L'actualité récente démontre que les fake news ont des influences inespérées sur notre société et cela à tous les niveaux.
Celles-ci sont présentes sous différentes formes variées : propagande, parodies ou tout simplement dans du contenu erroné. L'impact de ces "fake news" est ouvert à tout vent, de la méfiance du journalisme à la mise en péril de l'économie en passant par la menace de la désinformation. Qui en sont les auteurs et les protagonistes et en quoi cela leur profite ?
Ce mémoire fait le point sur le phénomène très actuel des fake news. Au travers de recherches, d'interviews et d'investigations, il est maintenant possible de les comprendre dans leur globalité.
Note CLES - Les entretiens du directeur n°39, Géopolitique de la contrefaçon,...
Le phénomène des Fake news - Mémoire ESGI
1.
ESGI - Ecole Supérieure de Génie informatique
Le phénomène “Fake News”
Mémoire rédigé par :
DULONG Raphaël - 5SI3
RICHIARDI Paul - 5SI3
Maître de mémoire :
LEMOINE Daniel
Date de soutenance :
09 mars 2020
Année :
Mastère en Sécurité Informatique - 5ESGI - 2019/2020
Mémoire de fin d’études
2. 2
Remerciements
Nous tenons à remercier l’ensemble des personnes nous ayant aidés durant l’élaboration de
notre mémoire.
Nous remercions tout d’abord notre maître de mémoire, monsieur Daniel Lemoine, dont
l’accompagnement et ses conseils durant notre mémoire furent essentiels.
Aussi, nous souhaitons remercier madame Emma Donada, journaliste à Libération - Checknews,
et monsieur Guillaume Daudin, journaliste à l’AFP Factuel, pour le temps qu’ils nous ont
consacré, les réponses à nos questions et leurs expertises sur le sujet.
Enfin, nous remercions nos proches pour leurs avis et conseils qui nous ont permis de réaliser
ce mémoire.
3. 3
Résumé
L'actualité récente démontre que les fake news ont des influences inespérées sur notre société
et cela à tous les niveaux.
Celles-ci sont présentes sous différentes formes variées: propagande, parodies ou tout
simplement dans du contenu erroné. L'impact de ces "fake news" est ouvert à tout vent, de la
méfiance du journalisme à la mise en péril de l'économie en passant par la menace de la
désinformation. Qui en sont les auteurs et les protagonistes et en quoi cela leur profite ?
Ce mémoire fait le point sur le phénomène très actuel des fake news. Au travers de recherches,
d'interviews et d'investigations, il est maintenant possible de les comprendre dans leur globalité.
Nous avons identifié leurs sources, leurs auteurs et acteurs, mais aussi comment il était
possible de s'en protéger avec des moyens tels que le fact-checking, l'éducation, la
responsabilité individuelle, la déontologie et la loi.
À partir de ces éléments, nous avons pu conclure que les fake news ne sont pas un phénomène
nouveau, mais plutôt en constante évolution et qu'un travail de fond doit être effectué pour les
contrecarrer.
4. 4
Abstract
Recent news shows that fake news has unexpected influences on our society at all levels.
These are present in various varied forms: propaganda, parodies or simply in the wrong content.
The impact of these "fake news" is open to all ways, from the distrust of journalism to the
jeopardy of the economy through the threat of disinformation. Who are the authors and the
protagonists and how does it benefit them?
This study takes stock of the very current phenomenon of fake news. Through research,
interviews and investigations, it is now possible to understand the fake news as a whole.
We have identified their sources, their authors and actors, but also how it was possible to
protect yourself with means such as fact-checking, education, individual responsibility, ethics
and the law.
From these elements, we were able to conclude that the fake new is not a new phenomenon, but
rather in constant evolution and that a fundamental work must be carried out to thwart them.
6. 6
Sommaire
Remerciements 2
Résumé 3
Abstract 4
Mots clés 5
Sommaire 6
Introduction 8
Etat des lieux 10
Définition et étymologie 10
Les fake news dans l’histoire 11
Les différents types de fake news dans les nouvelles technologies 12
La propagande politique 12
Les sites satiriques ou parodiques 13
Le contenu “piège à clics” 14
Le contenu erroné 15
Quel est le fonctionnement d’une fake news réussie ? 16
Les étapes et techniques 16
Zoom sur : Campagne de désinformation pour les élections présidentielles françaises de
2022 21
Zoom sur : Campagne d’infox lors des élections présidentielles Taïwanaise de 2020 22
A qui profitent les fake news ? 26
Les différents acteurs 26
Auteurs 26
Les journalistes 26
Les auteurs malveillants 27
Les lecteurs désinformés et non sensibilisés 29
Cibles 30
Acteurs du numériques 33
7. 7
Les causes de la recrudescence des fake news 35
Le développement des réseaux sociaux 35
L’utilisation par les politiques 37
Critique permanente des médias 39
Leurs objectifs et impacts 40
La menace de la désinformation 40
Une méfiance vis-à-vis du journalisme 41
La mise en doute des structures politiques et sociales 42
La mise en péril de l’économie 45
Comment contrecarrer les fake news ? 48
La responsabilité individuelle 48
Le fact checking 50
Les outils disponibles 51
La mise en place de lois et réglementations 51
L’éducation 53
La responsabilité et la déontologie du journalisme 55
Conclusion 58
Webographie 60
Annexes 69
Annexe 1 - Interview AFP Factuel, Guillaume Daudin 70
Annexe 2 - Interview Libération - Checknews, Emma Donada 74
Annexe 3 - Images - Campagne de désinformation pour les élections présidentielles
française de 2022 77
Annexe 4 - Images - Campagne d’infox lors des élections présidentielles Taïwanaise de
2020 84
Annexe 5 - Charte de l’étudiant : le plagiat 85
8. 8
Introduction
“Plus un mensonge est gros, plus il passe. Quand on répète un gros mensonge suffisamment
souvent, les gens finissent par y croire.” Joseph Goebbels . 1
Nous nous faisons manipuler par des récits inventés de toute pièce comme s’ils étaient
l'inébranlable vérité et ne parvenons plus à différencier le vrai du faux.
L'orientation sexuelle du candidat Emmanuel Macron au coeur des élections présidentielles de
2017 , les 350 millions de livres envoyés toutes les semaines par le Royaume-Uni à l’Union 2
Européenne selon Boris Johnson pour promouvoir le Brexit , ou encore les 13 500 contre-vérités, 3
affirmations trompeuses ou exagérations de Donald Trump depuis le début de son mandat 4
sont toutes des fake news importantes et parfois grossières, de sorte que l'on peut se
demander comment elles émergent et se propagent aussi massivement.
La pertinence de cette problématique s'est d'ailleurs confirmée au cours des travaux
préparatoires de ce mémoire : les fake news sont un sujet au coeur de notre actualité et, de plus
en plus répandues, elles sont un fléau touchant l’ensemble des médias et un public
multigénérationnel.
Intitulé "Le phénomène Fake news", ce mémoire tend ainsi à démontrer que les lecteurs sont de
plus en plus impactés par les fake news puisqu'ils sont de plus en plus “connectés” mais n’y
sont malheureusement pas préparés et sensibilisés pour s’en prémunir.
1
Joseph Goebbels fût le ministre chargé de la propagande du Reich pendant la Seconde Guerre Mondiale
2
Quentin Girard, “Macron gay ? La fabrique d'une rumeur”, Libération, 7 février 2017
3
Delphine Simon, “Le Royaume Uni paye-t-il 350 millions de livres chaque semaine à Bruxelles ?”,
FranceInter, 24 juin 2016
4
Fact Checker, “Trump claims database” - Outils de Fact Checking ciblé sur les déclarations de D.Trump,
Washington Post, 9 octobre 2019
9. 9
Dans une première partie consacrée à l'État des lieux, nous expliquerons ce qu'est une fake
news avec sa définition, quelle est son origine dans l’Histoire ainsi que les différentes formes
qu’elle peut adopter. Nous aborderons aussi le fonctionnement détaillé de plusieurs fake news.
Nous nous demanderons ensuite à qui profitent les fake news ? Permettant, en effet, de
comprendre les conséquences des fake news avec l'ensemble des acteurs, les causes de cette
croissance exponentielle des fausses informations et leurs impacts.
Enfin, nous verrons dans une dernière partie comment les fake news peuvent être contrecarrées
? Nous montrerons les meilleurs moyens pour les identifier et s’en protéger en tant que citoyen
ainsi que les mesures prises pour enrayer le phénomène par les journalistes ou encore les
gouvernements.
10. 10
Etat des lieux
Dans cette partie, nous définirons ce qu’est une fake news grâce à sa définition, mais aussi ses
différentes formes historiques et actuelles.
1) Définition et étymologie
L’Académie française s’est-elle même exprimée sur les fake news suite à l’utilisation récente et
massive de l’expression et souhaiterait que le terme “infox” , créée à partir des mots 5
“information” et “intoxication“ soit de préférence utilisé pour parler de “fake news”. En réalité, le
terme “fake news” est le plus souvent traduit en français sous la forme “fausse information”.
Pourtant la langue anglaise dissocie les deux termes, “false” pour les informations erronées et
“fake” pour celles qui sont falsifiées . 6
Son utilisation devrait donc être divergente selon les situations mais on parle le plus souvent de
“fausse information” pour parler du phénomène dans son ensemble. Ce terme sous-entend que
l’information est fausse puisqu’une faute a été commise dans celle-ci. Dans ce même cas, les
Anglais parleraient de “wrong news”. Il faudrait donc en français parler de “désinformation” pour
parler d’information fausse , dont le contenu aurait été faussé de manière délibérée . 7
Cette notion de “fake news” a donc rapidement été utilisée en France pour englober plusieurs
formes d’informations très différentes comme les articles humoristiques, les articles
“aguicheurs”, ceux de propagande ou encore les articles de presse erronés . 8
Depuis que les informations existent dans l’Histoire, ces “fausses informations” ont toujours été
présentes que ce soit au Moyen Âge sous la forme de rumeurs, on dit d'ailleurs que “la rumeur
est le plus vieux média du monde”, pendant la guerre ou l’après-guerre avec des unes de
5
Commission d’enrichissement de la langue française, Recommandation sur les équivalents français à
donner à l'expression fake news, Legifrance, 04 octobre 2018
6
Roland Gauron, “Fake news”, un même terme pour plusieurs réalités, Le Figaro, 07 mars 2017
7
Jérémie Maire, “Mais au fait, comment traduire “fake news” en français ?”, Télérama, 29 mars 2017
8
William Audureau, Pourquoi il faut arrêter de parler de “fake news”, Le Monde, 31 janvier 2017
11. 11
journaux de propagande politique ou encore via les “hoax ” qui circulaient par mail et sur les 9
blogs.
Les fake news peuvent donc être définies comme des “hoax” modernes qui sont des rumeurs
ou propagandes, diffusées à différentes échelles sur les réseaux sociaux ou dans la presse et
sont relayées à de multiples reprises avant d’être à terme démenties.
C’est donc une expression nouvelle qui englobe à la fois des pratiques anciennes, comme les
rumeurs ou la propagande, et des pratiques nouvelles, comme les faux articles de presse qui
sont eux-mêmes à l’origine de la propagation des fake news sur le devant de la scène.
2) Les fake news dans l’histoire
Nous venons de l’aborder, les fake news ne sont pas nouvelles, déjà au Moyen Âge celles-ci
existaient. A l’époque ces fausses nouvelles étaient appelées “rumeurs”. L’une des plus connues
de cette époque fut celle du “procès des Templiers ” qui consistait à diffamer les Templiers 10
pour les fragiliser. Mené par Guillaume de Nogaret, conseiller du roi Philippe le Bel, cette rumeur
a fonctionné et l’ordre des Templiers a été dissout, les responsables brûlés et les autres
membres recherchés . 11
Dans toutes les guerres les fake news étaient là aussi très présentes sous forme de
propagande. Les unes de presse papiers d’après-guerre en sont l’exemple type et permettaient
aux auteurs de propager leurs idées ou de vendre davantage de journaux . 12
Durant la Première Guerre mondiale, une des plus propagées date de 1914 et fut celle d’un
enfant au petit fusil à bois, tué par erreur par un soldat allemand qui pensait y voir une menace .
13
9
Se traduit en français “canular”. Définition : Jouer un tour à quelqu’un - Larousse.fr
10
L'ordre du Temple est un ordre religieux et militaire issu de la chevalerie chrétienne du Moyen Âge, dont
les membres sont appelés les Templiers, Wikipédia, consulté le 05 septembre 2019
11
Catherine Kikuchi, “Vu du Moyen Âge : Philippe le Bel, un amateur de fake news”, TheConversation, 2
juillet 2017
12
La Rédaction, “Scandale à la une” : la preuve que les fake news ne datent pas d'Internet, ELLE
13
François Allard-Huver, “Les fausses nouvelles de la Grande Guerre, des “infox” avant l’heure”, SudOuest,
06 novembre 2018
12. 12
La mort du petit garçon au fusil de bois s’est largement répandue durant la guerre mais a été
amplifiée et aggravée au fil du temps transformant le tir du soldat allemand comme un acte
délibéré. Appuyé par la publication de poème (“Le petit fusil de bois”, Théodore Botrel), de
musique (“Le gamin au fusil de bois”, André Langrand et Frédéric Boissière) ainsi que d’image 14
de propagande (Jean Veber, “Il les avait menacés de son petit fusil de bois”) . 15
Marc Bloch, historien et résistant, a, à ce propos, abordé les éléments qui multiplient la
propagation de ces fausses informations: “Une fausse nouvelle naît toujours de représentations
collectives qui préexistent à sa naissance ; elle n’est fortuite qu’en apparence, ou, plus
précisément, tout ce qu’il y a de fortuit en elle, c’est l’incident initial, absolument quelconque, qui
déclenche le travail des imaginations ; mais cette mise en branle n’a lieu que parce que les
imaginations sont déjà préparées et fermentent sourdement.” . 16
3) Les différents types de fake news dans les nouvelles technologies
a) La propagande politique
Le propagande politique est l’une des principales sources de fake news sur internet. Elle a pour
but de créer du faux contenu qui impactera une personne ou un groupe politique ou même
d’autres opposants comme les militants associatifs ou les journalistes afin de les décrédibiliser.
Elle permet aussi aux différents acteurs politiques d’imposer leurs idées en produisant du
contenu favorable à leur mouvement politique.
On peut dissocier les fake news de la propagande politique en deux parties, la première est celle
dont le contenu sera trompeur.
On peut prendre pour exemple l’une des fake news qui a particulièrement circulé durant la
campagne présidentielle française de 2017 et qui ciblait le candidat Emmanuel Macron. Celle-ci
affirmait que le candidat était homosexuel et avait pour intérêt de le faire perdre en crédibilité en
14
A.Langrand et F.Boissière, “Le gamin au fils de bois”, 1914
15
Jean Veber, “Il les avait menacés de son petit fusil de bois”, BNF, 15 août 1914
16
Bloch, M. B. (1921). Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre (ALLIA). France :
ALLIA.
13. 13
montrant qu’il ne disait pas toutes les vérités aux électeurs et afin de lui opposer une partie de
l’électorat anti-homosexuels contre lui . 17
Il existe aussi la propagande modifiée ou détournée dont le contexte est faux. La conseillère de
Donald Trump, Kellyanne Conway, a été l’une des premières à utiliser le terme de “fait alternatif”
afin de justifier le discours du porte-parole du président Trump qui affirmait que la “cérémonie
d'investiture fut la plus grande en termes d’audience” alors que les photos de la cérémonie
montraient l’exact contraire . Donald Trump est d'ailleurs l’un des ceux qui utilise le plus 18
l’expression “fake news” et qui l’a démocratisé au point que lorsqu’on tape le hashtag
“#fakenews” sur Twitter, c’est le compte de Donald Trump qui ressort en premier.
b) Les sites satiriques ou parodiques
Certains sites comme Legorafi.fr (anagramme de Lefigaro.fr), Footballfrance.fr (inverse de
Francefootball.fr) ou encore Actualite.co sont eux spécialisés dans les fausses informations,
pas pour désinformer les lecteurs mais par simple plaisanterie avec des articles satiriques ou
parodiques créés pour faire rire les lecteurs.
Cependant, ces articles très bien écrits semblent être vrais pour certains et sont parfois mêmes
relayés par la presse généraliste par erreur. Par un exemple, un journaliste du journal Stratégies
s’est déjà fait piéger par l’un de ces articles. Invité sur France Inter, il se moquait du fait que
Jérôme Cahuzac se plaignait des mensonges répétés du Rabbin Bernheim tout en citant une
interview qu’aurait donnée Jérôme Cahuzac : “Ce que j’ai fait n’est pas bien mais ce que je
trouve intolérable, c’est le mensonge du rabbin”. Malheureusement cette interview provenait du
célèbre site parodique Legorafi.fr . 19
Les personnalités politiques se font, elles aussi, piégées par ces articles et les relaient comme
par exemple, Christine Boutin, interrogée sur BFM TV à propos de l’annonce du report de la loi
17
Rédaction, “Tout savoir sur les Fake News”, Visibrain
18
William Audureau, “Faits alternatifs, fake news, post-vérité… petit lexique de la crise de l’information”, Le
Monde, 25 janvier 2017
19
Caroline Besse, “Le Gorafi, site d’info potache parfois pris au sérieux”, Télérama, 12 avril 2013
14. 14
famille, le 3 février 2014. Durant cet interview, elle a tout simplement cité un tweet de Legorafi
destiné à plaisanter du recul de la gauche : “stratégie provisoire d’avancement à potentialité
différée” . 20
Certains militants politiques en profitent et s’en servent aussi comme un instrument de
propagande en relayant ces faux articles sur d’autres canaux journalistes (multiplication
d’articles) ou sur les réseaux sociaux. Au fur et à mesure, ces fausses informations sont
amplifiées et agrémentées de réelles fake news. Pour illustrer cela, un exemple très parlant fût
celui d’un article du Legorafi : “Emmanuel Macron : « Quand je serre la main d’un pauvre, je me
sens sale pour toute la journée »” . Diffusée en masse par certains militants et opposants, la 21
fausse information refait surface lors de la campagne présidentielle à l’entre-deux-tours lorsque
le candidat rejoint les salariés de Whirlpool. Pour amplifier cette fausse information, des images
d’Emmanuel Macron en déplacement pour rencontrer des pêcheurs ont ensuite été détournées.
Après avoir brandi une anguille avec ses mains, Emmanuel Macron se les lave dans l’eau puis
avec une lingette, une fois revenu dans sa voiture. Ces images du candidat dans la voiture ont
été isolées, détournées et relayées sur les réseaux sociaux avec pour légende ce message : “il
se lave les mains après avoir serré quelques mains d'ouvriers”. Cette fausse information a
même été relayée par Marine Le Pen au cours d’une interview au Parisien . 22
Ce dernier exemple illustre très bien les fake news : du faux contenu est créé, il est ensuite
relayé massivement, suivi d’ajouts, de modifications ou encore de détournements, amplifiant la
fake news.
c) Le contenu “piège à clics”
Appelé “piège à clics”, “putaclic”, “l’appât à clics”, “attrape-clics” ou encore “clickbait” en anglais,
ce contenu peut s'apparenter à des usines à buzz et est le plus souvent constitué de fausses
20
Adrien Sénécat, “Quand Le Gorafi est pris au pied de la lettre”, Le Monde, 5 mai 2017
21
La Rédaction , ”Emmanuel Macron : « Quand je serre la main d’un pauvre, je me sens sale pour toute la
journée »”, Legorafi, 1 juin 2016
22
Romain Baheux , ”Non, Emmanuel Macron ne se lave pas les mains après avoir serré la main
d'ouvriers”, Le Parisien, 27 avril 2017
15. 15
informations, elles aussi amplifiées et déformées. Le principal problème de ce genre de site
comme BuzzFeed, Slate ou encore Démotivateur est la propagation des rumeurs.
Ces sites créent les titres les plus accrocheurs possible nous promettant des remèdes miracles
ou des révélations inédites (ex : “cette femme marche dans la rue, ce qui va suivre va vous
étonner”), quitte à s’éloigner de la vérité dont le seul but de ces articles et de produire des clics
afin que le site se rémunère grâce aux pubs présentes sur son site. Facebook a d'ailleurs défini
les “Clickbait” d’une très bonne manière et les considère comme des articles contenant des
titres “qui retiennent de manière intentionnelle des informations cruciales ou bien trompent les
gens, ce qui les oblige à cliquer pour trouver la réponse.” . 23
De plus en plus présents sur internet et sur les réseaux sociaux, au point que Netflix va bientôt
lancer une série du même nom , les “clickbait” sont combattus par les géants du numérique. 24
Facebook a d'ailleurs déclaré la guerre à ce contenu et le combat semble rude. Le réseau social
doit trouver la bonne manière pour pouvoir identifier le contenu “clickbait” sans impacter le
contenu légitime. L’entreprise a donc déployé un algorithme lui permettant d’identifier les titres
“pièges à clics” en établissant une sorte de blacklist de titres qui “retient les informations
requises pour comprendre le contenu de l’article et si le titre exagère le contenu réel, pour attirer
le lecteur”. Si le contenu identifié est positif, alors la page qui publie ce contenu sera
déréférencée sur Facebook et sa visibilité sera moindre.
d) Le contenu erroné
Le terme “fake news” est également utilisé, peut-être par abus, pour désigner de vrais articles de
presse erronés. Si ces articles sont par définition des erreurs faites par leurs auteurs, ils peuvent
avoir un impact sur la diffusion de fausses informations.
La presse elle-même n’hésite pas à définir ces articles erronés comme des fakes news. En 2015
le magazine The Atlantic a défini un des articles du célèbre New York Times de fake news. En
23
Jean-Philippe Louis, “Vous ne devinerez jamais ce que Facebook va faire contre le « clickbait »”, Les
Echos, 05 août 2016
24
Tiffany Lacomacci, “Clickbait, la prochaine série Netflix qui s'attaque aux réseaux sociaux”,
GQMagazine, 31 août 2019
16. 16
cause, l’accusation des journalistes affirmant que l’auteur de la tuerie de San Bernardino
(Californie), en décembre 2015, avait fait des appels au djihad sur les réseaux sociaux . 25
Ces erreurs commises le plus souvent dans la précipitation lors d’évènements importants sont
le plus souvent le fruit des journalistes qui cherchent à être les premiers à publier l’information
qui sera à la une de toute la presse. Elles peuvent aussi être issues de négligences de la part du
journaliste lorsque, par exemple, des sources déforment les faits, s’il y a une mauvaise
compréhension d’un journaliste ou encore, la non-vérification des récits.
L’impact de ce type d’articles est qu’il décrédibilise le journalisme vis-à-vis du grand public qui
en devient donc méfiant.
4) Quel est le fonctionnement d’une fake news réussie ?
Précédemment nous avons vu ce qu’était une fake news par ses définitions mais comment
fonctionnent-elles ? Nous verrons dans cette partie comment les fake news réussissent à se
propager et l’illustrerons avec des exemples.
a) Les étapes et techniques
La plupart des auteurs de fake news utilisent les mêmes méthodes et techniques pour créer et
diffuser leurs fausses informations.
Une des premières techniques utilisées par les créateurs de fausses informations et le fait de
cacher leur identité. L’un des grands principes sur Internet est la possibilité d’être anonyme et
donc de publier du contenu sans identité précise mais avec un pseudonyme. Il y a cependant
certaines informations qui sont normalement publiques sur les réseaux sociaux (comme le pays
d’origine, la date de création et les connaissances, etc.) que les auteurs doivent falsifier. Cacher
leur identité permet de ne pas révéler qui ils sont vraiment ce qui pourrait enrayer leur fake news
si par exemple, ce sont des opposants politiques ou des personnes originaires d’un pays n’ayant
aucun rapport avec celui contenu dans la fausse information.
25
William Audureau, “Pourquoi il faut arrêter de parler de “fake news””, Le Monde, 31 janvier 2017
17. 17
D’autres n’hésitent pas à cacher leur identité en créant de fausses “plateformes” comme des
sites d’informations locales qui paraissent neutres au premier abord grâce à leur nom commun
(ex: Nordactu, Infos Bordeaux, Rhône-Alpes Info ou Breizh Info) . C’est cependant des militants 26
d'extrêmes droites qui maintiennent ces sites et permettent de diffuser leur propagande.
L’ensemble de ces sites permettent de cibler des individus ou groupes précis et créant de
nombreux articles qui seront référencés dans les résultats de recherche de Google par exemple.
Dans le même esprit que ces sites “régionaux” ou “citadins” la création de fausses pages, de
comptes et d’applications sur les réseaux sociaux est courante. Elle permet à ceux qui les
gèrent de produire du contenu pour que les personnes qui les suivent puissent les partager
rapidement et de manière récurrente.
L’usurpation d’identité est une technique devenue légion dans le domaine des fake news. La
création de sites avec des noms de domaine très proche de sites sérieux en est l’exemple. Pour
comprendre, il faut savoir qu’un nom de domaine est semblable à une adresse postale pour un
site web et est composé d’un nombre ainsi que d’une extension tel que “.fr”, “.com” ou encore
“.uk”. Il suffit donc de réserver un nom de domaine avec le même nom qu’un site connu, mais
avec une extension différente ou de jouer avec le nom et l’extension pour avoir un site web avec
un nom familier qui parlera aux internautes (ex: le site du journal belge LeSoir a son site web en
“Lesoir.be” et il existe sa copie en “Lesoir.info”).
D’autres sites utilisent des noms de domaine différents des leurs pour partager des articles sur
les réseaux sociaux (ex: “franceinfotele.com” ressemblant au vrai site d’information de
FranceInfo). Après avoir cliqué sur le lien, l’internaute est automatiquement redirigé vers le site
partageant la fausse information (ex: “Nordpresse.be” site parodique). Il aura donc eu
l’impression d’être sur une information sérieuse du site d’information FranceInfo et non sur le
site parodique Nordpresse . 27
26
Samuel Laurent, “Nordactu, Breizh Info, Info-Bordeaux... Les vrais faux sites d’infos locales des militants
identitaires”, Les Décodeurs - Le Monde, 01 novembre 2016
27
La Rédaction, “Non, il n’y a pas eu d’enfants tués à Lille avec un Hand-Spinner”, Hoax-Net, 25 mai 2017
18. 18
Les fake news sont pour la plupart créées à partir d’images, de vidéos ou encore d’informations
manipulées. Elles peuvent être fabriquées de toute pièce, détournées de leur signification initiale
ou sorties de leurs contextes.
Grâce à cette manipulation, un nouveau sens est donné aux images. Par exemple, plusieurs
images montrant des militaires manipulant de l’or ont été détournées pour affirmer que l’armée
française profitait de son opération de protection de la population malienne pour piller les
ressources du pays . Cependant, parmi les 4 photos, la première est une photo disponible sur le 28
site du ministère des armées françaises montrant des soldats en Centrafrique au cours d’une
opération de destruction de munition. Sur la seconde, où on voit un militaire assis sur des
centaines de lingots, un drapeau américain est très facilement visible sur la veste de celui-ci.
Cette photo, associée à la troisième, correspond à une mission de l’armée américaine qui avait
saisi environ 2 000 lingots d’or. Il s’est ensuite avéré que ces lingots étaient faux et n’étaient pas
composés d’or. La dernière image, où on y voit des engins de chantiers de l’armée, provient du
site officiel de la Légion étrangère.
Certains n’hésitent pas à transformer les informations qui circulent en le réinterprétant pour
défendre leur cause. C’est le cas avec certains sites d’extrême droite comme
“lesobservateurs.ch” ou “medias-presse.info” affirmant récemment que Greta Thunberg aurait
dit que : “Le climat change à cause du racisme, du colonialisme, du patriarcat.” . Cette citation 29
aurait été exprimée par la jeune militante au cours d’une tribune à l’occasion de la COP25,
conférence des Nations unies sur le climat. Cependant, le discours qu’elle a tenu, n’est pas
celui-ci, elle a affirmé que la crise climatique était une question d’écologie, mais aussi liée à un
système politique inefficace : “C’est une crise des droits humains, de la justice et de la volonté
politique. Les systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux l’ont créée et alimentée.
Nous devons les démanteler. Nos dirigeants politiques ne peuvent plus fuir leurs
28
Anne-Sophie Faivre Le Cadre, “Non, ces photos ne montrent pas des militaires français pillant de l’or au
Mali”, AFP Factuel, 28 octobre 2019
29
Les Décodeurs, “Non, Greta Thunberg n’a pas vraiment écrit : « Le climat change à cause du racisme »”,
Le Monde, 09 décembre 2019
19. 19
responsabilités.”. Les créateurs de cette fake news n’ont donc pas hésité à déformer certains
propos afin d’alimenter leurs idéologies et de continuer à dénigrer une personnalité qu’ils ne
supportent pas.
La combinaison de publication de fausses informations à de vraies informations est une arme
redoutable utilisée permettant de faire croire à des fake news plus facilement en donnant de la
crédibilité à celles-ci.
Il est déjà très compliqué pour un lecteur lambda de vérifier les informations qu’il consulte et ça
l’est encore plus lorsque certains médias ou certaines pages et comptes de réseaux sociaux
publient de nombreux articles. Ces publications massives sont le plus souvent composées
d’une grande partie de vraies informations provenant de médias sérieux tel que des journaux ou
des chaînes télévisés. Mais le problème, c’est que des informations totalement erronées ou
inventées sont publiées au milieu des vrais.
Certains de ces sites internet oublient de mentionner certains faits importants d’une information
ou les manipulent en les modifiant pour les adapter selon l’idée de l’auteur et en les sortant de
leur contexte. Cette stratégie utilisée pour orienter le lecteur vers des idées et une interprétation
précises que souhaitent transmettre les auteurs relève de la désinformation.
Ils n’hésitent pas à utiliser une méthode utilisée pour la propagande politique que nous avons
abordée dans la partie du même nom : les “faits alternatifs” . Ils mélangent dans un même 30
article de vraies informations qui peuvent être vérifiées à des faits alternatifs tout en justifiant
cette méthode en affirmant que les médias traditionnels ne publieront jamais cette information
puisqu’ils mentent et cachent la vérité.
L’utilisation de la combinaison de vrais et de fausses informations est utilisée dans différents
domaines d’information comme celui des “Nouvelles et actualité” avec le site “dreuz.info” qui
affirme que le président Macron avait détourné plusieurs milliers d’euros et que les médias
traditionnels ne veulent pas en parler. Le cas de la “Science et conspirations” est lui aussi un
30
William Audureau, “Faits alternatifs, fake news, post-vérité… petit lexique de la crise de l’information”,
Les décodeurs - Le Monde, 25 janvier 2017
20. 20
domaine touché. Le site “nouvelordremondial.cc” n’a pas hésité à publier un article dans lequel
un agent de la CIA aurait affirmé que les attentats du 11 septembre avaient été orchestrés par
les Etats-Unis. Bien évidemment, cette fausse information a été détournée et modifiée afin d’y
insérer de vraies informations. D’autres domaines comme la “Santé et bien-être” ou encore le
“Viral et sensationnaliste” sont eux aussi touchés. Pour le premier, il faut se méfier des sites
ayant pour mention légales “à usage éducatif seulement” ou encore “nous ne sommes pas
médecins et nous ne prétendons pas l’être”. Les informations publiées sur les sites du second
domaine peuvent très facilement être vérifiées sur Google grâce à des recherches de texte ou
d’image inversée . 31
Pour éviter des poursuites judiciaires, les créateurs de fausses informations n’hésitent pas à
s’expatrier hors de nos frontières.
En droit de la presse, les directeurs de la publication sont légalement les principaux
responsables. Certains sites en profitent donc pour placer leur gestion sous un organisme
étranger et désignent un responsable de la publication hors de France. C’est le cas pour le très
critiqué site islamophobe Riposte laïque qui est géré par l’association Riposte laïque suisse et
dont l’unique nom de responsable indiqué est celui d’une Marocaine domiciliée en Thaïlande . 32
L’autre technique pour échapper à la justice est de faire héberger les sites internet dans des
pays où la justice française ne pourrait pas être compétente. Par exemple, le site fdesouche, lié
à l'extrême droite et connu pour de nombreuses fausses informations, est hébergé au Canada et
le directeur de la publication nommé est un Indien que la police indienne a d'ailleurs eu
beaucoup de difficulté à localiser.
Ces précautions, prises par ces sites montrent bien qu’ils sont tout à fait conscients de la
désinformation qu’ils produisent.
31
Camille Lopez, “Voici des sites internet qui publient des conspirations, des fausses informations, des
rumeurs et des fausses nouvelles”, Journal Metro, 10 août 2017
32
Olivier Faye, “La « fachosphère » s’expatrie pour échapper à la justice”, Le Monde, 20 mai 2016
21. 21
b) Zoom sur : Campagne de désinformation pour les élections
présidentielles françaises de 2022
Nous allons ici nous intéresser à une enquête réalisée en 2019 par l’organisation 33
non-gouvernementale EU DisinfoLab, une ONG spécialisée dans les campagnes de
désinformation sophistiquées.
L’ONG a enquêté sur deux pages Facebook soutenant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon :
“Marine Le Pen 2022” (plus de 30 000 mentions “j’aime”) et “Jean-Luc 2022” (plus de 5 000
mentions “j’aime”) (voir annexe 3.A).
Ces deux pages ont été choisies par EU Disinfolab car certains des articles qui étaient relayés
(hébergés sur linfonational.net) ont fait l’objet de vérifications et clarifications par l’AFP,
Libération et CheckNews démontrant qu’il s’agissait d’infox (voir annexes 3.B et 3.C).
Nous avons pu observer que la page “Marine Le Pen 2022” et “Jean-Luc Mélanchon 2022” sont
gérées depuis L’Ukraine (voir annexes 3.D et 3.G). La page “Marine Le Pen 2022” a déjà lancée
des campagnes publicitaires sur Facebook qui ont été supprimées par Facebook (voir annexe
3.E). Aussi, cette page est en fait active depuis 2016, elle s’appelait auparavant “Marine Le Pen
2017” pour devenir “Marine Le Pen 2022” le 7 mai 2017, le jour de l'élection présidentielle
française (voir annexe 3.D).
Cette page a, par le passé, partagé du contenu provenant du site francenational.com pendant
les élections présidentielles de 2017. On peut constater que ce site (francenational.com) est lié
au site linfonational.com, linfopopular.net et republique5.fr car ils ont le même identifiant de
publicité Google (voir annexe 3.F).
Le site linfopopular.net est aussi enregistré en Ukraine et est très partagé sur la page “Jean-Luc
Mélenchon 2022” gérée elle aussi depuis l’Ukraine.
Les informations d’enregistrement du nom de domaine republique5.fr auraient été enregistré
par deux personnes Ilya M. et Ilya S (voir annexe 3.H). Il existe deux comptes Facebook aussi
33
@Disinfoeu, “BREAKING: We uncovered 2 Facebook pages managed from Ukraine that support Marine
Le Pen and Jean-Luc Mélenchon”, Twitter, 22 novembre 2019
22. 22
enregistrés avec ce nom. Ces deux comptes ont massivement partagé du contenu des sites
précédemment mentionnés sur des groupes pro gilet-jaune (voir annexe 3.I).
Un autre point intéressant à relever est que les détenteurs de ces comptes ne semblent pas
parler français, car ils ne font que partager directement les liens dans leurs groupes sans
ajouter du texte (voir annexe 3.I).
Aucune de ces pages n’a appartenu aux partis politiques respectifs de Marine Le Pen et
Jean-Luc Mélenchon.
c) Zoom sur : Campagne d’infox lors des élections présidentielles
Taïwanaise de 2020
Le second focus sur une fake news, concerne les élections présidentielles de Taïwan. Lors de la
campagne présidentielle, plusieurs phénomènes pouvant s'apparenter aux infox ont pu être
observés.
Taïwan est un territoire dont le statut d'administration est complexe. En effet, le statut de l’île
pose la question de savoir si Taïwan est un territoire indépendant administré par la République
de Chine ou s'il s'agit pleinement d'une province chinoise dont l'autorité serait le gouvernement
de la République populaire de Chine.
Le 11 janvier 2020 dernier se sont déroulées les élections présidentielles et législatives à
Taïwan. C'est la candidate pro-indépendante, Tsai Ing-wenn (parti démocrate DPP
précédemment au pouvoir), qui a remporté ces élections avec plus de 57,1% des voix face au
candidat prochinois, Han Kuo-yu (parti nationaliste chinois) qui lui a récolté 38,6% des voix . 34
34
Rédaction, "Taïwan : la présidente sortante remporte l’élection face à son rival pro-Pékin", Le Monde
avec AFP, 11 janvier 2020
23. 23
Taïwan est le pays le plus avancé en Asie en termes de droits LBTQ+, il s'agit du premier pays
d'Asie à avoir autorisé le mariage homosexuel en mai 2019 . La loi autorisant le mariage pour 35
tous a été mise en place par le précédent gouvernement prodémocratie taïwanais.
C'est lors de la campagne présidentielle que de nombreuses fake news homophobes ont vu le
jour sur les réseaux sociaux . En effet, un grand nombre de faux articles affirmait que le 36
précédent parti démocrate au pouvoir aurait dépensé plus d'un million de dollars afin d'organiser
la Taïwan Pride (gay pride taïwanaise).
Une des images illustrant l'article, possède des titres très provocateurs, tels que :
"Souhaitez-vous vraiment que vos enfants ressemblent à ça ?" et "Est-ce ainsi que vous allez
voter ?" (voir annexe 4.A).
Il s'agit clairement d'une infox. Les producteurs financiers des marches de la fierté sont les
organisateurs eux-mêmes et n'ont aucun lien avec les partis politiques.
D'autres fausses informations ont aussi vu le jour sur d'autres réseaux sociaux tel que Line, une
application messagerie populaire à Taïwan. Voici un extrait des fausses informations les plus
populaires : 37
● Le doctorat de la candidate Tsai Ing-wen serait un faux;
● La CIA paie les protestataires hongkongais 385 dollars par jour pour aller manifester,
● Les militants prodémocratie à Hong-kong et Taïwan sont Vietnamiens et Japonais.
Toutes ces informations sont fausses et ont été démenties, par les médias traditionnels et
reconnus du pays.
35
Harold Thibault, "Taïwan légalise le mariage homosexuel, une première en Asie", Le Monde, 17 mai
2019
36
Isabella Steger, “Taiwan’s president is battling a deluge of election-linked homophobic fake news”,
Quartz, 06 janvier 2020
37
lice Su, "Can fact-checkers save Taiwan from a flood of Chinese fake news?", Los Angeles Times, 16
décembre 2019
24. 24
Il a été très difficile pour Taïwan d'endiguer la propagation de ces infox. En effet, la messagerie
instantanée Line est un réseau social où les groupes de discussion sont fermés, rendant la
modération de contenu complexe. De plus les membres des groupes de ces discussions
appartiennent souvent à la même famille ou possèdent des relations proches. Le fait que les
membres de ces groupes sont socialement proches renforce le facteur de crédibilité à ces
fausses informations . 38
En revanche, Facebook a lui spécialement créé pour ces élections, un comité (war room) qui est
responsable de la suppression de 118 pages, 99 groupes et 51 comptes basés à Taiwan
diffuseur de fausses informations . Toutefois, aucune précision sur l'orientation idéologique de 39
ces acteurs n'a été donnée.
La société civile Taïwanaise a, quant à elle, mis en place un système de fact-checking baptisé
Cofacts pour que les citoyens puissent vérifier l'exactitude de diverses informations.
C'est aussi pendant le dernier débat présidentiel qu'une vérification des déclarations des
candidats à été faite. Ce projet a été créé par les sites d'information READr . 40
Le résultat est intéressant: 92% des affirmations de la candidate démocrate Tsai Ing-wen
étaient correctes, alors que seulement 40% des informations données par le candidat Han
Kuo-yu (parti prochinois) étaient vraies.
Mais y a-t-il un acteur responsable de la création et la diffusion de fausses informations ?
La Chine avait intérêt à ce que ce soit le candidat prochinois Han Kuo-yu qui remporte les
élections, afin de renforcer sa mainmise sur le pays et pour agrandir sa puissance territoriale.
38
Pablo Maillé, "Taïwan : les fake news parasitent l’élection présidentielle", usbeketrica, 09 janvier 2020
39
Sarah Zhen, "Taiwan's main parties warn of disinformation and 'fake news' ahead of elections", South
Chine Morning Post, 07 janvier 2020
40
Katherin Wei, "Concerted effort in Taiwan to fight fake news as polls loom", The Straits times, 05 janvier
2020
25. 25
Le ministre de la sécurité informatique du pays, Jyan Hong-wei a indiqué que Taïwan est la cible
de plus de 30 millions de cyberattaques par mois où environ la moitié serait chinoise.
La diffusion de fausses informations est une pratique intéressante pour la Chine. En effet, il ne
s'agit pas d’une pratique militaire et donc n'attirent pas l'oeil de la communauté internationale.
Toutefois, il faut souligner que certaines démarches pro chinoises observées proviennent
d'individus isolés basés à Taïwan ou en Chine . Un bon exemple est les influenceurs sur 41
Instagram qui, au travers de photos ne semblant pas engagées, montrent leur soutien au
candidat pro chinois (voir annexe 4b). Du contenu mensonger partagé par des comptes qualifiés
de comptes “troll” a pu être observé sur divers réseaux sociaux.
41
Raymond Zhong, "Awash in Disinformation Before Vote, Taiwan Points Finger at China", 06 janvier 2020
26. 26
A qui profitent les fake news ?
Nous verrons ici pourquoi les fake news sont au coeur de notre actualité et quelles sont leurs
impacts sur notre société.
1) Les différents acteurs
a) Auteurs
i) Les journalistes
Donald Trump accuse fréquemment la majorité des journalistes de créer des fake news. Il n’est
pas rare de l’entendre dire, durant ses discours officiels, “You are fake news” pour désigner les
journalistes qui ne vont pas dans son sens alors qu’il est lui-même l’auteur de nombreuses fake
news . 42
Les journalistes peuvent malgré tout être les auteurs de “fake news” du fait qu’ils doivent être
rapides dans l’écriture et la publication de contenu en raison des nouveaux moyens de diffusion
plus rapides et instantanés.
Alors que la presse doit vérifier ses sources avant toute publication, certains d’entre eux ont
déjà publié ou relayé des fake news dans la précipitation. Pour exemple, lors de l’ouragan Irma
une information affirmant que 250 détenus s’étaient évadés a été relayée par plusieurs médias
français. L’information provenait d’une capitaine de gendarmerie de Saint-Martin qui a ensuite
été démentie par la gendarmerie puis le Premier Ministre . 43
Le principal problème de ces fake news publiées par des médias sérieux et reconnus, est
qu’elles donnent de la crédibilité à celles-ci. En parallèle, ces médias perdent en crédibilité.
L’AFP en a fait les frais en ayant annoncé la mort de Martin Bouygues par erreur dans une
dépêche officielle qui a ensuite été reprise par de nombreux autres médias . Les 44
42
Mathilde Cousin, “Donald Trump : Ses dix «fake news» les plus marquantes depuis son élection”, 20
minutes, 20 janvier 2018
43
C. Si., “Requins, évasion, Air France : beaucoup de «fake news» autour de l’ouragan Irma”, Le Parisien,
11 septembre 2017
44
Alexis Delcambre, “L'AFP et la mort démentie de Martin Bouygues : le film des événements”, Le Monde,
28 février 2015
27. 27
conséquences ont été nombreuses, l’AFP a dû ensuite démentir par communiqué officiel,
rappeler les règles rédactionnelles à ses équipes et parmi les trois “fautifs”, l’un est parti à la
retraite et les deux autres ont été mutés . 45
Un autre exemple pour illustrer cela est l’annonce de l'arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès.
Dans la nuit du 11 au 12 octobre 2019, de nombreux médias français ont annoncé de manière
très affirmative l’arrestation de celui-ci sans attendre les résultats de la police scientifique.
Pourtant il s’est avéré qu’il ne s’agissait pas de Xavier Dupont de Ligonnès alors qu’une grande
majorité des médias français avait pourtant affirmé son arrestation. La radio France Culture est
le seul média français qui n’a pas relayé cette fausse information . On remarque dans cette 46
affaire, que la fake news est due à un emballement médiatique. L’emploi du conditionnel dans
l’ensemble de ces articles a été primordial afin d’éviter que la fausse information ne se
transforme en intox.
On constate donc souvent un certain empressement des médias à publier des articles sans
pour autant avoir croisé leurs sources ou patienté le temps nécessaire pour la vérification d’une
information. Ce phénomène s’est très probablement accru avec l’apparition des médias
d’information en continu, à la recherche de contenu sensationnel en permanence pour pouvoir
garder leur audimat. Gérard Depardieu a, dans son livre, très bien résumé cette situation :
“Aujourd’hui, c’est l'information qui règne. Avec toutes ces chaînes en continu, ces nouveaux
moyens de communication, les informations débarquent en boucle. [...] C’est comme si nous
vivions avec une oreillette qui diffuse en permanence mauvaises nouvelles et fausses alertes.
Fake news! ”47
ii) Les auteurs malveillants
De nombreuses fake news sont produites par des auteurs dits malveillants qui ont pour seul but
de propager de fausses informations, en connaissance de cause, liées à une certaine idéologie
envers des audiences précises.
45
Caroline Bonacossa, “L'AFP et la fausse mort de Martin Bouygues : retour sur un trauma”, TéléObs, 12
juin 2016
46
Fabien Leboucq, “France Culture est-elle la seule radio à n'avoir pas annoncé l'arrestation de Xavier
Dupont de Ligonnès ? ”, Libération, 2019
47
Depardieu, G. (2019). Monstre (French Edition). France : Le Livre de poche.
28. 28
Certaines figures politiques n’hésitent pas à se reposer sur des producteurs de fake news pour
propager leurs idées et décrédibiliser leurs adversaires. C’est le cas de Alex Jones, connu pour
sa production massive de nombreuses thèses complotistes pendant plusieurs années, qui est
une relation du président américain Donald Trump. Il aurait d'ailleurs, selon certains médias,
contribué à l’élection de Donald Trump suite aux multiples fausses informations produites, 48
dont plusieurs, concernant Barack Obama durant l’élection de 2008 (Obama a fait usage
d’armes météorologiques pour réprimander les opposants grâce à des tornades, Obama a
contaminé l’eau courante avec des produits chimiques qui rendent stériles, etc.) . La 49
propagation d’idées n’est pas l’unique enjeu pour Alex Jones. Grâce à son site, Infowars, son
application pour iPhone ainsi que ses différents comptes sur les réseaux sociaux (Youtube,
Spotify, Facebook, Twitter, etc.) il aurait engrangé, jusqu’à 2018, 10 millions de dollars par an.
Les GAFA ont depuis pris certaines mesures pour bannir les comptes d’Alex Jones après qu’une
plainte pour diffamation ait été jugée recevable.
Il est de plus en plus fréquent d’entendre parler d’ingérence étrangère durant les élections
nationales ou européennes. La Russie a souvent été pointée du doigt pour ses probables
interventions durant les élections américaines et européennes. Certains médias étrangers,
comme Sputnik et Russia Today (RT), qui sont financés totalement par la Russie , n’hésitent 50
pas à relayer certaines fausses informations avec des visions complotistes.
La Commission européenne a elle aussi soupçonné la Russie d’ingérence durant les dernières
élections européennes. Bruxelles a indiqué que plusieurs acteurs russes auraient participés,
grâce à la propagation de nombreuses fake news, à une campagne “continue et soutenue” pour
diminuer “le taux de participation et d’influencer le choix des électeurs” . 51
48
Hélène Riffaudeau, “« Alex Jones, la machine à haine », le businessman complotiste”, TéléOBS, 13 avril
2019
49
Isabelle Hanne, “Alex Jones, fake news et vraies menaces”, Libération, 3 août 2018
50
Théo Caubel, Philippine David et Corentin Dionet, “RT France, Sputnik : dix choses à savoir sur les
médias russes en France”, L’Obs, 30 mai 2017
51
Lucas Mediavilla, “« Fake news » : Bruxelles soupçonne la Russie d'ingérence dans les élections“, Les
Echos, 14 juin 2019
29. 29
Depuis les élections américaine de 2016, et les polémiques qui avaient suivi suite au manque de
mesures prises par les réseaux sociaux, les campagnes de désinformation comme celle-ci
auraient doublé. Ce sont des chercheurs de l’Oxford Internet Institute qui révèle cette
information lors d’une étude. Ils précisent que ces campagnes proviennent à la fois de
gouvernements démocratiques que des gouvernements autoritaires et sont originaires d’au
moins sept grands pays : Arabie saoudite, Chine, Inde, Iran, Pakistan, Russie et Venezuela . 52
iii) Les lecteurs désinformés et non sensibilisés
Les deux journalistes que nous avons interviewés s’accordent sur le fait que la clé de voûte de la
de la propagation des fakes news sont “les gens de bonne fois qui de chez eux relayent des
informations” , qu’ils “partagent inconsciemment [...] même sans mauvaise intention.” . 53 54
La cause principale de cette constatation est la précipitation qu’ont les lecteurs lorsqu’ils lisent
des articles, ne prenant pas le temps de vérifier les informations présentes. Ils peuvent très
facilement croire en une fausse information et la relayer aussitôt très simplement. D’après une
étude menée par ViaVoice , 28% des 18-24 ans ainsi que 23% des 25-34 ans préfèrent faire 55
confiance à l’information circulant dans les réseaux sociaux qu’à celle diffusée dans les médias
traditionnels. Les fake news circulant sur les réseaux sociaux tel que Facebook ou Twitter
auront donc plus de chances d’être relayées et de voir leur impact se décupler.
Le manque de sensibilisation des internautes est réel, trop peu d’internautes savent comment
analyser des fake news ou savent comment fonctionnent les réseaux sociaux. Les fake news
s’appuient sur différents mécanismes des réseaux sociaux : l’accès gratuit aux différentes
plateformes, l’utilisation opaque des données personnelles ainsi que le ciblage des contenus et
publicités. L’ensemble de ces éléments constituent les algorithmes des réseaux sociaux qui
52
Oxford Internet Institue, “Use of social media to manipulate public opinion now a global problem, says
new report”, University of Oxford, 26 septembre 2019
53
G.Daudin, AFP Factuel, communication personnelle, 10 septembre 2019
54
E.Donada, Libération - Checknews, communication personnelle, 10 septembre 2019
55
Etude, “Les attentes des Français envers les journalistes, l’information et les médias”, ViaVoice, mars
2019
30. 30
vont par exemple proposer du contenu ciblé à l'internaute qu’il aura de grandes chances
d’apprécier.
Ajouter à cela le fait que notre mémoire peut facilement nous jouer des tours . Le monde de la 56
publicité utilise souvent notre mémoire pour nous convaincre. Il n’est pas rare de se retrouver
face à un produit où nous ressentons des sentiments positifs, mais ces sentiments proviennent
sans le savoir de la publicité. Il en est donc de même pour la lecture des titres d’articles que
nous voyons défiler sur les réseaux sociaux. De plus, plus nous voyons une information plus
nous allons la considérer comme vraie. La répétition est un phénomène connu pour nous 57
permettre d'absorber facilement des informations quitte à créer également un semblant de faux
souvenir.
D’après différents chercheurs, nous avons tendance à privilégier les informations allant dans
notre sens. Cette tendance appelée biais de confirmation est un biais cognitif, c’est-à-dire un 58
distorsion du traitement des processus mentaux, consiste à toujours chercher et consulter des
informations qui confirment nos pensées, idées et croyances tout en esquivant celles qui les
contredisent pour ne pas qu’elles soient remises en cause.
Les auteurs des fakes news profitent donc des faiblesses de l’internaute, plus généralement de
l’Homme, pour qu’il devienne à son tour acteur principal de la propagation des fausses
informations. Nous devons donc être conscients que nos sentiments sont manipulables.
b) Cibles
Comme nous venons de le voir, les internautes sont en première ligne des fake news. D’après
une étude BVA , 6 français sur 10 postent sur les réseaux sociaux et ⅓ des français postent 59
parfois sans se préoccuper de la fiabilité des informations qu’ils diffusent. Les lecteurs
56
Nathalie Mayer, “Fake news: pourquoi les partage-t-on autant ?”, Futura Sciences
57
Martin Cadoret, “La répétition espacée, une technique pour apprendre plus vite et mieux”, 30 janvier
2016
58
REM, “Biais de confirmation: Nous croyons ce que nous voulons croire”, A man in the arena, 22 août
2017
59
Sondage, “Les français et les fakes news”, BVA - La Villa Numeris, 04 avril 2019
31. 31
désinformés et non sensibilisés sont donc à la fois auteurs, puisqu’ils font le relais des fausses
informations, et cible puisqu’ils sont impactés par les idées transmises par les fake news.
Les seniors sont d'ailleurs ceux qui sont plus à même de partager des fausses informations. 60
Trois chercheurs américains l’ont montré, les plus de 65 ans partagent jusqu’à sept fois plus de
fake news que les jeunes. En cause le manque d’éducation aux médias du web alors que les
seniors sont habitués aux médias traditionnels et n’ont donc pas toutes les cartes en main pour
déjouer les fausses informations. Aussi, ils ont tendance à faire confiance aux informations
publiées par leurs connaissances sans les avoir vérifiés.
Outre le fait que les internautes soient ciblés pour relayer massivement les fake news, ils le sont
aussi pour modifier l’opinion publique. Les gens peuvent être manipulés sur des sujets de
société par exemple sur des sujets précis tel que la réforme des retraites, en faveur ou contre la
PMA, les enjeux de la vaccination, etc.
“La marque de fabrique des fake news, c’est de jouer sur nos émotions, de déguiser une vérité,
de nous donner le sentiment de comprendre ce que les autres ne comprennent pas” , selon 61
Justine Atlan directrice d’e-Enfance.
En effet, les fausses informations touchent les lecteurs qui sont le plus sensibles et dont
certains éléments tels que les émotions, la culture, les paramètres socio-économiques ou
encore les idées politiques sont semblables aux leurs.
Dans ce sens, il existe plusieurs théories provenant de la psychologie des foules prouvant 62
qu’un individu est amené à agir d’une façon différente que s’il était seul. La première est la
théorie de la norme émergente qui correspond à un sentiment d’universalité. Les membres
d’une foule pensent plus facilement au fait qu’une idée est vraie si l’ensemble des membres
agissent de la même manière. La seconde est la perte de responsabilité d’un individu. Celle-ci
60
Rédaction, “Les seniors propagent sept fois plus de fake news que les jeunes”, LePoint, 10 janvier 2019
61
Rédaction, “Fake news : un danger même pour les jeunes”, CAF.fr, 22 novembre 2019
62
Bon, G. L. (2003). Psychologie des foules (French Edition) (Quadrige Grands textes). France : Presses
Universitaires France.
32. 32
est le fait qu’un individu, lorsqu’il est au sein d’un groupe, perd son identité personnelle et sa
propre responsabilité . Il sera donc poussé à agir différemment en agissant comme les autres.
C’est pourquoi on retrouve de nombreuses fausses informations ciblant des idées liées à des
groupes (gilets-jaunes, pro/anti Brexit, syndicalistes etc.).
L’une des principales cibles des fausses informations est une situation. Les situations de crises
sont le terrain de jeu préféré des créateurs de fake news. Ils n’hésitent pas à profiter
d’événements tragiques tels que les attentats, fusillades ou les guerres pour profiter des
émotions qui les entourent. Lorsque nous sommes face à des événements dramatiques nous
sommes souvent à la recherche des dernières informations pour avoir des explications, on se
tournera donc le plus souvent vers celles qui répondront à nos questions y compris vers des
informations qui sont approximatives (Rudy Reichstadt) . 63
Cependant, il est parfois compliqué de déterminer quelle est réellement la cible finale des
fausses informations. Certaines campagnes de désinformation sont en apparence destinées à
une audience précise mais c’est en réalité qu’une simple passerelle pour en atteindre une autre.
Par exemple, les fausses informations liées à la dangerosité des vaccins sur la santé sont en
apparence principalement destinées à une audience écologiste. Cependant, l’audience
écologiste est à l’écoute de certaines informations dont les sujets sont similaires à ceux de
l’audience anticapitaliste. L’objectif des fausses informations sur la dangerosité des vaccins
n’est alors pas écologiste, mais il est de permettre aux opposants au capitalisme de fragiliser
l’économie de l’industrie pharmaceutique . 64
63
AFP, “Les situations de crise, une cible de choix pour les "fake news"”, Challenges, 5 avril 2018
64
Augustin Roch, “Comment analyser une infox ?”, Les Echos, 20 mai 2019
33. 33
c) Acteurs du numériques
Les acteurs du numérique tel que Twitter, Facebook ou encore Google jouent un rôle très
important dans les fake news, si ce n’est, l’un des plus importants. Ils se retrouvent très souvent
au coeur de l’actualité dans certaines affaires de propagande politique et il n’est pas rare de voir
défiler de fausses informations dans nos fils d’actualités.
Les géants des réseaux sociaux ont d'ailleurs commencé à prendre certaines mesures contre
les fake news. Comme nous l’a précisé le journaliste Guillaume Daudin à l’AFP Factuel, “Les
GAFA sont très engagés (pour enrayer les fake news) mais le problème est immense et semble
sans fin. Il y a beaucoup de choses à faire et des débats compliqués entre la limitation des
fausses informations et la censure. Aucun réseau social tel que Facebook ou Twitter ne veut
censurer mais en même temps il y a des problèmes avec le fait que les gens puissent publier
librement et parfois anonymement sur internet” . 65
Facebook, mis en cause dans différentes affaires liées à certains débats tels que les élections
présidentielles américaines et le Brexit, a récemment pris des mesures pour enrayer la
propagation des fake news. Le réseau social a mis en place un partenariat mondial composé de
différents médias, tel que l’AFP, permettant de vérifier le contenu signalé comme indésirable sur
Facebook. Ce partenariat rémunéré permet bien évidemment de ralentir les effets des fake
news mais aussi d'améliorer les algorithmes de détection de Facebook . 66
Cependant ce partenariat de fact-checking ne concerne pas les publications politiques. Comme
l’a affirmé Nick Clegg, directeur mondial des affaires publiques, Facebook ne souhaite pas être
considéré comme un “arbitre des débats politiques et d'empêcher le discours d'un politicien de
toucher son public” . Le fondateur et président directeur général de Facebook, Mark 67
Zuckerberg, a récemment été auditionné, par la Commission parlementaire des services
financiers au Congrès de Washington à propos de son projet de création d'une monnaie
65
G.Daudin, AFP Factuel, communication personnelle, 10 septembre 2019
66
Service Checknews, “Combien a rapporté à Libé son partenariat de factchecking avec Facebook en
2018 ?”, Checknews, 30 janvier 2019
67
AFP, “Facebook exempte les politiques de "fact-checking"”, Le Point, 25 septembre 2019
34. 34
virtuelle, le Libra. La députée américaine et démocrate Alexandria Ocasio-Cortez a saisi
l’occasion pour interroger le PDG sur d’autres sujets dont le rôle de Facebook dans la
propagation des fake news. Les questions étaient précises: “en utilisant les données de
recensement électoral, est-ce que je pourrais payer pour cibler les personnes noires avec des
campagnes leur donnant la mauvaise date d'élection ?“, “est-ce que je pourrais sponsoriser mes
publications disant que certains candidats à la primaire républicaine ont voté pour le Green New
Deal ? (alors que c'est notoirement faux, ndlr) ?” . Mark Zuckerberg s’est alors retrouvé dans 68
l’embarras et a répondu par l'affirmative à ces deux questions.
Comme nous l’a indiqué Emma Donada, journaliste pour CheckNews - Libération, l’une des
“préoccupation des réseaux sociaux c’est surtout l’impact des fake news sur leur image” . À tel 69
point que Twitter a pris le 30 octobre dernier la décision historique d’interdire les publicités liées
à la politique . Cependant ce choix, pris quelques semaines après les propos des dirigeants de 70
Facebook, est bien évidemment un pied-de-nez au réseau social et permet à Twitter de s’offrir
une publicité en se démarquant de Facebook mais n'empêchera pas toutes les fake news
politiques de proliférer. La majorité des fausses informations ou des approximations
directement publiées par des comptes des gros comptes de personnalités politiques, par
exemple celui de Donald Trump, pourront toujours jouer avec les algorithmes pour qu’elles
soient massivement partagées.
On le verra dans la partie qui suit, les réseaux sociaux sont le canal de propagation préféré et
privilégié des fake news.
68
L’Obs, “Quand Alexandria Ocasio-Cortez coince Mark Zuckerberg sur les posts politiques mensongers”,
L’Obs, 24 octobre 2019
69
E.Donada, Libération - Checknews, communication personnelle, 10 septembre 2019
70
Gilles Paris, “« Démarche audacieuse », « décision très stupide »… Twitter bannit les publicités
politiques”, Le Monde, 31 octobre 2019
35. 35
2) Les causes de la recrudescence des fake news
D’après une étude menée par l’institut de sondage Ifop, les français sont 3 sur 4 à penser avoir
déjà été confrontés à une fake news . Nous allons donc voir quelles sont les raisons de cette 71
augmentation des fake news dans notre quotidien.
a) Le développement des réseaux sociaux
Grâce à l’avènement des réseaux sociaux tel que Google, Facebook et Twitter, les fausses
nouvelles se multiplient à une vitesse folle à tel point que les internautes ne les dissocient plus
des vraies informations.
Il est très facile pour un internaute de relayer un post ou un tweet, en seulement deux clics le
contenu se verra bénéficier d’un “partage” en plus. Le problème est que pour certains
internautes, plus il y a de partages, de tweets ou encore de “j’aime” sur un contenu, plus celui-ci
sera crédible puisqu’il aura été relayé par de nombreuses personnes. Il a d'ailleurs été prouvé
par différentes études que nous privilégions les informations qui confirment notre point de vue 72
puisqu’elles produisent de la dopamine considérée comme récompense par notre cerveau.
Avant que l’internaute puisse partager cette fake news, comment se fait-il qu’il ait eu accès à
celle-ci ? Comment les fake news parviennent aux premiers internautes qui par imprudence les
relaient ? L’une des solutions des réseaux sociaux pour se financer est la vente d’espace
publicitaire. Certaines personnes peu scrupuleuses l’ont bien compris et utilisent des outils tel
que Google Ads, Facebook Business ou Twitter Ads pour faire proliférer leurs faux contenus.
C’est le principe de base d’une publication sponsorisée, en échange d’un montant défini à
l’avance, l’entreprise en charge des publicités mettra en avant la publication, plus qu’elle ne le
devrait, et à un public préalablement ciblé grâce à des critères comme votre âge, votre
nationalité, le contenu que vous suivez ou aimez etc. On comprend donc comment les fake
news peuvent toucher un grand nombre de personnes assez facilement et pourquoi cela
71
Sondage, “E-Réputation des entreprises”, Ifop, 19 février 2019
72
Etude, “Reward, Motivation, and Reinforcement Learning”, Science Direct, 10 octobre 2002
36. 36
perdure. Ces publications sponsorisées représentent une ressource financière non négligeable
pour les réseaux sociaux qui ont donc du mal à s’en séparer.
Une autre méthode pour faire proliférer les fake news sur les réseaux sociaux est l’achat de faux
“j’aime” (likes), de partages ou encore d’abonnés (followers). Cette méthode permet aux
publications d’être popularisées et de bénéficier d’une mise en avant par les algorithmes des
réseaux sociaux du fait qu’ils se basent en grande partie sur leur popularité. Si cette mise en
avant fonctionne, des personnes réelles partageront à leur tour les fausses informations
produisant un effet “boule de neige”.
La production de fausses interactions (“j’aime”, partages, abonnés) est produite grâce à deux
méthodes qui reposent sur de faux comptes. La première est les “fermes à clics”, le plus
souvent présentes en Chine ou en Inde, elles ont pour but de booster des articles ou des posts
de manière frauduleuse sur les réseaux sociaux. Elles sont constituées de salariés qui ont pour
seule mission de réaliser des clics en étant face à des centaines de milliers de smartphones
reliés à des ordinateurs pour répéter inlassablement les mêmes actions . En 2017, trois 73
hommes ont d'ailleurs été arrêtés par les autorités thaïlandaises qui pensaient arrêter les
salariés d’un centre d’appel frauduleux. Dans les locaux se trouvaient près de 500 iPhones,
environ 347 000 cartes SIM de différents opérateurs thaïlandais ainsi qu’une dizaine
d’ordinateurs dans le seul objectif de générer de fausses interactions . 74
La seconde méthode concerne les “bots”, ils permettent d'interagir directement sur un contenu
précis, par exemple en le partageant une centaine de fois, grâce à de faux comptes, très
facilement détectables (absence de photos et de bio/description, très peu d’amis ou d’abonnés
(followers), création du compte récente). Les bots se caractérisent le plus souvent par un
comportement de base commun : 75
● Diffuse du contenu pouvant être réel mais des années plus tard sans que cela soit
mentionné,
73
GroundZero, “Chinese click farm”, Youtube, 11 mai 2017
74
Dani Deahl, “Three men in Thailand reportedly ran a clickfarm with over 300,000 SIM cards and 400
iPhones”, The Verge, 12 juin 2017
75
Alex Perekalin, “Comment détecter les bots d’infox”, Kaspersky, 17 mai 2019
37. 37
● Associe le contenu à des médias sérieux pour qu’il soit moins facile d’être détecté par
les algorithmes,
● Les comptes d’une certaine nationalité (exemple : Etats-Unis) ne font que partager du
contenu d’une autre nationalité (exemple : Européens),
● Actifs uniquement à certaines périodes précises comme lors d’élections politiques,
● L’utilisation de sites proposant la réduction d’URL pour publier du contenu. Cela permet
aux utilisateurs des “bots” de bénéficier du service d’analyses de données proposé par
ces sites (nombre de clics par exemple).
La force de ces “bots” est de s’adapter aux algorithmes de détection des réseaux sociaux afin
qu’ils puissent perdurer dans le temps.
b) L’utilisation par les politiques
Les infox sont aussi une arme pour certaines personnalités politiques. Leur caractère souvent
polémique, sous forme d’approximations ou de fausses vérités, permet d’attirer l'attention des
électeurs, le politicien peut alors se présenter comme dénonciateur et porteur d’une vérité non
assumée par la majorité.
Prenons comme exemple Marine Le Pen qui n’hésite pas à mentir dans ses déclarations . Elle a 76
récemment déclaré : “Il faut que l’on expulse tout de suite les fichés S étrangers sur notre
territoire. Tous ceux qui ont un lien avec le fondamentalisme islamiste, dehors !”. Cependant la
loi permet déjà d’expulser du territoire français un étranger représentant une menace grave ou
très grave pour l’ordre public , le danger doit être jugé actuel et proportionnel à la décision 77
d’éloignement. Or la fiche “S” est un outil de surveillance, pas d’appréciation du niveau de
dangerosité d’un individu. La déclaration de la présidente du rassemblement national a pour but
de proposer de fausses solutions simples auprès de ses potentiels électeurs désinformés et qui
sont réactifs aux questions de l’immigration.
76
Les décodeurs, “Dix-neuf intox de Marine Le Pen dans son débat avec Emmanuel Macron”, Le Monde,
2017
77
Service public, “Expulsion d'un étranger hors de France”, Service-Public, 2018
38. 38
Damien Philippot, ancien assistant parlementaire et conseiller de Marine Le Pen, lui aurait
conseillé dans une note pour le débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle de 2017,
de “dégrader l’image de Macron, quitte à perdre en crédibilité” . Pour exemple, une des fake 78
news durant le débat fût la suivante : “La double peine, ça a été supprimé il y a quelques années.
On est aujourd'hui obligés d'accepter sur notre territoire et de subvenir aux besoins de ceux qui
sortent de prison et qui sont de nationalité étrangère.” . La double peine est le principe de 79
renvoyer un condamné étranger du territoire français après que celui-ci ait purgé sa peine.
Cependant, ce système qui est appliqué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, n’a pour
autant pas été supprimé mais évolué pour prévoir certaines exceptions.
Nicolas Dupont-Aignan, homme politique du parti debout la France a lui aussi utilisé
involontairement ou non les infox pour s’attaquer à ses adversaires politiques. En effet, c’est à
trois reprises que celui-ci a affirmé que l'ancien ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius
avait soutenu des groupes de combattants djihadistes en Syrie . Cette information a ensuite 80
été démentie plusieurs fois par de nombreux médias. Nicolas Dupont-Aignan se basait sur un
article du journal Le Monde dont la formulation maladroite d’une phrase dans un article pouvait
laisser penser que le ministre Laurent Fabius soutenait le front Al Nosra. Malgré que cette
information ait été démentie à plusieurs reprises par des médias reconnus, on constate que
Nicolas Dupont Aignan a continué à s’en servir pour attaquer Laurent Fabius et le gouvernement
dont il faisait partie, quitte à perdre en crédibilité.
Au travers des mensonges de l’ancienne candidate aux présidentielles, de la note de Damien
Philippot et des discours de Nicolas Dupont Aignan, on constate que la stratégie prise est celle
de tenir des discours polémiques peu importe la crédibilité de ces propos. Cette stratégie est
possible en se basant sur un électorat désinformé qui, comme nous avons pu le voir dans ce
mémoire, est élément clé pour véhiculer des infox.
78
Assma Maad, “«Dégrader l'image de Macron, quitte à perdre en crédibilité»: la note de Damien Philippot
pour Marine Le Pen avant le débat”, Buzzfeed, 2018
79
Sophie Visade, “Marine Le Pen assure que, la double peine ayant été supprimée”, Les Surligneurs, 3 mai
2017
80
Cédric Mathiot, “Fake news, Nicolas Dupont Aignan fait son festival sur france inter”, Libération, 2017