1. L’innovation, au cœur des projets récréatifs en milieu rural ?
Jean Corneloup,
Université Clermont-Ferrand
UMR PACTE, Grenoble
En ces temps de turbulences perpétuelles où les crises succèdent aux menaces, succédant
elles-mêmes à quelques embellies, jamais autant qu’aujourd’hui on nous parle de durable et
d’innovation. On serait ainsi en présence d’une sorte d’injonction paradoxale où il faut d’un
côté produire de la nouveauté, se jouer des nouvelles technologies, se mettre en mouvement
dans une course sans fin vers la production d’avantages concurrentiels ; et de l’autre, on nous
invite à ralentir, à consommer autrement, à faire l’éloge de la lenteur et à modérer les
innovations ou en tout cas à les penser dans un cadre responsable. Le monde du tourisme n’est
pas à l’écart de ce double mouvement, bien au contraire ! Jamais autant qu’au cours de ces
trente dernières années, les acteurs touristiques n’ont renouvelé leurs offres et mis en place
des produits toujours plus sophistiqués pour capter des publics aux goûts diversifiés et
changeants. Et en même temps, on nous parle de post-tourisme, d’éco-produits, de pratiques
alternatives, de tourisme équitable ou encore des nuisances occasionnées par la
disneylandisation touristique. Alors que faire ? Et peut-on tout faire et à n’importe quel prix ?
La réflexion sur l’innovation est un sujet bien complexe tant les objets et les pratiques
concernés sont multiples. Entre les innovations marketing, politiques, technologiques,
sociales, managériales, commerciales ou encore territoriales, les formes d’intervention pour
renouveler l’offre touristique peuvent prendre des chemins bien différents. Mais au-delà de
ces variations, la réflexion sur l’innovation vise à augmenter la rationalisation des procédures
pour tendre vers des pratiques qui deviennent la référence dans la manière de penser la gestion
des services et des pratiques touristiques et la création de valeur ajoutée à haut rendement. Sa
fonction vise à changer les organisations, la logistique et les jeux de pouvoir mais aussi à
concevoir autrement les produits, les services et les pratiques proposées aux touristes.
Cependant, à trop vouloir innover dans tous les sens, on risque d’oublier d’intégrer les
innovations dans un projet politique et social au sein duquel interfèrent de nombreux acteurs
et usagers. Si bon souvent, on parle du monde merveilleux de l’innovation, on oublie
d’évoquer les échecs, la démesure des coûts, la non-adéquation avec le marché et le territoire
ou encore les maladresses humaines que cela provoque. Osez l’hypo-innovation, c’est
s’engager sur la voie du ménagement pour éviter les excès de vitesse et la croyance que
l’innovation est avant tout une procédure instrumentale qui va de soi !!! Comme s’il suffisait
d’oser, pour que le projet se réalise ! Comme s’il suffisait de mettre un peu d’argent, de
créativité et d’énergie, pour que cela marche et soit à minima ou à maxima durable !
Le tourisme rural cherche aujourd’hui à « jouer dans la cour des grands » pour ne pas se
cantonner indéfiniment dans la position de l’outsider et dans la catégorie d’un tourisme de
seconde zone. Des innovations remarquables au cours de ces trente dernières années ont
permis à ce secteur géographique de modifier son image et sa place dans les territoires
attractifs et dynamiques. Par la mise en valeur des ressources spécifiques et génériques et par
la transformation de son économie en liaison avec une ouverture vers les pratiques culturelles
et sociales des touristes, ce secteur est engagé dans le renouvellement de son offre. Que ce
soit au niveau des manifestations, des parcs récréatifs, des stations rurales, de la
commercialisation des offres ou encore de la démarche qualité, tout un ensemble de nouvelles
pratiques sont en gestation, inaugurant l’émergence d’un autre monde rural. Reste aujourd’hui
2. à ancrer ces innovations dans des projets culturels suffisamment bien construits pour
capitaliser sur le long terme et éviter de penser que l’innovation est déconnectée de l’histoire,
des territoires, des ancrages sociaux et des récits symboliques qui donnent du sens au
changement acceptable et assimilable socialement.