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Lionel Courtot




    « TANT QUE T’ES BRETON... »


Petit essai lucide sur les dérives identitaires en Bretagne...




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A la mémoire de Gilles, un Breton au service de la France...




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Sommaire

Introduction : Du bonheur de la victimisation
Entrée en scène ; affirmation identitaire ou ethnodifférentialisme ; à la recherche d’une identité
perdue...

Chapitre premier : La quête d’une identité bretonne...
De la magie druidique au miracle chrétien
De la tradition littéraire orale à l’exaltation romantique d’un certain idéal
De la musique traditionnelle à l’effervescence des fest-noz
De la préservation du patrimoine à la nouvelle économie bretonne
De la nation mythique à la volonté d’indépendance
De la mystique bretonne au mouvement breton…

Chapitre 2 : Les dérives du mouvement breton
L’histoire comme référent identitaire
La langue comme source de l’identité
Le réflexe identitaire d’une région
De la volonté d’autonomie à l’ethnonationalisme breton
Les théoriciens radicaux de l’ethnodifférentialisme
« Pour une république européenne et régionaliste » : de l’Europe des régions à l’Europe aux cent
drapeaux

Chapitre 3 : « C’est ici que commence l’Europe »...
Construire l’Europe des peuples
Le « destin » européen de la Bretagne
« De l’élargissement de l’Union européenne à la nécessité d’une vraie régionalisation pour la
Bretagne »

Dernier Acte
«Une furie particulariste, nationaliste, régionaliste, racialiste »
La Bretagne malgré les Bretons
Une obsession identitaire
La découverte et l’ignorance...
Un « con » de Français...




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Introduction : du bonheur de la victimisation
Entrée en scène

         Notre arrivée à Quimper est mémorable, sous une trombe d’eau, la vieille Peugeot semble
ne plus pouvoir arrêter les gouttes. Le vent est violent, le ciel si sombre... Ce soir, le spectacle se
déroule rue du port, où cinq scènes attendent un public censé être nombreux. Or, tout est quasi
désert. Nous dînons, comme trois pauvres hères, dans un petit restaurant déclassé, avec au menu,
tout naturellement, des moules. Nous étions si impatients d’être là que tout devient pathétique,
nous les premiers. Soudain, malgré le temps dehors, retentissent dans la rue les premières notes
d’un bagad écossais déjanté. Le son nous arrive par les pieds, le sol tremble et le battement de
nos cœurs s’accélèrent. Nous nous précipitons. Quelques fous hilares suivent des musiciens
recroquevillés sous des sacs plastiques dans une ambiance survoltée. L’envie de jouer est la plus
forte. Comme aimantés, nous les rejoignons aussitôt. Nous aurons bientôt l’occasion de le
regretter. La pluie redouble d’intensité, c’est la fin du monde et nous sommes sur le bitume à
accompagner des grognards des Highlands en kilts, sans même savoir ce qu’ils portent en
dessous. Le déluge n’empêchera pas la fête. Nous sommes trempés jusqu’aux os, il fait un peu
frais, nous tomberons sans doute malades, nous sommes libres et heureux, nous sommes en
Bretagne, plus précisément aux légendaires Interceltiques de Lorient...
         Nous faisons, le lendemain, la connaissance d’un petit groupe fort sympathique qui nous
accueille au camping avec des croissants pour le petit-déjeuner, vers midi. Nous tomberons
amoureux, mais ça, c’est une autre histoire... En fin de programme de ce dernier jour de festival,
les Djiboudjep, un trio de barbus célèbre en ces contrées, clôt comme de tradition l’évènement,
avec ses chants marins. Passé l’après-midi sur la plage, à se baigner dans un océan déchaîné, nous
revoilà dans cette ville où, cette fois, le public a envahi la rue. Aujourd’hui, le ciel reste plus
clément, la cité est en pleine effervescence et l’excitation atteint son paroxysme. Dans la foule,
nous croisons un groupe de skin-heads. Sans doute un pur hasard, nous n’en reverrons plus. Dans
l’ensemble, la population est plutôt conviviale. La salle où a lieu le concert est déjà bondée.
L’ambiance est bon enfant, la bière coule à flots... Dès que la musique débute, le public se met en
ordre de marche et entame ce qui va devenir un vrai delirium collectif auquel nous participons
allègrement. Toute l’assemblée, bras dessus bras dessous, reprend en chœur les paroles du large.
Personnellement, je maîtrise bien ces gais refrains. Le contact est alors facile dans cet univers qui
devient presque aussitôt familier : nouvelle occasion de rencontres, si simple, ici...
         Devant moi, une charmante demoiselle remarque ma connaissance des classiques marins.
Elle se retourne vers moi à plusieurs reprises, le regard complice. C’est sur « Jean-François de
Nantes » que nous faisons connaissance. Des sourires furtifs s’échangent, l’ambiance fait le
reste... Elle disparaît tout à coup. Ma déception ne dure guère : la revoilà bien vite, le visage
toujours aussi lumineux, qui tient à la main un grand verre. Je lui signifie discrètement mon
plaisir de la revoir. Elle, un petit sourire en coin, me tend sa bière avec un geste sûr et avenant,
quasi cérémoniel. Surpris, un brin intimidé, je prononce un sincère « merci ». Elle me répond,
tout naturellement : « C’est rien, tant que t’es Breton »...
                                                   ∗

        Pourquoi s’attacher à un pays sinon parce qu’on y sent battre son cœur ? L’amour d’une
terre vient de cette sensation étrange de communion mystique. Se tenir sur ce sol comme le chêne


                                                                                                     4
prend racine. Ressentir dans son corps un état modifié, comme si la conscience subitement
quittait son hôte vers des lieux plus paisibles, vers une douce contrée où s’arrêterait le temps.
Fermer les yeux pour ne plus rien voir d’autre que le paysage de nos songes, amplifier son espace
et briser les limites, se sentir porté par un souffle et laisser l’azur nous guider. Là, retrouver les
lieux de son enfance, être emporté par la ronde infernale des souvenirs et rêver d’une existence
paisible. Rentrer au pays, et répondre à toutes les questions qui jamais n’obtinrent réponse.
Comprendre que c’est là, dans cette maison où l’on a vu le jour, que l’on attend à présent l’ultime
voyage. Se sentir en communion avec la nature, avec les éléments. Vivre enfin…
        Quand je rencontrai ce vieil homme à la barbe blanche tout droit sorti d’un vieux récit, il
me tint à peu près ce langage, lui, l’ancien avocat devenu druide depuis peu, comme si l’âge fut
une raison suffisante et nécessaire pour saisir que le sang qui coule en soi est celui des ancêtres et
que ceux-ci naquirent en cet endroit hors du temps, dans cette vieille chaumière héritée. Il me
parlait de la nature comme d’un ami fidèle, et de ses vertus ignorées, comme si j’arrivais d’un
autre monde. Déboussolé devant cette sagesse étrange, je partageai un thé, aux plantes inconnues,
pour retrouver une certaine contenance et poser mes questions. Je le considérai au début avec
étonnement et sans doute avec condescendance, comme un ermite dérangé, un Panoramix au
rabais dont la potion aromatique n’eut de magique que l’extrême chaleur qui me brûlait la langue.
Ce druide à la voix éraillée, et singulièrement aiguë chez ce robuste personnage à l’embonpoint
prononcé, m’émut certes, mais que répondre à sa déclaration de foi ? Quand il m’eut parlé de la
Bretagne, je me sentis si frustré de ne point être breton ! La Bretagne, et plus particulièrement le
Finistère, m’offrit moult occasions d’être étonné, ainsi de cet autre druide, professeur de Yoga,
m’enseignant les rudiments de la métempsycose, ou cette vieille édentée, m’accueillant dans son
logis tout droit sorti du Moyen-Âge, pour me conter ces légendes que les bibliothèques m’avaient
décrites sans charme. Et ces heures à marcher sur les sentiers sinueux, à la quête du moindre
menhir ou dolmen, ouvrages à la main. Ou encore ces vieux marins assis sur les quais, qui me
racontèrent leurs exploits mythiques sans l’accent du midi, mais avec une faconde impromptue,
amusante et touchante. Que dire de ces passionnés de chevalerie, qui reconstituent villages et
scènes de vie médiévaux dans des costumes d’époque, ces musiciens et chanteurs si talentueux,
inconnus ou célèbres, qui m’accordèrent de précieuses minutes, ces écrivains qui parlèrent de la
Bretagne avec tellement d’éloquence, et finalement ces militants, qui me confièrent leurs états
d’âmes et leur conception d’une Bretagne indépendante… On ne peut saisir la mentalité
populaire qu’en pénétrant dans les mystères qui distinguent cette terre. Il faut assister à ces
occultes cérémonies druidiques, à ces pardons si pieux, à un office de ce monastère de l’Eglise
celtique orthodoxe, à ces fest-noz si nombreux rassemblant tous les âges, à ces fêtes
traditionnelles en costumes habituellement rangés dans les salles de musées, il faut assister à cette
ferveur populaire pour savoir que la Bretagne n’est pas une région comme les autres. C’est tout
simplement cette singularité, cette particularité, cette âme, qu’il importe de découvrir, avant de
constater l’émergence du débat politique sur les fondements de l’identité culturelle. Il faut faire
cette découverte et ne pas rester dans l’ignorance... Il faut réaliser le poids de l’enracinement, et
les risques du repli sur soi. Les druides ne sont pas tous, loin de là, de doux rêveurs et de gentils
écologistes militants pour une nature propre !
        Cet essai, issu d’une thèse, est avant tout l’histoire d’une rencontre. Une rencontre
étonnante avec une incroyable région... Le propos, assez simple, se veut être un témoignage et
l’expression d’une prise de conscience. Il permet l’analyse d’un mécanisme culturel que l’on ne
peut saisir qu’avec un certain effort de discernement. Au cœur de la problématique, la question
est simple : s’agit-il d’un réflexe identitaire ou bien plus, l’expression d’une forme de
nationalisme ethnique dont l’influence ne cesse de prendre de l’ampleur ?


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L’affirmation identitaire ou l’ethnodifférentialisme


        « Je suis breton ! » La formule tombe, telle une évidence. Elle répond à la question posée
sur les origines. Tout individu interrogé en Bretagne affirmera de la sorte : « Je suis breton ! »
Mais osez demander ce que cela signifie et vous observerez à coup sûr un silence gêné, une
hésitation agacée, puis obtiendrez en réponse un propos plus ou moins confus. Mais c’est ainsi.
« Je suis breton ! ». C’est à peine si cela se discute...
        La question légitime qui se pose ouvre une perspective immense : que veut dire être
breton ? L’unique certitude demeure l’idée d’une origine géographique. Mais dans un monde où
les moyens de transport et de communication transcendent les frontières, est-ce encore un
élément suffisant ? Derrière tout ceci s’annonce, en fait, la question contemporaine de l’identité.
        Le mot est lâché. Il tient régulièrement la chronique ces dernières années. On le met à
toutes les sauces. On parle même d’une « hystérie identitaire », selon le titre d’un essai. Si le
thème apparaît à la fin des années 70 dans les travaux scientifiques, l’identité est devenue depuis
un sujet « tendance », un argument sociologique et politique abondamment utilisé. Pourtant
l’identité, brandie aujourd’hui tel un slogan, pose de réels problèmes de contenu. La volonté de
revendiquer une identité forte revient à vouloir insister sur ce qui fait la particularité de son être.
C’est se revendiquer un « autre », un « différent », en mettant en avant sa culture propre. Plus on
insiste sur ses traits spécifiques et plus on veut qu’une culture soit distinguée des autres. En cela,
on s’inscrit résolument dans une démarche ethnodifférentialiste.
        La société moderne ne permet guère de limiter l’identité à une seule appartenance. Tout
individu a de multiples appartenances. Refuser cela peut conduire à être obligé de choisir entre la
négation de soi et la négation de l’autre.
        Le renouveau du spiritualisme breton peut s’exprimer en réaction au désenchantement
d’un groupe, à son besoin de se définir socialement, culturellement, en opposition au modèle
qu’impose la culture française dominante. La culture est une étape importante dans la découverte
de soi, de ses origines, dans ce besoin de se définir un champ de références qui détermineront
l’individu et lui permettront de se réaliser pleinement. Il importe de « s’assumer »... Connaître ses
origines peut devenir un besoin psychologique essentiel. Si la culture est un fait collectif, à toute
échelle les liens qui déterminent l’appartenance de l’individu à un groupe participent de la
construction de son psychisme, de sa culture, finalement de son identité. Dans une analyse
culturaliste, l’individu reste le garant d’une tradition et toute véritable culture est totalement
intériorisée. La moindre rupture avec le passé entraîne un choc psychologique de type anomique
où le sujet perd tout repère. Il subit une influence nocive d’un groupe dominant extérieur. Il renie
ses origines et finalement, se renie lui-même. C’est ainsi que s’explique le renouveau culturel
breton, par un besoin de retour vers le passé, de lien avec le passé. Le besoin de se trouver un
quelconque enracinement temporel peut servir de repère existentiel. Le rapport au temps
détermine alors l’individu, et le lien avec le passé dessine le destin de tout être. Le mouvement
culturel puise sa source à différentes origines, son objectif ne demeure rien de moins que la survie
d’une société spécifique. Selon le mouvement breton, la Bretagne vit de la tradition et de la
mémoire, patrimoine des anciens. En perdant cela, elle n’aurait plus la possibilité de s’ancrer
culturellement à travers l’affirmation de l’existence d’un peuple breton et ne serait plus, dès lors,



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qu’un simple territoire sans âme... Le mouvement breton prend alors corps dans le rejet du
système politique français et par la stigmatisation de sa spécificité.
       Le mécanisme idéologique tendant à utiliser le matériau ethnologique à des fins
militantes, à travers un ensemble d’associations ou d’organisations que l’on nommera, de façon
générique, le « mouvement breton », dévoile une manipulation de faits dans une interprétation
symbolique de ceux-ci : une relecture de l’histoire, par exemple, à travers le prisme des
ethnonationalistes bretons.



A la recherche d’une identité perdue...


         Au début du XIXème siècle, Napoléon avait fait interdire les prénoms bretons. Un siècle et
demi plus tard, une véritable bataille juridique s’est mise en place pour les faire accepter de
nouveau. Elle aboutit, en 1987, à la promulgation d’une loi les autorisant. L’ouvrage de
Gwénnolé Le Menn, Grand choix de prénoms bretons, publié aux éditions Coop Breizh, est sous-
titré « l’ouvrage de référence pour exprimer avec fierté vos racines et vos valeurs. » : si un nom
permet en effet de distinguer les origines d’un individu, il serait de plus porteur de valeurs.
Depuis dix ans, une mode de prénoms bretons s’est développée partout en France. Il est fort
probable qu’elle fut motivée par l’originalité des prénoms : Erwan, Morgan, Mael, Corentin,
Maïwenn, Tanguy, Gwénaël, aux côtés des déjà célèbres Gaël et Yann. Ainsi, aux quatre coins de
l’Hexagone, se trouvent de jeunes gens qui n’ont de breton que le prénom. Si cette mode dépasse
de très loin la simple origine bretonne, ne serait-ce pas du fait d’une dispersion culturelle qui peut
s’interpréter, soit par le triomphe de la culture et par son expansion, soit par la dissolution de
celle-ci dans la culture dominante, sans qu’il y ait une influence de la première sur la seconde ?
         L’image que nous laisse la Bretagne est celle d’une terre sauvage que nulle étude ne
saurait domestiquer ; comme l’océan qui lui fait face, elle demeure un sujet infini. Il importe
d’observer ses habitants peu loquaces, ces Bretons si particuliers au caractère tant affirmé, pour
comprendre l’action d’un mouvement culturel et les conséquences politiques de son action. La
Bretagne n’est pas un livre que l’on pourrait fermer sitôt lue la dernière phrase, elle est une
histoire sans fin que l’on se raconte le soir à la veillée, un tableau aux couleurs changeantes, un
spectacle saisissant à voir et à revoir jusqu’à en connaître par cœur la moindre scène, une sorte de
journal intime dans lequel les souvenirs jailliraient en image.
         Dans ses souvenirs littéraires, Maxime du Camp notait que dès que l’on avait pénétré dans
la Bretagne bretonnante, on se sentait dans « une région primitive »… Une région primitive ayant
conservé intacte toutes ses traditions, tout un mode d’être et de penser qui la caractériserait ? Une
région dont la langue vernaculaire déterminerait l’appartenance à la communauté particulière ?
Une région qui se distinguerait encore aujourd’hui des autres ? Probablement. Il est indéniable, et
quiconque fait un voyage en Bretagne bretonnante pourrait en témoigner, qu’il demeure là
quelque chose de singulier, qui laisse au visiteur une étrange impression… Mais qui saurait dire
quoi ? Serait-ce le paysage qui frappe la vue du nouveau venu ? Serait-ce le climat changeant qui
perturbe le novice ? Serait-ce l’accueil froid de la population qui le met mal à l’aise ? Serait-ce
l’expression vivace d’une culture distincte ?... Ne serait-ce d’ailleurs pas un peu tout cela, « une
région primitive » qui aurait conservé une allure d’autrefois grâce à sa situation géographique et à
la détermination de toute une communauté de pensée ?



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La Bretagne, la vraie, ne s’observe pas seulement, elle s’apprend. Elle s’apprend dans les
livres, dans la parole des initiés… Elle n’est pas à la portée de quiconque : « La Bretagne se
mérite ». Voilà ce qu’on lui dirait ici, à ce voyageur isolé, à cet individu curieux qui chercherait à
comprendre…
        Mais ne s’agirait-il pas tout simplement d’une illusion, d’un rêve d’une terre isolée où le
monde moderne n’aurait pas détruit tout des vestiges du passé et du mode de vie d’antan ? Le
voyageur parti en quête « d’autre chose », fuyant son quotidien oppressant, étouffant, ne serait-il
pas venu chercher ici ce que les légendes ont colporté jusqu’à lui ? Ne serait-ce pas une image
bien précise, une caricature idéalisée de jadis qu’il serait venu quémander sur place ? Ne serait-ce
pas son inconscient qui lui dévoilerait une vision idéalisée de la Bretagne, synonyme de liberté,
celle qu’on lui a promis de retrouver, s’il osait entreprendre le voyage initiatique…
        S’il découvrait, ce visiteur impatient, que tout cela n’est qu’un mythe, que tout ce qu’on
raconte n’est que le fruit de l’imagination des conteurs, que tout n’est que fiction? Que se
passerait-il si l’homme de passage, celui que l’on nomme ici le « touriste », découvrait que
bientôt plus personne ne le parle, le breton, que le costume traditionnel ne se porte qu’en
exhibition lors de fêtes exceptionnelles, que les crêpes se mangent aussi bien ici que Place Saint
Etienne à Strasbourg… Que dirait le touriste s’il découvrait une Bretagne devenue une terre
comme une autre, où il ferait certes bon vivre, mais où la culture, mondialisée, ne se distinguerait
plus guère ? Reviendrait-il, le touriste ? Assurément. Car la Bretagne reste la Bretagne, une terre
complexe où les hommes semblent sculptés dans les éléments. Et notre ami, comme tous les
habitants de ces contrées, ne se découragerait pas, il se remotiverait et, déterminé, partirait alors à
la recherche d’une identité perdue…




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La quête d’une identité bretonne
        Vent norois, pluie fine, embrun iodé et chant des mouettes… Au loin une harpe celtique
murmure une céleste mélodie… Parler de cette terre, c’est un peu raconter des sensations, se
remémorer un contact physique et ressentir une étrange émotion. Parler d’un amour, et
s’emporter dans un lyrisme qu’inspire l’enthousiasme de ses sentiments et la plus douce des
passions. Poser les pieds sur ce sol condamne à devoir un jour y revenir, ne serait-ce que pour
goûter à nouveau le pouvoir onirique de ces lieux. Mais les sentiments sont subjectifs, et
d’aucuns n’y trouveront peut-être qu’humidité et vent glacé…
        La démarche culturelle est le premier postulat de la reconquête politique. Une culture est
le fruit d’un passé commun, la marque du temps et la conscience d’une mémoire collective.
Attachée à un milieu social, récupérée et interprétée par celui-ci, elle alimente en vocation le
militantisme politique. Terre de tradition maritime, la Bretagne fut toujours en proie aux caprices
de l’océan. Confrontée sans cesse aux périls, rompue à lutter contre la nature, elle fut encline à
l’acceptation de la fatalité et sujette aux croyances. Mais la culture évolue et s’adapte aux
vicissitudes du temps. Soumise à l’histoire, elle conserve les traces du passé dans son rapport au
présent, et envisage le futur comme la réminiscence d’une inaliénable caractéristique identitaire.
C’est par elle, dans son essence même, que se nourrit le particularisme breton. La mentalité
populaire revendique cet attachement culturel qui traduit une reconnaissance existentielle des
Bretons eux-mêmes. Attentive à cette spécificité, l’aspiration à l’autonomie ou à l’indépendance
politique est une évolution logique, chez des individus marqués culturellement et socialement par
cette distinction. L’exigence du particularisme prend naturellement forme, comme relevant d’une
évidente adaptation de la société. L’expression artistique de ce vaste univers culturel reflète une
sensibilité que l’on ne peut saisir, si l’on ne fait pas l’effort de s’adapter aux milieux naturel,
social et spirituel de la Bretagne, pour comprendre, ou chercher à comprendre, les ressorts
coutumiers d’une tradition culturelle qui puise dans toutes ses racines pour définir et déterminer
son identité même.



De la magie druidique au miracle chrétien


        La Bretagne est une terre dont la richesse spirituelle est le fruit d’une confrontation entre
l’ancienne religion païenne et le christianisme qui germe au Moyen-Âge, et offre au monde le
prodigieux spectacle de la Matière de Bretagne, subtile mélange de l’héritage celtique et de la
symbolique chrétienne.
        La société celtique se décompose selon le schéma trifonctionnel établi par Georges
Dumézil. L’idéologie des trois fonctions, sacerdotale, guerrière et productrice, est un phénomène
religieux préchrétien qui influence toute la société médiévale, et en particulier la Bretagne où le
rôle des druides1, relevant de la fonction sacrée, a longtemps perduré. Si la religion chrétienne a
réussi à maintenir sa prééminence jusqu’à ce jour, on peut constater, depuis le début du XXème
siècle, le réveil, en Bretagne, de coutumes que l’on croyait disparues. Celles-ci mettent en scène

1
    Druide, du celtique druwides, signifie « le très savant ».


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le renouveau païen dans une réflexion philosophique et spirituelle, qui correspond aussi à l’éveil
d’une prise de conscience politique sur les fondements mythiques d’une « nation » bretonne qui,
n’ayant jamais existé, prend cependant forme dans l’esprit du mouvement culturel et politique
breton. Inspirée par tout un univers mythologique, l’idée d’une « nation » se constitue sur les
traces de la civilisation celtique. Si « L’histoire est accidentelle, le mythe est éternel1 » ; il est
donc tout à fait possible d’imaginer la cosmogonie d’une nation celte en se ressourçant dans le
passé. Le renouveau du druidisme traduit un regain d’intérêt pour la tradition ancienne et exprime
une quête existentielle à caractère philosophique, mais aussi une ambition politique.

         L’organisation sociale celtique fut bouleversée par l’invasion romaine de la Gaule. Puis le
christianisme asséna un coup fatal à la pratique du druidisme qui se maintint seulement en Irlande
non conquise. A la fin du XVIIIème siècle, on entrait dans la période du Romantisme qui se
passionna pour la Bretagne et la tradition celtique. Deux siècles plus tard, les Celtes se réunissent
à l’Eisteddfod de Cardiff (assises ou réunion de bardes-poètes et musiciens) et, le 1er septembre
1900, est créé le Gorsedd (rassemblement) d’Armorique, dont les grands druides seront toujours
des acteurs de l’ethnonationalisme breton.
         Le Gorsedd s’organise en trois ordres : les druides ou prêtres ; les bardes, poètes-
musiciens ; les ovates, sorte de scientifiques. Son but est de défendre, mais aussi de faire renaître
l’esprit celtique. Pour cela, il œuvre dans un premier temps à la défense de la langue, de la
littérature et des particularités bretonnes. Il vise aussi à créer un lien avec les pays celtiques. La
seule condition que l’on tente d’imposer pour entrer au Gorsedd, que dirige le Grand Druide
Gwenc’hlan Le Scouezec, c’est sans surprise de parler breton ! Enfin, d’essayer…

         L’année celtique est divisée en quatre saisons, dont chacune débute par une fête placée
sous la protection des dieux. Moments forts du calendrier, les fêtes solaires et cosmiques,
Solstices et Equinoxes, sont l’occasion de rassemblements et de gaies libations autour de grands
feux. Les Celtes aimaient ripailler de bon cœur. Réputés bons buveurs, ils consommaient vin,
hydromel et cervoise. Or, ce sens inné de la fête, cette propension à se rassembler, à partager dans
la liesse la ferveur populaire, est un trait de caractère sociologique contemporain. Le taux très
élevé d’alcoolémie en Bretagne semble donc être un vieil héritage, de même que cette faculté à
rassembler le peuple autour d’événements plus ou moins solennels, dans le but de préserver la
cohésion sociale.
         Le druidisme est une tradition et implique forcément une réflexion sur le passé. Il répond
à un besoin qu’éprouvent certains de retrouver des racines, de se ressourcer au plus profond
d’eux-mêmes. Il ne se limite pas seulement à la culture celtique mais suit une voie spirituelle qui
trouve le divin partout dans la nature. Aujourd’hui, une partie du druidisme inclut le
monothéisme. Celle-ci est le produit d’une évolution théologique, la rencontre de deux traditions
dans un mouvement d’ordre philosophique. Elle s’oppose radicalement à la mouvance néo-
païenne de stricte obédience celtique animiste. L’approche du druidisme correspond à une longue
initiation, afin d’accéder à une expérience mystique qu’il est difficile d’assumer dans le monde
occidental contemporain. Le druidisme doit adapter les mythes à la modernité et trouver un
équilibre entre l’ésotérisme et l’expérience spirituelle individuelle. Mais le risque d’un
débordement fanatique existe. L’interprétation de la tradition peut entraîner toutes sortes de
dérives incontrôlables, dans la mesure où il n’existe aucune certitude quant au dogme lui-même,

1
 Christian-J GUYONVAR’H et Françoise LE ROUX, La civilisation celtique, Éditions Payot et Rivages, Paris,
1995, p.115.


                                                                                                      10
l’absence d’écriture entraînant une observance hypothétique du culte. L’ésotérisme druidique se
déchiffre avec les sens et relève d’une expérience intérieure.
        Ainsi planent encore un mystère et des inquiétudes sur l’évolution du druidisme actuel. Le
problème ne réside pas dans l’héritage dont il se revendique, mais dans l’usage contemporain qui
en est fait. Le druidisme mène une lutte acharnée pour la langue bretonne. Dès la fin du XIXème
siècle, il fut le vivier de l’ethnonationalisme breton. Son caractère initiatique dissimule
aujourd’hui une société secrète. Les différentes confréries instituent leur propre rituel et
développent leurs propres dogmes. La sagesse druidique est synonyme de liberté et la quête
mystique d’éternité, de quoi inspirer l’idée d’indépendance de la Bretagne… Il ne fait aucun
doute que certains néo-druides recherchent sincèrement à comprendre les croyances anciennes ;
mais se prétendre aujourd’hui druide, dans une société qui n’a rien de celtique en dehors de
quelques appellations modernes plus ou moins folklorisées du type musical, est déraisonnable.
Leur démarche s’explique avant tout dans une logique néo-païenne de quête de la « véritable »
spiritualité occidentale...
                                                 *

        A partir du VIème siècle, des moines ermites venus d’Irlande s’installent en Bretagne.
L’Armorique est peu peuplée et les migrations se succèdent alors. Les moines, sitôt installés,
édifient, en opposition au clergé gallo-romain, des paroisses et abbayes (ils leur laisseront en
prime leur nom) et fondent le christianisme celtique.
        Sous l’Ancien Régime, la paroisse est le centre de la vie sociale, que l’on ne peut
dissocier de son cadre spirituel. La dévotion est forte et les vocations nombreuses. Il y aura deux
fois plus de prêtres en Bretagne que dans le reste du pays. L’investissement de toute la paroisse
dans la construction et l’embellissement d’un édifice religieux est mû par un élan spirituel et une
fierté collective. La maison de Dieu devient la maison du peuple. L’art breton s’érige sur un
fondement métaphysique. Dans une société où le « Beau » fait figure de sacré, les paroisses
rivalisent d’originalité et de talent. Malgré des influences artistiques anglaise, normande ou
flamande, il demeure un art breton spécifique.
        Dans un univers qui côtoie aisément le surnaturel, la vie quotidienne se déroule sur fond
de magie. La nouvelle religion s’inspire des vieilles croyances. Les saints locaux sont les
souvenirs des divinités du polythéisme antérieur. Les lieux sacrés sont établis sur d’anciens lieux
de cultes païens, souvent près de fontaines où coule l’eau vénérable, source de pureté, de
puissance et de l’imaginaire celtique. La statuaire met en scène le Christ, la Vierge, les Apôtres et
les saints locaux. Bien souvent, autre caractéristique des Bretons, la décoration illustre la mort,
dans une iconographie terrifiante. Le calvaire remémore la Passion du Christ et assure de la
Rédemption. Les tombes toutes proches gisent dans l’enclos paroissial. Souvent de style
gothique, les églises sont construites en granit, dont la couleur grise, sous la pluie, laisse une
impression de mélancolie. Les chapelles bâties en bord de mer et soumises aux caprices du vent
et des embruns iodés offrent des vues magnifiques. La croix chrétienne se mêle aux traditions
picturales celtiques de la spirale et de la roue. Les symboles véhiculent une allégeance double,
preuve d’une évolution théologique qui caractérise la foi bretonne. La croix celte, au faîte de
chaque édifice et même de certains menhirs, prouve l’évolution des croyances qui leur permet de
ne pas sombrer dans l’oubli.
        Cette terre revendique plus de 800 saints, que Rome ne reconnaît pas, en-dehors de
quelques cas. Les saints font l’objet d’une vénération particulière. On se réfère à leur pouvoir
pour exaucer un vœu, pour vaincre une maladie ou la stérilité, pour bénir une naissance, un
mariage, ou pour protéger un défunt. Le culte d’un saint guérisseur reprend la tradition de la


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fontaine miraculeuse, où l’eau, symbole œcuménique, est porteuse de pouvoirs extraordinaires.
Le Saint est une sorte de totem qui veille sur toute la communauté. Le plus célèbre est saint
Yves : juriste devenu prêtre et avocat des pauvres, il est canonisé en 1347. Son souvenir demeure
et son culte reste très populaire. Il est célébré lors du Pardon des pauvres, le 19 mai, près de
Tréguier. Les moines fondateurs des évêchés, Samson à Dol, Corentin à Quimper, Patern à
Nantes, Tugdual à Tréguier, Pol-Aurélien, Brieuc ou Malo, dans les villes qui portent leur nom,
témoignent des origines de la christianisation. Ils sont des « figures emblématiques de l’identité
bretonne » et sont considérés comme « les pères de la nation » par le Comité Régional du
Tourisme, tandis que le Comité Départemental du Tourisme du Finistère les qualifie de « pères
de la petite patrie », et celui des Côtes d’Armor de « fondateurs de la Bretagne », dans des
brochures promotionnelles. Une mystique aux vertus identitaires certaines, que l’on retrouve
encore dans le culte de Sainte Anne qui « participe véritablement à la conscience bretonne ».
Grâce à Sainte Anne, la Bretagne détient d’ailleurs un monopole mondial, puisque le village de
Sainte Anne d’Auray est, en effet, selon le Comité départemental du tourisme, « le seul endroit au
monde où notre illustre aïeule, la mère de Marie est apparue ».
        Le culte des sept moines fondateurs se perpétue dans le Tro Breiz, ou Tour de Bretagne,
un grand pèlerinage qui relie chaque évêché dans une ferveur spirituelle rare. Son origine
remonte au Moyen-Âge. La foi et le patriotisme étaient tellement mêlés que les autorités royales
interdirent le pèlerinage. A la fin du XXème siècle, une association le fait revivre sous une forme
moins religieuse, sur le chemin d’une Bretagne en pleine renaissance... Chaque année, le nombre
des participants augmente, comme si la région devenait à présent le symbole de la ténacité d’une
religion en déclin. A moins que, là encore, le besoin de communion avec le passé ne soit la seule
raison.
        Les nombreux pèlerinages qui sillonnent la Bretagne (la liste serait trop longue à dresser),
reflètent ainsi la piété populaire, et leur but est de rendre hommage aux saints protecteurs, le jour
de leur fête. Dans cette cérémonie qui débute dans l’église, puis se poursuit par une procession
sous les bannières, pour s’achever devant les reliques du saint, dans l’église ou sur son tombeau,
dans la solennité du moment, des drapeaux bretons sont brandis, tandis que l’on distribue dans la
foule des tracts indépendantistes et que Paris, pour l’occasion, devient une quelconque Sodome…
On pourrait, en fonction des drapeaux et bannières fièrement brandis, classer les participants en
trois catégories : les écologistes, les ethnonationalistes et, tout de même, les catholiques,
confirmant ainsi le sentiment d’une politisation croissante de tous les facteurs culturels bretons,
même spirituels, le Tro Breiz se donnant à voir comme l’affirmation renouvelée d’une identité
bretonne. Quoi qu’il en soit, la ferveur des rassemblements religieux est plus aujourd’hui un
signe culturel que cultuel.
        La question des rapports entre religion et identité bretonne est le cadre des recherches de
la section « Religion » de l’Institut culturel breton, notamment « les formalisations théoriques
élaborées par le mouvement breton d’inspiration catholique » dont l’adage est resté célèbre : « Ar
brezhoneg hag ar feiz zo breur ha c'hoar e Breizh : le breton et la foi sont frère et sœur en
Bretagne ». L’inventaire des travaux de cette section montre l’importance de la religion dans la
société bretonne.

        Le séparatisme en Bretagne insiste sur les origines spirituelles de la région pour justifier
une émancipation salvatrice. L’histoire de l’Occident reposerait sur l’affrontement entre le monde
celte et le monde latin. Ce dernier serait au fond coupable de tous les maux. Dans la logique du
mouvement breton, tout ce qui peut contribuer à légitimer la lutte contre la France se justifie. Il
faut procéder à un retour aux sources qui permettrait d’ancrer le renouveau breton dans un cadre


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spirituel et politique des plus légitimant. Le combat contre le jacobinisme doit se mener en
priorité sur le terrain des revendications culturelles et identitaires, il importe, comme l’écrit
Bothorel, de « considérer culturellement et spirituellement la Bretagne comme entité
particulière. »



De la tradition littéraire orale à l’exaltation romantique d’un certain idéal


        En 1977, Xavier Graal écrivait dans un essai resté célèbre, Le cheval couché : « Nous
avions cru, à la lettre, que "Bretagne est poésie" et nous formions le projet de poétiser tout ce que
toucherait toute notre fébrile curiosité. » L’auteur, qui s’autoproclamait « barde » et dénonçait
une Bretagne qui ronronnait depuis des siècles « sur la couche de sa prudence, dans le lit clos de
sa résignation », révélait ainsi tout ce qu’est la littérature pour l’expression symbolique du
mouvement breton...
        Il est assez malaisé de se représenter aujourd’hui ce qu’étaient les bardes dans la
civilisation celtique, loin du stéréotype riche d’humour concocté par Uderzo et Goscinny dans les
aventures d’Astérix, les bardes avaient un rang élevé dans la société. Musiciens, artistes complets
ancêtres de nos intermittents du spectacle mais mieux reconnus pour leurs talents, les bardes
étaient avant tout les chroniqueurs de leurs temps, les dépositaires de la culture celtique. Ils sont
les ancêtres des chanteurs bretons, des chantres d’une « culture minoritaire oppressée », ou du
moins en voie de disparition, c’est-à-dire les derniers représentants d’une tradition artistique très
ancienne qui ne conserve à ce jour, de sa singularité ancestrale, que l’usage de la langue bretonne.
Tout poète ou chanteur breton est nommé barde aujourd’hui, et ce quel que soit le contenu de son
œuvre.
        Les bardes ont transmis un riche patrimoine qui fait aujourd’hui la fierté des Bretons et
contribue largement à la spécificité culturelle de la région. Les bardes, qui sont donc les poètes
bretons, ont écrit les plus belles pages lyriques glorifiant une nature sauvage et mystérieuse…
tout en réalisant bien vite la spécificité des lieux et des autochtones, et leur propre « mission
civilisatrice ». Pour le mouvement breton, la tradition bardique permet la révélation d’un passé
culturel, celui qui fait défaut aux historiens. Très vite, le rôle de l’écrivain est devenu politique.
Grall va jusqu’à dire que les « premiers poètes maudits d’Occident sont les poètes bretons ».
L’art des bardes devient le signe d’une culture à part qu’il faut préserver. L’écriture est le
symbole de la liberté. Il faut éveiller le peuple, lui enseigner l’ivresse du large qui détermine le
Breton en opposition aux Français des terres intérieures. C’est la volonté de préserver une
différence et la nécessité absolue d’être totalement libre qu’il faut apprendre au peuple, à tous
ceux dont l’identité culturelle pourrait ne pas relever de soi. Il faut rêver la Bretagne, et même la
rêver comme elle n’a jamais existé ; selon Grall, « Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient
d’abord été imaginées ».
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       Il incombe traditionnellement aux anciens de transmettre leur savoir oral, souvent le soir,
devant la chaleur d’un feu de cheminée, lorsque toute la famille se réunit pour entendre les récits
qui ont fait et font encore le charme et le mystère de la Bretagne. Dans chaque chaumière, on
possède sa propre version d’une même aventure… Le passé de la Bretagne, son histoire plus ou
moins mythifiée et l’ensemble de ses traditions préservées définissent un espace spirituel dans


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lequel des récits fabuleux ont prospéré, toute une dense littérature orale, composée de contes,
légendes et chants.
         Ainsi, jusqu’à un passé récent, se racontent, à la veillée, les aventures de la fée Mélusine
ou de la submersion de la ville d’Ys… En 1833, Emile Souvestre révèle, dans La Revue des Deux
Mondes, l’existence de la « poésie populaire », qui fut longtemps ignorée des élites. En 1844,
après un essai ethnologique, Les Derniers Bretons, il publie Le Foyer Breton, un recueil de
contes folkloriques pour lequel on lui reproche son manque de rigueur scientifique, et de réécrire
les récits populaires recueillis à la veillée dans une mise en scène littéraire. Anatole Le Braz, au
début du XXème siècle, donne néanmoins à son tour des versions littéraires des us et coutumes
qu’il étudie dans ses essais ethnographiques.
         Mais dans la même logique, c’est en 1839 qu’un événement littéraire bouleverse la
tranquille Bretagne : la parution du Barzaz Breizh, recueil de « chants populaires de la
Bretagne », couronné par l’Académie française en 1847. Il s’agit du premier recueil de chants
populaires publié en France qui témoigne du « génie poétique de la Bretagne ». Son auteur,
Hersart de La Villemarqué (1815-1895), vicomte, rêve d’un retour au passé glorieux de la
Bretagne catholique et monarchique, avec ses privilèges et ses anciens États. Il réhabilite dans
son œuvre les héros de l’histoire bretonne (Nominoé, Jean IV, Cadoudal…) au travers de
« gwerziou » et « sonniou » recueillis auprès de paysans de Basse-Bretagne. A sa parution, des
critiques émettent des doutes sur la valeur des transcriptions et des interprétations de chants, dont
la langue, trop littéraire et empruntant à d’autres langues celtiques, est assez éloignée des
chansons populaires. Accusé d’avoir inventé lui-même les chants les plus édifiants, La
Villemarqué ne réagit pas. En 1964, un jeune chercheur, Donatien Laurent, aurait découvert ses
carnets manuscrits originaux, mettant fin à la polémique en le disculpant. Pour de nombreux
spécialistes, cependant, le Barzaz Breizh est le fruit d’une totale remise en forme de matériaux
bruts et devient critiquable par rapport aux exigences en matière de publication de textes oraux.
Expurgé, le récit, selon Francis Gourvil, ne serait ni un modèle de pureté linguistique ni
l’expression du « génie de la langue ». Le Barzaz Breizh séduit les Romantiques qui se
passionnaient pour la poésie, les légendes et l’histoire celtiques, Georges Sand allant jusqu’à
comparer le Barzaz Breizh à l’Odyssée. Xavier Grall, plus d’un siècle après la parution, n’hésite
pas à faire du recueil le véritable « Ancien Testament » breton ! L’important, pour les
« nationalistes », était de constituer une littérature en langue bretonne à l’égale de celles des
autres pays d’Europe. A l’époque du plein essor du Folklore, le Barzaz Breizh devient le symbole
du renouveau breton…
         Dans l’entre-deux-guerres, un groupe de scientifiques relance l’enquête de terrain et la
collecte des récits. Ils sont soutenus par le mouvement breton qui, dans la période plutôt
« inconfortable » de l’après-guerre, trouvera dans la culture populaire un moyen simple et
efficace de s’exprimer. On assiste alors à l’éclosion de l’apprentissage de la langue bretonne,
dans des structures regroupées dans la fédération Kendalc’h (Maintenir). Le répertoire
traditionnel s’enrichit grâce aux matériaux modernes de collectage permettant un enregistrement
sonore. Les folkloristes conservent ainsi les témoignages d’une vie quotidienne aujourd’hui
disparue, il perpétue le souvenir, la mémoire... d’un peuple.
         La ferme volonté de préserver la tradition orale est autant symbolique que politique. Elle
est en effet à la source de la sauvegarde de la langue locale et témoigne des liens entre le milieu
culturel et le mouvement breton.
         Les légendes et les mythes interprètent des thèmes ancestraux ancrés dans la tradition
littéraire. Leur interprétation demeure assez libre, susceptible de significations variées exaltant
d’autres époques. Ils sont un lien social avec le passé. Ils prennent parfois une dimension


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caricaturale. Le symbole de la Bretagne n’a-t-il pas longtemps été la gentille Bécassine ?
L’importance des conteurs et de leur témoignage est défendue aujourd’hui par Gwenc’hlan Le
Scouëzec, qui insiste sur la valeur sociale accordée aux bardes et à leurs paroles, qui, sur terre
comme sur mer, rappellent des faits expliquant coutumes et traditions. Ils sont ainsi la mémoire
du peuple. Mais Le Scouëzec, grand druide du Gorsedd breton et bien étrange personnage,
annonce, à travers eux, le retour du roi Arthur. Les bardes aujourd’hui chantent et écrivent, et
sont la conscience du peuple. Ils contribuent, selon lui, à la renaissance de la nation et du peuple
breton.
        A travers les époques, l’univers culturel se déplace pour se reconstituer chaque fois dans
un contexte où les valeurs demeurent identiques : l’exaltation d’un certain idéal social. On
retrouve cette thématique dans un registre politique qui emprunte à la tradition littéraire les vertus
légitimant un comportement héroïque de l’individu, dans un combat récurrent jugé estimable : la
résistance face à l’ennemi héréditaire, la France. Il s’agit d’une projection dans le temps, dont le
but, plus ou moins conscient, est de rendre juste une action surannée ou devenue impopulaire. On
se réfère à un passé illustre dans un but d’édification. La méthode est classique et très efficace.
Elle aboutit parfois à une forme de fanatisme, chez des militants soucieux de retrouver un
contexte mythifié aujourd’hui disparu, la conjoncture actuelle n’étant qu’une sorte de purgatoire,
dont la peine s’achèvera par l’exaltation de vertus héroïques qui mèneront au nécessaire combat
et à la victoire finale. Si la dimension culturelle de la revendication politique bretonne est
fondamentale, l’analyse est délicate à entreprendre et ne doit être soumise à aucune
généralisation, mais seulement relever d’une attention particulière et d’une critique rigoureuse
que d’aucuns évitent précautionneusement aujourd’hui, afin de ménager les susceptibilités.
        La dimension politique dans l’expression littéraire de la culture bretonne explique que tant
d’écrivains bretons soient aussi des militants actifs du mouvement.



De la musique traditionnelle à l’effervescence des fest-noz


        Dans sa quête à la recherche de ses racines profondes, le mouvement breton contemporain
se doit de défendre autre chose qu’un sol, qu’un territoire. Sa mission bien plus « évangélique »,
en référence aux textes « sacrés » des anciens, est de faire revivre ce qui fait l’identité concrète du
peuple, l’expression même de son âme, à savoir sa musique puisée au fin fond des âges... Une
musique qui récemment encore, pour un peintre chinois, He Yifu, de passage dans la région, est
« le reflet de la vie et des sentiments du peuple breton. »
        L’enjeu est tel qu’il fait dire, en 1914, à un musicien de Vannes, qu’« après le départ du
biniou et de la bombarde, nous verrons disparaître la langue, les costumes... et ainsi
progressivement, hélas ! les Bretons deviendront Français. Plaise à Dieu que cela n’arrive
jamais ! » Sa prédiction, « hélas », se vérifiera bientôt.
        Au début du XXème siècle, les premières fêtes touristiques vantant l’aspect « pittoresque »
de la Bretagne font leur apparition. Elles mettent en scène une culture rurale dite populaire,
incarnant l’identité bretonne, en opposition à la culture citadine, bourgeoise et « parisienne ». Les
fêtes fleurissent dans les stations balnéaires dès 1905, à l’exemple du « Pardon des fleurs
d’Ajoncs » de Pont-Aven, organisé par Théodore Botrel. Ce dernier, célèbre chansonnier né en
Bretagne, est un patriote français, au grand dam du mouvement breton qui concentrera sur lui ses



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foudres. On ne lui pardonnera jamais, entre autres, sa fameuse exclamation : « Vive notre petite
patrie ! Gloire à la Grande ».
        Loin de remonter dans le temps, le premier groupe folklorique, à Bannalec, ne date que de
1902, et le premier « cercle celtique », à Paris, de 1911. Leur naissance correspond à l’émergence
du mouvement breton qui voit de suite en la musique l’élément fondateur de son action. C’est par
elle que doit s’exhaler le sentiment national. Le cercle celtique de Rennes devient d’ailleurs
« l’école de la fierté bretonne. »
        Le mouvement breton, soucieux de préserver l’image d’une Bretagne éternelle, soutient
les sonneurs pour promouvoir ses idées. Les premiers concours de musique traditionnelle voient
le jour, à l’instigation du premier parti autonomiste, l’Union régionaliste bretonne, dès 1892.
        Quelques décennies plus tard, l’événement le plus important pour le développement du
mouvement breton est la création, en 1943 à Rennes, de la Bodadeg ar Sonerion ou BAS,
(l’Assemblée des Sonneurs de Bretagne) par Polig Montjarret. Elle regroupe de jeunes sonneurs
dans des ensembles nommés bagadoù (pluriel de bagad), composés de bagpipes, de bombardes
et de batteries écossaises. Leur succès est exceptionnel auprès du public et des jeunes auxquels
ils redonnent la fierté de jouer une musique traditionnelle. L’objectif est donc atteint, le mythe de
la Bretagne éternelle est né. Le bagad colle à jamais (du moins aujourd’hui encore) à l’image de
la Bretagne...
        Cette réussite exemplaire fait des émules jusqu’en 1950, date à laquelle se crée la
fédération Kendalc’h, qui rassemble l’essentiel des composantes du mouvement culturel breton.
En quelques années, les musiciens et danseurs deviennent les acteurs d’une multitude de fêtes
folkloriques, durant lesquelles on peut constater toute la richesse du patrimoine.
        En 1972, dans une période de collectage moderne, se crée le groupe « Dastum »
(recueillir), qui édite les « cahiers de musiques traditionnelles » comprenant partitions, textes en
breton accompagnés de traductions et des enregistrements sur cassette, bande ou disque, en
offrant ainsi la possibilité d’apprendre ou d’enseigner la musique traditionnelle. Dans la logique
du mouvement breton, ils créent la première « phonothèque nationale de Bretagne. » Le
renouveau culturel est prêt à démarrer : la musique traditionnelle est loin de disparaître, premier
succès du mouvement ; à présent, la chanson « made in Bretagne » n’attend plus que son heure de
gloire…
                                                   *

       Au fil du temps, selon l’inspiration, toute une série de danses a vu le jour, en s’adaptant à
une musique traditionnelle instrumentale et vocale qui existait déjà. C’est pourquoi de nos jours,
les danses populaires bretonnes, d’une assez grande diversité, sont couramment pratiquées par
tous.
       C’est dans la région des monts d’Arrée, au centre de la Basse-Bretagne, que la langue
bretonne est la mieux conservée, que l’activisme politique est le plus fort et c’est aussi là que la
danse et les chants traditionnels sont le mieux préservés.
       Au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale, le mouvement politique breton,
collaborateur zélé des nazis, va subir un rejet de la part de la population. Les passionnés vont
alors se tourner vers les activités culturelles. Dès les années 50, les « cercles celtiques » vont
connaître un incroyable essor. Ils joueront un rôle essentiel dans l’éducation musicale de la
jeunesse. Dans un second temps, apparaissent les fest-noz, ou fêtes de nuit, où le mélange des
générations, la danse en chaîne et « le sentiment de fusion communautaire », comme le dirait
Ronan Le Coadic, lui donnent sa singularité… Cette tradition héritée de la vie paysanne, qui
rythmait la vie des travaux agricoles, va perdurer et évoluer : la fête de la collectivité rurale va


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progressivement s’ouvrir à toute la population et prendre possession des espaces publics. Elle est
le moyen de transmettre une coutume paysanne à la population urbaine, dans une société marquée
par un important exode. A une période transitoire où le doute est grand dans une société en totale
mutation, la fête apparaît comme une bénédiction, un moment privilégié rassemblant, dans une
magnifique communion, une jeunesse empreinte de liberté et des anciens soucieux de conserver
leurs us. Elle bénéficia d’un formidable écho dans les années 70, dans la période qui suivit la
révolution de Mai, les esprits étant alors sensibles à un retour aux sources par rejet de la société
de consommation de masse. Le succès est certes immense, mais il va dénaturer le contenu
traditionnel. Certains fest-noz ressemblent plus aujourd’hui à des bals bretons, à vocation
purement commerciale, qu’à des messes culturelles traditionnelles. Ils demeurent cependant une
véritable institution.

        Les années 60 marquent une étape importante pour une expression musicale dont la portée
ne cesse de croître. Pour le mouvement breton, il importe de faire revivre le patrimoine avec le
bain de jouvence de la modernité, et non se complaire dans une quelconque nostalgie. Il s’agit de
se redresser et de retrouver une fierté collective. Les paroles des chansons nouvelles clament avec
force le rejet de la société de consommation et louent avec détermination la société traditionnelle,
source de bien-être et d’équilibre. « L’oppression » que subit la Bretagne encourage l’action
militante culturelle.
        Les années 70 sont marquées, dès leur début, par un intérêt hexagonal sans précédent pour
la musique bretonne. Glenmor, premier barde du renouveau breton, Gilles Servat, celui qui a
« osé » et qui compare les Bretons aux Indiens d’Amérique du Nord, Alan Stivell, qui redonne
vie à la harpe celtique, Tri Yann, « le plus vieux groupe de rock français », comme s’amuse à le
répéter son leader charismatique Jean-Louis Jossic, apparaissent dans le répertoire et triomphent
au son de leur voix révoltée ; ils deviennent, portés par la « vague soixante-huitarde », les
chantres de la contestation : ils sont les nouveaux baladins de la cause bretonne qui, de scène en
scène, encouragent les foules à garder espoir et à se mobiliser pour reconquérir l’espace
abandonné de la culture traditionnelle. Ils ont du talent, du culot et une incroyable présence sur
les planches qui expliquent leur succès. En puisant dans le passé, ils réveillent les souvenirs et
émeuvent bien au-delà des limites régionales, d’autant que leur répertoire, tel celui des Tri Yann,
puise au registre de tout le Moyen-Âge et non du seul parc breton.
        Si les années 80 marquent le déclin du mouvement, entraînant la mort de bien des groupes
et la disette pour la plupart, les années 90 sont celles du renouveau à plus grande échelle encore.
La musique traditionnelle devient même une mode, en surfant sur la vague celtique qui envahit
une partie de l’Europe. L’Irlande musicale se vend à merveille et dans son sillage, la Bretagne
récolte quelques succès, tel celui de l’Héritage des Celtes de Dan Ar Braz. Ce dernier
représentera d’ailleurs la France (ultime défi ?) au concours Eurovision de la chanson, à la fin des
années 90. La période est marquée aussi par de nouvelles influences, le métissage avec d’autres
cultures et d’autres rythmes. Les artistes bretons, dans leur spécificité artistique facilement
identifiable, puisent aujourd’hui « à l’authentique génie du celtisme», cher à Xavier Grall. C’est
là leur signe distinctif et la marque de leur réussite. La chanson bretonne incarne la réussite
culturelle mais aussi commerciale de la région, elle défie la France et prouve sa capacité à résister
à l’uniformisation dont la République est accusée.
        Pour renforcer l’emprise médiatique de la musique bretonne, le mouvement organise des
événements qui enracinent dans la société contemporaine l’impact culturel et social de la musique
traditionnelle : la Nuit celtique au Stade de France à Paris, Celtica à Nantes, et surtout le Festival



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Interceltique de Lorient, le festival des Vieilles Charrues à Carhaix ou le Festival de Cornouaille
à Quimper…
        Les festivals qui se succèdent tout l’été et les flots de spectateurs qu’ils égrènent dans leur
sillage contribuent conséquemment aux recettes touristiques d’une région pour qui la saison
estivale est essentielle économiquement. Mais ces rassemblements populaires, au-delà de leur
succès financier, jouent un rôle important dans l’image qu’ils véhiculent de l’identité bretonne.
Tout est entrepris pour leur réussite. Ils sont un événement majeur auquel participe activement
une large partie de la population. Malgré la crise qui survint à l’annonce du projet de réforme du
statut de l’intermittence en juin 2003, et les annulations en cascade des principaux festivals de
l’été qui suivirent en réaction, la Bretagne ne connut, elle, quasiment aucun mouvement de grève
susceptible de provoquer l’arrêt des festivités. Pour Jean-Pierre Pichard : « La culture donne une
identité et une popularité à une région et permet de l’exporter et de faire des affaires », véritable
aveu et conclusion de l’action du mouvement breton. Ces grands rassemblements expriment un
potentiel humain, une énergie insoupçonnable, une force indomptable qui pourrait, transcendée
dans une union solennelle autour des artistes, exprimer la voix d’un peuple se ressaisissant enfin.
C’est pourquoi l’on retrouve tant de noms du cru sur les programmes, en effet, le meilleur soutien
du public breton, c’est d’être « solidaire » avec les artistes de la région dans leur « lutte »…
        L’aide très importante des institutions locales à la diffusion de la musique aujourd’hui,
renforce le sentiment que celle-ci restera un instrument idéologique, d’autant plus primordial que
sous peu, la langue bretonne risque de disparaître. La musique bretonne sera alors le dernier
vestige d’une « civilisation martyre » et jouera le rôle éminemment symbolique de la voix d’un
peuple en lutte.
                                                   *

        La musique traditionnelle est imprégnée d’une émotion rare et subtile qui explique son
importance et son rôle dans le renouveau de la culture celtique. La renaissance de la harpe,
entreprise par le père d’Allan Stivell, symbolise la réminiscence de vieilles coutumes, le retour
des anciens, des bardes et des conteurs venus témoigner d’un temps où l’homme savait écouter la
nature qui l’entoure et jouir avec simplicité de chaque moment. La religion païenne et son
renouveau dans la culture bretonne illustrent avant tout une réaction contre la modernité et le
matérialisme, comme le furent, la dimension spirituelle en moins, les événements de mai 68. Le
mouvement breton s’ennoblit d’une essence métaphysique et convertit dès lors des fidèles à une
croyance sociale religieuse qui transforme la Bretagne en une sorte de Jardin d’Eden menacé
qu’il faut sauver des flammes du Purgatoire – son appartenance à la Nation Française, ainsi
devenue de quiddité diabolique. La musique témoigne d’un passé où tout ce qui composait
l’existence relevait du sacré. Elle berce à présent les cœurs d’une jeunesse charmée en quête
d’eudémonisme, que la tranquillité de la Bretagne, si paisible loin des fastes de la capitale
française, incarne parfaitement.
        La vague populaire celtique récente est une adaptation très moderne du répertoire
traditionnel, dont le succès n’est en rien assimilable à un quelconque « nationalisme ». La
jeunesse a adopté le folklore, pourtant l’« alibi des esclaves » pour Xavier Grall, et développe
aujourd’hui son style original. L’élan que l’on peut constater et l’essor des différents cercles
celtiques traduisent l’enthousiasme actuel pour la culture bretonne. La volonté de transformer la
musique en un produit de consommation courante fait le bonheur des producteurs alléchés, et
provoque le scepticisme des puristes qui alimentent les rangs du mouvement breton. Eux restent
fidèlement attachés à une tradition qui porterait en elle les germes d’une « identité » faisant du
breton le héraut d’une civilisation retrouvée. Et de toutes les formes d’expression culturelle qu’ils


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veulent réhabiliter, la musique est propitiatoire à l’expansion du mouvement. Elle est de très loin
la force vive du renouveau, sa ferveur populaire et son étoile médiatique. Sans son vif succès, le
mouvement eut probablement connu un tout autre destin.
        Les Bretons se retrouvent donc dans les festou-noz, et le formidable succès de ces « bals
bretons » révolutionne l’approche de la musique bretonne, grâce à la participation active du
public, une musique bretonne qui s’adapte au monde moderne et rassemble à présent des
centaines de milliers de personnes, lors de festivals comme ceux des Interceltiques de Lorient et
de Cornouaille à Quimper... Tous les styles de musique celtique s’y retrouvent, des bagads aux
chants de marins à l’ambiance si conviviale et chaleureuse, même si les Bretons les plus radicaux
détestent les chants marins, parce que « ce ne sont pas des chants bretons, mais des chants
marins ! ». Ces fêtes deviennent une sorte de théâtre dont les acteurs (musiciens et chanteurs)
mettent en scène la richesse du patrimoine. Stivell, dont le triomphe dans le monde entier en a fait
le porte-drapeau d’une culture retrouvée, les Tri Yann et le génie artistique de Jean-Louis Jossic,
et tous les autres chanteurs bretons, donnent à la Bretagne une nouvelle image et un succès
populaire international sans précédent. Les festivals réunissent curieux et passionnés dans une
chaleureuse communion. Les rues de Lorient se transforment, au mois d’août, en une conviviale
kermesse où prennent place de jeunes gens, guitare en bandoulière... On aime la Bretagne, on le
dit, on le chante, on le vit ! Mais l’amour d’un pays, comme d’une femme, est exclusif et
passionnel. La France devient dès lors gênante. Alors, on reprend en chœur Tri Matolod ou An
Alarc’h, ces chants exaltant le passé magnifié de la Bretagne… On modernise l’approche de la
culture bretonne en l’adaptant au goût du jour : on se met au rap breton... Quant aux soirées
« techno », elles n’ont eu qu’à adapter la musique traditionnelle à un style de musique
contemporaine pour créer des « rave-noz », les gavottes tournent au pogo si les circonstances le
nécessitent, et les laridées à des versions « destroy »... Tous les événements musicaux touchent
au plus profond de la sensibilité, dans une grande union populaire. Pris dans une chaîne humaine,
comment ne pas se sentir alors solidaire de la culture bretonne ?



De la préservation du patrimoine à la nouvelle économie bretonne


        Le patrimoine principal de la Bretagne est son cadre naturel, tout un environnement
modelé par une nature parfois hostile. La région subit en effet les violents assauts de l’océan. La
force du vent ainsi que celle de la houle ont forcément tendance à forger un caractère, le célèbre
« caractère breton ». C’est peut-être là l’origine d’une résistance quasi traditionnelle qui fera dire
à l’historien Jules Michelet que la « Bretagne est l’élément résistant de la France ». L’océan est à
l’origine de l’identité géosociale bretonne et au-delà, c’est tout le milieu naturel qui influe
indéniablement sur l’identité sociale. Il est, ici plus qu’ailleurs, le ciment de l’activité
économique. La région, quasi péninsule, a longtemps souffert de son enclavement. En-dehors de
son heure de gloire maritime lui assurant une certaine prospérité, la réalité économique et sociale
fut particulièrement difficile. Lors de la révolution industrielle du XIXème siècle, ne possédant pas
de ressources énergétiques suffisantes et éloignée des axes de communication, la Bretagne
souffre d’un cruel retard de développement qui dure jusqu’aux années 1960. Durant toute la
première moitié du XXème siècle, la situation économique entraîne un flux important de la main-
d’œuvre locale, vers Paris essentiellement, formant dans la capitale une importante communauté.
La région est une terre rurale et connaît un quasi sous-développement industriel, les habitations


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sont inconfortables, et les ménages sous-équipés, la pratique religieuse reste intense dans cette
ancienne terre de chouannerie où l’école privée connaît une forte implantation.
         Née en 1905 de l’imagination de Caumery et du pinceau de Pinchon, Bécassine, « la
petite paysanne cornouaillaise de papier » dont on fêtait en juin 2005 le centenaire, est devenue
un symbole de la Bretagne nouvelle qui témoigne de l’évolution de la région durant le XXème
siècle. Elle participe à l’évolution des représentations de la Bretagne : symbole de la soumission,
de l’ordre établi, Bécassine est utilisée aujourd’hui par Alain Le Quernec dans plusieurs affiches
comme porte-parole des revendications bretonnes. Incarnant la jeune fille sotte et naïve, elle peut
se flatter aujourd’hui des progrès de sa région : l’académie de Rennes a régulièrement les
meilleurs résultats au baccalauréat ! Pour mémoire, l’encyclopédie Larousse écrivait au début du
XXème siècle : « Breton : très opiniâtre, très attaché à ses vieilles coutumes et à sa foi catholique,
et fort superstitieux, il est peu porté vers l’instruction... »
         La situation de la Bretagne a donc bien évolué : elle connaît un dynamisme incroyable qui
stimule une société archaïque et la pousse vers une modernité qui donne naturellement un visage
nouveau à la région et qui, phénomène inverse à celui précédemment observé, va retenir et même
faire revenir la population sur place.
         Avec la région des Pays-de-Loire, la Bretagne constitue ce que l’on appelle le grand
Ouest. Longtemps en marge de l’Europe, ces régions se trouvent aujourd’hui désenclavées,
ouvertes sur l’espace français et européen, dans un système de collaboration entre les régions
atlantiques de l’Union Européenne. Le mouvement breton aime à parler de « grande région
celtique », ou, plus politiquement acceptable, d’une « euro région celtique ». Grâce au TGV
atlantique et aux autoroutes, la Bretagne s’est rapprochée de Paris et du reste du continent. Le
plan routier breton, aujourd’hui achevé, a aussi permis de relier entre elles les différentes villes,
par un important réseau de nationales à deux voies, afin de stimuler l’activité régionale.

         Le dynamisme économique breton est à chercher en premier lieu dans l’exploitation des
ressources naturelles de la région : dans l’agriculture et la pêche. L’activité agricole est la
principale source de revenus. La Bretagne est d’ailleurs, avec 15 % de la production nationale, la
première région agricole de France. Le modèle breton se caractérise par l’élevage intensif. Ce qui
ne va pas sans poser problème : la crise de l’élevage porcin et la maladie de la vache folle ont
déstabilisé tout le secteur. L’usage immodéré de nitrates et de pesticides empoisonne les cours
d’eau et la nappe phréatique. Le littoral costarmoricain est envahi par les ulves, des algues vertes,
conséquence des rejets d’azote et de phosphore. L’ostréiculture et la mytiliculture sont
régulièrement touchées par des phytoplanctons toxiques et des germes dangereux, quand la faune
et la flore sont, elles, victimes de marées noires… La situation écologique de la région inquiète la
population et influe sur les débats politiques. Le mouvement breton reproche à la France d’avoir
poussé les agriculteurs à l’élevage et à la production intensifs, entraînant une dégradation de la
qualité de la vie. Quatre associations de défense de l’environnement ont, par exemple, déposé un
recours contre l’État, afin de faire établir sa responsabilité dans la pollution par les algues vertes
qui prolifèrent sur le littoral. Le naufrage de l’Erika, en décembre 1999, est directement reproché
au gouvernement de l’époque et à une administration incapables de gérer la crise. Les
conséquences écologiques désastreuses ont su mobiliser beaucoup de monde et politiser
fortement le secteur. Enfin, et grâce à sa puissance économique, le monde agricole s’est doté
d’une organisation adaptée aux marchés européens, capable d’assurer l’exportation des produits
bretons et qui dispose même d’un lobby mis en place par plusieurs filières de l’agro-alimentaire
au Parlement européen, afin de se tenir à la source des décisions politiques et d’obtenir en
permanence toute information : Breiz Europe.


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Sous le titre « La Bretagne outragée », Le Monde, dans un éditorial de septembre 2002,
concluait sur ce contexte agricole : « C’est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire : le
modèle que citeront un jour économistes et historiens au chapitre des aberrations auxquelles peut
conduire un productivisme agricole dont on n’a pas fini de mesurer l’irresponsabilité »...

         Après ce secteur dont l’impact est si important dans la définition de l’identité bretonne et
dont l’avenir incertain menace grandement celle-ci, un autre domaine, lui aussi élément
constitutif à part entière de l’identité, connaît de graves difficultés : la pêche. Elle est l’autre
activité traditionnelle dont l’impact sociologique dans les villes portuaires est fondamental. En
effet, la vie s’y organise autour de la mer et du rythme des départs et retours. La Bretagne est la
première région maritime française. Mais concentré sur la pêche industrielle et le chalutage, ce
secteur connaît lui aussi une grave crise. Les fonds du littoral ont été surexploités et les bateaux
doivent à présent s’éloigner de leurs ports d’attache, alourdissant ainsi leurs frais de transport. Le
blocus des ports lors de l’augmentation des prix du carburant, dès septembre 2000, témoigne de
la fragilité de ce secteur. La flambée du pétrole rend plus dure encore la crise actuelle.

        Au-delà de l’agriculture et de la pêche, un autre domaine exploitant en partie le
patrimoine naturel va s’imposer pour devenir, finalement, le meilleur atout économique de la
Bretagne : le tourisme. Les principales raisons de ce succès sont la splendeur des sites et des
paysages qui caractérisent cette région, l’étendue et la beauté des plages de sable fin, l’aspect
sauvage et mystérieux des côtes escarpées ou plus simplement la pratique de la voile, les sentiers
de randonnée et l’aménagement des forêts. Comme le tourisme nécessite un important
investissement, la réussite bretonne s’explique aussi par l’extension du camping et le
développement de l’hôtellerie, des gîtes ruraux ou des chambres d’hôtes. Le patrimoine naturel
invite à découvrir une terre exceptionnelle, sur laquelle n’a pu se développer qu’une civilisation
particulière, authentique et traditionnelle. C’est pourquoi le tourisme culturel connaît à présent un
regain d’intérêt formidable. La « vague celtique » y est bien sûr pour quelque chose : le
renouveau folklorique perceptible jusque dans la gastronomie distille à tous vents, et auprès d’un
très large public, l’idée d’une mentalité et d’une tradition bretonnes fruits de « l’identité d’un
peuple ». C’est cela qui intéresse le mouvement breton, car au fond, ce n’est pas le tourisme
balnéaire ou la thalassothérapie (qui sont pourtant en forte extension) qui imprégneront les
consciences. Seules marqueront les manifestations à caractère culturel qui témoigneront de la
spécificité bretonne… Fière de sa riche histoire, la région compte donc profiter de son formidable
patrimoine pour développer le tourisme culturel.
        Le tourisme est devenu un enjeu essentiel du mouvement breton, non seulement à travers
l’activité économique qu’il génère, mais aussi par l’image de la Bretagne et de sa population qu’il
véhicule. Il est aujourd’hui le moyen le plus efficace d’exprimer la bretonnitude dans la région,
en France et même dans le reste du monde. Il permet de faire connaître la situation locale et de
créer des liens avec d’autres minorités, car le combat contre la mondialisation, pour la survie des
cultures, est universel. C’est bien souvent à l’international que le mouvement breton bénéficie du
meilleur écho. Le bénéfice est double : le tourisme crée des emplois et il permet d’entretenir
l’identité bretonne. La promotion touristique peut donc devenir par excellence un message
ethnodifférentialiste.

       L’amour de sa région, de sa terre d’origine ou d’adoption, est quelque chose qui ne se
quantifie pas, qui n’a pas de prix, qui ne se vend pas. Dans l’idée de liberté qu’égrènent les
tenants de la bretonnitude, il y a une volonté certaine de s’émanciper de toute tutelle, l’idée que la


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richesse naturelle de la région et tout son patrimoine n’appartiennent qu’à la Bretagne elle-même,
et que toute part « étrangère » dans les bénéfices réalisés lors de l’exploitation de son potentiel
s’apparente à du vol, à son pillage comme au temps des guerres médiévales. La culture, le
tourisme, tout ce que la mode celtique a su faire germer, mais aussi l’exploitation de sa surface
arable ou de sa zone côtière, tout cela appartient à la Bretagne et à elle seule : la bretonnitude,
c’est aussi et peut-être surtout la souveraineté économique de la Bretagne, la maîtrise totale de
son image marchande et du bien productible qu’elle incarne. Là où les anciens ne voyaient dans
l’économie que le servage de la Bretagne et son abandon à un capital étranger, tel Xavier Grall
dénonçant le « royaume franc », « ce pays de généraux et de comptables » et l’« exécrable
culture », dont « la fabrique des intelligences débite des cerveaux pour l’esclavage économique »,
ils rêvaient alors de « sociétés bergères, paysannes, maritimes » ; mais aujourd’hui, les chantres
de la Bretagne ont oublié les songes d’antan, la nostalgie d’une terre rurale aux traditions
préservées, ils se sont convertis au capitalisme et tombent en pâmoison devant l’extraordinaire
succès des nouveaux seigneurs du CAC 40, du moment qu’ils sont bretons1.
                                                  *

        La Bretagne bénéficie d’un grand capital de sympathie auprès de l’ensemble de la
population. C’est un lieu de villégiature à la mode. Sa forte identité devient maintenant un
référent économique, une force de vente. Le support marchand du mot « breton » est un argument
commercial de taille. Les produits du terroir doivent porter une estampille caractéristique afin
d’émerger du lot et être facilement reconnaissables. Les labels « Paysan Breton », « Cidre
Breton » ou « Création de Bretagne » sont des gages de qualité. La société Phare Ouest a lancé le
Breizh Cola, « le Cola du Phare Ouest » estampillé sur les bouteilles « Le Cola de Bretagne », et
a bénéficié d’un formidable intérêt de la presse valant toute publicité. En 1993, une vaste
campagne de promotion des produits locaux est orchestrée par l’association « Produit en
Bretagne ». Lancée à l’initiative des groupes Even et Leclerc et du quotidien Le Télégramme de
Brest, et après avoir essayé puis abandonné « Made in Breizh », elle regroupe aujourd’hui près de
200 partenaires, dont des assureurs, des banques, des grands noms de la presse écrite… et bien
sûr, des industriels de l’agro alimentaire. Elle témoigne de l’intérêt du patronat pour l’identité et
de la mise en place d’un régionalisme commercial. Les 6 et 7 novembre 1993, Le Télégramme
titre à sa une : « Consommer breton c’est aussi créer des emplois » et développe un véritable
manifeste autonomiste : « Plutôt que d’attendre le salut de l’État, une communauté dynamique et
solidaire doit s’appuyer sur ses forces vives et valoriser son savoir-faire. » Plus la culture
traditionnelle est forte et plus l’image qu’elle véhicule est « porteuse ». Les produits bretons
prennent de la valeur et ainsi l’identité devient, souvent à l’insu du mouvement culturel lui-
même, un facteur de vente. Citroën clame : « J’aime ma région, je roule en Citroën », et Peugeot
de préciser : « Fabriquée en Bretagne, la Peugeot 407 parcourt déjà toutes les routes de
France »... Des pêcheurs de bars du Raz de Sein ont créé un logo « bars de ligne de l’Ile de Sein »
ou « d’Audierne » qu’ils attachent à l’ouïe des poissons et qui leur permet de les vendre plus
cher : une localisation très précise, micro territoriale, permet un développement économique
considérable.
        La Bretagne se vend comme un produit de marketing. Et cela participe à la diffusion des
exigences politiques des autonomistes ou des indépendantistes... La « Celtomania » devient le 10

1
  François Pinault, Yves Rocher, Edouard Leclerc, Jean-Pierre Le Roch (Intermarché), Vincent Bolloré, Louis Le
Duff (La Brioche Dorée), Daniel Roulier (TIMAC), Marcel Braud (Manitou), les frères Guillemot (Ubisoft) et bien
d'autres...


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août 2000, dans un Figaro qui ne manque pas d’humour, « un business gros comme un menhir »,
dans un contexte où « la culture celte emporte tout sur son passage »… Les « produits
identitaires » ont envahi les rayons des supermarchés, il n’est plus une marque de crêpes qui ne
soit l’expression de l’identité bretonne, une marque de beurre salé qui ne soit une atavique
approche de la gastronomie bretonne, etc.
        La prise de conscience identitaire des milieux économiques célèbre l’alliance entre le
politique, le culturel et les forces vives du pays. Ainsi France Télécom, sur fond de Gwenn-ha-du,
lance sur une affiche publicitaire : « En Bretagne, Mobicarte : pour être libre et autonome ! ».
Dès 1993, Jean-Bernard Vighetti, directeur de l’office de tourisme de Rennes affirmait : « Qui
contrôle le culturel, contrôle l’économique ». La dynamique engendrée par la culture est
quasiment l’avènement d’un secteur quaternaire que génère la société de loisir. La Bretagne entre
maintenant dans une « économie culturelle ». Lancée par l’Office de la langue bretonne, la
campagne « Ya dar brezhoneg », « oui au breton », invite les entreprises bretonnes à se convertir
au bilinguisme. Lors du débat sur les accords de Matignon et le projet de réforme du statut de la
Corse, entraînant l’idée d’une territorialisation du droit, Guy Plunier, président du Club de
Bretagne, groupe de pression du monde économique breton, voit dans le statut de l’île un « signal
intéressant pour une redistribution des pouvoirs dans toute la France », selon lui très attendue par
les industriels bretons.
        Le dynamisme économique est un phénomène très important qui donne naissance à une
prise de conscience nouvelle du pouvoir local. Fondé sur une problématique économique, il
relève en fait bien plus d’une conjoncture politique à l’échelle continentale. La construction
européenne sur le modèle fédéraliste favorise le dépérissement de l’État et promeut
l’émancipation des pouvoirs locaux. Sous couvert d’une action économique, le discours est
néanmoins connoté ethniquement en vue d’une reconnaissance spécifique.
        L’identité bretonne est un élément essentiel de la mise en valeur de la région. Elle est le
support de communication le plus efficace pour promouvoir une spécificité dont le pouvoir
d’attraction trouve sa dynamique exponentielle dans le tourisme, devenu élément primordial de
l’économie locale. Telle une carte postale, l’image de la Bretagne s’exporte dans le monde. La
vision d’une terre sauvage au particularisme bien ancré contribue à la réputation d’un « pays » où
la tradition culturelle s’inscrit dans un passé lointain, commun à d’autres terres. Cet héritage, fort
de sa mise en valeur récente, s’apparente à une campagne promotionnelle. Le succès de
l’estampille celte s’explique par la garantie d’une marque, d’un trait de caractère d’un exotisme à
portée de soi. Tout ce qui caractérise la culture celte s’inscrit dans le temps, suppose la qualité en
plus de l’authenticité, un savoir-faire autochtone non rompu à l’uniformisation planétaire. Ce trait
caractérise le succès de la mode celtique qui bénéficie allègrement à une Bretagne ayant saisi au
vol la possibilité de s’auto-promouvoir par le biais de ses origines. L’effort particulier fourni pour
entériner une spécificité bretonne dans un cadre historique et linguistique explique l’action du
mouvement breton et son dynamisme étendu aux institutions politiques ainsi qu’à l’ensemble des
secteurs de l’économie locale. La Bretagne existe grâce à son patrimoine et vit par l’exploitation
de celui-ci. La mode celtique permet une plus large diffusion de la marque « Bretagne », dans une
logique libérale de communication où seuls comptent l’efficacité et les gains engendrés. La
Bretagne se doit d’exister dans sa particularité pour maximiser ses profits, pour magnifier son
image à l’exportation et véhiculer un exotisme de bon aloi. Elle bénéficie certes d’une mode
servie avant tout par des lobbies médiatiquement efficaces. Elle profite également de la proximité
d’autres terres celtes pour exalter sa différence. Une différence que revendique le mouvement
breton. Ce dernier milite pour asseoir une reconnaissance internationale immuable. Son action



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tend à entretenir l’idée de particularité ; elle en affirme les contours et s’inscrit, indubitablement,
dans une véritable mythologie de la différence.



De la nation mythique à la volonté d’indépendance


        La quintessence même de la représentation culturelle est une mise en forme de la
spiritualité au bénéfice d’une idéologie qui puise dans la symbolique divinatoire les éléments
structurels de son message politique. Ce dernier s’inspire de l’imaginaire fabuleux et mystique
pour définir une Bretagne transcendantale et faire du concept d’indépendance une mission
apostolique. Tout un développement allégorique tend à prouver la spécificité bretonne dans un
raisonnement relativement ésotérique, que ne saisissent et ne partagent que quelques initiés. Pour
eux, l’idée fondamentale réside dans la croyance en la supériorité de leur terre, dont la population
autochtone devient le « peuple élu », et l’accès à l’indépendance la quête de l’Absolu. Pour les
disciples d’une telle religion, le terrorisme n’est qu’un moyen de parvenir à une fin
transcendantale que ne saurait intimider un appel au civisme.
        La « nation » bretonne se réfère à un passé et à ses origines celtiques impliquant une
distinction entre les individus « de souche », celtes, et les autres, « étrangers » à cette culture et
donc exclus des critères ethnonationalistes. Le thème du retour à « l’authenticité » renvoie à une
pureté originelle corrompue par des influences « extérieures ». L’héritage du passé forme un
patrimoine dans lequel la Bretagne se contemple en admirant sa richesse et en la proclamant
comme son œuvre, véritable raccourci autobiographique. Les « nationalistes » bretons tiennent un
discours qui berce le cœur plus qu’il ne s’adresse à la raison.
        Les croyances bretonnes nourrissent aussi les espoirs d’un mouvement qui érige en quasi
religion une liberté mystifiée. Un raisonnement plutôt occulte autorise à récupérer toutes sortes
de symboles, qui prouvent que le Breton est un être à part, un individu aux mœurs particulières,
qui doit se construire un univers propre afin de se protéger de la corruption de « l’étranger ». En
véritable philosophie, la démarche ethnonationaliste tend à développer une réflexion sociologique
à caractère révolutionnaire, le monde à créer n’étant qu’inspiré par le passé, ce passé où le Breton
en toute impunité pouvait affirmer sa différence. L’enseignement de l’histoire lui confère une
légitimité que nulle autre matière n’eût pu lui apporter, dans la mesure où celle-ci est expurgée
d’une interprétation républicaine contraire à l’esprit de la nation bretonne. L’indépendantisme
s’inspire d’une quête existentielle, et distille un message aux dimensions spirituelles.
L’incarnation de cet élan novateur, le bouleversement qu’il implique, est porteur d’un message
transcendantal où l’espoir réside dans une nouvelle civilisation.

       A la recherche de symboles qui donneraient sens à l’idée de nation, la Bretagne érige
toute une panoplie d’artifices. Ainsi, depuis 1925, la Bretagne a son propre drapeau, le Gwenn-
ha-du (Blanc et Noir). Il fut créé par Morvan Marchal, le fondateur du mouvement Breiz Atao
(« Bretagne Toujours »), mouvement ethnonationaliste des années trente et quarante qui a, selon
Olier Mordrel1, « rouvert le livre » de l’histoire bretonne. Il fut, à l’origine, le symbole de

1
  MORDREL, Olier, de son vrai nom Olivier MORDRELLE (1901-1985). Fondateur de Breiz Atao et principal
idéologue de l’Emsav de l’entre-guerre, il entraînera le mouvement dans sa dérive fasciste. Condamné à mort, il se
réfugiera en Argentine, pour retrouver la Bretagne au début des années 70. Son engagement reste alors le même...


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ralliement des autonomistes de l’entre-deux-guerres. Il se compose de cinq bandes noires qui
symbolisent les évêchés de Haute Bretagne (Rennes, Nantes, Dol, Saint-Malo et Penthièvre) et
quatre bandes blanches pour ceux de Basse Bretagne (incarnant le Léon, la Cornouaille, le Trégor
et le pays Vannetais). Les bandes noires sur fond blanc rappellent les armes de Rennes. Le
Gwenn-ha-du reprend également dans sa partie supérieure gauche l’hermine qu’Anne de
Bretagne instaura au XVème siècle comme symbole héraldique du duché. Selon la légende, elle
choisit cet animal parce que sa blancheur symbolise la pureté : une hermine, alors traquée par des
chasseurs, s’arrêta devant une marre d’eau boueuse, refusant de souiller son pelage blanc. Il en
naquit une devise qu’Anne fit sienne : « plutôt mourir que d’être souillé. » Ce symbole
héraldique apparaît cependant pour la première fois en 1318, sur un sceau officiel du duché de
Bretagne. Anne est si présente dans les cœurs que l’on se plaît, ici, comme bien souvent, à croire
à la légende…
         Le Gwenn-ha-du est un symbole fort populaire. Il n’est point de commune bretonne qui
n’arbore fièrement son drapeau, ce drapeau qui orna pour la première fois la Maison de la
Bretagne à Paris, le 30 juillet 1937. A l’inverse, il demeure rare de trouver l’étendard tricolore
national en-dehors d’une victoire en coupe du monde de football. Celui-ci devient à nouveau le
symbole du jacobinisme oppressant les libertés locales… La Bretagne a pourtant un véritable
drapeau, le Kroaz Du, une croix noire sur fond blanc. Il fut accordé au duché en 1188 par le pape
Grégoire VII lors de la 3ème Croisade. Mais la collaboration du mouvement fut telle pendant la
deuxième guerre mondiale que le Kroaz Du est inévitablement associé aujourd’hui à la croix
gammée. Il est donc plutôt opportun de récupérer l’invention de Marchal. Les collectivités locales
le brantissent à leur tour pour représenter la région... A présent, pour juger de l’attachement des
Bretons à leurs couleurs, il suffit d’observer l’arrière des véhicules automobiles : un autocollant
brille de son éclat pour symboliser l’appartenance à la Bretagne, véritable marque identitaire dont
on s’enorgueillit afin de prouver sa bretonnitude et sa spécificité. Pour mettre en scène les
référents communautaires, on utilise les couleurs de l’étendard et, par exemple, une hermine
coiffée d’un chapeau rond. Mais le plus souvent, on peut lire ces trois lettres devenues signifiant
identitaire : BZH. Elles viennent d’un compromis entre « Brehoneg », l’orthographe du mot
« Breton » en vannetais, et « Brezoneg », l’orthographe des autres régions. ZH symbolise
l’identité bretonne. Dans un effort de vulgarisation, on retrouve le Gwenn-ha-du sur des
vêtements et des objets divers, afin de répandre le phénomène identitaire et culturel. Cette
démarche mercantile vise aussi des touristes crédules en quête de souvenir, qui propageront ainsi,
bien involontairement, l’idée d’une « nation » bretonne.
         Au-delà d’une référence historique, s’affirmer breton prend un sens contemporain. La
création du Gwenn-ha-du en est un parfait témoignage. On recherche un référent qui puisse
rassembler autour d’une bannière un sentiment national. Le drapeau breton est une création dont
l’objectif est de fédérer les indépendantistes et de provoquer une large prise de conscience du
peuple. Il s’inspire du modèle américain des bandes alternées, et, comme nous venons de le voir,
porte à la place des étoiles une série d’hermines en souvenir du duché. Le mouvement breton est
conscient que la société bretonne, dans un souci de cohésion, a besoin d’être valorisée. Pour se
faire, il faut mettre en valeur une image qui passe forcément, selon lui, par des symboles évidents
d’identification nationale. La Bretagne indépendante, retrouvant son passé glorieux, est le destin
certain de la région martyre. L’histoire est déjà écrite. La banalisation du Gwenn-ha-du de nos
jours et sa généralisation quasi officielle prouvent le pouvoir croissant des autonomistes sur une
opinion assez inconsciente des réels objectifs.
         Le costume connaît de nos jours un incroyable retour dans les habitudes vestimentaires,
dans une démarche purement différentialiste. Le costume est une image sociale ; c’est un


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marqueur d’ethnicité. Cette distinction par la parure s’est estompée en Occident. Mais, dans le
passé, elle a joué un rôle d’identification important chez les Bretons (chapeaux ronds et culottes
bouffantes pour les hommes, coiffes, robes et gilets brodés pour les femmes, sabots).
Aujourd’hui, cela n’est plus le cas. Le costume traditionnel masculin a complètement disparu. Le
costume féminin a résisté longtemps, mais n’est plus porté quotidiennement, seulement lors de
fêtes folkloriques ou de représentations et par des personnes d’un certain âge. Il y aurait 230
groupes de danse en Bretagne, regroupant 18 000 danseurs et danseuses, qui, l’été, présentent
leurs spectacles et défilent dans les rues en costume traditionnel. Une cinquantaine de festivals les
accueillent chaque année. Alors qu’on ne compte plus que quelques dizaines de femmes
bigoudènes à porter leur costume au quotidien, dont quelques-unes dans des publicités
télévisées... Selon Pierre-Jean Simon, ces costumes traditionnels sont d’apparition récente et
n’ont jamais été portés par l’ensemble des Bretons. Il y a un mythe du costume national breton,
comme il y a eu un mythe de la race bretonne. La création en remonte au XVIIIème et il s’est
généralisé au XIXème siècle. De plus, il s’agissait du costume d’une classe sociale, le milieu rural.
Et le costume n’était même pas commun à l’ensemble de la Bretagne rurale. Les costumes étaient
très divers et très localisés. Pourtant, des jeunes filles s’exprimant dans le journal Le Monde, se
parent aujourd’hui de costumes dits traditionnels et déclarent être fières de ce qu’elles sont
capables de faire, comme s’il s’agissait en soi d’un véritable exploit, et demeurent convaincues
d’affirmer ainsi leur être profond en exaltant leurs racines : « Quand on entre dans un costume,
on endosse tout cet héritage, toutes ces traditions. C’est un sentiment difficile à expliquer, on met
en avant notre identité, notre façon d’être et de penser. »
        En réalité, le costume semble n’avoir jamais été un élément important de l’identité
bretonne, sauf au niveau d’une image extérieure folklorisante et au niveau d’une certaine
mythologie du mouvement régionaliste. On lui attribue un caractère sacré. Et on l’exhibe, comme
le drapeau, en symbole de l’ethnonationalisme. L’habit devient lui aussi un symbole culturel et
idéologique. Et au-delà, dans l’ensemble de la société, des signes montrent une évolution sensible
des comportements, reliant la pratique sociale à des symboles purement politiques.
        Le Tartan est un kilt écossais, soit un « costume traditionnel ». Richard Duclos, un Breton
passionné par l’Écosse, décide en 2004 d’ouvrir rue du Maine à Paris « La Maison du kilt ». En
parallèle se crée une association rassemblant une centaine de Bretons porteurs de kilt, les
« Breizhlanders ». Pour parfaire la logique identitaire, Duclos conçoit un tartan breton, qui se
décline en trois types dont le premier, le tartan « National Breton » (sic), reprend le noir et le
blanc du Gwenn-ha-du, le bleu de l’Armor et le vert de l’Argoat. Cet exemple illustre
parfaitement la dérive absurde de la revendication identitaire qui, si elle peut réclamer l’usage
d’une langue en un lieu où elle ne fut jamais parlée, en vient à arborer des costumes
« nationaux » traditionnels là où jamais ils n’existèrent. Lorsqu’on lui demande, non sans un
certain humour, si le vent est le pire ennemi des Breizhlanders, Per-Vari Kerloc’h répond,
lyrique : « Au contraire, il donne la grâce. Il fait flotter les kilts, il fait flotter les drapeaux. Le
vent de l’histoire est avec nous. » Reste à se demander de quelle « histoire » il s’agit...

        Voyons le cas des divertissements et du sport qui, de tout temps, ont joué un rôle social
important et que le mouvement breton voudrait aujourd’hui relancer dans leur mode d’expression
traditionnelle : noces, foires, fêtes paysannes (fenaison, moisson, battage..), fêtes religieuses
(pardon, fêtes liturgiques..), tous ces grands moments dits communautaires étaient ponctués de
divertissements collectifs. La révolution agricole qui débute dans les années 50 provoque la
disparition de la société traditionnelle et avec elle, le déclin de ces divertissements. En 1978, on
comptabilise plus de 100 jeux bretons (jeux de force, jeux de bâtons, jeux d’adresse, jeux de


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Tant que t'es breton
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Tant que t'es breton

  • 1. Lionel Courtot « TANT QUE T’ES BRETON... » Petit essai lucide sur les dérives identitaires en Bretagne... 1
  • 2. A la mémoire de Gilles, un Breton au service de la France... 2
  • 3. Sommaire Introduction : Du bonheur de la victimisation Entrée en scène ; affirmation identitaire ou ethnodifférentialisme ; à la recherche d’une identité perdue... Chapitre premier : La quête d’une identité bretonne... De la magie druidique au miracle chrétien De la tradition littéraire orale à l’exaltation romantique d’un certain idéal De la musique traditionnelle à l’effervescence des fest-noz De la préservation du patrimoine à la nouvelle économie bretonne De la nation mythique à la volonté d’indépendance De la mystique bretonne au mouvement breton… Chapitre 2 : Les dérives du mouvement breton L’histoire comme référent identitaire La langue comme source de l’identité Le réflexe identitaire d’une région De la volonté d’autonomie à l’ethnonationalisme breton Les théoriciens radicaux de l’ethnodifférentialisme « Pour une république européenne et régionaliste » : de l’Europe des régions à l’Europe aux cent drapeaux Chapitre 3 : « C’est ici que commence l’Europe »... Construire l’Europe des peuples Le « destin » européen de la Bretagne « De l’élargissement de l’Union européenne à la nécessité d’une vraie régionalisation pour la Bretagne » Dernier Acte «Une furie particulariste, nationaliste, régionaliste, racialiste » La Bretagne malgré les Bretons Une obsession identitaire La découverte et l’ignorance... Un « con » de Français... 3
  • 4. Introduction : du bonheur de la victimisation Entrée en scène Notre arrivée à Quimper est mémorable, sous une trombe d’eau, la vieille Peugeot semble ne plus pouvoir arrêter les gouttes. Le vent est violent, le ciel si sombre... Ce soir, le spectacle se déroule rue du port, où cinq scènes attendent un public censé être nombreux. Or, tout est quasi désert. Nous dînons, comme trois pauvres hères, dans un petit restaurant déclassé, avec au menu, tout naturellement, des moules. Nous étions si impatients d’être là que tout devient pathétique, nous les premiers. Soudain, malgré le temps dehors, retentissent dans la rue les premières notes d’un bagad écossais déjanté. Le son nous arrive par les pieds, le sol tremble et le battement de nos cœurs s’accélèrent. Nous nous précipitons. Quelques fous hilares suivent des musiciens recroquevillés sous des sacs plastiques dans une ambiance survoltée. L’envie de jouer est la plus forte. Comme aimantés, nous les rejoignons aussitôt. Nous aurons bientôt l’occasion de le regretter. La pluie redouble d’intensité, c’est la fin du monde et nous sommes sur le bitume à accompagner des grognards des Highlands en kilts, sans même savoir ce qu’ils portent en dessous. Le déluge n’empêchera pas la fête. Nous sommes trempés jusqu’aux os, il fait un peu frais, nous tomberons sans doute malades, nous sommes libres et heureux, nous sommes en Bretagne, plus précisément aux légendaires Interceltiques de Lorient... Nous faisons, le lendemain, la connaissance d’un petit groupe fort sympathique qui nous accueille au camping avec des croissants pour le petit-déjeuner, vers midi. Nous tomberons amoureux, mais ça, c’est une autre histoire... En fin de programme de ce dernier jour de festival, les Djiboudjep, un trio de barbus célèbre en ces contrées, clôt comme de tradition l’évènement, avec ses chants marins. Passé l’après-midi sur la plage, à se baigner dans un océan déchaîné, nous revoilà dans cette ville où, cette fois, le public a envahi la rue. Aujourd’hui, le ciel reste plus clément, la cité est en pleine effervescence et l’excitation atteint son paroxysme. Dans la foule, nous croisons un groupe de skin-heads. Sans doute un pur hasard, nous n’en reverrons plus. Dans l’ensemble, la population est plutôt conviviale. La salle où a lieu le concert est déjà bondée. L’ambiance est bon enfant, la bière coule à flots... Dès que la musique débute, le public se met en ordre de marche et entame ce qui va devenir un vrai delirium collectif auquel nous participons allègrement. Toute l’assemblée, bras dessus bras dessous, reprend en chœur les paroles du large. Personnellement, je maîtrise bien ces gais refrains. Le contact est alors facile dans cet univers qui devient presque aussitôt familier : nouvelle occasion de rencontres, si simple, ici... Devant moi, une charmante demoiselle remarque ma connaissance des classiques marins. Elle se retourne vers moi à plusieurs reprises, le regard complice. C’est sur « Jean-François de Nantes » que nous faisons connaissance. Des sourires furtifs s’échangent, l’ambiance fait le reste... Elle disparaît tout à coup. Ma déception ne dure guère : la revoilà bien vite, le visage toujours aussi lumineux, qui tient à la main un grand verre. Je lui signifie discrètement mon plaisir de la revoir. Elle, un petit sourire en coin, me tend sa bière avec un geste sûr et avenant, quasi cérémoniel. Surpris, un brin intimidé, je prononce un sincère « merci ». Elle me répond, tout naturellement : « C’est rien, tant que t’es Breton »... ∗ Pourquoi s’attacher à un pays sinon parce qu’on y sent battre son cœur ? L’amour d’une terre vient de cette sensation étrange de communion mystique. Se tenir sur ce sol comme le chêne 4
  • 5. prend racine. Ressentir dans son corps un état modifié, comme si la conscience subitement quittait son hôte vers des lieux plus paisibles, vers une douce contrée où s’arrêterait le temps. Fermer les yeux pour ne plus rien voir d’autre que le paysage de nos songes, amplifier son espace et briser les limites, se sentir porté par un souffle et laisser l’azur nous guider. Là, retrouver les lieux de son enfance, être emporté par la ronde infernale des souvenirs et rêver d’une existence paisible. Rentrer au pays, et répondre à toutes les questions qui jamais n’obtinrent réponse. Comprendre que c’est là, dans cette maison où l’on a vu le jour, que l’on attend à présent l’ultime voyage. Se sentir en communion avec la nature, avec les éléments. Vivre enfin… Quand je rencontrai ce vieil homme à la barbe blanche tout droit sorti d’un vieux récit, il me tint à peu près ce langage, lui, l’ancien avocat devenu druide depuis peu, comme si l’âge fut une raison suffisante et nécessaire pour saisir que le sang qui coule en soi est celui des ancêtres et que ceux-ci naquirent en cet endroit hors du temps, dans cette vieille chaumière héritée. Il me parlait de la nature comme d’un ami fidèle, et de ses vertus ignorées, comme si j’arrivais d’un autre monde. Déboussolé devant cette sagesse étrange, je partageai un thé, aux plantes inconnues, pour retrouver une certaine contenance et poser mes questions. Je le considérai au début avec étonnement et sans doute avec condescendance, comme un ermite dérangé, un Panoramix au rabais dont la potion aromatique n’eut de magique que l’extrême chaleur qui me brûlait la langue. Ce druide à la voix éraillée, et singulièrement aiguë chez ce robuste personnage à l’embonpoint prononcé, m’émut certes, mais que répondre à sa déclaration de foi ? Quand il m’eut parlé de la Bretagne, je me sentis si frustré de ne point être breton ! La Bretagne, et plus particulièrement le Finistère, m’offrit moult occasions d’être étonné, ainsi de cet autre druide, professeur de Yoga, m’enseignant les rudiments de la métempsycose, ou cette vieille édentée, m’accueillant dans son logis tout droit sorti du Moyen-Âge, pour me conter ces légendes que les bibliothèques m’avaient décrites sans charme. Et ces heures à marcher sur les sentiers sinueux, à la quête du moindre menhir ou dolmen, ouvrages à la main. Ou encore ces vieux marins assis sur les quais, qui me racontèrent leurs exploits mythiques sans l’accent du midi, mais avec une faconde impromptue, amusante et touchante. Que dire de ces passionnés de chevalerie, qui reconstituent villages et scènes de vie médiévaux dans des costumes d’époque, ces musiciens et chanteurs si talentueux, inconnus ou célèbres, qui m’accordèrent de précieuses minutes, ces écrivains qui parlèrent de la Bretagne avec tellement d’éloquence, et finalement ces militants, qui me confièrent leurs états d’âmes et leur conception d’une Bretagne indépendante… On ne peut saisir la mentalité populaire qu’en pénétrant dans les mystères qui distinguent cette terre. Il faut assister à ces occultes cérémonies druidiques, à ces pardons si pieux, à un office de ce monastère de l’Eglise celtique orthodoxe, à ces fest-noz si nombreux rassemblant tous les âges, à ces fêtes traditionnelles en costumes habituellement rangés dans les salles de musées, il faut assister à cette ferveur populaire pour savoir que la Bretagne n’est pas une région comme les autres. C’est tout simplement cette singularité, cette particularité, cette âme, qu’il importe de découvrir, avant de constater l’émergence du débat politique sur les fondements de l’identité culturelle. Il faut faire cette découverte et ne pas rester dans l’ignorance... Il faut réaliser le poids de l’enracinement, et les risques du repli sur soi. Les druides ne sont pas tous, loin de là, de doux rêveurs et de gentils écologistes militants pour une nature propre ! Cet essai, issu d’une thèse, est avant tout l’histoire d’une rencontre. Une rencontre étonnante avec une incroyable région... Le propos, assez simple, se veut être un témoignage et l’expression d’une prise de conscience. Il permet l’analyse d’un mécanisme culturel que l’on ne peut saisir qu’avec un certain effort de discernement. Au cœur de la problématique, la question est simple : s’agit-il d’un réflexe identitaire ou bien plus, l’expression d’une forme de nationalisme ethnique dont l’influence ne cesse de prendre de l’ampleur ? 5
  • 6. L’affirmation identitaire ou l’ethnodifférentialisme « Je suis breton ! » La formule tombe, telle une évidence. Elle répond à la question posée sur les origines. Tout individu interrogé en Bretagne affirmera de la sorte : « Je suis breton ! » Mais osez demander ce que cela signifie et vous observerez à coup sûr un silence gêné, une hésitation agacée, puis obtiendrez en réponse un propos plus ou moins confus. Mais c’est ainsi. « Je suis breton ! ». C’est à peine si cela se discute... La question légitime qui se pose ouvre une perspective immense : que veut dire être breton ? L’unique certitude demeure l’idée d’une origine géographique. Mais dans un monde où les moyens de transport et de communication transcendent les frontières, est-ce encore un élément suffisant ? Derrière tout ceci s’annonce, en fait, la question contemporaine de l’identité. Le mot est lâché. Il tient régulièrement la chronique ces dernières années. On le met à toutes les sauces. On parle même d’une « hystérie identitaire », selon le titre d’un essai. Si le thème apparaît à la fin des années 70 dans les travaux scientifiques, l’identité est devenue depuis un sujet « tendance », un argument sociologique et politique abondamment utilisé. Pourtant l’identité, brandie aujourd’hui tel un slogan, pose de réels problèmes de contenu. La volonté de revendiquer une identité forte revient à vouloir insister sur ce qui fait la particularité de son être. C’est se revendiquer un « autre », un « différent », en mettant en avant sa culture propre. Plus on insiste sur ses traits spécifiques et plus on veut qu’une culture soit distinguée des autres. En cela, on s’inscrit résolument dans une démarche ethnodifférentialiste. La société moderne ne permet guère de limiter l’identité à une seule appartenance. Tout individu a de multiples appartenances. Refuser cela peut conduire à être obligé de choisir entre la négation de soi et la négation de l’autre. Le renouveau du spiritualisme breton peut s’exprimer en réaction au désenchantement d’un groupe, à son besoin de se définir socialement, culturellement, en opposition au modèle qu’impose la culture française dominante. La culture est une étape importante dans la découverte de soi, de ses origines, dans ce besoin de se définir un champ de références qui détermineront l’individu et lui permettront de se réaliser pleinement. Il importe de « s’assumer »... Connaître ses origines peut devenir un besoin psychologique essentiel. Si la culture est un fait collectif, à toute échelle les liens qui déterminent l’appartenance de l’individu à un groupe participent de la construction de son psychisme, de sa culture, finalement de son identité. Dans une analyse culturaliste, l’individu reste le garant d’une tradition et toute véritable culture est totalement intériorisée. La moindre rupture avec le passé entraîne un choc psychologique de type anomique où le sujet perd tout repère. Il subit une influence nocive d’un groupe dominant extérieur. Il renie ses origines et finalement, se renie lui-même. C’est ainsi que s’explique le renouveau culturel breton, par un besoin de retour vers le passé, de lien avec le passé. Le besoin de se trouver un quelconque enracinement temporel peut servir de repère existentiel. Le rapport au temps détermine alors l’individu, et le lien avec le passé dessine le destin de tout être. Le mouvement culturel puise sa source à différentes origines, son objectif ne demeure rien de moins que la survie d’une société spécifique. Selon le mouvement breton, la Bretagne vit de la tradition et de la mémoire, patrimoine des anciens. En perdant cela, elle n’aurait plus la possibilité de s’ancrer culturellement à travers l’affirmation de l’existence d’un peuple breton et ne serait plus, dès lors, 6
  • 7. qu’un simple territoire sans âme... Le mouvement breton prend alors corps dans le rejet du système politique français et par la stigmatisation de sa spécificité. Le mécanisme idéologique tendant à utiliser le matériau ethnologique à des fins militantes, à travers un ensemble d’associations ou d’organisations que l’on nommera, de façon générique, le « mouvement breton », dévoile une manipulation de faits dans une interprétation symbolique de ceux-ci : une relecture de l’histoire, par exemple, à travers le prisme des ethnonationalistes bretons. A la recherche d’une identité perdue... Au début du XIXème siècle, Napoléon avait fait interdire les prénoms bretons. Un siècle et demi plus tard, une véritable bataille juridique s’est mise en place pour les faire accepter de nouveau. Elle aboutit, en 1987, à la promulgation d’une loi les autorisant. L’ouvrage de Gwénnolé Le Menn, Grand choix de prénoms bretons, publié aux éditions Coop Breizh, est sous- titré « l’ouvrage de référence pour exprimer avec fierté vos racines et vos valeurs. » : si un nom permet en effet de distinguer les origines d’un individu, il serait de plus porteur de valeurs. Depuis dix ans, une mode de prénoms bretons s’est développée partout en France. Il est fort probable qu’elle fut motivée par l’originalité des prénoms : Erwan, Morgan, Mael, Corentin, Maïwenn, Tanguy, Gwénaël, aux côtés des déjà célèbres Gaël et Yann. Ainsi, aux quatre coins de l’Hexagone, se trouvent de jeunes gens qui n’ont de breton que le prénom. Si cette mode dépasse de très loin la simple origine bretonne, ne serait-ce pas du fait d’une dispersion culturelle qui peut s’interpréter, soit par le triomphe de la culture et par son expansion, soit par la dissolution de celle-ci dans la culture dominante, sans qu’il y ait une influence de la première sur la seconde ? L’image que nous laisse la Bretagne est celle d’une terre sauvage que nulle étude ne saurait domestiquer ; comme l’océan qui lui fait face, elle demeure un sujet infini. Il importe d’observer ses habitants peu loquaces, ces Bretons si particuliers au caractère tant affirmé, pour comprendre l’action d’un mouvement culturel et les conséquences politiques de son action. La Bretagne n’est pas un livre que l’on pourrait fermer sitôt lue la dernière phrase, elle est une histoire sans fin que l’on se raconte le soir à la veillée, un tableau aux couleurs changeantes, un spectacle saisissant à voir et à revoir jusqu’à en connaître par cœur la moindre scène, une sorte de journal intime dans lequel les souvenirs jailliraient en image. Dans ses souvenirs littéraires, Maxime du Camp notait que dès que l’on avait pénétré dans la Bretagne bretonnante, on se sentait dans « une région primitive »… Une région primitive ayant conservé intacte toutes ses traditions, tout un mode d’être et de penser qui la caractériserait ? Une région dont la langue vernaculaire déterminerait l’appartenance à la communauté particulière ? Une région qui se distinguerait encore aujourd’hui des autres ? Probablement. Il est indéniable, et quiconque fait un voyage en Bretagne bretonnante pourrait en témoigner, qu’il demeure là quelque chose de singulier, qui laisse au visiteur une étrange impression… Mais qui saurait dire quoi ? Serait-ce le paysage qui frappe la vue du nouveau venu ? Serait-ce le climat changeant qui perturbe le novice ? Serait-ce l’accueil froid de la population qui le met mal à l’aise ? Serait-ce l’expression vivace d’une culture distincte ?... Ne serait-ce d’ailleurs pas un peu tout cela, « une région primitive » qui aurait conservé une allure d’autrefois grâce à sa situation géographique et à la détermination de toute une communauté de pensée ? 7
  • 8. La Bretagne, la vraie, ne s’observe pas seulement, elle s’apprend. Elle s’apprend dans les livres, dans la parole des initiés… Elle n’est pas à la portée de quiconque : « La Bretagne se mérite ». Voilà ce qu’on lui dirait ici, à ce voyageur isolé, à cet individu curieux qui chercherait à comprendre… Mais ne s’agirait-il pas tout simplement d’une illusion, d’un rêve d’une terre isolée où le monde moderne n’aurait pas détruit tout des vestiges du passé et du mode de vie d’antan ? Le voyageur parti en quête « d’autre chose », fuyant son quotidien oppressant, étouffant, ne serait-il pas venu chercher ici ce que les légendes ont colporté jusqu’à lui ? Ne serait-ce pas une image bien précise, une caricature idéalisée de jadis qu’il serait venu quémander sur place ? Ne serait-ce pas son inconscient qui lui dévoilerait une vision idéalisée de la Bretagne, synonyme de liberté, celle qu’on lui a promis de retrouver, s’il osait entreprendre le voyage initiatique… S’il découvrait, ce visiteur impatient, que tout cela n’est qu’un mythe, que tout ce qu’on raconte n’est que le fruit de l’imagination des conteurs, que tout n’est que fiction? Que se passerait-il si l’homme de passage, celui que l’on nomme ici le « touriste », découvrait que bientôt plus personne ne le parle, le breton, que le costume traditionnel ne se porte qu’en exhibition lors de fêtes exceptionnelles, que les crêpes se mangent aussi bien ici que Place Saint Etienne à Strasbourg… Que dirait le touriste s’il découvrait une Bretagne devenue une terre comme une autre, où il ferait certes bon vivre, mais où la culture, mondialisée, ne se distinguerait plus guère ? Reviendrait-il, le touriste ? Assurément. Car la Bretagne reste la Bretagne, une terre complexe où les hommes semblent sculptés dans les éléments. Et notre ami, comme tous les habitants de ces contrées, ne se découragerait pas, il se remotiverait et, déterminé, partirait alors à la recherche d’une identité perdue… 8
  • 9. La quête d’une identité bretonne Vent norois, pluie fine, embrun iodé et chant des mouettes… Au loin une harpe celtique murmure une céleste mélodie… Parler de cette terre, c’est un peu raconter des sensations, se remémorer un contact physique et ressentir une étrange émotion. Parler d’un amour, et s’emporter dans un lyrisme qu’inspire l’enthousiasme de ses sentiments et la plus douce des passions. Poser les pieds sur ce sol condamne à devoir un jour y revenir, ne serait-ce que pour goûter à nouveau le pouvoir onirique de ces lieux. Mais les sentiments sont subjectifs, et d’aucuns n’y trouveront peut-être qu’humidité et vent glacé… La démarche culturelle est le premier postulat de la reconquête politique. Une culture est le fruit d’un passé commun, la marque du temps et la conscience d’une mémoire collective. Attachée à un milieu social, récupérée et interprétée par celui-ci, elle alimente en vocation le militantisme politique. Terre de tradition maritime, la Bretagne fut toujours en proie aux caprices de l’océan. Confrontée sans cesse aux périls, rompue à lutter contre la nature, elle fut encline à l’acceptation de la fatalité et sujette aux croyances. Mais la culture évolue et s’adapte aux vicissitudes du temps. Soumise à l’histoire, elle conserve les traces du passé dans son rapport au présent, et envisage le futur comme la réminiscence d’une inaliénable caractéristique identitaire. C’est par elle, dans son essence même, que se nourrit le particularisme breton. La mentalité populaire revendique cet attachement culturel qui traduit une reconnaissance existentielle des Bretons eux-mêmes. Attentive à cette spécificité, l’aspiration à l’autonomie ou à l’indépendance politique est une évolution logique, chez des individus marqués culturellement et socialement par cette distinction. L’exigence du particularisme prend naturellement forme, comme relevant d’une évidente adaptation de la société. L’expression artistique de ce vaste univers culturel reflète une sensibilité que l’on ne peut saisir, si l’on ne fait pas l’effort de s’adapter aux milieux naturel, social et spirituel de la Bretagne, pour comprendre, ou chercher à comprendre, les ressorts coutumiers d’une tradition culturelle qui puise dans toutes ses racines pour définir et déterminer son identité même. De la magie druidique au miracle chrétien La Bretagne est une terre dont la richesse spirituelle est le fruit d’une confrontation entre l’ancienne religion païenne et le christianisme qui germe au Moyen-Âge, et offre au monde le prodigieux spectacle de la Matière de Bretagne, subtile mélange de l’héritage celtique et de la symbolique chrétienne. La société celtique se décompose selon le schéma trifonctionnel établi par Georges Dumézil. L’idéologie des trois fonctions, sacerdotale, guerrière et productrice, est un phénomène religieux préchrétien qui influence toute la société médiévale, et en particulier la Bretagne où le rôle des druides1, relevant de la fonction sacrée, a longtemps perduré. Si la religion chrétienne a réussi à maintenir sa prééminence jusqu’à ce jour, on peut constater, depuis le début du XXème siècle, le réveil, en Bretagne, de coutumes que l’on croyait disparues. Celles-ci mettent en scène 1 Druide, du celtique druwides, signifie « le très savant ». 9
  • 10. le renouveau païen dans une réflexion philosophique et spirituelle, qui correspond aussi à l’éveil d’une prise de conscience politique sur les fondements mythiques d’une « nation » bretonne qui, n’ayant jamais existé, prend cependant forme dans l’esprit du mouvement culturel et politique breton. Inspirée par tout un univers mythologique, l’idée d’une « nation » se constitue sur les traces de la civilisation celtique. Si « L’histoire est accidentelle, le mythe est éternel1 » ; il est donc tout à fait possible d’imaginer la cosmogonie d’une nation celte en se ressourçant dans le passé. Le renouveau du druidisme traduit un regain d’intérêt pour la tradition ancienne et exprime une quête existentielle à caractère philosophique, mais aussi une ambition politique. L’organisation sociale celtique fut bouleversée par l’invasion romaine de la Gaule. Puis le christianisme asséna un coup fatal à la pratique du druidisme qui se maintint seulement en Irlande non conquise. A la fin du XVIIIème siècle, on entrait dans la période du Romantisme qui se passionna pour la Bretagne et la tradition celtique. Deux siècles plus tard, les Celtes se réunissent à l’Eisteddfod de Cardiff (assises ou réunion de bardes-poètes et musiciens) et, le 1er septembre 1900, est créé le Gorsedd (rassemblement) d’Armorique, dont les grands druides seront toujours des acteurs de l’ethnonationalisme breton. Le Gorsedd s’organise en trois ordres : les druides ou prêtres ; les bardes, poètes- musiciens ; les ovates, sorte de scientifiques. Son but est de défendre, mais aussi de faire renaître l’esprit celtique. Pour cela, il œuvre dans un premier temps à la défense de la langue, de la littérature et des particularités bretonnes. Il vise aussi à créer un lien avec les pays celtiques. La seule condition que l’on tente d’imposer pour entrer au Gorsedd, que dirige le Grand Druide Gwenc’hlan Le Scouezec, c’est sans surprise de parler breton ! Enfin, d’essayer… L’année celtique est divisée en quatre saisons, dont chacune débute par une fête placée sous la protection des dieux. Moments forts du calendrier, les fêtes solaires et cosmiques, Solstices et Equinoxes, sont l’occasion de rassemblements et de gaies libations autour de grands feux. Les Celtes aimaient ripailler de bon cœur. Réputés bons buveurs, ils consommaient vin, hydromel et cervoise. Or, ce sens inné de la fête, cette propension à se rassembler, à partager dans la liesse la ferveur populaire, est un trait de caractère sociologique contemporain. Le taux très élevé d’alcoolémie en Bretagne semble donc être un vieil héritage, de même que cette faculté à rassembler le peuple autour d’événements plus ou moins solennels, dans le but de préserver la cohésion sociale. Le druidisme est une tradition et implique forcément une réflexion sur le passé. Il répond à un besoin qu’éprouvent certains de retrouver des racines, de se ressourcer au plus profond d’eux-mêmes. Il ne se limite pas seulement à la culture celtique mais suit une voie spirituelle qui trouve le divin partout dans la nature. Aujourd’hui, une partie du druidisme inclut le monothéisme. Celle-ci est le produit d’une évolution théologique, la rencontre de deux traditions dans un mouvement d’ordre philosophique. Elle s’oppose radicalement à la mouvance néo- païenne de stricte obédience celtique animiste. L’approche du druidisme correspond à une longue initiation, afin d’accéder à une expérience mystique qu’il est difficile d’assumer dans le monde occidental contemporain. Le druidisme doit adapter les mythes à la modernité et trouver un équilibre entre l’ésotérisme et l’expérience spirituelle individuelle. Mais le risque d’un débordement fanatique existe. L’interprétation de la tradition peut entraîner toutes sortes de dérives incontrôlables, dans la mesure où il n’existe aucune certitude quant au dogme lui-même, 1 Christian-J GUYONVAR’H et Françoise LE ROUX, La civilisation celtique, Éditions Payot et Rivages, Paris, 1995, p.115. 10
  • 11. l’absence d’écriture entraînant une observance hypothétique du culte. L’ésotérisme druidique se déchiffre avec les sens et relève d’une expérience intérieure. Ainsi planent encore un mystère et des inquiétudes sur l’évolution du druidisme actuel. Le problème ne réside pas dans l’héritage dont il se revendique, mais dans l’usage contemporain qui en est fait. Le druidisme mène une lutte acharnée pour la langue bretonne. Dès la fin du XIXème siècle, il fut le vivier de l’ethnonationalisme breton. Son caractère initiatique dissimule aujourd’hui une société secrète. Les différentes confréries instituent leur propre rituel et développent leurs propres dogmes. La sagesse druidique est synonyme de liberté et la quête mystique d’éternité, de quoi inspirer l’idée d’indépendance de la Bretagne… Il ne fait aucun doute que certains néo-druides recherchent sincèrement à comprendre les croyances anciennes ; mais se prétendre aujourd’hui druide, dans une société qui n’a rien de celtique en dehors de quelques appellations modernes plus ou moins folklorisées du type musical, est déraisonnable. Leur démarche s’explique avant tout dans une logique néo-païenne de quête de la « véritable » spiritualité occidentale... * A partir du VIème siècle, des moines ermites venus d’Irlande s’installent en Bretagne. L’Armorique est peu peuplée et les migrations se succèdent alors. Les moines, sitôt installés, édifient, en opposition au clergé gallo-romain, des paroisses et abbayes (ils leur laisseront en prime leur nom) et fondent le christianisme celtique. Sous l’Ancien Régime, la paroisse est le centre de la vie sociale, que l’on ne peut dissocier de son cadre spirituel. La dévotion est forte et les vocations nombreuses. Il y aura deux fois plus de prêtres en Bretagne que dans le reste du pays. L’investissement de toute la paroisse dans la construction et l’embellissement d’un édifice religieux est mû par un élan spirituel et une fierté collective. La maison de Dieu devient la maison du peuple. L’art breton s’érige sur un fondement métaphysique. Dans une société où le « Beau » fait figure de sacré, les paroisses rivalisent d’originalité et de talent. Malgré des influences artistiques anglaise, normande ou flamande, il demeure un art breton spécifique. Dans un univers qui côtoie aisément le surnaturel, la vie quotidienne se déroule sur fond de magie. La nouvelle religion s’inspire des vieilles croyances. Les saints locaux sont les souvenirs des divinités du polythéisme antérieur. Les lieux sacrés sont établis sur d’anciens lieux de cultes païens, souvent près de fontaines où coule l’eau vénérable, source de pureté, de puissance et de l’imaginaire celtique. La statuaire met en scène le Christ, la Vierge, les Apôtres et les saints locaux. Bien souvent, autre caractéristique des Bretons, la décoration illustre la mort, dans une iconographie terrifiante. Le calvaire remémore la Passion du Christ et assure de la Rédemption. Les tombes toutes proches gisent dans l’enclos paroissial. Souvent de style gothique, les églises sont construites en granit, dont la couleur grise, sous la pluie, laisse une impression de mélancolie. Les chapelles bâties en bord de mer et soumises aux caprices du vent et des embruns iodés offrent des vues magnifiques. La croix chrétienne se mêle aux traditions picturales celtiques de la spirale et de la roue. Les symboles véhiculent une allégeance double, preuve d’une évolution théologique qui caractérise la foi bretonne. La croix celte, au faîte de chaque édifice et même de certains menhirs, prouve l’évolution des croyances qui leur permet de ne pas sombrer dans l’oubli. Cette terre revendique plus de 800 saints, que Rome ne reconnaît pas, en-dehors de quelques cas. Les saints font l’objet d’une vénération particulière. On se réfère à leur pouvoir pour exaucer un vœu, pour vaincre une maladie ou la stérilité, pour bénir une naissance, un mariage, ou pour protéger un défunt. Le culte d’un saint guérisseur reprend la tradition de la 11
  • 12. fontaine miraculeuse, où l’eau, symbole œcuménique, est porteuse de pouvoirs extraordinaires. Le Saint est une sorte de totem qui veille sur toute la communauté. Le plus célèbre est saint Yves : juriste devenu prêtre et avocat des pauvres, il est canonisé en 1347. Son souvenir demeure et son culte reste très populaire. Il est célébré lors du Pardon des pauvres, le 19 mai, près de Tréguier. Les moines fondateurs des évêchés, Samson à Dol, Corentin à Quimper, Patern à Nantes, Tugdual à Tréguier, Pol-Aurélien, Brieuc ou Malo, dans les villes qui portent leur nom, témoignent des origines de la christianisation. Ils sont des « figures emblématiques de l’identité bretonne » et sont considérés comme « les pères de la nation » par le Comité Régional du Tourisme, tandis que le Comité Départemental du Tourisme du Finistère les qualifie de « pères de la petite patrie », et celui des Côtes d’Armor de « fondateurs de la Bretagne », dans des brochures promotionnelles. Une mystique aux vertus identitaires certaines, que l’on retrouve encore dans le culte de Sainte Anne qui « participe véritablement à la conscience bretonne ». Grâce à Sainte Anne, la Bretagne détient d’ailleurs un monopole mondial, puisque le village de Sainte Anne d’Auray est, en effet, selon le Comité départemental du tourisme, « le seul endroit au monde où notre illustre aïeule, la mère de Marie est apparue ». Le culte des sept moines fondateurs se perpétue dans le Tro Breiz, ou Tour de Bretagne, un grand pèlerinage qui relie chaque évêché dans une ferveur spirituelle rare. Son origine remonte au Moyen-Âge. La foi et le patriotisme étaient tellement mêlés que les autorités royales interdirent le pèlerinage. A la fin du XXème siècle, une association le fait revivre sous une forme moins religieuse, sur le chemin d’une Bretagne en pleine renaissance... Chaque année, le nombre des participants augmente, comme si la région devenait à présent le symbole de la ténacité d’une religion en déclin. A moins que, là encore, le besoin de communion avec le passé ne soit la seule raison. Les nombreux pèlerinages qui sillonnent la Bretagne (la liste serait trop longue à dresser), reflètent ainsi la piété populaire, et leur but est de rendre hommage aux saints protecteurs, le jour de leur fête. Dans cette cérémonie qui débute dans l’église, puis se poursuit par une procession sous les bannières, pour s’achever devant les reliques du saint, dans l’église ou sur son tombeau, dans la solennité du moment, des drapeaux bretons sont brandis, tandis que l’on distribue dans la foule des tracts indépendantistes et que Paris, pour l’occasion, devient une quelconque Sodome… On pourrait, en fonction des drapeaux et bannières fièrement brandis, classer les participants en trois catégories : les écologistes, les ethnonationalistes et, tout de même, les catholiques, confirmant ainsi le sentiment d’une politisation croissante de tous les facteurs culturels bretons, même spirituels, le Tro Breiz se donnant à voir comme l’affirmation renouvelée d’une identité bretonne. Quoi qu’il en soit, la ferveur des rassemblements religieux est plus aujourd’hui un signe culturel que cultuel. La question des rapports entre religion et identité bretonne est le cadre des recherches de la section « Religion » de l’Institut culturel breton, notamment « les formalisations théoriques élaborées par le mouvement breton d’inspiration catholique » dont l’adage est resté célèbre : « Ar brezhoneg hag ar feiz zo breur ha c'hoar e Breizh : le breton et la foi sont frère et sœur en Bretagne ». L’inventaire des travaux de cette section montre l’importance de la religion dans la société bretonne. Le séparatisme en Bretagne insiste sur les origines spirituelles de la région pour justifier une émancipation salvatrice. L’histoire de l’Occident reposerait sur l’affrontement entre le monde celte et le monde latin. Ce dernier serait au fond coupable de tous les maux. Dans la logique du mouvement breton, tout ce qui peut contribuer à légitimer la lutte contre la France se justifie. Il faut procéder à un retour aux sources qui permettrait d’ancrer le renouveau breton dans un cadre 12
  • 13. spirituel et politique des plus légitimant. Le combat contre le jacobinisme doit se mener en priorité sur le terrain des revendications culturelles et identitaires, il importe, comme l’écrit Bothorel, de « considérer culturellement et spirituellement la Bretagne comme entité particulière. » De la tradition littéraire orale à l’exaltation romantique d’un certain idéal En 1977, Xavier Graal écrivait dans un essai resté célèbre, Le cheval couché : « Nous avions cru, à la lettre, que "Bretagne est poésie" et nous formions le projet de poétiser tout ce que toucherait toute notre fébrile curiosité. » L’auteur, qui s’autoproclamait « barde » et dénonçait une Bretagne qui ronronnait depuis des siècles « sur la couche de sa prudence, dans le lit clos de sa résignation », révélait ainsi tout ce qu’est la littérature pour l’expression symbolique du mouvement breton... Il est assez malaisé de se représenter aujourd’hui ce qu’étaient les bardes dans la civilisation celtique, loin du stéréotype riche d’humour concocté par Uderzo et Goscinny dans les aventures d’Astérix, les bardes avaient un rang élevé dans la société. Musiciens, artistes complets ancêtres de nos intermittents du spectacle mais mieux reconnus pour leurs talents, les bardes étaient avant tout les chroniqueurs de leurs temps, les dépositaires de la culture celtique. Ils sont les ancêtres des chanteurs bretons, des chantres d’une « culture minoritaire oppressée », ou du moins en voie de disparition, c’est-à-dire les derniers représentants d’une tradition artistique très ancienne qui ne conserve à ce jour, de sa singularité ancestrale, que l’usage de la langue bretonne. Tout poète ou chanteur breton est nommé barde aujourd’hui, et ce quel que soit le contenu de son œuvre. Les bardes ont transmis un riche patrimoine qui fait aujourd’hui la fierté des Bretons et contribue largement à la spécificité culturelle de la région. Les bardes, qui sont donc les poètes bretons, ont écrit les plus belles pages lyriques glorifiant une nature sauvage et mystérieuse… tout en réalisant bien vite la spécificité des lieux et des autochtones, et leur propre « mission civilisatrice ». Pour le mouvement breton, la tradition bardique permet la révélation d’un passé culturel, celui qui fait défaut aux historiens. Très vite, le rôle de l’écrivain est devenu politique. Grall va jusqu’à dire que les « premiers poètes maudits d’Occident sont les poètes bretons ». L’art des bardes devient le signe d’une culture à part qu’il faut préserver. L’écriture est le symbole de la liberté. Il faut éveiller le peuple, lui enseigner l’ivresse du large qui détermine le Breton en opposition aux Français des terres intérieures. C’est la volonté de préserver une différence et la nécessité absolue d’être totalement libre qu’il faut apprendre au peuple, à tous ceux dont l’identité culturelle pourrait ne pas relever de soi. Il faut rêver la Bretagne, et même la rêver comme elle n’a jamais existé ; selon Grall, « Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient d’abord été imaginées ». * Il incombe traditionnellement aux anciens de transmettre leur savoir oral, souvent le soir, devant la chaleur d’un feu de cheminée, lorsque toute la famille se réunit pour entendre les récits qui ont fait et font encore le charme et le mystère de la Bretagne. Dans chaque chaumière, on possède sa propre version d’une même aventure… Le passé de la Bretagne, son histoire plus ou moins mythifiée et l’ensemble de ses traditions préservées définissent un espace spirituel dans 13
  • 14. lequel des récits fabuleux ont prospéré, toute une dense littérature orale, composée de contes, légendes et chants. Ainsi, jusqu’à un passé récent, se racontent, à la veillée, les aventures de la fée Mélusine ou de la submersion de la ville d’Ys… En 1833, Emile Souvestre révèle, dans La Revue des Deux Mondes, l’existence de la « poésie populaire », qui fut longtemps ignorée des élites. En 1844, après un essai ethnologique, Les Derniers Bretons, il publie Le Foyer Breton, un recueil de contes folkloriques pour lequel on lui reproche son manque de rigueur scientifique, et de réécrire les récits populaires recueillis à la veillée dans une mise en scène littéraire. Anatole Le Braz, au début du XXème siècle, donne néanmoins à son tour des versions littéraires des us et coutumes qu’il étudie dans ses essais ethnographiques. Mais dans la même logique, c’est en 1839 qu’un événement littéraire bouleverse la tranquille Bretagne : la parution du Barzaz Breizh, recueil de « chants populaires de la Bretagne », couronné par l’Académie française en 1847. Il s’agit du premier recueil de chants populaires publié en France qui témoigne du « génie poétique de la Bretagne ». Son auteur, Hersart de La Villemarqué (1815-1895), vicomte, rêve d’un retour au passé glorieux de la Bretagne catholique et monarchique, avec ses privilèges et ses anciens États. Il réhabilite dans son œuvre les héros de l’histoire bretonne (Nominoé, Jean IV, Cadoudal…) au travers de « gwerziou » et « sonniou » recueillis auprès de paysans de Basse-Bretagne. A sa parution, des critiques émettent des doutes sur la valeur des transcriptions et des interprétations de chants, dont la langue, trop littéraire et empruntant à d’autres langues celtiques, est assez éloignée des chansons populaires. Accusé d’avoir inventé lui-même les chants les plus édifiants, La Villemarqué ne réagit pas. En 1964, un jeune chercheur, Donatien Laurent, aurait découvert ses carnets manuscrits originaux, mettant fin à la polémique en le disculpant. Pour de nombreux spécialistes, cependant, le Barzaz Breizh est le fruit d’une totale remise en forme de matériaux bruts et devient critiquable par rapport aux exigences en matière de publication de textes oraux. Expurgé, le récit, selon Francis Gourvil, ne serait ni un modèle de pureté linguistique ni l’expression du « génie de la langue ». Le Barzaz Breizh séduit les Romantiques qui se passionnaient pour la poésie, les légendes et l’histoire celtiques, Georges Sand allant jusqu’à comparer le Barzaz Breizh à l’Odyssée. Xavier Grall, plus d’un siècle après la parution, n’hésite pas à faire du recueil le véritable « Ancien Testament » breton ! L’important, pour les « nationalistes », était de constituer une littérature en langue bretonne à l’égale de celles des autres pays d’Europe. A l’époque du plein essor du Folklore, le Barzaz Breizh devient le symbole du renouveau breton… Dans l’entre-deux-guerres, un groupe de scientifiques relance l’enquête de terrain et la collecte des récits. Ils sont soutenus par le mouvement breton qui, dans la période plutôt « inconfortable » de l’après-guerre, trouvera dans la culture populaire un moyen simple et efficace de s’exprimer. On assiste alors à l’éclosion de l’apprentissage de la langue bretonne, dans des structures regroupées dans la fédération Kendalc’h (Maintenir). Le répertoire traditionnel s’enrichit grâce aux matériaux modernes de collectage permettant un enregistrement sonore. Les folkloristes conservent ainsi les témoignages d’une vie quotidienne aujourd’hui disparue, il perpétue le souvenir, la mémoire... d’un peuple. La ferme volonté de préserver la tradition orale est autant symbolique que politique. Elle est en effet à la source de la sauvegarde de la langue locale et témoigne des liens entre le milieu culturel et le mouvement breton. Les légendes et les mythes interprètent des thèmes ancestraux ancrés dans la tradition littéraire. Leur interprétation demeure assez libre, susceptible de significations variées exaltant d’autres époques. Ils sont un lien social avec le passé. Ils prennent parfois une dimension 14
  • 15. caricaturale. Le symbole de la Bretagne n’a-t-il pas longtemps été la gentille Bécassine ? L’importance des conteurs et de leur témoignage est défendue aujourd’hui par Gwenc’hlan Le Scouëzec, qui insiste sur la valeur sociale accordée aux bardes et à leurs paroles, qui, sur terre comme sur mer, rappellent des faits expliquant coutumes et traditions. Ils sont ainsi la mémoire du peuple. Mais Le Scouëzec, grand druide du Gorsedd breton et bien étrange personnage, annonce, à travers eux, le retour du roi Arthur. Les bardes aujourd’hui chantent et écrivent, et sont la conscience du peuple. Ils contribuent, selon lui, à la renaissance de la nation et du peuple breton. A travers les époques, l’univers culturel se déplace pour se reconstituer chaque fois dans un contexte où les valeurs demeurent identiques : l’exaltation d’un certain idéal social. On retrouve cette thématique dans un registre politique qui emprunte à la tradition littéraire les vertus légitimant un comportement héroïque de l’individu, dans un combat récurrent jugé estimable : la résistance face à l’ennemi héréditaire, la France. Il s’agit d’une projection dans le temps, dont le but, plus ou moins conscient, est de rendre juste une action surannée ou devenue impopulaire. On se réfère à un passé illustre dans un but d’édification. La méthode est classique et très efficace. Elle aboutit parfois à une forme de fanatisme, chez des militants soucieux de retrouver un contexte mythifié aujourd’hui disparu, la conjoncture actuelle n’étant qu’une sorte de purgatoire, dont la peine s’achèvera par l’exaltation de vertus héroïques qui mèneront au nécessaire combat et à la victoire finale. Si la dimension culturelle de la revendication politique bretonne est fondamentale, l’analyse est délicate à entreprendre et ne doit être soumise à aucune généralisation, mais seulement relever d’une attention particulière et d’une critique rigoureuse que d’aucuns évitent précautionneusement aujourd’hui, afin de ménager les susceptibilités. La dimension politique dans l’expression littéraire de la culture bretonne explique que tant d’écrivains bretons soient aussi des militants actifs du mouvement. De la musique traditionnelle à l’effervescence des fest-noz Dans sa quête à la recherche de ses racines profondes, le mouvement breton contemporain se doit de défendre autre chose qu’un sol, qu’un territoire. Sa mission bien plus « évangélique », en référence aux textes « sacrés » des anciens, est de faire revivre ce qui fait l’identité concrète du peuple, l’expression même de son âme, à savoir sa musique puisée au fin fond des âges... Une musique qui récemment encore, pour un peintre chinois, He Yifu, de passage dans la région, est « le reflet de la vie et des sentiments du peuple breton. » L’enjeu est tel qu’il fait dire, en 1914, à un musicien de Vannes, qu’« après le départ du biniou et de la bombarde, nous verrons disparaître la langue, les costumes... et ainsi progressivement, hélas ! les Bretons deviendront Français. Plaise à Dieu que cela n’arrive jamais ! » Sa prédiction, « hélas », se vérifiera bientôt. Au début du XXème siècle, les premières fêtes touristiques vantant l’aspect « pittoresque » de la Bretagne font leur apparition. Elles mettent en scène une culture rurale dite populaire, incarnant l’identité bretonne, en opposition à la culture citadine, bourgeoise et « parisienne ». Les fêtes fleurissent dans les stations balnéaires dès 1905, à l’exemple du « Pardon des fleurs d’Ajoncs » de Pont-Aven, organisé par Théodore Botrel. Ce dernier, célèbre chansonnier né en Bretagne, est un patriote français, au grand dam du mouvement breton qui concentrera sur lui ses 15
  • 16. foudres. On ne lui pardonnera jamais, entre autres, sa fameuse exclamation : « Vive notre petite patrie ! Gloire à la Grande ». Loin de remonter dans le temps, le premier groupe folklorique, à Bannalec, ne date que de 1902, et le premier « cercle celtique », à Paris, de 1911. Leur naissance correspond à l’émergence du mouvement breton qui voit de suite en la musique l’élément fondateur de son action. C’est par elle que doit s’exhaler le sentiment national. Le cercle celtique de Rennes devient d’ailleurs « l’école de la fierté bretonne. » Le mouvement breton, soucieux de préserver l’image d’une Bretagne éternelle, soutient les sonneurs pour promouvoir ses idées. Les premiers concours de musique traditionnelle voient le jour, à l’instigation du premier parti autonomiste, l’Union régionaliste bretonne, dès 1892. Quelques décennies plus tard, l’événement le plus important pour le développement du mouvement breton est la création, en 1943 à Rennes, de la Bodadeg ar Sonerion ou BAS, (l’Assemblée des Sonneurs de Bretagne) par Polig Montjarret. Elle regroupe de jeunes sonneurs dans des ensembles nommés bagadoù (pluriel de bagad), composés de bagpipes, de bombardes et de batteries écossaises. Leur succès est exceptionnel auprès du public et des jeunes auxquels ils redonnent la fierté de jouer une musique traditionnelle. L’objectif est donc atteint, le mythe de la Bretagne éternelle est né. Le bagad colle à jamais (du moins aujourd’hui encore) à l’image de la Bretagne... Cette réussite exemplaire fait des émules jusqu’en 1950, date à laquelle se crée la fédération Kendalc’h, qui rassemble l’essentiel des composantes du mouvement culturel breton. En quelques années, les musiciens et danseurs deviennent les acteurs d’une multitude de fêtes folkloriques, durant lesquelles on peut constater toute la richesse du patrimoine. En 1972, dans une période de collectage moderne, se crée le groupe « Dastum » (recueillir), qui édite les « cahiers de musiques traditionnelles » comprenant partitions, textes en breton accompagnés de traductions et des enregistrements sur cassette, bande ou disque, en offrant ainsi la possibilité d’apprendre ou d’enseigner la musique traditionnelle. Dans la logique du mouvement breton, ils créent la première « phonothèque nationale de Bretagne. » Le renouveau culturel est prêt à démarrer : la musique traditionnelle est loin de disparaître, premier succès du mouvement ; à présent, la chanson « made in Bretagne » n’attend plus que son heure de gloire… * Au fil du temps, selon l’inspiration, toute une série de danses a vu le jour, en s’adaptant à une musique traditionnelle instrumentale et vocale qui existait déjà. C’est pourquoi de nos jours, les danses populaires bretonnes, d’une assez grande diversité, sont couramment pratiquées par tous. C’est dans la région des monts d’Arrée, au centre de la Basse-Bretagne, que la langue bretonne est la mieux conservée, que l’activisme politique est le plus fort et c’est aussi là que la danse et les chants traditionnels sont le mieux préservés. Au lendemain de la deuxième Guerre Mondiale, le mouvement politique breton, collaborateur zélé des nazis, va subir un rejet de la part de la population. Les passionnés vont alors se tourner vers les activités culturelles. Dès les années 50, les « cercles celtiques » vont connaître un incroyable essor. Ils joueront un rôle essentiel dans l’éducation musicale de la jeunesse. Dans un second temps, apparaissent les fest-noz, ou fêtes de nuit, où le mélange des générations, la danse en chaîne et « le sentiment de fusion communautaire », comme le dirait Ronan Le Coadic, lui donnent sa singularité… Cette tradition héritée de la vie paysanne, qui rythmait la vie des travaux agricoles, va perdurer et évoluer : la fête de la collectivité rurale va 16
  • 17. progressivement s’ouvrir à toute la population et prendre possession des espaces publics. Elle est le moyen de transmettre une coutume paysanne à la population urbaine, dans une société marquée par un important exode. A une période transitoire où le doute est grand dans une société en totale mutation, la fête apparaît comme une bénédiction, un moment privilégié rassemblant, dans une magnifique communion, une jeunesse empreinte de liberté et des anciens soucieux de conserver leurs us. Elle bénéficia d’un formidable écho dans les années 70, dans la période qui suivit la révolution de Mai, les esprits étant alors sensibles à un retour aux sources par rejet de la société de consommation de masse. Le succès est certes immense, mais il va dénaturer le contenu traditionnel. Certains fest-noz ressemblent plus aujourd’hui à des bals bretons, à vocation purement commerciale, qu’à des messes culturelles traditionnelles. Ils demeurent cependant une véritable institution. Les années 60 marquent une étape importante pour une expression musicale dont la portée ne cesse de croître. Pour le mouvement breton, il importe de faire revivre le patrimoine avec le bain de jouvence de la modernité, et non se complaire dans une quelconque nostalgie. Il s’agit de se redresser et de retrouver une fierté collective. Les paroles des chansons nouvelles clament avec force le rejet de la société de consommation et louent avec détermination la société traditionnelle, source de bien-être et d’équilibre. « L’oppression » que subit la Bretagne encourage l’action militante culturelle. Les années 70 sont marquées, dès leur début, par un intérêt hexagonal sans précédent pour la musique bretonne. Glenmor, premier barde du renouveau breton, Gilles Servat, celui qui a « osé » et qui compare les Bretons aux Indiens d’Amérique du Nord, Alan Stivell, qui redonne vie à la harpe celtique, Tri Yann, « le plus vieux groupe de rock français », comme s’amuse à le répéter son leader charismatique Jean-Louis Jossic, apparaissent dans le répertoire et triomphent au son de leur voix révoltée ; ils deviennent, portés par la « vague soixante-huitarde », les chantres de la contestation : ils sont les nouveaux baladins de la cause bretonne qui, de scène en scène, encouragent les foules à garder espoir et à se mobiliser pour reconquérir l’espace abandonné de la culture traditionnelle. Ils ont du talent, du culot et une incroyable présence sur les planches qui expliquent leur succès. En puisant dans le passé, ils réveillent les souvenirs et émeuvent bien au-delà des limites régionales, d’autant que leur répertoire, tel celui des Tri Yann, puise au registre de tout le Moyen-Âge et non du seul parc breton. Si les années 80 marquent le déclin du mouvement, entraînant la mort de bien des groupes et la disette pour la plupart, les années 90 sont celles du renouveau à plus grande échelle encore. La musique traditionnelle devient même une mode, en surfant sur la vague celtique qui envahit une partie de l’Europe. L’Irlande musicale se vend à merveille et dans son sillage, la Bretagne récolte quelques succès, tel celui de l’Héritage des Celtes de Dan Ar Braz. Ce dernier représentera d’ailleurs la France (ultime défi ?) au concours Eurovision de la chanson, à la fin des années 90. La période est marquée aussi par de nouvelles influences, le métissage avec d’autres cultures et d’autres rythmes. Les artistes bretons, dans leur spécificité artistique facilement identifiable, puisent aujourd’hui « à l’authentique génie du celtisme», cher à Xavier Grall. C’est là leur signe distinctif et la marque de leur réussite. La chanson bretonne incarne la réussite culturelle mais aussi commerciale de la région, elle défie la France et prouve sa capacité à résister à l’uniformisation dont la République est accusée. Pour renforcer l’emprise médiatique de la musique bretonne, le mouvement organise des événements qui enracinent dans la société contemporaine l’impact culturel et social de la musique traditionnelle : la Nuit celtique au Stade de France à Paris, Celtica à Nantes, et surtout le Festival 17
  • 18. Interceltique de Lorient, le festival des Vieilles Charrues à Carhaix ou le Festival de Cornouaille à Quimper… Les festivals qui se succèdent tout l’été et les flots de spectateurs qu’ils égrènent dans leur sillage contribuent conséquemment aux recettes touristiques d’une région pour qui la saison estivale est essentielle économiquement. Mais ces rassemblements populaires, au-delà de leur succès financier, jouent un rôle important dans l’image qu’ils véhiculent de l’identité bretonne. Tout est entrepris pour leur réussite. Ils sont un événement majeur auquel participe activement une large partie de la population. Malgré la crise qui survint à l’annonce du projet de réforme du statut de l’intermittence en juin 2003, et les annulations en cascade des principaux festivals de l’été qui suivirent en réaction, la Bretagne ne connut, elle, quasiment aucun mouvement de grève susceptible de provoquer l’arrêt des festivités. Pour Jean-Pierre Pichard : « La culture donne une identité et une popularité à une région et permet de l’exporter et de faire des affaires », véritable aveu et conclusion de l’action du mouvement breton. Ces grands rassemblements expriment un potentiel humain, une énergie insoupçonnable, une force indomptable qui pourrait, transcendée dans une union solennelle autour des artistes, exprimer la voix d’un peuple se ressaisissant enfin. C’est pourquoi l’on retrouve tant de noms du cru sur les programmes, en effet, le meilleur soutien du public breton, c’est d’être « solidaire » avec les artistes de la région dans leur « lutte »… L’aide très importante des institutions locales à la diffusion de la musique aujourd’hui, renforce le sentiment que celle-ci restera un instrument idéologique, d’autant plus primordial que sous peu, la langue bretonne risque de disparaître. La musique bretonne sera alors le dernier vestige d’une « civilisation martyre » et jouera le rôle éminemment symbolique de la voix d’un peuple en lutte. * La musique traditionnelle est imprégnée d’une émotion rare et subtile qui explique son importance et son rôle dans le renouveau de la culture celtique. La renaissance de la harpe, entreprise par le père d’Allan Stivell, symbolise la réminiscence de vieilles coutumes, le retour des anciens, des bardes et des conteurs venus témoigner d’un temps où l’homme savait écouter la nature qui l’entoure et jouir avec simplicité de chaque moment. La religion païenne et son renouveau dans la culture bretonne illustrent avant tout une réaction contre la modernité et le matérialisme, comme le furent, la dimension spirituelle en moins, les événements de mai 68. Le mouvement breton s’ennoblit d’une essence métaphysique et convertit dès lors des fidèles à une croyance sociale religieuse qui transforme la Bretagne en une sorte de Jardin d’Eden menacé qu’il faut sauver des flammes du Purgatoire – son appartenance à la Nation Française, ainsi devenue de quiddité diabolique. La musique témoigne d’un passé où tout ce qui composait l’existence relevait du sacré. Elle berce à présent les cœurs d’une jeunesse charmée en quête d’eudémonisme, que la tranquillité de la Bretagne, si paisible loin des fastes de la capitale française, incarne parfaitement. La vague populaire celtique récente est une adaptation très moderne du répertoire traditionnel, dont le succès n’est en rien assimilable à un quelconque « nationalisme ». La jeunesse a adopté le folklore, pourtant l’« alibi des esclaves » pour Xavier Grall, et développe aujourd’hui son style original. L’élan que l’on peut constater et l’essor des différents cercles celtiques traduisent l’enthousiasme actuel pour la culture bretonne. La volonté de transformer la musique en un produit de consommation courante fait le bonheur des producteurs alléchés, et provoque le scepticisme des puristes qui alimentent les rangs du mouvement breton. Eux restent fidèlement attachés à une tradition qui porterait en elle les germes d’une « identité » faisant du breton le héraut d’une civilisation retrouvée. Et de toutes les formes d’expression culturelle qu’ils 18
  • 19. veulent réhabiliter, la musique est propitiatoire à l’expansion du mouvement. Elle est de très loin la force vive du renouveau, sa ferveur populaire et son étoile médiatique. Sans son vif succès, le mouvement eut probablement connu un tout autre destin. Les Bretons se retrouvent donc dans les festou-noz, et le formidable succès de ces « bals bretons » révolutionne l’approche de la musique bretonne, grâce à la participation active du public, une musique bretonne qui s’adapte au monde moderne et rassemble à présent des centaines de milliers de personnes, lors de festivals comme ceux des Interceltiques de Lorient et de Cornouaille à Quimper... Tous les styles de musique celtique s’y retrouvent, des bagads aux chants de marins à l’ambiance si conviviale et chaleureuse, même si les Bretons les plus radicaux détestent les chants marins, parce que « ce ne sont pas des chants bretons, mais des chants marins ! ». Ces fêtes deviennent une sorte de théâtre dont les acteurs (musiciens et chanteurs) mettent en scène la richesse du patrimoine. Stivell, dont le triomphe dans le monde entier en a fait le porte-drapeau d’une culture retrouvée, les Tri Yann et le génie artistique de Jean-Louis Jossic, et tous les autres chanteurs bretons, donnent à la Bretagne une nouvelle image et un succès populaire international sans précédent. Les festivals réunissent curieux et passionnés dans une chaleureuse communion. Les rues de Lorient se transforment, au mois d’août, en une conviviale kermesse où prennent place de jeunes gens, guitare en bandoulière... On aime la Bretagne, on le dit, on le chante, on le vit ! Mais l’amour d’un pays, comme d’une femme, est exclusif et passionnel. La France devient dès lors gênante. Alors, on reprend en chœur Tri Matolod ou An Alarc’h, ces chants exaltant le passé magnifié de la Bretagne… On modernise l’approche de la culture bretonne en l’adaptant au goût du jour : on se met au rap breton... Quant aux soirées « techno », elles n’ont eu qu’à adapter la musique traditionnelle à un style de musique contemporaine pour créer des « rave-noz », les gavottes tournent au pogo si les circonstances le nécessitent, et les laridées à des versions « destroy »... Tous les événements musicaux touchent au plus profond de la sensibilité, dans une grande union populaire. Pris dans une chaîne humaine, comment ne pas se sentir alors solidaire de la culture bretonne ? De la préservation du patrimoine à la nouvelle économie bretonne Le patrimoine principal de la Bretagne est son cadre naturel, tout un environnement modelé par une nature parfois hostile. La région subit en effet les violents assauts de l’océan. La force du vent ainsi que celle de la houle ont forcément tendance à forger un caractère, le célèbre « caractère breton ». C’est peut-être là l’origine d’une résistance quasi traditionnelle qui fera dire à l’historien Jules Michelet que la « Bretagne est l’élément résistant de la France ». L’océan est à l’origine de l’identité géosociale bretonne et au-delà, c’est tout le milieu naturel qui influe indéniablement sur l’identité sociale. Il est, ici plus qu’ailleurs, le ciment de l’activité économique. La région, quasi péninsule, a longtemps souffert de son enclavement. En-dehors de son heure de gloire maritime lui assurant une certaine prospérité, la réalité économique et sociale fut particulièrement difficile. Lors de la révolution industrielle du XIXème siècle, ne possédant pas de ressources énergétiques suffisantes et éloignée des axes de communication, la Bretagne souffre d’un cruel retard de développement qui dure jusqu’aux années 1960. Durant toute la première moitié du XXème siècle, la situation économique entraîne un flux important de la main- d’œuvre locale, vers Paris essentiellement, formant dans la capitale une importante communauté. La région est une terre rurale et connaît un quasi sous-développement industriel, les habitations 19
  • 20. sont inconfortables, et les ménages sous-équipés, la pratique religieuse reste intense dans cette ancienne terre de chouannerie où l’école privée connaît une forte implantation. Née en 1905 de l’imagination de Caumery et du pinceau de Pinchon, Bécassine, « la petite paysanne cornouaillaise de papier » dont on fêtait en juin 2005 le centenaire, est devenue un symbole de la Bretagne nouvelle qui témoigne de l’évolution de la région durant le XXème siècle. Elle participe à l’évolution des représentations de la Bretagne : symbole de la soumission, de l’ordre établi, Bécassine est utilisée aujourd’hui par Alain Le Quernec dans plusieurs affiches comme porte-parole des revendications bretonnes. Incarnant la jeune fille sotte et naïve, elle peut se flatter aujourd’hui des progrès de sa région : l’académie de Rennes a régulièrement les meilleurs résultats au baccalauréat ! Pour mémoire, l’encyclopédie Larousse écrivait au début du XXème siècle : « Breton : très opiniâtre, très attaché à ses vieilles coutumes et à sa foi catholique, et fort superstitieux, il est peu porté vers l’instruction... » La situation de la Bretagne a donc bien évolué : elle connaît un dynamisme incroyable qui stimule une société archaïque et la pousse vers une modernité qui donne naturellement un visage nouveau à la région et qui, phénomène inverse à celui précédemment observé, va retenir et même faire revenir la population sur place. Avec la région des Pays-de-Loire, la Bretagne constitue ce que l’on appelle le grand Ouest. Longtemps en marge de l’Europe, ces régions se trouvent aujourd’hui désenclavées, ouvertes sur l’espace français et européen, dans un système de collaboration entre les régions atlantiques de l’Union Européenne. Le mouvement breton aime à parler de « grande région celtique », ou, plus politiquement acceptable, d’une « euro région celtique ». Grâce au TGV atlantique et aux autoroutes, la Bretagne s’est rapprochée de Paris et du reste du continent. Le plan routier breton, aujourd’hui achevé, a aussi permis de relier entre elles les différentes villes, par un important réseau de nationales à deux voies, afin de stimuler l’activité régionale. Le dynamisme économique breton est à chercher en premier lieu dans l’exploitation des ressources naturelles de la région : dans l’agriculture et la pêche. L’activité agricole est la principale source de revenus. La Bretagne est d’ailleurs, avec 15 % de la production nationale, la première région agricole de France. Le modèle breton se caractérise par l’élevage intensif. Ce qui ne va pas sans poser problème : la crise de l’élevage porcin et la maladie de la vache folle ont déstabilisé tout le secteur. L’usage immodéré de nitrates et de pesticides empoisonne les cours d’eau et la nappe phréatique. Le littoral costarmoricain est envahi par les ulves, des algues vertes, conséquence des rejets d’azote et de phosphore. L’ostréiculture et la mytiliculture sont régulièrement touchées par des phytoplanctons toxiques et des germes dangereux, quand la faune et la flore sont, elles, victimes de marées noires… La situation écologique de la région inquiète la population et influe sur les débats politiques. Le mouvement breton reproche à la France d’avoir poussé les agriculteurs à l’élevage et à la production intensifs, entraînant une dégradation de la qualité de la vie. Quatre associations de défense de l’environnement ont, par exemple, déposé un recours contre l’État, afin de faire établir sa responsabilité dans la pollution par les algues vertes qui prolifèrent sur le littoral. Le naufrage de l’Erika, en décembre 1999, est directement reproché au gouvernement de l’époque et à une administration incapables de gérer la crise. Les conséquences écologiques désastreuses ont su mobiliser beaucoup de monde et politiser fortement le secteur. Enfin, et grâce à sa puissance économique, le monde agricole s’est doté d’une organisation adaptée aux marchés européens, capable d’assurer l’exportation des produits bretons et qui dispose même d’un lobby mis en place par plusieurs filières de l’agro-alimentaire au Parlement européen, afin de se tenir à la source des décisions politiques et d’obtenir en permanence toute information : Breiz Europe. 20
  • 21. Sous le titre « La Bretagne outragée », Le Monde, dans un éditorial de septembre 2002, concluait sur ce contexte agricole : « C’est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire : le modèle que citeront un jour économistes et historiens au chapitre des aberrations auxquelles peut conduire un productivisme agricole dont on n’a pas fini de mesurer l’irresponsabilité »... Après ce secteur dont l’impact est si important dans la définition de l’identité bretonne et dont l’avenir incertain menace grandement celle-ci, un autre domaine, lui aussi élément constitutif à part entière de l’identité, connaît de graves difficultés : la pêche. Elle est l’autre activité traditionnelle dont l’impact sociologique dans les villes portuaires est fondamental. En effet, la vie s’y organise autour de la mer et du rythme des départs et retours. La Bretagne est la première région maritime française. Mais concentré sur la pêche industrielle et le chalutage, ce secteur connaît lui aussi une grave crise. Les fonds du littoral ont été surexploités et les bateaux doivent à présent s’éloigner de leurs ports d’attache, alourdissant ainsi leurs frais de transport. Le blocus des ports lors de l’augmentation des prix du carburant, dès septembre 2000, témoigne de la fragilité de ce secteur. La flambée du pétrole rend plus dure encore la crise actuelle. Au-delà de l’agriculture et de la pêche, un autre domaine exploitant en partie le patrimoine naturel va s’imposer pour devenir, finalement, le meilleur atout économique de la Bretagne : le tourisme. Les principales raisons de ce succès sont la splendeur des sites et des paysages qui caractérisent cette région, l’étendue et la beauté des plages de sable fin, l’aspect sauvage et mystérieux des côtes escarpées ou plus simplement la pratique de la voile, les sentiers de randonnée et l’aménagement des forêts. Comme le tourisme nécessite un important investissement, la réussite bretonne s’explique aussi par l’extension du camping et le développement de l’hôtellerie, des gîtes ruraux ou des chambres d’hôtes. Le patrimoine naturel invite à découvrir une terre exceptionnelle, sur laquelle n’a pu se développer qu’une civilisation particulière, authentique et traditionnelle. C’est pourquoi le tourisme culturel connaît à présent un regain d’intérêt formidable. La « vague celtique » y est bien sûr pour quelque chose : le renouveau folklorique perceptible jusque dans la gastronomie distille à tous vents, et auprès d’un très large public, l’idée d’une mentalité et d’une tradition bretonnes fruits de « l’identité d’un peuple ». C’est cela qui intéresse le mouvement breton, car au fond, ce n’est pas le tourisme balnéaire ou la thalassothérapie (qui sont pourtant en forte extension) qui imprégneront les consciences. Seules marqueront les manifestations à caractère culturel qui témoigneront de la spécificité bretonne… Fière de sa riche histoire, la région compte donc profiter de son formidable patrimoine pour développer le tourisme culturel. Le tourisme est devenu un enjeu essentiel du mouvement breton, non seulement à travers l’activité économique qu’il génère, mais aussi par l’image de la Bretagne et de sa population qu’il véhicule. Il est aujourd’hui le moyen le plus efficace d’exprimer la bretonnitude dans la région, en France et même dans le reste du monde. Il permet de faire connaître la situation locale et de créer des liens avec d’autres minorités, car le combat contre la mondialisation, pour la survie des cultures, est universel. C’est bien souvent à l’international que le mouvement breton bénéficie du meilleur écho. Le bénéfice est double : le tourisme crée des emplois et il permet d’entretenir l’identité bretonne. La promotion touristique peut donc devenir par excellence un message ethnodifférentialiste. L’amour de sa région, de sa terre d’origine ou d’adoption, est quelque chose qui ne se quantifie pas, qui n’a pas de prix, qui ne se vend pas. Dans l’idée de liberté qu’égrènent les tenants de la bretonnitude, il y a une volonté certaine de s’émanciper de toute tutelle, l’idée que la 21
  • 22. richesse naturelle de la région et tout son patrimoine n’appartiennent qu’à la Bretagne elle-même, et que toute part « étrangère » dans les bénéfices réalisés lors de l’exploitation de son potentiel s’apparente à du vol, à son pillage comme au temps des guerres médiévales. La culture, le tourisme, tout ce que la mode celtique a su faire germer, mais aussi l’exploitation de sa surface arable ou de sa zone côtière, tout cela appartient à la Bretagne et à elle seule : la bretonnitude, c’est aussi et peut-être surtout la souveraineté économique de la Bretagne, la maîtrise totale de son image marchande et du bien productible qu’elle incarne. Là où les anciens ne voyaient dans l’économie que le servage de la Bretagne et son abandon à un capital étranger, tel Xavier Grall dénonçant le « royaume franc », « ce pays de généraux et de comptables » et l’« exécrable culture », dont « la fabrique des intelligences débite des cerveaux pour l’esclavage économique », ils rêvaient alors de « sociétés bergères, paysannes, maritimes » ; mais aujourd’hui, les chantres de la Bretagne ont oublié les songes d’antan, la nostalgie d’une terre rurale aux traditions préservées, ils se sont convertis au capitalisme et tombent en pâmoison devant l’extraordinaire succès des nouveaux seigneurs du CAC 40, du moment qu’ils sont bretons1. * La Bretagne bénéficie d’un grand capital de sympathie auprès de l’ensemble de la population. C’est un lieu de villégiature à la mode. Sa forte identité devient maintenant un référent économique, une force de vente. Le support marchand du mot « breton » est un argument commercial de taille. Les produits du terroir doivent porter une estampille caractéristique afin d’émerger du lot et être facilement reconnaissables. Les labels « Paysan Breton », « Cidre Breton » ou « Création de Bretagne » sont des gages de qualité. La société Phare Ouest a lancé le Breizh Cola, « le Cola du Phare Ouest » estampillé sur les bouteilles « Le Cola de Bretagne », et a bénéficié d’un formidable intérêt de la presse valant toute publicité. En 1993, une vaste campagne de promotion des produits locaux est orchestrée par l’association « Produit en Bretagne ». Lancée à l’initiative des groupes Even et Leclerc et du quotidien Le Télégramme de Brest, et après avoir essayé puis abandonné « Made in Breizh », elle regroupe aujourd’hui près de 200 partenaires, dont des assureurs, des banques, des grands noms de la presse écrite… et bien sûr, des industriels de l’agro alimentaire. Elle témoigne de l’intérêt du patronat pour l’identité et de la mise en place d’un régionalisme commercial. Les 6 et 7 novembre 1993, Le Télégramme titre à sa une : « Consommer breton c’est aussi créer des emplois » et développe un véritable manifeste autonomiste : « Plutôt que d’attendre le salut de l’État, une communauté dynamique et solidaire doit s’appuyer sur ses forces vives et valoriser son savoir-faire. » Plus la culture traditionnelle est forte et plus l’image qu’elle véhicule est « porteuse ». Les produits bretons prennent de la valeur et ainsi l’identité devient, souvent à l’insu du mouvement culturel lui- même, un facteur de vente. Citroën clame : « J’aime ma région, je roule en Citroën », et Peugeot de préciser : « Fabriquée en Bretagne, la Peugeot 407 parcourt déjà toutes les routes de France »... Des pêcheurs de bars du Raz de Sein ont créé un logo « bars de ligne de l’Ile de Sein » ou « d’Audierne » qu’ils attachent à l’ouïe des poissons et qui leur permet de les vendre plus cher : une localisation très précise, micro territoriale, permet un développement économique considérable. La Bretagne se vend comme un produit de marketing. Et cela participe à la diffusion des exigences politiques des autonomistes ou des indépendantistes... La « Celtomania » devient le 10 1 François Pinault, Yves Rocher, Edouard Leclerc, Jean-Pierre Le Roch (Intermarché), Vincent Bolloré, Louis Le Duff (La Brioche Dorée), Daniel Roulier (TIMAC), Marcel Braud (Manitou), les frères Guillemot (Ubisoft) et bien d'autres... 22
  • 23. août 2000, dans un Figaro qui ne manque pas d’humour, « un business gros comme un menhir », dans un contexte où « la culture celte emporte tout sur son passage »… Les « produits identitaires » ont envahi les rayons des supermarchés, il n’est plus une marque de crêpes qui ne soit l’expression de l’identité bretonne, une marque de beurre salé qui ne soit une atavique approche de la gastronomie bretonne, etc. La prise de conscience identitaire des milieux économiques célèbre l’alliance entre le politique, le culturel et les forces vives du pays. Ainsi France Télécom, sur fond de Gwenn-ha-du, lance sur une affiche publicitaire : « En Bretagne, Mobicarte : pour être libre et autonome ! ». Dès 1993, Jean-Bernard Vighetti, directeur de l’office de tourisme de Rennes affirmait : « Qui contrôle le culturel, contrôle l’économique ». La dynamique engendrée par la culture est quasiment l’avènement d’un secteur quaternaire que génère la société de loisir. La Bretagne entre maintenant dans une « économie culturelle ». Lancée par l’Office de la langue bretonne, la campagne « Ya dar brezhoneg », « oui au breton », invite les entreprises bretonnes à se convertir au bilinguisme. Lors du débat sur les accords de Matignon et le projet de réforme du statut de la Corse, entraînant l’idée d’une territorialisation du droit, Guy Plunier, président du Club de Bretagne, groupe de pression du monde économique breton, voit dans le statut de l’île un « signal intéressant pour une redistribution des pouvoirs dans toute la France », selon lui très attendue par les industriels bretons. Le dynamisme économique est un phénomène très important qui donne naissance à une prise de conscience nouvelle du pouvoir local. Fondé sur une problématique économique, il relève en fait bien plus d’une conjoncture politique à l’échelle continentale. La construction européenne sur le modèle fédéraliste favorise le dépérissement de l’État et promeut l’émancipation des pouvoirs locaux. Sous couvert d’une action économique, le discours est néanmoins connoté ethniquement en vue d’une reconnaissance spécifique. L’identité bretonne est un élément essentiel de la mise en valeur de la région. Elle est le support de communication le plus efficace pour promouvoir une spécificité dont le pouvoir d’attraction trouve sa dynamique exponentielle dans le tourisme, devenu élément primordial de l’économie locale. Telle une carte postale, l’image de la Bretagne s’exporte dans le monde. La vision d’une terre sauvage au particularisme bien ancré contribue à la réputation d’un « pays » où la tradition culturelle s’inscrit dans un passé lointain, commun à d’autres terres. Cet héritage, fort de sa mise en valeur récente, s’apparente à une campagne promotionnelle. Le succès de l’estampille celte s’explique par la garantie d’une marque, d’un trait de caractère d’un exotisme à portée de soi. Tout ce qui caractérise la culture celte s’inscrit dans le temps, suppose la qualité en plus de l’authenticité, un savoir-faire autochtone non rompu à l’uniformisation planétaire. Ce trait caractérise le succès de la mode celtique qui bénéficie allègrement à une Bretagne ayant saisi au vol la possibilité de s’auto-promouvoir par le biais de ses origines. L’effort particulier fourni pour entériner une spécificité bretonne dans un cadre historique et linguistique explique l’action du mouvement breton et son dynamisme étendu aux institutions politiques ainsi qu’à l’ensemble des secteurs de l’économie locale. La Bretagne existe grâce à son patrimoine et vit par l’exploitation de celui-ci. La mode celtique permet une plus large diffusion de la marque « Bretagne », dans une logique libérale de communication où seuls comptent l’efficacité et les gains engendrés. La Bretagne se doit d’exister dans sa particularité pour maximiser ses profits, pour magnifier son image à l’exportation et véhiculer un exotisme de bon aloi. Elle bénéficie certes d’une mode servie avant tout par des lobbies médiatiquement efficaces. Elle profite également de la proximité d’autres terres celtes pour exalter sa différence. Une différence que revendique le mouvement breton. Ce dernier milite pour asseoir une reconnaissance internationale immuable. Son action 23
  • 24. tend à entretenir l’idée de particularité ; elle en affirme les contours et s’inscrit, indubitablement, dans une véritable mythologie de la différence. De la nation mythique à la volonté d’indépendance La quintessence même de la représentation culturelle est une mise en forme de la spiritualité au bénéfice d’une idéologie qui puise dans la symbolique divinatoire les éléments structurels de son message politique. Ce dernier s’inspire de l’imaginaire fabuleux et mystique pour définir une Bretagne transcendantale et faire du concept d’indépendance une mission apostolique. Tout un développement allégorique tend à prouver la spécificité bretonne dans un raisonnement relativement ésotérique, que ne saisissent et ne partagent que quelques initiés. Pour eux, l’idée fondamentale réside dans la croyance en la supériorité de leur terre, dont la population autochtone devient le « peuple élu », et l’accès à l’indépendance la quête de l’Absolu. Pour les disciples d’une telle religion, le terrorisme n’est qu’un moyen de parvenir à une fin transcendantale que ne saurait intimider un appel au civisme. La « nation » bretonne se réfère à un passé et à ses origines celtiques impliquant une distinction entre les individus « de souche », celtes, et les autres, « étrangers » à cette culture et donc exclus des critères ethnonationalistes. Le thème du retour à « l’authenticité » renvoie à une pureté originelle corrompue par des influences « extérieures ». L’héritage du passé forme un patrimoine dans lequel la Bretagne se contemple en admirant sa richesse et en la proclamant comme son œuvre, véritable raccourci autobiographique. Les « nationalistes » bretons tiennent un discours qui berce le cœur plus qu’il ne s’adresse à la raison. Les croyances bretonnes nourrissent aussi les espoirs d’un mouvement qui érige en quasi religion une liberté mystifiée. Un raisonnement plutôt occulte autorise à récupérer toutes sortes de symboles, qui prouvent que le Breton est un être à part, un individu aux mœurs particulières, qui doit se construire un univers propre afin de se protéger de la corruption de « l’étranger ». En véritable philosophie, la démarche ethnonationaliste tend à développer une réflexion sociologique à caractère révolutionnaire, le monde à créer n’étant qu’inspiré par le passé, ce passé où le Breton en toute impunité pouvait affirmer sa différence. L’enseignement de l’histoire lui confère une légitimité que nulle autre matière n’eût pu lui apporter, dans la mesure où celle-ci est expurgée d’une interprétation républicaine contraire à l’esprit de la nation bretonne. L’indépendantisme s’inspire d’une quête existentielle, et distille un message aux dimensions spirituelles. L’incarnation de cet élan novateur, le bouleversement qu’il implique, est porteur d’un message transcendantal où l’espoir réside dans une nouvelle civilisation. A la recherche de symboles qui donneraient sens à l’idée de nation, la Bretagne érige toute une panoplie d’artifices. Ainsi, depuis 1925, la Bretagne a son propre drapeau, le Gwenn- ha-du (Blanc et Noir). Il fut créé par Morvan Marchal, le fondateur du mouvement Breiz Atao (« Bretagne Toujours »), mouvement ethnonationaliste des années trente et quarante qui a, selon Olier Mordrel1, « rouvert le livre » de l’histoire bretonne. Il fut, à l’origine, le symbole de 1 MORDREL, Olier, de son vrai nom Olivier MORDRELLE (1901-1985). Fondateur de Breiz Atao et principal idéologue de l’Emsav de l’entre-guerre, il entraînera le mouvement dans sa dérive fasciste. Condamné à mort, il se réfugiera en Argentine, pour retrouver la Bretagne au début des années 70. Son engagement reste alors le même... 24
  • 25. ralliement des autonomistes de l’entre-deux-guerres. Il se compose de cinq bandes noires qui symbolisent les évêchés de Haute Bretagne (Rennes, Nantes, Dol, Saint-Malo et Penthièvre) et quatre bandes blanches pour ceux de Basse Bretagne (incarnant le Léon, la Cornouaille, le Trégor et le pays Vannetais). Les bandes noires sur fond blanc rappellent les armes de Rennes. Le Gwenn-ha-du reprend également dans sa partie supérieure gauche l’hermine qu’Anne de Bretagne instaura au XVème siècle comme symbole héraldique du duché. Selon la légende, elle choisit cet animal parce que sa blancheur symbolise la pureté : une hermine, alors traquée par des chasseurs, s’arrêta devant une marre d’eau boueuse, refusant de souiller son pelage blanc. Il en naquit une devise qu’Anne fit sienne : « plutôt mourir que d’être souillé. » Ce symbole héraldique apparaît cependant pour la première fois en 1318, sur un sceau officiel du duché de Bretagne. Anne est si présente dans les cœurs que l’on se plaît, ici, comme bien souvent, à croire à la légende… Le Gwenn-ha-du est un symbole fort populaire. Il n’est point de commune bretonne qui n’arbore fièrement son drapeau, ce drapeau qui orna pour la première fois la Maison de la Bretagne à Paris, le 30 juillet 1937. A l’inverse, il demeure rare de trouver l’étendard tricolore national en-dehors d’une victoire en coupe du monde de football. Celui-ci devient à nouveau le symbole du jacobinisme oppressant les libertés locales… La Bretagne a pourtant un véritable drapeau, le Kroaz Du, une croix noire sur fond blanc. Il fut accordé au duché en 1188 par le pape Grégoire VII lors de la 3ème Croisade. Mais la collaboration du mouvement fut telle pendant la deuxième guerre mondiale que le Kroaz Du est inévitablement associé aujourd’hui à la croix gammée. Il est donc plutôt opportun de récupérer l’invention de Marchal. Les collectivités locales le brantissent à leur tour pour représenter la région... A présent, pour juger de l’attachement des Bretons à leurs couleurs, il suffit d’observer l’arrière des véhicules automobiles : un autocollant brille de son éclat pour symboliser l’appartenance à la Bretagne, véritable marque identitaire dont on s’enorgueillit afin de prouver sa bretonnitude et sa spécificité. Pour mettre en scène les référents communautaires, on utilise les couleurs de l’étendard et, par exemple, une hermine coiffée d’un chapeau rond. Mais le plus souvent, on peut lire ces trois lettres devenues signifiant identitaire : BZH. Elles viennent d’un compromis entre « Brehoneg », l’orthographe du mot « Breton » en vannetais, et « Brezoneg », l’orthographe des autres régions. ZH symbolise l’identité bretonne. Dans un effort de vulgarisation, on retrouve le Gwenn-ha-du sur des vêtements et des objets divers, afin de répandre le phénomène identitaire et culturel. Cette démarche mercantile vise aussi des touristes crédules en quête de souvenir, qui propageront ainsi, bien involontairement, l’idée d’une « nation » bretonne. Au-delà d’une référence historique, s’affirmer breton prend un sens contemporain. La création du Gwenn-ha-du en est un parfait témoignage. On recherche un référent qui puisse rassembler autour d’une bannière un sentiment national. Le drapeau breton est une création dont l’objectif est de fédérer les indépendantistes et de provoquer une large prise de conscience du peuple. Il s’inspire du modèle américain des bandes alternées, et, comme nous venons de le voir, porte à la place des étoiles une série d’hermines en souvenir du duché. Le mouvement breton est conscient que la société bretonne, dans un souci de cohésion, a besoin d’être valorisée. Pour se faire, il faut mettre en valeur une image qui passe forcément, selon lui, par des symboles évidents d’identification nationale. La Bretagne indépendante, retrouvant son passé glorieux, est le destin certain de la région martyre. L’histoire est déjà écrite. La banalisation du Gwenn-ha-du de nos jours et sa généralisation quasi officielle prouvent le pouvoir croissant des autonomistes sur une opinion assez inconsciente des réels objectifs. Le costume connaît de nos jours un incroyable retour dans les habitudes vestimentaires, dans une démarche purement différentialiste. Le costume est une image sociale ; c’est un 25
  • 26. marqueur d’ethnicité. Cette distinction par la parure s’est estompée en Occident. Mais, dans le passé, elle a joué un rôle d’identification important chez les Bretons (chapeaux ronds et culottes bouffantes pour les hommes, coiffes, robes et gilets brodés pour les femmes, sabots). Aujourd’hui, cela n’est plus le cas. Le costume traditionnel masculin a complètement disparu. Le costume féminin a résisté longtemps, mais n’est plus porté quotidiennement, seulement lors de fêtes folkloriques ou de représentations et par des personnes d’un certain âge. Il y aurait 230 groupes de danse en Bretagne, regroupant 18 000 danseurs et danseuses, qui, l’été, présentent leurs spectacles et défilent dans les rues en costume traditionnel. Une cinquantaine de festivals les accueillent chaque année. Alors qu’on ne compte plus que quelques dizaines de femmes bigoudènes à porter leur costume au quotidien, dont quelques-unes dans des publicités télévisées... Selon Pierre-Jean Simon, ces costumes traditionnels sont d’apparition récente et n’ont jamais été portés par l’ensemble des Bretons. Il y a un mythe du costume national breton, comme il y a eu un mythe de la race bretonne. La création en remonte au XVIIIème et il s’est généralisé au XIXème siècle. De plus, il s’agissait du costume d’une classe sociale, le milieu rural. Et le costume n’était même pas commun à l’ensemble de la Bretagne rurale. Les costumes étaient très divers et très localisés. Pourtant, des jeunes filles s’exprimant dans le journal Le Monde, se parent aujourd’hui de costumes dits traditionnels et déclarent être fières de ce qu’elles sont capables de faire, comme s’il s’agissait en soi d’un véritable exploit, et demeurent convaincues d’affirmer ainsi leur être profond en exaltant leurs racines : « Quand on entre dans un costume, on endosse tout cet héritage, toutes ces traditions. C’est un sentiment difficile à expliquer, on met en avant notre identité, notre façon d’être et de penser. » En réalité, le costume semble n’avoir jamais été un élément important de l’identité bretonne, sauf au niveau d’une image extérieure folklorisante et au niveau d’une certaine mythologie du mouvement régionaliste. On lui attribue un caractère sacré. Et on l’exhibe, comme le drapeau, en symbole de l’ethnonationalisme. L’habit devient lui aussi un symbole culturel et idéologique. Et au-delà, dans l’ensemble de la société, des signes montrent une évolution sensible des comportements, reliant la pratique sociale à des symboles purement politiques. Le Tartan est un kilt écossais, soit un « costume traditionnel ». Richard Duclos, un Breton passionné par l’Écosse, décide en 2004 d’ouvrir rue du Maine à Paris « La Maison du kilt ». En parallèle se crée une association rassemblant une centaine de Bretons porteurs de kilt, les « Breizhlanders ». Pour parfaire la logique identitaire, Duclos conçoit un tartan breton, qui se décline en trois types dont le premier, le tartan « National Breton » (sic), reprend le noir et le blanc du Gwenn-ha-du, le bleu de l’Armor et le vert de l’Argoat. Cet exemple illustre parfaitement la dérive absurde de la revendication identitaire qui, si elle peut réclamer l’usage d’une langue en un lieu où elle ne fut jamais parlée, en vient à arborer des costumes « nationaux » traditionnels là où jamais ils n’existèrent. Lorsqu’on lui demande, non sans un certain humour, si le vent est le pire ennemi des Breizhlanders, Per-Vari Kerloc’h répond, lyrique : « Au contraire, il donne la grâce. Il fait flotter les kilts, il fait flotter les drapeaux. Le vent de l’histoire est avec nous. » Reste à se demander de quelle « histoire » il s’agit... Voyons le cas des divertissements et du sport qui, de tout temps, ont joué un rôle social important et que le mouvement breton voudrait aujourd’hui relancer dans leur mode d’expression traditionnelle : noces, foires, fêtes paysannes (fenaison, moisson, battage..), fêtes religieuses (pardon, fêtes liturgiques..), tous ces grands moments dits communautaires étaient ponctués de divertissements collectifs. La révolution agricole qui débute dans les années 50 provoque la disparition de la société traditionnelle et avec elle, le déclin de ces divertissements. En 1978, on comptabilise plus de 100 jeux bretons (jeux de force, jeux de bâtons, jeux d’adresse, jeux de 26