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Université de Paris-Sorbonne
Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication
MASTER PROFESSIONNEL
Mention : Information et Communication
Spécialité : Marketing et Communication
Option : Stratégies de Marque et Communication Plurimédia
« CONSERVER UNE IMAGE ETHIQUE A L’ERE DU BIG DATA :
LE CAS DES E-COMMERCANTS FRANÇAIS »
Préparé sous la direction du Professeur Karine BERTHELOT-GUIET
Tuteur universitaire : Ambre ABID-DALENÇON
Leclère Valérie
Promotion : 2015
Soutenu le :
Note du mémoire :
2
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier chaleureusement Ambre Abid-Dalençon, pour ses conseils précieux et sa
grande implication dans le cadre de ce travail.
Merci à Jean-Marc Lazard d’avoir accepté d’être mon rapporteur professionnel sans me
connaître!
Merci également aux personnes qui m’ont accordé leur temps à l’occasion des entretiens
semi-directifs que j’ai pu mener pour appuyer mes analyses: Ridha Nabli, Karine Viel, Jérôme
de Labriffe, Olivier Marcheteau, Serge Descombes, Florence Fourets et Odile Jami.
Je n’oublie pas Caroline Marti qui a été d’un soutien extrêmement utile et d’une grande
bienveillance.
Merci enfin à Alexandre Weill qui a très patiemment géré nos enfants durant de nombreux
week-ends de lecture et d’écriture.
3
SOMMAIRE
INTRODUCTION p. 5 à 11
I – L’éthique, pierre angulaire d’une stratégie d’entreprise
A / Origine du développement de l’éthique pour les marques en France
a. Des USA à la France, reconstitution historique de l’apparition de l’éthique
d’entreprise p. 12 à 15
b. Sensibilité des entreprises à l’apparition de préoccupations éthiques chez
les consommateurs p. 16 à 17
c. Développement de l’éthique dans les entreprises en France : en réponse à
un besoin de confiance des consommateurs dans un contexte économique et
politique mouvementé p. 17 à 19
d. L’éthique en réponse à des besoins ou des peurs profondes des individus
p. 19 à 20
B / L’éthique : une stratégie d’entreprise du long terme mais fragile
a. L’éthique comme instrument de gestion d’une image d’entreprise. Exemple
des engagements éthiques de Monoprix : du code de conduite aux prises de
parole p. 21 à 25
b. Comment faire en sorte que les consommateurs adhèrent aux valeurs
morales des entreprises et leur soient fidèles? p. 25 à 26
c. Les limites de la diffusion de l’image éthique des entreprises, un jugement
distancié et une acceptation modérée des clients p. 27 à 29
II - Image éthique et gestion des données : à la recherche d'un équilibre vertueux
A / Big Data, histoire d’un phénomène mondial et nouveau paradigme : la
quantification du monde
a. L'évolution de la collecte de données (des données massives aux données
fines) : une évolution rapide p. 29 à 34
4
b. Gestion des données : d’une relation personnelle à une relation
multidirectionnelle dans une logique transactionnelle p. 34 à 36
B / Impact d’une politique Big Data sur l’image éthique des e-commerçants
a. Confrontation du marchand et de l’éthique à l’époque de l’utilisation des
données p. 37 à 44
b. Sur Internet : des prises de parole éthiques sous surveillance p. 45 à 48
CONCLUSION p. 49 à 53
BIBLIOGRAPHIE p. 54 à 60
RESUME p. 61
MOTS CLES p. 62
ANNEXES p. 63 à 70
Annexe I : Entretiens semi-directifs p. 63
Annexe II : Analyse sémiolinguistique comparative des rubriques sur la protection des
données personnelles des sites e-commerce français p. 64
Annexe III : Code de conduite de l’entreprise Monoprix p. 65
Annexe IV : Engagements éthiques de Monoprix et prises de parole en cohérence avec ces
engagements p. 66
Annexe V : Brochure C’est chaud pour la planète, Monoprix, à l’occasion de la Cop 21 p. 67
Annexe VI : Fiches Monoprix Les très bons gestes anti-gaspi p. 68
Annexe VII : Opérations Monoprix de tri des papiers avec Eco Folio p. 69
Annexe VIII : Je Boycotte Danone, Olivier Malnuit, p. 70
5
INTRODUCTION
En 2011, le cabinet d’audit américain Mc Kinsey édite un rapport avec le titre suivant:
Big Data : la nouvelle frontière pour l’innovation, la compétition et la productivité1
.Ce
rapport explique à quel point les données et leur utilisation vont transformer le monde. La
notion de « Big Data » s’impose. Héritée de l’ancienne « base de données », elle donne lieu
soudainement à une prise de conscience collective et mondiale du rôle des données générées
par l’afflux de contenu produit par tous et diffusé par le biais d’Internet.
Il est désormais possible d’exploiter des volumes gigantesques de données, nous nous
interrogerons plus spécifiquement sur les objectifs d’utilisation de la data par les e-
commerçants, plus précisément sur ceux des principaux sites de courses en ligne français, et
tenterons d’en dégager l’impact sur l’image des entreprises.
La collecte de données interroge la notion d’éthique et de respect de la vie privée dès l’instant
où sont utilisées d’une façon ou d’une autre par ces e-commerçants des informations que le
consommateur se voit obligé de transmettre puisqu’elles sont nécessaires à la validation des
transactions de courses en ligne : informations issues de questionnaires permettant la livraison
des courses ou réponses à des enquêtes de satisfaction suite à ces transactions. Par ce biais, les
e-commerçants récoltent des données d’ordre « sociodémographiques » : sexe, âge,
profession, habitat ou des données d’ordre « comportementales » : détail des produits achetés,
horaires des courses, fréquence d’achat des produits etc…
Avant toute chose il nous semble important de définir les mots éthique et morale. De
nombreux ouvrages ou articles lient l’éthique à la morale.
La morale, terme très ancien, viendrait du latin mos, mores et de moralis que Cicéron dans
son traité De Fato (44 avant JC) définissait de la façon suivante « cette partie de la
philosophie que les grecs appellent « ethos » parce qu’elle concerne les mœurs […] mais il
convient, en enrichissant note langue latine, de l’intituler « morale » »2
. Plus récemment, la
morale se définit en général comme une règle de conduite absolue et universelle : Petit
Larousse, 1990 (sens 1)3
: « Ensemble des règles d’action et des valeurs qui fonctionnent
1
Manyika James, Chui Michael, Brown Brad, Bughin Jacques, Dobbs Richard, Roxburgh Charles, Hung Byers Angela, Mc Kinsey Global
Institute Repot: Big data: The next frontier for innovation, competition, and productivity, Mai 2011.
http://www.mckinsey.com/insights/business_technology/big_data_the_next_frontier_for_innovation. Date de consultation: 25 juin 2015
2
Cicero Marcus Tullius, De Fato (Le Destin), Env.-43 av JC- Traduction en ligne de Ravasse Vincent,
http://uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/ciceron/le_destin/le_destin.html, Juin 2002, date de consultation
25 juin 2015
3
Petit Larousse, Larousse Editions, édition 1990
6
comme normes dans une société. ». Grand Robert, 1983 (sens 5) : « Ensemble des règles de
conduite considérées comme valables de façon absolue. »4
.
L’éthique s’apparente plutôt à une réflexion philosophique sur la morale et au fondement de
celle-ci. Paul Ricœur dans le supplément de 1985 de l’Encyclopédia Universalis la définit
comme suit : « Je propose donc de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme
d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de la loi morale et
de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des
normes, des impératifs. »5
. Nous comprenons que la morale renvoie au bien et au mal de
façon universelle et contrainte quand l’éthique questionne et critique.
L’ordre d’apparition de ces deux mots, morale et éthique, est intéressant à observer. Nous
avons constaté l’utilisation du mot morale dès l’antiquité. La revue Recherche et Formation
n°24, parue en 19976
nous apprend également que, autant la morale figure dans tous les
dictionnaires depuis leur création, autant l’éthique n’apparaît que dans les années 70 dans des
dictionnaires spécialisés comme dans Vocabulaire psychopédagogique7
et dans le
Dictionnaire de la langue pédagogique de Foulquié8
et le Dictionnaire encyclopédique de la
pédagogie moderne de Fernand Hotyat et Delphine Déléphine-Messe9
.
Nous nous demandons dans quelle mesure l’éthique ne présente-t-elle pas un caractère plus
moderne, puisque libéré de toute notion moralisatrice, religieuse ou superstitieuse.
Venons-en à évoquer la notion d’éthique des marques dans les entreprises.
Samuel Mercier en 2014 dans son livre L’éthique dans les entreprises évoque : « Par
rapport à la morale (vue comme un ensemble de normes conformes à un groupe à dimension
universelle et qui s’impose à tous), l’éthique doit permettre à l’individu de faire valoir sa
parole et ses intérêts propres »10
. Il parle d’un « champ de tensions qui se situe entre l’intérêt
de l’entreprise, l’intérêt général et les intérêts d’autrui. ».Ce même auteur parle de l’adoption
aux Etats Unis 1977 du Foreign Corrupt Practices Act qui serait à l’origine de « l’énorme
croissance des codes éthiques »11
. Pas étonnant que l’on observe une large diffusion dans les
entreprises des premières chartes éthiques à partir des années 80. Samuel Mercier fait
référence à la « formalisation de l’éthique » et à des documents énonçant « valeurs, idéaux,
4
Grand Robert, Le Robert Editions, 1983
5
Ricoeur Paul, Supplément de L’Encycloaedia Universalis, Les Enjeux éthiques, 1985, p42-45
6
Lagarrigue Jacques et Lebe Guy, “Ethique ou morale », Revue Recherche et Formation, E.N.S. Editions, n°24, 1997, p121
7
Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l'enfant. 2e édition revue et augmentée., Editions PUF, Paris, 1969
8
Foulquié Paul, Dictionnaire de la langue pédagogique, Editions PUF, Paris, 1971
9
Fernand Hotyat Fernand et Delepine-Messe Delphine, Dictionnaire encyclopédique de la pédagogie moderne, Editeur Fernand Nathan,
Paris, 1973
10
Mercier Samuel, L’éthique dans les entreprises, Editions La Découverte, Collection Repères, Sept. 2014, p5, p8, p20-22, p48
11
Foreign Corrupt Practices Act : Loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption
7
croyances, principes et prescriptions ». Ces valeurs formalisées et diffusées dans les
entreprises « concouraient à l’unité et à l’identité des organisations » pour le « besoin d’un
cadre de référence commun »12
. En réalité, plus l’entreprise se complexifie, plus il semble
crucial de maintenir sa cohésion. Facteur de stabilité, l’éthique s’utilise comme « instrument
de communication » pour marquer une image de « bonne entreprise ».
J’ai pu nourrir ce sujet de l’éthique dans l’entreprise à l’occasion d’une journée d’étude
organisée par le Gripic Paris Sorbonne (Le laboratoire de recherche en sciences de
l’information et de la communication du Celsa) le 18 Mars 2015. Cette journée d’étude
fragmentée en plusieurs tables rondes avait pour objectif notamment d’interroger la notion
d’éthique dans les pratiques professionnelles. Plusieurs professeurs d’Université, doctorants
au Gripic et professionnels étaient réunis pour débattre de ce sujet. Il en est ressorti que
l’éthique avait été à l’origine utilisée par les entreprises pour instituer des normes et du
respect autour de valeurs inventées dans une logique d’efficacité au moment où les entreprises
devenaient des groupes financiers soumis à pression forte de leurs actionnaires et de diverses
parties prenantes. Christian Le Moënne, professeur à l’Université de Rennes 2 parlait même
de « gravité de l’enjeu éthique ». Florian Malaterre, doctorant Gripic Celsa Paris-Sorbonne,
présentait la charte éthique comme un « document officiel qui doit servir de preuve ». Jean-
François Matei, en charge de l’éthique chez Orange, évoquait la principale utilisation de la
charte éthique d’Orange comme moyen de recrutement.
Ces témoignages relativement critiques posaient la question de la valeur éthique comme
destinée à servir un objectif stratégique. La stratégie, comme l’évoquait en son temps Michel
de Certeau est « intéressée, sa préoccupation essentielle étant de parvenir à capitaliser des
acquis de manière à les métamorphoser en profits »13
. La construction d’une image éthique de
l’entreprise et de ses marques pourrait servir l’objectif de développer les ventes d’après ces
chercheurs, même si les pratiques éthiques relativement nouvelles des entreprises semblent
dépasser largement un objectif unique de productivité, et avoir une portée plus large et
symbolique. Nous chercherons à décrypter en quoi le discours éthique des entreprises
fortement répandu de nos jours nous fait penser à une stratégie, à un « modèle figé qu’impose
unilatéralement un point de vue dominant » selon les mots de Pierre Macherey14
. Par ailleurs,
nous observons que les clients s’intéressent désormais à la légitimité sociale et aux actions
12
Mercier Samuel. Op. Cit. p. 32
13
De Certeau Michel, L’invention du quotidien, I- Arts de faire, Introduction générale, éd. Gallimard/Folio, 2002, p. 37
14
Macherey Pierre, stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20042005/macherey06042005.html, 6 avril 2005,
consulation le 26 juin 2015
8
éthiques des entreprises et que leurs attentes dépassent les simples besoins de conformité des
produits ou des services demandés.
Le maniement des données personnelles des individus à l’ère du « Big Data », c’est-à-
dire de la collecte en masse de données, nous apparaît être un sujet en lien avec la
problématique communicationnelle de l’éthique. A une époque où les entreprises soignent
leur image éthique afin de séduire leurs consommateurs, il convient pour ces entreprises de
prouver que les données collectées sont utilisées avec soin pour servir les intérêts dudit
consommateur dans un profond respect de sa vie privée. Nous nous attacherons à décrypter la
façon dont les marques communiquent sur le fait qu’elles protègent et respectent la
confidentialité de leurs données clients.
Le cas des e-commerçants nous semble particulièrement intéressant dans la mesure où les
courses en ligne, pratique en vogue, intéressent désormais une grande majorité de personnes
dans les grandes et moyennes agglomérations, et permettent de récolter une masse
gigantesque de données clients. A l’heure où la communication se veut de plus en plus
personnalisée grâce à la finesse de ciblage rendue possible par la fouille de données, les
données clients peuvent-elles être totalement protégées, la vie privée des consommateurs
correctement respectée ?
Les données clients peuvent-elles être totalement protégées lorsqu’elles sont amenées à être
utilisées à des fins marchandes?
Le Big Data recouvre une immense quantité de données, nous nous intéressons ici aux
données personnelles des clients collectées par les distributeurs généralistes français via les
sites e-commerce (nom, prénom, sexe, âge, lieu d’habitation, produits et marques achetés,
volume et fréquence d’achat etc…). Les distributeurs collectent des données en déposant des
« cookies » sur leur site : petits fichiers texte déposés sur le disque dur de l’ordinateur des
clients et qui se déclenchent à l’ouverture du site, ces cookies fonctionnent comme des robots
de lecture de navigation de chaque personne sur le site et fournissent machinalement des
données qui sont par la suite utilisées pour retracer le parcours de consommation des clients,
créer un historique de consommation et définir des profils de consommateurs dans le but de
constituer des offres personnalisées. Ces offres ou propositions commerciales personnalisées
sont proposées directement sur chaque site e-commerce ou au travers de bons de réductions
sur les produits précédemment consommés au moment de l’édition du ticket de caisse en
magasin. Les distributeurs détiennent de fait des informations sur leurs clients, que l’on peut
estimer en lien avec la vie privée.
9
Nous choisissons ici de nous intéresser plus spécifiquement aux données récoltées via les sites
de courses en ligne, puisque ces sites s’adressent à un large public, tant en terme d’âge, de
sexe que de catégorie socio-professionnelle, permettant de récolter des données de profils de
personnes très variés.
Nous questionnons la façon dont les entreprises utilisent les données personnelles de leurs
clients tout en communicant sur leurs pratiques éthiques. Ceci nous amène à énoncer une
problématique centrale:
Comment concilier l’exploitation des données clients dans le cadre des dispositifs de e-
commerce et une communication éthique ?
Nous tentons de répondre à cette question en établissant les hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : Depuis plusieurs années, l'engagement et le discours éthique s’emploient
régulièrement dans les entreprises.
Force est de constater que ces éléments communicationnels valorisent l’entreprise en externe
et en interne. Samuel Mercier, fait même référence à des « mécanismes éthiques »15
comme
les chartes éthiques par exemple, qui fonctionnent comme des « mythes » dans le sens où il
s’agit d’ »histoires que les gens croient vraies »16
et qui « permettent de faire accélérer
l’acceptation d’une idée »17
. Ainsi, ces chartes représentent pour des collaborateurs un « cadre
de référence commun » formalisé et idéalisé d’après Samuel Mercier.
Nous démontrerons ultérieurement que les démarches éthiques des entreprises constituent un
levier de fidélisation de la clientèle, que la notion de « marketing sociétal » existe et qu’elle
implique de développer une image de marque qui respecte l’intérêt général au-delà des
intérêts particuliers, ce qui, de fait, génère de l’empathie et de la préférence sur le long terme.
Hypothèse 2 : Cette norme éthique est retravaillée aujourd'hui à l'aune du "Big Data"
et de l'usage des données personnelles, comme en témoigne le cas des services de e-
commerce.
15
Mercier Samuel, Op. Cit.
16
George Lewi, conférence au Celsa sur le thème du « storytelling », auprès des étudiants de Master 2 SMCP, Avril 2015
17
George Lewi, Op. Cit.
10
Les notions de données personnelles et de vie privée étant étroitement liées, nous tentons de
percevoir la manière dont les e-commerçants les manient avec précaution pour construire et
solidifier leur image d’entreprises sociales et éthiques.
Nous nous interrogerons donc sur la façon dont les e-commerçants communiquent sur leur
gestion « éthique » des datas de leurs clients. Nous nourrissons cette étude d’exemples
concrets annoncés plus loin au travers de notre méthodologie.
Hypothèse 3 : Les entreprises doivent aujourd’hui composer avec une tension : entre
respect de la vie privée déclarée et utilisation de ces données, dans une optique
marchande. Le marchand et l'éthique se confrontent donc, amenant de nouvelles
tactiques communicationnelles de la part des entreprises.
Les clients, loin d’imaginer à quoi vont servir leurs données, ne sont-ils pas pris au piège d’un
système pour lequel il devient impossible de tracer les sources des offres qui leur sont
régulièrement proposées ? L’image de marque de ces e-commerçants ne s’en trouve-t-elle pas
abîmée ? Nous nous employons à fournir une réponse à la question du lien entre image
éthique et médiations marchandes.
Nous travaillerons chacune de ces hypothèses au moyen d’une approche
méthodologique spécifique. Pour ce qui concerne la première hypothèse, nous choisissons
d’analyser quelques éléments du code de conduite de Monoprix et d’établir un parallèle avec
les prises de parole autour des valeurs de l’enseigne, relevées au travers du rapport d’activité
du distributeur, de son site e-commerce, et de diverses opérations promotionnelles en
magasin. Les engagements éthiques de Monoprix sont-ils relayés par des prises de parole
cohérentes avec ces engagements ? Cette analyse nous permet de tirer des enseignements
précieux autour du sujet de l’éthique comme moyen de se forger une image d’entreprise
responsable et respectueuse de ses clients et de son environnement18
.
La seconde hypothèse nous incite à réaliser une étude sémiolinguistique des rubriques dédiées
à la gestion des données et au respect de la vie privée des consommateurs apparaissant sur les
sites de courses en ligne de cinq principaux e-commerçants français en Juillet 2015. Sont
étudiées les rubriques « vie privée et cookies » des distributeurs Monoprix.fr, Houra.fr,
Auchandirect.fr, Ooshop.fr et Cdicount.com. De cette étude nous évaluons différentes
18
Analyse des engagements éthiques de Monoprix et des prises de parole en cohérence avec ces engagements, annexe p.66
11
approches communicationnelles éthiques. Une présentation comparative et critique de ce
corpus est présentée en annexe19
.
Pour nous éclairer sur les questions de gestion des données dans le respect de
l’éthique, nous proposons également une analyse d’entretiens semi-directifs, réalisés avec des
professionnels de la gestion des données dans les entreprises et complétés d’entretiens avec
des responsables de la Commission Nationale Informatique et Liberté pour un focus sur les
possibilités de contrôle des données clients et de respect de la vie privée. Nous retranscrivons
des entretiens semi-directifs avec les six personnes suivantes : Ridha Nabli responsable de la
gestion des données chez Monoprix, Jérôme de Labriffe ex directeur du « Big Data
development » (développement et gestion des données) du groupe BNPP, Olivier Marcheteau,
directeur général du site de e-commerce Vestiaire Collective, Serge Descombes « Data
Insights Manager » (directeur de la collecte de données) de l’agence de Fifty Five. A la CNIL
nous rencontrons Florence Fourets, directrice des relations avec les usagers et du contrôle et
Odile Jami, juriste au service des plaintes20
.
Ce travail d’analyse fait l’objet d’un plan organisé autour de deux parties :
Nous retraçons dans une première partie les étapes du développement de l’éthique dans les
entreprises en France et pourquoi il apparaît désormais essentiel de proposer une image
éthique à ses clients. Comprendre l’origine du phénomène nous semble indispensable au
décryptage des pratiques communicationnelles éthiques développées par la suite. Nous
dressons un inventaire des attentes éthiques des clients vis-à-vis des entreprises et expliquons,
au travers d’exemples, à quel point une image éthique permet de fidéliser des clients sur le
long terme.
Une seconde partie présente plus spécifiquement la manière dont les e-commerçants
parviennent à s’attribuer une image éthique au travers de leur politique de gestion des données
clients. Nous proposons une analyse de la communication sur l’éthique des sites e-commerce
des principaux distributeurs généralistes en France. La transmission des données confronte le
marchand à l’éthique : cette pratique fréquente n’abîme-t-elle pas l’image des entreprises de
par l’abus de la sollicitation des clients ? Deux responsables de la CNIL nous éclairerons sur
ce point. Par ailleurs nous étudions l’influence d’Internet sur l’approche communicationnelle
de l’éthique.
19
Analyse sémiolinguistique comparative des rubriques sur la protection des données personnelles des e-commerce français, annexe p. 60
20
Entretiens semi-directifs, annexe p. 63
12
I – L’éthique, pierre angulaire d’une stratégie d’entreprise
A / Origine du développement de l’éthique pour les entreprises en
France
a. Des USA à la France, reconstitution historique de l’apparition
de l’éthique d’entreprise
Il nous semble intéressant d’identifier les origines de la démarche éthique en entreprise
afin de comprendre l’influence de l’éthique sur l’image des entreprises.
Plusieurs chercheurs dont ceux du centre économique et social du groupe Alpha21
, cabinet de
conseil français spécialisé dans les relations humaines et les conditions de travail, associent
l’éthique d’entreprise à des codes de conduite des salariés en entreprise, une notion apparue
aux Etats-Unis dans les années 1930. Nous entendons par codes de conduites des normes
éthiques mises en place par certaines organisations professionnelles américaines, visant à
régir les relations internes et externes des entreprises : ces dernières y voyaient un moyen de
contrôler elles-mêmes leurs activités plutôt que d’être obligées d’obéir à une « règlementation
publique plus contraignante »22
. (Extrait en annexe).
Les années 1970 virent ensuite apparaître les fameux « Principes directeurs à l’intention des
entreprises multinationales »23
(1976) adoptés par l’OCDE24
puis ensuite la « Déclaration de
principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale »25
de l’OIT26
(1977). Ces organisations internationales répondaient sans doute à l’inquiétude des états de se
voir écarter du pouvoir par la montée en puissance d’entreprises multinationales de plus en
plus nombreuses. Il semblerait que ce réflexe de crainte de perte de souveraineté soit à
l’origine de codes destinés à contrôler les affaires. Et comme l’affirme le directeur général de
l’Organisation Internationale du Travail en juin 2001: « dans un monde où la
déréglementation, la privatisation et le désengagement de l’état ont transféré le pouvoir de
décision de la sphère publique à la sphère privée, le monde des affaires en général et les
21
Alpha Etudes = Centre d’études économiques et sociales du groupe Alpha
22
http://www.groupe-alpha.com/data/document/chartres-ethiques-codes-conduite-01-07-04.pdf, p5 à 9, consulté en juillet 2015
23
http://www.oecd-ilibrary.org/governance/les-principes-directeurs-de-l-ocde-a-l-intention-des-entreprises-multinationales_9789264115439-
fr, consulté en juillet 2015
24
OCDE : Organisation de coopération et de développement économique
25
http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---emp_ent/documents/publication/wcms_124923.pdf, consulté en juillet 2015
26
OIT : Organisation internationale du travail
13
entreprises en particulier se retrouvent sur le devant de la scène dans tous les débats touchant
au travail »27
.
D’après Samuel Mercier dans son livre L’éthique dans les entreprises, il semblerait que
l’adoption par les Etats-Unis du Foreign Corrupt Practices Act28
en 1977 soit à l’origine de
« l’énorme croissance des codes éthiques »29
.
Cette loi anti-corruption s’applique à toutes les sociétés américaines mais aussi à toute société
étrangère en relation d’affaires avec les Etats-Unis susceptible d’adopter des pratiques
contraire à l’éthique, d’emprunter « the unethical road » : la route non éthique. Cette loi fait
suite aux résultats d’enquêtes menées par « l’U.S. Securities and Exchange Commission » –
La Commission pour la sécurité et le commerce américain – qui avait constaté d’importants
pots-de-vin versés par des sociétés américaines à des gouvernements ou partis politiques
étrangers. Ces pratiques destinées à favoriser la vente de produits américains sur des
territoires étrangers avaient fait scandale. Le Congrès avait demandé au FCPA de restaurer
l’image d’intégrité des sociétés américaines. Les deux principales dispositions de cette loi
consistaient en des dispositions anti-corruption destinées à éviter les pots-de-vin et en des
dispositions comptables pour un contrôle des comptes des entreprises. Des amendes
importantes voire même la prison menaçaient les personnes impliquées dans des affaires de
corruption, cette loi permettait pour la première fois « un contrôle interne des
comportements »30
.
Cécile Renouard, à l’occasion d’une interview donnée à France Culture en Octobre 201331
soulève la problématique de l’internationalisation accélérée des entreprises dans les années
1980 et de leur implantation dans des pays peu regardants des droits des travailleurs, ce qui
sensibilise les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les oblige à s’intéresser à ces
problématiques.
Dans le prolongement de l’apparition des premières règlementations éthiques, les années 1990
voient naître de nouveaux codes de conduite mais cette fois-ci de nature privée puisque à
l’initiative des entreprises elles-mêmes, poussées par les ONG, ces codes de conduite privés
représentent « près de la moitié des codes recensés en 1999 » d’après un rapport rendu en
2001 par l’OCDE32
. La mise en place de premiers « dispositifs déontologiques » se fait
surtout dans les pays anglo-saxons, au Japon et en Europe du Nord. Et notamment en France,
27
http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-i-a.htm, consulté en juillet 2015
28
FCPA : Foreign Corrupt Practices Act, loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption, qui sanctionne les pots de vins ou
assimilés
29
Mercier Samuel, L’éthique dans les entreprises, Editions La Découverte, Collection Repères, Paris, Septembre 2014, p. 48
30
Mercier Samuel, Op. Cit., p. 48
31
Renouard Cécile, interview France Culture, Emission Les carnets de l’économie, 28 Octobre 2013, 17H55
32
http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-i-a, consulté en juillet 2015
14
sous influence profonde des règlements de certains secteurs d’activité comme les banques,
soumises aux exigences du Règlement Général du Conseil des Marchés Financiers.
On voit bien que les premiers documents éthiques, appelés « codes de conduite »,
apparaissent plutôt en réponse à un besoin pour les multinationales de réglementer à leur
façon afin de s’affranchir de règles sociales jugées trop contraignantes ou inexistantes dans les
pays dans lesquels elles développent leurs affaires. L’éthique en entreprise semble être
imaginée à l’origine par des gouvernements de types libéraux afin de favoriser le
développement économique en premier lieu des entreprises américaines, et de protéger les
firmes de toute accusation ou sanction visant à ralentir cette croissance. Les codes de conduite
donnent naissance aux « chartes éthiques », nouvelle typologie de documents éthiques plus
valorisants. Ces chartes éthiques déroulent une série d’engagements sous différentes formes et
s’adressent aux collaborateurs aussi bien qu’au grand public, comme élément fondateur d’une
communication responsable.
En tout état de cause, chartes éthiques et communication autour de valeurs éthiques
deviennent au fil du temps absolument nécessaires au processus de construction d’image des
entreprises et notamment à celles qui, par le biais de la vente de leurs produits, se trouvent en
lien direct avec le grand public. Par ailleurs, nous nous plaçons, au travers de ces premières
approches de l’éthique, plutôt au niveau d’une vision très utilitaire d’adaptation des
entreprises aux règles économiques d’un nouvel ordre mondial : tant comme outil de
régulation interne qu’externe à l’époque du capitalisme roi et de l’apparition de nouvelles
règles juridiques.
Revenons une dernière fois sur les dispositions américaines écrites par Samuel Mercier33
: En
1991, les « Federal Guidelines for Sentencing Organisation » permettent au gouvernement
américain de contrôler les pratiques des entreprises « par le biais du système judiciaire »34
. La
loi Sarbanes-Oxley de 2002, suite au scandale Enron35
notamment, permet aux salariés des
sociétés américaines cotées de « signaler des fraudes ou malversations comptables et
financières »36
. Force est de constater le soin que prennent les institutions et entreprises
américaines à délimiter scrupuleusement les responsabilités des employeurs et des salariés
afin de protéger les firmes de quelconques agissements illégaux susceptibles de les mettre en
danger.
33
Mercier Samuel, Op.cit. p.50
34
Mercier Samuel, Op.cit. p.48
35
Enron, spécialisée dans le domaine de l’énergie et l’une des plus grandes entreprises américaines fait faillite en 2001 en raison
d’opérations spéculatives malhonnêtes sur le marché de l’électricité.
36
Mercier Samuel, Op.cit. p.50
15
Contrôles, enquêtes, crainte de perte de souveraineté, codes de conduite, comment ne
pas faire référence à un des ouvrages majeur de Michel Foucault Surveiller et Punir et son
concept largement étudié de « surveillance permanente »37
appliquée aux entreprises ? Ne
s’agit-il pas ici d’inventer un moyen de contrôler des faits et gestes qui pourraient porter
atteinte à la bonne marche des entreprises ? Ces nouvelles dispositions légales font
sérieusement penser à « l’économie de la visibilité » de Foucault. Comme l’évoque Olivier
Aïm dans la revue universitaire Communications et Langages, le concept de « panoptisme »
inventé par Foucault sert à décrire « tous les mécanismes de surveillance et de discipline qui
sous-tendent les institutions »38
, la comparaison avec ce phénomène semble prendre ici tout
son sens, et l’éthique s’assimiler à la constitution de règles de bonnes pratiques sous
surveillance destinées à protéger la rentabilité des firmes. Avouons que ces premières
manifestations de l’éthique sont bien loin de la définition donnée par Paul Ricœur : « visée de
la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes »39
.
b. Sensibilité des entreprises à l’apparition de préoccupations
éthiques chez les consommateurs
Nous percevons que l’imposition de règles et de moyens de contrôle ne constitue pas
la seule motivation des entreprises dans leur mise en place de chartes, principes et outils
éthiques, il s’agit également de répondre aux préoccupations sociétales des consommateurs et
à leurs attentes en termes de traçabilité de fabrication des produits mais aussi en termes de
respect de la personne humaine. Aux pressions faites par les organisations internationales et
ONG sur l’éthique des entreprises s’ajoutent de nouveaux dispositifs juridiques destinés à
lutter notamment contre les discriminations en tout genre. Ainsi, en France, la loi Pleven40
de
1972, qui condamne toute incitation à la haine et notamment à la haine raciale, introduit de
nouveaux réflexes de perceptions éthiques des pratiques des entreprises. Stéphanie Kunert et
Aude Seurrat dans la revue Communication et Management41
expliquent que la loi Gayssot42
37
Foucault Michel, Surveiller et Punir, Editions Gallimard, Collection « Tell », Paris, 1975, p. 249
38
Aïm Olivier, Une télévision sous surveillance, revue Communication et langages, n°141, Septembre 2004, p51, consultable sur
http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_2004_num_141_1_3286, consulté en juillet 2015
39
Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, septième étude, Editions le Seuil, Collection « Points Essais » n° 330, 1990, p200
40
Loi du 1er juillet 1972 contre le racisme, dite loi Pleven
41
Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, De la « publicité sociale » : lorsque les marques communiquent sur « la lutte contre les
discriminations » et la « promotion de la diversité », revue Communication et Management, Editeur ESKA, 2013, Vol. 10, p65
42
Loi Gayssot : La loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe
16
lui succède en 1990, loi tendant à réprimer tout acte raciste. Le Traité d’Amsterdam43
, signé
en 1997, vient élargir le propos et donne une dimension européenne à la lutte contre toutes les
formes de discriminations. Sensibilisées par les répercussions médiatiques de dénonciations
de mauvaises pratiques par les ONG, et par de nouvelles dispositions juridiques, les
entreprises doivent se monter plus citoyennes. La consommation éthique prend une telle
ampleur que les entreprises et les marques n’ont d’autre choix que de s’adapter et de
développer de nouveaux codes de conduite.
Pour se protéger d’accusations liées à leur pratiques de fabrication, de commercialisation et de
non-respect de la personne humaine, les firmes prouvent leur adhésion à des actions de
dimensions sociales et environnementales. Elles répondent par ailleurs à de nouvelles
exigences de leurs consommateurs en matière d’engagements et de communications éthiques.
Il semblerait que les attentes en matière d'éthique de ces mêmes consommateurs soient
également liées à des craintes beaucoup plus profondes. En tout état de cause, chartes éthiques
et communication autour de valeurs éthiques deviennent au fil du temps absolument
nécessaires au processus de construction d’image valorisante des entreprises en réponse à de
nouvelles exigences juridiques et aux attentes des clients.
Nous nous employons désormais à décrire les attentes des clients en matière d’éthique au
travers du chapitre suivant.
c. Développement de l’éthique dans les entreprises en France : en réponse
à un besoin de confiance des consommateurs dans un contexte
économique et politique mouvementé
D’après la philosophe Cécile Renouard44
, la notion d’éthique fait référence à une
notion de long terme et de respect des générations futures, elle précise même qu’il s’agit
d’une « condition à notre survie ». S’agissant des entreprises, nous avons vu que morale et
éthique ont d’abord été cantonnées à la constitution de règles de conduite opérant dans le but
de développer harmonieusement le commerce mondial et de favoriser les profits des firmes.
Les préoccupations éthiques des entreprises, jusqu’aux années 1990, ne semblent s’inscrire
que dans une logique de protection des acquis économiques en réponse à des pressions des
états et de multiples organisations internationales, comme les ONG. Ces logiques de
protection des acquis économiques des entreprises donnent suite à des attentes spécifiques des
43
Traité d’Amsterdam : Signé le 2 octobre 1997, son objectif est de créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice »
44
Renouard Cécile, Interview sur France Culture, Emission Les carnets de l’économie, 28 octobre 2013 à 17H55
17
consommateurs en matière éthique ; de nombreuses études, dont une sera référencée un peu
plus loin, soulignent le fait que ces consommateurs se tournent progressivement vers une
consommation plus responsable. De plus, l’entreprise citoyenne, telle que présentée via les
médias aurait engendré l’apparition de consommateurs plus avertis. André Boyer qui
coordonne en 2003-2004 un ouvrage collectif avec des spécialistes des problématiques
éthiques évoque l’entreprise des années 80 qui « réinstallée au cœur de la société, réinsérée
dans le système médiatique »45
devient une « valeur refuge » pour investir de « nouvelles
responsabilités sociales ».
Il s’agit ici d’établir une description de ces nouvelles attentes des consommateurs vis-à-vis
des entreprises et des marques, les consommateurs engagent désormais les entreprises à
prouver leurs valeurs morales, tant ils sont sensibilisés via les médias aux différentes
problématiques environnementales et sociales : conditions de travail très négligées dans
certains pays, travail des enfants médiatisé, contrefaçon, destruction des réserves naturelles :
toutes ces informations placent le consommateur citoyen dans une posture de méfiance vis-à-
vis des entreprises et des institutions.
Pour ce faire nous nous appuyons notamment sur des recherches menées par Aïda Baccouche
Ben Amara et Mustapha Zghal dans la Revue des Sciences de Gestion en 2008. Les auteurs
décrivent les nouvelles revendications des consommateurs par les éléments de contexte
suivants : crises sanitaires et écologiques largement médiatisées, catastrophes naturelles,
société en prise avec des « divergences socioculturelles issues des échanges entre partenaires
sociaux »46
et bien entendu démultiplication de l’offre produits proposée aux consommateurs.
Comme nous l’avons vu précédemment, dérégulation et internationalisation des années
1970/80 entraînent un élargissement de l’offre et coïncident avec une prise en considération
par les consommateurs de l’origine des produits. Les clients commencent à s’intéresser aux
conditions de production des entreprises et à développer de nouvelles exigences en matière de
consommation éthique. Des pratiques commerciales responsables perçues comme le garant du
bien-être collectif permettent de rassurer le consommateur et de déclencher l’achat.
Ainsi, l’éthique apparaît comme un critère de choix discriminant entre les produits et cette
recherche du bien-vivre et du bien-faire constitue une variable décisionnelle essentielle devant
un choix de plus en plus large. La médiatisation de nombreux scandales, comme les scandales
45
Boyer André, L’impossible éthique des entreprises Réflexions sur une utopie moderne, Editions d’Organisation, 2002, Résumé par Laurent
Stomboli, p11
46
Baccouche Ben Amara Aïda et Zghal Mustapha, La revue des sciences de gestion n° 234,« L’impact de la relation « éthique-confiance »
sur l’intention d’achat du consommateur, Edition Direction et Gestion (la RSG), Epinay-sur-Orge, année 2008, p.53-64
18
Enron et Ernst & Young47
, entraîne une grande méfiance dans les entreprises, perçues comme
des producteurs de biens et de services visant uniquement leur propre profit et absolument pas
le bien-être de leurs clients. Les consommateurs attendent des entreprises et des marques
qu’elles rétablissent une relation de confiance, qu’elles les rassurent sur la qualité de leurs
produits et qu’elles prouvent leur honnêteté. Un élan vers des préoccupations sociétales et
environnementales favorise l’émergence du « consom’acteur », c’est-à-dire du consommateur
souhaitant que la responsabilité des entreprises ne se limite pas à la seule accumulation de
profit.
Le centre Alpha Etudes réalise en 2004 une étude sur les chartes éthiques et les codes de
conduite, et affirme que cette nouvelle tendance « est sans doute à l’origine de la réaction des
entreprises concernant la formalisation d’une politique éthique »48
. Nous comprenons que le
consommateur est à la base d’une démarche plus responsable des entreprises en matière
économique, écologique, sociétale, sociale.
Nous observons une conjonction de facteurs qui donnent lieu à d’avantage de préoccupations
éthiques des entreprises et des consommateurs : La globalisation de l’économie oblige les
instances étatiques et les ONG à d’avantage de contrôles et de sensibilisation des
gouvernements et des entreprises au respect du travail humain, aux pratiques de fabrication
respectueuses de l’environnement, aux transactions financières transparentes et légales. Dans
un contexte de globalisation économique et de développement des multinationales, les
consommateurs s’interrogent sur les objectifs que nourrissent les entreprises : ces dernières
sont-elles uniquement animées par la quête de profit et l’obligation de distribuer des bénéfices
à leurs actionnaires au prix de délocalisations et de licenciements ou contribuent-elles à des
avancées sociales et environnementales ? Sensibilisés par les prises de parole des ONG, le
public s’inquiète du respect de l’éthique et considère cette valeur comme incontournable.
Ainsi, nous comprenons pourquoi les comportements éthiques constituent
progressivement un élément déterminant du capital immatériel des entreprises et de leur
image vis-à-vis du grand public, en réponse à des causes économiques, politiques et sociales
ainsi que nous venons de l’aborder mais aussi en réponse à des causes plus profondes, notion
que le prochain chapitre s’emploie à expliquer.
47
Le scandale Enron, Op. cit.
Le scandale Ernst & Young : Le cabinet d’audit Ernst & Young est accusé fin 2010 d’avoir masqué l’imminence de la faillite de la banque
Lehman Brothers deux ans auparavant.
48
Centre Alpha Etudes Op. cit. p45
19
d. L’éthique en réponse à des besoins ou des peurs profondes des
individus
Nous avons voulu démontrer au terme du précédent chapitre à quel point l’éthique,
apparue à l’origine dans les entreprises pour y apporter un cadre normatif dans un contexte
mondialisé et enclin à grand nombre de pratiques illicites dénoncées par les ONG, les médias
et le grand public, devient progressivement une condition sine qua non à la confiance dans
une entreprise ou une marque. Ce nouveau paradigme économique introduit une façon plus
signifiante de consommer et de percevoir les produits, les entreprises et les actions de
communication.
Dans la revue Multitudes en 2009, Olivier Assouly propose sa version d’une recherche de
« consommation signifiante »49
, celle-ci ferait suite à la crise économique (tout laisse
imaginer qu’il s’agisse de celle de 2008) en réponse à des décennies de « consommation
insignifiante ». L’hyperconsommation à laquelle la société aurait adhérée pendant des années
laisserait place à une consommation plus intelligente, sélective et responsable. Et le besoin de
jouissance débordant et irréfléchi des consommateurs aurait disparu au profit d’autres
revendications liées à la recherche de sens et à une nouvelle consommation plus pondérée et
responsable : une consommation équitable et citoyenne. E. Pastores-Reiss et H. Naillon, dans
leur livre Le marketing éthique, y voient une relation directe avec des démarches marketing
inscrites dans une « nouvelle quête de sens »50
.
Nous pouvons nous poser la question de la signification de cette quête de sens et nous
demander si ce besoin de consommation signifiante ne dépasse pas la simple réaction face à
des entreprises considérées comme entièrement intéressées, engagées dans un processus
d’hyper productivité.
André Boyer trouve dans des sources historiques une partie de cette réponse et explique que
« depuis le XVIIe siècle, c’est un mouvement continu qui, en Occident, a substitué à la
religion la raison comme fondement moral puis finalement a laissé l’individu seul devant le
besoin toujours aussi impérieux d’une éthique pour régir son rapport aux autres. Par ce
mouvement, l’éthique revient au cœur du débat comme seule garante du droit de tous au
bonheur »51
. Ainsi, l’éthique constituerait un fondement du bonheur moderne, la
responsabilité de l’individu se retrouvant « débarrassée de la transcendance religieuse ».
Philippe Lazar dans son ouvrage sur l’éthique biomédicale évoque de son côté un « retour à
49
Assouly Olivier, Editions Assoc. Multitudes, « Bégaiements de la consommation », 2009/1 (n°36), p.13-16
50
Pastrores-Reiss Elisabeth et Naillon Hervé, Le marketing éthique, Editions Village Mondial, 2002, p34, p64, p83-84, p143, p145
51
Boyer André, Op. Cit., p 4
20
l’éthique »52
en réponse à un « besoin du consommateur de moraliser un bien-être égoïste »,
ses réflexions rejoignent celles d’André Boyer sur le droit au bonheur.
En complément de ce postulat, Dominique Lacourt, dans son livre Prométhée, Faust,
Frankenstein : fondements imaginaires de l’éthique, associe « l’apparition des préoccupations
éthiques des individus à des peurs ancestrales issues de mythes anciens »53
, et explique dans
un autre de ses ouvrages que « deux évènements majeurs auraient actualisé cette interpellation
en ressuscitant la peur archaïque des êtres humains : l’un est la bombe d’Hiroshima, par
laquelle aurait été signifié que désormais notre espèce pouvait être détruite, l’autres concerne
les manipulations génétiques, par lesquelles aurait été signifié que désormais notre espèce
pouvait être modifiée »54
.
Peurs profondes et éloignement de la morale religieuse nous fournissent des éléments de
réponse à la quête de sens des individus en matière de consommation, à laquelle le marketing
et la publicité se doivent de répondre.
Philip Kotler évoque cette recherche de sens au travers du développement récent du
« marketing de la valeur » qu’il définit comme le « Marketing 3.0 » 55
, remplaçant d’après lui
le marketing 1.0 centré sur le produit et le marketing 2.0 centré sur le client. Il affirme que les
choix de produits et de services ne s’affranchissent désormais plus de preuves éthiques.
L’économiste, à l’occasion d’une interview menée en 2014 sur la chaîne latino-américaine
Management TV au sujet du marketing 3.056
, ajoute à ces besoins de prises de parole éthiques
une envie des consommateurs de s’engager dans une vraie relation avec les marques, de
construire une « histoire d’amour » avec elles.
Nous nous focalisons sur l’approche communicationnelle de l’éthique et visons à
démontrer à quel point une communication centrée sur des valeurs et une promesse de
« bonne entreprise » valorisent sur le long terme l’image de marque et favorisent, par des
phénomènes d’identification à ces valeurs, les intentions d’achat des consommateurs. Ceci fait
l’objet du second chapitre de cette première partie.
52
Lazar Philippe, L’éthique biomédicale en question, Editions Liana Levi, Paris, 1996, p12
53
Lacourt Dominique, Prométhée, Faust, Frankenstein : fondements imaginaires de l’éthique, Le Plessis Robinson, 1996, p13
54
Lacourt Dominique, Contre la peur, Editions Hachette, Paris, 1990, p33
55
Kotler Philip, Kartajaya, Setiawan, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, Editions de Boeck, Paris, 2012
56
Kotler Philip, Management TV, HSM Specials, Interviewer = Eduardo Braun, Mai 2014
21
B/ L’éthique : une stratégie d’entreprise du long terme mais fragile
a. L’éthique comme instrument de gestion d’une image
d’entreprise. Exemple des engagements éthiques de Monoprix :
du code de conduite aux prises de parole
Commençons par définir de quelle façon se construit une image d’entreprise. Nous
choisissons de rapprocher ce concept de celui d’image de marque, puisque nous estimons qu’à
bien des niveaux entreprise et marque se confondent (Apple, Microsoft, Chanel etc…).
L’image de marque, Nacer Gasmi la désigne comme étant l’un des attributs majeurs de
différenciation57
. Il reprend la définition de l’économiste Michael Porter58
qui associe
différenciation à une action de conférer un caractère unique à un bien, caractéristique à
laquelle les clients attachent de l’importance. L’image devenant alors une sorte de « point de
repère »59
, l’« ensemble des représentations rationnelles et affectives associées par une
personne ou un groupe de personnes à une entreprise, une marque ou un produit » pour
reprendre les théories de Jean-Marc Decaudin en 2003.
La construction de cette image de marque, et par voie de conséquence d’entreprise qui abrite
la marque, passe par des prises de parole publicitaires qui sont fortement orientées par des
objectifs économiques. Roland Barthes60
en son temps évoquait la publicité comme un
ensemble de signes chargés d’une forte intentionnalité communicationnelle.
Dans le contexte concurrentiel que nous connaissons, la gestion de l’image de marque
apparaît être un atout absolument central. Pierre Bonfils61
, dans son livre Morale, éthique et
déontologie dans la communication, lie le développement économique des entreprises et de
leurs marques à la bonne gestion de leur capital image. Ceci donne lieu à l’élaboration de
stratégies de communication destinées à exploiter ce capital, l’image de marque. Qu’en est-il
de l’intentionnalité communicationnelle de prises de parole centrées sur l’éthique ?
Nacer Gasmi envisage les valeurs éthiques comme des « instruments de valorisation
de l’image des entreprises »62
. Il décrit deux types d’images éthiques : l’une liée aux
engagements environnementaux et sociaux des entreprises, celle-ci génère un impact sur
57
Gasmi Nacer, Limites de l’appropriation des valeurs de l’entreprise comme attribut de la différentiation, revue Management et Avenir n°
72, Editeur Management Prospective Ed., 2014, p51-70
58
Porter Michael, L’avantage concurrentiel, Editions Dunod, Paris, 2003
59
Decaudin Jean-Marc, La communication marketing : Concepts, techniques, stratégies, Edition Economica, Paris, 2003, 48
60
Barthes Rolland, Le message publicitaire, revue Les cahiers de la publicité, juillet-septembre 1963, p245-247
61
Bonfils Pierre, Morale éthique et déontologie dans la communication, Victoire Editions, Collection Legicom n° 11, 1996, p4-12
62
Gasmi Nacer, Op. Cit, p51-70
22
l’image institutionnelle de l’entreprise et de ses produits (recyclage vertueux, utilisation
d’énergie verte, politique sociale qualitative, fabrication dans des pays respectueux des droits
de l’homme …). Dans ce cas, on n’y voit aucun bénéfice tangible pour le consommateur.
L’autre image éthique est, elle, directement liée au bénéfice perçu par les consommateurs au
travers des produits. Liée à l’amélioration du bien-être, elle valorise l’image des produits
(produits bios par exemple) et des marques et participe de l’image citoyenne de ladite
entreprise. Tout porte à croire que faire partager ses valeurs éthiques à ses consommateurs
permette de créer un socle de valeurs partagées par le plus grand nombre. La création de
valeurs consensuelles constitue un réel objectif communicationnel à des prises de parole
éthiques.
En complément de la création de valeurs consensuelles, un autre objectif communicationnel
aux prises de parole éthiques nous est proposé par Franck Debos qui évoque le besoin pour les
marques d’infuser une « valeur ajoutée émotionnelle »63
à toute valeur rationnelle. Marie-
Cécile Naves confirme ces propos et énonce que « la mise en valeur, par la publicité, d’une
philosophie morale altruiste, de la confiance dans les spécificités de chacun vise avant tout à
construire une identité forte pour la marque et à créer une relation émotionnelle avec
l’individu qui n’est rien de plus qu’un consommateur »64
.
La création d’une communion autour de certaines de ces valeurs nous semble également
constituer un objectif communicationnel aux prises de parole éthiques. Une argumentation
épidictique de certaines marques permet d’accroître l’intensité de l’adhésion partagée de ce
socle de valeurs, Chaïm Perelman estime même que la communication dans ce cas utilise
« l’ensemble des moyens dont dispose la rhétorique pour amplifier et valoriser »65
. Ce
développement nous permet d’envisager aisément l’impact valorisant de prises de parole
autour d’engagements éthiques qui permettent aux entreprises d’acquérir une « dimension
universelle »66
Nous choisissons d’observer des campagnes publicitaires qui illustrent parfaitement cette
posture communicationnelle en lien avec l’éthique, tant dans la mise en avant d’une mixité
sociale vertueuse que dans des discours en faveur du respect des différences : Benetton et sa
saga « United Colors »67
apparue entre 1980 et 1990 prône tolérance et valeur de partage,
cette campagne au long cours permet à l’entreprise de défendre une image engagée en faveur
63
Debos Franck, L’impact de la dimension éthique dans la stratégie de communication de l’entreprise: la nécessité d’une communication
« responsable, Revue Communication et organisation, n°26, 2005, p.92-103.
64
Naves Marie-Cécile, Comment le marketing politique et publicitaire construit la mythologie de la diversité, Revue Mots. Les langages du
politique 1/2012 (n° 98), p. 95-102
65
Perelman Chaïm et Olbrechts L.- Tytbca, Traité de l'argumentation, Editions PUF, Paris, PUF, 1958, p. 66-68
66
Tantet Marie, 1992, La stratégie publicitaire de Benetton, Revue Communication et langages, n°94, p. 20-36.
67
Campagne United Colors of Benetton, Op. cit.
23
de l’égalité raciale. Dove à la fin des années 2000 prend le parti de montrer des femmes
déshabillées, de taille et de corpulence contraires aux standards classiques de beauté. Défense
de la diversité, promotion de valeurs positives, les marques n’ont de cesse que de se présenter
comme les garantes du bien vivre et de la moralité citoyenne.
Engagements concrets, actions vérifiables et transparence des actions constituent des moyens
efficaces de prouver au grand public son adhésion à des valeurs éthiques. « Assez de mots,
des actes »68
répètent Elisabeth Pastore-Reiss et Hervé Naillon. Il nous semble intéressant de
conclure le propos de ce chapitre avec une mise en relation de certains points du code de
conduite du distributeur Monoprix avec les prises de paroles publicitaires et les actions de
l’enseigne sur le terrain. Précisons que le code de conduite décrit des règles de comportement
éthique à appliquer par l’entreprise et ses salariés, ces règles de comportement sont déclinées
des valeurs et principes fondamentaux de la charte éthique. Nous observons une corrélation
entre le contenu du code de conduite de l’enseigne et de son rapport d’activité avec ses prises
de parole éthiques en direction du grand public, comme le prouve le développement suivant:
Qualité et sécurité, premier point du code de conduite de Monoprix, engage l’entreprise à
proposer une offre de produits et de services qui « répondent de manière stricte aux normes de
sécurité et de qualité en vigueur »69
, ce point est relayé dans le rapport d’activité 2013 qui
souligne la certification de « nombreux produits par des labels respectueux de
l'environnement ou de conditions de fabrication honorables ». Monoprix prône une limitation
des conservateurs, des colorants et de l'huile de palme, un étiquetage nutritionnel plus
intelligible pour les consommateurs et le respect du bien-être animal avec notamment la
promesse de ne plus proposer à la vente d’œufs issus de poules élevées en batteries. Pour son
offre textile, l'enseigne pratique des contrôles très exigeants de ses usines de production, les
accompagne en matière de sécurité incendie et réalise régulièrement des audits sociaux dans
chacune d’entre elles. On trouve écho à ces engagements sur le site internet de l’entreprise,
dans la rubrique Développement Durable où Monoprix s’engage pour le respect des bonnes
pratiques agricoles, pour la qualité gustative des produits et pour l’accompagnement des
fournisseurs dans la durée70
. Des opérations en magasins viennent appuyer ces engagements
avec notamment la participation de Monoprix à la Quinzaine du commerce équitable menée
au mois de mai 2013 en collaboration avec Max Havelaar71
, cette opération s’assortit en
68
Pastore-Reiss et Naillon Hervé, Op. Cit, p46
69
Code de conduite de Monoprix, issu de la charte éthique du groupe, 2015, en annexe p. 65
70
www.monoprix.fr/le-developpement-durable, dernière date de consultation 15 janvier 2016
71
www.lesechosdelafranchise.com/franchise-monoprix/distribution-monoprix-s-implique-dans-la-quinzaine-du-commerce-equitable,
consultation le 15 janvier 2016
24
magasins de la mise en place d’affiches, de distribution de goodies et d’organisation de
séances de dégustation.
Le Respect de l’environnement, même s’il peut apparaître assez banal, constitue d’après nous
un point important à étudier, puisque nous y faisons référence régulièrement dans notre
travail. A la promesse de réduction de l’impact écologique promise par l’entreprise, le rapport
d’activité de celle-ci évoque "Moins de CO2" et "Des modes de transports responsables"72
. A
l’occasion d’un stage effectué en 2015 au sein de Monoprix, nous nous procurons une
brochure éditée récemment par le groupe et distribuée à ses collaborateurs à l’occasion de la
réunion internationale de la Cop 2173
, nous y lisons la promesse d’une amélioration des
installations de froid alimentaire, du transport multimodal ainsi qu’une limitation des
consommations d'énergie. La réduction du gaz à effet de serre est également évoquée dans le
rapport d’activité du groupe74
ainsi que dans sa brochure sur la Cop 2175
. Aux mesures prises
au sein de l’entreprise Monoprix s'ajoutent des conseils aux citoyens de mesures faciles et
efficaces pour réduire les gaz à effet de serre. Relevons enfin de récentes opérations de
sensibilisation au tri des papiers menées en magasins en partenariat avec Eco Folo76
. Le
Respect de l’environnement du code de conduite Monoprix couvre également l’amélioration
de la gestion de l’énergie et des déchets, le rapport d’activité de l’entreprise souligne une
démarche au long cours à horizon 2020 et "encore plus de tri" via la chaîne logistique ainsi
que des animations en magasins pour sensibiliser les clients sur la réduction et le tri des
déchets. L’engagement de Monoprix sur ce point se lit dans la rubrique Développement
Durable de son site internet et s’assortit de l’organisation en magasins d'animations autour
des gestes responsables pour limiter le gaspillage alimentaire et de distribution de fiches très
bons gestes anti-gaspi77
. Rappelons enfin que le groupe propose à ses clients plus de 1900
références alimentaires issues de l’agriculture biologique.
Citoyenneté dans la ville constitue le troisième point du code de conduite Monoprix sur lequel
nous souhaitons nous arrêter. Il s’articule autour du soutien d’associations pour renforcer le
lien social et lutter contre l’exclusion, du développement d’actions de dons de marchandises
et d’organisation d’opérations solidaires, comme le prouvent la mise en vente de bracelets
proposée par Monoprix au profit de la scolarisation d’enfants en Inde, les opérations de
collectes de marchandises alimentaires menées en magasins au profit de la Croix Rouge, les
72
Rapport d’activité 2013 de Monoprix, p.30
73
Cop 21 : 21ème
sommet international sur le climat
74
Rapport d’activité 2013 de Monoprix, p.29
75
Brochure C’est chaud pour la planète, éditeur Monoprix, Clichy, Novembre 2015, annexe p. 63
76
Opérations de sensibilisation au tri des papiers avec Ecofolio, annexe p. 69
77
Fiches très bons gestes anti-gaspi annexe p. 68
25
opérations de collectes de vêtements au profit de l’association Emmaüs mais aussi la
rénovation de l'association "Maison des Champs" pour la distraction des personnes âgées dans
les villes et leur familiarisation avec les technologies numériques. Notons que le rapport
d’activité de Monoprix fait échos à ces différentes actions puisqu’il évoque la création en
2009 de la Fondation Monoprix qui a pour vocation de renforcer le lien social dans les villes
et qu’il souligne l’augmentation du nombre de magasins engagés dans le don alimentaire
avec la Croix Rouge.
Dons alimentaires, ventes de produits au profit d’associations caritatives, bilans carbones,
autant de preuves auprès du public que le distributeur s’engage fortement sur le chemin de
l’éthique. Nous constatons par cette analyse une cohérence entre les engagements éthiques
formels de l’enseigne Monoprix (code de conduite, rapport d’activité) et les expressions
communicationnelles de la marque autour de ces engagements.
Création de valeurs, recherche de création d’une dimension émotionnelle à ces valeurs et de
partage de celles-ci avec son public, trois objectifs qui d’après nos recherches, permettent de
camper une image de « bonne entreprise » auprès des consommateurs. Les marques, par le
biais d’actions valorisantes comme celles décrites ici pour Monoprix, prennent assurément
une nouvelle dimension, la dimension « universelle » qu’évoquait Marie Tantet. Il nous
semble important de conclure cette première partie par une réflexion sur la durabilité de
l’image éthique des entreprises. Des prises de parole régulières autour de valeurs éthiques
consensuelles suffisent-elle à pérenniser cette image ou s’agit-il d’élaborer dans ce but une
véritable stratégie d’entreprise?
b. Comment faire en sorte que les consommateurs adhèrent aux
valeurs morales des entreprises et leur soient fidèles?
Nous formulons l’hypothèse qu’il existe un lien de cause à effet non négligeable entre
des prises de parole éthiques des entreprises et la confiance à une marque octroyée par ses
consommateurs. La variable communication éthique et responsable apparait constituer une
variable décisionnelle d’importance face au choix à opérer parmi de nombreux produits.
Néanmoins il ne pourrait s’agir que d’attentes que les consommateurs projettent au travers des
prises de parole des entreprises, Stéphanie Kunert et Aude Seurrat dans leur analyse de la
26
publicité dite « sociale » évoquent « l’image de soi que la marque se construit dans ce type de
publicité »78
, miroir de l’image fantasmée des consommateurs.
Par ailleurs, ce lien de confiance nous semble découler d’une véritable « stratégie »
des entreprises comme « modèle figé qu’impose unilatéralement un point de vue dominant »79
pour citer Michel de Certeau. L’éthique dans sa recherche de « sens partagé »80
ne constitue-t-
elle pas une véritable stratégie dans un objectif de contrôle de la relation dans la durée avec le
consommateur ? Pour répondre à cette question, nous interrogeons le concept
d’acheminement du sens. Daniel Bougnoux dans son Introduction aux sciences de la
communication explique que « la complexe alchimie du sens met en jeu une notion qui a elle-
même trois sens […] signification […] sensibilité […] direction ». Il défend l’idée que pour
obtenir une écoute optimale des messages « il ne suffit pas de partager entre émetteur et
récepteur le même code […] encore faut-il toucher, et enrichir pour cela le discours en puisant
aux couches iconiques – indicielles de la sensibilité ; et surtout ouvrir une perspective ou une
issue au-delà des mots »81
. Ainsi, la diffusion de messages pour les consommateurs, orientée
d’une façon qui touche leur sensibilité profonde, et matérialisés par des actions concrètes,
permettrait leur écoute optimale, gage d’une relation sincère et donc pérenne. Christian le
Moënne, que nous avions écouté à l’occasion d’une journée de conférences organisé par le
Gripic, et spécialiste des questions de l’éthique en entreprise, pointe également le "processus
de rationalisation de la communication par le contrôle du sens »82
. Pour ce qui concerne plus
spécifiquement notre sujet, il explique que le processus communicationnel de transmission de
valeurs éthiques par les entreprises, dans ce qu’elles ont de très consensuel, atteint très vite ses
limites. Ce chercheur parle de « consensus en creux » et de « consensus universel » qui
permettrait d’évacuer tout ce qui fait sens.
Nous en concluons que le socle de valeurs éthiques des entreprises présentées aux
consommateurs via un cheminement complexe de prises de parole touchant les couches les
plus profondes de la sensibilité s’exerce dans une logique de contrôle de la relation à long
terme. Mais ces valeurs, dans ce qu’elles ont de consensuel, atteignent leurs limites lorsqu’est
perçu le déficit de sens qui les caractérisent. Nous évoquons dans le dernier chapitre de cette
première partie, les limites des prises de parole à valeur éthique, dans un contexte où le
78
Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, Op. Cit. p47
79
De Certeau Michel L'invention du quotidien, I: Arts de faire, Editions Gallimard, Col. Folio essais (n° 146) nouvelle édition, Paris, 1990
80
Le Moënne Christian, Ethique et contextes organisationnels, Revue MEI n° 29, http://www.mei-info.com/, 2008
81
Bougnoux Daniel, Introduction aux sciences de la communication, Editions La Découverte, Collection Repères, Paris, 2001
82
Gripic : Op.Cit., Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de communication
27
jugement du consommateur vis-à-vis des marques et des entreprises se veut de plus en plus
distancié et critique.
c. Les limites de la diffusion de l’image éthique des entreprises, un
jugement distancié et une acceptation modérée des clients
A la perception de la recherche de consensus fade qui s’exprime au travers des
communications des entreprises et des marques s’ajoute une forme de malaise dans le monde
occidental à communiquer sur des valeurs éthiques, cette partie du monde étant pétrie de
culture catholique et percevant comme un tabou le fait de communiquer sur le « bien ». Les
prises de parole se doivent donc d’être habiles. C’est précisément ce que soulignent de
nombreuses fois dans leur livre Elisabeth Pastore-Reiss et Hervé Naillon.83
Il apparaît que l’énonciabilité de certaines communications dites sociales est perçue comme
maladroite et constitue une limite à l’acceptation du message transmis par les consommateurs.
La légitimité de certains messages peut être refusée, entraînant de fait des risques en termes
d’image pour les marques. Stéphanie Kunert et Aude Seurrat84
évoquent un décryptage
critique si affuté de la part des consommateurs qu’il est très important pour les entreprises de
travailler dans le détail leurs prises de parole éthiques, de façon à ne pas être qualifiées
d’opportunistes usant de stéréotypes grossiers. Pour exemple, une campagne pour des gels
douche hydratants de la marque Dove menée aux Etats-Unis en 2011 sur le thème de la
diversité des femmes (il s’avère que la campagne précédemment citée est une campagne
mondiale), a fait l’objet d’échos très négatifs. Il s’agit d’une publicité destinée à prouver
l’effet hydratant sur la peau des gels douches présentés. Les mentions « avant » et « après »
venant illustrer le propos publicitaire. Il s’avère alors que les consommateurs identifient que
la mention « avant » le bénéfice généré par l’application du produit sur la peau est placée juste
au-dessus du mannequin la plus métissée de l’affiche et que la mention « après » est placée à
proximité du mannequin la plus mince et blanche. La marque Dove fait immédiatement
l’objet de critiques d’associations féministes et antiracistes.
83
Pastore-Reiss Elisabeth et Naillon Hervé, Op. Cit.
84
Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, Op. Cit.
28
D’autres marques comme Lego, Elf, Total, Mattel, Nutella, ont également fait l’objet
par le passé de violentes critiques, de la part d’ONG ou de consommateurs observateurs et
pointilleux.
S’agissant de sujets sensibles à forte valeur ajoutée émotionnelle, les entreprises et les
marques se doivent de délivrer des messages aux détails extrêmement soignés. Tout porte à
croire que la légitimité éthique des entreprises et de leurs marques soit si fragile que
l’acceptation des messages desdites marques nécessite un soin tout particulier accordé aux
moindres effets de sens.
Car une posture communicationnelle perçue comme maladroite peut générer de l’incohérence
entre le discours et l’image de marque. Par ailleurs, les gestionnaires de marque savent
désormais que le risque de sanction des consommateurs est latent et peut intervenir très
rapidement en cas de comportement « non éthique » et non conforme à l’attente des clients.
Ainsi, de cette première partie, nous déduisons la fidélisation des clients aux entreprises qui
développent une approche communicationnelle de l’éthique à leur égard. L’éthique permet un
contrôle du sens dans une logique stratégique des entreprises. La représentation de soi qui
« repose toujours sur une négociation d’identité à travers laquelle le locuteur tout à la fois se
pose, et tente d’imposer ou, tout au moins, de faire partager, ses façon de voir »85
crée une
85
Amossy Ruth, La présentation de soi, Ethos et identité verbale, Presses Universitaires de France, 2010, p120
29
relation pérenne avec les marques puisqu’elle trouve sa source dans des valeurs qui touchent
la sensibilité profonde des clients. Par ses actions concrètes et vérifiables, l’éthique engage les
entreprises qui la véhiculent et confère aux marques un univers valorisant et une image
détachée des aspects purement matériels de leurs produits. Mais cet exercice
communicationnel s’assortit de certaines limites en lien avec la distance de jugements des
consommateurs.
Un autre sujet nous interpelle : à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, sources de
développement de grandes masses de données, nous nous interrogeons sur le maintien de
postures communicationnelles éthiques. Ceci fait l’objet de la deuxième partie de cette étude
où nous apportons des réponses à la problématique de l’image éthique des entreprises à l’ère
du Big Data.
30
II - Image éthique et gestion des données : à la recherche d'un équilibre
vertueux
A/ Big Data, histoire d’un phénomène mondial et nouveau
paradigme : la quantification du monde
a. L'évolution de la collecte de données (des données massives aux
données fines) : une évolution rapide
Nous nous employons tout d’abord à décrypter le chemin historique du traitement des
données avant de proposer un état des lieux du phénomène contemporain « Big Data » et de
l’influence de ce phénomène sur l’économie mondiale et plus spécifiquement sur l’apparition
de nouveaux modes communicationnels.
Commençons par évoquer Victor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier qui, dans leur
ouvrage Big Data : La révolution des données est en marche, soulignent que les individus au
cours de l’histoire entreprennent perpétuellement « la conquête du monde en en faisant la
mesure »86
. Les auteurs rappellent que la trace la plus ancienne de comptage remonte à 5000
av. JC à l’époque où les commerçants sumériens « utilisaient de petites billes d’argile pour
indiquer le nombre de marchandises à livrer ou à stocker »87
. Cette capacité à « enregistrer »
des informations constitue d’après eux « l’une des lignes de démarcation entre sociétés
primitives et évoluées ». Plus récemment, la quantification du temps et de l’espace au XIIIe
siècle par les savants et astronomes français confirme cette théorie. Nous comprenons de fait
l’origine d’un besoin irrémédiable de contrôle des données. Ce phénomène s’accélère ces
dernières années : cinquante ans après la pénétration massive des ordinateurs dans les foyers
et quarante-cinq ans après l'apparition d'Internet (dont beaucoup s’accordent à dire que son
point de départ serait une mise en réseau d’ordinateurs, mieux connu sous le nom américain
d’« Arpanet ») et son utilisation généralisée, on assiste à un phénomène d'accumulation
gigantesque de données et à leur multiplication exponentielle. Le volume d'informations
délivrées à grande échelle par ces nouveaux outils donne lieu à l'apparition d'un nouveau
terme : « Le Big Data ».
Nous nous attachons ici à définir le terme « Big Data » et à fournir des éléments concrets
86
Mayer-Shönberger Viktor Cukier Kenneth, Big Data La révolution des données est en marche, Robert Laffont, traduction française 2014,
p15-18-30-45-69-88-98
Mayer-Shönberger Viktor Cukier Kenneth, Op. Cit.
31
concernant ses nombreuses applications de façon à souligner l’importance de ce phénomène,
sa rapidité de développement et à en circonscrire les enjeux. Décrire un phénomène global
permet d’envisager plus clairement ses applications spécifiques comme par exemple celle de
la gestion des données clients chez les e-commerçants. Ceci constitue donc une introduction
nécessaire au développement qui suit sur la manière dont les services de e-commerce
envisagent le traitement de leurs données clients dans un objectif d’optimisation commerciale
et de maintien de leur image éthique.
Ainsi, ce terme de Big Data entre dans le dictionnaire en 2008, mélange d’anglophonie
(Big) et de latin (Data), nous nous plaisons à imaginer qu’on convoque à travers lui
l’internationalité et l’histoire. Il signifie précisément un grand volume de données. Les
algorithmes créés par Google ou Facebook qui peuvent apparaître comme de simples « séries
d’instruction sur la manière de réaliser quelque chose »88
, ne seraient-ils pas en réalité en
phase de « créer de nouveaux types d’intelligence non consciente – grâce à l’apprentissage
automatique et au Big Data – qui sont capables de surpasser les êtres humains »89
, tout ceci à
l’échelle planétaire. Dix millions de photos postées toutes les heures sur Facebook, société qui
n'existait pas il y a 15 ans, plus de 3 milliards de commentaires par jour et environ 500
millions de tweets par jour sur Twitter90
. Autant de traces numériques, gage de
l'impressionnant taux de croissance des données à travers le monde. Il apparaît totalement
impossible de chiffrer ces données tant leur vitesse de propagation est vertigineuse et leurs
sources inépuisables : courriels, photos, vidéos, musiques, systèmes de navigation divers,
objets connectés, commerce en ligne...On parlerait de doublement tous les 3 ans. Gilles
Babinet91
dans son dernier livre Big Data, penser l’homme et le monde autrement estime
qu’en 2010 nous produisons tous les deux jours autant d’informations qu’entre le début de la
culture humaine et 2003! Victor Mayer-Schönberger et Kenneth Cikier92
font le comparatif
suivant : si les données étaient représentées sous forme de pages de livres elles
représenteraient 52 fois la superficie des Etats-Unis !
De quoi sont constituées ces données ? Eric Sadin dans La vie algorithmique, explique
qu’elles viennent globalement de deux sources : la première est constituée des « gestes »93
88
Courrier International, n°1299, 24 au 30 septembre 2015, Des chiffres et des êtres, traduit d’un article du journal « The Independant »,
Marsden Rhodi, Londres, 8 mars 2015
89
Courrier International, n°1290, 23 au 29 juillet 2015, Les nouveaux prophètes de la Silicon Valley, traduit d’un article du journal «New
Statesman », Harari Yuval, Londres, 18 juin 2015
90
Babinet Gilles, Big Data, penser l’homme et le monde autrement, Le Passeur Editeur, 2015, p 19
91
Babinet Gilles, Op. Cit. p 21-22, p146
92
Mayer-Schönberger Victor et Cikier Kenneth Op. Cit., p68
93
Sadin Eric, La vie algorithmique - critique de la raison numérique – Editions l’Echappée, 2015, p 23, p 256
32
collectifs ou individuels qui créent des données de façon délibérée comme le remplissage de
questionnaires à l’occasion d’une inscription à un service en ligne, la seconde concerne ce que
l’auteur considère comme des « procédés passifs », des informations générées au travers de
dialogues sur les réseaux sociaux par exemple ou des photos postées sur des blogs sans que
les individus aient permis d’en utiliser le contenu.
Vélocité et variété sont des variables qui s’ajoutent à la notion de volume. Vélocité puisque le
temps de mise à disposition des données se réduit en permanence ainsi que la fréquence à
laquelle les données sont aujourd’hui collectées et traitées. Gilles Babinet se réfère à de
nouvelles générations d’algorithmes permettant de gérer les données des milliers de fois plus
vite qu’auparavant. Variété dans le sens où le traitement de ces données nombreuses et
hétérogènes nécessite la prise en compte de nombreux paramètres.
L’extraordinaire capacité technique des nouveaux ordinateurs, l’optimisation technologique
de leurs processeurs numériques et l’amélioration des capacités de stockage permettent de
maximiser la collecte d'une masse toujours plus importante de données et de développer des
méthodes de traitement automatique des données « bruyantes », c’est-à-dire non structurées.
Nombreux sont les usages décryptés par les personnes en charge de la gestion des datas. La
création de valeur liée à l’exploitation des données est vaste et donne naissance à de nouveaux
métiers comme « data scientists » (experts scientifiques en données) ou « data miners »
(professionnels ayant pour objectifs d’extraire « un savoir à partir de grandes quantités de
données »94
).
De nombreux professionnels du digital et du web marketing évoquent un nouveau paradigme
de par l’implication que peut avoir ce déversement de données sur notre mode de vie, Victor
Mayer-Schönberger et Kenneth Cikier envisagent même une modification de notre
« interaction avec le monde »95
, le début d'une « transformation majeure » par le nombre de
connexions considérables en lien avec ces données destinées à fournir des conclusions
utilisables par grand nombre de secteurs d’activités et d’entreprises. Bertrand Diard96
,
fondateur en 2006 de la « start-up » française Talend97
confirme ces observations. Nous avons
pu assister à une conférence où il intervenait sur le sujet du Big Data lors de l’évènement BPI
France Inno Génération : 24H non-stop à Paris les 10 et 11 Juin 2015. Bertrand Diard prévoit
également le concept de « rupture » et de « changement de notre monde » devant l’immense
94
Ecole Nationale d’ingénieurs de Sfax, Méthodes d’évaluation des méthodes d'Extraction de Connaissances dans les Données, 2010,
consultable sur : www.egc.asso.fr/sdoc-187-egc10_atelier_evalecd.pdf, consulté en septembre 2015
95
Mayer-Schönberger Victor et Cikier Kenneth Op. Cit. p73 et p93
96
Diard Bertrand, intervention dans le cadre de l’évènement BPI France Inno Génération 24H non-stop, Cité de la Mode, Paris, 11 Juin2015.
97
Talend est une société basée aux Etats-Unis (Californie), elle est éditrice de logiciels spécialisés dans l'intégration et la gestion des données
33
opportunité technologique qu’il nous est donnée de pouvoir collecter et transformer à l’infini
toutes ces informations. Gilles Babinet n’hésite pas à parler de « révolution », de « nouvelle
ère informationnelle » et indique que, par l’interconnectabilité des données, « Google
Facebook et quelques autres en savent potentiellement infiniment plus sur la société française
que l’INSEE ». Il ajoute que « les découvertes que l’on fait en analysant les données sont
parfois loin de ce que l’on envisageait de trouver ou même chercher au départ »98
.
Les perspectives à plus long terme semblent même, d’après Eric Sadin, se diriger vers
« l’interopérabilité universelle » et le « savoir total »99
. Plus de case vide, une sorte de « mise
en données du monde » où tous les aspects de notre quotidien seraient potentiellement
calculables, nous revenons donc à la notion évoquée au début de ce paragraphe de
« quantifier » le monde dans l’objectif de le contrôler. La notion de prédictibilité entre
également dans le champ des applications du Big Data. Ainsi, d’après Gilles Babinet100
,
l’analyse de grandes quantités de données découleront assez naturellement sur des
prédictions. L’auteur imagine par exemple que des puces placées sous la peau pourraient
détecter la sensation de faim et la corréler avec des offres de services adaptées : des réductions
dans des restaurants par exemple ! Une sorte de faculté ubiquitaire qui permettrait de précéder
nos besoins. La puissance des algorithmes dans le traitement des données et l’analyse de
statistiques permettront notamment dans le domaine de la santé de prédire une crise
cardiaque ! On imagine aisément l’incidence de ces prédictions sur des primes d’assurance ou
le fonctionnement des services de police. Des défis à grande échelle se profilent : solutions
aux problématiques de changements climatiques, éradication de certaines maladies, sécurité
des individus à travers le monde. Une application d’IBM du nom de « Blue Crush »101
permettrait de devancer la criminalité : en croisant des données liées à la météo, aux jours de
versements des salaires et à de nombreux autres indicateurs comme l’historique des délits, on
se trouverait dans la capacité de faire avorter des projets violents. A l’ère du Big Data,
d’ingénieuses méthodes statistiques créent des ponts entre des données et des phénomènes
observés. Quantification du monde et prédictibilité ont du reste été évoquées à de nombreuses
reprises dans le cadre d’une série d’entretiens semi-directifs avec des spécialistes de la data,
entretiens auxquels nous faisons référence ultérieurement.
A ce stade, nous nous posons la question suivante : dans quelles mesures ces applications
rendues possibles par les algorithmes puissants du Big Data sont-elles compatibles avec la
98
Babinet Gilles, OP. Cit., p. 231
99
Sadin Eric, La vie algorithmique - critique de la raison numérique – Editions l’Echappée, 2015, p. 56-57-58, p. 112-113
100
Babinet Gilles, Op. Cit., p. 47
101
Sadin Eric, Op. Cit. p. 119
34
notion d’éthique ? La collecte de données sans faille de sécurité pour ce qui concerne la vie
privée est-elle envisageable dans le cadre notamment de la collecte de données par le biais de
procédés « passifs » évoqués par Éric Sadin102
: ces procédés invisibles qui collectent des
traces numériques sans le consentement des individus comme des extraits de textes écrits sur
des blogs ou des vidéos postées sur des réseaux sociaux ? Par ailleurs la prédictibilité ne
porte-t-elle pas entrave à l’éthique ? Par sa capacité à pouvoir anticiper une partie de notre
futur, cette dernière ne fait-elle pas obstacle à notre liberté ?
Avant d’engager une analyse approfondie sur les aspects de respects de la vie privée à l’ère du
Big Data, ce qui fera l’objet d’un développement ultérieur, commençons par décrire certains
des usages de la gestion des données : l’exemple de la collecte et du traitement des données
comportementales des consommateurs par les e-commerçants nous semble extrêmement
précieux au plan commercial et communicationnel, c’est ce que nous analysons dans le
chapitre à venir.
b. Gestion des données : d’une relation personnelle à une relation
multidirectionnelle dans une logique transactionnelle
Il nous semble judicieux de comprendre certaines des applications d’ordre commercial
et communicationnel du Big Data. Dans de nombreux secteurs d’activités et notamment celui
du e-commerce qui nous intéresse plus particulièrement, la collecte des données des clients et
son analyse permettent de créer des profils d’individus dans l’objectif de leur proposer des
services personnalisés.
Un article très intéressant de la revue professionnelle Influencia qu’il nous a été donné à lire
confirme ce propos et dresse le portrait d’une profession pionnière en matière d’utilisation des
datas à des fins commerciales et de construction de la relation client : « Wal-Mart ou Tesco
ont ouvert les yeux du secteur sur les leviers de différenciation et de gestion de la relation
client qu’offrait la data »103
explique la journaliste économique Christine Monfort. Cette
dernière souligne que « l’exploration des données de navigation est utilisée dans une optique
transactionnelle » et que « la connaissance client au sens large permet aux enseignes d’être
dans une logique consommateur beaucoup plus réelle ». Ainsi, en suivant des parcours de
navigation sur un site e-commerce, on déduit une « réalité » de consommation. Christine
Monfort évoque un autre atout au traitement des données comportementales des clients à
102
Sadin Eric, Op. Cit. p23
103
Influencia n° 9, Monfort Christine, Distribution : la data en tête de gondole, Paris, avril-juin 2014, p127-132
35
savoir la construction d’une relation « one to one » entre eux et l’enseigne au moyen d’offres
personnalisées : « l’objectif est de nouer une relation commerciale de plus en plus
personnalisée et de proposer au client les produits qui l’intéressent au moment où cela
l’intéresse » puis elle conclue sur le point suivant : « le véritable enjeu sera d’engager chaque
client sur ce à quoi il est le plus sensible ». L’avantage concurrentiel d’une bonne gestion de la
relation personnalisée avec les clients semble énorme pour des e-commerçants dont le souhait
le plus fort est de fidéliser et d’augmenter le panier d’achats.
Jérôme de Labriffe104
, ancien directeur du digital et de la gestion des données du groupe BNP
Paribas, rencontré dans le cadre de notre étude, nous éclaire sur l’intérêt majeur de constituer
des profils de consommateurs. Il insiste sur le fait qu’un individu est non seulement un sportif
mais aussi un amoureux des arts ou un informaticien. Passer de la collecte de données issues
de personnes uniques à des données issues de profils permet de créer des offres ciblées et de
multiplier ces offres en direction de chacune des personnes. Ainsi, tout porte à croire qu’une
bonne gestion des données clients permette par la suite de démultiplier des offres
commerciales correspondant à chaque point d’intérêt de ces derniers : une personne en
devient plusieurs pour les spécialistes de la gestion des datas. A l’idée de «conquête » liée à la
quantification et à la qualification du monde évoquée au début de ce paragraphe s’ajoute celle
d’une volonté de démultiplier l’être humain.
L’arrivée d’Internet et la pratique d’une gestion efficace des données clients dans un
objectif commercial et communicationnel permet aux entreprises d’échanger en permanence
et très rapidement avec leurs consommateurs pour assurer la pérennité de la
commercialisation de produits et de services. Franck Debos dans Les Cahiers du Numériques
en 2010 explique que l’un des effets du numérique étant l’accès à une information très fournie
et dans des délais très courts, ceci favorise l’apparition d’un nouveau traitement de cette
information et l’apparition du « consomm’acteur »105
, un consommateur impliqué dans un
dialogue personnel avec les marques, partie-prenante des décisions stratégiques et
communicationnelles des entreprises et identifié grâce à ses nombreuses « traces »
numériques. Des communautés virtuelles se créent ainsi que des blogs de consommateurs qui
donnent parole libre à la critique des entreprises et de leurs marques. La relation « on line »
apparaît, facteur de succès ou d’échec d’opérations communicationnelles, auxquelles les
responsables marketing apportent une attention plus que rapprochée, tant elle est garante de la
104
Entretien semi-directif avec Jérôme de Labriffe, Paris, 3 Septembre 2015, fourni en annexe p. 63
105
Debos Franck, Les Cahiers du Numérique, Piloter l’entreprise à l’ère du numérique, Editeur Lavoisier, 2010/4 (Vol.6), p9-1
36
vie, voire de la survie des marques. Les consommateurs savent désormais s’organiser en
groupes de pression et utilisent les canaux digitaux pour porter leurs avis et leurs exigences à
connaissance des entreprises. Cette obligation d’interaction avec le consommateur engage les
responsables de marques à un dialogue de tout instant avec leurs clients. Elle n’est rendue
possible que par la capacité qu’offre la gestion des données de pouvoir identifier et isoler ces
clients. Nous constatons que le digital favorise le développement d’une « proximité
relationnelle » inédite entre des marques et leurs clients. La confiance des consommateurs est
liée à la transparence des informations qui lui sont fournies, et à la transmission personnalisée
de ces informations. Une entreprise se doit de savoir réagir dans des délais brefs aux
sollicitations des internautes-consommateurs, comme le prouve un incident survenu chez
Danone :
Quand en Avril 2001, le groupe Danone annonce un plan social suite à la vente de sa filiale
LU, il apparaît impossible aux yeux des consommateurs qu’une entreprise se contente de
licencier pour augmenter ses profits. Danone, fait alors face à un appel au boycott au travers
de la création de nombreux sites internet en réaction au plan social annoncé. Le plus connu
étant le site « jeboycottdanone.com »106
créé par le journaliste Olivier Malnuit, sur lequel les
consommateurs sont invités à s’exprimer. Danone se doit ensuite d’identifier personnellement
ses détracteurs afin de pouvoir leur fournir une réponse adaptée : preuve de l’application
communicationnelle vertueuse d’un bon traitement des données.
Nous avons présenté certaines des applications commerciales et communicationnelles du Big
Data et avons évoqué de nombreuses fois l’accès au dialogue personnalisé des entreprises
avec leurs clients, le dernier point de ce chapitre s’emploie à envisager l’impact de la gestion
des données sur l’image éthique des entreprises.
B/ Impact d’une politique Big Data sur l’image éthique des e-
commerçants
Nous avons précédemment observé que les entreprises et les marques qui travaillent
leur valeur ajoutée émotionnelle créent un engagement relationnel avec leurs clients. Ces
clients s’impliquent dans une forme de « relation » nouvelle avec les entreprises et avec les
marques, au gré de leur désir d’interagir avec elles. Nous abordons dès maintenant un chapitre
106
Réseau-Voltaire.com, Malnuit Olivier, Je Boycotte Danone.net, 9 mai 2001, annexe p. 70
phttps://www.iddn.org/jnet/illustration/jeboycottedanone_090501.htm, consulté en septembre 2015
37
dont l’objectif est de nous éclairer sur la compatibilité du maintien d’une image éthique à
l’aune du Big Data et du traitement automatisé des données personnelles. Plus
spécifiquement, de quelle manière les e-commerçants parviennent-ils à préserver leur image
éthique dans ce contexte ?
Nous nous employons à répondre à ces interrogations en fournissant dans un premier temps
une analyse comparative des rubriques sur la protection des données personnelles des clients
du e-commerce, rubriques qui constituent une partie des conditions générales de vente de six
sites de distribution française. Nous retranscrivons ensuite une partie de l’interview d’un
responsable de la gestion des datas de Monoprix, menée en septembre 2015 à l’occasion d’un
stage dans cette entreprise, cette interview nous éclaire sur l’intérêt de manier avec précaution
les données des clients en cohérence avec les engagements éthiques de l’entreprise. Enfin, un
entretien en présence de deux responsables des relations avec les usagers à la CNIL nous
éclaire sur les principes de contrôle de l’usage des données personnelles par cette institution et
des limites qui sont apposées aux différents responsables de traitement des données dans un
but de respect de la vie privée des individus. Nous évoquons en fin de chapitre la surveillance
circulaire qui s’organise par le biais d’internet entre les entreprises, les clients et les instances
régulatrices comme la CNIL, forme d’entrave à la liberté et donc à l’éthique.
a. Confrontation du marchand et de l’éthique à l’époque de l’utilisation
des données
Une analyse sémiolinguistique approfondie des rubriques sur la politique de protection
de la vie privée107
de six sites majeurs de vente en ligne français nous fournit les premiers
éléments de preuve d’une volonté de diffusion d’une image éthique par les e-commerçants.
Monoprix.fr, Cdiscount.com, Auchandirect.fr, Ooshop.com, Leclercdrive.fr et Houra.fr, tous
s’emploient à justifier une utilisation vertueuse de leurs données clients. Nous retirons de
cette analyse les enseignements suivants :
Une image éthique passe par l'utilisation d'un champ lexical spécifique : Monoprix par
exemple accorde une grande importance à la transparence dans la gestion de ses données
clients. Des mots liés à la confiance et à la vie privée comme « protection et autorisation »
sont utilisés à de multiples reprises, le distributeur évoque également régulièrement la notion
de « choix » du client, quant à son droit d’accès ou à son droit d’opposition à l’utilisation de
107
Analyse sémiolinguistique fournie en annexe II, p. 64
38
ses données personnelles. OOshop, Houra, Auchandirect et Cdiscount emploient également
des mots liés à la sécurité des données privées comme «personnel » ou « confidentialité ».
Nous constatons que l'image éthique que Monoprix souhaite imprimer chez ses
consommateurs passe par un souci pédagogique d'expliquer ce que sont les « cookies »108
(le
mot est écrit soixante-quinze fois109
) et par l'évocation des partenaires avec lesquels elle est
susceptible de partager les données collectées. On retrouve ce souci de pédagogie également
chez Cdiscount qui propose sur son site quatre pages entières dédiées à tous les cookies
utilisés. Le champ lexical et la répétition de certains mots en relation avec l’utilisation
respectueuse des données des clients ainsi que la possibilité pour le client d’accéder à ses
propres données sont autant d’indicateurs d’image éthique auprès du public. Le droit à l’oubli
de ces données, proposé par Monoprix et que nous soulignons au travers de cette analyse,
renforce son image de distributeur de confiance. Nous observons un souci pédagogique des e-
commerçants d’éduquer leurs consommateurs sur la signification du mot « cookie » et sur son
usage. Cette volonté de transparence dans l’explication de cet aspect technique de la gestion
des données relève, nous semble-t-il, également d’une volonté d’inscrire une image éthique.
Ton et syntaxe employés fournissent d’autres indicateurs d'image : L'emploi du
présent par tous les distributeurs étudiés symbolise l'ancrage de la gestion des données des
consommateurs dans une réalité quotidienne. On constate l'emploi d'un ton respectueux et
personnel chez Monoprix, CDiscount et OOshop avec l’utilisation des mots "vous" et "nous"
et de nombreuses formules de politesse. Le ton est plus impersonnel et moins conversationnel
chez Houra et Auchandirect où l'on parle plutôt au "client" à la façon "mode d'emploi", les
phrases sont peu expressives et plutôt descriptives et neutres. Ajoutons que Monoprix utilise
des phrases longues et analytiques, symboles d'un temps long accordé à ses clients. Nous
retrouvons au travers de cette analyse certains éléments de l’approche communicationnelle de
l’éthique. Nous nous souvenons de l’interview de Philip Kotler évoquant le marketing de la
valeur (le marketing 3.0) et la volonté des entreprises de s’engager dans une forme de
« relation »110
avec leurs consommateurs au travers du partage de valeurs, nous avions
également pris soin de souligner le lien entre éthique et recherche de « sens partagé »111
où
Christian Le Moënne nous avait éclairé sur l’éthique comme outil communicationnel de
contrôle de la relation entreprises-consommateurs. Ainsi, le ton personnel et chaleureux
108
Les cookies sont de petits fichiers que les sites internet mettent sur le disque dur d’un ordinateur lors d’une première visite d’un
internaute. Il permet de fournir des informations sur la navigation de l’internaute en question.
109
Tableau récapitulatif de report des résultats fourni en annexe II, p. 64
110
Kotler Philip, Op. Cit.
111
Le Moënne Christian, Op. Cit.
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  • 1. Université de Paris-Sorbonne Ecole des Hautes Etudes en Sciences de l’Information et de la Communication MASTER PROFESSIONNEL Mention : Information et Communication Spécialité : Marketing et Communication Option : Stratégies de Marque et Communication Plurimédia « CONSERVER UNE IMAGE ETHIQUE A L’ERE DU BIG DATA : LE CAS DES E-COMMERCANTS FRANÇAIS » Préparé sous la direction du Professeur Karine BERTHELOT-GUIET Tuteur universitaire : Ambre ABID-DALENÇON Leclère Valérie Promotion : 2015 Soutenu le : Note du mémoire :
  • 2. 2 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier chaleureusement Ambre Abid-Dalençon, pour ses conseils précieux et sa grande implication dans le cadre de ce travail. Merci à Jean-Marc Lazard d’avoir accepté d’être mon rapporteur professionnel sans me connaître! Merci également aux personnes qui m’ont accordé leur temps à l’occasion des entretiens semi-directifs que j’ai pu mener pour appuyer mes analyses: Ridha Nabli, Karine Viel, Jérôme de Labriffe, Olivier Marcheteau, Serge Descombes, Florence Fourets et Odile Jami. Je n’oublie pas Caroline Marti qui a été d’un soutien extrêmement utile et d’une grande bienveillance. Merci enfin à Alexandre Weill qui a très patiemment géré nos enfants durant de nombreux week-ends de lecture et d’écriture.
  • 3. 3 SOMMAIRE INTRODUCTION p. 5 à 11 I – L’éthique, pierre angulaire d’une stratégie d’entreprise A / Origine du développement de l’éthique pour les marques en France a. Des USA à la France, reconstitution historique de l’apparition de l’éthique d’entreprise p. 12 à 15 b. Sensibilité des entreprises à l’apparition de préoccupations éthiques chez les consommateurs p. 16 à 17 c. Développement de l’éthique dans les entreprises en France : en réponse à un besoin de confiance des consommateurs dans un contexte économique et politique mouvementé p. 17 à 19 d. L’éthique en réponse à des besoins ou des peurs profondes des individus p. 19 à 20 B / L’éthique : une stratégie d’entreprise du long terme mais fragile a. L’éthique comme instrument de gestion d’une image d’entreprise. Exemple des engagements éthiques de Monoprix : du code de conduite aux prises de parole p. 21 à 25 b. Comment faire en sorte que les consommateurs adhèrent aux valeurs morales des entreprises et leur soient fidèles? p. 25 à 26 c. Les limites de la diffusion de l’image éthique des entreprises, un jugement distancié et une acceptation modérée des clients p. 27 à 29 II - Image éthique et gestion des données : à la recherche d'un équilibre vertueux A / Big Data, histoire d’un phénomène mondial et nouveau paradigme : la quantification du monde a. L'évolution de la collecte de données (des données massives aux données fines) : une évolution rapide p. 29 à 34
  • 4. 4 b. Gestion des données : d’une relation personnelle à une relation multidirectionnelle dans une logique transactionnelle p. 34 à 36 B / Impact d’une politique Big Data sur l’image éthique des e-commerçants a. Confrontation du marchand et de l’éthique à l’époque de l’utilisation des données p. 37 à 44 b. Sur Internet : des prises de parole éthiques sous surveillance p. 45 à 48 CONCLUSION p. 49 à 53 BIBLIOGRAPHIE p. 54 à 60 RESUME p. 61 MOTS CLES p. 62 ANNEXES p. 63 à 70 Annexe I : Entretiens semi-directifs p. 63 Annexe II : Analyse sémiolinguistique comparative des rubriques sur la protection des données personnelles des sites e-commerce français p. 64 Annexe III : Code de conduite de l’entreprise Monoprix p. 65 Annexe IV : Engagements éthiques de Monoprix et prises de parole en cohérence avec ces engagements p. 66 Annexe V : Brochure C’est chaud pour la planète, Monoprix, à l’occasion de la Cop 21 p. 67 Annexe VI : Fiches Monoprix Les très bons gestes anti-gaspi p. 68 Annexe VII : Opérations Monoprix de tri des papiers avec Eco Folio p. 69 Annexe VIII : Je Boycotte Danone, Olivier Malnuit, p. 70
  • 5. 5 INTRODUCTION En 2011, le cabinet d’audit américain Mc Kinsey édite un rapport avec le titre suivant: Big Data : la nouvelle frontière pour l’innovation, la compétition et la productivité1 .Ce rapport explique à quel point les données et leur utilisation vont transformer le monde. La notion de « Big Data » s’impose. Héritée de l’ancienne « base de données », elle donne lieu soudainement à une prise de conscience collective et mondiale du rôle des données générées par l’afflux de contenu produit par tous et diffusé par le biais d’Internet. Il est désormais possible d’exploiter des volumes gigantesques de données, nous nous interrogerons plus spécifiquement sur les objectifs d’utilisation de la data par les e- commerçants, plus précisément sur ceux des principaux sites de courses en ligne français, et tenterons d’en dégager l’impact sur l’image des entreprises. La collecte de données interroge la notion d’éthique et de respect de la vie privée dès l’instant où sont utilisées d’une façon ou d’une autre par ces e-commerçants des informations que le consommateur se voit obligé de transmettre puisqu’elles sont nécessaires à la validation des transactions de courses en ligne : informations issues de questionnaires permettant la livraison des courses ou réponses à des enquêtes de satisfaction suite à ces transactions. Par ce biais, les e-commerçants récoltent des données d’ordre « sociodémographiques » : sexe, âge, profession, habitat ou des données d’ordre « comportementales » : détail des produits achetés, horaires des courses, fréquence d’achat des produits etc… Avant toute chose il nous semble important de définir les mots éthique et morale. De nombreux ouvrages ou articles lient l’éthique à la morale. La morale, terme très ancien, viendrait du latin mos, mores et de moralis que Cicéron dans son traité De Fato (44 avant JC) définissait de la façon suivante « cette partie de la philosophie que les grecs appellent « ethos » parce qu’elle concerne les mœurs […] mais il convient, en enrichissant note langue latine, de l’intituler « morale » »2 . Plus récemment, la morale se définit en général comme une règle de conduite absolue et universelle : Petit Larousse, 1990 (sens 1)3 : « Ensemble des règles d’action et des valeurs qui fonctionnent 1 Manyika James, Chui Michael, Brown Brad, Bughin Jacques, Dobbs Richard, Roxburgh Charles, Hung Byers Angela, Mc Kinsey Global Institute Repot: Big data: The next frontier for innovation, competition, and productivity, Mai 2011. http://www.mckinsey.com/insights/business_technology/big_data_the_next_frontier_for_innovation. Date de consultation: 25 juin 2015 2 Cicero Marcus Tullius, De Fato (Le Destin), Env.-43 av JC- Traduction en ligne de Ravasse Vincent, http://uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/classiques/ciceron/le_destin/le_destin.html, Juin 2002, date de consultation 25 juin 2015 3 Petit Larousse, Larousse Editions, édition 1990
  • 6. 6 comme normes dans une société. ». Grand Robert, 1983 (sens 5) : « Ensemble des règles de conduite considérées comme valables de façon absolue. »4 . L’éthique s’apparente plutôt à une réflexion philosophique sur la morale et au fondement de celle-ci. Paul Ricœur dans le supplément de 1985 de l’Encyclopédia Universalis la définit comme suit : « Je propose donc de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de la loi morale et de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien et du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs. »5 . Nous comprenons que la morale renvoie au bien et au mal de façon universelle et contrainte quand l’éthique questionne et critique. L’ordre d’apparition de ces deux mots, morale et éthique, est intéressant à observer. Nous avons constaté l’utilisation du mot morale dès l’antiquité. La revue Recherche et Formation n°24, parue en 19976 nous apprend également que, autant la morale figure dans tous les dictionnaires depuis leur création, autant l’éthique n’apparaît que dans les années 70 dans des dictionnaires spécialisés comme dans Vocabulaire psychopédagogique7 et dans le Dictionnaire de la langue pédagogique de Foulquié8 et le Dictionnaire encyclopédique de la pédagogie moderne de Fernand Hotyat et Delphine Déléphine-Messe9 . Nous nous demandons dans quelle mesure l’éthique ne présente-t-elle pas un caractère plus moderne, puisque libéré de toute notion moralisatrice, religieuse ou superstitieuse. Venons-en à évoquer la notion d’éthique des marques dans les entreprises. Samuel Mercier en 2014 dans son livre L’éthique dans les entreprises évoque : « Par rapport à la morale (vue comme un ensemble de normes conformes à un groupe à dimension universelle et qui s’impose à tous), l’éthique doit permettre à l’individu de faire valoir sa parole et ses intérêts propres »10 . Il parle d’un « champ de tensions qui se situe entre l’intérêt de l’entreprise, l’intérêt général et les intérêts d’autrui. ».Ce même auteur parle de l’adoption aux Etats Unis 1977 du Foreign Corrupt Practices Act qui serait à l’origine de « l’énorme croissance des codes éthiques »11 . Pas étonnant que l’on observe une large diffusion dans les entreprises des premières chartes éthiques à partir des années 80. Samuel Mercier fait référence à la « formalisation de l’éthique » et à des documents énonçant « valeurs, idéaux, 4 Grand Robert, Le Robert Editions, 1983 5 Ricoeur Paul, Supplément de L’Encycloaedia Universalis, Les Enjeux éthiques, 1985, p42-45 6 Lagarrigue Jacques et Lebe Guy, “Ethique ou morale », Revue Recherche et Formation, E.N.S. Editions, n°24, 1997, p121 7 Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l'enfant. 2e édition revue et augmentée., Editions PUF, Paris, 1969 8 Foulquié Paul, Dictionnaire de la langue pédagogique, Editions PUF, Paris, 1971 9 Fernand Hotyat Fernand et Delepine-Messe Delphine, Dictionnaire encyclopédique de la pédagogie moderne, Editeur Fernand Nathan, Paris, 1973 10 Mercier Samuel, L’éthique dans les entreprises, Editions La Découverte, Collection Repères, Sept. 2014, p5, p8, p20-22, p48 11 Foreign Corrupt Practices Act : Loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption
  • 7. 7 croyances, principes et prescriptions ». Ces valeurs formalisées et diffusées dans les entreprises « concouraient à l’unité et à l’identité des organisations » pour le « besoin d’un cadre de référence commun »12 . En réalité, plus l’entreprise se complexifie, plus il semble crucial de maintenir sa cohésion. Facteur de stabilité, l’éthique s’utilise comme « instrument de communication » pour marquer une image de « bonne entreprise ». J’ai pu nourrir ce sujet de l’éthique dans l’entreprise à l’occasion d’une journée d’étude organisée par le Gripic Paris Sorbonne (Le laboratoire de recherche en sciences de l’information et de la communication du Celsa) le 18 Mars 2015. Cette journée d’étude fragmentée en plusieurs tables rondes avait pour objectif notamment d’interroger la notion d’éthique dans les pratiques professionnelles. Plusieurs professeurs d’Université, doctorants au Gripic et professionnels étaient réunis pour débattre de ce sujet. Il en est ressorti que l’éthique avait été à l’origine utilisée par les entreprises pour instituer des normes et du respect autour de valeurs inventées dans une logique d’efficacité au moment où les entreprises devenaient des groupes financiers soumis à pression forte de leurs actionnaires et de diverses parties prenantes. Christian Le Moënne, professeur à l’Université de Rennes 2 parlait même de « gravité de l’enjeu éthique ». Florian Malaterre, doctorant Gripic Celsa Paris-Sorbonne, présentait la charte éthique comme un « document officiel qui doit servir de preuve ». Jean- François Matei, en charge de l’éthique chez Orange, évoquait la principale utilisation de la charte éthique d’Orange comme moyen de recrutement. Ces témoignages relativement critiques posaient la question de la valeur éthique comme destinée à servir un objectif stratégique. La stratégie, comme l’évoquait en son temps Michel de Certeau est « intéressée, sa préoccupation essentielle étant de parvenir à capitaliser des acquis de manière à les métamorphoser en profits »13 . La construction d’une image éthique de l’entreprise et de ses marques pourrait servir l’objectif de développer les ventes d’après ces chercheurs, même si les pratiques éthiques relativement nouvelles des entreprises semblent dépasser largement un objectif unique de productivité, et avoir une portée plus large et symbolique. Nous chercherons à décrypter en quoi le discours éthique des entreprises fortement répandu de nos jours nous fait penser à une stratégie, à un « modèle figé qu’impose unilatéralement un point de vue dominant » selon les mots de Pierre Macherey14 . Par ailleurs, nous observons que les clients s’intéressent désormais à la légitimité sociale et aux actions 12 Mercier Samuel. Op. Cit. p. 32 13 De Certeau Michel, L’invention du quotidien, I- Arts de faire, Introduction générale, éd. Gallimard/Folio, 2002, p. 37 14 Macherey Pierre, stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/macherey20042005/macherey06042005.html, 6 avril 2005, consulation le 26 juin 2015
  • 8. 8 éthiques des entreprises et que leurs attentes dépassent les simples besoins de conformité des produits ou des services demandés. Le maniement des données personnelles des individus à l’ère du « Big Data », c’est-à- dire de la collecte en masse de données, nous apparaît être un sujet en lien avec la problématique communicationnelle de l’éthique. A une époque où les entreprises soignent leur image éthique afin de séduire leurs consommateurs, il convient pour ces entreprises de prouver que les données collectées sont utilisées avec soin pour servir les intérêts dudit consommateur dans un profond respect de sa vie privée. Nous nous attacherons à décrypter la façon dont les marques communiquent sur le fait qu’elles protègent et respectent la confidentialité de leurs données clients. Le cas des e-commerçants nous semble particulièrement intéressant dans la mesure où les courses en ligne, pratique en vogue, intéressent désormais une grande majorité de personnes dans les grandes et moyennes agglomérations, et permettent de récolter une masse gigantesque de données clients. A l’heure où la communication se veut de plus en plus personnalisée grâce à la finesse de ciblage rendue possible par la fouille de données, les données clients peuvent-elles être totalement protégées, la vie privée des consommateurs correctement respectée ? Les données clients peuvent-elles être totalement protégées lorsqu’elles sont amenées à être utilisées à des fins marchandes? Le Big Data recouvre une immense quantité de données, nous nous intéressons ici aux données personnelles des clients collectées par les distributeurs généralistes français via les sites e-commerce (nom, prénom, sexe, âge, lieu d’habitation, produits et marques achetés, volume et fréquence d’achat etc…). Les distributeurs collectent des données en déposant des « cookies » sur leur site : petits fichiers texte déposés sur le disque dur de l’ordinateur des clients et qui se déclenchent à l’ouverture du site, ces cookies fonctionnent comme des robots de lecture de navigation de chaque personne sur le site et fournissent machinalement des données qui sont par la suite utilisées pour retracer le parcours de consommation des clients, créer un historique de consommation et définir des profils de consommateurs dans le but de constituer des offres personnalisées. Ces offres ou propositions commerciales personnalisées sont proposées directement sur chaque site e-commerce ou au travers de bons de réductions sur les produits précédemment consommés au moment de l’édition du ticket de caisse en magasin. Les distributeurs détiennent de fait des informations sur leurs clients, que l’on peut estimer en lien avec la vie privée.
  • 9. 9 Nous choisissons ici de nous intéresser plus spécifiquement aux données récoltées via les sites de courses en ligne, puisque ces sites s’adressent à un large public, tant en terme d’âge, de sexe que de catégorie socio-professionnelle, permettant de récolter des données de profils de personnes très variés. Nous questionnons la façon dont les entreprises utilisent les données personnelles de leurs clients tout en communicant sur leurs pratiques éthiques. Ceci nous amène à énoncer une problématique centrale: Comment concilier l’exploitation des données clients dans le cadre des dispositifs de e- commerce et une communication éthique ? Nous tentons de répondre à cette question en établissant les hypothèses suivantes : Hypothèse 1 : Depuis plusieurs années, l'engagement et le discours éthique s’emploient régulièrement dans les entreprises. Force est de constater que ces éléments communicationnels valorisent l’entreprise en externe et en interne. Samuel Mercier, fait même référence à des « mécanismes éthiques »15 comme les chartes éthiques par exemple, qui fonctionnent comme des « mythes » dans le sens où il s’agit d’ »histoires que les gens croient vraies »16 et qui « permettent de faire accélérer l’acceptation d’une idée »17 . Ainsi, ces chartes représentent pour des collaborateurs un « cadre de référence commun » formalisé et idéalisé d’après Samuel Mercier. Nous démontrerons ultérieurement que les démarches éthiques des entreprises constituent un levier de fidélisation de la clientèle, que la notion de « marketing sociétal » existe et qu’elle implique de développer une image de marque qui respecte l’intérêt général au-delà des intérêts particuliers, ce qui, de fait, génère de l’empathie et de la préférence sur le long terme. Hypothèse 2 : Cette norme éthique est retravaillée aujourd'hui à l'aune du "Big Data" et de l'usage des données personnelles, comme en témoigne le cas des services de e- commerce. 15 Mercier Samuel, Op. Cit. 16 George Lewi, conférence au Celsa sur le thème du « storytelling », auprès des étudiants de Master 2 SMCP, Avril 2015 17 George Lewi, Op. Cit.
  • 10. 10 Les notions de données personnelles et de vie privée étant étroitement liées, nous tentons de percevoir la manière dont les e-commerçants les manient avec précaution pour construire et solidifier leur image d’entreprises sociales et éthiques. Nous nous interrogerons donc sur la façon dont les e-commerçants communiquent sur leur gestion « éthique » des datas de leurs clients. Nous nourrissons cette étude d’exemples concrets annoncés plus loin au travers de notre méthodologie. Hypothèse 3 : Les entreprises doivent aujourd’hui composer avec une tension : entre respect de la vie privée déclarée et utilisation de ces données, dans une optique marchande. Le marchand et l'éthique se confrontent donc, amenant de nouvelles tactiques communicationnelles de la part des entreprises. Les clients, loin d’imaginer à quoi vont servir leurs données, ne sont-ils pas pris au piège d’un système pour lequel il devient impossible de tracer les sources des offres qui leur sont régulièrement proposées ? L’image de marque de ces e-commerçants ne s’en trouve-t-elle pas abîmée ? Nous nous employons à fournir une réponse à la question du lien entre image éthique et médiations marchandes. Nous travaillerons chacune de ces hypothèses au moyen d’une approche méthodologique spécifique. Pour ce qui concerne la première hypothèse, nous choisissons d’analyser quelques éléments du code de conduite de Monoprix et d’établir un parallèle avec les prises de parole autour des valeurs de l’enseigne, relevées au travers du rapport d’activité du distributeur, de son site e-commerce, et de diverses opérations promotionnelles en magasin. Les engagements éthiques de Monoprix sont-ils relayés par des prises de parole cohérentes avec ces engagements ? Cette analyse nous permet de tirer des enseignements précieux autour du sujet de l’éthique comme moyen de se forger une image d’entreprise responsable et respectueuse de ses clients et de son environnement18 . La seconde hypothèse nous incite à réaliser une étude sémiolinguistique des rubriques dédiées à la gestion des données et au respect de la vie privée des consommateurs apparaissant sur les sites de courses en ligne de cinq principaux e-commerçants français en Juillet 2015. Sont étudiées les rubriques « vie privée et cookies » des distributeurs Monoprix.fr, Houra.fr, Auchandirect.fr, Ooshop.fr et Cdicount.com. De cette étude nous évaluons différentes 18 Analyse des engagements éthiques de Monoprix et des prises de parole en cohérence avec ces engagements, annexe p.66
  • 11. 11 approches communicationnelles éthiques. Une présentation comparative et critique de ce corpus est présentée en annexe19 . Pour nous éclairer sur les questions de gestion des données dans le respect de l’éthique, nous proposons également une analyse d’entretiens semi-directifs, réalisés avec des professionnels de la gestion des données dans les entreprises et complétés d’entretiens avec des responsables de la Commission Nationale Informatique et Liberté pour un focus sur les possibilités de contrôle des données clients et de respect de la vie privée. Nous retranscrivons des entretiens semi-directifs avec les six personnes suivantes : Ridha Nabli responsable de la gestion des données chez Monoprix, Jérôme de Labriffe ex directeur du « Big Data development » (développement et gestion des données) du groupe BNPP, Olivier Marcheteau, directeur général du site de e-commerce Vestiaire Collective, Serge Descombes « Data Insights Manager » (directeur de la collecte de données) de l’agence de Fifty Five. A la CNIL nous rencontrons Florence Fourets, directrice des relations avec les usagers et du contrôle et Odile Jami, juriste au service des plaintes20 . Ce travail d’analyse fait l’objet d’un plan organisé autour de deux parties : Nous retraçons dans une première partie les étapes du développement de l’éthique dans les entreprises en France et pourquoi il apparaît désormais essentiel de proposer une image éthique à ses clients. Comprendre l’origine du phénomène nous semble indispensable au décryptage des pratiques communicationnelles éthiques développées par la suite. Nous dressons un inventaire des attentes éthiques des clients vis-à-vis des entreprises et expliquons, au travers d’exemples, à quel point une image éthique permet de fidéliser des clients sur le long terme. Une seconde partie présente plus spécifiquement la manière dont les e-commerçants parviennent à s’attribuer une image éthique au travers de leur politique de gestion des données clients. Nous proposons une analyse de la communication sur l’éthique des sites e-commerce des principaux distributeurs généralistes en France. La transmission des données confronte le marchand à l’éthique : cette pratique fréquente n’abîme-t-elle pas l’image des entreprises de par l’abus de la sollicitation des clients ? Deux responsables de la CNIL nous éclairerons sur ce point. Par ailleurs nous étudions l’influence d’Internet sur l’approche communicationnelle de l’éthique. 19 Analyse sémiolinguistique comparative des rubriques sur la protection des données personnelles des e-commerce français, annexe p. 60 20 Entretiens semi-directifs, annexe p. 63
  • 12. 12 I – L’éthique, pierre angulaire d’une stratégie d’entreprise A / Origine du développement de l’éthique pour les entreprises en France a. Des USA à la France, reconstitution historique de l’apparition de l’éthique d’entreprise Il nous semble intéressant d’identifier les origines de la démarche éthique en entreprise afin de comprendre l’influence de l’éthique sur l’image des entreprises. Plusieurs chercheurs dont ceux du centre économique et social du groupe Alpha21 , cabinet de conseil français spécialisé dans les relations humaines et les conditions de travail, associent l’éthique d’entreprise à des codes de conduite des salariés en entreprise, une notion apparue aux Etats-Unis dans les années 1930. Nous entendons par codes de conduites des normes éthiques mises en place par certaines organisations professionnelles américaines, visant à régir les relations internes et externes des entreprises : ces dernières y voyaient un moyen de contrôler elles-mêmes leurs activités plutôt que d’être obligées d’obéir à une « règlementation publique plus contraignante »22 . (Extrait en annexe). Les années 1970 virent ensuite apparaître les fameux « Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales »23 (1976) adoptés par l’OCDE24 puis ensuite la « Déclaration de principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale »25 de l’OIT26 (1977). Ces organisations internationales répondaient sans doute à l’inquiétude des états de se voir écarter du pouvoir par la montée en puissance d’entreprises multinationales de plus en plus nombreuses. Il semblerait que ce réflexe de crainte de perte de souveraineté soit à l’origine de codes destinés à contrôler les affaires. Et comme l’affirme le directeur général de l’Organisation Internationale du Travail en juin 2001: « dans un monde où la déréglementation, la privatisation et le désengagement de l’état ont transféré le pouvoir de décision de la sphère publique à la sphère privée, le monde des affaires en général et les 21 Alpha Etudes = Centre d’études économiques et sociales du groupe Alpha 22 http://www.groupe-alpha.com/data/document/chartres-ethiques-codes-conduite-01-07-04.pdf, p5 à 9, consulté en juillet 2015 23 http://www.oecd-ilibrary.org/governance/les-principes-directeurs-de-l-ocde-a-l-intention-des-entreprises-multinationales_9789264115439- fr, consulté en juillet 2015 24 OCDE : Organisation de coopération et de développement économique 25 http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_emp/---emp_ent/documents/publication/wcms_124923.pdf, consulté en juillet 2015 26 OIT : Organisation internationale du travail
  • 13. 13 entreprises en particulier se retrouvent sur le devant de la scène dans tous les débats touchant au travail »27 . D’après Samuel Mercier dans son livre L’éthique dans les entreprises, il semblerait que l’adoption par les Etats-Unis du Foreign Corrupt Practices Act28 en 1977 soit à l’origine de « l’énorme croissance des codes éthiques »29 . Cette loi anti-corruption s’applique à toutes les sociétés américaines mais aussi à toute société étrangère en relation d’affaires avec les Etats-Unis susceptible d’adopter des pratiques contraire à l’éthique, d’emprunter « the unethical road » : la route non éthique. Cette loi fait suite aux résultats d’enquêtes menées par « l’U.S. Securities and Exchange Commission » – La Commission pour la sécurité et le commerce américain – qui avait constaté d’importants pots-de-vin versés par des sociétés américaines à des gouvernements ou partis politiques étrangers. Ces pratiques destinées à favoriser la vente de produits américains sur des territoires étrangers avaient fait scandale. Le Congrès avait demandé au FCPA de restaurer l’image d’intégrité des sociétés américaines. Les deux principales dispositions de cette loi consistaient en des dispositions anti-corruption destinées à éviter les pots-de-vin et en des dispositions comptables pour un contrôle des comptes des entreprises. Des amendes importantes voire même la prison menaçaient les personnes impliquées dans des affaires de corruption, cette loi permettait pour la première fois « un contrôle interne des comportements »30 . Cécile Renouard, à l’occasion d’une interview donnée à France Culture en Octobre 201331 soulève la problématique de l’internationalisation accélérée des entreprises dans les années 1980 et de leur implantation dans des pays peu regardants des droits des travailleurs, ce qui sensibilise les Organisations Non Gouvernementales (ONG) et les oblige à s’intéresser à ces problématiques. Dans le prolongement de l’apparition des premières règlementations éthiques, les années 1990 voient naître de nouveaux codes de conduite mais cette fois-ci de nature privée puisque à l’initiative des entreprises elles-mêmes, poussées par les ONG, ces codes de conduite privés représentent « près de la moitié des codes recensés en 1999 » d’après un rapport rendu en 2001 par l’OCDE32 . La mise en place de premiers « dispositifs déontologiques » se fait surtout dans les pays anglo-saxons, au Japon et en Europe du Nord. Et notamment en France, 27 http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-i-a.htm, consulté en juillet 2015 28 FCPA : Foreign Corrupt Practices Act, loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption, qui sanctionne les pots de vins ou assimilés 29 Mercier Samuel, L’éthique dans les entreprises, Editions La Découverte, Collection Repères, Paris, Septembre 2014, p. 48 30 Mercier Samuel, Op. Cit., p. 48 31 Renouard Cécile, interview France Culture, Emission Les carnets de l’économie, 28 Octobre 2013, 17H55 32 http://www.ilo.org/public/french/standards/relm/ilc/ilc89/rep-i-a, consulté en juillet 2015
  • 14. 14 sous influence profonde des règlements de certains secteurs d’activité comme les banques, soumises aux exigences du Règlement Général du Conseil des Marchés Financiers. On voit bien que les premiers documents éthiques, appelés « codes de conduite », apparaissent plutôt en réponse à un besoin pour les multinationales de réglementer à leur façon afin de s’affranchir de règles sociales jugées trop contraignantes ou inexistantes dans les pays dans lesquels elles développent leurs affaires. L’éthique en entreprise semble être imaginée à l’origine par des gouvernements de types libéraux afin de favoriser le développement économique en premier lieu des entreprises américaines, et de protéger les firmes de toute accusation ou sanction visant à ralentir cette croissance. Les codes de conduite donnent naissance aux « chartes éthiques », nouvelle typologie de documents éthiques plus valorisants. Ces chartes éthiques déroulent une série d’engagements sous différentes formes et s’adressent aux collaborateurs aussi bien qu’au grand public, comme élément fondateur d’une communication responsable. En tout état de cause, chartes éthiques et communication autour de valeurs éthiques deviennent au fil du temps absolument nécessaires au processus de construction d’image des entreprises et notamment à celles qui, par le biais de la vente de leurs produits, se trouvent en lien direct avec le grand public. Par ailleurs, nous nous plaçons, au travers de ces premières approches de l’éthique, plutôt au niveau d’une vision très utilitaire d’adaptation des entreprises aux règles économiques d’un nouvel ordre mondial : tant comme outil de régulation interne qu’externe à l’époque du capitalisme roi et de l’apparition de nouvelles règles juridiques. Revenons une dernière fois sur les dispositions américaines écrites par Samuel Mercier33 : En 1991, les « Federal Guidelines for Sentencing Organisation » permettent au gouvernement américain de contrôler les pratiques des entreprises « par le biais du système judiciaire »34 . La loi Sarbanes-Oxley de 2002, suite au scandale Enron35 notamment, permet aux salariés des sociétés américaines cotées de « signaler des fraudes ou malversations comptables et financières »36 . Force est de constater le soin que prennent les institutions et entreprises américaines à délimiter scrupuleusement les responsabilités des employeurs et des salariés afin de protéger les firmes de quelconques agissements illégaux susceptibles de les mettre en danger. 33 Mercier Samuel, Op.cit. p.50 34 Mercier Samuel, Op.cit. p.48 35 Enron, spécialisée dans le domaine de l’énergie et l’une des plus grandes entreprises américaines fait faillite en 2001 en raison d’opérations spéculatives malhonnêtes sur le marché de l’électricité. 36 Mercier Samuel, Op.cit. p.50
  • 15. 15 Contrôles, enquêtes, crainte de perte de souveraineté, codes de conduite, comment ne pas faire référence à un des ouvrages majeur de Michel Foucault Surveiller et Punir et son concept largement étudié de « surveillance permanente »37 appliquée aux entreprises ? Ne s’agit-il pas ici d’inventer un moyen de contrôler des faits et gestes qui pourraient porter atteinte à la bonne marche des entreprises ? Ces nouvelles dispositions légales font sérieusement penser à « l’économie de la visibilité » de Foucault. Comme l’évoque Olivier Aïm dans la revue universitaire Communications et Langages, le concept de « panoptisme » inventé par Foucault sert à décrire « tous les mécanismes de surveillance et de discipline qui sous-tendent les institutions »38 , la comparaison avec ce phénomène semble prendre ici tout son sens, et l’éthique s’assimiler à la constitution de règles de bonnes pratiques sous surveillance destinées à protéger la rentabilité des firmes. Avouons que ces premières manifestations de l’éthique sont bien loin de la définition donnée par Paul Ricœur : « visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes »39 . b. Sensibilité des entreprises à l’apparition de préoccupations éthiques chez les consommateurs Nous percevons que l’imposition de règles et de moyens de contrôle ne constitue pas la seule motivation des entreprises dans leur mise en place de chartes, principes et outils éthiques, il s’agit également de répondre aux préoccupations sociétales des consommateurs et à leurs attentes en termes de traçabilité de fabrication des produits mais aussi en termes de respect de la personne humaine. Aux pressions faites par les organisations internationales et ONG sur l’éthique des entreprises s’ajoutent de nouveaux dispositifs juridiques destinés à lutter notamment contre les discriminations en tout genre. Ainsi, en France, la loi Pleven40 de 1972, qui condamne toute incitation à la haine et notamment à la haine raciale, introduit de nouveaux réflexes de perceptions éthiques des pratiques des entreprises. Stéphanie Kunert et Aude Seurrat dans la revue Communication et Management41 expliquent que la loi Gayssot42 37 Foucault Michel, Surveiller et Punir, Editions Gallimard, Collection « Tell », Paris, 1975, p. 249 38 Aïm Olivier, Une télévision sous surveillance, revue Communication et langages, n°141, Septembre 2004, p51, consultable sur http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_2004_num_141_1_3286, consulté en juillet 2015 39 Ricœur Paul, Soi-même comme un autre, septième étude, Editions le Seuil, Collection « Points Essais » n° 330, 1990, p200 40 Loi du 1er juillet 1972 contre le racisme, dite loi Pleven 41 Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, De la « publicité sociale » : lorsque les marques communiquent sur « la lutte contre les discriminations » et la « promotion de la diversité », revue Communication et Management, Editeur ESKA, 2013, Vol. 10, p65 42 Loi Gayssot : La loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe
  • 16. 16 lui succède en 1990, loi tendant à réprimer tout acte raciste. Le Traité d’Amsterdam43 , signé en 1997, vient élargir le propos et donne une dimension européenne à la lutte contre toutes les formes de discriminations. Sensibilisées par les répercussions médiatiques de dénonciations de mauvaises pratiques par les ONG, et par de nouvelles dispositions juridiques, les entreprises doivent se monter plus citoyennes. La consommation éthique prend une telle ampleur que les entreprises et les marques n’ont d’autre choix que de s’adapter et de développer de nouveaux codes de conduite. Pour se protéger d’accusations liées à leur pratiques de fabrication, de commercialisation et de non-respect de la personne humaine, les firmes prouvent leur adhésion à des actions de dimensions sociales et environnementales. Elles répondent par ailleurs à de nouvelles exigences de leurs consommateurs en matière d’engagements et de communications éthiques. Il semblerait que les attentes en matière d'éthique de ces mêmes consommateurs soient également liées à des craintes beaucoup plus profondes. En tout état de cause, chartes éthiques et communication autour de valeurs éthiques deviennent au fil du temps absolument nécessaires au processus de construction d’image valorisante des entreprises en réponse à de nouvelles exigences juridiques et aux attentes des clients. Nous nous employons désormais à décrire les attentes des clients en matière d’éthique au travers du chapitre suivant. c. Développement de l’éthique dans les entreprises en France : en réponse à un besoin de confiance des consommateurs dans un contexte économique et politique mouvementé D’après la philosophe Cécile Renouard44 , la notion d’éthique fait référence à une notion de long terme et de respect des générations futures, elle précise même qu’il s’agit d’une « condition à notre survie ». S’agissant des entreprises, nous avons vu que morale et éthique ont d’abord été cantonnées à la constitution de règles de conduite opérant dans le but de développer harmonieusement le commerce mondial et de favoriser les profits des firmes. Les préoccupations éthiques des entreprises, jusqu’aux années 1990, ne semblent s’inscrire que dans une logique de protection des acquis économiques en réponse à des pressions des états et de multiples organisations internationales, comme les ONG. Ces logiques de protection des acquis économiques des entreprises donnent suite à des attentes spécifiques des 43 Traité d’Amsterdam : Signé le 2 octobre 1997, son objectif est de créer un « espace de liberté, de sécurité et de justice » 44 Renouard Cécile, Interview sur France Culture, Emission Les carnets de l’économie, 28 octobre 2013 à 17H55
  • 17. 17 consommateurs en matière éthique ; de nombreuses études, dont une sera référencée un peu plus loin, soulignent le fait que ces consommateurs se tournent progressivement vers une consommation plus responsable. De plus, l’entreprise citoyenne, telle que présentée via les médias aurait engendré l’apparition de consommateurs plus avertis. André Boyer qui coordonne en 2003-2004 un ouvrage collectif avec des spécialistes des problématiques éthiques évoque l’entreprise des années 80 qui « réinstallée au cœur de la société, réinsérée dans le système médiatique »45 devient une « valeur refuge » pour investir de « nouvelles responsabilités sociales ». Il s’agit ici d’établir une description de ces nouvelles attentes des consommateurs vis-à-vis des entreprises et des marques, les consommateurs engagent désormais les entreprises à prouver leurs valeurs morales, tant ils sont sensibilisés via les médias aux différentes problématiques environnementales et sociales : conditions de travail très négligées dans certains pays, travail des enfants médiatisé, contrefaçon, destruction des réserves naturelles : toutes ces informations placent le consommateur citoyen dans une posture de méfiance vis-à- vis des entreprises et des institutions. Pour ce faire nous nous appuyons notamment sur des recherches menées par Aïda Baccouche Ben Amara et Mustapha Zghal dans la Revue des Sciences de Gestion en 2008. Les auteurs décrivent les nouvelles revendications des consommateurs par les éléments de contexte suivants : crises sanitaires et écologiques largement médiatisées, catastrophes naturelles, société en prise avec des « divergences socioculturelles issues des échanges entre partenaires sociaux »46 et bien entendu démultiplication de l’offre produits proposée aux consommateurs. Comme nous l’avons vu précédemment, dérégulation et internationalisation des années 1970/80 entraînent un élargissement de l’offre et coïncident avec une prise en considération par les consommateurs de l’origine des produits. Les clients commencent à s’intéresser aux conditions de production des entreprises et à développer de nouvelles exigences en matière de consommation éthique. Des pratiques commerciales responsables perçues comme le garant du bien-être collectif permettent de rassurer le consommateur et de déclencher l’achat. Ainsi, l’éthique apparaît comme un critère de choix discriminant entre les produits et cette recherche du bien-vivre et du bien-faire constitue une variable décisionnelle essentielle devant un choix de plus en plus large. La médiatisation de nombreux scandales, comme les scandales 45 Boyer André, L’impossible éthique des entreprises Réflexions sur une utopie moderne, Editions d’Organisation, 2002, Résumé par Laurent Stomboli, p11 46 Baccouche Ben Amara Aïda et Zghal Mustapha, La revue des sciences de gestion n° 234,« L’impact de la relation « éthique-confiance » sur l’intention d’achat du consommateur, Edition Direction et Gestion (la RSG), Epinay-sur-Orge, année 2008, p.53-64
  • 18. 18 Enron et Ernst & Young47 , entraîne une grande méfiance dans les entreprises, perçues comme des producteurs de biens et de services visant uniquement leur propre profit et absolument pas le bien-être de leurs clients. Les consommateurs attendent des entreprises et des marques qu’elles rétablissent une relation de confiance, qu’elles les rassurent sur la qualité de leurs produits et qu’elles prouvent leur honnêteté. Un élan vers des préoccupations sociétales et environnementales favorise l’émergence du « consom’acteur », c’est-à-dire du consommateur souhaitant que la responsabilité des entreprises ne se limite pas à la seule accumulation de profit. Le centre Alpha Etudes réalise en 2004 une étude sur les chartes éthiques et les codes de conduite, et affirme que cette nouvelle tendance « est sans doute à l’origine de la réaction des entreprises concernant la formalisation d’une politique éthique »48 . Nous comprenons que le consommateur est à la base d’une démarche plus responsable des entreprises en matière économique, écologique, sociétale, sociale. Nous observons une conjonction de facteurs qui donnent lieu à d’avantage de préoccupations éthiques des entreprises et des consommateurs : La globalisation de l’économie oblige les instances étatiques et les ONG à d’avantage de contrôles et de sensibilisation des gouvernements et des entreprises au respect du travail humain, aux pratiques de fabrication respectueuses de l’environnement, aux transactions financières transparentes et légales. Dans un contexte de globalisation économique et de développement des multinationales, les consommateurs s’interrogent sur les objectifs que nourrissent les entreprises : ces dernières sont-elles uniquement animées par la quête de profit et l’obligation de distribuer des bénéfices à leurs actionnaires au prix de délocalisations et de licenciements ou contribuent-elles à des avancées sociales et environnementales ? Sensibilisés par les prises de parole des ONG, le public s’inquiète du respect de l’éthique et considère cette valeur comme incontournable. Ainsi, nous comprenons pourquoi les comportements éthiques constituent progressivement un élément déterminant du capital immatériel des entreprises et de leur image vis-à-vis du grand public, en réponse à des causes économiques, politiques et sociales ainsi que nous venons de l’aborder mais aussi en réponse à des causes plus profondes, notion que le prochain chapitre s’emploie à expliquer. 47 Le scandale Enron, Op. cit. Le scandale Ernst & Young : Le cabinet d’audit Ernst & Young est accusé fin 2010 d’avoir masqué l’imminence de la faillite de la banque Lehman Brothers deux ans auparavant. 48 Centre Alpha Etudes Op. cit. p45
  • 19. 19 d. L’éthique en réponse à des besoins ou des peurs profondes des individus Nous avons voulu démontrer au terme du précédent chapitre à quel point l’éthique, apparue à l’origine dans les entreprises pour y apporter un cadre normatif dans un contexte mondialisé et enclin à grand nombre de pratiques illicites dénoncées par les ONG, les médias et le grand public, devient progressivement une condition sine qua non à la confiance dans une entreprise ou une marque. Ce nouveau paradigme économique introduit une façon plus signifiante de consommer et de percevoir les produits, les entreprises et les actions de communication. Dans la revue Multitudes en 2009, Olivier Assouly propose sa version d’une recherche de « consommation signifiante »49 , celle-ci ferait suite à la crise économique (tout laisse imaginer qu’il s’agisse de celle de 2008) en réponse à des décennies de « consommation insignifiante ». L’hyperconsommation à laquelle la société aurait adhérée pendant des années laisserait place à une consommation plus intelligente, sélective et responsable. Et le besoin de jouissance débordant et irréfléchi des consommateurs aurait disparu au profit d’autres revendications liées à la recherche de sens et à une nouvelle consommation plus pondérée et responsable : une consommation équitable et citoyenne. E. Pastores-Reiss et H. Naillon, dans leur livre Le marketing éthique, y voient une relation directe avec des démarches marketing inscrites dans une « nouvelle quête de sens »50 . Nous pouvons nous poser la question de la signification de cette quête de sens et nous demander si ce besoin de consommation signifiante ne dépasse pas la simple réaction face à des entreprises considérées comme entièrement intéressées, engagées dans un processus d’hyper productivité. André Boyer trouve dans des sources historiques une partie de cette réponse et explique que « depuis le XVIIe siècle, c’est un mouvement continu qui, en Occident, a substitué à la religion la raison comme fondement moral puis finalement a laissé l’individu seul devant le besoin toujours aussi impérieux d’une éthique pour régir son rapport aux autres. Par ce mouvement, l’éthique revient au cœur du débat comme seule garante du droit de tous au bonheur »51 . Ainsi, l’éthique constituerait un fondement du bonheur moderne, la responsabilité de l’individu se retrouvant « débarrassée de la transcendance religieuse ». Philippe Lazar dans son ouvrage sur l’éthique biomédicale évoque de son côté un « retour à 49 Assouly Olivier, Editions Assoc. Multitudes, « Bégaiements de la consommation », 2009/1 (n°36), p.13-16 50 Pastrores-Reiss Elisabeth et Naillon Hervé, Le marketing éthique, Editions Village Mondial, 2002, p34, p64, p83-84, p143, p145 51 Boyer André, Op. Cit., p 4
  • 20. 20 l’éthique »52 en réponse à un « besoin du consommateur de moraliser un bien-être égoïste », ses réflexions rejoignent celles d’André Boyer sur le droit au bonheur. En complément de ce postulat, Dominique Lacourt, dans son livre Prométhée, Faust, Frankenstein : fondements imaginaires de l’éthique, associe « l’apparition des préoccupations éthiques des individus à des peurs ancestrales issues de mythes anciens »53 , et explique dans un autre de ses ouvrages que « deux évènements majeurs auraient actualisé cette interpellation en ressuscitant la peur archaïque des êtres humains : l’un est la bombe d’Hiroshima, par laquelle aurait été signifié que désormais notre espèce pouvait être détruite, l’autres concerne les manipulations génétiques, par lesquelles aurait été signifié que désormais notre espèce pouvait être modifiée »54 . Peurs profondes et éloignement de la morale religieuse nous fournissent des éléments de réponse à la quête de sens des individus en matière de consommation, à laquelle le marketing et la publicité se doivent de répondre. Philip Kotler évoque cette recherche de sens au travers du développement récent du « marketing de la valeur » qu’il définit comme le « Marketing 3.0 » 55 , remplaçant d’après lui le marketing 1.0 centré sur le produit et le marketing 2.0 centré sur le client. Il affirme que les choix de produits et de services ne s’affranchissent désormais plus de preuves éthiques. L’économiste, à l’occasion d’une interview menée en 2014 sur la chaîne latino-américaine Management TV au sujet du marketing 3.056 , ajoute à ces besoins de prises de parole éthiques une envie des consommateurs de s’engager dans une vraie relation avec les marques, de construire une « histoire d’amour » avec elles. Nous nous focalisons sur l’approche communicationnelle de l’éthique et visons à démontrer à quel point une communication centrée sur des valeurs et une promesse de « bonne entreprise » valorisent sur le long terme l’image de marque et favorisent, par des phénomènes d’identification à ces valeurs, les intentions d’achat des consommateurs. Ceci fait l’objet du second chapitre de cette première partie. 52 Lazar Philippe, L’éthique biomédicale en question, Editions Liana Levi, Paris, 1996, p12 53 Lacourt Dominique, Prométhée, Faust, Frankenstein : fondements imaginaires de l’éthique, Le Plessis Robinson, 1996, p13 54 Lacourt Dominique, Contre la peur, Editions Hachette, Paris, 1990, p33 55 Kotler Philip, Kartajaya, Setiawan, Marketing 3.0 : From Products to Customers to the Human Spirit, Editions de Boeck, Paris, 2012 56 Kotler Philip, Management TV, HSM Specials, Interviewer = Eduardo Braun, Mai 2014
  • 21. 21 B/ L’éthique : une stratégie d’entreprise du long terme mais fragile a. L’éthique comme instrument de gestion d’une image d’entreprise. Exemple des engagements éthiques de Monoprix : du code de conduite aux prises de parole Commençons par définir de quelle façon se construit une image d’entreprise. Nous choisissons de rapprocher ce concept de celui d’image de marque, puisque nous estimons qu’à bien des niveaux entreprise et marque se confondent (Apple, Microsoft, Chanel etc…). L’image de marque, Nacer Gasmi la désigne comme étant l’un des attributs majeurs de différenciation57 . Il reprend la définition de l’économiste Michael Porter58 qui associe différenciation à une action de conférer un caractère unique à un bien, caractéristique à laquelle les clients attachent de l’importance. L’image devenant alors une sorte de « point de repère »59 , l’« ensemble des représentations rationnelles et affectives associées par une personne ou un groupe de personnes à une entreprise, une marque ou un produit » pour reprendre les théories de Jean-Marc Decaudin en 2003. La construction de cette image de marque, et par voie de conséquence d’entreprise qui abrite la marque, passe par des prises de parole publicitaires qui sont fortement orientées par des objectifs économiques. Roland Barthes60 en son temps évoquait la publicité comme un ensemble de signes chargés d’une forte intentionnalité communicationnelle. Dans le contexte concurrentiel que nous connaissons, la gestion de l’image de marque apparaît être un atout absolument central. Pierre Bonfils61 , dans son livre Morale, éthique et déontologie dans la communication, lie le développement économique des entreprises et de leurs marques à la bonne gestion de leur capital image. Ceci donne lieu à l’élaboration de stratégies de communication destinées à exploiter ce capital, l’image de marque. Qu’en est-il de l’intentionnalité communicationnelle de prises de parole centrées sur l’éthique ? Nacer Gasmi envisage les valeurs éthiques comme des « instruments de valorisation de l’image des entreprises »62 . Il décrit deux types d’images éthiques : l’une liée aux engagements environnementaux et sociaux des entreprises, celle-ci génère un impact sur 57 Gasmi Nacer, Limites de l’appropriation des valeurs de l’entreprise comme attribut de la différentiation, revue Management et Avenir n° 72, Editeur Management Prospective Ed., 2014, p51-70 58 Porter Michael, L’avantage concurrentiel, Editions Dunod, Paris, 2003 59 Decaudin Jean-Marc, La communication marketing : Concepts, techniques, stratégies, Edition Economica, Paris, 2003, 48 60 Barthes Rolland, Le message publicitaire, revue Les cahiers de la publicité, juillet-septembre 1963, p245-247 61 Bonfils Pierre, Morale éthique et déontologie dans la communication, Victoire Editions, Collection Legicom n° 11, 1996, p4-12 62 Gasmi Nacer, Op. Cit, p51-70
  • 22. 22 l’image institutionnelle de l’entreprise et de ses produits (recyclage vertueux, utilisation d’énergie verte, politique sociale qualitative, fabrication dans des pays respectueux des droits de l’homme …). Dans ce cas, on n’y voit aucun bénéfice tangible pour le consommateur. L’autre image éthique est, elle, directement liée au bénéfice perçu par les consommateurs au travers des produits. Liée à l’amélioration du bien-être, elle valorise l’image des produits (produits bios par exemple) et des marques et participe de l’image citoyenne de ladite entreprise. Tout porte à croire que faire partager ses valeurs éthiques à ses consommateurs permette de créer un socle de valeurs partagées par le plus grand nombre. La création de valeurs consensuelles constitue un réel objectif communicationnel à des prises de parole éthiques. En complément de la création de valeurs consensuelles, un autre objectif communicationnel aux prises de parole éthiques nous est proposé par Franck Debos qui évoque le besoin pour les marques d’infuser une « valeur ajoutée émotionnelle »63 à toute valeur rationnelle. Marie- Cécile Naves confirme ces propos et énonce que « la mise en valeur, par la publicité, d’une philosophie morale altruiste, de la confiance dans les spécificités de chacun vise avant tout à construire une identité forte pour la marque et à créer une relation émotionnelle avec l’individu qui n’est rien de plus qu’un consommateur »64 . La création d’une communion autour de certaines de ces valeurs nous semble également constituer un objectif communicationnel aux prises de parole éthiques. Une argumentation épidictique de certaines marques permet d’accroître l’intensité de l’adhésion partagée de ce socle de valeurs, Chaïm Perelman estime même que la communication dans ce cas utilise « l’ensemble des moyens dont dispose la rhétorique pour amplifier et valoriser »65 . Ce développement nous permet d’envisager aisément l’impact valorisant de prises de parole autour d’engagements éthiques qui permettent aux entreprises d’acquérir une « dimension universelle »66 Nous choisissons d’observer des campagnes publicitaires qui illustrent parfaitement cette posture communicationnelle en lien avec l’éthique, tant dans la mise en avant d’une mixité sociale vertueuse que dans des discours en faveur du respect des différences : Benetton et sa saga « United Colors »67 apparue entre 1980 et 1990 prône tolérance et valeur de partage, cette campagne au long cours permet à l’entreprise de défendre une image engagée en faveur 63 Debos Franck, L’impact de la dimension éthique dans la stratégie de communication de l’entreprise: la nécessité d’une communication « responsable, Revue Communication et organisation, n°26, 2005, p.92-103. 64 Naves Marie-Cécile, Comment le marketing politique et publicitaire construit la mythologie de la diversité, Revue Mots. Les langages du politique 1/2012 (n° 98), p. 95-102 65 Perelman Chaïm et Olbrechts L.- Tytbca, Traité de l'argumentation, Editions PUF, Paris, PUF, 1958, p. 66-68 66 Tantet Marie, 1992, La stratégie publicitaire de Benetton, Revue Communication et langages, n°94, p. 20-36. 67 Campagne United Colors of Benetton, Op. cit.
  • 23. 23 de l’égalité raciale. Dove à la fin des années 2000 prend le parti de montrer des femmes déshabillées, de taille et de corpulence contraires aux standards classiques de beauté. Défense de la diversité, promotion de valeurs positives, les marques n’ont de cesse que de se présenter comme les garantes du bien vivre et de la moralité citoyenne. Engagements concrets, actions vérifiables et transparence des actions constituent des moyens efficaces de prouver au grand public son adhésion à des valeurs éthiques. « Assez de mots, des actes »68 répètent Elisabeth Pastore-Reiss et Hervé Naillon. Il nous semble intéressant de conclure le propos de ce chapitre avec une mise en relation de certains points du code de conduite du distributeur Monoprix avec les prises de paroles publicitaires et les actions de l’enseigne sur le terrain. Précisons que le code de conduite décrit des règles de comportement éthique à appliquer par l’entreprise et ses salariés, ces règles de comportement sont déclinées des valeurs et principes fondamentaux de la charte éthique. Nous observons une corrélation entre le contenu du code de conduite de l’enseigne et de son rapport d’activité avec ses prises de parole éthiques en direction du grand public, comme le prouve le développement suivant: Qualité et sécurité, premier point du code de conduite de Monoprix, engage l’entreprise à proposer une offre de produits et de services qui « répondent de manière stricte aux normes de sécurité et de qualité en vigueur »69 , ce point est relayé dans le rapport d’activité 2013 qui souligne la certification de « nombreux produits par des labels respectueux de l'environnement ou de conditions de fabrication honorables ». Monoprix prône une limitation des conservateurs, des colorants et de l'huile de palme, un étiquetage nutritionnel plus intelligible pour les consommateurs et le respect du bien-être animal avec notamment la promesse de ne plus proposer à la vente d’œufs issus de poules élevées en batteries. Pour son offre textile, l'enseigne pratique des contrôles très exigeants de ses usines de production, les accompagne en matière de sécurité incendie et réalise régulièrement des audits sociaux dans chacune d’entre elles. On trouve écho à ces engagements sur le site internet de l’entreprise, dans la rubrique Développement Durable où Monoprix s’engage pour le respect des bonnes pratiques agricoles, pour la qualité gustative des produits et pour l’accompagnement des fournisseurs dans la durée70 . Des opérations en magasins viennent appuyer ces engagements avec notamment la participation de Monoprix à la Quinzaine du commerce équitable menée au mois de mai 2013 en collaboration avec Max Havelaar71 , cette opération s’assortit en 68 Pastore-Reiss et Naillon Hervé, Op. Cit, p46 69 Code de conduite de Monoprix, issu de la charte éthique du groupe, 2015, en annexe p. 65 70 www.monoprix.fr/le-developpement-durable, dernière date de consultation 15 janvier 2016 71 www.lesechosdelafranchise.com/franchise-monoprix/distribution-monoprix-s-implique-dans-la-quinzaine-du-commerce-equitable, consultation le 15 janvier 2016
  • 24. 24 magasins de la mise en place d’affiches, de distribution de goodies et d’organisation de séances de dégustation. Le Respect de l’environnement, même s’il peut apparaître assez banal, constitue d’après nous un point important à étudier, puisque nous y faisons référence régulièrement dans notre travail. A la promesse de réduction de l’impact écologique promise par l’entreprise, le rapport d’activité de celle-ci évoque "Moins de CO2" et "Des modes de transports responsables"72 . A l’occasion d’un stage effectué en 2015 au sein de Monoprix, nous nous procurons une brochure éditée récemment par le groupe et distribuée à ses collaborateurs à l’occasion de la réunion internationale de la Cop 2173 , nous y lisons la promesse d’une amélioration des installations de froid alimentaire, du transport multimodal ainsi qu’une limitation des consommations d'énergie. La réduction du gaz à effet de serre est également évoquée dans le rapport d’activité du groupe74 ainsi que dans sa brochure sur la Cop 2175 . Aux mesures prises au sein de l’entreprise Monoprix s'ajoutent des conseils aux citoyens de mesures faciles et efficaces pour réduire les gaz à effet de serre. Relevons enfin de récentes opérations de sensibilisation au tri des papiers menées en magasins en partenariat avec Eco Folo76 . Le Respect de l’environnement du code de conduite Monoprix couvre également l’amélioration de la gestion de l’énergie et des déchets, le rapport d’activité de l’entreprise souligne une démarche au long cours à horizon 2020 et "encore plus de tri" via la chaîne logistique ainsi que des animations en magasins pour sensibiliser les clients sur la réduction et le tri des déchets. L’engagement de Monoprix sur ce point se lit dans la rubrique Développement Durable de son site internet et s’assortit de l’organisation en magasins d'animations autour des gestes responsables pour limiter le gaspillage alimentaire et de distribution de fiches très bons gestes anti-gaspi77 . Rappelons enfin que le groupe propose à ses clients plus de 1900 références alimentaires issues de l’agriculture biologique. Citoyenneté dans la ville constitue le troisième point du code de conduite Monoprix sur lequel nous souhaitons nous arrêter. Il s’articule autour du soutien d’associations pour renforcer le lien social et lutter contre l’exclusion, du développement d’actions de dons de marchandises et d’organisation d’opérations solidaires, comme le prouvent la mise en vente de bracelets proposée par Monoprix au profit de la scolarisation d’enfants en Inde, les opérations de collectes de marchandises alimentaires menées en magasins au profit de la Croix Rouge, les 72 Rapport d’activité 2013 de Monoprix, p.30 73 Cop 21 : 21ème sommet international sur le climat 74 Rapport d’activité 2013 de Monoprix, p.29 75 Brochure C’est chaud pour la planète, éditeur Monoprix, Clichy, Novembre 2015, annexe p. 63 76 Opérations de sensibilisation au tri des papiers avec Ecofolio, annexe p. 69 77 Fiches très bons gestes anti-gaspi annexe p. 68
  • 25. 25 opérations de collectes de vêtements au profit de l’association Emmaüs mais aussi la rénovation de l'association "Maison des Champs" pour la distraction des personnes âgées dans les villes et leur familiarisation avec les technologies numériques. Notons que le rapport d’activité de Monoprix fait échos à ces différentes actions puisqu’il évoque la création en 2009 de la Fondation Monoprix qui a pour vocation de renforcer le lien social dans les villes et qu’il souligne l’augmentation du nombre de magasins engagés dans le don alimentaire avec la Croix Rouge. Dons alimentaires, ventes de produits au profit d’associations caritatives, bilans carbones, autant de preuves auprès du public que le distributeur s’engage fortement sur le chemin de l’éthique. Nous constatons par cette analyse une cohérence entre les engagements éthiques formels de l’enseigne Monoprix (code de conduite, rapport d’activité) et les expressions communicationnelles de la marque autour de ces engagements. Création de valeurs, recherche de création d’une dimension émotionnelle à ces valeurs et de partage de celles-ci avec son public, trois objectifs qui d’après nos recherches, permettent de camper une image de « bonne entreprise » auprès des consommateurs. Les marques, par le biais d’actions valorisantes comme celles décrites ici pour Monoprix, prennent assurément une nouvelle dimension, la dimension « universelle » qu’évoquait Marie Tantet. Il nous semble important de conclure cette première partie par une réflexion sur la durabilité de l’image éthique des entreprises. Des prises de parole régulières autour de valeurs éthiques consensuelles suffisent-elle à pérenniser cette image ou s’agit-il d’élaborer dans ce but une véritable stratégie d’entreprise? b. Comment faire en sorte que les consommateurs adhèrent aux valeurs morales des entreprises et leur soient fidèles? Nous formulons l’hypothèse qu’il existe un lien de cause à effet non négligeable entre des prises de parole éthiques des entreprises et la confiance à une marque octroyée par ses consommateurs. La variable communication éthique et responsable apparait constituer une variable décisionnelle d’importance face au choix à opérer parmi de nombreux produits. Néanmoins il ne pourrait s’agir que d’attentes que les consommateurs projettent au travers des prises de parole des entreprises, Stéphanie Kunert et Aude Seurrat dans leur analyse de la
  • 26. 26 publicité dite « sociale » évoquent « l’image de soi que la marque se construit dans ce type de publicité »78 , miroir de l’image fantasmée des consommateurs. Par ailleurs, ce lien de confiance nous semble découler d’une véritable « stratégie » des entreprises comme « modèle figé qu’impose unilatéralement un point de vue dominant »79 pour citer Michel de Certeau. L’éthique dans sa recherche de « sens partagé »80 ne constitue-t- elle pas une véritable stratégie dans un objectif de contrôle de la relation dans la durée avec le consommateur ? Pour répondre à cette question, nous interrogeons le concept d’acheminement du sens. Daniel Bougnoux dans son Introduction aux sciences de la communication explique que « la complexe alchimie du sens met en jeu une notion qui a elle- même trois sens […] signification […] sensibilité […] direction ». Il défend l’idée que pour obtenir une écoute optimale des messages « il ne suffit pas de partager entre émetteur et récepteur le même code […] encore faut-il toucher, et enrichir pour cela le discours en puisant aux couches iconiques – indicielles de la sensibilité ; et surtout ouvrir une perspective ou une issue au-delà des mots »81 . Ainsi, la diffusion de messages pour les consommateurs, orientée d’une façon qui touche leur sensibilité profonde, et matérialisés par des actions concrètes, permettrait leur écoute optimale, gage d’une relation sincère et donc pérenne. Christian le Moënne, que nous avions écouté à l’occasion d’une journée de conférences organisé par le Gripic, et spécialiste des questions de l’éthique en entreprise, pointe également le "processus de rationalisation de la communication par le contrôle du sens »82 . Pour ce qui concerne plus spécifiquement notre sujet, il explique que le processus communicationnel de transmission de valeurs éthiques par les entreprises, dans ce qu’elles ont de très consensuel, atteint très vite ses limites. Ce chercheur parle de « consensus en creux » et de « consensus universel » qui permettrait d’évacuer tout ce qui fait sens. Nous en concluons que le socle de valeurs éthiques des entreprises présentées aux consommateurs via un cheminement complexe de prises de parole touchant les couches les plus profondes de la sensibilité s’exerce dans une logique de contrôle de la relation à long terme. Mais ces valeurs, dans ce qu’elles ont de consensuel, atteignent leurs limites lorsqu’est perçu le déficit de sens qui les caractérisent. Nous évoquons dans le dernier chapitre de cette première partie, les limites des prises de parole à valeur éthique, dans un contexte où le 78 Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, Op. Cit. p47 79 De Certeau Michel L'invention du quotidien, I: Arts de faire, Editions Gallimard, Col. Folio essais (n° 146) nouvelle édition, Paris, 1990 80 Le Moënne Christian, Ethique et contextes organisationnels, Revue MEI n° 29, http://www.mei-info.com/, 2008 81 Bougnoux Daniel, Introduction aux sciences de la communication, Editions La Découverte, Collection Repères, Paris, 2001 82 Gripic : Op.Cit., Groupe de recherches interdisciplinaires sur les processus d’information et de communication
  • 27. 27 jugement du consommateur vis-à-vis des marques et des entreprises se veut de plus en plus distancié et critique. c. Les limites de la diffusion de l’image éthique des entreprises, un jugement distancié et une acceptation modérée des clients A la perception de la recherche de consensus fade qui s’exprime au travers des communications des entreprises et des marques s’ajoute une forme de malaise dans le monde occidental à communiquer sur des valeurs éthiques, cette partie du monde étant pétrie de culture catholique et percevant comme un tabou le fait de communiquer sur le « bien ». Les prises de parole se doivent donc d’être habiles. C’est précisément ce que soulignent de nombreuses fois dans leur livre Elisabeth Pastore-Reiss et Hervé Naillon.83 Il apparaît que l’énonciabilité de certaines communications dites sociales est perçue comme maladroite et constitue une limite à l’acceptation du message transmis par les consommateurs. La légitimité de certains messages peut être refusée, entraînant de fait des risques en termes d’image pour les marques. Stéphanie Kunert et Aude Seurrat84 évoquent un décryptage critique si affuté de la part des consommateurs qu’il est très important pour les entreprises de travailler dans le détail leurs prises de parole éthiques, de façon à ne pas être qualifiées d’opportunistes usant de stéréotypes grossiers. Pour exemple, une campagne pour des gels douche hydratants de la marque Dove menée aux Etats-Unis en 2011 sur le thème de la diversité des femmes (il s’avère que la campagne précédemment citée est une campagne mondiale), a fait l’objet d’échos très négatifs. Il s’agit d’une publicité destinée à prouver l’effet hydratant sur la peau des gels douches présentés. Les mentions « avant » et « après » venant illustrer le propos publicitaire. Il s’avère alors que les consommateurs identifient que la mention « avant » le bénéfice généré par l’application du produit sur la peau est placée juste au-dessus du mannequin la plus métissée de l’affiche et que la mention « après » est placée à proximité du mannequin la plus mince et blanche. La marque Dove fait immédiatement l’objet de critiques d’associations féministes et antiracistes. 83 Pastore-Reiss Elisabeth et Naillon Hervé, Op. Cit. 84 Kunert Stéphanie et Seurrat Aude, Op. Cit.
  • 28. 28 D’autres marques comme Lego, Elf, Total, Mattel, Nutella, ont également fait l’objet par le passé de violentes critiques, de la part d’ONG ou de consommateurs observateurs et pointilleux. S’agissant de sujets sensibles à forte valeur ajoutée émotionnelle, les entreprises et les marques se doivent de délivrer des messages aux détails extrêmement soignés. Tout porte à croire que la légitimité éthique des entreprises et de leurs marques soit si fragile que l’acceptation des messages desdites marques nécessite un soin tout particulier accordé aux moindres effets de sens. Car une posture communicationnelle perçue comme maladroite peut générer de l’incohérence entre le discours et l’image de marque. Par ailleurs, les gestionnaires de marque savent désormais que le risque de sanction des consommateurs est latent et peut intervenir très rapidement en cas de comportement « non éthique » et non conforme à l’attente des clients. Ainsi, de cette première partie, nous déduisons la fidélisation des clients aux entreprises qui développent une approche communicationnelle de l’éthique à leur égard. L’éthique permet un contrôle du sens dans une logique stratégique des entreprises. La représentation de soi qui « repose toujours sur une négociation d’identité à travers laquelle le locuteur tout à la fois se pose, et tente d’imposer ou, tout au moins, de faire partager, ses façon de voir »85 crée une 85 Amossy Ruth, La présentation de soi, Ethos et identité verbale, Presses Universitaires de France, 2010, p120
  • 29. 29 relation pérenne avec les marques puisqu’elle trouve sa source dans des valeurs qui touchent la sensibilité profonde des clients. Par ses actions concrètes et vérifiables, l’éthique engage les entreprises qui la véhiculent et confère aux marques un univers valorisant et une image détachée des aspects purement matériels de leurs produits. Mais cet exercice communicationnel s’assortit de certaines limites en lien avec la distance de jugements des consommateurs. Un autre sujet nous interpelle : à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, sources de développement de grandes masses de données, nous nous interrogeons sur le maintien de postures communicationnelles éthiques. Ceci fait l’objet de la deuxième partie de cette étude où nous apportons des réponses à la problématique de l’image éthique des entreprises à l’ère du Big Data.
  • 30. 30 II - Image éthique et gestion des données : à la recherche d'un équilibre vertueux A/ Big Data, histoire d’un phénomène mondial et nouveau paradigme : la quantification du monde a. L'évolution de la collecte de données (des données massives aux données fines) : une évolution rapide Nous nous employons tout d’abord à décrypter le chemin historique du traitement des données avant de proposer un état des lieux du phénomène contemporain « Big Data » et de l’influence de ce phénomène sur l’économie mondiale et plus spécifiquement sur l’apparition de nouveaux modes communicationnels. Commençons par évoquer Victor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier qui, dans leur ouvrage Big Data : La révolution des données est en marche, soulignent que les individus au cours de l’histoire entreprennent perpétuellement « la conquête du monde en en faisant la mesure »86 . Les auteurs rappellent que la trace la plus ancienne de comptage remonte à 5000 av. JC à l’époque où les commerçants sumériens « utilisaient de petites billes d’argile pour indiquer le nombre de marchandises à livrer ou à stocker »87 . Cette capacité à « enregistrer » des informations constitue d’après eux « l’une des lignes de démarcation entre sociétés primitives et évoluées ». Plus récemment, la quantification du temps et de l’espace au XIIIe siècle par les savants et astronomes français confirme cette théorie. Nous comprenons de fait l’origine d’un besoin irrémédiable de contrôle des données. Ce phénomène s’accélère ces dernières années : cinquante ans après la pénétration massive des ordinateurs dans les foyers et quarante-cinq ans après l'apparition d'Internet (dont beaucoup s’accordent à dire que son point de départ serait une mise en réseau d’ordinateurs, mieux connu sous le nom américain d’« Arpanet ») et son utilisation généralisée, on assiste à un phénomène d'accumulation gigantesque de données et à leur multiplication exponentielle. Le volume d'informations délivrées à grande échelle par ces nouveaux outils donne lieu à l'apparition d'un nouveau terme : « Le Big Data ». Nous nous attachons ici à définir le terme « Big Data » et à fournir des éléments concrets 86 Mayer-Shönberger Viktor Cukier Kenneth, Big Data La révolution des données est en marche, Robert Laffont, traduction française 2014, p15-18-30-45-69-88-98 Mayer-Shönberger Viktor Cukier Kenneth, Op. Cit.
  • 31. 31 concernant ses nombreuses applications de façon à souligner l’importance de ce phénomène, sa rapidité de développement et à en circonscrire les enjeux. Décrire un phénomène global permet d’envisager plus clairement ses applications spécifiques comme par exemple celle de la gestion des données clients chez les e-commerçants. Ceci constitue donc une introduction nécessaire au développement qui suit sur la manière dont les services de e-commerce envisagent le traitement de leurs données clients dans un objectif d’optimisation commerciale et de maintien de leur image éthique. Ainsi, ce terme de Big Data entre dans le dictionnaire en 2008, mélange d’anglophonie (Big) et de latin (Data), nous nous plaisons à imaginer qu’on convoque à travers lui l’internationalité et l’histoire. Il signifie précisément un grand volume de données. Les algorithmes créés par Google ou Facebook qui peuvent apparaître comme de simples « séries d’instruction sur la manière de réaliser quelque chose »88 , ne seraient-ils pas en réalité en phase de « créer de nouveaux types d’intelligence non consciente – grâce à l’apprentissage automatique et au Big Data – qui sont capables de surpasser les êtres humains »89 , tout ceci à l’échelle planétaire. Dix millions de photos postées toutes les heures sur Facebook, société qui n'existait pas il y a 15 ans, plus de 3 milliards de commentaires par jour et environ 500 millions de tweets par jour sur Twitter90 . Autant de traces numériques, gage de l'impressionnant taux de croissance des données à travers le monde. Il apparaît totalement impossible de chiffrer ces données tant leur vitesse de propagation est vertigineuse et leurs sources inépuisables : courriels, photos, vidéos, musiques, systèmes de navigation divers, objets connectés, commerce en ligne...On parlerait de doublement tous les 3 ans. Gilles Babinet91 dans son dernier livre Big Data, penser l’homme et le monde autrement estime qu’en 2010 nous produisons tous les deux jours autant d’informations qu’entre le début de la culture humaine et 2003! Victor Mayer-Schönberger et Kenneth Cikier92 font le comparatif suivant : si les données étaient représentées sous forme de pages de livres elles représenteraient 52 fois la superficie des Etats-Unis ! De quoi sont constituées ces données ? Eric Sadin dans La vie algorithmique, explique qu’elles viennent globalement de deux sources : la première est constituée des « gestes »93 88 Courrier International, n°1299, 24 au 30 septembre 2015, Des chiffres et des êtres, traduit d’un article du journal « The Independant », Marsden Rhodi, Londres, 8 mars 2015 89 Courrier International, n°1290, 23 au 29 juillet 2015, Les nouveaux prophètes de la Silicon Valley, traduit d’un article du journal «New Statesman », Harari Yuval, Londres, 18 juin 2015 90 Babinet Gilles, Big Data, penser l’homme et le monde autrement, Le Passeur Editeur, 2015, p 19 91 Babinet Gilles, Op. Cit. p 21-22, p146 92 Mayer-Schönberger Victor et Cikier Kenneth Op. Cit., p68 93 Sadin Eric, La vie algorithmique - critique de la raison numérique – Editions l’Echappée, 2015, p 23, p 256
  • 32. 32 collectifs ou individuels qui créent des données de façon délibérée comme le remplissage de questionnaires à l’occasion d’une inscription à un service en ligne, la seconde concerne ce que l’auteur considère comme des « procédés passifs », des informations générées au travers de dialogues sur les réseaux sociaux par exemple ou des photos postées sur des blogs sans que les individus aient permis d’en utiliser le contenu. Vélocité et variété sont des variables qui s’ajoutent à la notion de volume. Vélocité puisque le temps de mise à disposition des données se réduit en permanence ainsi que la fréquence à laquelle les données sont aujourd’hui collectées et traitées. Gilles Babinet se réfère à de nouvelles générations d’algorithmes permettant de gérer les données des milliers de fois plus vite qu’auparavant. Variété dans le sens où le traitement de ces données nombreuses et hétérogènes nécessite la prise en compte de nombreux paramètres. L’extraordinaire capacité technique des nouveaux ordinateurs, l’optimisation technologique de leurs processeurs numériques et l’amélioration des capacités de stockage permettent de maximiser la collecte d'une masse toujours plus importante de données et de développer des méthodes de traitement automatique des données « bruyantes », c’est-à-dire non structurées. Nombreux sont les usages décryptés par les personnes en charge de la gestion des datas. La création de valeur liée à l’exploitation des données est vaste et donne naissance à de nouveaux métiers comme « data scientists » (experts scientifiques en données) ou « data miners » (professionnels ayant pour objectifs d’extraire « un savoir à partir de grandes quantités de données »94 ). De nombreux professionnels du digital et du web marketing évoquent un nouveau paradigme de par l’implication que peut avoir ce déversement de données sur notre mode de vie, Victor Mayer-Schönberger et Kenneth Cikier envisagent même une modification de notre « interaction avec le monde »95 , le début d'une « transformation majeure » par le nombre de connexions considérables en lien avec ces données destinées à fournir des conclusions utilisables par grand nombre de secteurs d’activités et d’entreprises. Bertrand Diard96 , fondateur en 2006 de la « start-up » française Talend97 confirme ces observations. Nous avons pu assister à une conférence où il intervenait sur le sujet du Big Data lors de l’évènement BPI France Inno Génération : 24H non-stop à Paris les 10 et 11 Juin 2015. Bertrand Diard prévoit également le concept de « rupture » et de « changement de notre monde » devant l’immense 94 Ecole Nationale d’ingénieurs de Sfax, Méthodes d’évaluation des méthodes d'Extraction de Connaissances dans les Données, 2010, consultable sur : www.egc.asso.fr/sdoc-187-egc10_atelier_evalecd.pdf, consulté en septembre 2015 95 Mayer-Schönberger Victor et Cikier Kenneth Op. Cit. p73 et p93 96 Diard Bertrand, intervention dans le cadre de l’évènement BPI France Inno Génération 24H non-stop, Cité de la Mode, Paris, 11 Juin2015. 97 Talend est une société basée aux Etats-Unis (Californie), elle est éditrice de logiciels spécialisés dans l'intégration et la gestion des données
  • 33. 33 opportunité technologique qu’il nous est donnée de pouvoir collecter et transformer à l’infini toutes ces informations. Gilles Babinet n’hésite pas à parler de « révolution », de « nouvelle ère informationnelle » et indique que, par l’interconnectabilité des données, « Google Facebook et quelques autres en savent potentiellement infiniment plus sur la société française que l’INSEE ». Il ajoute que « les découvertes que l’on fait en analysant les données sont parfois loin de ce que l’on envisageait de trouver ou même chercher au départ »98 . Les perspectives à plus long terme semblent même, d’après Eric Sadin, se diriger vers « l’interopérabilité universelle » et le « savoir total »99 . Plus de case vide, une sorte de « mise en données du monde » où tous les aspects de notre quotidien seraient potentiellement calculables, nous revenons donc à la notion évoquée au début de ce paragraphe de « quantifier » le monde dans l’objectif de le contrôler. La notion de prédictibilité entre également dans le champ des applications du Big Data. Ainsi, d’après Gilles Babinet100 , l’analyse de grandes quantités de données découleront assez naturellement sur des prédictions. L’auteur imagine par exemple que des puces placées sous la peau pourraient détecter la sensation de faim et la corréler avec des offres de services adaptées : des réductions dans des restaurants par exemple ! Une sorte de faculté ubiquitaire qui permettrait de précéder nos besoins. La puissance des algorithmes dans le traitement des données et l’analyse de statistiques permettront notamment dans le domaine de la santé de prédire une crise cardiaque ! On imagine aisément l’incidence de ces prédictions sur des primes d’assurance ou le fonctionnement des services de police. Des défis à grande échelle se profilent : solutions aux problématiques de changements climatiques, éradication de certaines maladies, sécurité des individus à travers le monde. Une application d’IBM du nom de « Blue Crush »101 permettrait de devancer la criminalité : en croisant des données liées à la météo, aux jours de versements des salaires et à de nombreux autres indicateurs comme l’historique des délits, on se trouverait dans la capacité de faire avorter des projets violents. A l’ère du Big Data, d’ingénieuses méthodes statistiques créent des ponts entre des données et des phénomènes observés. Quantification du monde et prédictibilité ont du reste été évoquées à de nombreuses reprises dans le cadre d’une série d’entretiens semi-directifs avec des spécialistes de la data, entretiens auxquels nous faisons référence ultérieurement. A ce stade, nous nous posons la question suivante : dans quelles mesures ces applications rendues possibles par les algorithmes puissants du Big Data sont-elles compatibles avec la 98 Babinet Gilles, OP. Cit., p. 231 99 Sadin Eric, La vie algorithmique - critique de la raison numérique – Editions l’Echappée, 2015, p. 56-57-58, p. 112-113 100 Babinet Gilles, Op. Cit., p. 47 101 Sadin Eric, Op. Cit. p. 119
  • 34. 34 notion d’éthique ? La collecte de données sans faille de sécurité pour ce qui concerne la vie privée est-elle envisageable dans le cadre notamment de la collecte de données par le biais de procédés « passifs » évoqués par Éric Sadin102 : ces procédés invisibles qui collectent des traces numériques sans le consentement des individus comme des extraits de textes écrits sur des blogs ou des vidéos postées sur des réseaux sociaux ? Par ailleurs la prédictibilité ne porte-t-elle pas entrave à l’éthique ? Par sa capacité à pouvoir anticiper une partie de notre futur, cette dernière ne fait-elle pas obstacle à notre liberté ? Avant d’engager une analyse approfondie sur les aspects de respects de la vie privée à l’ère du Big Data, ce qui fera l’objet d’un développement ultérieur, commençons par décrire certains des usages de la gestion des données : l’exemple de la collecte et du traitement des données comportementales des consommateurs par les e-commerçants nous semble extrêmement précieux au plan commercial et communicationnel, c’est ce que nous analysons dans le chapitre à venir. b. Gestion des données : d’une relation personnelle à une relation multidirectionnelle dans une logique transactionnelle Il nous semble judicieux de comprendre certaines des applications d’ordre commercial et communicationnel du Big Data. Dans de nombreux secteurs d’activités et notamment celui du e-commerce qui nous intéresse plus particulièrement, la collecte des données des clients et son analyse permettent de créer des profils d’individus dans l’objectif de leur proposer des services personnalisés. Un article très intéressant de la revue professionnelle Influencia qu’il nous a été donné à lire confirme ce propos et dresse le portrait d’une profession pionnière en matière d’utilisation des datas à des fins commerciales et de construction de la relation client : « Wal-Mart ou Tesco ont ouvert les yeux du secteur sur les leviers de différenciation et de gestion de la relation client qu’offrait la data »103 explique la journaliste économique Christine Monfort. Cette dernière souligne que « l’exploration des données de navigation est utilisée dans une optique transactionnelle » et que « la connaissance client au sens large permet aux enseignes d’être dans une logique consommateur beaucoup plus réelle ». Ainsi, en suivant des parcours de navigation sur un site e-commerce, on déduit une « réalité » de consommation. Christine Monfort évoque un autre atout au traitement des données comportementales des clients à 102 Sadin Eric, Op. Cit. p23 103 Influencia n° 9, Monfort Christine, Distribution : la data en tête de gondole, Paris, avril-juin 2014, p127-132
  • 35. 35 savoir la construction d’une relation « one to one » entre eux et l’enseigne au moyen d’offres personnalisées : « l’objectif est de nouer une relation commerciale de plus en plus personnalisée et de proposer au client les produits qui l’intéressent au moment où cela l’intéresse » puis elle conclue sur le point suivant : « le véritable enjeu sera d’engager chaque client sur ce à quoi il est le plus sensible ». L’avantage concurrentiel d’une bonne gestion de la relation personnalisée avec les clients semble énorme pour des e-commerçants dont le souhait le plus fort est de fidéliser et d’augmenter le panier d’achats. Jérôme de Labriffe104 , ancien directeur du digital et de la gestion des données du groupe BNP Paribas, rencontré dans le cadre de notre étude, nous éclaire sur l’intérêt majeur de constituer des profils de consommateurs. Il insiste sur le fait qu’un individu est non seulement un sportif mais aussi un amoureux des arts ou un informaticien. Passer de la collecte de données issues de personnes uniques à des données issues de profils permet de créer des offres ciblées et de multiplier ces offres en direction de chacune des personnes. Ainsi, tout porte à croire qu’une bonne gestion des données clients permette par la suite de démultiplier des offres commerciales correspondant à chaque point d’intérêt de ces derniers : une personne en devient plusieurs pour les spécialistes de la gestion des datas. A l’idée de «conquête » liée à la quantification et à la qualification du monde évoquée au début de ce paragraphe s’ajoute celle d’une volonté de démultiplier l’être humain. L’arrivée d’Internet et la pratique d’une gestion efficace des données clients dans un objectif commercial et communicationnel permet aux entreprises d’échanger en permanence et très rapidement avec leurs consommateurs pour assurer la pérennité de la commercialisation de produits et de services. Franck Debos dans Les Cahiers du Numériques en 2010 explique que l’un des effets du numérique étant l’accès à une information très fournie et dans des délais très courts, ceci favorise l’apparition d’un nouveau traitement de cette information et l’apparition du « consomm’acteur »105 , un consommateur impliqué dans un dialogue personnel avec les marques, partie-prenante des décisions stratégiques et communicationnelles des entreprises et identifié grâce à ses nombreuses « traces » numériques. Des communautés virtuelles se créent ainsi que des blogs de consommateurs qui donnent parole libre à la critique des entreprises et de leurs marques. La relation « on line » apparaît, facteur de succès ou d’échec d’opérations communicationnelles, auxquelles les responsables marketing apportent une attention plus que rapprochée, tant elle est garante de la 104 Entretien semi-directif avec Jérôme de Labriffe, Paris, 3 Septembre 2015, fourni en annexe p. 63 105 Debos Franck, Les Cahiers du Numérique, Piloter l’entreprise à l’ère du numérique, Editeur Lavoisier, 2010/4 (Vol.6), p9-1
  • 36. 36 vie, voire de la survie des marques. Les consommateurs savent désormais s’organiser en groupes de pression et utilisent les canaux digitaux pour porter leurs avis et leurs exigences à connaissance des entreprises. Cette obligation d’interaction avec le consommateur engage les responsables de marques à un dialogue de tout instant avec leurs clients. Elle n’est rendue possible que par la capacité qu’offre la gestion des données de pouvoir identifier et isoler ces clients. Nous constatons que le digital favorise le développement d’une « proximité relationnelle » inédite entre des marques et leurs clients. La confiance des consommateurs est liée à la transparence des informations qui lui sont fournies, et à la transmission personnalisée de ces informations. Une entreprise se doit de savoir réagir dans des délais brefs aux sollicitations des internautes-consommateurs, comme le prouve un incident survenu chez Danone : Quand en Avril 2001, le groupe Danone annonce un plan social suite à la vente de sa filiale LU, il apparaît impossible aux yeux des consommateurs qu’une entreprise se contente de licencier pour augmenter ses profits. Danone, fait alors face à un appel au boycott au travers de la création de nombreux sites internet en réaction au plan social annoncé. Le plus connu étant le site « jeboycottdanone.com »106 créé par le journaliste Olivier Malnuit, sur lequel les consommateurs sont invités à s’exprimer. Danone se doit ensuite d’identifier personnellement ses détracteurs afin de pouvoir leur fournir une réponse adaptée : preuve de l’application communicationnelle vertueuse d’un bon traitement des données. Nous avons présenté certaines des applications commerciales et communicationnelles du Big Data et avons évoqué de nombreuses fois l’accès au dialogue personnalisé des entreprises avec leurs clients, le dernier point de ce chapitre s’emploie à envisager l’impact de la gestion des données sur l’image éthique des entreprises. B/ Impact d’une politique Big Data sur l’image éthique des e- commerçants Nous avons précédemment observé que les entreprises et les marques qui travaillent leur valeur ajoutée émotionnelle créent un engagement relationnel avec leurs clients. Ces clients s’impliquent dans une forme de « relation » nouvelle avec les entreprises et avec les marques, au gré de leur désir d’interagir avec elles. Nous abordons dès maintenant un chapitre 106 Réseau-Voltaire.com, Malnuit Olivier, Je Boycotte Danone.net, 9 mai 2001, annexe p. 70 phttps://www.iddn.org/jnet/illustration/jeboycottedanone_090501.htm, consulté en septembre 2015
  • 37. 37 dont l’objectif est de nous éclairer sur la compatibilité du maintien d’une image éthique à l’aune du Big Data et du traitement automatisé des données personnelles. Plus spécifiquement, de quelle manière les e-commerçants parviennent-ils à préserver leur image éthique dans ce contexte ? Nous nous employons à répondre à ces interrogations en fournissant dans un premier temps une analyse comparative des rubriques sur la protection des données personnelles des clients du e-commerce, rubriques qui constituent une partie des conditions générales de vente de six sites de distribution française. Nous retranscrivons ensuite une partie de l’interview d’un responsable de la gestion des datas de Monoprix, menée en septembre 2015 à l’occasion d’un stage dans cette entreprise, cette interview nous éclaire sur l’intérêt de manier avec précaution les données des clients en cohérence avec les engagements éthiques de l’entreprise. Enfin, un entretien en présence de deux responsables des relations avec les usagers à la CNIL nous éclaire sur les principes de contrôle de l’usage des données personnelles par cette institution et des limites qui sont apposées aux différents responsables de traitement des données dans un but de respect de la vie privée des individus. Nous évoquons en fin de chapitre la surveillance circulaire qui s’organise par le biais d’internet entre les entreprises, les clients et les instances régulatrices comme la CNIL, forme d’entrave à la liberté et donc à l’éthique. a. Confrontation du marchand et de l’éthique à l’époque de l’utilisation des données Une analyse sémiolinguistique approfondie des rubriques sur la politique de protection de la vie privée107 de six sites majeurs de vente en ligne français nous fournit les premiers éléments de preuve d’une volonté de diffusion d’une image éthique par les e-commerçants. Monoprix.fr, Cdiscount.com, Auchandirect.fr, Ooshop.com, Leclercdrive.fr et Houra.fr, tous s’emploient à justifier une utilisation vertueuse de leurs données clients. Nous retirons de cette analyse les enseignements suivants : Une image éthique passe par l'utilisation d'un champ lexical spécifique : Monoprix par exemple accorde une grande importance à la transparence dans la gestion de ses données clients. Des mots liés à la confiance et à la vie privée comme « protection et autorisation » sont utilisés à de multiples reprises, le distributeur évoque également régulièrement la notion de « choix » du client, quant à son droit d’accès ou à son droit d’opposition à l’utilisation de 107 Analyse sémiolinguistique fournie en annexe II, p. 64
  • 38. 38 ses données personnelles. OOshop, Houra, Auchandirect et Cdiscount emploient également des mots liés à la sécurité des données privées comme «personnel » ou « confidentialité ». Nous constatons que l'image éthique que Monoprix souhaite imprimer chez ses consommateurs passe par un souci pédagogique d'expliquer ce que sont les « cookies »108 (le mot est écrit soixante-quinze fois109 ) et par l'évocation des partenaires avec lesquels elle est susceptible de partager les données collectées. On retrouve ce souci de pédagogie également chez Cdiscount qui propose sur son site quatre pages entières dédiées à tous les cookies utilisés. Le champ lexical et la répétition de certains mots en relation avec l’utilisation respectueuse des données des clients ainsi que la possibilité pour le client d’accéder à ses propres données sont autant d’indicateurs d’image éthique auprès du public. Le droit à l’oubli de ces données, proposé par Monoprix et que nous soulignons au travers de cette analyse, renforce son image de distributeur de confiance. Nous observons un souci pédagogique des e- commerçants d’éduquer leurs consommateurs sur la signification du mot « cookie » et sur son usage. Cette volonté de transparence dans l’explication de cet aspect technique de la gestion des données relève, nous semble-t-il, également d’une volonté d’inscrire une image éthique. Ton et syntaxe employés fournissent d’autres indicateurs d'image : L'emploi du présent par tous les distributeurs étudiés symbolise l'ancrage de la gestion des données des consommateurs dans une réalité quotidienne. On constate l'emploi d'un ton respectueux et personnel chez Monoprix, CDiscount et OOshop avec l’utilisation des mots "vous" et "nous" et de nombreuses formules de politesse. Le ton est plus impersonnel et moins conversationnel chez Houra et Auchandirect où l'on parle plutôt au "client" à la façon "mode d'emploi", les phrases sont peu expressives et plutôt descriptives et neutres. Ajoutons que Monoprix utilise des phrases longues et analytiques, symboles d'un temps long accordé à ses clients. Nous retrouvons au travers de cette analyse certains éléments de l’approche communicationnelle de l’éthique. Nous nous souvenons de l’interview de Philip Kotler évoquant le marketing de la valeur (le marketing 3.0) et la volonté des entreprises de s’engager dans une forme de « relation »110 avec leurs consommateurs au travers du partage de valeurs, nous avions également pris soin de souligner le lien entre éthique et recherche de « sens partagé »111 où Christian Le Moënne nous avait éclairé sur l’éthique comme outil communicationnel de contrôle de la relation entreprises-consommateurs. Ainsi, le ton personnel et chaleureux 108 Les cookies sont de petits fichiers que les sites internet mettent sur le disque dur d’un ordinateur lors d’une première visite d’un internaute. Il permet de fournir des informations sur la navigation de l’internaute en question. 109 Tableau récapitulatif de report des résultats fourni en annexe II, p. 64 110 Kotler Philip, Op. Cit. 111 Le Moënne Christian, Op. Cit.