Le marché financier algérien réalité et perspectives.pdf
Sukuk développement et défis
1. Les Sukuk : développement et défis*
Introduction
Sukuk est le pluriel de Sak, ce mot a des origines1
qui remonte au premier siècle de
l’hégire durant le règne du calife Omar Ibn Khattab des formes précoces de sukuk ont été
attribué au porteur (un soldat) pour prendre une quantité déterminée de nourriture d’un centre
de distribution; ces certificats étaient commercialisables et échangeables directement contre
un actif spécifique d’une valeur intrinsèque déterminée. D’autres historiens ont identifiés des
liens entre les mots Sak et le chèque.
De nos jours, les sukuks sont vulgarisés par des obligations islamiques, un terme qui ne fait
pas l’unanimité parmi les experts du domaine; car il existe sur le marché financier malaisien
des obligations islamiques qui ont des caractéristiques plus proches des obligations
conventionnelles avec comme différence l’existence d’un contrat Inah ou Bay’ Bithaman Ajil
deux contrats dont la validité est rejetée en dehors de la Malaisie.
Quant à l’administration fiscale française, elle définit les Sukuk d’investissement comme des
titres hybrides négociables dont la rémunération, et le cas échéant le principal sont indexés sur
la performance d’un ou plusieurs actifs sous-jacents détenus directement ou indirectement par
l’émetteur.
Cet article sera structuré comme suit :
Dans un premier temps, nous allons exposer quelques données chiffrées et présenter les
différentes catégories de Sukuk et aborder la méthodologie adoptée par les principales
agences de notation financière.
Dans un deuxième temps, nous allons nous intéresser à quelques formes innovantes de Sukuk,
et analyser l’importance de l’actif sous-jacent dans une opération de Sukuk
*Otmane Amrani, Master Finance Islamique, université de Strasbourg; amranih.otmane@gmail.com
1
Voir A.K Abdullah, Sukuk and Bonds: a comparison
2. I-Données chiffrées, et les différentes catégories de Sukuk et méthodologie
de notation
1-Données chiffrées
Les actifs de la finance islamique ont franchi fin 2014 la barre de 2 milliard de $, et en termes
de croissance le graphe2
ci-dessous montre que les actifs et les marchés financiers islamiques
ont augmenté en moyenne de 17,5% sur la période (2009-2013)
En ce qui concerne les Sukuk, les émissions ont connu une croissance soutenue ses dernières
années avec une stagnation durant la période (2007-2009) ; pour se rapprocher de 300 milliard
de $ en émission en 2014.
2
Hussain.M et A.Shahmoradi et R.Turk; An overview of Islamic finance, IMF Working Paper (2015)
3. Graphe3
: montant des Sukuk en émission dans le monde en milliard de $
Source : Bloomberg
2- Différentes catégories de Sukuk
Il serait intéressant de distinguer les Sukuk souverains émis par des Etats de ceux émis par des
entreprises, puisque les premiers peuvent faire partie d’une politique de communication d’un
pays pour attirer les investisseurs étrangers et montrer que le pays est prêt à accueillir la
finance islamique et que ces lois ont été aménagées pour permettre de mener à bien une
opération de Sukuk, Selon (Weill), c’est le cas du Sak souverain britannique émis en 2013,
d’un montant de 200 millions de livres qui représente seulement 0,1% des besoins de
financement du Royaume-Uni en 2013.
Les Sukuk représentent des instruments charia compatible du marché de capitaux islamique,
le rôle de ce dernier reste le même qu’un marché de capitaux conventionnel ; notamment
faciliter la rencontre entre les agents économiques ayant un excédent de capitaux et les agents
ayant des besoins de financement. Concrètement, les Etats, et les entreprises s'adressent aux
investisseurs des marchés de capitaux sans devoir passer par des intermédiaires. Les
financiers évoquent un phénomène de finance directe ou financement désintermédié, ce type
de financement requière un niveau supérieur de gouvernance puisqu’il comporte plus de
3
Hussain.M et A.Shahmoradi et R.Turk; An overview of Islamic finance, IMF Working Paper (2015)
4. risque d’où la nécessité de communiquer des informations supplémentaires ; par exemple, la
notation financière de l’entité émettrice. Certains experts en la matière considèrent qu’il existe
en finance conventionnelle des mécanismes assimilables au Sukuk par exemple la titrisation,
ou le financement structuré. Notamment (M.B Al-amine) [estime que les Sukuk ont des
caractéristiques plus proche d’une opération de titrisation qu’une émission obligataire, il
rajoute qu’une différence majeure entre les titrisations et les Sukuk vient du fait que les flux
générés dans le cadre des Sukuk doivent être liés à des actifs sous-jacents identifiés et que le
certificat d’investissement du Sak représente une part de propriété dans cet actif].
Cet avis est apparemment soutenable, d’ailleurs la classification des Sukuk la plus répandue
entre les chercheurs est celle retenue par les principales agences de notation financières qui
distinguent deux types de Sukuk :
- Asset-based Sukuk : il s’agit du modèle le plus dominant sur le marché des Sukuk,
dans ce cas l’originateur ne transfère pas la propriété de l’actif sous-jacent au SPV,
seul usufruit de l’actif ou les flux de trésorerie générés par l’actif sous-jacent sont
transférés au SPV. Dans ce cas, les porteurs des Sukuk n’ont pas accès à cet actif en
cas de défaut du Sukuk. Du coup, ces derniers sont classés au même rang « pari
passu » que les autres créanciers chirographaires4
de l’entité émettrice ; et la notation
du Sukuk dépend de la notation de l’originateur ou de l’entité garante.
- Asset-backed Sukuk : dans ce cas, il y a une obligation de transfert de propriété « True
sale » de l’actif sous-jacent de l’originateur au SPV, et les porteurs des Sukuk ont
accès à cet actif en cas de défaut du Sukuk. Donc ces investisseurs vont supporter le
risque de perte en cas de dépréciation de ces actifs puisqu’ils n’ont pas recours à
l’émetteur du Sukuk et la notation du Sukuk dépend de la qualité de l’actif sous-
jacent.
Certains auteurs5
( Yasini et Klopic) ont établi une classification des biens et avantages qui
pourraient constituer le pool d’actif à transférer au SPV dans le cadre d’une opération de
Sukuk :
Les actifs tangibles ( al-a’yan) qui comprennent les actifs réels, par exemple, un parc
de voitures et les actifs destinés à la vente, par exemple, une production agricole ou
industrielle.
Les usufruits (al-manafi’) peuvent inclure, par exemple, le droit d’utiliser la propriété
ou service d’autrui pour notre compte.
Les actifs en non valeurs (al huquq al-mujarradah) : comme les franchises, les
marques, les propriétés intellectuelles.
4
est un créancier simple, c'est-à-dire ne disposant d'aucune garantie particulière (privilège, nantissement,
hypothèque) lui permettant d’être payé avant les autres créanciers sur le prix de vente des biens de son
débiteur. Il dispose seulement, comme garantie du paiement de sa créance, de l'ensemble des biens actuels et
à venir de son débiteur.
5
Yasini.S.H and Klopic N ; concession rights as underlying assets for Sukuk
5. La trésorerie et les créances : les flux de trésorerie ne peuvent pas être utilisés
directement dans les Sukuk sans avoir des contrats sous-jacents compatible à la charia,
comme ce qui se fait dans les opérations de titrisation. Par contre, les créances
différées de la murabaha et le prix payé en contrepartie des biens dans les contrats
Salam et Istisnaa sont autorisés à figurer dans le pool d’actif.
3-Méthodologie de notation
En ce qui concerne la notation des Sukuk, les agences de notation adopte une méthode
similaire à celle utilisée pour noter une titrisation.
Le tableau6
ci-dessous résume les approches méthodologiques des agences de notation :
Moody’s Standard & Poor’s *MARC7
*RAM8
Rating
Services
Le taux de défaut est
un élément clé
Moody’s estime que
la conformité charia
est une affaire de
spécialistes, et ne la
considère pas comme
un aspect qui peut
être évalué
objectivement
La notation répond à
des obligations
contractuelles
S&P a déclaré
clairement que
l’aspect conformité
charia n’est pas pris
en compte dans sa
notation
L’utilisation de
critères internes pour
la charia
MARC considère
que la conformité
charia est
généralement réglée
par des jurisconsultes
nommés par la
banque chef de file
« arrangeuse » et les
conseillers financiers
de l’originateur
Une étape pour
l’évaluation de la
charia complète le
processus
Bien qu’elle laisse
aux jurisconsultes de
certifier les aspects
relatifs à la
conformité charia, la
méthodologie de ses
services de notation
inclue des aspects
particuliers à une
titrisation charia
compatible
* ces deux agences de notation œuvrent sur le marché malaisien
Un des défis considérables de l’industrie de finance islamique et du marché des Sukuk, nous
trouvons le risque de conformité à la charia. Afin de pallier le manque de considération du
risque charia dans la notation de principales agences de notation, l’IIRA9
a été créée en 2005
pour permettre aux investisseurs disposer d’une notation financière qui inclut la conformité
6
Yussof.S.A “Measuring shariah compliance in Sukuk ratings: A survey of existing methodologies”
7
Malaysian Rating Corporation
8
Rating Agency Malaysia, Fitch rating est parmi ses principaux actionnaires
9
Islamic International Rating Agency
6. charia. Pour cela l’IIRA a développé une méthodologie pour l’évaluation de l’aspect charia
« la Shariah Quality Rating (SQR) » qui consiste à :
-Revoir les fatawas du comité charia de l’institution et discuter ses opinions.
-S’assurer que les procédures de contrôles internes et d’audit permettent une séparation des
fonds dans les banques conventionnelles ayant des fenêtres islamiques ; ainsi que la qualité
des informations communiquées aux différentes parties prenantes : clients, investisseurs..etc.
- porter une attention particulière à l’existence ou l’absence d’un code d’éthique, et surtout sur
sa compréhension et son implémentation par les employés et le management des divers
acteurs.
L’importance du risque de conformité à la charia dans la finance islamique est évidente.
Puisque, si nous pouvons nous permettre le mot « crise financière islamique » majeure ; était
la conséquence de déclaration en 2007 d’un éminent cheikh «Taqi Usmani » qui avait accusé
les jurisconsultes de laxisme et a considéré qu’une grande partie des Sukuk asset-based plus
particulièrement, les equity-based Sukuk : Mucharaka, mudaraba et wakala existants sur le
marché de ne pas respecter les règles de la charia.
Figure10
: L’émission des Sukuk sur le marché mondial de 2006 à juin 2014
Source : Bloomberg Data
10
Marjan.M; a snapshot of musharakah Sukuk, ISRA, edition juin 2014
7. De ce fait, le marché du Sukuk s’est effondré, et les émissions sont passées de 31.304 million
$ en 2007 à 16.331 million $ en 2008 ; soit une chute de 52%. Seuls trois types ont été
épargnés de ce choc, Sukuk Istisna, Sukuk Murabaha, et surtout les Sukuk Ijara qui ont connu
une croissance de 74% et qui ont constitué 48% des émissions globales en 2008.
Les sukuk Ijara est le type de Sukuk qui a été épargné le plus de cette chute d’émission, mais
ce type est critiqué par les experts puisqu’il s’agit des Sukuk qui ne favorisent pas une valeur
primordiale de la finance islamique : le partage des pertes et profits. Les mécanismes de
fonctionnement de ce type de Sukuk permettent de générer des loyers du contrat Ijara liés à
un indice de référence conventionnel ce qui attribue aux porteurs des Sukuk une rémunération
fixe ou flottante. L’utilisation d’un indice tel que le Libor ne pose pas de problème en soi pour
la plus part des jurisconsultes ; tant que cet indice est utilisé seulement comme un benchmark.
Par contre, ce qui les dérange ; c’est le fait que la rémunération des porteurs de Sukuk ne soit
pas liée à la performance économique du projet ou service financé par les Sukuk ; mais plutôt
une manière pour payer un intérêt déguisé calculé en pourcentage de la valeur nominale du
Sak comme ce qui se fait dans le cas d’une obligation conventionnelle. Aussi, une garantie de
rachat des Sukuk à la valeur nominale à l’échéance est autorisée dans ces Sukuk.
L’AAOIFI a réagi en 2008, avec une notification11
dans laquelle plusieurs points ont été
clarifiés :
-l’institution rappelle la nécessité de transfert de propriété des actifs au SPV pour que les
Sukuk soient négociables.
- la valeur de rachat des Sukuk à la fin de l’opération ne peut pas correspondre la valeur
nominale des Sukuk dans le cas des Sukuk musharaka, mudaraba, et wakala.
- la garantie du capital par le wakil (l’agent manager) ayant la qualité de charik, mudarib et
wakil n’est pas autorisée ; l’agent manager n’est responsable de la perte que dans le cas de
négligence. Par contre, la constitution de réserve pour le lissage des profits est autorisée ; tant
que cette clause figure dans le prospectus.
-le rôle du charia board ne devrait pas se limiter à l’émission des fatawas pour valider la
structure des Sukuk, il doit aussi accompagner le déroulement de l’opération par la révision
des contrats et la supervision de son implémentation à différentes étapes ; afin de s’assurer
que la conformité à la charia est maintenue.
Pourtant, cette tendance n’a pas duré dans le temps, et les Sukuk asset-based ont repris ; selon
Ravalia12
plusieurs raisons expliquent cette réticence du marché à adopter les Sukuk asset-
backed :
11
Voir: AAOIFI Sukuk ronouncement, 2008
12
Voir: Ravalia.A, “Sukuk market at a crossroads”
8. -les structures asset-backed sont plus difficiles et plus coûteuses, en plus, il n y a pas assez
d’actifs qui peuvent être pris comme un actif sous-jacent.
- plusieurs pays du golfe ont un arsenal juridique faible voire inexistant sur le droit de
propriété, le droit de la faillite.
-le caractère contraignant des contrats dans les pays du golfe et dans d’autres pays émergents
est incertain et n’est pas testé.
-les investisseurs demandent des produits qui répliquent les structures de dette
conventionnelles en termes de risque et de rentabilité économique.
II- Quelques formes innovantes de Sukuk, et l’importance de l’actif sous-
jacent dans une opération de Sukuk
1-Sukuk et innovation
Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la comparaison entre Sukuk et obligations
conventionnelles, (Ariff, Safari)13
ont remarqué la désignation dans les médias des Sukuk par
des obligations islamiques ; ces chercheurs ont utilisé plusieurs indicateurs tels que : le β de
l’entité émettrice du Sukuk avant et après l’émission du Sukuk, le taux de rendement actuariel
« YTM »14
des Sukuk Ijara et des obligations conventionnelles et le test de causalité de
Granger ; ils ont conclu que ces certificats ont quelques caractéristiques différentes ; (
Godledski, Turk, Weill)15
ont conclu que le marché financier malaisien réagit négativement
suite à l’annonce d’émission du Sukuk tant dit que la réaction du marché aux obligations
conventionnelles est quasi-neutre ; ces chercheurs ont attribué cette différence à la sélection
adverse qui incite les porteurs de projets espérant un grand gain de ne pas opter pour le
mécanisme qui favorise le partage des pertes et profits « les Sukuk » ; et préfèrent contracter
de la dette avec une rémunération fixe.
D’autres auteurs mettent l’accent sur l’originalité des Sukuk, selon (M.B. Alamine), [les
Sukuk représentent une forme de Ijtihad, car ils sont le fruit d’une innovation basée non pas
sur des contrats et mécanismes établis par les premiers Fokahas musulmans; les Sukuk
représentent plutôt une adaptation des contrats déjà existants afin d’aboutir à un montage qui
répond au besoin économique des temps modernes tout en respectant les principes de la
charia]
Pour répondre au besoin des investisseurs, plusieurs variétés de Sukuk ont été conçues :
-Les Sukuk convertibles et échangeables16
:
13
are Sukuk securities the same as conventional bonds
14
Yield To Maturity
15
Are Islamic Investment certificate Special? Evidence on the post-Announcement performance of Sukuk issues
16
Voir : Klein .P.O ”les Sukuk optionnels, Sukuk à remboursement anticipé, convertible et échangeables ” Les
cahiers de la Finance islamique N°7
9. Les Sukuk convertibles sont des certificats d’investissement qui confèrent le droit et
non l’obligation aux détenteurs des Sukuk de convertir durant la période de
conversion, les Sukuk en actions ordinaires de l’entité émettrice ; ainsi les
investisseurs pourront bénéficier des tendances haussières de l’action. Cet instrument
constitue un compromis idéal entre le risque et la sécurité pour les investisseurs qui
s’inquiètent de la volatilité du marché des actions.
Les Sukuk échangeables représentent des certificats qui peuvent être échangés en
actions ordinaires d’autres entités.
La parité17
est fixée au moment de l’émission de ce type de Sukuk. Suivant ce ratio :
Nous pourrons déterminer, ainsi, le nombre d’actions à attribuer en cas d’exercice de cette
option ; par exemple, un Sak de valeur nominale : 10.000 u.m et le prix de conversion en
action : 1000 u.m. prenons le cas d’un détenteur de 10 Sukuk, ce dernier obtiendra :
-les Sukuk hybrides ( Istithmar ) :
Afin de faire face à l’interdiction de Bay Dayn dans les juridictions des pays du moyen
orient, l’IDB : la banque islamique de développement a eu l’idée ingénieuse de creuser dans
les sources de la charia ; et ses jurisconsultes ont émis une fatwa qui permettait de combiner
dans le pool d’actifs à la fois des actifs tangibles et des créances. Cette fatwa est basée le
concept de Khultah, plusieurs jurisconsultes considèrent le fait de mixer des actifs tangibles
(contrats ijarah) et des créances (contrats murabaraha) comme valable si une proportion
minimum de 51% est présente dans le pool d’actif ; d’autres plus rigoureux exigent 67%
d’actifs tangibles.
L’IDB a émis les premiers Sukuk de 400 million $ en 2003 appelé, Sukuk Istithmar, les
actifs tangibles transférés au SPV représentaient un minimum de 51% des actifs. En 2005,
L’IDB est allée plus loin dans l’application du concept du Khultah, et elle a émis les
deuxièmes Sukuk avec des actifs constitués seulement 30% d’actifs tangibles (contrats ijara)
17
Le nombre d’actions obtenues suite à l’échange d’un certificat d’investissement convertible
10. et 70% issue des créances (contrats murabaha et istisnaa). Le schéma ci-dessous explique ce
montage :
Figure18
: programme d’émission des Sukuk du IDB (seulement 30% d’actifs)
Grâce à une interprétation libérale du concept du Khultah, l’IDB a pu créer Sukuk Isthismar
qui permettent à la fois de transférer un pool d’actif avec seulement un tiers d’actifs tangibles
au SPV.
- Les Sukuk avec du tranching
Ce mécanisme utilisé auparavant dans les opérations de titrisation permettrait de créer
plusieurs couches dans les Sukuk: une tranche senior, une tranche mezzanine, et une tranche
subordonnée. De cette façon, les structureurs des Sukuk pourront répondre au besoin des
investisseurs en termes de risque, ainsi, les détenteurs de la tranche senior seront plus
sécurisés en cas de défaut des sukuk ; mais leur rémunération sera inférieure à celle attribuée
18
Haneef.R , From ”Asset-backed “ to “asset-light” structures: the intricate history of Sukuk
11. aux deux classes inférieures mezzanine et surtout la subordonnée qui seront les plus risquées
et les premières à être affectées en cas de défaut ou lors d’un incident durant la vie des Sukuk.
Ces innovations ne sont pas toujours les bienvenues sur le marché, premièrement, parce que
certains experts ne veulent pas une réplication des modèles déjà existants sur les instruments
de dette conventionnels, c’est le cas du premier exemple : les Sukuk convertibles et Sukuk
échangeables.
Deuxièmement, ces nouveaux types de Sukuk suscitent des débats entre jurisconsultes quant à
leur conformité à la charia, par exemple, les Sukuk hybrides ont été critiqués, car ils
permettent une pratique proche de Bay Dayn condamnée par les juridictions du moyen orient,
parmi ceux qui ont dénoncé les Sukuk hybrides, nous trouvons (T.Usmani) qui a refusé
d’inclure des contrats murabaha dans le package, même si les murabaha ne représentent pas la
majorité afin d’éviter la vente de la dette.
Aussi, les Sukuk avec du tranching créent des divergences19
, entre ceux qui réclament que la
séniorité dans les classes d’actif créent des inégalités entre copropriétaires ce qui signifie une
sortie de la définition des Sukuk par l’AAOIFI :
« les Sukuk d’investissement sont des titres de même valeur nominale représentant des parts
indivises d’un droit de propriété de biens, de droits d’usufruit, de services ou d’actifs d’un
projet déterminé ou d’une activité d’investissement particulière. »
D’autres argumentent que cette structure est basée sur le consentement mutuel des
copropriétaires, il ne s’agit pas de « Kasb » usurpation, en plus, cette structure apparaît plus
proche du principe « al-ghunm bil-ghurm » selon lequel les bénéfices vont dépendre du risque
supporté par les investisseurs.
Ce cas permet aussi de montrer que la définition de l’AAOIFI limite le champ d’innovation
dans les Sukuk. Nous trouvons d’autres définitions d’autres institutions telles que celle de
l’IFSB20
:
« Sukuk, pluriel de Sak indique souvent des ‘obligations islamiques’, chaque Sak représente
une part proportionnelle indivise d’une propriété d’actifs tangibles, ou d’un pool
principalement d’actifs tangibles, ou un projet d’investissement. Ces actifs peuvent être dans
une activité d’investissement ou dans un projet d’investissement spécifique respectant les
principes de la charia »
Cette définition permet d’élargir le champ de manœuvre pour les structureurs des Sukuk
puisqu’elle n’exige pas des parts de même valeur nominale, mais plutôt des parts
proportionnelle indivise d’une propriété ; un deuxième point qui attire l’attention, ce sont les
éléments qui peuvent constituer l’actif sous-jacent, l’IFSB indique un pool d’actif
19
Voir Al-Amine.M.B, Global Sukuk and Islamic securitization market: financial engineering and product
innovation (2011)
20
Islamic Financial Services Board
12. majoritairement constitué d’actifs tangibles ce qui n’exclut pas la possibilité d’inclure les
créances des contrats Istisna ou murabaha ; un troisième point consiste à comparer l’approche
des deux institutions l’AAOIFI et l’IFSB : la première institution qui représente le courant de
pensée du moyen orient indique de façon précise la nature de l’actif sous-jacent : des droits de
propriété de biens, de droits d’usufruit, de services ou d’actifs d’un projet déterminé. La
deuxième institution qui représente le courant malaisien adopte une position plus flexible en
désignant que l’actif sous-jacent peut être une activité d’investissement sans aucune
condition tant que l’activité est licite.
2-L’importance de l’actif sous-jacent dans l’opération Sukuk
les Sukuks sont des titres de copropriétés dont la rémunération est liée à des actifs sous-
jacents, cet aspect constitue un point de différence majeur entre les Sukuk et une titrisation.
Selon (R. Saadallah)21
,[La finance conventionnelle permet, grâce à la titrisation, une
multiplication sans contraintes des opérations de crédit portant sur des titres de dette non
adossés à des actifs réels, ce qui a résulté en un endettement gigantesque et une croissance
démesurée des flux monétaires sans commune mesure avec les transactions réelles sur biens et
services. C’est là une expression éloquente de la dichotomie réel-monétaire induite par le
mode de fonctionnement de la finance conventionnelle].
Aussi, cheikh (T.Usmani) insiste dans son article22
, que les institutions financières islamiques
devraient recourir au Sukuk pour contribuer au développement économique et à la justice
sociale.
Or, beaucoup d’experts s’attardent sur les mécanismes techniques de montage de l’opération,
des aspects tels que :
- les différentes parties prenantes de l’opération : la banque chef de file, la banque arrangeuse,
la banque bookrunner23
.
-la catégorie : asset-based vs asset-backed.
-le taux du profit, et le défaut du Sak.
Tous ces points sont essentiels pour la réussite de l’opération du Sukuk, mais, afin d’aboutir à
une analyse pertinente, nous devons octroyer le même degré d’importance à l’actif sous-jacent
(projet ou service financé par le Sak). Et pour cela, d’autres critères sont à prendre en
considération, puisque il ne s’agit plus d’une simple opération de levée de fonds ; mais d’un
projet à réussir en vrai sens du terme. D’où l’intérêt de situer le projet dans son contexte
économique globale, plusieurs indicateurs macro-économiques développés par des instances
internationales peuvent être utilisés : le classement Doing Business, l’indice de
développement humain, et l’indice de la perception de la corruption.
21
Saadallah.R ”Finance Islamique et développement ” Les cahiers de la Finance islamique N°3
22
Sukuk and their contemporary applications
23
Banque en charge de la tenue du livre d'ordre lors d'un book building
13. Prenons l’exemple du premier indice élaboré par la banque mondiale :
Doing Business24
fournit une évaluation quantitative des réglementations qui s’appliquent à la
création d’entreprise, l’octroi de permis de construire, le recrutement de personnel, le transfert
de propriété, l’obtention de crédit, la protection des investisseurs, le paiement des impôts, le
commerce transfrontalier, l’exécution des contrats et la fermeture de petites ou moyennes
entreprises.
Cette définition permet aux investisseurs d’avoir un regard d’experts internationaux sur les
pays où les projets auront plus de chances de réussir. Et donc, nous pouvons estimer que les
Sukuk pourront se développer aux pays les mieux classés. Par exemple, l’aboutissement d’un
projet de construction d’un parc d’éolien va dépendre beaucoup plus des facteurs relatifs à son
environnement tels que la transparence des procédures de création d’entreprise, le personnel
qualifié, le savoir-faire dans ce domaine pointu que du mode de financement : une titrisation,
un crédit syndiqué ou un instrument compatible à la charia: les Sukuk.
Application
Les Sukuk Salam peuvent être utilisés pour le financement de la production du cacao dans un
pays producteur du cacao,
Figure :schéma de Salam et Salam parallèle
24
www.donnees.banquemondiale.org/catalogue/doing-business
14. Ce montage comporte :
-Un contrat Salam : entre une société de promotion de cacao en tant qu’acheteur de récolte du
cacao qui va payer le prix entier au moment de la conclusion du contrat et une coopérative de
petits producteurs de cacao qui va s’engager à livrer à un lieu et à une date fixée une récolte
ayant des caractéristiques détaillées dans un cahier de charge : la quantité, la qualité, le genre.
-Un contrat de Salam parallèle : entre une société de promotion de cacao, dans ce deuxième
contrat, en tant que vendeur et une entreprise mondiale de fabrication du chocolat qui va être
l’acheteur final de récolte de cacao.
Avantage du montage :
Les petits agriculteurs pourront financer la campagne d'implantation sans s’engager dans des
crédits, aussi l’introduction d’une société entre les petits producteurs et les grandes entreprises
de production du chocolat protège les premiers d’entrer dans des négociations non équilibrées,
de cette façon, la société nationale pourra obtenir des prix plus équitable. De leur côté, les
entreprises fabricants de chocolat, assurent de la matière première en quantité et qualité
désirée pour leur production.
Faiblesse du montage :
Les deux contrats doivent être séparés pour éviter de tomber dans le cas illicite de deux ventes
dans une seule, par conséquence, si la récolte du premier contrat Salam est non conforme au
cahier de charge ou la récolte insuffisante, la société de promotion de cacao devra honorer son
engagement dans le cadre du contrat Salam parallèle ; il s’agit d’un contrat de gré à gré qui
inclut un risque de contrepartie.
Conclusion
Les Sukuk sont des certificats d’investissement propre au marché financier islamique, les
structureurs des Sukuk se trouvent devant un dilemme puisqu’ils devront choisir entre des
Asset-based Sukuk, les plus dominant sur le marché des Sukuk, , il s’agit du modèle désiré à
la fois par les émetteurs du Sukuk qui veulent lever des fonds sans se priver de leur propriété
de l’actif sous-jacent et les investisseurs qui eux désirent des profits garantis non pas par
l’actif sous-jacent mais plutôt par la qualité d’émetteur des Sukuk.
La deuxième catégorie est l’Asset-backed Sukuk, cette deuxième structure répond aux
exigences de conformité à la charia. Mais, dans la pratique, la réalisation d’un Sukuk de ce
type rencontre beaucoup de difficultés liées principalement à la taxe de transfert de propriété,
l’absence ou le manque de lois dans plusieurs pays qui réglementent les opérations de Sukuk,
la nature stratégique pour les Etats de certains projets financés par les Sukuk, par exemple, un
aéroport qui rend difficile le transfert de la propriété à une entité SPV établit dans un paradis
fiscal avec des investisseurs étrangers.
15. A propos de la notation des Sukuk, les principales agences de notation Moody’s et S&P
utilisent le même système pour la titrisation et les Sukuk, seul les deux agences malaisiennes
MARC et RAM services rating incluent l’aspect charia dans leur notation. Pour cette raison
L’IIRA a été créée pour être une référence au niveau mondial et elle a développé une
méthodologie pour l’évaluation de l’aspect charia la Shariah Quality Rating (SQR). Mais
pour le moment, l’IIRA n’est pas retenu par les professionnels dans la majorité des émissions,
les investisseurs font plus confiance aux agences de notation classiques. Cette attitude peut
mener à des désastres, puisque, le risque charia est un risque majeur en finance islamique.
Le développement de nouveaux types de Sukuk rencontre le défi d’interprétation diverses. Ce
qui pose une question récurrente à plusieurs disciplines de la finance islamique.
Est-ce que nous avons besoin d’une standardisation sur le marché financier islamique en
général et sur les Sukuk en particulier ?
Comme chaque point épineux, nous trouvons les deux avis.
Dans son article (Manjoo)25
; les partisans de standardisation citent plusieurs bénéfices à
attirer de ce processus :
-la maintenance de la croissance du marché financier islamique
-des transactions plus sures à moindre coût
- Les principes de la charia plus claire pour les praticiens et les investisseurs
- l’économie du temps pour obtenir les fatawas, et ainsi nous aurons des contrats moins
risqués.
Les détracteurs de standardisation considèrent qu’une tentative de standardiser le système va
mener à l’implémentation de réglementation proche de la banque conventionnelle. Pour
appuyer leur position, ces derniers ont cité l’exemple de l’imam Malik qui a refusé que son
« madhab » soit généralisé par les autorités pour laisser place aux différents avis des
« mujtahid » de cette façon ; l’imam a espéré garder un dynamisme de la charia face à un
système où seul l’Etat monopolise la législation.
Etant donné que les Sukuk sont des titres de copropriétés dont la rémunération est liée à des
actifs sous-jacents, l’évaluation d’une opération de Sukuk devrait s’intéresser aussi à des
éléments macro-économiques relatifs au projet financé. Les Sukuk pourront être utilisés par
les pays développés pour inciter au financement des projets de l’économie réel, de leur côté,
les pays en voie de développement pourront adopter les Sukuk pour chercher des
financements à des infrastructures et des projets ; ainsi les Sukuk serviront de canal de
transfert de technologie.
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