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Master 2 Communication d’entreprise pour professionnels




                         MARTIN Laurie

                       Mémoire de recherche
                                   2011/2012




Enjeux identitaires et communicationnels
 d’une logique de marques territoriales

   Le territoire peut-il se vendre en rayon ?




                   Institut de la Communication et des Médias
     11 avenue du 8 mai 1945 - BP 337 - 38434 Échirolles – Tél. 04 56 52 87 17
Remerciements
                                     ____________________________________________



Tout d’abord je tiens à remercier ma tutrice Fabienne MARTIN-JUCHAT qui a su distiller
au bon moment ses remarques et encouragements. Je remercie également tout le personnel
administratif, le secrétariat du service formation continue ainsi que celui du département
Information et Communication, et plus particulièrement Marie SIBEUD en sa qualité de
directrice des études et Yves NICOLAS responsable de ce master. Merci à toutes les
personnes qui ont donné de leur temps pour me recevoir et, qui ont partagé avec moi leur
expériences et avis sur ce sujet des marques de territoire.


Entre sorties, révisions et discussions passionnées, un grand merci à mes « collègues de
classe » avec qui j’ai vécu cette étape un peu particulière, et sans qui cette année n’aurait
pas été si agréablement colorée.


Enfin un grand merci à mon amie, ma famille, les amis et l’équipe de l’Office de Tourisme
de Montgenèvre qui m’ont supporté dans ma décision de reprise d’études, ils ont toujours
été un immense soutien.




                                                                                           2
Déclaration anti-plagiat
                                      ________________________________________________




                                    DECLARATION



1. Ce travail est le fruit d’un travail personnel et constitue un document original.

2. Je sais que prétendre être l’auteur d’un travail écrit par une autre personne est une

   pratique sévèrement sanctionnée par la loi.

3. Personne d’autre que moi n’a le droit de faire valoir ce travail, en totalité ou en partie,

    comme le sien.

4. Les propos repris mot à mot à d’autres auteurs figurent entre guillemets (citations).

5. Les écrits sur lesquels je m’appuie dans ce mémoire sont systématiquement référencés

   selon un système de renvoi bibliographique clair et précis.




   NOM : MARTIN                               PRENOM : Laurie

   DATE : Grenoble, le 11 juin 2012           SIGNATURE :    




                                                                                                 3
Table des matières
                                       ____________________________________________



Remerciements                                                                       p. 2
Déclaration anti-plagiat                                                            p. 3

Introduction                                                                        p. 6


1ÈRE PARTIE : LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU                                         p. 8
MARKETING TERRITORIAL


1.   Contextes d’émergence du marketing territorial                                 p. 9
     1.1. Mondialisation versus territorialisation                                  p. 9
     1.2. Industrialisation des outils de communication                             p. 10
     1.3. De l’importance de l’image                                                p. 12
     1.4. Entre publicité et propagande, la manipulation des foules                 p. 13
     1.5. Les stratégies « push » des agences de communication                      p. 14


2. Les villes en première ligne                                                     p. 15
     2.1. Les projets d’aménagements urbains                                        p. 16
     2.2. L’architecture : un média permanent                                       p. 18
     2.3. Le marketing événementiel et le géographisme des villes                   p. 18
     2.4. Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation             p. 21
         en date du marketing urbain : un nouveau critère de différenciation


3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies                         p. 23
     de communication territoriale
     3.1 Un contexte politico-administratif favorable                               p. 23
     3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90)                      p. 24
     3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites                  p. 26
        de marketing territorial (année 2000)




                                                                                            4
2ÈME PARTIE : LA COMMUNICATION ET LE MARKETING     p. 28
EN TENSION, LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ?
ANALYSE DES ENJEUX

1. Problématiques et enjeux identitaires                                      p. 30
         1.1 L’identité une notion délicate                                   p. 31
                   1.1.1 Concurrence identitaire                              p. 31
                    1.1.2 Identité individuelle et collective                 p. 32
                    1.1.3 Identité vécue versus identité perçue               p. 33
                    1.1.4 L’individu à identités multiples                    p. 34
         1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie            p. 35


2. Communication publique et marketing en tension                             p. 37
         2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ?          p. 37
             Perversités d’une transposition marketing publique/privée

         2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir                  p. 39
         2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et                 p. 41
             images banalisés
                   2.3.1 Des messages réducteurs                              p. 42
                           Exemple de la nouvelle marque Hautes-Alpes
                   2.3.2 La pauvreté des images                               p. 45
        2.4 Les marques de territoire, l’expression d’un retard ?             p. 46


3. Une logique marketing qui montre ses limites                               p. 46
             3.1 D’un marketing classique à un marketing 2.0,                 p. 47
                 relationnel et affectif
                 Exemple Le coup de cœur des Ardennes
             3.2 L’effet « poupées russes » des marques, un défaut            p. 50
                 de lisibilité
             3.3 L’autorité et la rigidité des « codes de marques »           p. 52


Conclusion                                                                    p. 54

Bibliographie                                                                 p. 57
Table des figures                                                             p. 60
Liste des sigles                                                              p. 61
Annexes                                                                       p. 62
        Annexe 1 Exemples de campagnes publicitaires de villes                p. 63
        Annexes 2 Contenu d’une formation en marketing territorial            p. 70



                                                                                      5
Introduction

Tout au long de mon parcours professionnel j’ai été confrontée à diverses problématiques
concernant l’attractivité des territoires. J’ai été aussi très tôt animée par un désir plus
personnel d’accompagner les collectivités locales dans leurs actions et plus
particulièrement dans leurs actions de communication. Souvent regardée comme un
gaspillage d’argent public, la communication territoriale a souffert et souffre aujourd’hui
encore de certains a priori, or c’est à travers elle que se construisent les projets de
territoires, et sans cette fonction pédagogique d’information/communication, les
collectivités ainsi que leurs élus se trouveraient bien dépourvus face aux nouveaux enjeux
sociétaux et économiques : développement durable, réformes de décentralisation, nouvelles
technologies, concurrence territoriale, délocalisations…


Fiers de jouer un rôle dans la construction d’un sentiment d’appartenance à une terre, les
communicants publics se trouvent aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis
communicationnels. Avec une mondialisation de plus en plus envahissante et les nouvelles
réformes des collectivités locales (mal comprises des citoyens), la concurrence entre les
territoires et les collectivités a non seulement donné lieu à une surenchère publicitaire,
mais a aussi ouvert la porte à des stratégies commerciales de plus en plus agressives. Le
marketing s’est alors invité dans la sphère publique en proposant des marques de territoire.
Ce terme « marque de territoire » est, pour moi, d’une part trop éloigné de la notion de
service public et d’autre part trop réducteur quand il s’agit de porter à la connaissance des
publics toutes les richesses culturelles, patrimoniales, humaines, agricoles, sociales que
renferme un espace géographique, mais aussi administratif puisqu’un territoire1 est un
espace administré. Est-il possible de faire de ce territoire un bien marchand ?


La communication publique et territoriale sert l’intérêt général2 et a pour mission « de faire
rencontrer l'État et les citoyens dans un but de partage et d'échange»3 ; tandis que le
marketing 4 considère l’homme davantage comme un consommateur que comme un
citoyen, en ce sens il se donne pour objectifs de cerner aux mieux les attentes des


       Du verbe terreo en latin (terrifier), mais peut aussi venir de terra la terre, les juristes du 6ème siècle ont
1

  
2
    Du latin communicare, préfixe cum « faire avec », notions d’échange et de partage. Et publicius « qui
concerne l’Etat »
3
    http://communicationcitoyenne.over-blog.com/article-27938583.html (consulté le 05 juin 2012)  
4
    De la racine latine mercator « marchand »  

                                                                                                                   6
consommateurs dans le but d’accroître par la vente les profits de l’organisation pour
laquelle il travaille. L’infiltration de techniques et d’outils en provenance d’une culture
marchande dans les services et les stratégies de développement des collectivités locales,
n’est donc pas forcément un élément constructif pour la communication publique. C’est ce
constat qui m’a encouragé à traiter ce sujet du marketing territorial avec un éclairage un
peu critique mettant en tension deux domaines (communication et marketing) qui peuvent
correspondre à des sphères publique/privée très éloignées les unes des autres en termes
d’organisation, d’administration financière, d’objectifs, d’intérêts… et qui jusqu’alors
étaient cloisonnés par des cursus de formation très différents.


Ce mémoire se présente en deux temps, dans la première moitié nous nous attacherons à
comprendre pourquoi et comment le marketing a pu infiltrer la sphère publique française.
Dans un premier point nous dessinerons le contexte, et les conditions d’émergence de cette
culture marketing, dans un second point nous nous attarderons sur les premières
manifestations du marketing territoriale dans les villes, puis nous poursuivrons dans un
troisième point l’historique de ce nouveau paradigme, avec l’appropriation par les régions
du concept de marque de territoire.


Dans la seconde moitié de ce travail, j’ai souhaité traiter une question simple et « choc »
qui interpelle : « le territoire peut-il se vendre en rayon ? » à travers cette question, il
s’agira de montrer en quoi une logique de création de marque de territoire peut se révéler
finalement contre-productive en matière de communication publique. Dans un premier
point, nous aborderons la notion délicate de l’identité (fondement de tout territoire), le
second point sera consacré à la mise en lumière des tensions existantes et émergeantes
entre marketing et communication, donnant naissance à une véritable lutte de pouvoir, et
enfin, le troisième point s’attèlera à démontrer les limites auxquelles se heurte le marketing
traditionnel quand ses outils et techniques rencontrent des administrations et territoires
publics. Par ailleurs, ces deux grandes parties, chacune découpée en trois points, seront
ponctuées d’exemples concrets qui serviront d’illustrations à mes propos théoriques.




                                                                                            7
1ÈRE PARTIE
               LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU
                      MARKETING TERRITORIAL




1. Contextes d’émergence du marketing territorial

    



                                                    8
Dans les années 70, face aux nouvelles revendications sociales citoyennes, notamment
participatives, les instances politiques prennent conscience de l’importance de la
communication politique et surtout de la nécessité de faire preuve de transparence à l’égard
des citoyens ; de là dépend la crédibilité des gouvernances politiques locales. Très liée au
marketing politique des années 80, la notion de marketing territorial est née de plusieurs
facteurs simultanés : l’industrialisation du domaine de la communication, la mondialisation
et l’intérêt croissant que portent les agences de communication aux collectivités
territoriales. Dans le même temps l’apparition des nouvelles sciences de l’information et
de la communication, et de la sémiologie, incite les collectivités publiques à placer l’image
au centre de leurs stratégies de communication et de développement. Ce premier constat
dessine alors dans notre société le contexte d’émergence du marketing dans la sphère
publique.


                 1.1 Mondialisation versus territorialisation

Nouveau défi pour les institutions politiques, la mondialisation, extension du système
capitaliste à l'ensemble de l'espace géographique mondial, prime aujourd’hui sur les
intérêts du développement économique local et sa culture. Les collectivités cherchent
désormais à inscrire leurs actions au niveau européen voir international. En ce sens
l’expansion des marchés industriels et des échanges entre les nations et les hommes, influe
sur l’information et la communication des parties prenantes. La mondialisation de
l’information et des outils de communication, qui touchait au départ les entreprises privées,
les systèmes informatiques et les logiciels bancaires, s’est étendue petit à petit au grand
public avec l’émergence d’internet. Ces mutations technologiques accentuent la tendance à
la globalisation des marchés, qui devient un modèle prégnant dès le début des années 1980.
Mohammed Taleb, historien et philosophe, déclare à ce propos « Les lois du marché
pénètrent les sphères non marchandes de la réalité, y compris l’organisation du vivant. »5,
puis il poursuit en expliquant « Culture et territoires sont dotés de frontières multiples et
poreuses. Ces derniers subissent de plein fouet une mondialisation qui disloque les espaces
temps locaux, au bénéfice d’un espace temps monde. » Les territoires vont donc à leur tour
devoir évoluer pour accompagner les changements sociétaux, et ce dans un contexte de
mondialisation de plus en plus puissant.


5
  in Territoires, n°452, novembre 2004, p.13.
Mohammed Taleb s’intéresse aux enjeux culturels de la globalisation et à son impact sur les peuples.   

                                                                                                          9
On assiste paradoxalement et dans le même temps, non pas à une mondialisation qui
homogénéise l’espace mondial mais, au contraire, à une différenciation des territoires, le
néologisme « Glocalisation » 6 de Bernard Miège illustre parfaitement cette hypothèse : en
dépit d’une harmonisation des techniques, les institutions territoriales s’appliquent à se
différencier laissant derrière elles le reste du monde.                 Selon Dominique Wolton, la
mondialisation, n’est pas sans effet négatif sur la communication territoriale :

    La problématique du territoire devient cruciale […] Plus on vante les vertus de la
    communication, plus, en contrepoint, émerge le besoin d’être quelque part. Ce profond
    mouvement de balancier anthropologique concerne également la politique, le grand
    changement ici est la mondialisation des enjeux. Tout devient mondial mais si l’on ne donne
    pas aux citoyens les moyens d’agir et de réaliser au plan local, le déséquilibre sera
    catastrophique. Le local est le symétrique indispensable à l’élargissement constant des
                7
    frontières.


La volonté de se démarquer au niveau international devient pourtant la norme. Les
territoires, avec les villes en première ligne, vont de ce fait faire usage de nouvelles
techniques commerciales et communicationnelles dans l’objectif d’être connus et reconnus
au niveau mondial, mais à partir de leurs spécificités et de leur ancrage dans un lieu
particulier.


                 1.2 Industrialisation des outils de communication

Dans une ère post fordiste 8 , on assiste à la création d’autoroutes de l’information
débouchant sur une industrialisation des produits culturels et des outils de la
communication. Cette tendance à l’hyper industrialisation, dénoncée notamment par
Theodor W. Adorno et Max Horkheimer9, est accentuée par l’essor des technologies de la
télécommunication et leurs utilisations croissantes dans le développement des territoires.
Jean Lecanuet, homme politique dans les                   années 70, s’exprimait sur le rôle des
communications dans l’aménagement géographique de l’espace : « les communications de
tout ordre sont l'une des conditions indispensables de l'aménagement du territoire (…) »10.

6
  Nous reviendrons plus en détail sur ce paradigme de tension communicationnelle globale/locale dans la
seconde moitié de ce travail.
7
  in Bruno Cohen-Bacrie, Territoires en promotion, Weka, Paris 2003
8
   G. BENKO, Marketing et territoire, in J.-M. Fontan, J.-L. Klein, D.-G Tremblay (éds), Entre la
métropolisation et le village global, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université́ du Québec, 1999, p. 81-83
9
  in La dialectique de la raison, 1947. Ouvrage qui développe les fondements de la théorie critique de l’Ecole
de Francfort
10
   in Daniel Sperling, Le Marketing territorial, la communication des régions, Milan-Media, Toulouse : 1991

                                                                                                            10
Car si la communication est considérée comme un moyen d’organiser le territoire,
participant à la formation de mégalopoles, elle prend également part à l’industrialisation
des pratiques culturelles, informationnelles et sociales.


Les entreprises du secteur privé sont les premières à recourir massivement aux nouveaux
outils issus de la révolution industrielle (machines automatisée, travail à la chaîne…) dans
l’objectif d’accroître leur productivité, s’en suivront l’adoption d’autres techniques de
promotion commerciale comme le marketing avec pour but de se forger une notoriété,
créer le besoin et répondre à la demande qui en découle. Ces entreprises vont imposer ce
modèle au secteur public, qui lui s’en servira, non pas pour augmenter sa productivité,
mais pour rationnaliser méthodiquement le fonctionnement de ses organismes publics. Car
comme le souligne Bernard Miège :
                         
     Les politiques publiques ne sont guère séparables des enjeux globaux de la communication,
     et les acteurs publics qui, certes disposent de moyens d’actions particuliers, ne sauraient être
     mis à part ; leurs stratégies se confrontent à celles des acteurs privés, quand elles ne se
     confondent pas avec elles.11
                        
Dans un mouvement général mondialisé, le secteur public n’a pas d’autre choix que de se
conformer aux mouvances et tendances de l’époque, sans quoi il accumulerait un retard
considérable par rapport au secteur privé et aux autres pays, une conclusion que partage
Bruno Cohen-Bacrie : « […] Les collectivités territoriales, auraient tort de ne pas jouer leur
partition, en se positionnant habilement sur ce terrain de l’image.12 »


En conséquence, nous assistons à une montée en puissance des stratégies d’images, un
levier qui va revêtir toute son importance aux yeux du public.


                  1.3 De l’importance de l’image


                      Convaincues, de l’importance de communiquer, les collectivités
                      territoriales, guidées par les agences de communication et l’émergence
                      d’un marketing globalisé, vont mettre en place des stratégies basées
                      principalement sur des campagnes d’images. Dans le même temps, entre

11
   in Bernard Miège, La société conquise par la communication, Grenoble : Presses universitaires de
Grenoble, 1989
12
   op. cit.

                                                                                                        11
1966 et 1970, « L’équipe de Publicis, en relation étroite avec Barthes et
                      sa revue Communications définit alors progressivement ce qui devait
                      constituer le premier paradigme de concepts de la sémiologie appliquée.
                      L’objet central de cette sémiologie était l’image fixe – annonce ou
                      affiche. »13
     fig. 1

                                        Désormais soucieuses des signes que peuvent envoyer
                                        leurs visuels et, des représentations mentales qu’elles
                                        véhiculent auprès du grand public, les villes sont les
                                        premières à vouloir convaincre et attirer par des actions
                                        de communication basées uniquement sur la création de
                                        systèmes graphiques : images, slogans, logo... Autant
                                        d’éléments qu’elles jugent utiles afin que le public les
                                        identifie.


                                        Les communes, souvent aveuglées par l’effet marketing
                                        de « la culture pub » et poussées par les lois sur la
                                        décentralisation qui accentuent la concurrence entre les
territoires et les collectivités14, une multitude de « campagnes » voient le jour en France
comme en Europe : Nantes avec les affiches Effets Côte-Ouest, OnlyLyon, Montpellier la
Surdouée (fig. 1), Strasbourg Europtimist, Je veux Metz, Je vis ailleurs je vis au Havre, I
AMsterdam, Be Berlin…15 Il s’agit alors pour les villes, d’une part de mettre en valeur
leurs atouts touristiques afin d’attirer des investisseurs et des vacanciers, et d’établir un
consensus social autour d’une même image ou slogan d’autre part. En quête de notoriété,
les villes cherchent alors à justifier leurs actions marketing : « Ramené à un produit, le
territoire a donc une légitimité à faire connaître la qualité de son offre. »16 Au delà des
création des marques-villes, le marketing touristique participe fortement à la mise en place
de véritables stratégies d’images, Atout France tient d’ailleurs à le souligner : « Le




13
   in B. Fraenkel & C. Legris-Delportes (éd.), Entreprise et sémiologie, Paris, Dunod, 11- 19 « Petite histoire
de la sémiotique commerciale en France »
14
   cf. paragraphe 3.1 à propos du contexte législatif
15
   cf. annexe 1 les exemples de publicités des villes
16
   op. cit.

                                                                                                             12
tourisme constitue un enjeu fort pour la plupart des capitales européennes qui déploient de
     véritables stratégies pour séduire les clientèles de proximité. » 17
     La notion de séduction pose alors la question de la manipulation et de l’influence des
     images.


                      1.4 Entre publicité et propagande, la manipulation des foules

     Considéré comme le père de la propagande politique, Edward Bernays, dans son ouvrage
     Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie de 1928, souligne la mince
     frontière entre la publicité et la propagande. La dernière jouant « un rôle important dans la
     société démocratique » 18 . Séduire et influencer le grand public par des campagnes
     publicitaires d’affichage en masse tendrait à se confondre avec les techniques de
     propagande politique employées habituellement pour influer le vote politique des citoyens.
     Comme si les individus devaient aujourd’hui « voter » pour leur ville, leur département ou
     leur région préférée (action qui est d’ailleurs effective sur les réseaux sociaux). Les
     photographies et les reproductions utilisées sur les affiches de promotion touristique des
     territoires seraient alors choisies pour ce qu’elles représentent comme symbole dans
     l’esprit des gens, des consommateurs, et non pour la réalité du territoire qu’elles illustrent.




                                                             
fig. 2

     Ici Lyon, par cette représentation photographique souhaite véhiculer l’image mentale d’une ville romantique
     suscitant du désir. Mais la photographie, mise en scène, retouchée et transformée, ne correspond pas à la
     réalité vécue par les touristes ou les Lyonnais.
       




     17
         Christian Mantei, Piloter l’attractivité touristique des destinations urbaines, Atout France, Paris, Mars
     2012
     18
         E. Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, Paris 2007  

                                                                                                                13
Dans          Propaganda   Edward   Bernays    soulevait   l’importance   des   mécanismes
psychologiques : «Autrement dit, il nous arrive de désirer telle chose, non parce qu’elle est
intrinsèquement précieuse ou utile, mais parce que, inconsciemment, nous y voyons un
symbole d’autre chose dont nous n’osons pas nous avouer que nous le désirons. »19 Les
psychologues de l’Ecole de Freud ont étudié ces mécanismes de désirs, qui sont utilisés par
les propagandistes afin d’influencer la foule et, les techniques de marketing territorial n’y
sont pas totalement imperméables.


Ces techniques d’influences par l’image nécessitent des compétences particulières, qui
bien souvent faute d’être présentes en interne, sont sous-traitées à des agences de
communication.


                   1.5 Les stratégies « push » des agences de communication

Entre 1980 et 1990, les collectivités vont user et abuser de nouvelles techniques de
communication, comme la publicité par l’image, provoquant déjà à l’époque une certaine
méfiance chez les citoyens vis à vis du marketing territorial. Bruno Cohen-Bacrie, y fait
d’ailleurs référence dans son ouvrage Territoires en promotion20 : « Les gourous, le strass
et les paillettes deviennent des éléments caricaturaux d’une gigantesque mise en scène des
territoires et des élus dont tous ne sortent pas indemnes. »


Ces années fastes de la publicité, où l’on relève une multitude de slogans tel que Biarritz,
l’art de communiquer, Montpellier la surdouée, ont alors contribué à placer les agences de
communication sur un piédestal. Les élus au sein des collectivités, et les services
communication leur accordant une confiance aveugle (aussi parce qu’aucune formation en
communication n’est proposé par le service public, ce qui est d’ailleurs toujours le cas
aujourd’hui) vont alors se reposer sur l’avis de ces professionnels employés par les
agences. Nous constatons également que les communicants recrutés dans le secteur privé
(les contractuels) et les élus deviennent au cours de ces mêmes années de plus en plus
sensibles aux discours circulants sur le marketing, se laissant facilement convaincre par les
publicitaires et les agences de conseils du rôle indispensable de ces techniques. Pourtant,
en 1991, Daniel Sperling tentait déjà de nous mettre en garde sur les dérives possibles et

19
   ibid.
20
   op. cit.    

                                                                                           14
contre-productives des techniques de séduction auxquelles ont recours les agences de
communication :


      Dans le même esprit, par souci de rentabilité et, parfois, par complaisance, certaines agences
      sont amenées à proposer des campagnes de communication plus destinées à séduire les
      décideurs qu’à atteindre réellement les objectifs de communication précis. Elles utilisent
      alors des outils de communication qui permettent d’impressionner et de valoriser les
      décideurs, mais qui ne contribuent nullement à implanter dans les esprits la conscience
      d’appartenir à un territoire.21


Isabelle Pailliart, directrice du Gresec à l’université de Grenoble 3, déclarait également lors
d’un entretien que « le recours à des agence publicitaires a conduit à utiliser des recettes
issues de la sphère marchande, des politiques d’image peu adaptées. »
                           
Le lobby des agences pèsent encore aujourd’hui sur le service public, car pour elles les
enjeux demeurent importants : décrocher de nouveaux marchés à l’heure où la crise frappe
de plein fouet les entreprises privées et leurs budgets communication.




       2. Les villes en première ligne

Bien que la notion de marketing territorial existe depuis de nombreuses années, le terme de
marketing urbain ou city branding l’a précédé. La première ville à faire l’expérience d’un
marketing de ville fut New-York avec le lancement de sa célèbre city brand                        . En
France c’est Lyon qui a été pionnière avec la création de son agence de développement
économique du Grand Lyon et de sa marque OnlyLyon.


Dans un contexte de marché de plus en plus concurrentiel : celui de l’implantation
économique, les élus et leurs villes ont montré la voie en posant le problème de
l’attractivité et des images de marque des territoires. Dans cette perspective les villes se
veulent créatrices de richesses humaines, culturelles, économiques… et entrent de ce fait
automatiquement en concurrence, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou
internationale.




21
     op. cit.

                                                                                                       15
Par ailleurs, selon une enquête sur l’image de marque des villes et le marketing territorial,
réalisée en 1988, Philippe Jarreau distingue quatre éléments qui vont marquer l’essor de la
communication des villes :


     1) La crise du modèle Fordo-keynésien : fin de la production de masse et diversification de la
        commercialisation des services, produits…
     2) L’importance nouvelle des problèmes de gestion dans les agglomérations, un contexte
        gestionnaire qui institue une logique entrepreneuriale de la ville, s’ouvrant ainsi au marché
        de la communication et du marketing.
     3) L’opacité croissante de la société civile. La crise de l’urbain oblige à repenser les
        problématiques et le regard porté sur la ville et montre l’insuffisance de la culture
        technique (aménagement et urbanisme) qui était, convoquée jusqu’alors pour l’action. La
        communication et le marketing offrent de ce fait la simplicité, l’efficacité, la séduction et
        une lecture rapide des différents aspects du sociétal.
     4) La découverte/redécouverte du « Qualitatif ». « Si la société des années 60-70 avait pour
        tâche essentielle de cerner le « où » et le « quand » des usages et manifestations sociales,
        l’objectif aujourd’hui est d’identifier, d’évaluer, à partir d’une connaissance fine et
        qualitative du « comment » et du « pourquoi » des liens sociaux et dispositifs consensuels
        afin de proposer des actions de développement. »22


Dans ce second point, nous tenterons de comprendre comment les villes, par la mise en
place de leurs différents projets urbains, ont participé au développement des techniques de
communication.


                 2.1 Les projets d’aménagements urbains

À partir des années 80 les villes ont souhaité délivrer au public une nouvelle image de la
modernité, une image qui allait les valoriser et qui leur permettraient d’attirer des
investisseurs et cadres supérieurs. L’apparition d’une nouvelle échelle de territoire
européenne participe également, à l’époque à l’accentuation de la concurrence entre les
villes. Ces dernières se disputent les nombreux dossiers, comme l’arrivée du TGV, pour
tenter de se positionner comme ville capable d’accueillir et de réaliser de grands projets
européens.
                       




22
  P. Jarreau, Survey sur l’image de marque des villes et le marketing territorial, Note de synthèse et de
réflexion stratégique, Cristal CSPC, Montrouge : Mai 1988.

                                                                                                       16
 
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                 fig. 3  
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                         
                         

Très rapidement les élus prennent alors conscience des enjeux économiques et politiques
qui pèsent sur les programmes de développement urbain de leurs villes. Avant même de
commencer des travaux, des plans de communication sont mis en place pour faire
connaître aux citoyens la volonté de la municipalité de se moderniser, d’innover, de
changer la ville...le tout dans l’objectif de séduire des investisseurs privés. On notera par
ailleurs « la contradiction croissante entre deux types de marketing : le premier à
destination des décideurs économiques, qui a pour objectif d’inciter à des implantations ou
à développement d’activités ; et le second à destination des habitants, visant à convaincre
ceux-ci de la qualité des services urbains locaux. »23, sujet sur lequel nous reviendrons
dans la seconde moitié de ce travail.


La communication des villes entre 1980 et 1995 était alors avant tout basée sur des
équipements urbains, nous citerons notamment ici l’exemple de Grenoble, Bordeaux ou
encore Nantes avec leur réseau de tramways, ou encore de Nîmes avec la médiathèque de
Norman Foster, le Nemosus de Jean Nouvel et les abribus relookés par Philippe Starck,
célèbre architecte designer. Il s’agissait de travailler sur l’image mentale de la ville pour
transformer, dans l’esprit des individus, des représentations parfois négatives. D’abord


23
  Citation relevée d’une table ronde, retranscrite in Coll., La ville Marketing, revue Urbanisme N°344, sept-
oct 2005

                                                                                                           17
utilisée comme un moyen de mobiliser les habitants et agents des collectivités en interne,
la création d’une image particulièrement attractive devient de plus en plus une exigence
aux yeux des décideurs soucieux du développement économique de leur territoire.


                2.2 L’architecture : un média permanent

Dans une course effrénée aux investisseurs, les municipalités veulent désormais envoyer
des signaux forts pour démontrer leur capacité à se moderniser. Ainsi, le projet Euralille
dessiné par Rem Koolhaas, designer urbain de renommée, fait figure d’exemple en la
matière : l’architecture devient un moyen de communication, et le changement d’image de
marque d’une ville passe désormais par des constructions investies de signes, tels des
monuments24 des temps modernes qui veulent marquer leur époque, et prendre marque
pour l’avenir. Le monument devient alors un signe distinctif pour la ville, à Grenoble la
tour Perret évoque dès les années 20-30 l’âge d’or de la houille blanche, plus tard il
s’agira avec le projet de construction d’une maison de la culture Le Cargo de faire de
Grenoble une ville dynamique et ouverte sur le monde. À Nîmes c’est la médiathèque de
Norman Foster qui fait rayonner la ville au-delà de ses traditionnelles férias ; à Lille le
projet Euralille, lancé en 1990, participe à la prospérité de la ville, qui évite en 1994 une
sérieuse crise économique.


Les noms donnés à ces divers projets architecturaux donnent lieux à de nombreux marchés
publics en communication et marketing, car ils deviennent de réels noms de marques, sur
lesquels les villes vont s’appuyer pour se vendre.


                2.3 Le marketing événementiel et le géographisme 25 des villes

Outre les projets d’architecture, les élus vont actionner d’autres leviers pour placer leur
ville sur le devant de la scène dans l’objectif, toujours, de recruter et fidéliser les
entreprises sur le territoire. La communication (n’étant que le moyen et non la finalité) va
accompagner ces nouveaux leviers que sont : l’organisation d’événements à caractère
international et le géographisme.


24
  En latin moneo : avertir, faire savoir, faire songer à, faire se souvenir.
25
  Entendons ici la capacité à communiquer sur les voies d’accès et les avantages de son positionnement
géographique.

                                                                                                    18
En plus de communiquer vers l’extérieur via des affiches ou des encarts publicitaires, les
villes vont aussi constituer d’épais dossiers de candidature dans le but d’être choisies
comme ville organisatrice des Jeux Olympiques ou comme capitale Européenne de la
culture. Ces manifestations engendrant une notoriété sans égale comparée à des campagnes
de publicité classiques sont aussi l’occasion pour le territoire urbain d’améliorer ses
infrastructures, et donc de proposer un cadre de vie plus qualitatif pour les citoyens. Ces
grands événements transforment généralement l’image de la ville de manière durable :
« L’événementiel beaucoup plus nettement que l’événement est destiné à produire une
image de marque décisive pour la ville. » 26
Ainsi pour Grenoble les Jeux Olympiques de 1968 ont été un véritable tremplin pour la
ville, pas seulement en matière de sport, mais aussi en matière d’innovation technologique.
L’événement sportif a servi de coup de projecteur sur une ville à la pointe de la recherche
et de la technologie : premier téléphérique urbain, première retransmission en couleurs,
création du centre d’étude nucléaire, SOI 27 … Au-delà du rayonnement et de la
médiatisation de l’événement lui-même, la ville va renforcer sa compétitivité économique
en accueillant de nombreuses industries nouvelles. Dans les années 70 la marque-ville
Grenoble devient un gage d’innovation pour les entreprises implantées dans son territoire.
À l’époque, cette récente notoriété accompagnée et encadrée par des actions de
communication (création d’un logo…) va permettre à Grenoble de concurrencer d’autres
grandes villes françaises.


Nombreux sont les exemples de villes qui se sont dynamisées par, ou grâce à des
événements, on citera Athènes avec l’organisation des Jeux-Olympiques en 2004, Cannes
avec son festival cinématographique, Avignon avec son célèbre festival de théâtre, ou
encore Angoulême avec son festival de la bande dessinée.
  
                                                                         
                       
                       
                       
                       
                       
                       


26
   M. Rosembeg, Le Marketing urbain en question, production d’espaces et de discours dans quatre projets
de villes, Anthropos-Economia, Paris : 2000.
27
   SOI : silicium sur isolant, Grenoble est souvent appelée « vallée du Silicium » de par cette découverte

                                                                                                        19
 
                         
                         
                         
                             




     fig. 4



Souvent mis en avant lors des événements, l’accès aux sites, l’accès à la ville est un critère
de choix qui pèse lourd dans les dossiers de candidature. C’est même la condition sine qua
non pour accueillir un événement de portée internationale. La géographie et les
infrastructures de transport deviennent par conséquent des éléments marketing importants.
La proximité d’autres grandes agglomérations, de gares, d’aéroports, d’autoroutes,
influence de façon importante le choix des PDG sur leurs implantations économiques.
Relayer ces informations, utiliser tous les moyens de communication possibles pour faire
connaître ces atouts, est devenu indispensable. D’ailleurs aujourd’hui, les territoires se
vendent grâce à leurs arguments sur l’accessibilité :

       Montgenèvre à 4h30 de Paris en TGV, à 1h de Turin (…) 28.

       À l’extrême Ouest de l'Europe, la Bretagne est desservie par deux grands axes : en
       provenance du Nord et du Sud, l'autoroute des Estuaires (A 84 et A 83) et en provenance de
       l'Est, l'autoroute Océane (A 11). Dès votre entrée dans la région, vous accédez au réseau
       routier breton 2x2 voies entièrement gratuits. 29




28
  Éléments relevés dans les différentes brochures promotionnelles de la station
29
  Sur le site de Bretagne Tourisme : http://www.tourismebretagne.com/informations-pratiques/venir-en-
bretagne    

                                                                                                        20
2.4 Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation
                     en date du marketing urbain : un nouveau critère de
                     différenciation

« Les acteurs du marketing font désormais apparaître l'argument écologique au niveau de
l'éco-conception, de la vente et de la communication de produits répondant aux standards
du développement durable. » Ce type de discours, extrait d’un dossier sur le marketing et
le développement durable30 n’échappe pas aux préoccupations des producteurs de villes.
En réponse à la demande croissante des citoyens-habitants, les récents projets de villes
basés sur le concept de l’éco-construction31 vont devenir intrinsèquement de véritables
supports médiatiques destinés, eux-aussi, à renforcer la notoriété et l’image de marque de
la ville.


L’émergence de ce marketing durable et responsable va permettre par ailleurs aux villes de
mener une politique de crédibilité en offrant à ses habitants une qualité de vie supérieure.
Des nouveaux quartiers bioclimatiques, comme la caserne de Bonne à Grenoble, aux
bâtiments publics HQE32, aujourd’hui on communique sur les capacités d’une ville à se
renouveler, à se saisir des technologies alternatives et innovantes (fig. 5). Selon Gilles
Rabin, actuel directeur général adjoint, Pôle développement métropole Nice Côte d’Azur,
« Sur le marché concurrentiel de la ville, l’innovation est aussi une donnée vitale. » 33




30
   http://www.e-marketing.fr/Dossiers-Thematiques-Marketing/Marketing-et-developpement-durable-
2/Sommaire.htm
31
   « Eco-construire » équivaut aujourd’hui à atteindre une haute performance sur plusieurs cibles touchant à
l’environnement, au confort et la santé des occupants d’un bâtiment, en particulier la préservation des
ressources énergétiques, la lutte contre le changement climatique, la réduction des déchets et de la pollution,
la qualité de l’air intérieur, le confort des occupants, la qualité environnementale et sanitaire des produits de
construction. » Définition tirée du site : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Eco-construction-et-
eco-renovation-.html
32
   Haute Qualité Environnementale
33
   in Urbanisme, N°14, sept-oct. 2005

                                                                                                               21
fig. 5


Avec de nouveaux critères comme la qualité du cadre de vie, le taux de réussite des
établissements scolaires, le nombre d’espaces verts, la quantité de bâtiments labellisés
HQE… Les classements effectués chaque année par la presse magazine (fig. 6) attisent la
concurrence entre les métropoles, qui de plus en plus, mettent en œuvre des campagnes de
promotion basées sur ces initiatives durables et écologiques pour attirer de nouvelles
populations de cadres.




           fig. 6


Aujourd’hui, on constate, que cet attachement aux publicités affichées dans les lieux à
forte fréquentation, comme le métro parisien, vont crescendo, mais que rares sont les villes
françaises qui vont être mises en avant via ces supports, les régions ont pris le relais. Si
dans les années 80 les villes étaient en première ligne et furent les premières à mettre en

                                                                                          22
place des actions de communication pour la promotion de leur territoire, actuellement elles
ne sont plus les seules à communiquer.




       3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies de
          communication territoriale


Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les villes qui communiquent mais des espaces plus
grands : les territoires, correspondant aux régions ou aux départements. Expérimentée
d’abord par les villes, cette logique communicationnelle s’est étendue majoritairement aux
régions car ces dernières, souvent méconnues, avaient besoin d’exister auprès du public. Je
retiendrais quatre principales raisons à ce glissement de la communication urbaine vers
d’autres institutions territoriales :

       1) Les effets de la décentralisation et l’émergence d’une structure administrative et financière
          plus à même de communiquer et d’en financer les budgets.
       2) La question de la pertinence de l’échelle territoriale, « quel est le périmètre géographique
          pertinent pour communiquer ? »
       3) La mutualisation des budgets, les villes n’avaient pas les moyens de mettre ne place des
          campagnes de communication dans les grands médias nationaux et sur la durée : « L’union
          fait la force ».



                   3.1 Un contexte politico-administratif favorable

Avant 1972 les régions n’étaient qu’un découpage administratif de la France. Le Général
De Gaulle en 1969 propose de hisser les régions au rang de collectivités territoriales par
référendum mais celui-ci sera rejeté. C’est en 1972 que la loi n°72-619 du 5 juillet
concrétise la volonté des pouvoirs politiques de déléguer certaines compétences à un autre
niveau de collectivités territoriales : les régions deviennent alors des établissements publics
régionaux aux compétences très limitées (assemblée consultative uniquement, faible
budget, exécution des décisions par le préfet de région...). La loi du 2 mars 1982 sur la
décentralisation, dite « Deferre » va donner aux régions une autre légitimé avec trois
avancées majeures34 :



34
     Cours de Bruno Cohen-Bacrie du 20 janvier 2012, Communication des collectivités territoriales

                                                                                                      23
1) La suppression de la tutelle administrative de l’Etat
                      2) Le transfert du pouvoir exécutif : le préfet demeure le représentant de
                         l’Etat sur le territoire mais laisse son rôle d’exécutif au président d’une
                         assemblée élue, et n’exerce plus qu’un contrôle a posteriori sur la légalité
                         des actes.
                      3) La région devient une collectivité territoriale à part entière au même titre
                         qu’une commune ou qu’un département.

Si les régions existent en droit, elles ne sont pas légitimes pour autant aux yeux du public.
L’entrée en jeu de ce nouvel acteur va évidemment accentuer la concurrence entre les
collectivités territoriales. En parallèle la région apparaît au milieu des années 80 comme un
échelon pertinent pour le développement économique en Europe. Elles deviennent alors
des acteurs politiques européens grâce à des moyens institutionnels et associatifs leur
permettant de défendre leurs intérêts à Bruxelles. Elles peuvent, grâce au Comité des
régions créé en 1994 suite au traité de Maastricht de 1992, intervenir dans l’élaboration de
normes communautaires. Ainsi « La construction européenne a malgré́ tout permis la
montée en puissance des régions dans l’Europe. Elles s’imposent donc progressivement
comme des acteurs économiques et politiques au niveau national, européen et international.
Par conséquent, elles deviennent des protagonistes importants dans la concurrence entre les
territoires »35.


                   3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90)

Méconnues jusqu’alors les régions, en devenant des collectivités territoriales, vont se voir
attribuer un certain nombre de compétences (gestion des transports régionaux, des
lycées…) qu’elles doivent revendiquer publiquement. Afin de trouver leur place dans un
paysage médiatique déjà bien occupé par les départements et les communes, les régions
vont donc à leur tour « entrer en communication » comme « on entre en religion ». Plus
proches des citoyens, les communes et les départements sont des institutions déjà bien
connues du public, l’entrée en jeu d’un nouvel acteur communicant change la donne : les
régions, souffrant d’un manque de profondeur historique, sont désormais obligées de
communiquer pour exister. En conséquence, elles ont recours aux techniques modernes de
communication et de marketing dans le but de promouvoir leurs forces.
Un peu comme une « marque ombrelle » en marketing, les régions tentent d’imposer leur
image à coup de grandes campagnes publicitaires nationales, voir européennes (fig. 7).
35
  in M. SCHUBERT , sous la direction de Romain Pasquier, La stratégie de marque pour la Bretagne -
Attractivité et gouvernance régionale -, Sciences-Po, Rennes : 2009-2010

                                                                                                   24
 




                    
                                                                                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
                                    
     fig. 7         


Outre cette suprématie médiatique nouvelle, les régions bénéficient d’une « préférence
d’échelle ». En effet l’échelle géographique ville ou département n’est plus forcément la
bonne pour offrir une identité territoriale s’adressant à toute l’Europe, mobilité et
effacement des frontières obligent. Cependant, cette hypothèse est nuancée, car certaines
villes bénéficient d’une notoriété supérieure à celle de certaines régions, avec une « image

                                                                                                       25
de marque » beaucoup plus affirmée et connue, Muriel Rosemberg exprime clairement son
opinion sur le sujet en déclarant que « Montpellier peut se développer sans la région et que
le contraire n’est pas vrai. » L’identité des régions, et des villes qui la composent, seraient
donc très liées. L’une se servant de l’autre pour exister dans le paysage communicationnel.
C’est cette sorte de dépendance qui va aussi, paradoxalement accentuer la concurrence
entre deux acteurs de la communication territoriale : la commune et la région.


                  3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites de
                      marketing territorial (année 2000)

Les régions « apparaissent comme un marché privilégié par rapport à celui de la ville pour
les agences de communication et de publicité. Elles évitent les embûches du parcours
administratif et politique de la décision municipale souvent dissuasif au regard du budget
proposé. »36 Cette concurrence acharnée, qui se joue surtout sur l’image, débouche alors
sur l’explosion des budgets des conseils régionaux alloués à la communication. Malgré des
contestations et incitations à la prudence (souvenirs de années pub dans les années 80), de
plus en plus conscientes de gérer des sentiments identitaires forts, les régions n’hésitent
pas à mettre en place des stratégies d’images conséquentes. Ainsi la région Bourgogne a
augmenté entre 2004 et 2008 ses crédits dédiés à la politique de la communication de
200%. En Ile-de-France entre 1998 et 2009, les dépenses de communications ont été
multipliées par quatre pour atteindre plus de 15 millions d’euros. En 2008, le conseil
régional du Limousin dépensait 840 000€ pour des espaces publicitaires et actions de
communication vantant ses actions. Philippe Jarreau note également que :
                          
      C’est à l’occasion de cet essor des messages sur les territoires régionaux, dont les images
      débordent souvent les seules circonscriptions administratives, que le terme de marketing
      territorial est venu désigner pour les aménageurs cet élargissement des compétences en
      communication. Cette expression, qui vise à l’emploi de ce nouveau terme, doit plus sa
      construction par effet d’évitement d’une redondance sur le mot même de communication ou
      de marque, qu’à la volonté d’épingler un processus bien distinct de la communication
      urbaine.
                          
Cette expression de marketing territorial, selon Bruno Cohen-Bacrie, renvoie ainsi à une
démarche proche de la publicité, ce qui tend à en limiter les effets. C’est pourquoi les
collectivités tentent au début des années 2000 d’innover par la mise en place de nouveaux
outils de communication et de marketing, basés sur une approche qui vise à faire du

36
     op. cit.

                                                                                                    26
territoire un produit, et de la collectivité, une entreprise. André Harteau37 résume les quatre
champs de ce « marketing territorial » : - mieux comprendre le marché
                                           - mieux s’y adapter
                                           - mieux se positionner face à la concurrence
                                           - définir une stratégie


A partir de là, nous constatons un engouement pour la création de marques de territoires.
Mais peut-t-on pour autant appliquer stricto sensu les stratégies des grandes marques
commerciales à un produit « public » et ancestral qu’est le territoire ? Ce marketing, qui va
alors de plus en plus pénétrer la sphère non-marchande, n’est probablement pas sans
conséquence sur la communication publique et territoriale.

Dans la seconde partie de ce mémoire nous poserons l’hypothèse suivante : les stratégies
de marketing territoriales son limitées dès lors qu’elles évoluent dans un prisme de non-
consommation (le citoyen, usager, touriste…ne consomme pas le territoire à proprement
parler38), et peuvent de fait devenir contre-productives en matière de communication.




37
   Ancien cadre territorial, formateur au CNFPT, auteur d'ouvrages spécialisés sur la communication
territoriale. Il a été directeur de cabinet et est lui-même élu. (http://www.cap-com.org)
38
   Le citoyen, usager, touriste…consomme des services, des loisirs, des prestations d’activités…

                                                                                                 27
2ème PARTIE
    LA COMMUNICATION ET LE MARKETING
                             EN TENSION
LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ?
                    ANALYSE DES ENJEUX




                                        28
Dans ce nouvel univers de marques de territoires nous sommes en droit de nous interroger
sur la place de la communication publique. Peut-on vendre un territoire avec les mêmes
techniques marketing mises en place pour la vente de produits de grande consommation ?
Avant de poursuivre le développement de cette seconde partie, je tiens à faire une
remarque importante : contrairement à ce que l’on constate dans le secteur
privé : cloisonnement des services marketing/communication et description de la
communication comme « support » au marketing, nous observons dans les collectivités
territoriales issues du secteur public des tendances inverses. Les campagnes et stratégies de
communication pré existeraient aux outils marketing, qui ne seraient finalement que des
instruments au service de la communication, souvent dans l’objectif de légitimer l’action.
Patrick Lamarque39 et Dominque Mégard40 nous rejoignent d’ailleurs sur cette hypothèse :


     Quand à l’approche marketing, loin de disparaître, elle se met au service de la démarche de
     communication pour affronter les différentes compétitions dans lesquelles la ville est
     engagée (tourisme, implantation d’investisseurs).41


     La boite à outil du marketing peut opérer : segmentation, ciblage et positionnement… Le
     marketing n’a pas d’autre vocation et ne peut en aucun cas se substituer aux autres
     fondamentaux de l’action publique – le projet politique notamment. Il est un outil à son
     service.42


La communication publique et territoriale se reposerait sur le marketing, et non pas
l’inverse, afin de moderniser et d’adapter ses pratiques à la société d’aujourd’hui. Mais
cette hypothèse est contestée par Benoît Meyronin43, qui préfère voir en la communication
des outils opérationnels, intervenant dans un second temps pour mettre en place la stratégie
décidée préalablement par des marketers au service d’une politique économique
d’attractivité du territoire.44


Les enjeux de ce nouveau paysage communicationnel et marketing sont donc nombreux et
complexes : construction et différenciation par la notion d’identité, lutte de pouvoir,


39
   Patrick Lamarque enseigne à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à
l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires.
40
   Ancienne journaliste professionnelle, puis directrice de la communication d’une ville de Rhône-Alpes, elle
est aujourd’hui Présidente de Cap’Com (réseau de la communication publique et territorial créé en 1988).
41
   op. cit.
42
   D. Mégard, La communication publique et territoriale, Coll. Les Topos, Dunod, Paris : 2012.
43
   Enseignant-chercheur, Professeur Senior au département Marketing de Grenoble Ecole de Management et
auteur de l’ouvrage Marketing Territorial, enjeux et pratiques.
44
   Propos recueilli lors d’un entretien le 23 mai 2012.

                                                                                                           29
banalisation des messages, multiplication des marques, saturation de l’univers de marque
du consommateur, modernisation des outils… Dans les parties qui vont suivre, nous
poserons quelques problématiques qui mettent en exergue les limites des stratégies
marketing appliquées aux territoires publics.


Dans la première partie nous regarderons l’importance de la notion d’identité territoriale
(peut-on vendre son identité ?), dans la seconde partie il s’agira de regarder, à travers le
prisme de la concurrence, les tensions entre marketing et communication. Et enfin dans la
troisième partie nous pointerons les limites d’une logique marketing, tout en proposant des
pistes de réflexions alternatives pour l’avenir.


     1. Problématiques et enjeux identitaires


Sujet très sensible dans notre société, l’identité a souvent été cantonnée au seul concept de
reconnaissance de l’individu : « L’identité est ce que l’on est. »45. Or le terme d’identité,
comme le précise André Harteau46 est beaucoup plus complexe : « La notion d’identité
pour un territoire est tout aussi complexe que pour un être humain : le nom, le rapport à
l’espace, à l’histoire, aux autres… y participent. » Outre le fait qu’un territoire puisse être
identifiable grâce à un nom de marque ou à des images, il est avant toute chose délimité
par des frontières administratives et symboliques. Ainsi les crozets sont le symbole de la
Savoie, pas de la Haute-Savoie, la noix de Grenoble est associée à la ville et non pas à
d’autres communes de l’agglomération… Toutes ces représentations traditionnelles qui
participent à forger l’identité de chaque territoire doivent être préalablement connues et
intégrées par les différents acteurs en charge de construire ou de reconstruire une identité
territoriale, sans cette condition les stratégies de marketing territorial sont bien souvent
vouées à l’échec. L’identité est alors le fondement du territoire, et par conséquent de ses
stratégies de communication.

Dans cette première partie nous tenterons de souligner l’importance que revêt cette notion
d’identité dans les constructions de marques de territoire, et d’expliquer différents aspects



45
  in D. Mégard, B. Deljarrie, La communication des collectivités locales, L.G.D.J, Paris, 2003
46
  Lors d’un entretien retranscrit in Territoire en promotion de Bruno Cohen-Bacrie. André Harteau est
Directeur territorial, diplômé en sciences sociales et actuel directeur de cabinet du maire de Lanester.

                                                                                                      30
de cette notion, qui à un moment ou un autre, participe à la mise en tension de la
communication publique avec les stratégies de marque des collectivités.


               1.1 L’Identité : une notion délicate

                         1.1.1 Concurrence identitaire

Il s’agit dans toute stratégie de marketing territorial, de valoriser, d’affirmer l’identité d’un
territoire, cette concurrence accentue les revendications identitaires. Plus on communique,
plus on revendique son appartenance, son identité. Ce sujet est délicat : dès lors que l’on
revendique son identité, sa marque, on exclut de fait les autres, tout ce qu’il y a autour :
« On pourrait parler d’excès et de développement de patriotisme, que l’on pourrait illustrer
par les indépendantistes bretons ou basques par exemple. »47


Dans un régime de concurrence territoriale où chacun ne pense qu’à se démarquer
individuellement, la communication publique ne souffrirait-t-elle pas d’un manque de
lisibilité du fait de la multiplicité des émetteurs ? Pour les citoyens, toute la difficulté
réside dans le fait de pouvoir identifier les différents émetteurs de la communication
publique, car il y a bien ici aussi une concurrence identitaire. Chaque collectivité travaille à
se forger une identité visuelle et mentale, puis la confronte à celles des autres collectivités
afin de légitimer son existence d’une part, et de promouvoir son territoire et ses actions de
l’autre.


Quant aux services communication des collectivités, toute la difficulté est de trouver cet
équilibre : revendiquer son identité nationale ou régionale sans pour autant dévaloriser
l’identité des autres nations ou régions françaises. Cette notion de concurrence identitaire
se complexifie encore un peu plus quand nous regardons de plus près l’identité propre à
chaque territoire. Si jusqu’à présent, nous avons plutôt évoqué le concept de l’identité dans
un contexte global de concurrence inter-territoires, il faut désormais décortiquer cette
notion et la regarder à travers le prisme intra-territoire.




47
 http://clementgravereaux.files.wordpress.com/2011/04/marketing-territorial.pdf Dossier rédigé par Simon
Duchemin et Clément Gravereaux : Marketing territorial.

                                                                                                      31
1.1.2 Identité individuelle et collective

Précédemment nous avons inscrit la notion d’identité du territoire dans un contexte de
concurrence globalisée, or il faut également pouvoir expliquer comment un territoire se
construit une identité, à partir de quoi et ce qu’elle renferme. Cet éclairage nous apportera
des éléments clés pour décrypter les nouvelles stratégies de marketing territorial.


Un territoire a une identité qui lui est initialement donnée par ses frontières
administratives, mais il faut surtout souligner ici qu’un territoire est ce qu’il est de par les
individus qui l’habitent. Les individus forment une communauté, une population,
participant ainsi à la construction de identité territoriale dite « identité collective ». Mais il
faut également prendre en compte chacun des individus séparément, c’est « l’identité
individuelle ». L’identité du territoire se construit alors à partir de ces deux notions -
d’identité collective et individuelle - à la fois ambivalentes et complémentaires (fig. 8).
                                          IDENTITE DU TERRITOIRE




                                                                                Actions de communication :
         Identités                                                              réunions publiques,
         individuelles                                             Stratégies
                                                                                consultations, logos,
                                                                                campagnes d’images,
                                                                                parutions périodiques…
                  Identité collective                                           = cohérence




     fig. 8



Toute la problématique des collectivités locales est de faire cohabiter, dans leurs projets
d’aménagement comme dans leurs stratégies de communication, l’identité individuelle et
l’identité collective. Car si chaque individu s’identifie à un territoire (sa terre, son histoire,
son patrimoine), il doit également pouvoir ressentir un sentiment d’appartenance à une
communauté (traditions, associations, projets de vie...). Ces deux notions d’identités sont
liées et ne peuvent être traitées l’une sans l’autre. Il s’agira pour le communicant public de
trouver le bon compromis pour s’adresser à la fois au collectif et à l’individu, tout en




                                                                                                             32
sachant également que la notion d’identité est évolutive, et que chaque individu a plusieurs
identités au cours de sa vie. 48


Cette tâche se complique davantage quand la collectivité lance des campagnes de
communication (d’image, d’Internet, sur les réseaux sociaux…) mettant en avant des
éléments trop éloignés des réalités.


                          1.1.3 Identité vécue versus identité perçue

Des territoires comme la Bretagne ou l’Alsace49 qui ont leur propre langue régionale, un
drapeau connu de tous, des traditions et un folklore très présents, bénéficient d’un ancrage
territorial fort, d’un sentiment d’appartenance à une terre et d’une fierté d’appartenance à
une communauté. Avec cette cohésion territoriale déjà bien développée, ces régions sont
les premières à mettre en place de nouvelles stratégies de marques de territoire. Un certain
crédit leur sera alors peut-être accordé, car ces marques étaient pré existantes dans l’esprit
des individus, mais pouvons nous accorder autant de crédit à une marque régionale qui ne
serait pas empreinte d’une identité forte véhiculant un sentiment d’appartenance au
territoire ? Comme la région Rhône-Alpes par exemple ? En résumé, la construction d’une
marque territoriale basée sur une identité se justifie t-elle pour tous les territoires ? Est-ce
un réflexe systématique à avoir ?




                 fig. 9




48
   Nous reviendrons un peu plus loin sur cet aspect multi identités (1.1.4)
49
   La région Alsace a lancé un appel d’offre pour la création de sa marque en 2011, juste après la Bretagne.    

                                                                                                               33
Qu’est ce que cela signifie quand Grenoble Métropole veut mettre en avant, dans sa
stratégie de communication la recherche scientifique (fig. 9) ? Cet atout lance une
dynamique de territoire, mais quand la Métro traite ces sujets, elle en exclue forcément
d’autres. Pendant qu’elle parle des projets du futur, elle tait d’autres sujets sur la qualité de
vie comme les violences urbaines ou encore le bruit (sujets pourtant très attendus par les
citoyens). Avec la couverture ci-après (fig. 9) on voit bien que le magazine de la Métro
tente de renforcer son identité de territoire innovant, mais cela donne une identité qu’à une
partie du territoire seulement, les autres ne se sentant alors pas concernées, d’où
l’importance de communiquer sur des identités vécues.


La « non prise » en compte d’éléments constitutifs de l’identité du territoire dans la
construction de marque, conduit à une impasse communicationnelle.50 Car les stratégies et
les campagnes médiatiques qui ne se basent pas sur la ou les identités vécues, risquent de
ne pas rencontrer leurs cibles. Ce que confirment Hervé Naillon et Elisabeth Pastore-
Reisse dans leur ouvrage sur le marketing éthique :


     La marque est un univers global faits d’images et de réalités dont l’adéquation est
     indispensable : faites ce que vous dites. Si les créatifs d’agence peuvent vous donner une
     image superbe, ne leur demandez pas de vous inventer : soyez vous-même. C’est de cette
     sincérité que naît la marque.51


Lorsque l’on convoque les terme d’identités individuelles et de « cibles » il faut également
être prudent car un individu qui vit en collectivité revêt différentes identités selon qu’il est
usager des transports en commun, parent d’élève, employé… ce qui fait de lui une cible
difficile à cerner et donc à atteindre.


                         1.1.4 L’individu à identités multiples

L’individu qui habite un territoire est avant tout un citoyen, qui dans sa définition première
est : une personne jouissant, dans l'État dont il relève, des droits civils et politiques52. Mais
tout au long de son existence cet individu va voir son identité évoluer, se multiplier. La
mise en marché des territoires transforme de fait le positionnement individualiste du

50
   Les résultats de l’enquête menée par le Ceccopop en 2003 auprès des services communication des grandes
villes, des départements et des régions, montrent que pour 100% des Directeurs de la communication
l’intégration de l’identité vécue rendait leurs actions de communication plus efficaces.
51
   in Bruno Cohen-Bacrie, La communication publique territoriale, procédures, cibles et objectifs, Dossier
d’experts de la Lettre du Cadre, Nov. 2004.
52
   Définition Larousse 2012

                                                                                                        34
citoyen, en consommateur. D’abord consommateur de services publiques : l’école, le
transport, le ramassage des ordures… il peut tour à tour se retrouver agent de la
collectivité, Président d’une association citoyenne,                membre de l’union de quartier,
ambassadeur de son territoire…changeant par conséquent d’identité en fonction de ses
activités. Cette multiplication des casquettes qui participe au cloisonnement de différentes
identités : professionnelle, militante, d’opposant (quand il est élu dans l’opposition), donne
du grain à moudre aux services communication des collectivités.

Dans les stratégies de marques de territoires, les communicants doivent donc intégrer ce
paramètre identitaire complexe. Faire appel à des outils marketing peut leur permettre de
« segmenter » ces différentes identités et de concevoir des messages adaptés à chacune, car
l'idée selon laquelle « les consommateurs consomment des marques qui expriment leur
identité et contribuent à l'expression de soi est largement répandue chez les praticiens du
marketing. »53


Mais contrairement aux marques commerciales, les marques territoriales n’obéissent pas
aux mêmes logiques puisque la collectivité, à la différence des entreprises, dépend d’une
gouvernance élue par le vote des citoyens, et que la communication publique est financée
en grande partie par les impôts des contribuables. Ces derniers sont donc forcément très
attentifs aux dépenses publiques, ils ont besoin d’être convaincus par la légitimité de la
marque de leur territoire, sans quoi ils risquent de ne pas adhérer à la démarche et de
dénoncer les dépenses « inutiles » du service public. Afin d’éviter de tomber dans ce
travers, les collectivités publiques mettent de plus en plus en œuvre des actions basées sur
le concept de démocratie participative. Ce changement sociétal, en partie initié par
l’émergence de nouveaux outils de communication multimédia, met en avant le besoin
d’interactivité, l’intérêt croissant des citoyens pour la vie publique locale, et leur désir d’ y
participer.


                1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie

Comme nous l’avons vu en première partie de ce travail, la communication publique et
territoriale évolue aujourd’hui dans un contexte mondialisé, dans lequel elle doit également
faire ressortir les spécificités locales du territoire qu’elle promeut. Le terme de

53
  http://culture-materielle.blogspot.fr/2011/05/consommation-identitaire-le-lifestyle.html
(consulté le 30 mai 2012)

                                                                                                35
« Glocalisation » mentionné par Bernard Miège dans son ouvrage : La société conquise
par la communication, a permis            de nommer cette contradiction fondamentale entre
globalisation et localisation. Les collectivités publiques sont face à de véritables enjeux
communicationnels : informer localement, rassembler et fédérer les citoyens, tout intégrant
les nouvelles pratiques dictées par les lois de la mondialisation des marchés. Le
communicant public d’aujourd’hui est hybride car il doit rendre visible les collectivités
afin qu’elles se différencient à l’échelle mondiale, tout en prenant en compte les
problématiques locales sur lesquelles leurs actions de communication sont très attendues
par les citoyens. Christelle Fourrier, maître de conférence à l’Université Pierre-Mendès
France de Grenoble, lors de son intervention à la table ronde sur La communication en
débats : des représentations aux pratiques 54 parle même de schizophrénie dans les
pratiques des communicants. Selon elle on assiste à la déconstruction de cette notion de
globalisation. D’une part, la logique de visibilité et de construction d’avantages
concurrentiels inscrits dans le paradigme dominant de la globalisation a un effet pervers
sur la communication publique - puisqu’elle participe à la création d’une concurrence
exacerbée entre les territoires, menant bien souvent à une course effrénée et déraisonnable
en matière de dépenses en communication - ; et d’autre part nous constatons une
relocalisation de la communication, un retour en force de la territorialité. La
« glocalisation » serait alors un élément central à prendre en compte dans la création des
marques de territoires.


Après avoir évoqué les différents aspects complexes qui résident dans le terme d’identité,
peut-t-on encore considérer que celle-ci puisse être instrumentalisée par la communication
et le marketing, dans l’objectif de mettre en place des stratégies puis des campagnes de
promotion ?




54
  Intervention à la table ronde du 4 mai 2012 organisé par Grenoble IUT2, l’UPMF, l’Université Stendhal
(UFR LLASIC), et le GRESEC.

                                                                                                     36
2. Communication publique et marketing en tension

L’identité est le fondement du territoire, mais les personnes qui l’habitent sont des parties
prenantes essentielles dans la construction et l’évolution de celle-ci. Ces citoyens, comme
nous l’avons vu précédemment, sont dans des stratégies de marques territoriales considérés
comme des consommateurs à part entière. Ils sont en permanence à la recherche d’un
équilibre entre leur identité de citoyen et leur identité de consommateur, tout comme ils
doivent faire cohabiter leur identité sociale individuelle et l’identité collective du lieu
qu’ils habitent. Cette quête d’identité se réalise aussi à travers leurs actes de
consommation : c’est parce que je consomme telle ou telle marque ou tel ou tel service que
je suis, c’est parce que nous consommons que nous sommes… Cette hypothèse pousse à
nous interroger sur les effets pervers que peuvent engendrer des campagnes marketing de
plus en plus agressives qui imprègnent aujourd’hui notre culture. Sphère publique ou
sphère privée, désormais les frontières s’effacent et la logique consumériste fait
aujourd’hui partie de notre quotidien, mais faut-il pour autant appliquer les techniques
marketing héritées de la société de consommation au service public ?



Même si le territoire doit mettre en place une politique et une stratégie globale
d’attractivité pour « se vendre » après des investisseurs et attirer des habitants, il n’est pas
pour autant un objet inanimé que l’on peut simplement saisir en rayon pour le mettre dans
son caddie.


L’objet de notre problématique, qui va être développé dans les parties qui vont suivre, pose
cette question : le territoire peut-il se vendre comme un produit de grande consommation ?
Le marketing peut-il se substituer ou cohabiter avec une communication publique et
territoriale déjà bien implantée ?


              2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ?
              Perversités d’une transposition marketing publique/privée

Nous l’avons évoqué précédemment : plus nous sommes noyés dans la mondialisation,
plus nous avons besoin de revendiquer notre identité. Face à ce contexte particulier de
concurrence identitaire accrue, nous allons constater une tendance à l’effacement du
service public œuvrant pour l’intérêt général, au profit d’une logique beaucoup plus


                                                                                              37
commerciale et individualiste héritière de la société capitaliste. Les services
communication des collectivités locales mal préparés à ce changement et peu habitués aux
nouveaux modes de consommation vont dans un premier temps construire leurs actions
avec des techniques empruntées au marketing rencontrées habituellement dans les
entreprises privées. L’objectif étant de développer des marques de territoire, celles-ci
débouchant bien souvent de manière irréfléchie sur des créations de logos, de slogans, de
grandes campagnes médiatiques. Ces transpositions hasardeuses vont se révéler finalement
contre productives en matière de communication publique, car le territoire n’est pas un
produit comme un autre. Une terre évolue avec son histoire, son patrimoine, sa population,
ses traditions… Il semble donc difficile de positionner le territoire, et de le vendre comme
si il était réduit à une simple marchandise inanimée. D’ailleurs, les notions d’achat et de
vente changent de dimension lorsqu’on parle de territoire. L’achat, qui s’applique
généralement à un produit tangible, est l'opération commerciale qui aboutit à l'acquisition
d'un bien ou d'un droit.55 Or nous ne pouvons posséder un territoire public. La notion de
vente revêt elle aussi un autre aspect puisque le territoire ne vend rien à proprement parler,
il fait la promotion d’un site.


Ces deux termes qui évoluent usuellement dans la sphère marchande ne sont qu’un extrait
du vocabulaire technique du marketing, car quand nous parlons de marketing, nous
rencontrons des termes comme « courbe en S », « promesse consommateur », « bénéfice
produit », « retour sur investissement », « avantage concurrentiel », « rentabilité », « valeur
marchande », « profit »… La question que je souhaite poser est la suivante : peut-on faire
usage des ces termes lorsque l’on parle du territoire ? D’une marque territoriale ? Si dans
son ouvrage sur le Marketing Territorial, Benoît Meyronin, explique la démarche de
marketing stratégique appliquée aux territoires et mobilise des outils du marketing
traditionnel comme le SWOT56, il faut néanmoins questionner la finalité de ces démarches
commerciales. Le territoire est-il un produit rentable ? Dégage-t-il des bénéfices directs ?
Quelle est la promesse qu’il peut apporter aux différentes cibles ? Si la promesse est
différente pour chaque segment de citoyen-consommateur, comment l’identité collective
peut-elle se construire ?




55
     Définition du Dictionnaire juridique français
56
     Strenght, Weakness, Opportunities, Threats. Une méthode d’analyse-diagnostic célèbre en marketing.

                                                                                                          38
On voit bien ici que la transposition d’un discours marketing à la sphère publique
territoriale peut avoir quelques effets pervers, et que ce vocabulaire technico-commercial
trouve ici des limites.


Fabrice Hatem, conseiller économique à la CNUCED57, dans un article rédigé par sur les
agences de développement, s’est d’ailleurs attaché à relever les différences fondamentales
qui existent entre une entreprise privée et un territoire :


     Contrairement à une entreprise, un territoire ne produit et ne vend rien par lui-même : c’est
     seulement un cadre géographique où se déroulent des activités humaines très diverses. Il ne
     possède ni bilan comptable, ni unité de décision, ni identité juridique, - autre que celle des
     institutions politiques qui exercent sur lui leur autorité. 58


Le concept de marketing « public » est alors à aborder avec grande prudence, et comme le
souligne Benoît Meyronin dans la seconde édition de son ouvrage sur le Marketing
Territorial, il s’agira de prendre toutes les précautions qui s’imposent quand on souhaite
diffuser une culture marketing dans la sphère publique à savoir : étudier les questions
d’échelles pertinentes pour le territoire, collecter les données le plus largement possible
tout en sachant qu’il y aura toujours des paramètres qui échapperont à la gouvernance de la
collectivité (météo, investissements privés…).


Dans la perspective d’une approche marketing globale des collectivités, quelle est la place
de la communication publique ? Si Benoît Meyronin, lors de notre entretien ne voit la
communication publique que comme une boite à outil, résumant ainsi ses missions à des
actions opérationnelles ; pour Dominique Mégard la communication publique « tend à
devenir une discipline à part entière, malgré les doutes et les questionnements dont elle fait
l’objet. »59


Ces deux visions qui s’affrontent, illustrent alors parfaitement les tensions vécues entre
professionnels du marketing et professionnels de la communication.




57
   Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, organisme de l’ONU créé en 1964.
58
   Article paru dans la revue Inter Régions n°296 – Mai, Juin 2011
59
   op. cit.

                                                                                                        39
2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir

Aujourd’hui     ce   n’est    pas    seulement     une    sphère    marchande/non-marchande,
privée/publique qui se mélangent et s’affrontent dans les stratégies de marketing territorial,
mais aussi des profils de compétences et des professionnels qui vont lutter pour
s’approprier ce sujet séduisant qu’est le marketing territorial. Les communicants publics
d’un côté doivent satisfaire les demandes des élus tout en légitimant l’existence de leurs
fonctions et le sens de leurs actions ; d’un autre côté des marketers qui, poussés par des
logiques économiques mondiales, doivent prouver l’efficacité de leur démarche et
développer des partenariats financiers public/privé. C’est cette cohabitation d’acteurs,
d’enjeux et d’objectifs qui va attiser cette lutte de pouvoir.


Quand il s’agit de mettre en place une politique d’attractivité pour le territoire, une
multitude d’acteurs entrent en scène : élus, collectivités, offices de tourisme, consultants,
agences de développement économiques, et à un niveau plus international : la DATAR,
l’AFII… (L’objet n’étant pas ici de lister en détail dans toutes les parties prenantes, mais
de mettre en exergue l’enjeu de pouvoir que génère le sujet du marketing territorial, et les
tensions qui en découlent.) Toutes ces entités, qui entrent en relation à un moment ou à un
autre participent à faire émerger une concurrence entre les professionnels.


Dans les agences de développement économiques nous allons voir apparaître des profils de
compétences en marketing, management et commerce (personnes issues de formation
HEC, d’Ecoles de Commerce, d’Instituts de Management…), qui vont s’approprier la
dimension stratégique du projet politique sur l’attractivité du territoire, et ce au détriment
de la communication publique. Benoit Meyronin au cours de notre entretien va confirmer
sa prise de position en faveur d’une démarche marketing, selon lui la communication
publique a trop tendance à s’inviter partout, notamment dans les tours de table. Jugée
envahissante il précise que pour lui la réflexion stratégique ne doit pas s’inviter dans la
communication publique et vice versa. La stratégie serait-elle alors réservée au domaine du
marketing ? Des propos qui démontrent l’ampleur des tensions entre deux domaines
jusqu’alors cloisonnés. D’ailleurs lors de la table ronde du 4 mai60 Dominique Mégard
nous confiait sa déception et sa frustration quand elle s’est aperçue que son ouvrage
récemment paru chez Dunod : La communication publique et territoriale avait été
60
   « La communication en débats : des représentations aux pratiques », organisé par Grenoble IUT2,
l’UPMF, l’Université Stendhal (UFR LLASIC), et le GRESEC.

                                                                                                40
catégorisé dans la collection Les Topos Éco/Gestion. En ce sens elle va nous apporter un
éclairage différent qui tente d’expliquer pourquoi la communication publique exprime une
certaine méfiance vis à vis du marketing :

     La notion de marketing a été longtemps rejetée par les communicants publics qui ne
     souhaitaient pas que leur mission de service public et d’intérêt général et collectif soit
     associée à une notion et à des techniques ressenties comme agressives et « politiquement
     incorrectes » du secteur marchand. Ils sont et restent attachés à donner du sens à leur
     fonction. Qu’elle soit bien celle du « rendre commun » qui est le premier sens du mot
     communication et permettre d’accéder à des choses qu’on ignore ou ne comprend pas.
     Qu’elle soit aussi celle qui aide à « entrer en contact avec » ou « faire entrer en contact entre
     eux » en évitant les chemins de la propagande ou de la vente.61

Cette tension entre deux domaines de professionnalisation transparait également dans les
différents cursus de formation proposés en France. La communication et le marketing étant
des compétences non reconnues dans les épreuves des concours de la fonction publique,
les Universités et Ecoles vont rivaliser pour former aux nouveaux métiers du marketing
territorial. À Grenoble, l’Université Stendhal Grenoble 3 propose dans son département
Sciences de l’Information et de la Communication, un Master Communication d’
Entreprise, un module de Communication publique et territoriale ; tandis que pour l’année
2012-2013       Sciences-Po      Aix     associé    à   l’établissement      public    d’aménagement
Euroméditérannée propose un certificat Bac+5 : Développement et attractivité des
territoires62, une formation où la communication est totalement exclue du programme.


Mais si la communication publique souffre d’une telle crise de confiance qu’elle en arrive
à être oubliée de certains formateurs, c’est aussi parce que, selon Benoît Meyronin,
nombreux sont les professionnels qui se sont rués sur les effets de mode, participant de ce
fait à la surenchère irrationnelle des marques territoriales et à leur contre-productivité en
matière communicationnelle.


                2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et des images
                    banalisés


     Un hôpital, une ville, un établissement culturel communiquent aujourd’hui comme un
     produit de grande consommation. En conséquence, non seulement les logos et les identités
     visuelles des produits de consommation se ressemblent tous, mais les villes, les entreprises


61
  op. cit.
62
  cf. annexe 2 le contenu de la formation proposé par Sciences-Po Aix, formation qui en 2012-2013
deviendra un Master à la place d’un certificat.

                                                                                                         41
publiques locales, les hôpitaux, les établissements scolaires et éducatifs communiquent avec
     les mêmes codes pour exprimer les mêmes valeurs.63

L’identité comme vecteur spontané de l’image d’un territoire, doit trouver « le plus petit
dénominateur commun » afin de fédérer l’ensemble de ses publics. Et ce processus
débouche bien souvent sur des stratégies marketing assez pauvres, qui au lieu de
différencier vont harmoniser toutes les communications.

                           2.3.1 Des messages réducteurs

Souvent sous la pression des élus, les communicants publics vont s’emparer de la
démarche de marketing territorial sans véritablement en avoir étudié les outils, l’objet et la
finalité. Quand on veut doter le territoire d’une identité collective, quand à travers une
marque de territoire on veut générer un sentiment d’appartenance fort, il faut rassembler
sous un même slogan. Il s’agit alors de trouver le plus petit « dénominateur commun », une
phrase, une image qui correspondrait au plus grand nombre, mais qui reviendrait dans le
même temps à nier les identités, les classes… bref la diversité qui constituent le territoire.
La diversité du territoire est donc effacée, gommée. Se jetant à corps perdu dans de
grandes actions médiatiques sans faire participer les différentes parties prenantes des
projets territoriaux, on va constater que les campagnes de communication mises en place
par les services communication des collectivités occultent les réalités du territoire et lissent
les différences ; ainsi au lieu d’être le juste reflet de leur territoire, toutes les campagnes de
promotion vont se ressembler bien qu’elles « vendent » des territoires complétement
différents. A force de vouloir se différencier par la communication, toutes les collectivités
territoriales vont adopter les mêmes techniques et utiliser les mêmes arguments, donnant
naissance à des messages très similaires et réducteurs.

Philippe Jarreau dans sa note de synthèse et de réflexion stratégique de 1988 l’avait déjà
souligné :

     En effet, la répétition du même message désignant cependant des lieux très différents le
     banalise et lui fait perdre son efficacité aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des frontières
     de l’Hexagone. Toutes les grande villes communicantes sont « un carrefour », un « noeud »,
     un « pôle, un « centre » de l’Europe (…).64
                     



63
   in F. Martin-Juchat, Communication et culture marchande : l’illusion structurelle des logiques modernes
d'enchantement affectif », In, Citton, Y., dir. (2012), Les nouvelles formes de l’illusion, PUG, à paraître.
64
   op. cit.

                                                                                                           42
A cause de la banalisation des discours et des messages, tout le monde pense qu’il peut à
son tour, du jour au lendemain, créer une marque de territoire.
Sous la pression des élus et des cadres dirigeants, les équipes opérationnelles en
communication sont incitées à se lancer dans la compétition des marques de territoires sans
avoir mené de véritable réflexion stratégique en amont, ou sans en avoir eu connaissance.
Ce qui va conduire certaines collectivités locales à se lancer de nouveau les yeux fermés
dans la création d’une marque, qui se limite bien souvent à la création d’un logo
accompagné d’une baseline, dans la lignée des excès communicationnels dénoncés dans
les années 80.



                 Exemples

                 En 2011, le Comité Départemental du Tourisme des Hautes-Alpes lançait
                 une marque de territoire « Hautes-Alpes, naturellement au cœur des Alpes »,
                 recrutement de personnalités/ambassadrices, nouveau logo, cérémonie
                 officielle de lancement, réalisation d’un film en 3D… Se vantant de pouvoir
                 rivaliser et accéder à la notoriété de la célèbre marque « Savoie-Mont
                 Blanc ».




            fig. 10




                                                                                          43
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale
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Enjeux communicationnels et identitaires d'une logique de marque territoriale

  • 1. Master 2 Communication d’entreprise pour professionnels MARTIN Laurie Mémoire de recherche 2011/2012 Enjeux identitaires et communicationnels d’une logique de marques territoriales Le territoire peut-il se vendre en rayon ? Institut de la Communication et des Médias 11 avenue du 8 mai 1945 - BP 337 - 38434 Échirolles – Tél. 04 56 52 87 17
  • 2. Remerciements ____________________________________________ Tout d’abord je tiens à remercier ma tutrice Fabienne MARTIN-JUCHAT qui a su distiller au bon moment ses remarques et encouragements. Je remercie également tout le personnel administratif, le secrétariat du service formation continue ainsi que celui du département Information et Communication, et plus particulièrement Marie SIBEUD en sa qualité de directrice des études et Yves NICOLAS responsable de ce master. Merci à toutes les personnes qui ont donné de leur temps pour me recevoir et, qui ont partagé avec moi leur expériences et avis sur ce sujet des marques de territoire. Entre sorties, révisions et discussions passionnées, un grand merci à mes « collègues de classe » avec qui j’ai vécu cette étape un peu particulière, et sans qui cette année n’aurait pas été si agréablement colorée. Enfin un grand merci à mon amie, ma famille, les amis et l’équipe de l’Office de Tourisme de Montgenèvre qui m’ont supporté dans ma décision de reprise d’études, ils ont toujours été un immense soutien. 2
  • 3. Déclaration anti-plagiat ________________________________________________ DECLARATION 1. Ce travail est le fruit d’un travail personnel et constitue un document original. 2. Je sais que prétendre être l’auteur d’un travail écrit par une autre personne est une pratique sévèrement sanctionnée par la loi. 3. Personne d’autre que moi n’a le droit de faire valoir ce travail, en totalité ou en partie, comme le sien. 4. Les propos repris mot à mot à d’autres auteurs figurent entre guillemets (citations). 5. Les écrits sur lesquels je m’appuie dans ce mémoire sont systématiquement référencés selon un système de renvoi bibliographique clair et précis. NOM : MARTIN PRENOM : Laurie DATE : Grenoble, le 11 juin 2012 SIGNATURE :     3
  • 4. Table des matières ____________________________________________ Remerciements p. 2 Déclaration anti-plagiat p. 3 Introduction p. 6 1ÈRE PARTIE : LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU p. 8 MARKETING TERRITORIAL 1. Contextes d’émergence du marketing territorial p. 9 1.1. Mondialisation versus territorialisation p. 9 1.2. Industrialisation des outils de communication p. 10 1.3. De l’importance de l’image p. 12 1.4. Entre publicité et propagande, la manipulation des foules p. 13 1.5. Les stratégies « push » des agences de communication p. 14 2. Les villes en première ligne p. 15 2.1. Les projets d’aménagements urbains p. 16 2.2. L’architecture : un média permanent p. 18 2.3. Le marketing événementiel et le géographisme des villes p. 18 2.4. Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation p. 21 en date du marketing urbain : un nouveau critère de différenciation 3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies p. 23 de communication territoriale 3.1 Un contexte politico-administratif favorable p. 23 3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90) p. 24 3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites p. 26 de marketing territorial (année 2000) 4
  • 5. 2ÈME PARTIE : LA COMMUNICATION ET LE MARKETING p. 28 EN TENSION, LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ? ANALYSE DES ENJEUX 1. Problématiques et enjeux identitaires p. 30 1.1 L’identité une notion délicate           p. 31 1.1.1 Concurrence identitaire p. 31 1.1.2 Identité individuelle et collective p. 32 1.1.3 Identité vécue versus identité perçue p. 33 1.1.4 L’individu à identités multiples p. 34 1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie p. 35 2. Communication publique et marketing en tension p. 37 2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ? p. 37 Perversités d’une transposition marketing publique/privée 2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir p. 39 2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et p. 41 images banalisés 2.3.1 Des messages réducteurs p. 42 Exemple de la nouvelle marque Hautes-Alpes 2.3.2 La pauvreté des images p. 45 2.4 Les marques de territoire, l’expression d’un retard ? p. 46 3. Une logique marketing qui montre ses limites p. 46 3.1 D’un marketing classique à un marketing 2.0, p. 47 relationnel et affectif Exemple Le coup de cœur des Ardennes 3.2 L’effet « poupées russes » des marques, un défaut p. 50 de lisibilité 3.3 L’autorité et la rigidité des « codes de marques » p. 52 Conclusion p. 54 Bibliographie p. 57 Table des figures p. 60 Liste des sigles p. 61 Annexes p. 62 Annexe 1 Exemples de campagnes publicitaires de villes p. 63 Annexes 2 Contenu d’une formation en marketing territorial p. 70 5
  • 6. Introduction Tout au long de mon parcours professionnel j’ai été confrontée à diverses problématiques concernant l’attractivité des territoires. J’ai été aussi très tôt animée par un désir plus personnel d’accompagner les collectivités locales dans leurs actions et plus particulièrement dans leurs actions de communication. Souvent regardée comme un gaspillage d’argent public, la communication territoriale a souffert et souffre aujourd’hui encore de certains a priori, or c’est à travers elle que se construisent les projets de territoires, et sans cette fonction pédagogique d’information/communication, les collectivités ainsi que leurs élus se trouveraient bien dépourvus face aux nouveaux enjeux sociétaux et économiques : développement durable, réformes de décentralisation, nouvelles technologies, concurrence territoriale, délocalisations… Fiers de jouer un rôle dans la construction d’un sentiment d’appartenance à une terre, les communicants publics se trouvent aujourd’hui confrontés à de nouveaux défis communicationnels. Avec une mondialisation de plus en plus envahissante et les nouvelles réformes des collectivités locales (mal comprises des citoyens), la concurrence entre les territoires et les collectivités a non seulement donné lieu à une surenchère publicitaire, mais a aussi ouvert la porte à des stratégies commerciales de plus en plus agressives. Le marketing s’est alors invité dans la sphère publique en proposant des marques de territoire. Ce terme « marque de territoire » est, pour moi, d’une part trop éloigné de la notion de service public et d’autre part trop réducteur quand il s’agit de porter à la connaissance des publics toutes les richesses culturelles, patrimoniales, humaines, agricoles, sociales que renferme un espace géographique, mais aussi administratif puisqu’un territoire1 est un espace administré. Est-il possible de faire de ce territoire un bien marchand ? La communication publique et territoriale sert l’intérêt général2 et a pour mission « de faire rencontrer l'État et les citoyens dans un but de partage et d'échange»3 ; tandis que le marketing 4 considère l’homme davantage comme un consommateur que comme un citoyen, en ce sens il se donne pour objectifs de cerner aux mieux les attentes des  Du verbe terreo en latin (terrifier), mais peut aussi venir de terra la terre, les juristes du 6ème siècle ont 1   2 Du latin communicare, préfixe cum « faire avec », notions d’échange et de partage. Et publicius « qui concerne l’Etat » 3 http://communicationcitoyenne.over-blog.com/article-27938583.html (consulté le 05 juin 2012)   4  De la racine latine mercator « marchand »   6
  • 7. consommateurs dans le but d’accroître par la vente les profits de l’organisation pour laquelle il travaille. L’infiltration de techniques et d’outils en provenance d’une culture marchande dans les services et les stratégies de développement des collectivités locales, n’est donc pas forcément un élément constructif pour la communication publique. C’est ce constat qui m’a encouragé à traiter ce sujet du marketing territorial avec un éclairage un peu critique mettant en tension deux domaines (communication et marketing) qui peuvent correspondre à des sphères publique/privée très éloignées les unes des autres en termes d’organisation, d’administration financière, d’objectifs, d’intérêts… et qui jusqu’alors étaient cloisonnés par des cursus de formation très différents. Ce mémoire se présente en deux temps, dans la première moitié nous nous attacherons à comprendre pourquoi et comment le marketing a pu infiltrer la sphère publique française. Dans un premier point nous dessinerons le contexte, et les conditions d’émergence de cette culture marketing, dans un second point nous nous attarderons sur les premières manifestations du marketing territoriale dans les villes, puis nous poursuivrons dans un troisième point l’historique de ce nouveau paradigme, avec l’appropriation par les régions du concept de marque de territoire. Dans la seconde moitié de ce travail, j’ai souhaité traiter une question simple et « choc » qui interpelle : « le territoire peut-il se vendre en rayon ? » à travers cette question, il s’agira de montrer en quoi une logique de création de marque de territoire peut se révéler finalement contre-productive en matière de communication publique. Dans un premier point, nous aborderons la notion délicate de l’identité (fondement de tout territoire), le second point sera consacré à la mise en lumière des tensions existantes et émergeantes entre marketing et communication, donnant naissance à une véritable lutte de pouvoir, et enfin, le troisième point s’attèlera à démontrer les limites auxquelles se heurte le marketing traditionnel quand ses outils et techniques rencontrent des administrations et territoires publics. Par ailleurs, ces deux grandes parties, chacune découpée en trois points, seront ponctuées d’exemples concrets qui serviront d’illustrations à mes propos théoriques. 7
  • 8. 1ÈRE PARTIE LES CONDITIONS D’ÉMERGENCE DU MARKETING TERRITORIAL 1. Contextes d’émergence du marketing territorial   8
  • 9. Dans les années 70, face aux nouvelles revendications sociales citoyennes, notamment participatives, les instances politiques prennent conscience de l’importance de la communication politique et surtout de la nécessité de faire preuve de transparence à l’égard des citoyens ; de là dépend la crédibilité des gouvernances politiques locales. Très liée au marketing politique des années 80, la notion de marketing territorial est née de plusieurs facteurs simultanés : l’industrialisation du domaine de la communication, la mondialisation et l’intérêt croissant que portent les agences de communication aux collectivités territoriales. Dans le même temps l’apparition des nouvelles sciences de l’information et de la communication, et de la sémiologie, incite les collectivités publiques à placer l’image au centre de leurs stratégies de communication et de développement. Ce premier constat dessine alors dans notre société le contexte d’émergence du marketing dans la sphère publique. 1.1 Mondialisation versus territorialisation Nouveau défi pour les institutions politiques, la mondialisation, extension du système capitaliste à l'ensemble de l'espace géographique mondial, prime aujourd’hui sur les intérêts du développement économique local et sa culture. Les collectivités cherchent désormais à inscrire leurs actions au niveau européen voir international. En ce sens l’expansion des marchés industriels et des échanges entre les nations et les hommes, influe sur l’information et la communication des parties prenantes. La mondialisation de l’information et des outils de communication, qui touchait au départ les entreprises privées, les systèmes informatiques et les logiciels bancaires, s’est étendue petit à petit au grand public avec l’émergence d’internet. Ces mutations technologiques accentuent la tendance à la globalisation des marchés, qui devient un modèle prégnant dès le début des années 1980. Mohammed Taleb, historien et philosophe, déclare à ce propos « Les lois du marché pénètrent les sphères non marchandes de la réalité, y compris l’organisation du vivant. »5, puis il poursuit en expliquant « Culture et territoires sont dotés de frontières multiples et poreuses. Ces derniers subissent de plein fouet une mondialisation qui disloque les espaces temps locaux, au bénéfice d’un espace temps monde. » Les territoires vont donc à leur tour devoir évoluer pour accompagner les changements sociétaux, et ce dans un contexte de mondialisation de plus en plus puissant. 5  in Territoires, n°452, novembre 2004, p.13. Mohammed Taleb s’intéresse aux enjeux culturels de la globalisation et à son impact sur les peuples.   9
  • 10. On assiste paradoxalement et dans le même temps, non pas à une mondialisation qui homogénéise l’espace mondial mais, au contraire, à une différenciation des territoires, le néologisme « Glocalisation » 6 de Bernard Miège illustre parfaitement cette hypothèse : en dépit d’une harmonisation des techniques, les institutions territoriales s’appliquent à se différencier laissant derrière elles le reste du monde. Selon Dominique Wolton, la mondialisation, n’est pas sans effet négatif sur la communication territoriale : La problématique du territoire devient cruciale […] Plus on vante les vertus de la communication, plus, en contrepoint, émerge le besoin d’être quelque part. Ce profond mouvement de balancier anthropologique concerne également la politique, le grand changement ici est la mondialisation des enjeux. Tout devient mondial mais si l’on ne donne pas aux citoyens les moyens d’agir et de réaliser au plan local, le déséquilibre sera catastrophique. Le local est le symétrique indispensable à l’élargissement constant des 7 frontières. La volonté de se démarquer au niveau international devient pourtant la norme. Les territoires, avec les villes en première ligne, vont de ce fait faire usage de nouvelles techniques commerciales et communicationnelles dans l’objectif d’être connus et reconnus au niveau mondial, mais à partir de leurs spécificités et de leur ancrage dans un lieu particulier. 1.2 Industrialisation des outils de communication Dans une ère post fordiste 8 , on assiste à la création d’autoroutes de l’information débouchant sur une industrialisation des produits culturels et des outils de la communication. Cette tendance à l’hyper industrialisation, dénoncée notamment par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer9, est accentuée par l’essor des technologies de la télécommunication et leurs utilisations croissantes dans le développement des territoires. Jean Lecanuet, homme politique dans les années 70, s’exprimait sur le rôle des communications dans l’aménagement géographique de l’espace : « les communications de tout ordre sont l'une des conditions indispensables de l'aménagement du territoire (…) »10. 6 Nous reviendrons plus en détail sur ce paradigme de tension communicationnelle globale/locale dans la seconde moitié de ce travail. 7 in Bruno Cohen-Bacrie, Territoires en promotion, Weka, Paris 2003 8 G. BENKO, Marketing et territoire, in J.-M. Fontan, J.-L. Klein, D.-G Tremblay (éds), Entre la métropolisation et le village global, Sainte-Foy, Québec, Presses de l’Université́ du Québec, 1999, p. 81-83 9 in La dialectique de la raison, 1947. Ouvrage qui développe les fondements de la théorie critique de l’Ecole de Francfort 10 in Daniel Sperling, Le Marketing territorial, la communication des régions, Milan-Media, Toulouse : 1991 10
  • 11. Car si la communication est considérée comme un moyen d’organiser le territoire, participant à la formation de mégalopoles, elle prend également part à l’industrialisation des pratiques culturelles, informationnelles et sociales. Les entreprises du secteur privé sont les premières à recourir massivement aux nouveaux outils issus de la révolution industrielle (machines automatisée, travail à la chaîne…) dans l’objectif d’accroître leur productivité, s’en suivront l’adoption d’autres techniques de promotion commerciale comme le marketing avec pour but de se forger une notoriété, créer le besoin et répondre à la demande qui en découle. Ces entreprises vont imposer ce modèle au secteur public, qui lui s’en servira, non pas pour augmenter sa productivité, mais pour rationnaliser méthodiquement le fonctionnement de ses organismes publics. Car comme le souligne Bernard Miège :   Les politiques publiques ne sont guère séparables des enjeux globaux de la communication, et les acteurs publics qui, certes disposent de moyens d’actions particuliers, ne sauraient être mis à part ; leurs stratégies se confrontent à celles des acteurs privés, quand elles ne se confondent pas avec elles.11   Dans un mouvement général mondialisé, le secteur public n’a pas d’autre choix que de se conformer aux mouvances et tendances de l’époque, sans quoi il accumulerait un retard considérable par rapport au secteur privé et aux autres pays, une conclusion que partage Bruno Cohen-Bacrie : « […] Les collectivités territoriales, auraient tort de ne pas jouer leur partition, en se positionnant habilement sur ce terrain de l’image.12 » En conséquence, nous assistons à une montée en puissance des stratégies d’images, un levier qui va revêtir toute son importance aux yeux du public. 1.3 De l’importance de l’image Convaincues, de l’importance de communiquer, les collectivités territoriales, guidées par les agences de communication et l’émergence d’un marketing globalisé, vont mettre en place des stratégies basées principalement sur des campagnes d’images. Dans le même temps, entre 11 in Bernard Miège, La société conquise par la communication, Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 1989 12 op. cit. 11
  • 12. 1966 et 1970, « L’équipe de Publicis, en relation étroite avec Barthes et sa revue Communications définit alors progressivement ce qui devait constituer le premier paradigme de concepts de la sémiologie appliquée. L’objet central de cette sémiologie était l’image fixe – annonce ou affiche. »13 fig. 1 Désormais soucieuses des signes que peuvent envoyer leurs visuels et, des représentations mentales qu’elles véhiculent auprès du grand public, les villes sont les premières à vouloir convaincre et attirer par des actions de communication basées uniquement sur la création de systèmes graphiques : images, slogans, logo... Autant d’éléments qu’elles jugent utiles afin que le public les identifie. Les communes, souvent aveuglées par l’effet marketing de « la culture pub » et poussées par les lois sur la décentralisation qui accentuent la concurrence entre les territoires et les collectivités14, une multitude de « campagnes » voient le jour en France comme en Europe : Nantes avec les affiches Effets Côte-Ouest, OnlyLyon, Montpellier la Surdouée (fig. 1), Strasbourg Europtimist, Je veux Metz, Je vis ailleurs je vis au Havre, I AMsterdam, Be Berlin…15 Il s’agit alors pour les villes, d’une part de mettre en valeur leurs atouts touristiques afin d’attirer des investisseurs et des vacanciers, et d’établir un consensus social autour d’une même image ou slogan d’autre part. En quête de notoriété, les villes cherchent alors à justifier leurs actions marketing : « Ramené à un produit, le territoire a donc une légitimité à faire connaître la qualité de son offre. »16 Au delà des création des marques-villes, le marketing touristique participe fortement à la mise en place de véritables stratégies d’images, Atout France tient d’ailleurs à le souligner : « Le 13 in B. Fraenkel & C. Legris-Delportes (éd.), Entreprise et sémiologie, Paris, Dunod, 11- 19 « Petite histoire de la sémiotique commerciale en France » 14 cf. paragraphe 3.1 à propos du contexte législatif 15 cf. annexe 1 les exemples de publicités des villes 16 op. cit. 12
  • 13. tourisme constitue un enjeu fort pour la plupart des capitales européennes qui déploient de véritables stratégies pour séduire les clientèles de proximité. » 17 La notion de séduction pose alors la question de la manipulation et de l’influence des images. 1.4 Entre publicité et propagande, la manipulation des foules Considéré comme le père de la propagande politique, Edward Bernays, dans son ouvrage Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie de 1928, souligne la mince frontière entre la publicité et la propagande. La dernière jouant « un rôle important dans la société démocratique » 18 . Séduire et influencer le grand public par des campagnes publicitaires d’affichage en masse tendrait à se confondre avec les techniques de propagande politique employées habituellement pour influer le vote politique des citoyens. Comme si les individus devaient aujourd’hui « voter » pour leur ville, leur département ou leur région préférée (action qui est d’ailleurs effective sur les réseaux sociaux). Les photographies et les reproductions utilisées sur les affiches de promotion touristique des territoires seraient alors choisies pour ce qu’elles représentent comme symbole dans l’esprit des gens, des consommateurs, et non pour la réalité du territoire qu’elles illustrent.   fig. 2 Ici Lyon, par cette représentation photographique souhaite véhiculer l’image mentale d’une ville romantique suscitant du désir. Mais la photographie, mise en scène, retouchée et transformée, ne correspond pas à la réalité vécue par les touristes ou les Lyonnais.   17 Christian Mantei, Piloter l’attractivité touristique des destinations urbaines, Atout France, Paris, Mars 2012 18  E. Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, Paris 2007   13
  • 14. Dans Propaganda Edward Bernays soulevait l’importance des mécanismes psychologiques : «Autrement dit, il nous arrive de désirer telle chose, non parce qu’elle est intrinsèquement précieuse ou utile, mais parce que, inconsciemment, nous y voyons un symbole d’autre chose dont nous n’osons pas nous avouer que nous le désirons. »19 Les psychologues de l’Ecole de Freud ont étudié ces mécanismes de désirs, qui sont utilisés par les propagandistes afin d’influencer la foule et, les techniques de marketing territorial n’y sont pas totalement imperméables. Ces techniques d’influences par l’image nécessitent des compétences particulières, qui bien souvent faute d’être présentes en interne, sont sous-traitées à des agences de communication. 1.5 Les stratégies « push » des agences de communication Entre 1980 et 1990, les collectivités vont user et abuser de nouvelles techniques de communication, comme la publicité par l’image, provoquant déjà à l’époque une certaine méfiance chez les citoyens vis à vis du marketing territorial. Bruno Cohen-Bacrie, y fait d’ailleurs référence dans son ouvrage Territoires en promotion20 : « Les gourous, le strass et les paillettes deviennent des éléments caricaturaux d’une gigantesque mise en scène des territoires et des élus dont tous ne sortent pas indemnes. » Ces années fastes de la publicité, où l’on relève une multitude de slogans tel que Biarritz, l’art de communiquer, Montpellier la surdouée, ont alors contribué à placer les agences de communication sur un piédestal. Les élus au sein des collectivités, et les services communication leur accordant une confiance aveugle (aussi parce qu’aucune formation en communication n’est proposé par le service public, ce qui est d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui) vont alors se reposer sur l’avis de ces professionnels employés par les agences. Nous constatons également que les communicants recrutés dans le secteur privé (les contractuels) et les élus deviennent au cours de ces mêmes années de plus en plus sensibles aux discours circulants sur le marketing, se laissant facilement convaincre par les publicitaires et les agences de conseils du rôle indispensable de ces techniques. Pourtant, en 1991, Daniel Sperling tentait déjà de nous mettre en garde sur les dérives possibles et 19 ibid. 20  op. cit.     14
  • 15. contre-productives des techniques de séduction auxquelles ont recours les agences de communication : Dans le même esprit, par souci de rentabilité et, parfois, par complaisance, certaines agences sont amenées à proposer des campagnes de communication plus destinées à séduire les décideurs qu’à atteindre réellement les objectifs de communication précis. Elles utilisent alors des outils de communication qui permettent d’impressionner et de valoriser les décideurs, mais qui ne contribuent nullement à implanter dans les esprits la conscience d’appartenir à un territoire.21 Isabelle Pailliart, directrice du Gresec à l’université de Grenoble 3, déclarait également lors d’un entretien que « le recours à des agence publicitaires a conduit à utiliser des recettes issues de la sphère marchande, des politiques d’image peu adaptées. »     Le lobby des agences pèsent encore aujourd’hui sur le service public, car pour elles les enjeux demeurent importants : décrocher de nouveaux marchés à l’heure où la crise frappe de plein fouet les entreprises privées et leurs budgets communication. 2. Les villes en première ligne Bien que la notion de marketing territorial existe depuis de nombreuses années, le terme de marketing urbain ou city branding l’a précédé. La première ville à faire l’expérience d’un marketing de ville fut New-York avec le lancement de sa célèbre city brand . En France c’est Lyon qui a été pionnière avec la création de son agence de développement économique du Grand Lyon et de sa marque OnlyLyon. Dans un contexte de marché de plus en plus concurrentiel : celui de l’implantation économique, les élus et leurs villes ont montré la voie en posant le problème de l’attractivité et des images de marque des territoires. Dans cette perspective les villes se veulent créatrices de richesses humaines, culturelles, économiques… et entrent de ce fait automatiquement en concurrence, que ce soit à l’échelle nationale, européenne ou internationale. 21 op. cit. 15
  • 16. Par ailleurs, selon une enquête sur l’image de marque des villes et le marketing territorial, réalisée en 1988, Philippe Jarreau distingue quatre éléments qui vont marquer l’essor de la communication des villes : 1) La crise du modèle Fordo-keynésien : fin de la production de masse et diversification de la commercialisation des services, produits… 2) L’importance nouvelle des problèmes de gestion dans les agglomérations, un contexte gestionnaire qui institue une logique entrepreneuriale de la ville, s’ouvrant ainsi au marché de la communication et du marketing. 3) L’opacité croissante de la société civile. La crise de l’urbain oblige à repenser les problématiques et le regard porté sur la ville et montre l’insuffisance de la culture technique (aménagement et urbanisme) qui était, convoquée jusqu’alors pour l’action. La communication et le marketing offrent de ce fait la simplicité, l’efficacité, la séduction et une lecture rapide des différents aspects du sociétal. 4) La découverte/redécouverte du « Qualitatif ». « Si la société des années 60-70 avait pour tâche essentielle de cerner le « où » et le « quand » des usages et manifestations sociales, l’objectif aujourd’hui est d’identifier, d’évaluer, à partir d’une connaissance fine et qualitative du « comment » et du « pourquoi » des liens sociaux et dispositifs consensuels afin de proposer des actions de développement. »22 Dans ce second point, nous tenterons de comprendre comment les villes, par la mise en place de leurs différents projets urbains, ont participé au développement des techniques de communication. 2.1 Les projets d’aménagements urbains À partir des années 80 les villes ont souhaité délivrer au public une nouvelle image de la modernité, une image qui allait les valoriser et qui leur permettraient d’attirer des investisseurs et cadres supérieurs. L’apparition d’une nouvelle échelle de territoire européenne participe également, à l’époque à l’accentuation de la concurrence entre les villes. Ces dernières se disputent les nombreux dossiers, comme l’arrivée du TGV, pour tenter de se positionner comme ville capable d’accueillir et de réaliser de grands projets européens.   22 P. Jarreau, Survey sur l’image de marque des villes et le marketing territorial, Note de synthèse et de réflexion stratégique, Cristal CSPC, Montrouge : Mai 1988. 16
  • 17.                 fig. 3                       Très rapidement les élus prennent alors conscience des enjeux économiques et politiques qui pèsent sur les programmes de développement urbain de leurs villes. Avant même de commencer des travaux, des plans de communication sont mis en place pour faire connaître aux citoyens la volonté de la municipalité de se moderniser, d’innover, de changer la ville...le tout dans l’objectif de séduire des investisseurs privés. On notera par ailleurs « la contradiction croissante entre deux types de marketing : le premier à destination des décideurs économiques, qui a pour objectif d’inciter à des implantations ou à développement d’activités ; et le second à destination des habitants, visant à convaincre ceux-ci de la qualité des services urbains locaux. »23, sujet sur lequel nous reviendrons dans la seconde moitié de ce travail. La communication des villes entre 1980 et 1995 était alors avant tout basée sur des équipements urbains, nous citerons notamment ici l’exemple de Grenoble, Bordeaux ou encore Nantes avec leur réseau de tramways, ou encore de Nîmes avec la médiathèque de Norman Foster, le Nemosus de Jean Nouvel et les abribus relookés par Philippe Starck, célèbre architecte designer. Il s’agissait de travailler sur l’image mentale de la ville pour transformer, dans l’esprit des individus, des représentations parfois négatives. D’abord 23 Citation relevée d’une table ronde, retranscrite in Coll., La ville Marketing, revue Urbanisme N°344, sept- oct 2005 17
  • 18. utilisée comme un moyen de mobiliser les habitants et agents des collectivités en interne, la création d’une image particulièrement attractive devient de plus en plus une exigence aux yeux des décideurs soucieux du développement économique de leur territoire. 2.2 L’architecture : un média permanent Dans une course effrénée aux investisseurs, les municipalités veulent désormais envoyer des signaux forts pour démontrer leur capacité à se moderniser. Ainsi, le projet Euralille dessiné par Rem Koolhaas, designer urbain de renommée, fait figure d’exemple en la matière : l’architecture devient un moyen de communication, et le changement d’image de marque d’une ville passe désormais par des constructions investies de signes, tels des monuments24 des temps modernes qui veulent marquer leur époque, et prendre marque pour l’avenir. Le monument devient alors un signe distinctif pour la ville, à Grenoble la tour Perret évoque dès les années 20-30 l’âge d’or de la houille blanche, plus tard il s’agira avec le projet de construction d’une maison de la culture Le Cargo de faire de Grenoble une ville dynamique et ouverte sur le monde. À Nîmes c’est la médiathèque de Norman Foster qui fait rayonner la ville au-delà de ses traditionnelles férias ; à Lille le projet Euralille, lancé en 1990, participe à la prospérité de la ville, qui évite en 1994 une sérieuse crise économique. Les noms donnés à ces divers projets architecturaux donnent lieux à de nombreux marchés publics en communication et marketing, car ils deviennent de réels noms de marques, sur lesquels les villes vont s’appuyer pour se vendre. 2.3 Le marketing événementiel et le géographisme 25 des villes Outre les projets d’architecture, les élus vont actionner d’autres leviers pour placer leur ville sur le devant de la scène dans l’objectif, toujours, de recruter et fidéliser les entreprises sur le territoire. La communication (n’étant que le moyen et non la finalité) va accompagner ces nouveaux leviers que sont : l’organisation d’événements à caractère international et le géographisme. 24 En latin moneo : avertir, faire savoir, faire songer à, faire se souvenir. 25 Entendons ici la capacité à communiquer sur les voies d’accès et les avantages de son positionnement géographique. 18
  • 19. En plus de communiquer vers l’extérieur via des affiches ou des encarts publicitaires, les villes vont aussi constituer d’épais dossiers de candidature dans le but d’être choisies comme ville organisatrice des Jeux Olympiques ou comme capitale Européenne de la culture. Ces manifestations engendrant une notoriété sans égale comparée à des campagnes de publicité classiques sont aussi l’occasion pour le territoire urbain d’améliorer ses infrastructures, et donc de proposer un cadre de vie plus qualitatif pour les citoyens. Ces grands événements transforment généralement l’image de la ville de manière durable : « L’événementiel beaucoup plus nettement que l’événement est destiné à produire une image de marque décisive pour la ville. » 26 Ainsi pour Grenoble les Jeux Olympiques de 1968 ont été un véritable tremplin pour la ville, pas seulement en matière de sport, mais aussi en matière d’innovation technologique. L’événement sportif a servi de coup de projecteur sur une ville à la pointe de la recherche et de la technologie : premier téléphérique urbain, première retransmission en couleurs, création du centre d’étude nucléaire, SOI 27 … Au-delà du rayonnement et de la médiatisation de l’événement lui-même, la ville va renforcer sa compétitivité économique en accueillant de nombreuses industries nouvelles. Dans les années 70 la marque-ville Grenoble devient un gage d’innovation pour les entreprises implantées dans son territoire. À l’époque, cette récente notoriété accompagnée et encadrée par des actions de communication (création d’un logo…) va permettre à Grenoble de concurrencer d’autres grandes villes françaises. Nombreux sont les exemples de villes qui se sont dynamisées par, ou grâce à des événements, on citera Athènes avec l’organisation des Jeux-Olympiques en 2004, Cannes avec son festival cinématographique, Avignon avec son célèbre festival de théâtre, ou encore Angoulême avec son festival de la bande dessinée.                                                                   26 M. Rosembeg, Le Marketing urbain en question, production d’espaces et de discours dans quatre projets de villes, Anthropos-Economia, Paris : 2000. 27 SOI : silicium sur isolant, Grenoble est souvent appelée « vallée du Silicium » de par cette découverte 19
  • 20.               fig. 4 Souvent mis en avant lors des événements, l’accès aux sites, l’accès à la ville est un critère de choix qui pèse lourd dans les dossiers de candidature. C’est même la condition sine qua non pour accueillir un événement de portée internationale. La géographie et les infrastructures de transport deviennent par conséquent des éléments marketing importants. La proximité d’autres grandes agglomérations, de gares, d’aéroports, d’autoroutes, influence de façon importante le choix des PDG sur leurs implantations économiques. Relayer ces informations, utiliser tous les moyens de communication possibles pour faire connaître ces atouts, est devenu indispensable. D’ailleurs aujourd’hui, les territoires se vendent grâce à leurs arguments sur l’accessibilité : Montgenèvre à 4h30 de Paris en TGV, à 1h de Turin (…) 28. À l’extrême Ouest de l'Europe, la Bretagne est desservie par deux grands axes : en provenance du Nord et du Sud, l'autoroute des Estuaires (A 84 et A 83) et en provenance de l'Est, l'autoroute Océane (A 11). Dès votre entrée dans la région, vous accédez au réseau routier breton 2x2 voies entièrement gratuits. 29 28 Éléments relevés dans les différentes brochures promotionnelles de la station 29 Sur le site de Bretagne Tourisme : http://www.tourismebretagne.com/informations-pratiques/venir-en- bretagne     20
  • 21. 2.4 Les quartiers et initiatives durables, dernière manifestation en date du marketing urbain : un nouveau critère de différenciation « Les acteurs du marketing font désormais apparaître l'argument écologique au niveau de l'éco-conception, de la vente et de la communication de produits répondant aux standards du développement durable. » Ce type de discours, extrait d’un dossier sur le marketing et le développement durable30 n’échappe pas aux préoccupations des producteurs de villes. En réponse à la demande croissante des citoyens-habitants, les récents projets de villes basés sur le concept de l’éco-construction31 vont devenir intrinsèquement de véritables supports médiatiques destinés, eux-aussi, à renforcer la notoriété et l’image de marque de la ville. L’émergence de ce marketing durable et responsable va permettre par ailleurs aux villes de mener une politique de crédibilité en offrant à ses habitants une qualité de vie supérieure. Des nouveaux quartiers bioclimatiques, comme la caserne de Bonne à Grenoble, aux bâtiments publics HQE32, aujourd’hui on communique sur les capacités d’une ville à se renouveler, à se saisir des technologies alternatives et innovantes (fig. 5). Selon Gilles Rabin, actuel directeur général adjoint, Pôle développement métropole Nice Côte d’Azur, « Sur le marché concurrentiel de la ville, l’innovation est aussi une donnée vitale. » 33 30 http://www.e-marketing.fr/Dossiers-Thematiques-Marketing/Marketing-et-developpement-durable- 2/Sommaire.htm 31 « Eco-construire » équivaut aujourd’hui à atteindre une haute performance sur plusieurs cibles touchant à l’environnement, au confort et la santé des occupants d’un bâtiment, en particulier la préservation des ressources énergétiques, la lutte contre le changement climatique, la réduction des déchets et de la pollution, la qualité de l’air intérieur, le confort des occupants, la qualité environnementale et sanitaire des produits de construction. » Définition tirée du site : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Eco-construction-et- eco-renovation-.html 32 Haute Qualité Environnementale 33 in Urbanisme, N°14, sept-oct. 2005 21
  • 22. fig. 5 Avec de nouveaux critères comme la qualité du cadre de vie, le taux de réussite des établissements scolaires, le nombre d’espaces verts, la quantité de bâtiments labellisés HQE… Les classements effectués chaque année par la presse magazine (fig. 6) attisent la concurrence entre les métropoles, qui de plus en plus, mettent en œuvre des campagnes de promotion basées sur ces initiatives durables et écologiques pour attirer de nouvelles populations de cadres. fig. 6 Aujourd’hui, on constate, que cet attachement aux publicités affichées dans les lieux à forte fréquentation, comme le métro parisien, vont crescendo, mais que rares sont les villes françaises qui vont être mises en avant via ces supports, les régions ont pris le relais. Si dans les années 80 les villes étaient en première ligne et furent les premières à mettre en 22
  • 23. place des actions de communication pour la promotion de leur territoire, actuellement elles ne sont plus les seules à communiquer. 3. Après les villes, les régions : naissance des stratégies de communication territoriale Aujourd’hui ce ne sont plus seulement les villes qui communiquent mais des espaces plus grands : les territoires, correspondant aux régions ou aux départements. Expérimentée d’abord par les villes, cette logique communicationnelle s’est étendue majoritairement aux régions car ces dernières, souvent méconnues, avaient besoin d’exister auprès du public. Je retiendrais quatre principales raisons à ce glissement de la communication urbaine vers d’autres institutions territoriales : 1) Les effets de la décentralisation et l’émergence d’une structure administrative et financière plus à même de communiquer et d’en financer les budgets. 2) La question de la pertinence de l’échelle territoriale, « quel est le périmètre géographique pertinent pour communiquer ? » 3) La mutualisation des budgets, les villes n’avaient pas les moyens de mettre ne place des campagnes de communication dans les grands médias nationaux et sur la durée : « L’union fait la force ». 3.1 Un contexte politico-administratif favorable Avant 1972 les régions n’étaient qu’un découpage administratif de la France. Le Général De Gaulle en 1969 propose de hisser les régions au rang de collectivités territoriales par référendum mais celui-ci sera rejeté. C’est en 1972 que la loi n°72-619 du 5 juillet concrétise la volonté des pouvoirs politiques de déléguer certaines compétences à un autre niveau de collectivités territoriales : les régions deviennent alors des établissements publics régionaux aux compétences très limitées (assemblée consultative uniquement, faible budget, exécution des décisions par le préfet de région...). La loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation, dite « Deferre » va donner aux régions une autre légitimé avec trois avancées majeures34 : 34 Cours de Bruno Cohen-Bacrie du 20 janvier 2012, Communication des collectivités territoriales 23
  • 24. 1) La suppression de la tutelle administrative de l’Etat 2) Le transfert du pouvoir exécutif : le préfet demeure le représentant de l’Etat sur le territoire mais laisse son rôle d’exécutif au président d’une assemblée élue, et n’exerce plus qu’un contrôle a posteriori sur la légalité des actes. 3) La région devient une collectivité territoriale à part entière au même titre qu’une commune ou qu’un département. Si les régions existent en droit, elles ne sont pas légitimes pour autant aux yeux du public. L’entrée en jeu de ce nouvel acteur va évidemment accentuer la concurrence entre les collectivités territoriales. En parallèle la région apparaît au milieu des années 80 comme un échelon pertinent pour le développement économique en Europe. Elles deviennent alors des acteurs politiques européens grâce à des moyens institutionnels et associatifs leur permettant de défendre leurs intérêts à Bruxelles. Elles peuvent, grâce au Comité des régions créé en 1994 suite au traité de Maastricht de 1992, intervenir dans l’élaboration de normes communautaires. Ainsi « La construction européenne a malgré́ tout permis la montée en puissance des régions dans l’Europe. Elles s’imposent donc progressivement comme des acteurs économiques et politiques au niveau national, européen et international. Par conséquent, elles deviennent des protagonistes importants dans la concurrence entre les territoires »35. 3.2 Obligation de communiquer pour exister (années 80-90) Méconnues jusqu’alors les régions, en devenant des collectivités territoriales, vont se voir attribuer un certain nombre de compétences (gestion des transports régionaux, des lycées…) qu’elles doivent revendiquer publiquement. Afin de trouver leur place dans un paysage médiatique déjà bien occupé par les départements et les communes, les régions vont donc à leur tour « entrer en communication » comme « on entre en religion ». Plus proches des citoyens, les communes et les départements sont des institutions déjà bien connues du public, l’entrée en jeu d’un nouvel acteur communicant change la donne : les régions, souffrant d’un manque de profondeur historique, sont désormais obligées de communiquer pour exister. En conséquence, elles ont recours aux techniques modernes de communication et de marketing dans le but de promouvoir leurs forces. Un peu comme une « marque ombrelle » en marketing, les régions tentent d’imposer leur image à coup de grandes campagnes publicitaires nationales, voir européennes (fig. 7). 35 in M. SCHUBERT , sous la direction de Romain Pasquier, La stratégie de marque pour la Bretagne - Attractivité et gouvernance régionale -, Sciences-Po, Rennes : 2009-2010 24
  • 25.                                                                                                   fig. 7   Outre cette suprématie médiatique nouvelle, les régions bénéficient d’une « préférence d’échelle ». En effet l’échelle géographique ville ou département n’est plus forcément la bonne pour offrir une identité territoriale s’adressant à toute l’Europe, mobilité et effacement des frontières obligent. Cependant, cette hypothèse est nuancée, car certaines villes bénéficient d’une notoriété supérieure à celle de certaines régions, avec une « image 25
  • 26. de marque » beaucoup plus affirmée et connue, Muriel Rosemberg exprime clairement son opinion sur le sujet en déclarant que « Montpellier peut se développer sans la région et que le contraire n’est pas vrai. » L’identité des régions, et des villes qui la composent, seraient donc très liées. L’une se servant de l’autre pour exister dans le paysage communicationnel. C’est cette sorte de dépendance qui va aussi, paradoxalement accentuer la concurrence entre deux acteurs de la communication territoriale : la commune et la région. 3.3 Une concurrence acharnée, apparition des stratégies dites de marketing territorial (année 2000) Les régions « apparaissent comme un marché privilégié par rapport à celui de la ville pour les agences de communication et de publicité. Elles évitent les embûches du parcours administratif et politique de la décision municipale souvent dissuasif au regard du budget proposé. »36 Cette concurrence acharnée, qui se joue surtout sur l’image, débouche alors sur l’explosion des budgets des conseils régionaux alloués à la communication. Malgré des contestations et incitations à la prudence (souvenirs de années pub dans les années 80), de plus en plus conscientes de gérer des sentiments identitaires forts, les régions n’hésitent pas à mettre en place des stratégies d’images conséquentes. Ainsi la région Bourgogne a augmenté entre 2004 et 2008 ses crédits dédiés à la politique de la communication de 200%. En Ile-de-France entre 1998 et 2009, les dépenses de communications ont été multipliées par quatre pour atteindre plus de 15 millions d’euros. En 2008, le conseil régional du Limousin dépensait 840 000€ pour des espaces publicitaires et actions de communication vantant ses actions. Philippe Jarreau note également que :   C’est à l’occasion de cet essor des messages sur les territoires régionaux, dont les images débordent souvent les seules circonscriptions administratives, que le terme de marketing territorial est venu désigner pour les aménageurs cet élargissement des compétences en communication. Cette expression, qui vise à l’emploi de ce nouveau terme, doit plus sa construction par effet d’évitement d’une redondance sur le mot même de communication ou de marque, qu’à la volonté d’épingler un processus bien distinct de la communication urbaine.   Cette expression de marketing territorial, selon Bruno Cohen-Bacrie, renvoie ainsi à une démarche proche de la publicité, ce qui tend à en limiter les effets. C’est pourquoi les collectivités tentent au début des années 2000 d’innover par la mise en place de nouveaux outils de communication et de marketing, basés sur une approche qui vise à faire du 36 op. cit. 26
  • 27. territoire un produit, et de la collectivité, une entreprise. André Harteau37 résume les quatre champs de ce « marketing territorial » : - mieux comprendre le marché - mieux s’y adapter - mieux se positionner face à la concurrence - définir une stratégie A partir de là, nous constatons un engouement pour la création de marques de territoires. Mais peut-t-on pour autant appliquer stricto sensu les stratégies des grandes marques commerciales à un produit « public » et ancestral qu’est le territoire ? Ce marketing, qui va alors de plus en plus pénétrer la sphère non-marchande, n’est probablement pas sans conséquence sur la communication publique et territoriale. Dans la seconde partie de ce mémoire nous poserons l’hypothèse suivante : les stratégies de marketing territoriales son limitées dès lors qu’elles évoluent dans un prisme de non- consommation (le citoyen, usager, touriste…ne consomme pas le territoire à proprement parler38), et peuvent de fait devenir contre-productives en matière de communication. 37 Ancien cadre territorial, formateur au CNFPT, auteur d'ouvrages spécialisés sur la communication territoriale. Il a été directeur de cabinet et est lui-même élu. (http://www.cap-com.org) 38 Le citoyen, usager, touriste…consomme des services, des loisirs, des prestations d’activités… 27
  • 28. 2ème PARTIE LA COMMUNICATION ET LE MARKETING EN TENSION LE TERRITOIRE PEUT-IL ETRE UNE MARQUE ? ANALYSE DES ENJEUX 28
  • 29. Dans ce nouvel univers de marques de territoires nous sommes en droit de nous interroger sur la place de la communication publique. Peut-on vendre un territoire avec les mêmes techniques marketing mises en place pour la vente de produits de grande consommation ? Avant de poursuivre le développement de cette seconde partie, je tiens à faire une remarque importante : contrairement à ce que l’on constate dans le secteur privé : cloisonnement des services marketing/communication et description de la communication comme « support » au marketing, nous observons dans les collectivités territoriales issues du secteur public des tendances inverses. Les campagnes et stratégies de communication pré existeraient aux outils marketing, qui ne seraient finalement que des instruments au service de la communication, souvent dans l’objectif de légitimer l’action. Patrick Lamarque39 et Dominque Mégard40 nous rejoignent d’ailleurs sur cette hypothèse : Quand à l’approche marketing, loin de disparaître, elle se met au service de la démarche de communication pour affronter les différentes compétitions dans lesquelles la ville est engagée (tourisme, implantation d’investisseurs).41 La boite à outil du marketing peut opérer : segmentation, ciblage et positionnement… Le marketing n’a pas d’autre vocation et ne peut en aucun cas se substituer aux autres fondamentaux de l’action publique – le projet politique notamment. Il est un outil à son service.42 La communication publique et territoriale se reposerait sur le marketing, et non pas l’inverse, afin de moderniser et d’adapter ses pratiques à la société d’aujourd’hui. Mais cette hypothèse est contestée par Benoît Meyronin43, qui préfère voir en la communication des outils opérationnels, intervenant dans un second temps pour mettre en place la stratégie décidée préalablement par des marketers au service d’une politique économique d’attractivité du territoire.44 Les enjeux de ce nouveau paysage communicationnel et marketing sont donc nombreux et complexes : construction et différenciation par la notion d’identité, lutte de pouvoir, 39 Patrick Lamarque enseigne à l’ENA, au CELSA, à l’EFAP, dans plusieurs universités françaises ainsi qu’à l’École Supérieur du Commerce et des Affaires de Casablanca et à l’Université de Buenos-Aires. 40 Ancienne journaliste professionnelle, puis directrice de la communication d’une ville de Rhône-Alpes, elle est aujourd’hui Présidente de Cap’Com (réseau de la communication publique et territorial créé en 1988). 41 op. cit. 42 D. Mégard, La communication publique et territoriale, Coll. Les Topos, Dunod, Paris : 2012. 43 Enseignant-chercheur, Professeur Senior au département Marketing de Grenoble Ecole de Management et auteur de l’ouvrage Marketing Territorial, enjeux et pratiques. 44 Propos recueilli lors d’un entretien le 23 mai 2012. 29
  • 30. banalisation des messages, multiplication des marques, saturation de l’univers de marque du consommateur, modernisation des outils… Dans les parties qui vont suivre, nous poserons quelques problématiques qui mettent en exergue les limites des stratégies marketing appliquées aux territoires publics. Dans la première partie nous regarderons l’importance de la notion d’identité territoriale (peut-on vendre son identité ?), dans la seconde partie il s’agira de regarder, à travers le prisme de la concurrence, les tensions entre marketing et communication. Et enfin dans la troisième partie nous pointerons les limites d’une logique marketing, tout en proposant des pistes de réflexions alternatives pour l’avenir. 1. Problématiques et enjeux identitaires Sujet très sensible dans notre société, l’identité a souvent été cantonnée au seul concept de reconnaissance de l’individu : « L’identité est ce que l’on est. »45. Or le terme d’identité, comme le précise André Harteau46 est beaucoup plus complexe : « La notion d’identité pour un territoire est tout aussi complexe que pour un être humain : le nom, le rapport à l’espace, à l’histoire, aux autres… y participent. » Outre le fait qu’un territoire puisse être identifiable grâce à un nom de marque ou à des images, il est avant toute chose délimité par des frontières administratives et symboliques. Ainsi les crozets sont le symbole de la Savoie, pas de la Haute-Savoie, la noix de Grenoble est associée à la ville et non pas à d’autres communes de l’agglomération… Toutes ces représentations traditionnelles qui participent à forger l’identité de chaque territoire doivent être préalablement connues et intégrées par les différents acteurs en charge de construire ou de reconstruire une identité territoriale, sans cette condition les stratégies de marketing territorial sont bien souvent vouées à l’échec. L’identité est alors le fondement du territoire, et par conséquent de ses stratégies de communication. Dans cette première partie nous tenterons de souligner l’importance que revêt cette notion d’identité dans les constructions de marques de territoire, et d’expliquer différents aspects 45 in D. Mégard, B. Deljarrie, La communication des collectivités locales, L.G.D.J, Paris, 2003 46 Lors d’un entretien retranscrit in Territoire en promotion de Bruno Cohen-Bacrie. André Harteau est Directeur territorial, diplômé en sciences sociales et actuel directeur de cabinet du maire de Lanester. 30
  • 31. de cette notion, qui à un moment ou un autre, participe à la mise en tension de la communication publique avec les stratégies de marque des collectivités. 1.1 L’Identité : une notion délicate 1.1.1 Concurrence identitaire Il s’agit dans toute stratégie de marketing territorial, de valoriser, d’affirmer l’identité d’un territoire, cette concurrence accentue les revendications identitaires. Plus on communique, plus on revendique son appartenance, son identité. Ce sujet est délicat : dès lors que l’on revendique son identité, sa marque, on exclut de fait les autres, tout ce qu’il y a autour : « On pourrait parler d’excès et de développement de patriotisme, que l’on pourrait illustrer par les indépendantistes bretons ou basques par exemple. »47 Dans un régime de concurrence territoriale où chacun ne pense qu’à se démarquer individuellement, la communication publique ne souffrirait-t-elle pas d’un manque de lisibilité du fait de la multiplicité des émetteurs ? Pour les citoyens, toute la difficulté réside dans le fait de pouvoir identifier les différents émetteurs de la communication publique, car il y a bien ici aussi une concurrence identitaire. Chaque collectivité travaille à se forger une identité visuelle et mentale, puis la confronte à celles des autres collectivités afin de légitimer son existence d’une part, et de promouvoir son territoire et ses actions de l’autre. Quant aux services communication des collectivités, toute la difficulté est de trouver cet équilibre : revendiquer son identité nationale ou régionale sans pour autant dévaloriser l’identité des autres nations ou régions françaises. Cette notion de concurrence identitaire se complexifie encore un peu plus quand nous regardons de plus près l’identité propre à chaque territoire. Si jusqu’à présent, nous avons plutôt évoqué le concept de l’identité dans un contexte global de concurrence inter-territoires, il faut désormais décortiquer cette notion et la regarder à travers le prisme intra-territoire. 47 http://clementgravereaux.files.wordpress.com/2011/04/marketing-territorial.pdf Dossier rédigé par Simon Duchemin et Clément Gravereaux : Marketing territorial. 31
  • 32. 1.1.2 Identité individuelle et collective Précédemment nous avons inscrit la notion d’identité du territoire dans un contexte de concurrence globalisée, or il faut également pouvoir expliquer comment un territoire se construit une identité, à partir de quoi et ce qu’elle renferme. Cet éclairage nous apportera des éléments clés pour décrypter les nouvelles stratégies de marketing territorial. Un territoire a une identité qui lui est initialement donnée par ses frontières administratives, mais il faut surtout souligner ici qu’un territoire est ce qu’il est de par les individus qui l’habitent. Les individus forment une communauté, une population, participant ainsi à la construction de identité territoriale dite « identité collective ». Mais il faut également prendre en compte chacun des individus séparément, c’est « l’identité individuelle ». L’identité du territoire se construit alors à partir de ces deux notions - d’identité collective et individuelle - à la fois ambivalentes et complémentaires (fig. 8). IDENTITE DU TERRITOIRE Actions de communication : Identités réunions publiques, individuelles Stratégies consultations, logos, campagnes d’images, parutions périodiques… Identité collective = cohérence fig. 8 Toute la problématique des collectivités locales est de faire cohabiter, dans leurs projets d’aménagement comme dans leurs stratégies de communication, l’identité individuelle et l’identité collective. Car si chaque individu s’identifie à un territoire (sa terre, son histoire, son patrimoine), il doit également pouvoir ressentir un sentiment d’appartenance à une communauté (traditions, associations, projets de vie...). Ces deux notions d’identités sont liées et ne peuvent être traitées l’une sans l’autre. Il s’agira pour le communicant public de trouver le bon compromis pour s’adresser à la fois au collectif et à l’individu, tout en 32
  • 33. sachant également que la notion d’identité est évolutive, et que chaque individu a plusieurs identités au cours de sa vie. 48 Cette tâche se complique davantage quand la collectivité lance des campagnes de communication (d’image, d’Internet, sur les réseaux sociaux…) mettant en avant des éléments trop éloignés des réalités. 1.1.3 Identité vécue versus identité perçue Des territoires comme la Bretagne ou l’Alsace49 qui ont leur propre langue régionale, un drapeau connu de tous, des traditions et un folklore très présents, bénéficient d’un ancrage territorial fort, d’un sentiment d’appartenance à une terre et d’une fierté d’appartenance à une communauté. Avec cette cohésion territoriale déjà bien développée, ces régions sont les premières à mettre en place de nouvelles stratégies de marques de territoire. Un certain crédit leur sera alors peut-être accordé, car ces marques étaient pré existantes dans l’esprit des individus, mais pouvons nous accorder autant de crédit à une marque régionale qui ne serait pas empreinte d’une identité forte véhiculant un sentiment d’appartenance au territoire ? Comme la région Rhône-Alpes par exemple ? En résumé, la construction d’une marque territoriale basée sur une identité se justifie t-elle pour tous les territoires ? Est-ce un réflexe systématique à avoir ? fig. 9 48 Nous reviendrons un peu plus loin sur cet aspect multi identités (1.1.4) 49  La région Alsace a lancé un appel d’offre pour la création de sa marque en 2011, juste après la Bretagne.     33
  • 34. Qu’est ce que cela signifie quand Grenoble Métropole veut mettre en avant, dans sa stratégie de communication la recherche scientifique (fig. 9) ? Cet atout lance une dynamique de territoire, mais quand la Métro traite ces sujets, elle en exclue forcément d’autres. Pendant qu’elle parle des projets du futur, elle tait d’autres sujets sur la qualité de vie comme les violences urbaines ou encore le bruit (sujets pourtant très attendus par les citoyens). Avec la couverture ci-après (fig. 9) on voit bien que le magazine de la Métro tente de renforcer son identité de territoire innovant, mais cela donne une identité qu’à une partie du territoire seulement, les autres ne se sentant alors pas concernées, d’où l’importance de communiquer sur des identités vécues. La « non prise » en compte d’éléments constitutifs de l’identité du territoire dans la construction de marque, conduit à une impasse communicationnelle.50 Car les stratégies et les campagnes médiatiques qui ne se basent pas sur la ou les identités vécues, risquent de ne pas rencontrer leurs cibles. Ce que confirment Hervé Naillon et Elisabeth Pastore- Reisse dans leur ouvrage sur le marketing éthique : La marque est un univers global faits d’images et de réalités dont l’adéquation est indispensable : faites ce que vous dites. Si les créatifs d’agence peuvent vous donner une image superbe, ne leur demandez pas de vous inventer : soyez vous-même. C’est de cette sincérité que naît la marque.51 Lorsque l’on convoque les terme d’identités individuelles et de « cibles » il faut également être prudent car un individu qui vit en collectivité revêt différentes identités selon qu’il est usager des transports en commun, parent d’élève, employé… ce qui fait de lui une cible difficile à cerner et donc à atteindre. 1.1.4 L’individu à identités multiples L’individu qui habite un territoire est avant tout un citoyen, qui dans sa définition première est : une personne jouissant, dans l'État dont il relève, des droits civils et politiques52. Mais tout au long de son existence cet individu va voir son identité évoluer, se multiplier. La mise en marché des territoires transforme de fait le positionnement individualiste du 50 Les résultats de l’enquête menée par le Ceccopop en 2003 auprès des services communication des grandes villes, des départements et des régions, montrent que pour 100% des Directeurs de la communication l’intégration de l’identité vécue rendait leurs actions de communication plus efficaces. 51 in Bruno Cohen-Bacrie, La communication publique territoriale, procédures, cibles et objectifs, Dossier d’experts de la Lettre du Cadre, Nov. 2004. 52 Définition Larousse 2012 34
  • 35. citoyen, en consommateur. D’abord consommateur de services publiques : l’école, le transport, le ramassage des ordures… il peut tour à tour se retrouver agent de la collectivité, Président d’une association citoyenne, membre de l’union de quartier, ambassadeur de son territoire…changeant par conséquent d’identité en fonction de ses activités. Cette multiplication des casquettes qui participe au cloisonnement de différentes identités : professionnelle, militante, d’opposant (quand il est élu dans l’opposition), donne du grain à moudre aux services communication des collectivités. Dans les stratégies de marques de territoires, les communicants doivent donc intégrer ce paramètre identitaire complexe. Faire appel à des outils marketing peut leur permettre de « segmenter » ces différentes identités et de concevoir des messages adaptés à chacune, car l'idée selon laquelle « les consommateurs consomment des marques qui expriment leur identité et contribuent à l'expression de soi est largement répandue chez les praticiens du marketing. »53 Mais contrairement aux marques commerciales, les marques territoriales n’obéissent pas aux mêmes logiques puisque la collectivité, à la différence des entreprises, dépend d’une gouvernance élue par le vote des citoyens, et que la communication publique est financée en grande partie par les impôts des contribuables. Ces derniers sont donc forcément très attentifs aux dépenses publiques, ils ont besoin d’être convaincus par la légitimité de la marque de leur territoire, sans quoi ils risquent de ne pas adhérer à la démarche et de dénoncer les dépenses « inutiles » du service public. Afin d’éviter de tomber dans ce travers, les collectivités publiques mettent de plus en plus en œuvre des actions basées sur le concept de démocratie participative. Ce changement sociétal, en partie initié par l’émergence de nouveaux outils de communication multimédia, met en avant le besoin d’interactivité, l’intérêt croissant des citoyens pour la vie publique locale, et leur désir d’ y participer. 1.2 Un paradoxe identitaire, le syndrome de schizophrénie Comme nous l’avons vu en première partie de ce travail, la communication publique et territoriale évolue aujourd’hui dans un contexte mondialisé, dans lequel elle doit également faire ressortir les spécificités locales du territoire qu’elle promeut. Le terme de 53 http://culture-materielle.blogspot.fr/2011/05/consommation-identitaire-le-lifestyle.html (consulté le 30 mai 2012) 35
  • 36. « Glocalisation » mentionné par Bernard Miège dans son ouvrage : La société conquise par la communication, a permis de nommer cette contradiction fondamentale entre globalisation et localisation. Les collectivités publiques sont face à de véritables enjeux communicationnels : informer localement, rassembler et fédérer les citoyens, tout intégrant les nouvelles pratiques dictées par les lois de la mondialisation des marchés. Le communicant public d’aujourd’hui est hybride car il doit rendre visible les collectivités afin qu’elles se différencient à l’échelle mondiale, tout en prenant en compte les problématiques locales sur lesquelles leurs actions de communication sont très attendues par les citoyens. Christelle Fourrier, maître de conférence à l’Université Pierre-Mendès France de Grenoble, lors de son intervention à la table ronde sur La communication en débats : des représentations aux pratiques 54 parle même de schizophrénie dans les pratiques des communicants. Selon elle on assiste à la déconstruction de cette notion de globalisation. D’une part, la logique de visibilité et de construction d’avantages concurrentiels inscrits dans le paradigme dominant de la globalisation a un effet pervers sur la communication publique - puisqu’elle participe à la création d’une concurrence exacerbée entre les territoires, menant bien souvent à une course effrénée et déraisonnable en matière de dépenses en communication - ; et d’autre part nous constatons une relocalisation de la communication, un retour en force de la territorialité. La « glocalisation » serait alors un élément central à prendre en compte dans la création des marques de territoires. Après avoir évoqué les différents aspects complexes qui résident dans le terme d’identité, peut-t-on encore considérer que celle-ci puisse être instrumentalisée par la communication et le marketing, dans l’objectif de mettre en place des stratégies puis des campagnes de promotion ? 54 Intervention à la table ronde du 4 mai 2012 organisé par Grenoble IUT2, l’UPMF, l’Université Stendhal (UFR LLASIC), et le GRESEC. 36
  • 37. 2. Communication publique et marketing en tension L’identité est le fondement du territoire, mais les personnes qui l’habitent sont des parties prenantes essentielles dans la construction et l’évolution de celle-ci. Ces citoyens, comme nous l’avons vu précédemment, sont dans des stratégies de marques territoriales considérés comme des consommateurs à part entière. Ils sont en permanence à la recherche d’un équilibre entre leur identité de citoyen et leur identité de consommateur, tout comme ils doivent faire cohabiter leur identité sociale individuelle et l’identité collective du lieu qu’ils habitent. Cette quête d’identité se réalise aussi à travers leurs actes de consommation : c’est parce que je consomme telle ou telle marque ou tel ou tel service que je suis, c’est parce que nous consommons que nous sommes… Cette hypothèse pousse à nous interroger sur les effets pervers que peuvent engendrer des campagnes marketing de plus en plus agressives qui imprègnent aujourd’hui notre culture. Sphère publique ou sphère privée, désormais les frontières s’effacent et la logique consumériste fait aujourd’hui partie de notre quotidien, mais faut-il pour autant appliquer les techniques marketing héritées de la société de consommation au service public ? Même si le territoire doit mettre en place une politique et une stratégie globale d’attractivité pour « se vendre » après des investisseurs et attirer des habitants, il n’est pas pour autant un objet inanimé que l’on peut simplement saisir en rayon pour le mettre dans son caddie. L’objet de notre problématique, qui va être développé dans les parties qui vont suivre, pose cette question : le territoire peut-il se vendre comme un produit de grande consommation ? Le marketing peut-il se substituer ou cohabiter avec une communication publique et territoriale déjà bien implantée ? 2.1 Le territoire est-il une marchandise comme les autres ? Perversités d’une transposition marketing publique/privée Nous l’avons évoqué précédemment : plus nous sommes noyés dans la mondialisation, plus nous avons besoin de revendiquer notre identité. Face à ce contexte particulier de concurrence identitaire accrue, nous allons constater une tendance à l’effacement du service public œuvrant pour l’intérêt général, au profit d’une logique beaucoup plus 37
  • 38. commerciale et individualiste héritière de la société capitaliste. Les services communication des collectivités locales mal préparés à ce changement et peu habitués aux nouveaux modes de consommation vont dans un premier temps construire leurs actions avec des techniques empruntées au marketing rencontrées habituellement dans les entreprises privées. L’objectif étant de développer des marques de territoire, celles-ci débouchant bien souvent de manière irréfléchie sur des créations de logos, de slogans, de grandes campagnes médiatiques. Ces transpositions hasardeuses vont se révéler finalement contre productives en matière de communication publique, car le territoire n’est pas un produit comme un autre. Une terre évolue avec son histoire, son patrimoine, sa population, ses traditions… Il semble donc difficile de positionner le territoire, et de le vendre comme si il était réduit à une simple marchandise inanimée. D’ailleurs, les notions d’achat et de vente changent de dimension lorsqu’on parle de territoire. L’achat, qui s’applique généralement à un produit tangible, est l'opération commerciale qui aboutit à l'acquisition d'un bien ou d'un droit.55 Or nous ne pouvons posséder un territoire public. La notion de vente revêt elle aussi un autre aspect puisque le territoire ne vend rien à proprement parler, il fait la promotion d’un site. Ces deux termes qui évoluent usuellement dans la sphère marchande ne sont qu’un extrait du vocabulaire technique du marketing, car quand nous parlons de marketing, nous rencontrons des termes comme « courbe en S », « promesse consommateur », « bénéfice produit », « retour sur investissement », « avantage concurrentiel », « rentabilité », « valeur marchande », « profit »… La question que je souhaite poser est la suivante : peut-on faire usage des ces termes lorsque l’on parle du territoire ? D’une marque territoriale ? Si dans son ouvrage sur le Marketing Territorial, Benoît Meyronin, explique la démarche de marketing stratégique appliquée aux territoires et mobilise des outils du marketing traditionnel comme le SWOT56, il faut néanmoins questionner la finalité de ces démarches commerciales. Le territoire est-il un produit rentable ? Dégage-t-il des bénéfices directs ? Quelle est la promesse qu’il peut apporter aux différentes cibles ? Si la promesse est différente pour chaque segment de citoyen-consommateur, comment l’identité collective peut-elle se construire ? 55 Définition du Dictionnaire juridique français 56 Strenght, Weakness, Opportunities, Threats. Une méthode d’analyse-diagnostic célèbre en marketing. 38
  • 39. On voit bien ici que la transposition d’un discours marketing à la sphère publique territoriale peut avoir quelques effets pervers, et que ce vocabulaire technico-commercial trouve ici des limites. Fabrice Hatem, conseiller économique à la CNUCED57, dans un article rédigé par sur les agences de développement, s’est d’ailleurs attaché à relever les différences fondamentales qui existent entre une entreprise privée et un territoire : Contrairement à une entreprise, un territoire ne produit et ne vend rien par lui-même : c’est seulement un cadre géographique où se déroulent des activités humaines très diverses. Il ne possède ni bilan comptable, ni unité de décision, ni identité juridique, - autre que celle des institutions politiques qui exercent sur lui leur autorité. 58 Le concept de marketing « public » est alors à aborder avec grande prudence, et comme le souligne Benoît Meyronin dans la seconde édition de son ouvrage sur le Marketing Territorial, il s’agira de prendre toutes les précautions qui s’imposent quand on souhaite diffuser une culture marketing dans la sphère publique à savoir : étudier les questions d’échelles pertinentes pour le territoire, collecter les données le plus largement possible tout en sachant qu’il y aura toujours des paramètres qui échapperont à la gouvernance de la collectivité (météo, investissements privés…). Dans la perspective d’une approche marketing globale des collectivités, quelle est la place de la communication publique ? Si Benoît Meyronin, lors de notre entretien ne voit la communication publique que comme une boite à outil, résumant ainsi ses missions à des actions opérationnelles ; pour Dominique Mégard la communication publique « tend à devenir une discipline à part entière, malgré les doutes et les questionnements dont elle fait l’objet. »59 Ces deux visions qui s’affrontent, illustrent alors parfaitement les tensions vécues entre professionnels du marketing et professionnels de la communication. 57 Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, organisme de l’ONU créé en 1964. 58 Article paru dans la revue Inter Régions n°296 – Mai, Juin 2011 59 op. cit. 39
  • 40. 2.2 La lutte pour la gouvernance, enjeux de pouvoir Aujourd’hui ce n’est pas seulement une sphère marchande/non-marchande, privée/publique qui se mélangent et s’affrontent dans les stratégies de marketing territorial, mais aussi des profils de compétences et des professionnels qui vont lutter pour s’approprier ce sujet séduisant qu’est le marketing territorial. Les communicants publics d’un côté doivent satisfaire les demandes des élus tout en légitimant l’existence de leurs fonctions et le sens de leurs actions ; d’un autre côté des marketers qui, poussés par des logiques économiques mondiales, doivent prouver l’efficacité de leur démarche et développer des partenariats financiers public/privé. C’est cette cohabitation d’acteurs, d’enjeux et d’objectifs qui va attiser cette lutte de pouvoir. Quand il s’agit de mettre en place une politique d’attractivité pour le territoire, une multitude d’acteurs entrent en scène : élus, collectivités, offices de tourisme, consultants, agences de développement économiques, et à un niveau plus international : la DATAR, l’AFII… (L’objet n’étant pas ici de lister en détail dans toutes les parties prenantes, mais de mettre en exergue l’enjeu de pouvoir que génère le sujet du marketing territorial, et les tensions qui en découlent.) Toutes ces entités, qui entrent en relation à un moment ou à un autre participent à faire émerger une concurrence entre les professionnels. Dans les agences de développement économiques nous allons voir apparaître des profils de compétences en marketing, management et commerce (personnes issues de formation HEC, d’Ecoles de Commerce, d’Instituts de Management…), qui vont s’approprier la dimension stratégique du projet politique sur l’attractivité du territoire, et ce au détriment de la communication publique. Benoit Meyronin au cours de notre entretien va confirmer sa prise de position en faveur d’une démarche marketing, selon lui la communication publique a trop tendance à s’inviter partout, notamment dans les tours de table. Jugée envahissante il précise que pour lui la réflexion stratégique ne doit pas s’inviter dans la communication publique et vice versa. La stratégie serait-elle alors réservée au domaine du marketing ? Des propos qui démontrent l’ampleur des tensions entre deux domaines jusqu’alors cloisonnés. D’ailleurs lors de la table ronde du 4 mai60 Dominique Mégard nous confiait sa déception et sa frustration quand elle s’est aperçue que son ouvrage récemment paru chez Dunod : La communication publique et territoriale avait été 60 « La communication en débats : des représentations aux pratiques », organisé par Grenoble IUT2, l’UPMF, l’Université Stendhal (UFR LLASIC), et le GRESEC. 40
  • 41. catégorisé dans la collection Les Topos Éco/Gestion. En ce sens elle va nous apporter un éclairage différent qui tente d’expliquer pourquoi la communication publique exprime une certaine méfiance vis à vis du marketing : La notion de marketing a été longtemps rejetée par les communicants publics qui ne souhaitaient pas que leur mission de service public et d’intérêt général et collectif soit associée à une notion et à des techniques ressenties comme agressives et « politiquement incorrectes » du secteur marchand. Ils sont et restent attachés à donner du sens à leur fonction. Qu’elle soit bien celle du « rendre commun » qui est le premier sens du mot communication et permettre d’accéder à des choses qu’on ignore ou ne comprend pas. Qu’elle soit aussi celle qui aide à « entrer en contact avec » ou « faire entrer en contact entre eux » en évitant les chemins de la propagande ou de la vente.61 Cette tension entre deux domaines de professionnalisation transparait également dans les différents cursus de formation proposés en France. La communication et le marketing étant des compétences non reconnues dans les épreuves des concours de la fonction publique, les Universités et Ecoles vont rivaliser pour former aux nouveaux métiers du marketing territorial. À Grenoble, l’Université Stendhal Grenoble 3 propose dans son département Sciences de l’Information et de la Communication, un Master Communication d’ Entreprise, un module de Communication publique et territoriale ; tandis que pour l’année 2012-2013 Sciences-Po Aix associé à l’établissement public d’aménagement Euroméditérannée propose un certificat Bac+5 : Développement et attractivité des territoires62, une formation où la communication est totalement exclue du programme. Mais si la communication publique souffre d’une telle crise de confiance qu’elle en arrive à être oubliée de certains formateurs, c’est aussi parce que, selon Benoît Meyronin, nombreux sont les professionnels qui se sont rués sur les effets de mode, participant de ce fait à la surenchère irrationnelle des marques territoriales et à leur contre-productivité en matière communicationnelle. 2.3 Conséquences des effets de mode, des messages et des images banalisés Un hôpital, une ville, un établissement culturel communiquent aujourd’hui comme un produit de grande consommation. En conséquence, non seulement les logos et les identités visuelles des produits de consommation se ressemblent tous, mais les villes, les entreprises 61 op. cit. 62 cf. annexe 2 le contenu de la formation proposé par Sciences-Po Aix, formation qui en 2012-2013 deviendra un Master à la place d’un certificat. 41
  • 42. publiques locales, les hôpitaux, les établissements scolaires et éducatifs communiquent avec les mêmes codes pour exprimer les mêmes valeurs.63 L’identité comme vecteur spontané de l’image d’un territoire, doit trouver « le plus petit dénominateur commun » afin de fédérer l’ensemble de ses publics. Et ce processus débouche bien souvent sur des stratégies marketing assez pauvres, qui au lieu de différencier vont harmoniser toutes les communications. 2.3.1 Des messages réducteurs Souvent sous la pression des élus, les communicants publics vont s’emparer de la démarche de marketing territorial sans véritablement en avoir étudié les outils, l’objet et la finalité. Quand on veut doter le territoire d’une identité collective, quand à travers une marque de territoire on veut générer un sentiment d’appartenance fort, il faut rassembler sous un même slogan. Il s’agit alors de trouver le plus petit « dénominateur commun », une phrase, une image qui correspondrait au plus grand nombre, mais qui reviendrait dans le même temps à nier les identités, les classes… bref la diversité qui constituent le territoire. La diversité du territoire est donc effacée, gommée. Se jetant à corps perdu dans de grandes actions médiatiques sans faire participer les différentes parties prenantes des projets territoriaux, on va constater que les campagnes de communication mises en place par les services communication des collectivités occultent les réalités du territoire et lissent les différences ; ainsi au lieu d’être le juste reflet de leur territoire, toutes les campagnes de promotion vont se ressembler bien qu’elles « vendent » des territoires complétement différents. A force de vouloir se différencier par la communication, toutes les collectivités territoriales vont adopter les mêmes techniques et utiliser les mêmes arguments, donnant naissance à des messages très similaires et réducteurs. Philippe Jarreau dans sa note de synthèse et de réflexion stratégique de 1988 l’avait déjà souligné : En effet, la répétition du même message désignant cependant des lieux très différents le banalise et lui fait perdre son efficacité aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des frontières de l’Hexagone. Toutes les grande villes communicantes sont « un carrefour », un « noeud », un « pôle, un « centre » de l’Europe (…).64   63 in F. Martin-Juchat, Communication et culture marchande : l’illusion structurelle des logiques modernes d'enchantement affectif », In, Citton, Y., dir. (2012), Les nouvelles formes de l’illusion, PUG, à paraître. 64 op. cit. 42
  • 43. A cause de la banalisation des discours et des messages, tout le monde pense qu’il peut à son tour, du jour au lendemain, créer une marque de territoire. Sous la pression des élus et des cadres dirigeants, les équipes opérationnelles en communication sont incitées à se lancer dans la compétition des marques de territoires sans avoir mené de véritable réflexion stratégique en amont, ou sans en avoir eu connaissance. Ce qui va conduire certaines collectivités locales à se lancer de nouveau les yeux fermés dans la création d’une marque, qui se limite bien souvent à la création d’un logo accompagné d’une baseline, dans la lignée des excès communicationnels dénoncés dans les années 80. Exemples En 2011, le Comité Départemental du Tourisme des Hautes-Alpes lançait une marque de territoire « Hautes-Alpes, naturellement au cœur des Alpes », recrutement de personnalités/ambassadrices, nouveau logo, cérémonie officielle de lancement, réalisation d’un film en 3D… Se vantant de pouvoir rivaliser et accéder à la notoriété de la célèbre marque « Savoie-Mont Blanc ». fig. 10 43