1. 70 EconomieEntreprises Avril 2018
Débat
MARQUE MAROC,
BEAUCOUP RESTE À FAIRE!
Le digital est devenu vital pour les voyages sur mesure. Il n’y a plus d’offline,
plus de pub dans le métro, tout devient online. La marque digitale n’est
pas qu’une simple tendance mais une vague de fond dans le monde, or la
promotion digitale de la Marque Maroc en est toujours à ses balbutiements.
Yasser Monkachi et Aziz Cherif-Alami livrent les ingrédients essentiels pour
changer la donne.
Sanae Raqui
«Malgré les efforts constatés, on n’est pas encore au stade de «Marque Maroc», du moins dans le top of mind du client potentiel», Monkachi
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annoncer début avril un nouveau plan
touristique qui, je pense, se penchera
sur de bonnes pistes de développement
du secteur. Notamment insister pour que
l’ONMT dépense au moins la moitié de
son budget dans le digital. Maintenant,
le branding de la Marque Maroc ne peut
être que digital, surtout pour attirer les
clients européens. De plus, il faut bien
cibler l’identité numérique du pays ;
c’est la mission de l’ONMT, du ministère
du Tourisme, de la Fédération nationale
du tourisme. C’est aussi la mission des
régions, car elles doivent savoir mettre
en valeur les atouts touristiques des
territoires.
Le royaume a-t-il une bonne
notoriété digitale?
YM: Il faut dire d’emblée que le
Maroc, malgré les efforts constatés, n’est
pas encore arrivé au stade de Marque,
du moins dans le top of mind du client
potentiel. Et ce dernier doit être redéfini
en premier lieu, ce qui a priori n’est pas
fait au niveau national. Quand on parle
de marques et d’awareness (notoriété),
on ne peut faire de volume en visant
l’intello qui écoute France Culture et
qui connaît très bien l’Atlas marocain,
la Koutoubia et les Almoravides, pour
ce sont tous les contenus, justement, que
l’on va produire et diffuser sur le web.
L’e-réputation, ce sont les internautes qui
la font, par leur «User Generated Content»
(UGC), leurs rankings, commentaires,
Vlogs… Aucun opérateur ne peut agir
sur l’e-réputation, elle se constitue d’elle-
même, elle est naturelle. La seule manière
d’agir est de produire du «bon» contenu
et de réguler durablement son identité
numérique en veillant et en écoutant son
environnement.
Aziz Cherif-Alami: Justement, la
destination Maroc doit assurer aux
touristes plusieurs «touch points», du
décollage de l’avion de la compagnie
nationale à l’arrivée à l’ONDA, à la police
aux frontières et ainsi de suite. Toutefois,
une fois arrivé au Maroc, le touriste
étranger se confronte au réel et constate
un gap énorme entre l’image digitale
du Maroc à l’étranger et la réalité du
pays sur le terrain. Là, on est confronté
à la problématique de satisfaction d’un
touriste qui certainement ne revisitera
pas le pays. Il faut savoir que le branding
digital du Maroc est encore naissant et
embryonnaire. Il y a en effet beaucoup
de choses à améliorer dans le sens où
l’on doit redorer l’image du pays. Si tout
va bien, le ministère du Tourisme devrait
Le branding digital de la
destination Maroc est-il bien ficelé?
Yasser Monkachi: Le branding
du Maroc ne peut être que digital.
Aujourd’hui, même les marques
historiques sont en train de se re-brander
pour devenir des marques digitales.
C’est le cas des marques souveraines
mais aussi de la «Marque Maroc» qui était
dans une dynamique de communication
classique. Comment une marque pays
peut-elle se digitaliser? Elle le fera
d’un point de vue identitaire, d’abord
dans le sens numérique du terme et
communicationnel ensuite. C’est au
niveau de l’identitaire qu’il y a un vrai
challenge, humain et organisationnel.
C’est d’abord du côté réel du changement
et du volet expérientiel qu’il faut agir, à
travers le ministère du Tourisme, l’Office
national du tourisme, les bureaux de
tourisme régionaux, les infrastructures
de transport, d’hébergement, etc. C’est
sur ce chapitre qu’il y a besoin d’une
réelle transformation par le digital. Il faut
savoir que le pays peut compter sur la
combinaison gagnante de son identité
numérique et de son e-réputation, qui
sont les deux faces d’une même médaille,
pour redorer son blason à l’international.
Ce qui constitue son identité numérique,
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ne citer que le client français que l’on
connaît bien et qui constitue, si je ne
m’abuse, le premier client du tourisme
marocain. C’est plutôt un ratissage plus
large qui est recommandé, avec de
l’ascendant en matière de notoriété et des
piqûres de rappel régulières via le digital
et les réseaux sociaux en particulier. Ce
processus vise l’attraction continue de
nouveaux visiteurs et leur conversion en
clients. L’Inbound Marketing ne concerne
pas uniquement le BtoB mais toutes les
marques, dont les marques territoriales.
ACA: Avant de savoir si le Maroc
dispose d’une bonne notoriété, il
faut déjà s’assurer que le pays donne
envie aux touristes de le visiter. En
fait, il y a encore plusieurs destinations
nationales à mettre en avant. Par
exemple, la destination Marrakech est
connue à l’échelle internationale mais
d’autres destinations (surtout côtières)
doivent améliorer leur promotion,
particulièrement au niveau digital.
Justement, savons-nous vendre
la destination Maroc dans le
digital?
ACA: Je peux vous dire d’emblée
que je n’ai pas vu ces derniers temps
de contenu intéressant qui m’a
personnellement donné envie de voyager
dans mon propre pays. Je vous donne
un exemple: à Atlas Voyages, nous avons
ouvert en gestion un hôtel, Lixus Beach
Resort. Les tour opérateurs que nous
avons rencontrés pour la promotion du
site ne savent pas où se situe Lixus! On
ne pouvait même pas leur dire que c’est
à côté de Larache car ils ne connaissent
pas non plus la ville. Ainsi il fallait faire
un effort, pour ancrer le projet dans la
région de Tanger. Nous avons donc pris
l’initiative de créer une vidéo qui montre
les atouts de la région de Larache et
du projet Lixus, qui montre toutes les
activités touristiques potentielles. En
fait, les entreprises de tourisme privées
et les hôteliers doivent se prendre en
charge à un certain moment. Ils n’ont
pas fourni assez d’efforts dans le digital.
Ils ont été paresseux, dans le sens où ils
ont délégué les réservations au duopole
mondial Booking et Expedia, et se
sont donc rendu compte que ces deux
intervenants, à travers leurs commissions,
sont en train de priver les opérateurs
touristiques d’au moins 5 voire 8%
de leur chiffre d’affaires. Or, avec la
digitalisation, les opérateurs auraient pu
brander la destination Maroc, marketer
le territoire marocain sur le marché
européen et finalement donner une
envie au touriste européen de choisir le
Maroc comme destination. Tout ceci, il
faut l’accompagner de moyens humains.
Car on le sait tous, nos universités ne
produisent pas de profils pointus dans le
secteur digital. Je ne vous cache pas que
nous avons du mal à recruter des profils
compétents dans ce domaine.
YM: Pour réussir à mettre en place les
fondations de la marque Maroc, il faudrait
avoir une présence soutenue dans la
sphère digitale. Ce n’est plus à travers
des campagnes ponctuelles qu’une
marque attire durablement des touristes.
Il ne suffit plus aujourd’hui de mettre en
œuvre des campagnes mass media avec
des spots et des panneaux 4x3 plantés
ça et là pour réussir à améliorer l’image
d’une marque et l’ancrer durablement
dans la mémoire collective. Il faudrait
aller vers le digital et s’armer d’outils et
de ressources afin d’assurer une bonne
visibilité de la marque pour la crédibiliser
et l’inscrire dans la durée par la suite.
Il faudrait aussi co-créer et diffuser du
contenu stratégique, de l’UGC produit
par les utilisateurs, les blogueurs et les
influenceurs qu’il serait utile de convertir
en Brand Advocates. Nous ne sommes
toujours pas dans cette maturité.
Force est de constater que le volet RH
est très important dans cette dimension
réelle de la promotion de la marque
Maroc, car c’est le pilier qui va garantir
une expérience client concluante en
ligne. Cette dernière, de plus en plus
digitalisée, est composée essentiellement
de l’Expérience Utilisateur (UX).
Il faudrait donc définir quelle est
l’expérience que la marque veut mettre
en place pour attirer et fidéliser ses
clients. J’ai l’habitude de dire que si on
ne s’ubérise pas, on sera ubérisé. C’est
une règle fondamentale en matière de
transformation digitale. Dans le digital, il
faut se challenger en permanence, créer
la rupture et pourquoi pas la surprise!
ACA: Atlas Voyages est justement
ancrée dans cette logique d’expérience
utilisateur dont vous parlez. J’avoue
que nous avons accusé un retard, mais
il nous a permis de nous doter de la
dernière technologie de distribution, l’API
(Application Programming Interface).
D’ailleurs, c’est une première au Maroc
et cela nous permet d’échanger du
contenu et des services de machine à
machine. Dorénavant, grâce à cette API
qui offre en temps réel les prix, produits,
contenus, stocks aux TO partenaires,
principalement européens, Atlas Voyages
pourra mieux vendre la destination
Maroc. Le bénéfice pour le client
étranger, c’est plus de diversité des offres
et plus de flexibilité pour concevoir son
séjour et choisir des dates. Nous sommes
aujourd’hui une entreprise technologique
évoluant dans le tourisme.
Le Maroc est-il une «startup
nation»?
YM: L’écosystème numérique
marocain est malheureusement limité et
semble ne pas faire partie des grandes
priorités gouvernementales. A l’heure où
Les jeunes Marocains
veulent innover, mais ils sont
bloqués par des systèmes
archaïques
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les prises de conscience et les passages
à l’action se font de plus en plus sentir
de par le monde, force est de constater
qu’une certaine inertie persiste à l’échelle
de nos écosystèmes, ce qui est vraiment
dommage. Quand je parle d’écosystèmes,
je pense à l’institutionnel, au financier,
à l’associatif, à la société civile, aux
entrepreneurs… A mon sens, l’Etat, qui
joue un rôle moteur dans les success-
stories à l’échelle mondiale, ne remplit
pas sa part du contrat, ce qui représente
un vrai obstacle pour le développement
des startups marocaines. Peut-être que
la priorité est de créer des entreprises et
des emplois classiques, mais cela nous
fait perdre un temps précieux. A noter
qu’en matière d’innovation, on parle
également de nouveaux métiers, de
talents et de mindsets capables de piloter
la transformation digitale. C’est à travers
ces derniers que le pays devrait s’attaquer
au chômage. Il est démontré aujourd’hui
que les pays qui innovent le plus et qui
s’orientent vers le digital ont moins de
chômage. Ce dont on a peur est peut-être
la solution salvatrice en fin de compte.
ACA: Je pense que les jeunes
Marocains veulent innover, mais ils sont
bloqués par des systèmes archaïques.
Déjà, on confond startup avec TPE.
Nous avons embauché une quinzaine
d’ingénieurs talentueux et nous en
sommes très fiers, car on sait qu’il existe
de vrais talents dans notre pays. Mais il
est où l’écosystème qui leur permettra de
s’épanouir? Il faut évidemment mettre en
place une vision politique globale mais
qui passe surtout par l’éducation.
Court-on un risque à trop
digitaliser dans une économie
où l’emploi humain est encore
nécessaire?
ACA: Il est évident que si le Maroc
forme à des métiers du passé, les profils
créés n’auront pas de place sur le marché
du travail à l’avenir. Mais je ne pense pas
que dans les cinq à dix années à venir,
il y ait vraiment un risque au niveau
national, car la question existentielle
pour le pays sera encore «comment
rendre notre économie plus libérale».
La digitalisation viendra après, comme
problématique. Mais si on veut être
proactif, il faut y réfléchir dès maintenant.
Au niveau d’Atlas Voyages, nous nous
sommes déjà rendu compte qu’il y a des
profils qui seront amenés à disparaître,
mais nous essayons de les faire monter
en compétence afin de pouvoir les
redéployer dans l’avenir.
YM: Revenons vers l’industrie du
voyage et prenons l’exemple du conseiller
voyage. Quand il ne s’occupera plus
de conclure des ventes par téléphone,
quand l’application va s’en occuper, il
va vaquer à des tâches plus créatives et
à forte valeur ajoutée. Notre conseiller
se convertira peut-être en Inbound
marketeur! Il pourrait s’occuper de
l’expérience client, innover et s’épanouir.
Je rajouterais dans ce sens que les
universités et autres établissements de
formation doivent former des profils en
phase avec la transformation digitale. Les
entreprises peuvent ensuite les former
à de nouveaux métiers: data scientist,
growth hacker, User Experience Specialist,
digital strategist… Là, on créera non
seulement de l’emploi, mais aussi de la
valeur. Il y a tellement d’ingénieurs et de
marketeurs au chômage ou en stagnation
professionnelle, pourquoi ne pas les
accompagner dans le développement de
leurs compétences pour qu’ils s’adaptent
à l’ère digitale? A l’échelle d’un pays, il
faudrait certainement continuer sur les
chantiers classiques tout en s’ouvrant à la
voie de la digitalisation.
La stratégie dédiée au
numérique vous paraît-elle tenir
ses promesses?
YM: Malgré les efforts avérés, il y
a une lenteur manifeste ainsi que des
frictions. Aujourd’hui, le Maroc est un
pays qui se digitalise, mais à son rythme.
Je ne peux le comparer à aucun pays
et à aucun compétiteur car je préfère
m’inscrire dans un raisonnement inspiré
de la stratégie Océan bleu où il faudrait
innover en permanence et où l’on n’est
en concurrence avec personne. Il faudrait
à mon sens oublier les raisonnements
classiques et s’inscrire dans la rupture en
termes de stratégie du numérique, car se
contenter de l’offshoring et de quelques
modèles imitatifs ne créera ni valeur ni
success-stories capables de rayonner à
l’international et de résorber le chômage.
ACA: Aujourd’hui, on est encore loin
de l’utilisation de moyens de paiement
alternatifs comme le mobile et la carte
bancaire pour les dépenses du quotidien,
malgré les efforts du gouvernement. Il
faudrait donc faire un grand effort au
niveau numérique, ceci ne pourrait être
que bénéfique pour la promotion de
notre pays à l’échelle internationale.
sraqui@sp.ma
Les débatteurs
Aziz Cherif-Alami (ACA):
porteur de la stratégie du
Groupe Atlas Voyages
dans le digital, il est aussi
un porte-drapeau marocain
du paysage de l’industrie
touristique digitale.
Yasser Monkachi (YM): CEO et co-
fondateur de Social Impulse,
fin connaisseur des métiers
du digital, il est consultant
formateur en stratégie
digitale et Inbound
Marketing.