentabilité. Ainsi le marketing impose une limite à un artiste qui forcément est frustré puisqu’il n’est plus du tout libre. Le marketing devient donc un ennemi pour l’artiste et la critique du marketing est virulente dans les films, notamment à travers les personnages de producteurs. L’un des clichés les plus répandus est l’idée que les producteurs ne pensent qu’à l’argent et de ce fait, qu’ils sont absolument incapables de prendre des risques. Les producteurs, que ce soit dans le domaine musical ou cinématographique, sont assimilés à des êtres cupides dont l’obsession empêche toute créativité et originalité. C’est ce qu’on a pu observer récemment dans le film Bohemian Rhapsody sorti en octobre 2018 et réalisé par Bryan Singer. Dans une scène du film, on voit le producteur qui refuse d’enregistrer justement la chanson nommée Bohemian Rhapsody parce que celle-ci dure plus longtemps que la norme (six minutes). Cette scène est intéressante parce qu’elle met bien en évidence le conflit entre la pureté, l’authenticité de l’artiste qui ici s’oppose au mercantile marketing incarné par le producteur. Dans cette scène, Freddy Mercury est présenté comme un artiste qui ne s’intéresse qu’à l’art et à sa musique. Sa musique est pure parce qu’il ne recherche pas le profit, il est dans l’expérimentation. Le producteur, lui, veut à tout prix que son disque 28 Imagination is more important than knowledge. For knowledge is limited, whereas imagination embraces the entire world, stimulating progress, giving birth to evolution.
  • 20. 21 se vende et donc refuse toute innovation. D’une manière générale, les films qui mettent en scène l’histoire d’un artiste, font souvent en sorte de montrer le conflit entre cet artiste et le producteur de la même manière qu’un héros se bat contre un méchant. Dans A Star Is Born par exemple, le manager d’Ally Campana (Lady Gaga) est vraiment présenté comme celui qui pervertit le talent pur d’Ally par « des recettes à succès ». Dans le film, Ally Campana devient peu à peu une star reconnue mais au détriment de sa personnalité. Son manager en fait un produit formaté et sa créativité, sa personnalité, tout ce qui fait son identité, est effacé. Son mari Jackson Maine (Bradley Cooper) assiste, dans l’impuissance, à son renoncement mais Ally est dupe puisque que son manager lui offre la gloire et le succès. Le manager d’Ally fait vraiment penser au diable avec lequel Ally aurait passé un contrat : la gloire contre son identité. Ce conflit entre succès et originalité est vraiment dominant dans le monde culturel et visuellement les producteurs sont toujours présentés à l’écran comme des hommes d’affaires avant tout : Cette image est issue de la série Mad Men, qui raconte le quotidien de l’agence publicitaire Sterling Cooper dans les années 60. Don Draper que l’on voit ici sur l’image est l’un des principaux cadres de l’agence et se révèle être un maître manipulateur. On ne peut que faire le lien entre cette image et celle-ci, issue du film The Artist. On y voit Al zimmer, le producteur de George Valentin, star du cinéma muet. Sur l’image, le producteur vient d’annoncer à George qu’il arrête toute la production de films muets pour miser sur le cinéma parlant. Figure 8 Mad men, Matthew Weiner, 2007 Figure 9 The Artist, Michel Hazanavicius, 2011
  • 21. 22 Durant tout le film The Artist, le producteur n’apparait que pour montrer à quel point il n’est intéressé que par les business fructueux et il n’hésite pas à se débarrasser de George dès que sa popularité décline. Dans le livre de Dominique Bourgeon-Renault, le Marketing de l’art et de la culture, on comprend que cette opposition entre créativité et succès est essentiellement due à la règle qui voudrait que, dans le domaine culturel, ce soit l’offre avant la demande alors que la logique du marketing consisterait à étudier la demande et le marché pour pouvoir ensuite proposer un produit qui corresponde aux attentes. C’est d’ailleurs justement ce que reproche David Bowie au marketing dans une interview : « Le marketing, c’est lorsque l’on sait précisément ce que les gens attendent et qu’on le leur donne : tu acceptes la tyrannie du grand public, tu t’en fais le complice. Mais lorsque tu empruntes l’avenue qui part en sens inverse – celle qui reste en périphérie, autour des choses – alors le public a du mal à te comprendre et à te suivre. Moi, je préfère rester à la périphérie plutôt que d’être une victime de cette catastrophe qu’est le succès. »29 David Bowie considérait donc le marketing comme un piège et pour lui, les artistes qui l’utiliseraient choisiraient en fait la voie de la facilité au détriment de l’art. Les artistes qui utiliseraient le marketing sortiraient donc des disques ou des films conformes aux attentes. Dans ce cas, aucune créativité ou originalité possible, l’artiste ne cherchant jamais à surprendre le public. Selon ce raisonnement, un « vrai » artiste ne cherche pas à plaire, il propose quelque chose sans viser le succès, tout en l’espérant. Dans A star Is Born, comme dans beaucoup d’autres films, on retrouve le même discours que tient David Bowie : le succès est une catastrophe pour l’artiste. Même si l’amour véritable et la relation solide avec son mari artiste l’ont sauvée, Ally a failli perdre son âme à cause de son attrait pour le succès. Le film Bohemian Rhapsody est intéressant parce qu’il reprend cette idée d’un producteur qui formate les artistes mais il met en scène également un deuxième cliché totalement contradictoire : les producteurs, en plus d’imposer leurs limites dues à leur peur d’innover, se révèlent mauvais et ne comprennent pas vraiment les attentes des consommateurs. Dans la scène de Bohemian Rhapsody que nous avons évoquée, Freddy Mercury persiste et décide de rompre son contrat avec son producteur pour lancer son album. La chanson « Bohemian Rhapsody » est un véritable succès. Ainsi, le producteur a eu tort et le film met l’accent sur son incompétence due à son dénuement de sens artistique et à son singulier manque 29 Source : Interview de David Bowie (« Le retour du vrai Bowie », Les Inrockuptibles, 20 septembre 1995, n°24).
  • 22. 23 de « flair » en l’occurrence, ici, « d’oreille » en soulignant la peur d’innover du producteur. Le film donne alors l’impression que tout se passe toujours ainsi et que ce sont toujours les artistes qui ont raison puisqu’ils sont sincères et savent toucher le public sans calcul. Ainsi, dans le milieu culturel, certains artistes se laissent gagner par l’orgueil. 2. MARKETING/CULTURE : UN COUPLE COMPLEMENTAIRE C. La culture a besoin du marketing Le film The Artist met bien en évidence cet orgueil qui existe dans le monde culturel. Lorsque le producteur annonce en 1927 qu’il va maintenant tout miser sur le cinéma parlant et donc sur des acteurs parlants, George Valentin, star du muet, est blessé dans son orgueil. Par fierté, il décide de produire et de réaliser lui-même son prochain film muet et déclare « C’est moi que les gens aiment. Et ils n’ont jamais eu besoin de m’entendre. Faîtes vos films parlants, moi je vais leur faire un beau film ! et pour ça, je n’ai pas besoin de vous. » Finalement, le film de George est un échec et marque le début de la chute de George. Dans cet exemple, c’est le producteur qui veut innover et c’est l’artiste qui refuse. Cependant, à la différence de Freddy Mercury, pour le producteur Al zimmer, l’innovation doit se limiter aux recettes à la mode et en vogue et donc ce n’est pas véritablement une prise de risques. L’idée à retenir est celle de la fin du film : George avec l’aide de sa bien-aimée Peppy Miller, convainc le producteur Al Zimmer de se lancer dans la production de films avec des danseurs de claquettes en lui faisant une démonstration. Le producteur est enchanté et c’est une « happy-end » pour tout le monde parce qu’on sait qu’à partir des années 30, les claquettes américaines connaîtront un grand succès dans les films américains. Il y a donc une possibilité d’entente entre le producteur et l’artiste. Il faut qu’il y ait un équilibre dans la relation et cet équilibre se fera seulement si l’artiste accepte de faire des compromis pour que son œuvre se vende et que de l’autre côté, le producteur accepte de prendre quelques risques en faisant confiance à l’artiste. Dans Walt avant Mickey, même si ce n’est pas le message du film, cette idée est reprise. Dans une scène Walt Disney explique à son frère qui travaille dans la finance qu’il a besoin de lui parce qu’il ne sait vraiment pas comment s’y prendre financièrement et qu’il n’est pas doué pour se fixer des contraintes budgétaires ou pour vendre ses films. Dans les faits, la culture a besoin du marketing. D’après la loi de Baumol (1967), le secteur industriel progresse très vite contrairement au secteur culturel qui progresse lentement à cause de son fonctionnement structurel. D’après Baumol, le secteur culturel a besoin de financements externes comme le mécénat. Le marketing et la communication permettent de trouver des mécènes comme nous
  • 23. 24 l’a expliqué en cours, Juliette Démares, chargée des partenariats et du mécénat d'entreprises à la Métropole Rouen Normandie, qui organise des évènements pour les mécènes de l’Opéra de Rouen et qui réalise des campagnes de communication mettant en scène ces différents mécènes (Annexe 3). Le marketing peut donc aider le secteur culturel à trouver des financements. Résumé de la partie 1 : Vers un marketing culturel et créatif Si le marketing est banni comme on l’a vu, les campagnes de communication sont, quant à elles, tolérées lorsqu’elles sont originales. D’après Juliette Démares, le public est même très friand des campagnes de communication lorsqu’elles sont innovantes et créatives. Ainsi, le mot « communication » est plus apprécié dans le milieu culturel que le mot « marketing ». Ceci met en évidence la méconnaissance du marketing étant donné que la communication en fait partie. La partie communication est même un des principaux éléments de la stratégie marketing. Pourtant, l’on voit beaucoup plus d’intitulés de masters avec des mots comme « communication culturelle » ou « management culturel » plutôt que « marketing culturel ». De même sur le site de recherche d’emplois spécialisés dans la culture ; https://www.profilculture.com/, lorsqu’on recherche le mot « marketing » dans les mots clés, nous trouvons 80 offres d’emplois qui utilisent le mot « marketing » et aussi la plupart du temps « communication ». En revanche, lorsqu’on recherche le mot « communication », 190 offres nous sont proposées et donc 113 offres n’utilisent que le mot communication et pas le mot marketing dans l’intitulé de poste. La culture et le marketing ont besoin l’un de l’autre et les campagnes de communication artistiques vont permettre de réconcilier ces deux entités. C’est l’idée d’Alexandre Kson, exposée dans le livre Art et Communication - Un mariage d'amour et de raison : la culture, l’art va permettre à la publicité de communiquer avec le spectateur en faisant appel à ses émotions et ainsi, va attirer son attention. On note que la communication est vraiment mieux appréciée que le marketing dans le milieu culturel puisqu’ici, elle épouse l’art alors que, comme on l’a vu, de nombreux auteurs ont travaillé sur l’opposition entre art et marketing. Dans son article sur le Marketing en ligne, Kévin Mellet retrace l’histoire de la publicité sur internet et met en avant la publicité créative, intégrant animations et vidéos, qui permettait de mieux capter l’attention des internautes30 . La publicité est considérée, aujourd’hui, comme une industrie créative en elle-même. Comme toutes les industries créatives, les agences de publicité vont chercher à mettre la créativité au cœur de leur stratégie puisque c’est la créativité qui va 30 Mellet Kevin, « Marketing en ligne », Communications, 2011/1 (n° 88), p. 103-111. DOI : 10.3917/commu.088.0103. URL : https://www.cairn.info/revue-communications-2011-1-page-103.htm
  • 24. 25 constituer l’avantage concurrentiel31 : c’est la publicité, en particulier, qui va communiquer sur un produit et si la publicité est originale, créative, le produit en lui-même sera différent des autres aux yeux des consommateurs. Que son but principal soit cognitif, affectif ou conatif, la communication se doit, avant tout, d’attirer l’attention du public32 . Pour cela, la publicité va alors avoir recours à tout, et c’est notamment la créativité qui va l’aider à conquérir le cœur des consommateurs. En effet, même si rien ne prouve encore que la créativité fait acheter, Werner Reinartz et Peter Saffert affirment que « Rien n’est plus efficace que la créativité en matière de publicité. Elle reste gravée dans les mémoires et son effet perdure. »33 . Dans leur article « Publicité et créativité : quand ça passe et quand ça casse », les deux auteurs expliquent que l’attention des consommateurs est mieux retenue lorsqu’on lui présente des messages publicitaires créatifs et originaux. La publicité se doit donc d’être originale et créative afin de susciter l’attention du consommateur. Car si l’on parle de la vente d’un produit, l’objectif de la publicité va être d’éveiller l’attention du consommateur afin de la transformer en désir d’acheter. Comme nous l’avons dit plus tôt dans le mémoire, les consommateurs sont sans cesse harcelés par la publicité et de ce fait, vont zapper très vite les messages publicitaires. (En moyenne, une personne passe moins de 5 secondes à lire une annonce34 ). En 1889, Théodule Ribot théorise le concept de l’attention et la divise en deux catégories35 : 1. L’attention naturelle : elle est basée sur des stimuli instinctifs. On attire notre attention par la peur, par le choc…et globalement par la curiosité. 2. L’attention artificielle : elle relève du choix. Par exemple je choisis de regarder une vidéo parce qu’un code secret s’y cache. Dans ce mémoire nous allons plutôt nous baser sur l’attention naturelle et nous intéresser au concept de curiosité. En effet, plus que l’attention, c’est la curiosité du spectateur qu’il faudra susciter pour lui donner envie de voir un film. Dans son livre « De la curiosité. L'art de la séduction marchande », Franck Cochoy, fait un parallèle entre le marketing et le conte de 31 Vincent Anne, Wunderle Marcus, « Les industries créatives », Dossiers du CRISP, 2012/2 (N° 80), p. 11-90. DOI : 10.3917/dscrisp.080.0011. URL : https://www.cairn.info/revue-dossiers-du-crisp-2012-2-page-11.htm 32 Lee Chang-Hoon, « Le langage est un « lieu » de communication », Sociétés, 2013/3 (n° 121), p. 83-91. DOI : 10.3917/soc.121.0083. URL : https://www.cairn.info/revue-societes-2013-3-page-83.htm 33 https://www.hbrfrance.fr/content/uploads/2014/07/HBR_Aout-Septembre2014_creativite.pdf 34 http://tpeeconomie.e-monsite.com/pages/ii-les-techniques-publicitaires-utilisees-pour-influencer-le- consommateur.html 35 Ribot Théodule, Nicolas Serge, Siéroff Éric, Psychologie de l'attention, 2007, Éditions L'Harmattan, Paris, 182 P.
  • 25. 26 Charles Perrault Barbe-Bleue. L’histoire raconte qu’un homme riche, doté d’une barbe bleue qui lui donnait un aspect repoussant, cherchait à se remarier. Les femmes avaient malheureusement peur de lui à cause de sa laideur et parce que personne ne savait ce qui était arrivé à ses anciennes femmes. Finalement un mariage se conclut entre Barbe-Bleue et une de ses voisines. Un mois après les noces, Barbe-Bleue doit partir en voyage et confie à sa femme un trousseau de clés ouvrant toutes les portes du château. Dans ce trousseau de clés, il lui interdit cependant d’utiliser celle qui ouvre le cabinet dans lequel la femme de Barbe-Bleue ne doit absolument pas pénétrer. Evidemment, la femme de Barbe-bleue enfreint l’interdit, ouvre la fameuse pièce et découvre avec effroi tous les corps des précédentes épouses qui avaient désobéi tout comme elle à Barbe-Bleue. D’après Franck Cochoy, Barbe-Bleue éveille la curiosité de sa femme, en lui parlant, tout d’abord, de toutes les pièces où elle sera libre de se rendre, puis, en mettant l’accent sur une seule pièce qui lui est interdite, sans lui expliquer pourquoi et, surtout, en lui donnant quand même accès à cette pièce interdite. Frank Cochoy compare Barbe-Bleue à un marketeur qui capte la curiosité de l’acheteur (ici la femme) afin de la pousser à l’acte. Après avoir défini dans une deuxième partie ce qu’est la curiosité, nous verrons à quel point elle est importante dans le marketing du cinéma
  • 26. 27 III. LA CURIOSITE ET L’ENVIE DE VOIR 1. LA CURIOSITE A. La curiosité : un défaut mortel Selon ses définitions, la curiosité est double. Elle est considérée à la fois comme une qualité et un défaut. Elle se définit en effet comme la « qualité de quelqu’un qui a le désir de connaître, de savoir » mais aussi comme le « désir indiscret de savoir ». Dans la religion chrétienne, la curiosité est à l’origine de notre vie de mortel sur Terre et donc à l’origine de tous nos maux. Selon la bible, Eve et Adam vivaient heureux dans le jardin d’Eden, au Paradis, mais, un jour, Eve gagnée par la curiosité se demanda ce qu’il y avait au-delà du jardin. Bien que la curiosité d’Eve ne soit pas malsaine puisqu’elle veut juste comprendre le monde, sa curiosité est condamnée. Elle rencontrera alors le serpent qui l’incitera à manger le fruit de la connaissance, fruit interdit, en lui affirmant qu’elle saurait alors la vérité. Eve mangera le fruit défendu et Adam en fera de même. Leur innocence sera alors bafouée et ils prendront connaissance de la différence entre le bien et le mal. A cause de cette transgression, Dieu les exclura du Paradis. D’une manière générale, dans les contes et la mythologie, la curiosité est perçue comme un défaut plus qu’une qualité qui entraîne, comme on l’a vu, de très lourdes conséquences. Ce passage de la bible est aussi une des raisons qui peut expliquer la mauvaise image du marketing. Tout le monde n’est pas chrétien mais certains passages de la bible dont celui du Jardin d’Eden font partie intégrante de la culture générale et de l’inconscient collectif. Le serpent peut clairement être assimilé au marketing puisque c’est le serpent de l’envie. Il pousse l’innocente Eve à commettre une faute. Dans cette histoire, la curiosité des femmes est punie par la mort. On observe donc bien que la curiosité est en général, perçue comme un vice, avec la mort pour sanction symbolique pour celui ou celle qui se laisse gagner par elle. Il y a une autre notion importante introduite dans ces deux histoires : le concept de vérité. Eve et la femme de Barbe- Bleue sont curieuses de connaître la vérité. Plus précisément, la femme de Barbe-bleue souhaite savoir les raisons qui font que la pièce lui est interdite et désire connaître ce que son mari cache. Dans la bible, Eve veut connaître la Vérité du monde. Alors le serpent dit à la femme : Vous ne mourrez point; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.36 36 https://saintebible.com/genesis/3-5.htm
  • 27. 28 Le bonheur au Paradis est ici opposé à la vérité. Donc, pour vivre heureux, l’homme ne doit pas chercher à savoir la vérité. Ses yeux ne doivent pas s’ouvrir. Dans l’Odyssée d’Homère et plus récemment dans le film Netflix Bird Box, les héros font face au même danger : l’idée que, si l’on ouvre les yeux, si l’on regarde, on meurt instantanément. Si dans l’Odyssée d’Homère, Médusa donne un châtiment mortel aux curieux en les faisant se changer en pierre, Bird Box va plus loin, en montrant surtout des personnages qui ne supportent pas ce qu’ils voient et se donnent la mort. Connaître la vérité s’oppose dans ces deux exemples, non plus au bonheur, mais à la vie elle-même. Ceux qui veulent savoir s’exposent à un danger de mort. Le proverbe britannique « Curiosity killed the cat » va d’ailleurs dans ce sens. Le chat est un animal connu pour être très curieux. Ce proverbe est utilisé pour alerter quelqu’un du danger auquel il s’expose, lorsqu’il pose trop de questions. De la même manière, les contes comme Barbe-Bleue mettent en gardent l’enfant contre sa propre curiosité. D’ailleurs, lorsqu’on est enfant on nous répète souvent que « la curiosité est un vilain défaut » et les héros de contes en font souvent la cruelle expérience. B. La curiosité : une qualité intellectuelle Cependant, comme nous explique Clémentine Beauvais, auteure jeunesse et chercheuse en littérature jeunesse et sociologie, la curiosité semble être condamnée chez les personnages adultes, mais chez les personnages enfants, au contraire admirée37 . En effet, il est très rare que les enfants des contes soient punis aussi sévèrement que les adultes. La curiosité des enfants permet en réalité de raconter l’histoire. Clémentine Beauvais affirme même que sans la curiosité des protagonistes enfants, nous n’aurions quasiment pas d’histoire en littérature jeunesse. On le voit par exemple avec le personnage d’Alice dans le roman Alice aux Pays des Merveilles de Lewis Caroll. Si Alice, poussée par sa curiosité, n’avait pas suivi le lapin blanc il n’y aurait pas eu d’histoire. Toute l’intrigue d’Alice au pays des merveilles repose sur la curiosité d’Alice face à un univers qu’elle ne comprend pas et qu’elle désire comprendre. Alice emploiera d’ailleurs à maintes reprises le mot curieux pour qualifier ce qu’elle voit "Ma parole ! pensa Alice, j'ai souvent vu un chat sans un sourire, mais jamais un sourire sans chat !... C'est la chose la plus curieuse que j'aie jamais vue de ma vie !"38 . Pour L. Frank Baum et James M. Barrie, Le voyage d’Alice au pays des merveilles est interprété comme un passage de l’adolescence à l’âge 37 https://www.actualitte.com/article/ailleurs/un-vilain-defaut-la-curiosite-en-litterature-jeunesse/82042 38 CARROLL Lewis, Alice's Adventures in Wonderland, 1865
  • 28. 29 adulte39 et donc le récit d’Alice est un récit d’apprentissage. C’est cela qui est essentiel et qui est retenu dans les contes : l’enfant doit être curieux parce que sa curiosité permet l’apprentissage de la vie. Toujours d’après les propos de Clémentine Beauvais, la curiosité du protagoniste enfant est perçue comme innocente et est donc encouragée. Ceci est en lien avec les travaux de Sébastien Deluche, enseignant chercheur en musique, qui a réalisé son mémoire sur la « curiosité, un besoin fondamental pour apprendre. » Dans ce mémoire, Sébastien Deluche se propose de trouver des moyens pédagogiques qui permettent de valoriser et de développer la curiosité. Il met également en évidence l’importance de la curiosité en citant Einstein « L’important est de ne jamais cesser de s’interroger. La curiosité a sa propre raison d’exister. On ne peut pas s’empêcher d’être en admiration quand on contemple les mystères de l’éternité, de la vie, de la merveilleuse structure de la réalité. Il suffit simplement d’essayer de comprendre un peu de ce mystère chaque jour. Ne perdez jamais votre sainte curiosité. » Cette citation met en évidence la double signification de la curiosité et le combat entre religion et science. Elle est en effet définie comme un péché dans la religion chrétienne et au contraire, les scientifiques comme Einstein parlent de « sainte curiosité ». La curiosité devient alors une qualité, une façon de s’ouvrir au monde. Pour William Ellison et Michel Minard, la curiosité est un éveil sur les choses, que l’on soit adulte ou enfant40 (1995). Être curieux c’est le désir de comprendre comment fonctionne le monde physique, comme Archimède, ou comprendre le monde métaphysique, philosophique, comme Socrate ou Platon. Être curieux, ici, c’est donc essentiellement vouloir comprendre le fonctionnement des choses, ne pas être inculte. Pour Hoffman Christian, « Le chercheur est animé d’un désir de conquêtes de nouveaux savoirs aux frontières de la connaissance, c’est-à-dire aux bords de ce qui fait énigme pour nous. Il pousse ce désir jusqu’à l’amour du laboratoire. »41 . Pour commenter cette soif de vérité, Freud parle de pulsion de savoir42 39 http://tracydarcy.blogspot.com/2013/05/le-passage-de-lenfance-vers-lage-adulte.html 40 Ellison William, Minard Michel, « De la curiosité de la curiosité », dans : Michel Minard éd., De la curiosité en psychiatrie. Toulouse, ERES, « Questions de psychiatrie », 1995, p. 35-52. DOI : 10.3917/eres.minar.1995.01.0035. URL : https://www.cairn.info/de-la-curiosite-en-psychiatrie-- 9782865863303-page-35.htm 41 Hoffman Christian, « Existe-t-il une pulsion de savoir ? », Le Carnet PSY, 2012/5 (N° 163), p. 33-35. DOI : 10.3917/lcp.163.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2012-5-page-33.htm 42 de Mijolla-Mellor Sophie, « L'impact de la scène primitive sur la pulsion de savoir », Revue française de psychanalyse, 2010/4 (Vol. 74), p. 1007-1019. DOI : 10.3917/rfp.744.1007. URL : https://www.cairn.info/revue- francaise-de-psychanalyse-2010-4-page-1007.htm
  • 29. 30 C. La pulsion de savoir chez l’enfant La pulsion de savoir chez l’Homme trouve son origine dans son enfance43 . L’enfant cherche à comprendre le fonctionnement des choses. Sa curiosité est insatiable et dans son article « D’où s’origine le désir de savoir chez l’enfant ? », Virginie Jacob fait remarquer que l’enfant ne cesse de demander « pourquoi » à ses parents. Pour Freud, ce besoin de percer les mystères et les secrets de l’univers, va se traduire par une curiosité sexuelle car il n’y a pas de plus grand mystère pour l’enfant que la sexualité dont il est tenu à l’écart par les adultes. Cette curiosité sexuelle apparaît entre trois et cinq ans et José Garcia Ibañez44 explique qu’elle est très influencée par le regard. L’enfant deviendrait alors un voyeur dont la curiosité serait satisfaite par la contemplation des choses. Entre trois et cinq ans, toujours d’après l’article de José Garcia Ibañez, la curiosité de l’enfant se manifeste par l’observation attentive de la miction et de la défécation. En effet à cet âge on peut parler de curiosité sexuelle mais l’enfant n’en est pas encore au stade des questions sur son origine et la procréation. La curiosité est donc nécessaire à l’enfant pour qu’il puisse comprendre et appréhender la vie mais aussi pour qu’il puisse se définir en tant qu’individu, que « Je ». C’est le stade du miroir45 que Lacan explique en Juillet 1949, lors du XVIe Congrès international de psychanalyse à Zürich. Dans son texte qui évoque le stade du miroir, Lacan parle donc de l’identification chez l’enfant : lorsque celui-ci a entre 6 et 18 mois, il se retrouve confronté pour la première fois à sa propre image dans le miroir. Avec l’aide d’un adulte, il va alors comprendre que cette image est la sienne et va donc se reconnaître en tant que « Je ». Dès lors, cette révélation va lui permettre de se construire en tant qu’individu. Le « Je pense donc je suis » du philosophe Descartes devient ici « je me vois, donc je suis ». Au cinéma, le spectateur va reproduire ce stade du miroir en s’identifiant à une image. 3. LE CINEMA ET L’ENVIE DE VOIR D. Le spectateur voyeur Metz (1977) affirme que « l’exercice de cinéma » n’est rendu possible que par le désir de voir : pulsion scopique, scoptophilie, voyeurisme46 et pour Michel Marie, historien du cinéma, la 43 https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2012/04/references-Virginie_Jacob-ie.pdf 44 Ibañez José Garcia, « La curiosité », dans : Michel Minard éd., De la curiosité en psychiatrie. Toulouse, ERES, « Questions de psychiatrie », 1995, p. 111-117. DOI : 10.3917/eres.minar.1995.01.0111. URL : https://www.cairn.info/de-la-curiosite-en-psychiatrie--9782865863303-page-111.htm 45 Jacques Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 93-100. 46 Renucci Franck, « Quand psychanalyse et cinéma mettent en scène la communication », Hermès, La Revue, 2015/1 (n° 71), p. 237-243. URL : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2015-1-page-237.htm
  • 30. 31 cinéphilie est directement décrite comme « le goût pervers du voyeurisme »47 . Le spectateur est donc décrit comme un voyeur et sa pulsion scopique est satisfaite au cinéma car il peut voir sans être vu. Ce thème de la pulsion scopique est très chère au réalisateur Hitchcock et elle se retrouve notamment dans deux de ces films : Psychose et Fenêtre sur cour. Dans Psychose, la pulsion de savoir est reprise avec le personnage de Norman Bates qui regarde par un trou dans le mur, une femme en train de se doucher. Avec cette scène, Hitchcock nous montre la curiosité sexuelle de Norman. Norman est attiré par la fille et la regarde se déshabiller, à son insu. C’est bien la curiosité de Norman qui le pousse à regarder. Cette scène de Psychose fait penser à l’exemple de Sartre : le voyeur, honteux d’être surpris en train de regarder par le trou de la serrure. Pour Jean-Luc Cacciali, ce qui est important pour le voyeur qui regarde à travers la serrure, c’est le fait de voir quelque chose qu’il ne doit pas voir. Le voyeur ressent de la honte non pas à cause de ce qu’il regarde mais parce qu’il est surpris en train de désirer voir48 . Dans le signifiant Imaginaire, Christian Metz affirme que le cinéma est une transgression, une répétition de la scène primitive. La scène primitive est, selon Freud, l’observation fantasmée ou réelle par un enfant d’un rapport sexuel entre les parents. Selon Metz, le cinéma reproduit la situation de la scène primitive : l’obscurité de la salle rappelle celle de la chambre des parents, le spectateur assiste à une scène cachée comme s’il regardait à travers un trou de serrure et enfin, les personnes regardées ne savent pas qu’elles le sont. Le rapprochement entre ces deux situations est particulièrement évident dans une scène du film Old Boy. 47 http://www.cinefiltours37.fr/index.php/le-journal-de-lassociation/les-anciens-articles/47-fragments-pour- une-histoire-du-cinema 48 Cacciali Jean-Luc, « Une perversion du regard : le voyeurisme », Journal français de psychiatrie, 2002/2 (no16), p. 33-34. DOI : 10.3917/jfp.016.0033. URL : https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de- psychiatrie-2002-2-page-33.htm
  • 31. 32 Dans cette scène, le héros du film Oh Dae-su, s’imagine retourner dans son passé. Il se rappelle que lorsqu’il était encore lycéen, il avait surpris un rapport sexuel incestueux entre un frère et une sœur. Au début, Oh Dae-su n’avait pas compris que c’était un rapport incestueux mais sa curiosité l’a incité à regarder plus longtemps et les personnes regardées se sont rendu compte de sa présence. En lien avec la première partie, la curiosité est, ici, défaut puisque c’est une curiosité perverse et Oh Dae-su ne sait pas encore que c’est cet acte de voyeurisme qui le condamnera au malheur. La curiosité du spectateur le pousse ainsi à un certain voyeurisme et Fenêtre sur cour d’Hitchcock est une véritable mise en abime du voyeurisme au cinéma. Sur l’image, on peut voir L. B. Jeffries, reporter-photographe. Il est obligé de rester chez lui à cause d’un accident. Sa curiosité et sa soif d’aventure vont le pousser à épier son voisinage. Fenêtre sur cours aborde le voyeurisme du spectateur au cinéma mais aussi sa curiosité et son désire de percer les secrets de la vie privée des autres. E. Les trois types de curiosité D’après Ian Leslie, on peut distinguer trois types de curiosité chez le spectateur (2014). Dans son livre, The Quest for Knowledge: Curious: The Desire to Know and Why Your Future Depends on It, Leslie définit ces trois catégories :
  • 32. 33 1. « Diversive curiosity » : c’est la curiosité dont nous avons parlé qui nous anime dès l’enfance. Cette curiosité est naturelle et innée. C’est celle qui nous donne envie d’expérimenter de nouvelles choses, ou de découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles personnes, par exemple. Leslie explique que cette curiosité peut être dangereuse parce que c’est celle qui nous pousse à expérimenter la drogue par exemple et qui nous donne envie d’adrénaline. 2. « Epistemic curiosity » : c’est une recherche de savoir et de compréhension du monde. C’est cette curiosité-là qui anime les scientifiques et qui pousse l’enfant à apprendre. Leslie nous apprend que cette curiosité demande de l’effort parce qu’elle va plus loin que la première curiosité qui est naturelle. 3. « Empathic curiosity » : C’est la curiosité par rapport aux autres. On se met à la place des autres et on se demande ce qu’ils ressentent et pensent. Cette curiosité peut se révéler très indiscrète. Ces trois curiosités sont en fait toutes liées entre elles et nous allons voir qu’elles peuvent chacune se retrouver chez les différents spectateurs. • « Empathic curiosity » ou la curiosité indiscrète Le film Fenêtre sur cour nous montre l’ampleur de l’indiscrétion. Quand on parle de curiosité, on pense en effet directement aux commérages et au fait de se mêler de ce qui ne nous regarde pas (M. Minard, 1995). La curiosité peut se définir comme on l’a vu plus tôt, comme le désir de savoir les secrets, les affaires d’autrui. C’est exactement ce que fait L. B. Jeffries en observant secrètement ses voisins. Aujourd’hui, la curiosité indiscrète est très présente : c’est notre curiosité indiscrète qui fait que nous utilisons autant Facebook ou encore Instagram. Nous aimons voir la vie des autres, nous aimons fantasmer sur la vie des autres. En témoigne le succès de la télé-réalité avec ses programmes vivement critiqués mais toujours à grande audience. Le cinéma se base sur cette curiosité indiscrète en inventant des histoires entre des personnages et en donnant au spectateur le moyen d’accéder à la vie privée de ces personnages. On nous donne même accès à la vie sexuelle inventée de ces personnages. Certains spectateurs ont d’ailleurs bien du mal à différencier la réalité de la fiction et sont souvent déçus que les acteurs ne soient pas, par exemple, réellement amoureux dans la vie réelle comme dans la vie fictive, à l’écran. Cette curiosité peut être parfois malsaine lorsqu’on parle des émissions comme « Enquêtes criminelles : le magazine des faits divers ». Comme dans une série policière, les spectateurs suivent l’explication et la résolution du crime mais ce n’est plus une fiction. La chaîne Youtube
  • 33. 34 « NavylittleMonster » présente des histoires sordides de meurtres d’enfants, de viols, de séquestrations…, et chacune des histoires est commentée et visionnée par des milliers de personnes. Ces histoires représentent des défouloirs pour certaines personnes qui vont commenter en insultant le coupable. Au cinéma, le spectateur va pouvoir encore une fois satisfaire cette curiosité en allant voir par exemple des films d’horreur ou des films violents. Cette curiosité peut être définie comme malsaine et pourtant elle peut découler d’une curiosité intellectuelle. • « Epistemic curiosity » ou la curiosité intellectuelle Le spectateur peut également faire preuve de curiosité intellectuelle parce que comme on l’a vu, il désire comprendre le monde et s’ouvrir aux autres. Le cinéma va alors se révéler un bon moyen d’apprendre des choses tout en se divertissant. A travers un certain type de film, le spectateur peut s’enrichir de deux façons différentes : • Enrichir sa culture par le sujet du film : bien que souvent romancé, les films historiques comme La liste de Schindler ou Amadeus, sont basés sur des faits historiques réels. Les documentaires permettent également d’étancher la soif de connaissance du spectateur. • Réfléchir sur les relations et sur la vie : aujourd’hui, beaucoup de films font se poser des questions aux spectateurs. Le Grand bain est un film qui aborde les thèmes de la dépression et de l’échec. Le film fait réfléchir quant à notre rapport à la vie et aux autres. Dans un tout autre registre, le film Infinity War nous présente un villain qui a pour projet de faire disparaitre la moitié de la population pour résoudre le problème de la surpopulation. Au contraire des autres Villains qui veulent juste dominer le monde, Thanos se pose la question de la surpopulation, question qui est posée notamment dans la série Utopia ou dans Seven Sisters Le cinéma est alors un bon outil de réflexion et d’apprentissage mais aussi, comme l’affirme le réalisateur japonais Akira Kurosawa, le cinéma est un art qui rassemble plusieurs autres arts. « Le cinéma ressemble tellement aux autres arts ; s'il y a des caractéristiques éminemment littéraires, il y a aussi des caractéristiques théâtrales, un aspect philosophique, des attributs empruntés à la peinture, à la sculpture, à la musique. » cette pluridisciplinarité va être une des forces du cinéma parce que les films vont pouvoir se mêler aux autres arts. Bohemian Rhadopsy et A star is Born sont des films qui ont eu beaucoup de succès en 2018 et qui intègrent, tous les deux, des chansons très appréciées du public. Le fait de mêler
  • 34. 35 plusieurs arts est très apprécié des millenials. En 2018, le Louvre est devenu une marque « cool »49 parce que Jay-Z et Beyoncé ont loué ce musée pour faire un clip de musique. Le Louvre proposait ensuite un parcours incluant toutes les œuvres vues dans le clip. Grâce à cette association entre musique et musée, le Louvre a su attirer les consommateurs en attisant leur curiosité intellectuelle. En lien avec cette envie de découvrir plusieurs arts, le spectateur recherche avant tout l’émotion. • « Diversive curiosity » ou la curiosité émotionnelle Il ne faut pas oublier que la plupart des spectateurs cherchent avant tout à se divertir en partageant avec les autres. Selon le box-office 201850 , en France, les spectateurs ont choisi l’humour avec Les industructibles 2, Les Tuches 3 et La Ch’tite Famille dans le top 3. On en revient à la chanson d’Alain Souchon dont nous avons parlé au début de ce mémoire, les spectateurs sont une « foule sentimentale » et selon l’étude AOL, l’émotion est au cœur de l’efficacité publicitaire. Le spectateur va chercher à ressentir des émotions, que ce soit le rire, la tristesse ou encore la peur. Il va y avoir deux manières de ressentir des émotions au cinéma : • Emotion par procuration : A Médiamétrie, lorsque l’on interrogeait les spectateurs qui avaient vu une bande annonce, à la question « pourquoi avez-vous envie de voir ce film ? », certains répondaient « parce que le film a l’air émouvant » ou « parce que le film a l’air rempli d’aventures et d’action ». • La recherche d’émotion par la technique : grâce notamment aux innovations 4DX ou Imax 3D, on va aller plus loin dans l’immersion. 49 https://www.lemonde.fr/culture/article/2018/07/23/avec-jay-z-et-beyonce-le-louvre-devient-une-marque- cool_5335012_3246.html 50 https://fr.wikipedia.org/wiki/Box-office_France_2018
  • 35. 36 Dans ce contexte de crise, les spectateurs et, en particulier, les 18-30 rêvent d’ailleurs. En effet, selon une enquête d’OpinionWay, 75% des 18-30 ans interrogés rêvent de partir à l’étranger. Julien Calmand, chargé d’études au Céreq, affirme que « Les jeunes pensent que partir découvrir un autre pays leur permettra de mieux appréhender les phénomènes internationaux et finalement de mieux comprendre le monde ».51 On retrouve de nouveau ce besoin de comprendre le monde, ici associé à une envie d’éprouver des émotions grâce aux voyages. En 2017, selon le journal le Figaro, les français n’auraient jamais autant voyagé : plus de cinq millions de Français ont voyagé à l'étranger.52 Parmi les principales motivations des français, on retrouve un profond désir de découverte d’une autre culture et une recherche d’aventures. On retrouve donc la curiosité intellectuelle mais aussi et surtout la curiosité émotionnelle. Le cinéma va exploiter les 3 types de curiosité mais surtout les deux premières (l’intellectuelle et l’émotionnelle). Résumé de la partie 2 : Donner envie en attisant la curiosité du spectateur Depuis le début, depuis la naissance du cinéma, les spectateurs ont toujours été motivés par la curiosité et l’envie de voir. Le réalisateur français Claude Lelouch affirme même que « le cinéma est fait pour tous ceux dont la curiosité est le plus grand défaut ». Que la curiosité soit un défaut ou une qualité n’aura pas d’importance puisque le cinéma permet au spectateur de voir ce qu’il veut. Si le Beverley, temple du cinéma porno des années 70-80 a définitivement fermé ses portes en février 2019, beaucoup de films d’aujourd’hui donnent à voir des scènes érotiques qui n’ont rien à envier aux scènes pornographiques. Si l’envie est un des sept péchés capitaux, elle est pourtant à la base du marketing du cinéma. Dans le livre Le marketing du cinéma, Xavier Albert et Jean-François Camilleri rappellent que le marketing du cinéma a deux missions : créer la notoriété du film et donner envie au spectateur d’aller le découvrir en salle. L’envie est un des piliers du cinéma, c’est elle qui va faire en sorte que le spectateur préfèrera voir un film plutôt qu’un autre. Le cinéma utilise le vocabulaire de la séduction : la bande annonce en anglais se dit « Trailer » mais aussi « Teaser » et en français le verbe « teaser » signifie aguicher. La bande annonce appelle ainsi à la curiosité du spectateur : la bande annonce d’un film consiste à en montrer seulement des extraits pour attiser la curiosité du spectateur et la transformer en envie de voir. De son côté, le spectateur veut qu’on le séduise, il ne veut pas 51 https://www.20minutes.fr/societe/2344803-20181001-sondage-exclusif-pourquoi-trois-quarts-18-30-ans- revent-partir-etranger 52 En 2017, plus de cinq millions de Français ont voyagé à l'étranger.
  • 36. 37 que la bande annonce en dise trop. Beaucoup de spectateurs refusent de voir les bandes annonces parce qu’ils trouvent que celles-ci dévoilent tout le film. Le spectateur n’a alors plus besoin de voir le film puisqu’il n’y a plus rien à découvrir, il n’est plus curieux. Il faut donc donner envie, oui mais, avant tout, il ne faut pas montrer tous ses atouts. Et c’est là toute la complexité d’une bande annonce. Pour Emmanuel Durand, vice-président marketing de Warner Bros. France, la bande annonce doit avant tout jouer sur la curiosité émotionnelle du spectateur car "son objet n'est pas nécessairement d'exposer l'histoire du film mais d'accrocher les gens sur des émotions, des sensations qui vont rester dans leur tête"53 . Dans notre première partie, nous avons vu que les consommateurs rejettent le marketing et la publicité. Le cinéma possède un avantage parce que d’après une étude récente, les bandes annonces et les actions de communication qui promeuvent les films ne seraient pas perçues comme de la publicité et donc ne gêneraient pas la majorité des consommateurs : 75% du panel ne perçoit pas les communications cinéma comme de la publicité, 82% considérant même qu’il s’agit d’« un contenu d’informations intéressant »54 Il s’agit donc de profiter de cet avantage en proposant des communications créatives et qui plongent le consommateur dans l’immersion. 53 https://www.lexpress.fr/culture/cinema/bande-annonce-quand-elle-devient-plus-importante-que-le- film_1186761.html 54 https://www.cbnews.fr/medias/mediatransports-iligo-etudient-franciliens-au-cinema-41286
  • 37. 38 IV. LE MARKETING EXPERIENTIEL 1. LES CAMPAGNES DE COMMUNICATION : LA PROMESSE D’UNE EXPERIENCE A. La bande annonce : présenter une ambiance Attiser la curiosité du spectateur va notamment passer par les actions de promotion des films. Cependant, attiser seulement la curiosité du spectateur ne suffit pas, il faut également donner envie au spectateur de s’immerger dans le film et donc il faut lier cette curiosité au besoin d’expérience du spectateur. Netflix maîtrise très bien l’art de promouvoir les films en utilisant la curosité du spectateur. On pense notamment à la bande annonce de la série « 13 reasons why » qui présente une jeune adolescente qui s’est suicidée et qui raconte pourquoi elle a commis cet acte à travers des cassettes qu’elle a envoyées à ceux qui l’ont poussée au suicide. La bande annonce joue vraiment sur le concept de curiosité puisque qu’à la fin de la bande annonce, la protagoniste s’exprime « Si tu veux savoir la vérité appuie sur play » comme si elle s’adressait aux spectateur. Ici, c’est seulement la curiosité intellectuelle qui est mobilisée. On veut savoir ce qui est arrivé à cette adolescente, on veut résoudre le mystère. Pour qu’elle soit vraiment efficace, la bande annonce doit mobiliser les trois types de curiosité dont nous avons parlé. La bande annonce doit être le premier pas vers le marketing expérientiel. Celle-ci doit être construite de façon à rendre compte de l’ambiance du film en seulement une ou deux minutes. Nous sommes très proches des techniques utilisées en marketing expérientiel parce que c’est bien l’idée d’immersion qui est retenue ici. On utilise deux sens sur cinq via la bande annonce : l’ouie et la vue du spectateur sont mobilisées pour donner au spectateur l’impression d’être dans le film. Le spectateur regardera la bande annonce entièrement si celle-ci arrive à attiser sa curiosité en lui présentant un univers mystérieux. Plus le côté expérientiel, immersif de la bande annonce sera mis en avant, plus le spectateur aura alors envie de continuer l’immersion en allant voir le film au cinéma. Il y a donc un certain savoir-faire et un art dans la manière de présenter un film. Sur Youtube, la chaine WatchMojo Français établit le top 10 des bandes annonces bien meilleures que les films. Ces bandes annonces maitrisent très bien l’art du suspens et ont donné envie d’aller voir un film qui était, soit très mauvais, soit décevant. Nous allons voir que les bandes annonces les plus appréciées mobilisent principalement la curiosité émotionnelle du spectateur, mais de deux façons différentes :
  • 38. 39 1. En se focalisant sur la recherche de sensations du spectateur Lorsqu’il va au cinéma, le spectateur cherche à ressentir des émotions, que ce soit le rire, la peur, la tristesse, le dégoût… C’est donc la clé d’entrée qui va permettre au monteur de créer la bande annonce. Son but va donc de transmettre une émotion ou plusieurs émotions. En 2017, le site sens critque a réalisé un sondage auprès de 241 membres pour faire le top 15 des meilleures bandes-annonces de films. Dans ce Top 15 on retrouve notamment Interstellar de Christopher Nolan et H2G2 : le guide du voyageur galactique de Garth Jennings. Si le premier film est un succès auprès des spectateurs, il n’en reste pas moins que la bande annonce est très réussie. D’une part, parce que comme le disent les commentaires, elle ne dévoile pas le film, donc elle respecte la curiosité intellectuelle du spectateur vis-à-vis de l’intrigue et d’autre part, elle, attise sa curiosité emotionnelle en lui donnant l’impression qu’il sera comme dans l’espace, s’il va le voir au cinéma. Dans les top commentaires, un internanute s’exclame « ça doit faire un de ces effets sur grand écran avec les vision de l'espace etc... 0.0 ». Les deux types de curiosité émotionnelle sont ici exploités, puisque la bande annonce met également en avant la tristesse du père qui est obligé de partir dans l’espace et d’abandonner sa petite fille. Les images sont importantes mais également le son puisque c’est la musique qui va permettre au spectateur de vraiment s’impliquer dans la bande annonce. La bande annonce parodique de The Shining55 met en évidence l’importance de la musique dans une bande annonce. Dans cette parodie, la musique joyeuse qu’on entend combinée à la fausse voix du narrateur font penser à une comédie dramatique familiale alors que Shining est un film d’horreur. En réalité, la musique permet à elle seule de créer une ambiance. Dans la bande annonce d’un film d’horreur, il est clair que si le spectateur n’a pas le son, il aura beaucoup moins peur et donc il aura beacoup moins envie d’aller voir le film. La bande annonce de H2G2 : le guide du voyageur galactique utilise aussi la curiosité émotionnelle mais sous forme d’humour. La bande annonce est en fait un guide pour faire une bande annonce. C’est ingénieux puisque que le film montre quelques scènes tout en ne disant rien du scénario et insiste sur le fait que le film est un guide puisque la bande annonce guide le spectateur pour lui montrer comment se fait une bande-annonce. Ce film qui est une référence pour les « geeks » nous amène au deuxième point important qui se retrouve dans les meilleures bandes annonces actuelles : l’idée d’une communauté. 55 https://www.youtube.com/watch?v=wAcERijUXp4
  • 39. 40 2. Exciter la curiosité du fan Dans le top 15 des meilleures bandes annonces, établit par Sens Critique, seulement deux des films présentés sont des films qui ne sont pas des suites. Tous les autres films sont attendus par une communauté de fans. De ce fait, dans les bandes annonces nous allons retrouver des éléments que seuls les fans peuvent comprendre. La bande annonce d’Avengers Endgame a été très appréciée. Lorsqu’on la regarde, le premier élément qu’on remarque c’est la puissance de la musique : elle reprend le thème musical des Avengers mais elle est beacoup plus épique et donc elle crée déjà des émotions chez le spectateurs. Toujours dans le top 15 de Sens Critique, la bande annonce de Star Wars : le reveil de la force, se situe en 3ème position. La musique a joué un rôle important puisque beaucoup de fans ont applaudi le remixage de la bande originale de Star Wars comme en témoigne les deux tops commentaires : La bande annonce est donc réussie lorsqu’elle est immersive. Cependant, la bande annonce va certes, donner envie au spectateur de voir le film mais pas forcément d’aller le voir au cinéma. Attiser la curiosité est donc à la base du marketing du cinéma mais c’est le marketing expérientiel qui va réellement se servir de la curiosité du spectateur pour lui donner envie d’aller plus loin dans l’immersion en allant le voir au cinéma. Depuis le modèle expérientiel de Holbrock et Hirschman (1982), beaucoup de chercheurs en marketing se sont penchés sur le consommation expérientielle comme source des émotions des consommateurs. Les théoriciens du marketing expérientiel estiment que plus l’expérience de consommation permet au consommateur de sortir de l’ordinaire, plus le consommateur va être satisfait. Bernard Cova et Véronique Cova affirment en effet que « ce qui procure le plaisir, c’est l’immersion totale du consommateur dans une expérience originale »
  • 40. 41 B. L’évènementiel : premiers pas vers le marketing expérientiel Dans la première partie de notre mémoire, nous parlions du rejet du marketing et de la nécessité de faire des campagnes de communication créative pour attirer l’attention du spectateur. La communication hors-média va notamment permettre aux distributeurs de créer, de faire la promotion d’un film ou d’une série en immergeant le spectateur dans des univers. La fiction, le rêve va envahir la réalité et la curiosité des spectateurs va être mobilisée. Sur ces deux photos, on peut voir deux exemples de campagnes de communication immersive : Pour promouvoir le film « ça », la Warner Bros a placé des ballons rouges au-dessus de bouches d’égout, un peu partout en France et en Amérique. Ces idées de communication sont bien trouvées puisqu’elles permettent de générer du « Earned Media ». On parle de « Earned Media », lorsque les internautes, eux-mêmes, font la promotion d’une marque ou dans le cas présent d’un film, en partageant des photos de l’évènements et en devenant sans le savoir ambassadeurs du film. Netflix maîtrise très bien cette technique comme on peut le voir avec la campagne de promotion de la série Stranger Things, qui plonge les spectateurs dans les années 70-80. Le dernier exemple nous montre que ces campagnes permettent certes d’attiser la curiosité du spectateur mais elles ne restent que des invitations à l’immersion et on sait que cette immersion peut très bien se faire chez le spectateur lui-même puisque la série Stranger Things est disponible uniquement sur la plateforme Netflix. Il faut donc faire plus de marketing expérientiel dans les salles de cinéma pour améliorer l’expérience des spectateurs et donc
  • 41. 42 augmenter la valeur ajoutée d’un film vu en salles et non chez soi. Pour cela, il faut faire en sorte que le film au cinéma devienne un plaisir pur qui satisfait tous les besoins du spectateur. 2. LES BESOINS DES SPECTATEURS Dans mon mémoire de Master 1 sur la bande dessinée, j’abordais l’acte d’achat sans finalité pratique en tant que quête de plaisir pur. Cette recherche d’un achat hédoniste par le consommateur est ce qui va rendre possible le marketing expérientiel. D’après l’article de Jean- Marie Bouissou, la quête de plaisir pur va passer par la satisfaction de six besoins psychologiques fondamentaux : 1. La volonté de puissance : maîtriser en possédant ou en apprenant des choses 2. Le besoin d’accomplissement : vivre des situations gratifiantes, fût-ce par procuration 3. Le besoin de sécurité : retrouver des situations familières et plaisantes 4. Le besoin de distinction : se sentir différent et supérieur aux autres 5. Le besoin d’excitation : rechercher des émotions génératrices de poussée d’adrénaline 6. Le besoin d’évasion : s’abstraire d’un quotidien peu gratifiant ou stressant Si le cinéma répond déjà à certains de ces besoins par la diversité des scénarios et des personnages, c’est vraiment son association au marketing expérientiel qui va lui permettre de développer au maximum sa capacité d’immersion et d’aller plus loin dans la satisfaction du besoin d’excitation et d’évasion. A l’origine, le cinéma est déjà du marketing expérientiel : C’est en 1895, plus précisément le 28 novembre, que le cinéma naît de façon officielle. Lors d’une soirée au salon Indien, Louis Lumière et son frère Auguste présentent des petits films de 50 secondes appelées les « vues lumières ». La projection est publique mais est aussi et surtout, payante. Ainsi, même si le vocabulaire de l’époque ne permet pas ici de parler de marketing c’est pourtant bien de marketing expérientiel dont il s’agit : les frères Lumière vendent ici une expérience, celle du cinéma. En lien avec le marketing expérientiel et la satisfaction du besoin d’excitation et d’évasion, il nous faut parler du besoin d’appartenance introduit par la pyramide de Maslow (1954). Les travaux de Maslow classent les besoins humains en cinq niveaux et les besoins d’appartenance se situent au 3eme niveau, après les besoins physiologiques et le besoins de sécurité. Dans les besoins d’appartenance, on retrouve notamment le besoin d’avoir des amis et de faire partie intégrante d’un groupe. Erich Fromm s’appuie sur les travaux de Maslow pour