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Intervention du 16 décembre 2013.
Séminaire EHESS d'Antonio A. Casilli « Étudier les cultures du numérique :
approches théoriques et empiriques »
Que sont nos amitiés numériques ? Y a-t-il une philia
numérique ?
Anne Dalsuet
Introduction : Pourquoi réfléchir sur cette question de l’amitié numérique ?
a) On a parlé d’une crise de l’amitié
Nous serions face à un paradoxe au moment même où l’on parle de crise des
sociabilités on assiste à l’apparition dans les années 2000 d’une cohorte de réseaux
sociaux numériques : LinkedIn, Myspace, hi5, Friendster, Orkut au Brésil, Mixi au
Japon ont préparé ou accompagnent l’exploit de Facebook. Ces réseaux numériques
revendiquent en général des liens sociaux modelés sur l’amitié. Pour quelle raison ?
Entendent-ils remédier à l’affaissement des liens sociaux, parviennent-ils à le faire ou
bien ne sont-ils que symptomatiques d’une sociabilité en crise ?
Nous, postmodernes, serions en rupture avec la philia, ce lien amical qui selon
Aristote dans L’Ethique à Nicomaque (VIII) unit les humains semblables et égaux, et
constitue un modèle tant éthique que politique. L’amitié, aux yeux d’Aristote, est un
lien affectif qui surpasse la simple et froide justice, une surabondance qui augmente
la joie de se sentir vivant. Elle accroît la connaissance de soi et nous conduit à
partager des actions et des pensées. C’est pourquoi tissant des liens profonds et
divers qui sont au fondement des communautés humaines, elle participe de
l’expérience politique.
La décomposition de l’amitié renverrait plus largement à une crise institutionnelle
profonde du politique.
L’amitié (comme valeur et comme pratique effective) nous offre donc une piste
précieuse pour appréhender les bouleversements de la culture numérique : ce qu’elle
modifie ou ce qu’elle inaugure tant dans nos pratiques que dans nos représentations
concernant nos liens intersubjectifs et politiques. L’un des enjeux étant de
comprendre et de tenter d’évaluer les risques, les bienfaits ou les dangers du
numérique.
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b) Peut-on constituer une ontologie de l’amitié comme s’il s’agissait là d’une
essence ?
Mais un préalable s’impose, qu’est-ce que l’amitié ? Et de quelle amitié parlons-nous
au juste lorsque nous voulons identifier l’amitié numérique? Peut-on s’appuyer sur
une définition fixe et générique qui abolirait les traits caractéristiques culturels,
éthiques, historiques pour faire surgir une forme générale intemporelle de l’amitié ?
Proposer une définition fixe, générique de l’amitié n’est peut être pas opératoire
si l’amitié renvoie à une multiplicité.
Déjà au IV a.v J.C, dans l’Ethique à Nicomaque, le terme philia recouvre un ensemble
de relations ayant des objets différents. On aime ainsi ce qui est utile, agréable ou
bon. L’importance de cette tripartition revendiquée par Aristote tient moins à son
exhaustivité qu’à sa pertinence. Elle permet de constituer un critère pertinent de
distinction et de différenciation de la philia. L’utilité, le plaisir et le bien s’avèrent
alors des critères suffisants pour comprendre les différentes formes d’amitié. Mais
quelle que soit sa forme l’amitié est toujours un lien de réciprocité dont l’objet est
la bienveillance, c’est-à-dire le désir du bien de l’autre pour lui-même et la
conscience de cette bienveillance réciproque selon l’utile, l’agréable ou le bien.
Toutefois, avec les réseaux sociaux numériques qu’est-il advenu de ce principe
éthique ? Est-ce toujours la bienveillance qui préside à nos liens ? N’a-t-on pas affaire
à une instrumentalisation culturelle et économique de l’amitié qui garantit d’abord
aux réseaux sociaux numériques leur extension, leur accroissement ?
Les réseaux sociaux adoptent à des fins promotionnelles ou marchandes nos belles
représentations de l’amitié. L’environnement numérique exploite les caractéristiques
et les spécificités telles qu’elles ont été inscrites et codifiées par le discours
philosophiques classiques.
Toutefois, que sont devenues nos amitiés avec l’avènement du numérique ? Ont-elles
pour autant disparu ? Quels sont le sens, la valeur et la force de nos affections
numériques ?
c) Quelle philosophie élaborer pour concevoir et prendre en charge ce
problème ?
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Une hybridation des pensées s’impose (même si on reconnaît certaines
incompatibilités) si l’on veut formuler un certain nombre de difficultés théoriques
qui sont au cœur du numérique telles que la détermination des comportements
individuels et collectifs par le numérique. Il s’agit d’un travail d’entremise qui
organise des rencontres entre différentes philosophies, entre différentes
disciplines critiques, telles que philosophie et sociologie par exemple. Tenir
compte des pratiques et de leurs représentations collectives conduit à une
réélaboration originale de certains concepts philosophiques sur le plan même des
pratiques numériques.
d) Les enjeux sont multiples mais articulés :
D’ordre philosophique
On ne peut pas se contenter du discours philosophique technophobe encore
dominant qui alimente les dystopies à propos du numérique comme du politique.
Il s’agit a contrario de proposer une méthode philosophique qui assume un certain
scepticisme, qui soupçonne tant nos représentations courantes que nos idéologies
philosophiques à propos des affections sociales. Il s’agit de sortir d’un espace de
pensée dogmatique qui néglige les possibles comme les innovations, qui nous interdit
de chercher des instruments d’analyse suffisamment nuancés pour mesurer si nous
avons affaire ou non à une crise de l’amitié.
L’enjeu est aussi d’ordre politique et social car l’amitié, loin d’être un simple lien
intersubjectif propre à la sphère de l’individu, désigne également nos relations
politiques lorsqu’elles sont authentiques et viables. Comme nous invite à le penser La
Boétie dans le Discours de la servitude volontaire, l’amitié est un fondement
nécessaire du lien social, ce qui nous conduit à une autre définition du politique :
envisager des nœuds sociaux, des dépendances qui n’engendrent pas la servitude.
Réfléchir sur cette vertu politique nous invite par conséquent à prendre acte de la
crise actuelle des institutions sociales et politiques, qui par nature sont toujours
temporelles et périssables, comme Spinoza le rappelle dans sonTraité politique.
La révolution numérique est en effet une révolution épistémologique, culturelle et
politique toujours en cours et en devenir dans laquelle nous sommes d’ores et déjà
embarqués. Comment nous permet-elle d’envisager ou d’élaborer un nouvel
humanisme ? Un humanisme numérique qui nous inviterait à expérimenter
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d’autres formes de relations aux autres, aux savoirs, à l’engagement, de ne pas
renoncer à notre émancipation ?
Le plan : I) Q u’est-ce qu’une amitié appareillée ?
I) Leur phénoménologie : Qu’est-ce qu’une amitié appareillée ?
L’ami émerge de l’écran et de nos interfaces provoquant au départ un vertige, à qui
avons-nous affaire ? De quelle forme d’apparition ou de présence peut-il s’agir ?
1) Comment rencontre-t-on l’autre ou l’ami sur les réseaux sociaux ?
Avant :
Soulignons de prime abord par comparaison ce qu’était avant l’ère numérique une
rencontre et la description que l’on en faisait : un exemple possible est la rencontre
de Bouvard et Pécuchet dans le texte de Flaubert : ce sont des corps, des visages qui
sont mis en présence, des manières d’êtres, des manies même (boulevard Bourdon,
33°, l’été dans un Paris désert… l) qui font de la rencontre une reconnaissance.
L’amitié dispose de ses rituels.
Le contexte de la rencontre participe de la singularité du lien de sa mémorisation.
Après :
En effet ce qui faisait l’étoffe et la singularité de la rencontre s’est modifié. Les
modalités de la rencontre se sont renouvelées. A commencer par le lieu.
« On s’est rencontré sur Facebook », « il m’a invité sur LinkedIn », qu’est-ce que cela
veut dire ? A quoi cela fait-il référence ?
2) À quelle topologie sommes-nous renvoyés ? Peut-on encore parler de lieu ?
a) L’espace numérique : inaugurale ou régulière la rencontre numérique est
devenue une performance qui se joue dans l’espace numérique, par écrans
interposés de taille et de dimensions variables, grâce aux différentes interfaces
(dispositifs numériques qui permettent des échanges entre acteurs - interface
humain/machine, interface de programmation entre différents logiciels, interface
électronique entre différents éléments électroniques, interface linguistique)
Nous braquons notre regard sur un mur bidimensionnel et sommes absorbés par un
espace sans profondeur physique.
Doit-on alors parler de lieu ou de non lieu numérique ?
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Nous démultiplions notre présence au gré de l’extension du réseau. Nous n’avons
plus nécessairement à partager le même lieu, un lieu unique pour nous
rencontrer.
Qu’advient-il avec l’hétérotopie de la rencontre numérique ? Ne met-elle pas en péril
le lien d’amitié ?
b) L’immersion et la tentation de l’hyperlien
Pour les Grecs, l’amitié requiert la proximité physique et ne se vit pas à
distance. Elle nécessite l’expérience commune du quotidien, le partage d’un même
territoire. Or la distance n’est-ce pas précisément ce que la technologie numérique a
neutralisé en apparentant le lointain au proche ? Des métaphores spatiales
caractérisent la culture numérique, la toile où l’on navigue, le site que l’on visite, et
traduisent un glissement profond quant à notre représentation de la distance.
La quête de la proximité a défini la vocation majeure du numérique : chaque point du
monde doit être relié rapidement aux autres grâce à un réseau qui épouse l’échelle
planétaire. Cet horizon requiert une extension, géographique et sociale,
optimale des relations et l’atopie des connexions numériques. L’inscription
locale n’étant plus déterminante, la distance ne constitue plus un obstacle : en
principe, nous pouvons prendre contact de n’importe où, avec n’importe qui et à
n’importe quel moment.
Le numérique façonne donc de nouveaux usages qui en font un espace de
sociabilité potentiellement toujours accessible. Des images, des vidéos, des
messages personnels circulent, s’échangent avec une rapidité et une facilité qui
semblent démentir notre éloignement physique. Mais les formes d’immédiateté
propre au numérique engagent une accessibilité à l’autre paradoxale. Notre monde
s’est à la fois dilaté et rétréci en raison de la visibilité très parcellaire des documents
partagés sur le réseau.
Quel est désormais le sens du proche et du lointain de nos relations
numériques ? La sociabilité à distance n’est pas substituable à la sociabilité en face à
face. Elle signe la fin d’un monde de la séparation tranchée, dont il faut interroger le
sens et la valeur. Nous existons désormais sous le régime de la coprésence, de
l’entremêlement de pratiques à la fois anciennes et numériques. Nous existons selon
différents régimes de présence.
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Nous sommes notamment dans l’hyperlien comme dotés du pouvoir
chamanique de convoquer les êtres que nous désignons, de parcourir d’autres
mondes sans quitter notre chaise, de parler à distance de choses intimes sans
parfois nous connaître. Le « déloignement du monde » repéré par Heidegger dans
Etre et Temps a rencontré l’abolition progressive du lointain au profit de l’ici. Tout
peut nous être « livré à domicile » via l’appareillage numérique, métonymie d’un chez
soi qui risque fort de se réduire à une unique fonction centripète. Or la volonté
impérieuse de surmonter l’éloignement ontologique des hommes et des choses,
maquille un éloignement primitif à nous-mêmes pour Heidegger. Vivre en
immersion numérique risque de nous empêcher de voir le monde et l’autre
autrement que sous le régime de la proximité et de la disponibilité, en fonction
de l’usage qui peut en être fait et non plus pour eux-mêmes. Un nouvel ethos
s’impose : s’éloigner de ce qui est proche, se rapprocher de ce qui est lointain,
inverser la relation habituelle de l’homme avec son milieu naturel, avec l’autre.
L’ubiquité numérique recompose notre rapport à l’altérité. Une géographie de la
relation a pris le relais de l’ontologie de sorte que tout ce qui peut être désiré se
trouve à proximité. Nous nous embarquons sur les réseaux où nous ne tenons pas en
place, où nous épousons la mouvance du divertissement. Captifs du désir
inextinguible d’être partout, d’accéder à toute chose, nous risquons de nous
maintenir dans une forme de cécité et d’insatisfaction métaphysiques.
b) Les machines numériques en réseau innervent l’ensemble de nos territoires
de vie.
Nous consacrons l’avènement d’une électronique ambiante, permanente et
ubiquitaire, qui dit-on se substituerait au monde « réel ». Or cet espace
d’informations, de mobilité n’est ni hallucinatoire ni déconnecté du réel,
disons plutôt qu’il « encercle le monde ». Il aménage nos expériences sur des
plans distincts, l’un matériel et physique, l’autre numérique et cognitif, qui ne sont
pas pour autant étanches ou rivaux : ils peuvent s’additionner et coopérer.
« Smartphone » en main, leur rupture devient caduque. La miniaturisation des
tablettes numériques, des téléphones mobiles, des écrans fait du numérique un
espace nomade, accessible in situ.
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Nous voyageons d’un point à l’autre de l’espace physique et nos rencontres
amicales numériques ont désormais aussi lieu par superposition numérique, à
l’interface des réseaux. Mais le désir de localisation importe encore lorsque nous
communiquons par voix numérique. Nous précisons notre inscription
géographique, « à proximité de Belleville », ou technologique, « photographié avec
« instagram », pour afficher un statut, une information, une image sur notre page
Facebook. Les données circulent d’une borne wifi à l’autre, pénètrent notre réalité et
saturent l’espace concret des villes, composant un milieu humain techno-
géographique. Nous habitons différents lieux impliquant des modalités perceptives
différentes.
Dès lors :
La rencontre amicale numérique suppose que l’on interroge ce qu’est devenue la
perception d’autrui à présent que nous pouvons partager des idées, des images, des
sentiments, ce qui est intime, sans nécessairement partager le même lieu physique ?
3) Comment perçoit-on l’autre ou l’ami ?
Notre perception a radicalement changé : l’autre, l’ami ne nous apparaît plus de la
même façon. L’expérience singulière et charnelle de la rencontre a muté en une
expérience technologique multimédia qui complexifie notre apprentissage de
l’autre.
Les tablettes numériques et le réseau internet sont des dispositifs techniques qui font
apparaître l’autre sous une modalité particulière inaugurale. Dans le monde
prénumérique, nous ne percevions jamais les êtres que sous un certain angle et un
seul à la fois. La présence perceptive de l’autre se payait toujours d’une absence. Nous
pouvions en droit toujours faire varier et affiner notre perception, « faire tourner »
cet autre en nous mettant en mouvement, en nous réorientant, en nous approchant
ou en nous éloignons. La recherche de la juste distance, la variation successive du
point de vue favorisaient la constitution d’un continuum sensoriel : La coexistence
empirique des consciences, leur enracinement dans une existence sensible commune
encourageaient la rencontre et la naissance de l’amitié. Désormais nous voilà mis en
contact par écrans et interfaces interposés, dans un autre environnement perceptif.
Désormais nous apprenons à nous connaître sans nous voir ou nous parler.
4) Corps et image :
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a) s’affranchir de la gravité corporelle ?
Assis face à l’écran, nous aurions fait disparaître le corps de nos relations amicales
pour bénéficier d’une image, d’une présence dématérialisée, dit-on. Nous pourrions
nous rendre présents aux autres sans subir notre corps effectif. Le corps charnel a
faim, grossit, vieillit, tombe malade, ses fonctions naturelles l’encombrent. Mais dans
la dimension numérique il n’a plus à dévoiler son existence physique avec ses
fragilités et ses déficiences, il se déleste de ses expressions sensibles habituelles.
S’affranchir de la gravité corporelle permet à certains de se glisser dans un
protocole relationnel simplifié, dédramatisé, plus ludique, plus maîtrisable, quitte à
ce qu’une dualité artificielle s’impose entre le corps et ses images démultipliées,
contrôlées. Nous ajoutons à nos médiations symboliques traditionnelles, des
intermédiaires techniques dont la dématérialisation progressive accompagne celle de
nos corps numériques. Les nouvelles technologies numériques provoquent d’autres
modalités et d’autres exigences relationnelles. Ces dispositifs font fonction de
filtre entre les uns et les autres, permettant aux plus intimidés de communiquer
avec n’importe qui, de se dévoiler peu à peu avant une éventuelle rencontre effective,
de mettre fin en un clic à une conversation. Nous voulons décider de notre visibilité,
contrôler notre image en limant nos imperfections, en exhaussant nos qualités ou
même en dissimulant notre apparence physique.
b) Comment se manifeste notre présence numérique ?
Quand nous communiquons sur un site nous sommes là en ligne pourvus d’une
présence en puissance ininterrompue et indépendante de l’inscription réelle
de notre corps. Si être quelque part ne veut plus dire la même chose, être ensemble
non plus : tant que nous sommes connectés nous sommes présents, potentiellement
toujours là mais potentiellement toujours invisibles, inaudibles, intouchables ? Nous
mettons en scène notre propre spectralité : nous ne cessons de témoigner de notre
présence par des textes, des images, des alertes graphiques, et pourtant nul ne
pourrait garantir l’existence ou l’identité de celui qui est à la source de cette
émission. Nous démultiplions nos apparitions en démultipliant nos images : nous
pouvons ainsi accéder à la simultanéité de diverses captations dans un split screen.
Or cette présence numérique n’étant plus que textuelle ou imagée, privée de la
visibilité d’une inscription physique ou d’une incarnation, peut-elle véritablement
nous représenter ? Si la relation entre les hommes ne suppose plus un corps à corps,
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un face à face effectif qu’est-ce qui détermine l’émotion de la rencontre ou le plaisir
de se fréquenter ? Qu’est-ce qui nous assure de l’authenticité de notre amitié ?
Comment se sentir ensemble si l’on ne reconnaît pas en l’autre une commune
humanité sensorielle ? Les choses permettent le mélange, la combinaison,
éventuellement l’attachement mais ne peuvent fonder une relation affective
réciproque : l’amitié est par essence intersubjective et présuppose la reconnaissance
mutuelle et solidaire de deux consciences. L’ami est un autre soi-même avec lequel on
partage d’abord le fait d’exister, avant même de s’accorder confiance, compréhension,
bienveillance et hospitalité.
c) Qu’est-ce qu’un corps d’homoelectronicus ? Bénéficier d’un corps hybride
Notre corps n’a pas disparu, il s’est transformé pour habiter l’espace insolite du
numérique, constitué à la fois de qualités sensibles et d’informations impalpables.
Avec les récentes technologies numériques nos sens se sont prolongés à l’extérieur
procédant conjointement à une réinsertion du corps au sein de ce nouvel
environnement et à une redéfinition de notre sensorialité. Le numérique n’est pas
simplement une technique supplémentaire, de compression et de diffusion, il engage
une redéfinition générale de l’espace médiatique individuel ou collectif. Comme tout
média, il correspond à une manière particulière de privilégier un sens sur un autre,
d’appréhender une globalité en fonction d’une certaine perspective. Le numérique
n’a pas remplacé les média préexistants selon une logique de substitution, il ne s’est
pas non plus additionné à eux par une simple juxtaposition. Il leur a succédé sans
dupliquer le connu, en engendrant sur eux des effets rétroactifs, en modifiant
profondément les usages que nous faisions de la télévision, du téléphone, de la
presse, du livre, de l’écriture…
Chaque technologie révolutionnaire provoque un bouleversement sensoriel
sur l’ensemble de ses utilisateurs en procédant à la revalorisation d’un sens
sur un autre qui parfois en devient obsolète. Au regard lecteur on a préféré la
manipulation tactile directe qui seule permet de transmettre un fichier, de modifier
une image. Les technologies digitales ont inauguré une nouvelle ère dans nos
rapports à l’acoustique, à la vision, à l’image et à la représentation. Désormais toutes
nos perceptions sensorielles numériques dépendent d’applications privilégiant le
toucher. Or ce sens implique une incorporation du réseau dans le corps de l’individu
ainsi qu’une identification de l’outil et du corps humain. L’i phone comme toutes les
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technologies nouvelles générations est beaucoup plus androïde, son utilisation met
conjointement en jeu la tactilité de l’objet et la sophistication du toucher humain. Les
doigts procèdent par touches souples, subtiles, vives et précises sur l’écran. Les effets
sont immédiats, la main et la machine entretiennent une relation épidermique. Le
corps a muté. Il n’est plus ce corps qui se saisissait d’outils pour agir sur le monde,
reconnaissant dans leur extériorité une véritable altérité ontologique. Il est à présent
une télécommande, un joystick intégrant tout le dispositif technologique, un point de
transfert et de passage, un site physiologique de la communication numérique. La
panne technique, la non-accessibilité aux réseaux ou la perte de l’instrument
androïde peut alors être vécue comme une amputation qui met en danger notre
intégrité physique et mentale.
Ce syndrome ne fait-il que trahir une aliénation sans précédent de l’homme à
la technologie ou exprime-t-il l’avènement de leur symbiose ? Le phantasme fort
ancien que les machines nous exploitent mérite éclaircissement car il méconnaît
notre coévolution : machines et humains vivons ensemble et partageons un même
monde dans une forme inattendue de compagnonnage. Les nouvelles technologies
numériques, à l’instar du modèle du cyborg, déstabilisent nos dualismes tenaces,
humain et machine, maîtrise et absence de maîtrise, sujet et objet, nature et culture,
dans un sens utile à notre émancipation. Ces interfaces humain-machine
permettent au contraire des échanges inédits rappelant que le corps humain
qui nous semble si naturel relève depuis toujours de constructions
sociotechniques. Les interfaces, au départ extérieures et localisées, ont
progressivement absorbé les objets de notre environnement et déplacé la frontière
corps-machine. Le corps est ainsi devenu une interface privilégiée dans la chaîne de
communication numérique, il assure la coprésence sur les réseaux sociaux,
l’interactivité en espace et en temps réels. Son statut s’est également modifié : sa
présence et son identité résultent de l’étendue et de la valeur de ses liens, sa position
sociale au sein du réseau s’expose et se partage. La tactilité constitue le vecteur
privilégié d’incarnation de la réalité, ce en vertu de quoi nous sommes touchés par
l’autre. (bumping)
La numérisation de l’échange ne conduit donc pas à l’exclusion du corps mais à
sa mutation : il devient le premier lieu de la communication. C’est toujours en
mettant en scène son propre corps qu’un internaute se rend présent en ligne,
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interagit avec les autres, garantit ses liaisons numériques. Les portraits, les
signatures manuscrites, le recours à ces signes ou ces traces numériques prouve que
le corps ne disparaît pas. L’incorporation des technologies numériques et de leurs
divers usages offre même au corps une extension sans précédent. Mais ses
modalités d’existence changent, nous ne pouvons plus le reconnaître ou le
concevoir comme avant.
5) Le déploiement des possibles : nous sommes victimes d’une confusion entre
virtuel et irréel. (Rappeler la complexité du concept)
Les blogs, les forums de discussion, les réseaux sociaux numériques offrent un effet
de réel très puissant. Ce sont des plates-formes tout à fait théâtrales où ce qui
s’échange semble crédibiliser le réel et ouvrir d’autres potentialités amicales : des
discussions spontanées, hétéroclites, auxquelles nous n’avons pas accès dans la
réalité, se tiennent entre plombiers, entre jeunes gens, entre traders, et paraissent
plus vraies que nature. On y écrit comme on parle, sous une forme vivante et
décomplexée, chacun s’y mettant en scène. Des conversations qui semblent faciliter
et renouveler notre approche de l’autre, faciliter les sociabilités. L’usage que nous
faisons généralement du terme virtuel doit donc être envisagé avec plus de rigueur :
Dans son texte Qu’est-ce que le virtuel ? Pierre Lévy reconsidère les analyses
deleuziennes du virtuel à l’aune des nouvelles technologies numériques. Plus que le
virtuel, c’est une attitude nouvelle de l’homme face au monde que Lévy repère, il par
le de virtualisation. C’est un vaste processus d’« hominisation », lié aux technologies
de l'information et de la communication contemporaines qui consiste à déployer ce
qui se présente figé dans sa structure à une dynamique multiple et ouverte. Avant le
numérique, chacun de nos sens recevait une fonction unique et nous inscrivait dans
un temps et un espace particuliers. Avec la virtualisation, nos expériences
s’enrichissent : l’interactivité, la mise en réseau des pratiques numériques engagent
nos sens différemment, multiplient leur potentialité sensorielle. Nos échanges
numériques opèrent ainsi une virtualisation de la communication traditionnelle
prolongeant nos potentialités amicales.
II) Mais n’a-t-on pas délégué notre capacité à nous lier, à des
machines numériques, à l’algorithme ?
1) Compulsion ou addiction ?
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Sur les réseaux sociaux numériques, nous devenons ami ou renonçons à l’être en un
click, à la vitesse des connexions haut débit, en activant la fonction adéquate
proposée sur la page du site. Le désir d’instantanéité favorisé par les progrès
technologiques préside à la constitution du lien : accélération, emballement,
contagion, fulgurance déterminent nos relations numériques. Les flux incessants au
sein des réseaux sociaux numériques nous livrent au régime impérieux de
l’engagement sur le champ. Sollicités par une demande, nous devons répondre de
notre présence, identifier publiquement notre désir dans les plus brefs délais. Au cas
où notre réponse se ferait trop attendre, un système de relance est prévu.
Or l’amitié, comme le rappelle Aristote, réclame du temps pour advenir et s’épanouir.
Les amis doivent avoir consommé ensemble « plusieurs boisseaux de sel », partagé
des expériences communes, traversé des difficultés. La rencontre ne suffit pas à nous
rendre amis, il faut que le temps reconduise et étoffe ce qu’elle a inauguré. La durée
scelle l’amitié, confirme la confiance et l’affection vertueuse que chacun se porte.
Mais avec le numérique, la lenteur, la répétition des cycles, le déploiement temporel
ne sont plus les nécessaires composants de nos amitiés. Une autre chronologie
affective s’impose qui décide du tempo et de la nature de nos sociabilités en général.
Une nouvelle organisation du désir prescrit insidieusement la compulsion du
contact : l’addiction s’est substituée à l’engagement. Combien de fois par jour nous
connectons-nous pour vérifier nos messages, indépendamment de leur urgence ou
de leur importance ? Sommes-nous désireux de rester connectés ou joignables au
point de renoncer à notre autonomie affective, à notre rôle de sujet ?
Nos liaisons numériques dépendent plus que jamais de notre visibilité, de notre
accessibilité sur le réseau, qualités cardinales que les Anglo-saxons désignent par le
néologisme findability. Ainsi, nous ne désirons plus nous soustraire à la vue, à la
disponibilité et nous nous fantasmons mutuellement sous le régime de l’objet
toujours possiblement accessible. Être, c’est être perçu ou percevoir, écrivait
Berkeley dans Les Principes de la connaissance humaine. Allons plus loin : être, c’est
être contacté ou contacter. L’amitié numérique requiert une présence presque
permanente conçue pour la croissance continue du réseau : les échanges devant
proliférer, chacun devient son propre media, un émetteur de messages.
2) La captation numérique, l’écueil de l’omniprésence : L’instrument
numérique nous aliène-t-il nécessairement ?
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Les réseaux sociaux numériques adopte souvent la fonction qui indique si vous êtes
en ligne. Notre invisibilité de dupe se paie de la possibilité de contrôler ou de
surveiller notre présence sur le site. Sur Facebook, un signal vert inscrit en marge
indique si vous êtes accessible. Nous nous rencontrons ainsi sous le double régime de
l’apparition dissimulée et de la présence inépuisable.
Maurice Blanchot soulignait déjà dans son texte L’Amitié, combien la mort de l’ami
permet d’approcher la vérité du lien amical. Blanchot renverse effrontément la
perspective commune selon laquelle il ne serait plus là auprès de nous : sa
disparition, loin de le rendre absent, nous le rend trop présent, nulle distance ne
nous séparant plus de lui. Or l’amitié ne peut s’apparenter à une identification
fusionnelle, à la volonté de combler l’entredeux. Seules l’altérité et la séparation,
entre moi et l’autre, autorisent la reconnaissance d’une éventuelle communauté.
L’omniprésence requise par les réseaux sociaux numériques tend à gommer
l’intervalle spatio-temporel grâce auquel nous nous mettons authentiquement en
rapport. Il devient plus difficile de nous mettre à distance, de disparaître.
L’omniprésence visée par les réseaux sociaux numériques nous conduit à surinvestir
un présent qui ne se différencie plus du passé ou de l’avenir, un présent permanent,
un omniprésent.
Derrière les usages, il y a toujours des formes de vie. Dès les années 1970, Michel
Foucault a dénoncé sous la catégorie de « biopouvoir » la propagation des dressages,
des contrôles politiques ou sociaux au sein même des corps humains. Qu’en est-il
avec les réseaux sociaux en ligne ? Les communications, les chats envahissent les
plateformes à flux multiples et provoquent une réelle captation de l’attention. Doit-
on s’inquiéter de l’emprise psychologique et de la défaillance symbolique que ce
régime de distraction généralisée nous inflige ? Les réseaux numériques nous
incitent à communiquer à flux tendus, à réaliser continuellement la performance
du just in time. Mais quelle potentialité de création peut receler un tel régime de
l’attention ? Quel en est l’impact sur la culture et la sociabilité ?
L’épuisement de la culture du temps long se confirme et menace certains supports ou
moteurs traditionnels des liens sociaux : la relation d’autorité, qui s’exprimait dans
notre confiance en la valeur de l’expertise, la temporalité judéo-chrétienne construite
sur le temps de l’attente et du mérite. Les liaisons numériques ressortiraient au
déficit de rapport à l’effort et favoriseraient un nouveau modèle, celui du laisser faire,
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de l’immédiateté. Mais ne serait-il pas plus juste de dire que nous avons appris à être
avec les autres, via les interfaces, différemment, dans une autre expérience du
monde ?
Nos rencontres numériques privilégient l’horizontalité des liens, les formats courts et
sédimentent des formes relationnelles très différentes de celles héritées des
Lumières. Elles forment un nouvel espace culturel qui se cherche encore,
maladroitement, qui ne peut s’annoncer pour l’instant comme un véritable
programme. A-t-on pour autant ouvert la boîte de Pandore ?
3) Les réseaux sociaux menacent-ils ou favorisent-ils l’amitié ?
a) Une convertion de l’amitié
Comment se constituent les réseaux sociaux ? Sont-ils de réels espaces de sociabilité
ou n’en sont-ils qu’une déformation ou un simulacre ? La convivialité qu’ils
brandissent comme un étendard ne nous expose-t-elle pas d’abord à des nuisances
plus fortes que les services qu’ils rendent ?
La culture numérique convertit tout ce qui nous est familier, tous les objets et les
propriétés hérités de l’ère pré-numérique, pourquoi pas l’amitié ? Cette dernière
constitue précisément la première donnée humaine numérisée à une échelle globale.
Dans ses variations et ses gradations diverses - contact, ami, parent -, l’amitié a été
convertie en agent capable de redéfinir nos différents liens, de donner lieu à de
nouveaux mécanismes sociaux. En retour, son incroyable inflation a métamorphosé
sa nature. La conversion n’est pas facile à saisir, dans la mesure où elle porte sur une
réalité par essence changeante, touchant à la personne et à ses représentations.
Conçue comme une relation égalitaire, réciproque et librement choisie, l’amitié reste
néanmoins difficilement quantifiable. Faiblement institutionnalisée, elle échappe
aussi au contrôle ou à la loi. Enfin, bien que tributaire d’expressions matérielles
privilégiées, comme le discours, elle ne se limite pas à un support exclusif. Par
conséquent, un ami numérique est lui aussi à géométries variables. Il s’apparente à
de nombreux possibles qui peuvent parfois signaler la béance des relations sociales
en ligne : il est tour à tour un faire-valoir, une projection de soi, quelqu’un qu’on
aimerait rencontrer mais qu’on ne connaîtra jamais, un nom qu’on ajoute à sa
collection d’amis, un prétexte pour entrer en relation avec d’autres, un ersatz, un
leurre… mais aussi un sujet avec qui partager.
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Les amis numériques sont en effet des interlocuteurs grâce auxquels nous nous
constituons en tant que personne, en tant que sujet parlant ou écrivant. Les signes
qu’ils émettent nous donnent à être, nous aident à rechercher au fond de nous-
mêmes ce que nous aimerions reconnaître comme notre subjectivité.
Les amitiés numériques expriment à quel point notre conscience est elle-même
rizhomique, constituée en réseaux. L'incroyable succès de Facebook ne peut être
attribué au seul génie de Mark Zuckerberg, il résulte de la résonance d’une
technologie communicationnelle avec la forme et le fonctionnement de notre espace
mental : les réseaux numériques traduisent notre propre réseau neurologique
et cognitif, propice à la bifurcation, à la sérendipité. Nietzsche insistait déjà dans
le Gai Savoir sur cette caractéristique de la conscience : elle « n'est en somme qu'un
réseau de liens entre les hommes et elle n'aurait pu prendre un autre développement.
A vivre isolé telle une bête féroce, l'homme aurait pu fort bien s'en passer. » Si la
conscience n’est que réseaux de communications, une pensée originale de la
subjectivité s’impose, faisant valoir le rôle décisif de la multiplicité. Les formes
privilégiées des échanges numériques en témoignent : sites de rencontres, forums de
discussion ou de tchats, blogs, jeux en réseaux, autant de communautés mouvantes
qui se mettent à interagir de façon spontanée. La réalité numérique, multiple,
hétérogène nous prédispose à une extrême familiarité avec les réseaux sociaux. Ceux-
ci prolongent à leur tour le projet fondateur du numérique : ouvrir à la pluralité et
englober la diversité.
4) Décider de ses amitiés ?
a) Démultiplier ses amitiés : les amis de mes amis sont mes amis
Quel est le juste nombre d’amis ? Question éthique récurrente à laquelle la tradition
philosophique répond le plus souvent par un chiffre n’excédant pas celui des doigts
de la main. L’amitié est certes plus étendue, plus multiforme que l’amour mais elle ne
se conçoit pas sans un épithète qui en précise la nature, la qualité et l’extension :
amitié intellectuelle, utile, sincère, plaisante, exclusive… Si l’amitié vertueuse, rare et
exceptionnelle, rassemble toutes ces qualités, elle ne peut lier qu’un petit nombre
d’individus. Dans le monde d’Internet de telles limites ne sont pas acceptables. Tout
le système est indissolublement lié à l’universalisme et conçu pour élargir
indéfiniment la relation d’amitié à toutes formes de réseaux. L’idée que beaucoup de
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gens pensent ponctuellement à moi a supplanté l’idée qu’une personne pense
électivement à moi. La sociabilité change d’échelle, de configuration. Les espaces de
socialisation numériques favorisent la diversité sociale, l’ouverture aux autres. Leur
ambition initiale n’était-elle pas en effet de bâtir un web pour tous, d’enrayer le
déclin des sociabilités traditionnelles trop sélectives ?
b) La philophagie est à l’œuvre.
Il nous faut inviter et communiquer à tout va, nos amitiés doivent impérativement
proliférer. La logique du réseau exige que la communauté augmente, et ce
visiblement. La valeur économique et sociale du réseau en dépend. Tout est donc
prévu pour que nos relations numériques soient en croissance continue, gonflées aux
hormones par une mythologie de l’amitié et que chacun puisse en être témoin. Les
astuces techniques fabriquent artificiellement nos liens, à la chaîne. Les réseaux
sociaux engrangent ainsi des profils à grande vitesse.
Les réseaux sociaux reprennent le principe de la Grèce antique selon laquelle l’amitié
est le bien le plus précieux pour les individus comme pour les sociétés. Aristote
insistait sur ce point : sans ami personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres
biens. Cependant les membres de Facebook, en optant pour la multiplicité des liens,
privilégient-ils l’amitié ou la sociabilité de masse ? L’idée même que nous puissions
être l’ami de tous est en effet paradoxale, indépendamment de son impossibilité de
fait. Elle traduit une ambition prométhéenne et surtout un relativisme étonnant.
Cette quête est symptomatique de ce que Nietzsche nomme, dans La Deuxième
Considération intempestive, le grand gosier démocratique, une incapacité maladive et
souterraine à l’élection, à l’engagement singulier.
C) Comment choisit-on en effet ses amis numériques ? Selon des modèles
différents, par extension, par hasard, par communauté d’intérêts ou de points de vue,
en fonction d’un commentaire lu sur un site. La socialisation numérique, le friending,
porte davantage sur la constitution de liens nouveaux qu’elle ne renforce les liens
existants.
Mais si l’amitié est une relation qualitative qui méconnaît tout calcul mesquin,
comment résiste-t-elle à ces assauts numériques ? N’assiste-t-on pas à un cancer de
la relation qui nous fait perdre le sens de l’amitié au profit du nombre d’amis ?
L’amitié deviendrait une relation indéfinie, diffractée et contingente alors même
qu’elle est, en principe, une expérience constitutive et subjective, impossible à
16
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universaliser. L’ami est en effet celui sous le regard duquel nous existons
singulièrement : aussi les gestes de l’amitié doivent-ils trouver des formes
d’expression qui traduisent la singularité du lien. Or la formalisation imposée
actuellement par la plupart des plateformes et des logiciels, empêche l’originalité des
gestes et nous contraint à une modélisation comme à une publicité de l’amitié.
Choisir un ami est toujours un acte à la fois privé et public, cependant l’amitié
numérique adopte une visibilité accrue et cherche à afficher nos liens. Tous les
réseaux sociaux numériques annoncent notre nombre d’amis ou de followers : cette
information correspond à une valorisation du statut social de l’identité. Comment
alors évaluer les incidences du friending sur l’amitié ? Selon Cicéron, l’amitié
véritable ne peut se soumettre au calcul mesquin et comptabiliser les dépenses ou les
recettes. Prodigue, elle « ne redoute jamais de trop en faire » et obéit à une économie
de l’offre qui est celle du don de soi. Un environnement qui ne fait que compter,
évaluer et classer en fonction d’une métrique toujours visible, peut-il favoriser
l’amitié ?
5) La régulation : la détermination par la structure ?
a) un langage surdéterminé ?
Psittacisme de la parole, raccourcis d’une langue mécanique qui ne vise plus que
l’efficacité ? L’espace des réseaux sociaux est ainsi formaté qu’il génère des réactions
pavloviennes et nous dicte certaines paroles d’amitié. Or un trait essentiel de l’amitié
est qu’elle échappe au formalisme et à la publicité. Les amis forment en principe le
cercle des intimes, de ceux à qui l’on peut dire pas de manières entre nous, avec
lesquels on invente même une langue. Les communautés numériques ont certes à
leur manière inventé une langue, chaque site revendiquant sa propre identité. Il
existe une terminologie commune pour exprimer son affection, toutefois celle-ci est
aussi souvent contrainte, formatée que poétique.
b) Peut-on ne pas avoir d’ami ? La survalorisation aliénante du lien et de sa
publicité.
Dans le monde numérique, l’amitié est à la fois consacrée et simplifiée. Elle a été
transformée en agent constitutif de la sociabilité numérique. Elle a été
instrumentalisée afin de construire un monde avec ses principes d’inclusion et
d’exclusion. Comme elle reçoit une pertinence absolue, l’amitié plus que jamais nous
dote de pouvoir. Elle justifie et rend intelligible tous les autres choix et fonctions du
17
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réseau. L’utilisation de la fonction j’aime, par exemple, dépend davantage de nos liens
affectifs avec celui qui a posté une image, un texte que du contenu lui-même. Il n’est
donc pas étonnant que le réseau social électif dans sa tendance naturelle cherche à se
substitue progressivement à l’ensemble du réseau numérique. Facebook adopte des
stratégies pour que ses membres n’utilisent pas d’autres moyens numériques pour
communiquer.
L’idéal amical d’un partage libre et souverain, a cédé la place à des relations qui
malgré les apparences, sont soumises à des contraintes et des contrôles souvent
inaperçus. Le lien n’est plus un rapport entre deux ou plusieurs individus. Elle est
devenue au premier chef une communication de la relation ainsi qu’une invitation à
l’échanger. Désormais, les amis se partagent au même titre que l’amitié : les systèmes
de recommandation des sites formalisent ce glissement. L’inflation du partage
participe de la visibilité des sociabilités numériques. Les réseaux sociaux reposent
fondamentalement sur une utilisation idéologique de l’amitié.
Finalement, l’hérésie des sociabilités numériques ne se situerait-elle pas dans
l’interdiction ou du moins la dépréciation de la solitude ? Par principe, les
réseaux sociaux abhorrent le vide, le silence, l’absence et la solitude. Leur existence
même requiert l’information, l’interactivité et surtout la présence en continu des
internautes. Désormais l’individu voyage, transporte avec lui ses liens, ses relations :
la portabilité de l’amitié définit la sociabilité numérique. Le réseau étant l’habitus, le
nouvel environnement vital dans lequel l’individu évolue, celui-ci ne doit pas être
seul. La possibilité même de la solitude en est écartée. Ainsi, un compte Facebook
sans amis est une aberration au même titre qu’une identité sans relation ou sans
échange. La solitude devient plus que jamais une expérience injustifiable et
inavouable, qui doit être refoulée et devenir invisible. Sur les réseaux sociaux, la
profusion des contacts est un impératif catégorique qui contribue à ce scénario de la
dénégation de la solitude.
La sociabilité numérique ne vise donc plus seulement une amitié volontaire et
égalitaire, elle obéit aux exigences de la plate-forme, à sa téléologie. Nous avons
ainsi parfaitement intégré les contraintes liées aux modèles de la sociabilité de
Facebook ou de LinkedIn : nous acceptons de ne pouvoir y circuler librement, de ne
pouvoir tâtonner et découvrir progressivement des contenus ou des relations
insoupçonnés. La flânerie numérique n’existe pas sur les réseaux sociaux. Il n’est de
18
19
promeneur solitaire qui puisse expérimenter l’errance et le désert. Le choix de
participer à cette communauté d’amis comme un acte irrévocable : nous n’avons pas
le droit de quitter une plate-forme une fois inscrits, nous risquerions d’y créer des
espaces vides, de provoquer la disparition d’archives. La communauté Facebook
fonctionne selon une alternative tranchée : soit nous acceptons inconditionnellement
l’invitation au partage et à la visibilité, selon certaines clauses, soit nous nous
risquons à des mécanismes d’exclusion. La réciprocité de la relation est radicalisée :
ce qui est offert et partagé n’appartient plus simplement à celui qui a initié l’échange
mais à la sphère publique du réseau. L’intérêt de la plate-forme l’emporte toujours
sur le choix individuel. Or la pratique de la multiplicité doit s’accompagner du
souci de l’individualité. Comme le rappelle le Zarathoustra de Nietzsche, il faut
« aller dans notre solitude » pour la pratiquer et quitter la grégarité du troupeau.
Cependant, la pluralité à l’œuvre dans les relations Facebook pose un problème
éthique majeur, elle sacrifie souvent le souci de soi et le dialogue à une forme
généralisée de narcissisme. Nous sommes en réseau mais nous ne nous parlons
souvent qu’entre soi.
L’extension de l’empire Facebook fait donc appel à une logique de puissance
institutionnelle qui impose des normes aux particuliers sous la forme de dispositifs
affectants. Leur portée est individuelle et macrosociale. Notre imagination mise en
branle par l’idéologie du réseau, cristallise des affects qui nous déterminent à désirer
et à agir de telle ou telle façon. Nos comportements s’ajustent au réquisit d’un nouvel
ordre institutionnel Facebook.
III) Alors comment restaurer la philia et accéder à l’existence politique.
Comment nos amitiés numériques peuvent-elles nous aider à retrouver des
liens politiques et défendre la souveraineté populaire ?
1) Facebook et la norme ?
Nous sommes immergés dans des ordres et le numérique en impose un de plus. Mais
ne constitue-t-il qu’un ordre d’aliénation supplémentaire ? Quel ressort avons-nous
vis-à-vis de ces nouvelles modalités d’existence numérique ? Nous est-il possible d’en
faire un instrument social et politique?
19
20
Si l’on suit les analyses spinozistes des comportements humains dans le Traité
Politique, nous sommes sous le coup de déterminations qui sont le plus souvent
extérieures à nous, qui homogénéisent nos comportements. Confrontés à des
dispositifs affectants, nous sommes déterminés à nous comporter de telle ou telle
manière. A ce titre, les réseaux sociaux numériques n’échappent pas à la règle mais
ils sont aussi ambivalents : ils participent d’une culture politique de la domination
comme de l’émancipation, ils agissent sur nos volontés d’acteur et véhiculent des
prescriptions aussi libératrices que restrictives.
Mais s’ils sont à la fois subis et émancipateurs comment évaluer leurs potentialités
sociales politiques ? Une fois reconnue leur double nature, pharmacologique selon
l’expression de Platon dans le Phèdre, à la fois remède et poison, comment faire en
sorte qu’ils deviennent surtout ou aussi libérateurs ?
2) Les réseaux numériques peuvent promouvoir de nouvelles façons d’être
ensemble, ils sont une émanation technologique de nos psychés.
La pratique des réseaux numériques manifeste que nous avons plus que jamais
différentes façons de nous rapporter à autrui et les unes ne sont pas plus vraies que
les autres. Nos amitiés numériques ne sont pas nécessairement plus fausses ou
illusoires que celles que nous avions l’habitude de forger avant l’ère numérique. Nous
avons affaire à des amitiés augmentées en ce sens que les réseaux numériques
reconnaissent comme amitiés des sociabilités diverses et multiples qui dépassent le
cadre des amitiés exclusives, sélectives, idéalisées visant une perfection morale.
Or la multiplicité des contacts peut garantir une identité plus ouverte, qui certes se
décline selon le critère de la quantité, mais peut restaurer aussi une confiance
vacillante en l’altérité. Sur les réseaux sociaux, il est avant tout question de bâtir des
espaces multiples de sociabilité. C’est pourquoi ces réseaux permettent des usages
modulables souvent façonnés par des spécificités locales, de nature culturelle. Cf.
Cyworld en Corée, l’intégration du Yon.
Les internautes (jeunes et moins jeunes) trouvent à travers la pratique des réseaux
en ligne, l’occasion de restaurer des relations de parité, de reconstituer une philia qui
leur faisait défaut. Une certaine partie de la population numérique ne veut plus se
contenter de consommer passivement. Elle veut agir, s’inscrire dans un espace public
grâce à des relations de parité et socialiser. Elle développe ainsi grâce aux réseaux sa
20
21
capacité d’empathie, expérimente de nouvelles façons de se médiatiser ou de
s’intégrer et fait l’apprentissage de la prise de parole.
3) La revalorisation politique de l’amitié : de l’amitié naît la communauté
politique.
Aristote insistait déjà sur ce point dans Les Politiques : les hommes vivent en troupes
comme les abeilles, cependant ils sont les seuls à pouvoir vivre comme des êtres
politiques car ils sont doués d’une faculté de communication rationnelle et réflexive,
le logos, et sont capables d’amitié. La cité doit favoriser cette vertu politique pour
assurer le bien-être de la communauté. La cité n’est pas une simple agrégation
d’individus réunis pour éviter le pire, ou pour subvenir à des besoins imposés par
leur nature biologique. Elle ne repose pas non plus sur le seul partage d’un territoire
ou de biens matériels nécessaires. La cité est un environnement où doit pouvoir se
réaliser l’excellence d’une vie humaine. Or l’exercice commun de l’amitié et du
partage permet aux hommes de réaliser cette perfection. Par conséquent, renforcer
aujourd’hui le sentiment d’appartenance politique ne supposerait-il pas que l’on
prenne appui sur les réseaux numériques qui redécouvrent et exploitent la figure de
l’amitié ? Dans quelle mesure suscitent-ils à leur tour la concertation entre égaux ?
L’amitié étant une sympathie qui favorise la concorde entre les hommes, elle doit être
recherchée par les législateurs tout autant que la justice. La philia s’apparente, comme
nous le rappelle Bacon à une médecine naturelle qui garantit la conservation et la
protection de ceux qu’elle fédère. Dans sa déclinaison publique et délibérative, elle
affermit le lien politique en instaurant un régime de circulation des idées qui trouvent
dans leur multitude et leur accessibilité, la force de s’opposer aux tendances dangereuses.
L’amitié est un commerce qui sait diminuer les risques de conflit et de violence en
favorisant l’extériorisation, l’articulation, la prise en charge collective de certaines
pathologies sociales. Or n’est-ce pas cette fonction thérapeutique et réparatrice de
l’amitié que peuvent par exemple assurer les réseaux sociaux ?
4) L’horizon normatif de la démocratie web 2.0
Les réseaux sociaux numériques peuvent apporter une réponse aux menaces de
dissension repérables dans toute démocratie : la rivalité entre égaux et la
conflictualité avec l’autorité souveraine. La termitière numérique peut aussi nous
21
22
hisser au rang du politique, et ce faisant, nous invite à revisiter les rapports
qu’entretiennent éthique et politique.
a) L’égalité pour tous
La présupposition d’égalité est la première caractéristique des réseaux sociaux
numériques qui sont devenus les lieux privilégiés pour revendiquer et partager la
parole publique, la part des sans part. Reconnaître l’égalité comme idéal implique de
n’évaluer chacun qu’à partir de ce qu’il fait, produit et énonce, et non à partir de ce
qu’il est. Chacun peut se sentir légitimé à se prononcer. La reconnaissance sur les
réseaux numériques d’une plus large variété de compétences ou de qualités,
favorise leur émergence.
b) Favoriser la parole politique en libérant les subjectivités
Elle tient au processus d’élargissement radical de l’espace public que les réseaux sociaux
ont suscité. L’expression publique jusque lors fermement observée, contenue ou entravée
par ceux qui en détenaient le monopole, s’est vue désenclavée par de nouveaux
énonciateurs. Désormais, ce ne sont plus seulement les experts, les journalistes ou les
hommes politiques qui prennent la parole pour faire autorité. Le numérique a fait
émerger des arènes publiques, des expressions alternatives aux formes narratives des
médias dominants.
Ces réseaux sont le lieu d’expressions politiques nouvelles, de formes de paroles
favorisant la dimension participative du Web. Les utilisateurs des plates-formes
numériques ne s’adressent pas à un collectif abstrait, à un ensemble de citoyens
anonymes mais à des groupes de proches ou d’inter-connaissances dont l’extension est
variable.
Les conversations numériques suivent la logique de l’enchevêtrement, prennent la forme
d’essaims : une multitude de propos s’y articulent selon des modalités d’assemblage que
rien ne laisse anticiper.
c) Reconnaître différentes formes de visibilité
L’espace public a donc profondément muté, il n’est plus univoque, cohérent et lisse. Il est
avant tout doté d’une grande plasticité concernant la façon dont les usagers associent
leur identité à leurs propos, aux informations qu’ils veulent transmettre.
Les réseaux numériques ont modifié la forme de la représentation politique en
diversifiant, en redistribuant la parole - la parole ne s’y donne pas, elle s’y prend -, en
convoquant des langages, des espaces ignorés de la politique traditionnelle.
22
23
d) S’organiser par soi-même
La quatrième caractéristique des communautés numériques, que l’on parle de société
civile, de multitude ou de marché, tient à la forme politique spécifique qu’elles
revendiquent : s’émanciper de l’Etat et de ses contraintes régulatrices, déstabiliser
le paradigme de la représentation démocratique, occuper un terrain politique
beaucoup moins figé, que chacun est en droit de définir. Ces nouvelles communautés
s’appuient sur une volonté d’auto-organisation tenace, sur une reconnaissance aigüe du
collectif. Leurs processus d’engendrement reproduisent encore ceux des groupes
politiques traditionnels, les opérations de filtrage, d’agrégation, de coordination,
l’intériorisation de valeurs communes, la légitimation au sein de l’espace public.
Toutefois, ces différentes opérations ne s’exercent plus a priori mais a posteriori.
Ce sont des engagements plus instables, ponctuels ou limités, aux collectifs
horizontaux et auto-organisés.
e) Renouveler notre conception de la légitimité
Du fait de l’hétérogénéité des participants et de la diversité des critères d’engagement, les
collectifs numériques se caractérisent moins par des valeurs partagées que par des
procédures communes. Ces communautés délèguent rarement à une autorité centrale le
droit de parler au nom du collectif et de le représenter. Elles préfèrent des procédures
décisionnelles telles que le consensus ou le compromis à une volonté générale
dont on peut définir positivement les valeurs substantielles.
f) Exercer notre responsabilité
Nous sommes souvent sommés de cliquer et de choisir sans pour autant bénéficier des
garanties indispensables à un acte réfléchi. Il nous incombe de ne pas river notre
attention au sommet de la hiérarchie pour choisir.
Le numérique doit enrichir l’espace public de plates-formes intermédiaires où
l’expression et le partage de contenus qui jusqu’à lors circulaient très difficilement, sont
autorisés. Une fois reconnue que la normativité du numérique se construit en marche et
n’est jamais posée comme un préalable à l’action, comment évaluer l’efficacité politique
en ligne ?
5) Comment permettent-ils d’envisager de nouvelles formes pour l’action
politique ? Quelle est la force politique des réseaux numériques ? Il s’agit d’utiliser
les identités polyphoniques numériques qui peuvent susciter des comportements
23
24
contestataires (mise à distance)
Les réseaux numériques se posent comme une forme originale de contradiction, un « je
parle donc nous sommes », ils inaugurent un paradigme politique. Mais reconnaître les
potentialités qu’ils offrent, ne doit pas nous conduire à en faire les ressources exclusives
de l’action contestataire : celle-ci ne saurait exister sans l’appui d’engagements politiques
préalables.
L’expérience originaire hacker ?
Les Hackers nous invitent à reconnaître d’autres stratégies d’opposition car il n’est plus
possible d’adopter une position extérieure au système, de le combattre à distance sans le
pénétrer.
Rompre avec les mythologies révolutionnaires et valoriser le faire pression
Nous ne pouvons plus investir le fantasme du Grand Soir révolutionnaire, l’engagement
est à penser sous une forme inédite et démystifiée. Il nous faut libérer notre potentiel
d’action, instaurer des rapports de force tout en restaurant la philia. Mais l’alternative ne
se joue plus entre la décision héroïque d’affirmer sa liberté et le refus d’en être, nous
sommes d’ores et déjà embarqués. Les différents mouvements de contestation sur
internet ne visent plus une transformation unilatérale du monde, elles ne survalorisent
plus la conquête du pouvoir. Ces formes de coopération imaginent une multitude de
petits gestes qui font pression sur soi comme sur les autres et renouvèlent nos
représentations politiques.
L’intelligence des agrégations spontanées
Que veut dire coopérer sur Internet ? Les réseaux numériques sont des chambres d’échos
où il suffit de peu pour qu’un mouvement s’engage, pour que du régime des relations
locales et personnelles nous accédions à des conversations nationales ou internationales,
aux enjeux collectifs. Ces nouveaux moyens d’action de masse s’appuient au départ sur de
petits collectifs éphémères et modestes qui n’ambitionnent pas de changer les structures
mais les comportements. Il s’agit de faire valoir la force des coopérations faibles.
Déjouer la concentration et le monopole sur la toile :
L’amitié est une recherche en commun de la vérité selon Platon dans le Charmide comme
dans le Lysis : nous nous aimons pas simplement pour nous-mêmes mais parce que nous
poursuivons une émancipation intellectuelle commune. Or les open data, les données
ouvertes, ont promu la transparence, la circulation de l’information et des connaissances.
La libre diffusion est fondamentale si l’on veut des pouvoirs publics réellement
24
25
responsables devant leurs électeurs. La mise en ligne des données publiques participe de
la vigilance citoyenne en déployant des contenus traditionnellement cachés.
Valoriser les Res communis et res nullus
Ces systèmes reconnaissent les droits d’auteurs mais ils laissent également la possibilité
aux internautes de s’approprier, de détourner, de sampler, de réutiliser les éléments de
l’environnement numérique sous des conditions que seuls les gens ont à définir : ce sont
des biens communs, res communis, que nul ne peut économiquement s’approprier. Cette
idée s’inspire de la théorie anglo-saxonne des nouveaux communs, terres à bois ou à
pâturage, qui pouvaient être utilisées de tous ceux qui appartenaient à une communauté
donnée. Avec l’apparition des biens numériques, de nouvelles formes de reconnaissances
juridiques s’imposent : la notion de res nullus s’ajoute à celle de res communis et désigne
un bien qui n’appartient à personne, dont tout le monde peut se saisir. Dans ce cadre,
copier n’est plus affaiblir : une plus grande liberté d’usage des données est légitimée. La
question n’est plus seulement de préserver mais d’enrichir nos informations comme le
succès de Wikipédia en témoigne
Conclusion :
- Reconnaître l’ambivalence fondamentale du numérique pour éviter la
dystopie.
- La communauté numérique comme le numérique est un écosystème
dynamique dont les règles de fonctionnement changent.
- Une communauté finie ne veut pas dire communauté close.
- Nécessité des temps sans.
- Valoriser les communautés savantes, favoriser le bricolage numérique.
- Lutter contre les algorithmes de la recommandation qui déplacent
- Comment privilégier le partage à l’ère de l’open source ?
L’invention du logiciel libre, initié en 1985 par l’informaticien Richard Stallman avec
la création de la Free Software Fondation. Il s’agit alors de proposer au
programmateur du monde entier de placer le fruit de leur travail sous licence libre,
en dehors de la logique du brevet, en marge du circuit industriel ou commercial.
- Générosité, partage, échange sont les valeurs fondatrices de cette proposition
révolutionnaire. L’amitié serait révolutionnaire.
25
26
« Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité
propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes
individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la
présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste “inhumain” en un sens très
littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est
pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que
la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. »
Hannah ARENDT, Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974, pp. 34-35.
26

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Anne Dalsuet "Y a-t-il une philia numérique ?" (notes 16 déc. 2013)

  • 1. 1 Intervention du 16 décembre 2013. Séminaire EHESS d'Antonio A. Casilli « Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques » Que sont nos amitiés numériques ? Y a-t-il une philia numérique ? Anne Dalsuet Introduction : Pourquoi réfléchir sur cette question de l’amitié numérique ? a) On a parlé d’une crise de l’amitié Nous serions face à un paradoxe au moment même où l’on parle de crise des sociabilités on assiste à l’apparition dans les années 2000 d’une cohorte de réseaux sociaux numériques : LinkedIn, Myspace, hi5, Friendster, Orkut au Brésil, Mixi au Japon ont préparé ou accompagnent l’exploit de Facebook. Ces réseaux numériques revendiquent en général des liens sociaux modelés sur l’amitié. Pour quelle raison ? Entendent-ils remédier à l’affaissement des liens sociaux, parviennent-ils à le faire ou bien ne sont-ils que symptomatiques d’une sociabilité en crise ? Nous, postmodernes, serions en rupture avec la philia, ce lien amical qui selon Aristote dans L’Ethique à Nicomaque (VIII) unit les humains semblables et égaux, et constitue un modèle tant éthique que politique. L’amitié, aux yeux d’Aristote, est un lien affectif qui surpasse la simple et froide justice, une surabondance qui augmente la joie de se sentir vivant. Elle accroît la connaissance de soi et nous conduit à partager des actions et des pensées. C’est pourquoi tissant des liens profonds et divers qui sont au fondement des communautés humaines, elle participe de l’expérience politique. La décomposition de l’amitié renverrait plus largement à une crise institutionnelle profonde du politique. L’amitié (comme valeur et comme pratique effective) nous offre donc une piste précieuse pour appréhender les bouleversements de la culture numérique : ce qu’elle modifie ou ce qu’elle inaugure tant dans nos pratiques que dans nos représentations concernant nos liens intersubjectifs et politiques. L’un des enjeux étant de comprendre et de tenter d’évaluer les risques, les bienfaits ou les dangers du numérique. 1
  • 2. 2 b) Peut-on constituer une ontologie de l’amitié comme s’il s’agissait là d’une essence ? Mais un préalable s’impose, qu’est-ce que l’amitié ? Et de quelle amitié parlons-nous au juste lorsque nous voulons identifier l’amitié numérique? Peut-on s’appuyer sur une définition fixe et générique qui abolirait les traits caractéristiques culturels, éthiques, historiques pour faire surgir une forme générale intemporelle de l’amitié ? Proposer une définition fixe, générique de l’amitié n’est peut être pas opératoire si l’amitié renvoie à une multiplicité. Déjà au IV a.v J.C, dans l’Ethique à Nicomaque, le terme philia recouvre un ensemble de relations ayant des objets différents. On aime ainsi ce qui est utile, agréable ou bon. L’importance de cette tripartition revendiquée par Aristote tient moins à son exhaustivité qu’à sa pertinence. Elle permet de constituer un critère pertinent de distinction et de différenciation de la philia. L’utilité, le plaisir et le bien s’avèrent alors des critères suffisants pour comprendre les différentes formes d’amitié. Mais quelle que soit sa forme l’amitié est toujours un lien de réciprocité dont l’objet est la bienveillance, c’est-à-dire le désir du bien de l’autre pour lui-même et la conscience de cette bienveillance réciproque selon l’utile, l’agréable ou le bien. Toutefois, avec les réseaux sociaux numériques qu’est-il advenu de ce principe éthique ? Est-ce toujours la bienveillance qui préside à nos liens ? N’a-t-on pas affaire à une instrumentalisation culturelle et économique de l’amitié qui garantit d’abord aux réseaux sociaux numériques leur extension, leur accroissement ? Les réseaux sociaux adoptent à des fins promotionnelles ou marchandes nos belles représentations de l’amitié. L’environnement numérique exploite les caractéristiques et les spécificités telles qu’elles ont été inscrites et codifiées par le discours philosophiques classiques. Toutefois, que sont devenues nos amitiés avec l’avènement du numérique ? Ont-elles pour autant disparu ? Quels sont le sens, la valeur et la force de nos affections numériques ? c) Quelle philosophie élaborer pour concevoir et prendre en charge ce problème ? 2
  • 3. 3 Une hybridation des pensées s’impose (même si on reconnaît certaines incompatibilités) si l’on veut formuler un certain nombre de difficultés théoriques qui sont au cœur du numérique telles que la détermination des comportements individuels et collectifs par le numérique. Il s’agit d’un travail d’entremise qui organise des rencontres entre différentes philosophies, entre différentes disciplines critiques, telles que philosophie et sociologie par exemple. Tenir compte des pratiques et de leurs représentations collectives conduit à une réélaboration originale de certains concepts philosophiques sur le plan même des pratiques numériques. d) Les enjeux sont multiples mais articulés : D’ordre philosophique On ne peut pas se contenter du discours philosophique technophobe encore dominant qui alimente les dystopies à propos du numérique comme du politique. Il s’agit a contrario de proposer une méthode philosophique qui assume un certain scepticisme, qui soupçonne tant nos représentations courantes que nos idéologies philosophiques à propos des affections sociales. Il s’agit de sortir d’un espace de pensée dogmatique qui néglige les possibles comme les innovations, qui nous interdit de chercher des instruments d’analyse suffisamment nuancés pour mesurer si nous avons affaire ou non à une crise de l’amitié. L’enjeu est aussi d’ordre politique et social car l’amitié, loin d’être un simple lien intersubjectif propre à la sphère de l’individu, désigne également nos relations politiques lorsqu’elles sont authentiques et viables. Comme nous invite à le penser La Boétie dans le Discours de la servitude volontaire, l’amitié est un fondement nécessaire du lien social, ce qui nous conduit à une autre définition du politique : envisager des nœuds sociaux, des dépendances qui n’engendrent pas la servitude. Réfléchir sur cette vertu politique nous invite par conséquent à prendre acte de la crise actuelle des institutions sociales et politiques, qui par nature sont toujours temporelles et périssables, comme Spinoza le rappelle dans sonTraité politique. La révolution numérique est en effet une révolution épistémologique, culturelle et politique toujours en cours et en devenir dans laquelle nous sommes d’ores et déjà embarqués. Comment nous permet-elle d’envisager ou d’élaborer un nouvel humanisme ? Un humanisme numérique qui nous inviterait à expérimenter 3
  • 4. 4 d’autres formes de relations aux autres, aux savoirs, à l’engagement, de ne pas renoncer à notre émancipation ? Le plan : I) Q u’est-ce qu’une amitié appareillée ? I) Leur phénoménologie : Qu’est-ce qu’une amitié appareillée ? L’ami émerge de l’écran et de nos interfaces provoquant au départ un vertige, à qui avons-nous affaire ? De quelle forme d’apparition ou de présence peut-il s’agir ? 1) Comment rencontre-t-on l’autre ou l’ami sur les réseaux sociaux ? Avant : Soulignons de prime abord par comparaison ce qu’était avant l’ère numérique une rencontre et la description que l’on en faisait : un exemple possible est la rencontre de Bouvard et Pécuchet dans le texte de Flaubert : ce sont des corps, des visages qui sont mis en présence, des manières d’êtres, des manies même (boulevard Bourdon, 33°, l’été dans un Paris désert… l) qui font de la rencontre une reconnaissance. L’amitié dispose de ses rituels. Le contexte de la rencontre participe de la singularité du lien de sa mémorisation. Après : En effet ce qui faisait l’étoffe et la singularité de la rencontre s’est modifié. Les modalités de la rencontre se sont renouvelées. A commencer par le lieu. « On s’est rencontré sur Facebook », « il m’a invité sur LinkedIn », qu’est-ce que cela veut dire ? A quoi cela fait-il référence ? 2) À quelle topologie sommes-nous renvoyés ? Peut-on encore parler de lieu ? a) L’espace numérique : inaugurale ou régulière la rencontre numérique est devenue une performance qui se joue dans l’espace numérique, par écrans interposés de taille et de dimensions variables, grâce aux différentes interfaces (dispositifs numériques qui permettent des échanges entre acteurs - interface humain/machine, interface de programmation entre différents logiciels, interface électronique entre différents éléments électroniques, interface linguistique) Nous braquons notre regard sur un mur bidimensionnel et sommes absorbés par un espace sans profondeur physique. Doit-on alors parler de lieu ou de non lieu numérique ? 4
  • 5. 5 Nous démultiplions notre présence au gré de l’extension du réseau. Nous n’avons plus nécessairement à partager le même lieu, un lieu unique pour nous rencontrer. Qu’advient-il avec l’hétérotopie de la rencontre numérique ? Ne met-elle pas en péril le lien d’amitié ? b) L’immersion et la tentation de l’hyperlien Pour les Grecs, l’amitié requiert la proximité physique et ne se vit pas à distance. Elle nécessite l’expérience commune du quotidien, le partage d’un même territoire. Or la distance n’est-ce pas précisément ce que la technologie numérique a neutralisé en apparentant le lointain au proche ? Des métaphores spatiales caractérisent la culture numérique, la toile où l’on navigue, le site que l’on visite, et traduisent un glissement profond quant à notre représentation de la distance. La quête de la proximité a défini la vocation majeure du numérique : chaque point du monde doit être relié rapidement aux autres grâce à un réseau qui épouse l’échelle planétaire. Cet horizon requiert une extension, géographique et sociale, optimale des relations et l’atopie des connexions numériques. L’inscription locale n’étant plus déterminante, la distance ne constitue plus un obstacle : en principe, nous pouvons prendre contact de n’importe où, avec n’importe qui et à n’importe quel moment. Le numérique façonne donc de nouveaux usages qui en font un espace de sociabilité potentiellement toujours accessible. Des images, des vidéos, des messages personnels circulent, s’échangent avec une rapidité et une facilité qui semblent démentir notre éloignement physique. Mais les formes d’immédiateté propre au numérique engagent une accessibilité à l’autre paradoxale. Notre monde s’est à la fois dilaté et rétréci en raison de la visibilité très parcellaire des documents partagés sur le réseau. Quel est désormais le sens du proche et du lointain de nos relations numériques ? La sociabilité à distance n’est pas substituable à la sociabilité en face à face. Elle signe la fin d’un monde de la séparation tranchée, dont il faut interroger le sens et la valeur. Nous existons désormais sous le régime de la coprésence, de l’entremêlement de pratiques à la fois anciennes et numériques. Nous existons selon différents régimes de présence. 5
  • 6. 6 Nous sommes notamment dans l’hyperlien comme dotés du pouvoir chamanique de convoquer les êtres que nous désignons, de parcourir d’autres mondes sans quitter notre chaise, de parler à distance de choses intimes sans parfois nous connaître. Le « déloignement du monde » repéré par Heidegger dans Etre et Temps a rencontré l’abolition progressive du lointain au profit de l’ici. Tout peut nous être « livré à domicile » via l’appareillage numérique, métonymie d’un chez soi qui risque fort de se réduire à une unique fonction centripète. Or la volonté impérieuse de surmonter l’éloignement ontologique des hommes et des choses, maquille un éloignement primitif à nous-mêmes pour Heidegger. Vivre en immersion numérique risque de nous empêcher de voir le monde et l’autre autrement que sous le régime de la proximité et de la disponibilité, en fonction de l’usage qui peut en être fait et non plus pour eux-mêmes. Un nouvel ethos s’impose : s’éloigner de ce qui est proche, se rapprocher de ce qui est lointain, inverser la relation habituelle de l’homme avec son milieu naturel, avec l’autre. L’ubiquité numérique recompose notre rapport à l’altérité. Une géographie de la relation a pris le relais de l’ontologie de sorte que tout ce qui peut être désiré se trouve à proximité. Nous nous embarquons sur les réseaux où nous ne tenons pas en place, où nous épousons la mouvance du divertissement. Captifs du désir inextinguible d’être partout, d’accéder à toute chose, nous risquons de nous maintenir dans une forme de cécité et d’insatisfaction métaphysiques. b) Les machines numériques en réseau innervent l’ensemble de nos territoires de vie. Nous consacrons l’avènement d’une électronique ambiante, permanente et ubiquitaire, qui dit-on se substituerait au monde « réel ». Or cet espace d’informations, de mobilité n’est ni hallucinatoire ni déconnecté du réel, disons plutôt qu’il « encercle le monde ». Il aménage nos expériences sur des plans distincts, l’un matériel et physique, l’autre numérique et cognitif, qui ne sont pas pour autant étanches ou rivaux : ils peuvent s’additionner et coopérer. « Smartphone » en main, leur rupture devient caduque. La miniaturisation des tablettes numériques, des téléphones mobiles, des écrans fait du numérique un espace nomade, accessible in situ. 6
  • 7. 7 Nous voyageons d’un point à l’autre de l’espace physique et nos rencontres amicales numériques ont désormais aussi lieu par superposition numérique, à l’interface des réseaux. Mais le désir de localisation importe encore lorsque nous communiquons par voix numérique. Nous précisons notre inscription géographique, « à proximité de Belleville », ou technologique, « photographié avec « instagram », pour afficher un statut, une information, une image sur notre page Facebook. Les données circulent d’une borne wifi à l’autre, pénètrent notre réalité et saturent l’espace concret des villes, composant un milieu humain techno- géographique. Nous habitons différents lieux impliquant des modalités perceptives différentes. Dès lors : La rencontre amicale numérique suppose que l’on interroge ce qu’est devenue la perception d’autrui à présent que nous pouvons partager des idées, des images, des sentiments, ce qui est intime, sans nécessairement partager le même lieu physique ? 3) Comment perçoit-on l’autre ou l’ami ? Notre perception a radicalement changé : l’autre, l’ami ne nous apparaît plus de la même façon. L’expérience singulière et charnelle de la rencontre a muté en une expérience technologique multimédia qui complexifie notre apprentissage de l’autre. Les tablettes numériques et le réseau internet sont des dispositifs techniques qui font apparaître l’autre sous une modalité particulière inaugurale. Dans le monde prénumérique, nous ne percevions jamais les êtres que sous un certain angle et un seul à la fois. La présence perceptive de l’autre se payait toujours d’une absence. Nous pouvions en droit toujours faire varier et affiner notre perception, « faire tourner » cet autre en nous mettant en mouvement, en nous réorientant, en nous approchant ou en nous éloignons. La recherche de la juste distance, la variation successive du point de vue favorisaient la constitution d’un continuum sensoriel : La coexistence empirique des consciences, leur enracinement dans une existence sensible commune encourageaient la rencontre et la naissance de l’amitié. Désormais nous voilà mis en contact par écrans et interfaces interposés, dans un autre environnement perceptif. Désormais nous apprenons à nous connaître sans nous voir ou nous parler. 4) Corps et image : 7
  • 8. 8 a) s’affranchir de la gravité corporelle ? Assis face à l’écran, nous aurions fait disparaître le corps de nos relations amicales pour bénéficier d’une image, d’une présence dématérialisée, dit-on. Nous pourrions nous rendre présents aux autres sans subir notre corps effectif. Le corps charnel a faim, grossit, vieillit, tombe malade, ses fonctions naturelles l’encombrent. Mais dans la dimension numérique il n’a plus à dévoiler son existence physique avec ses fragilités et ses déficiences, il se déleste de ses expressions sensibles habituelles. S’affranchir de la gravité corporelle permet à certains de se glisser dans un protocole relationnel simplifié, dédramatisé, plus ludique, plus maîtrisable, quitte à ce qu’une dualité artificielle s’impose entre le corps et ses images démultipliées, contrôlées. Nous ajoutons à nos médiations symboliques traditionnelles, des intermédiaires techniques dont la dématérialisation progressive accompagne celle de nos corps numériques. Les nouvelles technologies numériques provoquent d’autres modalités et d’autres exigences relationnelles. Ces dispositifs font fonction de filtre entre les uns et les autres, permettant aux plus intimidés de communiquer avec n’importe qui, de se dévoiler peu à peu avant une éventuelle rencontre effective, de mettre fin en un clic à une conversation. Nous voulons décider de notre visibilité, contrôler notre image en limant nos imperfections, en exhaussant nos qualités ou même en dissimulant notre apparence physique. b) Comment se manifeste notre présence numérique ? Quand nous communiquons sur un site nous sommes là en ligne pourvus d’une présence en puissance ininterrompue et indépendante de l’inscription réelle de notre corps. Si être quelque part ne veut plus dire la même chose, être ensemble non plus : tant que nous sommes connectés nous sommes présents, potentiellement toujours là mais potentiellement toujours invisibles, inaudibles, intouchables ? Nous mettons en scène notre propre spectralité : nous ne cessons de témoigner de notre présence par des textes, des images, des alertes graphiques, et pourtant nul ne pourrait garantir l’existence ou l’identité de celui qui est à la source de cette émission. Nous démultiplions nos apparitions en démultipliant nos images : nous pouvons ainsi accéder à la simultanéité de diverses captations dans un split screen. Or cette présence numérique n’étant plus que textuelle ou imagée, privée de la visibilité d’une inscription physique ou d’une incarnation, peut-elle véritablement nous représenter ? Si la relation entre les hommes ne suppose plus un corps à corps, 8
  • 9. 9 un face à face effectif qu’est-ce qui détermine l’émotion de la rencontre ou le plaisir de se fréquenter ? Qu’est-ce qui nous assure de l’authenticité de notre amitié ? Comment se sentir ensemble si l’on ne reconnaît pas en l’autre une commune humanité sensorielle ? Les choses permettent le mélange, la combinaison, éventuellement l’attachement mais ne peuvent fonder une relation affective réciproque : l’amitié est par essence intersubjective et présuppose la reconnaissance mutuelle et solidaire de deux consciences. L’ami est un autre soi-même avec lequel on partage d’abord le fait d’exister, avant même de s’accorder confiance, compréhension, bienveillance et hospitalité. c) Qu’est-ce qu’un corps d’homoelectronicus ? Bénéficier d’un corps hybride Notre corps n’a pas disparu, il s’est transformé pour habiter l’espace insolite du numérique, constitué à la fois de qualités sensibles et d’informations impalpables. Avec les récentes technologies numériques nos sens se sont prolongés à l’extérieur procédant conjointement à une réinsertion du corps au sein de ce nouvel environnement et à une redéfinition de notre sensorialité. Le numérique n’est pas simplement une technique supplémentaire, de compression et de diffusion, il engage une redéfinition générale de l’espace médiatique individuel ou collectif. Comme tout média, il correspond à une manière particulière de privilégier un sens sur un autre, d’appréhender une globalité en fonction d’une certaine perspective. Le numérique n’a pas remplacé les média préexistants selon une logique de substitution, il ne s’est pas non plus additionné à eux par une simple juxtaposition. Il leur a succédé sans dupliquer le connu, en engendrant sur eux des effets rétroactifs, en modifiant profondément les usages que nous faisions de la télévision, du téléphone, de la presse, du livre, de l’écriture… Chaque technologie révolutionnaire provoque un bouleversement sensoriel sur l’ensemble de ses utilisateurs en procédant à la revalorisation d’un sens sur un autre qui parfois en devient obsolète. Au regard lecteur on a préféré la manipulation tactile directe qui seule permet de transmettre un fichier, de modifier une image. Les technologies digitales ont inauguré une nouvelle ère dans nos rapports à l’acoustique, à la vision, à l’image et à la représentation. Désormais toutes nos perceptions sensorielles numériques dépendent d’applications privilégiant le toucher. Or ce sens implique une incorporation du réseau dans le corps de l’individu ainsi qu’une identification de l’outil et du corps humain. L’i phone comme toutes les 9
  • 10. 10 technologies nouvelles générations est beaucoup plus androïde, son utilisation met conjointement en jeu la tactilité de l’objet et la sophistication du toucher humain. Les doigts procèdent par touches souples, subtiles, vives et précises sur l’écran. Les effets sont immédiats, la main et la machine entretiennent une relation épidermique. Le corps a muté. Il n’est plus ce corps qui se saisissait d’outils pour agir sur le monde, reconnaissant dans leur extériorité une véritable altérité ontologique. Il est à présent une télécommande, un joystick intégrant tout le dispositif technologique, un point de transfert et de passage, un site physiologique de la communication numérique. La panne technique, la non-accessibilité aux réseaux ou la perte de l’instrument androïde peut alors être vécue comme une amputation qui met en danger notre intégrité physique et mentale. Ce syndrome ne fait-il que trahir une aliénation sans précédent de l’homme à la technologie ou exprime-t-il l’avènement de leur symbiose ? Le phantasme fort ancien que les machines nous exploitent mérite éclaircissement car il méconnaît notre coévolution : machines et humains vivons ensemble et partageons un même monde dans une forme inattendue de compagnonnage. Les nouvelles technologies numériques, à l’instar du modèle du cyborg, déstabilisent nos dualismes tenaces, humain et machine, maîtrise et absence de maîtrise, sujet et objet, nature et culture, dans un sens utile à notre émancipation. Ces interfaces humain-machine permettent au contraire des échanges inédits rappelant que le corps humain qui nous semble si naturel relève depuis toujours de constructions sociotechniques. Les interfaces, au départ extérieures et localisées, ont progressivement absorbé les objets de notre environnement et déplacé la frontière corps-machine. Le corps est ainsi devenu une interface privilégiée dans la chaîne de communication numérique, il assure la coprésence sur les réseaux sociaux, l’interactivité en espace et en temps réels. Son statut s’est également modifié : sa présence et son identité résultent de l’étendue et de la valeur de ses liens, sa position sociale au sein du réseau s’expose et se partage. La tactilité constitue le vecteur privilégié d’incarnation de la réalité, ce en vertu de quoi nous sommes touchés par l’autre. (bumping) La numérisation de l’échange ne conduit donc pas à l’exclusion du corps mais à sa mutation : il devient le premier lieu de la communication. C’est toujours en mettant en scène son propre corps qu’un internaute se rend présent en ligne, 10
  • 11. 11 interagit avec les autres, garantit ses liaisons numériques. Les portraits, les signatures manuscrites, le recours à ces signes ou ces traces numériques prouve que le corps ne disparaît pas. L’incorporation des technologies numériques et de leurs divers usages offre même au corps une extension sans précédent. Mais ses modalités d’existence changent, nous ne pouvons plus le reconnaître ou le concevoir comme avant. 5) Le déploiement des possibles : nous sommes victimes d’une confusion entre virtuel et irréel. (Rappeler la complexité du concept) Les blogs, les forums de discussion, les réseaux sociaux numériques offrent un effet de réel très puissant. Ce sont des plates-formes tout à fait théâtrales où ce qui s’échange semble crédibiliser le réel et ouvrir d’autres potentialités amicales : des discussions spontanées, hétéroclites, auxquelles nous n’avons pas accès dans la réalité, se tiennent entre plombiers, entre jeunes gens, entre traders, et paraissent plus vraies que nature. On y écrit comme on parle, sous une forme vivante et décomplexée, chacun s’y mettant en scène. Des conversations qui semblent faciliter et renouveler notre approche de l’autre, faciliter les sociabilités. L’usage que nous faisons généralement du terme virtuel doit donc être envisagé avec plus de rigueur : Dans son texte Qu’est-ce que le virtuel ? Pierre Lévy reconsidère les analyses deleuziennes du virtuel à l’aune des nouvelles technologies numériques. Plus que le virtuel, c’est une attitude nouvelle de l’homme face au monde que Lévy repère, il par le de virtualisation. C’est un vaste processus d’« hominisation », lié aux technologies de l'information et de la communication contemporaines qui consiste à déployer ce qui se présente figé dans sa structure à une dynamique multiple et ouverte. Avant le numérique, chacun de nos sens recevait une fonction unique et nous inscrivait dans un temps et un espace particuliers. Avec la virtualisation, nos expériences s’enrichissent : l’interactivité, la mise en réseau des pratiques numériques engagent nos sens différemment, multiplient leur potentialité sensorielle. Nos échanges numériques opèrent ainsi une virtualisation de la communication traditionnelle prolongeant nos potentialités amicales. II) Mais n’a-t-on pas délégué notre capacité à nous lier, à des machines numériques, à l’algorithme ? 1) Compulsion ou addiction ? 11
  • 12. 12 Sur les réseaux sociaux numériques, nous devenons ami ou renonçons à l’être en un click, à la vitesse des connexions haut débit, en activant la fonction adéquate proposée sur la page du site. Le désir d’instantanéité favorisé par les progrès technologiques préside à la constitution du lien : accélération, emballement, contagion, fulgurance déterminent nos relations numériques. Les flux incessants au sein des réseaux sociaux numériques nous livrent au régime impérieux de l’engagement sur le champ. Sollicités par une demande, nous devons répondre de notre présence, identifier publiquement notre désir dans les plus brefs délais. Au cas où notre réponse se ferait trop attendre, un système de relance est prévu. Or l’amitié, comme le rappelle Aristote, réclame du temps pour advenir et s’épanouir. Les amis doivent avoir consommé ensemble « plusieurs boisseaux de sel », partagé des expériences communes, traversé des difficultés. La rencontre ne suffit pas à nous rendre amis, il faut que le temps reconduise et étoffe ce qu’elle a inauguré. La durée scelle l’amitié, confirme la confiance et l’affection vertueuse que chacun se porte. Mais avec le numérique, la lenteur, la répétition des cycles, le déploiement temporel ne sont plus les nécessaires composants de nos amitiés. Une autre chronologie affective s’impose qui décide du tempo et de la nature de nos sociabilités en général. Une nouvelle organisation du désir prescrit insidieusement la compulsion du contact : l’addiction s’est substituée à l’engagement. Combien de fois par jour nous connectons-nous pour vérifier nos messages, indépendamment de leur urgence ou de leur importance ? Sommes-nous désireux de rester connectés ou joignables au point de renoncer à notre autonomie affective, à notre rôle de sujet ? Nos liaisons numériques dépendent plus que jamais de notre visibilité, de notre accessibilité sur le réseau, qualités cardinales que les Anglo-saxons désignent par le néologisme findability. Ainsi, nous ne désirons plus nous soustraire à la vue, à la disponibilité et nous nous fantasmons mutuellement sous le régime de l’objet toujours possiblement accessible. Être, c’est être perçu ou percevoir, écrivait Berkeley dans Les Principes de la connaissance humaine. Allons plus loin : être, c’est être contacté ou contacter. L’amitié numérique requiert une présence presque permanente conçue pour la croissance continue du réseau : les échanges devant proliférer, chacun devient son propre media, un émetteur de messages. 2) La captation numérique, l’écueil de l’omniprésence : L’instrument numérique nous aliène-t-il nécessairement ? 12
  • 13. 13 Les réseaux sociaux numériques adopte souvent la fonction qui indique si vous êtes en ligne. Notre invisibilité de dupe se paie de la possibilité de contrôler ou de surveiller notre présence sur le site. Sur Facebook, un signal vert inscrit en marge indique si vous êtes accessible. Nous nous rencontrons ainsi sous le double régime de l’apparition dissimulée et de la présence inépuisable. Maurice Blanchot soulignait déjà dans son texte L’Amitié, combien la mort de l’ami permet d’approcher la vérité du lien amical. Blanchot renverse effrontément la perspective commune selon laquelle il ne serait plus là auprès de nous : sa disparition, loin de le rendre absent, nous le rend trop présent, nulle distance ne nous séparant plus de lui. Or l’amitié ne peut s’apparenter à une identification fusionnelle, à la volonté de combler l’entredeux. Seules l’altérité et la séparation, entre moi et l’autre, autorisent la reconnaissance d’une éventuelle communauté. L’omniprésence requise par les réseaux sociaux numériques tend à gommer l’intervalle spatio-temporel grâce auquel nous nous mettons authentiquement en rapport. Il devient plus difficile de nous mettre à distance, de disparaître. L’omniprésence visée par les réseaux sociaux numériques nous conduit à surinvestir un présent qui ne se différencie plus du passé ou de l’avenir, un présent permanent, un omniprésent. Derrière les usages, il y a toujours des formes de vie. Dès les années 1970, Michel Foucault a dénoncé sous la catégorie de « biopouvoir » la propagation des dressages, des contrôles politiques ou sociaux au sein même des corps humains. Qu’en est-il avec les réseaux sociaux en ligne ? Les communications, les chats envahissent les plateformes à flux multiples et provoquent une réelle captation de l’attention. Doit- on s’inquiéter de l’emprise psychologique et de la défaillance symbolique que ce régime de distraction généralisée nous inflige ? Les réseaux numériques nous incitent à communiquer à flux tendus, à réaliser continuellement la performance du just in time. Mais quelle potentialité de création peut receler un tel régime de l’attention ? Quel en est l’impact sur la culture et la sociabilité ? L’épuisement de la culture du temps long se confirme et menace certains supports ou moteurs traditionnels des liens sociaux : la relation d’autorité, qui s’exprimait dans notre confiance en la valeur de l’expertise, la temporalité judéo-chrétienne construite sur le temps de l’attente et du mérite. Les liaisons numériques ressortiraient au déficit de rapport à l’effort et favoriseraient un nouveau modèle, celui du laisser faire, 13
  • 14. 14 de l’immédiateté. Mais ne serait-il pas plus juste de dire que nous avons appris à être avec les autres, via les interfaces, différemment, dans une autre expérience du monde ? Nos rencontres numériques privilégient l’horizontalité des liens, les formats courts et sédimentent des formes relationnelles très différentes de celles héritées des Lumières. Elles forment un nouvel espace culturel qui se cherche encore, maladroitement, qui ne peut s’annoncer pour l’instant comme un véritable programme. A-t-on pour autant ouvert la boîte de Pandore ? 3) Les réseaux sociaux menacent-ils ou favorisent-ils l’amitié ? a) Une convertion de l’amitié Comment se constituent les réseaux sociaux ? Sont-ils de réels espaces de sociabilité ou n’en sont-ils qu’une déformation ou un simulacre ? La convivialité qu’ils brandissent comme un étendard ne nous expose-t-elle pas d’abord à des nuisances plus fortes que les services qu’ils rendent ? La culture numérique convertit tout ce qui nous est familier, tous les objets et les propriétés hérités de l’ère pré-numérique, pourquoi pas l’amitié ? Cette dernière constitue précisément la première donnée humaine numérisée à une échelle globale. Dans ses variations et ses gradations diverses - contact, ami, parent -, l’amitié a été convertie en agent capable de redéfinir nos différents liens, de donner lieu à de nouveaux mécanismes sociaux. En retour, son incroyable inflation a métamorphosé sa nature. La conversion n’est pas facile à saisir, dans la mesure où elle porte sur une réalité par essence changeante, touchant à la personne et à ses représentations. Conçue comme une relation égalitaire, réciproque et librement choisie, l’amitié reste néanmoins difficilement quantifiable. Faiblement institutionnalisée, elle échappe aussi au contrôle ou à la loi. Enfin, bien que tributaire d’expressions matérielles privilégiées, comme le discours, elle ne se limite pas à un support exclusif. Par conséquent, un ami numérique est lui aussi à géométries variables. Il s’apparente à de nombreux possibles qui peuvent parfois signaler la béance des relations sociales en ligne : il est tour à tour un faire-valoir, une projection de soi, quelqu’un qu’on aimerait rencontrer mais qu’on ne connaîtra jamais, un nom qu’on ajoute à sa collection d’amis, un prétexte pour entrer en relation avec d’autres, un ersatz, un leurre… mais aussi un sujet avec qui partager. 14
  • 15. 15 Les amis numériques sont en effet des interlocuteurs grâce auxquels nous nous constituons en tant que personne, en tant que sujet parlant ou écrivant. Les signes qu’ils émettent nous donnent à être, nous aident à rechercher au fond de nous- mêmes ce que nous aimerions reconnaître comme notre subjectivité. Les amitiés numériques expriment à quel point notre conscience est elle-même rizhomique, constituée en réseaux. L'incroyable succès de Facebook ne peut être attribué au seul génie de Mark Zuckerberg, il résulte de la résonance d’une technologie communicationnelle avec la forme et le fonctionnement de notre espace mental : les réseaux numériques traduisent notre propre réseau neurologique et cognitif, propice à la bifurcation, à la sérendipité. Nietzsche insistait déjà dans le Gai Savoir sur cette caractéristique de la conscience : elle « n'est en somme qu'un réseau de liens entre les hommes et elle n'aurait pu prendre un autre développement. A vivre isolé telle une bête féroce, l'homme aurait pu fort bien s'en passer. » Si la conscience n’est que réseaux de communications, une pensée originale de la subjectivité s’impose, faisant valoir le rôle décisif de la multiplicité. Les formes privilégiées des échanges numériques en témoignent : sites de rencontres, forums de discussion ou de tchats, blogs, jeux en réseaux, autant de communautés mouvantes qui se mettent à interagir de façon spontanée. La réalité numérique, multiple, hétérogène nous prédispose à une extrême familiarité avec les réseaux sociaux. Ceux- ci prolongent à leur tour le projet fondateur du numérique : ouvrir à la pluralité et englober la diversité. 4) Décider de ses amitiés ? a) Démultiplier ses amitiés : les amis de mes amis sont mes amis Quel est le juste nombre d’amis ? Question éthique récurrente à laquelle la tradition philosophique répond le plus souvent par un chiffre n’excédant pas celui des doigts de la main. L’amitié est certes plus étendue, plus multiforme que l’amour mais elle ne se conçoit pas sans un épithète qui en précise la nature, la qualité et l’extension : amitié intellectuelle, utile, sincère, plaisante, exclusive… Si l’amitié vertueuse, rare et exceptionnelle, rassemble toutes ces qualités, elle ne peut lier qu’un petit nombre d’individus. Dans le monde d’Internet de telles limites ne sont pas acceptables. Tout le système est indissolublement lié à l’universalisme et conçu pour élargir indéfiniment la relation d’amitié à toutes formes de réseaux. L’idée que beaucoup de 15
  • 16. 16 gens pensent ponctuellement à moi a supplanté l’idée qu’une personne pense électivement à moi. La sociabilité change d’échelle, de configuration. Les espaces de socialisation numériques favorisent la diversité sociale, l’ouverture aux autres. Leur ambition initiale n’était-elle pas en effet de bâtir un web pour tous, d’enrayer le déclin des sociabilités traditionnelles trop sélectives ? b) La philophagie est à l’œuvre. Il nous faut inviter et communiquer à tout va, nos amitiés doivent impérativement proliférer. La logique du réseau exige que la communauté augmente, et ce visiblement. La valeur économique et sociale du réseau en dépend. Tout est donc prévu pour que nos relations numériques soient en croissance continue, gonflées aux hormones par une mythologie de l’amitié et que chacun puisse en être témoin. Les astuces techniques fabriquent artificiellement nos liens, à la chaîne. Les réseaux sociaux engrangent ainsi des profils à grande vitesse. Les réseaux sociaux reprennent le principe de la Grèce antique selon laquelle l’amitié est le bien le plus précieux pour les individus comme pour les sociétés. Aristote insistait sur ce point : sans ami personne ne choisirait de vivre, eût-il tous les autres biens. Cependant les membres de Facebook, en optant pour la multiplicité des liens, privilégient-ils l’amitié ou la sociabilité de masse ? L’idée même que nous puissions être l’ami de tous est en effet paradoxale, indépendamment de son impossibilité de fait. Elle traduit une ambition prométhéenne et surtout un relativisme étonnant. Cette quête est symptomatique de ce que Nietzsche nomme, dans La Deuxième Considération intempestive, le grand gosier démocratique, une incapacité maladive et souterraine à l’élection, à l’engagement singulier. C) Comment choisit-on en effet ses amis numériques ? Selon des modèles différents, par extension, par hasard, par communauté d’intérêts ou de points de vue, en fonction d’un commentaire lu sur un site. La socialisation numérique, le friending, porte davantage sur la constitution de liens nouveaux qu’elle ne renforce les liens existants. Mais si l’amitié est une relation qualitative qui méconnaît tout calcul mesquin, comment résiste-t-elle à ces assauts numériques ? N’assiste-t-on pas à un cancer de la relation qui nous fait perdre le sens de l’amitié au profit du nombre d’amis ? L’amitié deviendrait une relation indéfinie, diffractée et contingente alors même qu’elle est, en principe, une expérience constitutive et subjective, impossible à 16
  • 17. 17 universaliser. L’ami est en effet celui sous le regard duquel nous existons singulièrement : aussi les gestes de l’amitié doivent-ils trouver des formes d’expression qui traduisent la singularité du lien. Or la formalisation imposée actuellement par la plupart des plateformes et des logiciels, empêche l’originalité des gestes et nous contraint à une modélisation comme à une publicité de l’amitié. Choisir un ami est toujours un acte à la fois privé et public, cependant l’amitié numérique adopte une visibilité accrue et cherche à afficher nos liens. Tous les réseaux sociaux numériques annoncent notre nombre d’amis ou de followers : cette information correspond à une valorisation du statut social de l’identité. Comment alors évaluer les incidences du friending sur l’amitié ? Selon Cicéron, l’amitié véritable ne peut se soumettre au calcul mesquin et comptabiliser les dépenses ou les recettes. Prodigue, elle « ne redoute jamais de trop en faire » et obéit à une économie de l’offre qui est celle du don de soi. Un environnement qui ne fait que compter, évaluer et classer en fonction d’une métrique toujours visible, peut-il favoriser l’amitié ? 5) La régulation : la détermination par la structure ? a) un langage surdéterminé ? Psittacisme de la parole, raccourcis d’une langue mécanique qui ne vise plus que l’efficacité ? L’espace des réseaux sociaux est ainsi formaté qu’il génère des réactions pavloviennes et nous dicte certaines paroles d’amitié. Or un trait essentiel de l’amitié est qu’elle échappe au formalisme et à la publicité. Les amis forment en principe le cercle des intimes, de ceux à qui l’on peut dire pas de manières entre nous, avec lesquels on invente même une langue. Les communautés numériques ont certes à leur manière inventé une langue, chaque site revendiquant sa propre identité. Il existe une terminologie commune pour exprimer son affection, toutefois celle-ci est aussi souvent contrainte, formatée que poétique. b) Peut-on ne pas avoir d’ami ? La survalorisation aliénante du lien et de sa publicité. Dans le monde numérique, l’amitié est à la fois consacrée et simplifiée. Elle a été transformée en agent constitutif de la sociabilité numérique. Elle a été instrumentalisée afin de construire un monde avec ses principes d’inclusion et d’exclusion. Comme elle reçoit une pertinence absolue, l’amitié plus que jamais nous dote de pouvoir. Elle justifie et rend intelligible tous les autres choix et fonctions du 17
  • 18. 18 réseau. L’utilisation de la fonction j’aime, par exemple, dépend davantage de nos liens affectifs avec celui qui a posté une image, un texte que du contenu lui-même. Il n’est donc pas étonnant que le réseau social électif dans sa tendance naturelle cherche à se substitue progressivement à l’ensemble du réseau numérique. Facebook adopte des stratégies pour que ses membres n’utilisent pas d’autres moyens numériques pour communiquer. L’idéal amical d’un partage libre et souverain, a cédé la place à des relations qui malgré les apparences, sont soumises à des contraintes et des contrôles souvent inaperçus. Le lien n’est plus un rapport entre deux ou plusieurs individus. Elle est devenue au premier chef une communication de la relation ainsi qu’une invitation à l’échanger. Désormais, les amis se partagent au même titre que l’amitié : les systèmes de recommandation des sites formalisent ce glissement. L’inflation du partage participe de la visibilité des sociabilités numériques. Les réseaux sociaux reposent fondamentalement sur une utilisation idéologique de l’amitié. Finalement, l’hérésie des sociabilités numériques ne se situerait-elle pas dans l’interdiction ou du moins la dépréciation de la solitude ? Par principe, les réseaux sociaux abhorrent le vide, le silence, l’absence et la solitude. Leur existence même requiert l’information, l’interactivité et surtout la présence en continu des internautes. Désormais l’individu voyage, transporte avec lui ses liens, ses relations : la portabilité de l’amitié définit la sociabilité numérique. Le réseau étant l’habitus, le nouvel environnement vital dans lequel l’individu évolue, celui-ci ne doit pas être seul. La possibilité même de la solitude en est écartée. Ainsi, un compte Facebook sans amis est une aberration au même titre qu’une identité sans relation ou sans échange. La solitude devient plus que jamais une expérience injustifiable et inavouable, qui doit être refoulée et devenir invisible. Sur les réseaux sociaux, la profusion des contacts est un impératif catégorique qui contribue à ce scénario de la dénégation de la solitude. La sociabilité numérique ne vise donc plus seulement une amitié volontaire et égalitaire, elle obéit aux exigences de la plate-forme, à sa téléologie. Nous avons ainsi parfaitement intégré les contraintes liées aux modèles de la sociabilité de Facebook ou de LinkedIn : nous acceptons de ne pouvoir y circuler librement, de ne pouvoir tâtonner et découvrir progressivement des contenus ou des relations insoupçonnés. La flânerie numérique n’existe pas sur les réseaux sociaux. Il n’est de 18
  • 19. 19 promeneur solitaire qui puisse expérimenter l’errance et le désert. Le choix de participer à cette communauté d’amis comme un acte irrévocable : nous n’avons pas le droit de quitter une plate-forme une fois inscrits, nous risquerions d’y créer des espaces vides, de provoquer la disparition d’archives. La communauté Facebook fonctionne selon une alternative tranchée : soit nous acceptons inconditionnellement l’invitation au partage et à la visibilité, selon certaines clauses, soit nous nous risquons à des mécanismes d’exclusion. La réciprocité de la relation est radicalisée : ce qui est offert et partagé n’appartient plus simplement à celui qui a initié l’échange mais à la sphère publique du réseau. L’intérêt de la plate-forme l’emporte toujours sur le choix individuel. Or la pratique de la multiplicité doit s’accompagner du souci de l’individualité. Comme le rappelle le Zarathoustra de Nietzsche, il faut « aller dans notre solitude » pour la pratiquer et quitter la grégarité du troupeau. Cependant, la pluralité à l’œuvre dans les relations Facebook pose un problème éthique majeur, elle sacrifie souvent le souci de soi et le dialogue à une forme généralisée de narcissisme. Nous sommes en réseau mais nous ne nous parlons souvent qu’entre soi. L’extension de l’empire Facebook fait donc appel à une logique de puissance institutionnelle qui impose des normes aux particuliers sous la forme de dispositifs affectants. Leur portée est individuelle et macrosociale. Notre imagination mise en branle par l’idéologie du réseau, cristallise des affects qui nous déterminent à désirer et à agir de telle ou telle façon. Nos comportements s’ajustent au réquisit d’un nouvel ordre institutionnel Facebook. III) Alors comment restaurer la philia et accéder à l’existence politique. Comment nos amitiés numériques peuvent-elles nous aider à retrouver des liens politiques et défendre la souveraineté populaire ? 1) Facebook et la norme ? Nous sommes immergés dans des ordres et le numérique en impose un de plus. Mais ne constitue-t-il qu’un ordre d’aliénation supplémentaire ? Quel ressort avons-nous vis-à-vis de ces nouvelles modalités d’existence numérique ? Nous est-il possible d’en faire un instrument social et politique? 19
  • 20. 20 Si l’on suit les analyses spinozistes des comportements humains dans le Traité Politique, nous sommes sous le coup de déterminations qui sont le plus souvent extérieures à nous, qui homogénéisent nos comportements. Confrontés à des dispositifs affectants, nous sommes déterminés à nous comporter de telle ou telle manière. A ce titre, les réseaux sociaux numériques n’échappent pas à la règle mais ils sont aussi ambivalents : ils participent d’une culture politique de la domination comme de l’émancipation, ils agissent sur nos volontés d’acteur et véhiculent des prescriptions aussi libératrices que restrictives. Mais s’ils sont à la fois subis et émancipateurs comment évaluer leurs potentialités sociales politiques ? Une fois reconnue leur double nature, pharmacologique selon l’expression de Platon dans le Phèdre, à la fois remède et poison, comment faire en sorte qu’ils deviennent surtout ou aussi libérateurs ? 2) Les réseaux numériques peuvent promouvoir de nouvelles façons d’être ensemble, ils sont une émanation technologique de nos psychés. La pratique des réseaux numériques manifeste que nous avons plus que jamais différentes façons de nous rapporter à autrui et les unes ne sont pas plus vraies que les autres. Nos amitiés numériques ne sont pas nécessairement plus fausses ou illusoires que celles que nous avions l’habitude de forger avant l’ère numérique. Nous avons affaire à des amitiés augmentées en ce sens que les réseaux numériques reconnaissent comme amitiés des sociabilités diverses et multiples qui dépassent le cadre des amitiés exclusives, sélectives, idéalisées visant une perfection morale. Or la multiplicité des contacts peut garantir une identité plus ouverte, qui certes se décline selon le critère de la quantité, mais peut restaurer aussi une confiance vacillante en l’altérité. Sur les réseaux sociaux, il est avant tout question de bâtir des espaces multiples de sociabilité. C’est pourquoi ces réseaux permettent des usages modulables souvent façonnés par des spécificités locales, de nature culturelle. Cf. Cyworld en Corée, l’intégration du Yon. Les internautes (jeunes et moins jeunes) trouvent à travers la pratique des réseaux en ligne, l’occasion de restaurer des relations de parité, de reconstituer une philia qui leur faisait défaut. Une certaine partie de la population numérique ne veut plus se contenter de consommer passivement. Elle veut agir, s’inscrire dans un espace public grâce à des relations de parité et socialiser. Elle développe ainsi grâce aux réseaux sa 20
  • 21. 21 capacité d’empathie, expérimente de nouvelles façons de se médiatiser ou de s’intégrer et fait l’apprentissage de la prise de parole. 3) La revalorisation politique de l’amitié : de l’amitié naît la communauté politique. Aristote insistait déjà sur ce point dans Les Politiques : les hommes vivent en troupes comme les abeilles, cependant ils sont les seuls à pouvoir vivre comme des êtres politiques car ils sont doués d’une faculté de communication rationnelle et réflexive, le logos, et sont capables d’amitié. La cité doit favoriser cette vertu politique pour assurer le bien-être de la communauté. La cité n’est pas une simple agrégation d’individus réunis pour éviter le pire, ou pour subvenir à des besoins imposés par leur nature biologique. Elle ne repose pas non plus sur le seul partage d’un territoire ou de biens matériels nécessaires. La cité est un environnement où doit pouvoir se réaliser l’excellence d’une vie humaine. Or l’exercice commun de l’amitié et du partage permet aux hommes de réaliser cette perfection. Par conséquent, renforcer aujourd’hui le sentiment d’appartenance politique ne supposerait-il pas que l’on prenne appui sur les réseaux numériques qui redécouvrent et exploitent la figure de l’amitié ? Dans quelle mesure suscitent-ils à leur tour la concertation entre égaux ? L’amitié étant une sympathie qui favorise la concorde entre les hommes, elle doit être recherchée par les législateurs tout autant que la justice. La philia s’apparente, comme nous le rappelle Bacon à une médecine naturelle qui garantit la conservation et la protection de ceux qu’elle fédère. Dans sa déclinaison publique et délibérative, elle affermit le lien politique en instaurant un régime de circulation des idées qui trouvent dans leur multitude et leur accessibilité, la force de s’opposer aux tendances dangereuses. L’amitié est un commerce qui sait diminuer les risques de conflit et de violence en favorisant l’extériorisation, l’articulation, la prise en charge collective de certaines pathologies sociales. Or n’est-ce pas cette fonction thérapeutique et réparatrice de l’amitié que peuvent par exemple assurer les réseaux sociaux ? 4) L’horizon normatif de la démocratie web 2.0 Les réseaux sociaux numériques peuvent apporter une réponse aux menaces de dissension repérables dans toute démocratie : la rivalité entre égaux et la conflictualité avec l’autorité souveraine. La termitière numérique peut aussi nous 21
  • 22. 22 hisser au rang du politique, et ce faisant, nous invite à revisiter les rapports qu’entretiennent éthique et politique. a) L’égalité pour tous La présupposition d’égalité est la première caractéristique des réseaux sociaux numériques qui sont devenus les lieux privilégiés pour revendiquer et partager la parole publique, la part des sans part. Reconnaître l’égalité comme idéal implique de n’évaluer chacun qu’à partir de ce qu’il fait, produit et énonce, et non à partir de ce qu’il est. Chacun peut se sentir légitimé à se prononcer. La reconnaissance sur les réseaux numériques d’une plus large variété de compétences ou de qualités, favorise leur émergence. b) Favoriser la parole politique en libérant les subjectivités Elle tient au processus d’élargissement radical de l’espace public que les réseaux sociaux ont suscité. L’expression publique jusque lors fermement observée, contenue ou entravée par ceux qui en détenaient le monopole, s’est vue désenclavée par de nouveaux énonciateurs. Désormais, ce ne sont plus seulement les experts, les journalistes ou les hommes politiques qui prennent la parole pour faire autorité. Le numérique a fait émerger des arènes publiques, des expressions alternatives aux formes narratives des médias dominants. Ces réseaux sont le lieu d’expressions politiques nouvelles, de formes de paroles favorisant la dimension participative du Web. Les utilisateurs des plates-formes numériques ne s’adressent pas à un collectif abstrait, à un ensemble de citoyens anonymes mais à des groupes de proches ou d’inter-connaissances dont l’extension est variable. Les conversations numériques suivent la logique de l’enchevêtrement, prennent la forme d’essaims : une multitude de propos s’y articulent selon des modalités d’assemblage que rien ne laisse anticiper. c) Reconnaître différentes formes de visibilité L’espace public a donc profondément muté, il n’est plus univoque, cohérent et lisse. Il est avant tout doté d’une grande plasticité concernant la façon dont les usagers associent leur identité à leurs propos, aux informations qu’ils veulent transmettre. Les réseaux numériques ont modifié la forme de la représentation politique en diversifiant, en redistribuant la parole - la parole ne s’y donne pas, elle s’y prend -, en convoquant des langages, des espaces ignorés de la politique traditionnelle. 22
  • 23. 23 d) S’organiser par soi-même La quatrième caractéristique des communautés numériques, que l’on parle de société civile, de multitude ou de marché, tient à la forme politique spécifique qu’elles revendiquent : s’émanciper de l’Etat et de ses contraintes régulatrices, déstabiliser le paradigme de la représentation démocratique, occuper un terrain politique beaucoup moins figé, que chacun est en droit de définir. Ces nouvelles communautés s’appuient sur une volonté d’auto-organisation tenace, sur une reconnaissance aigüe du collectif. Leurs processus d’engendrement reproduisent encore ceux des groupes politiques traditionnels, les opérations de filtrage, d’agrégation, de coordination, l’intériorisation de valeurs communes, la légitimation au sein de l’espace public. Toutefois, ces différentes opérations ne s’exercent plus a priori mais a posteriori. Ce sont des engagements plus instables, ponctuels ou limités, aux collectifs horizontaux et auto-organisés. e) Renouveler notre conception de la légitimité Du fait de l’hétérogénéité des participants et de la diversité des critères d’engagement, les collectifs numériques se caractérisent moins par des valeurs partagées que par des procédures communes. Ces communautés délèguent rarement à une autorité centrale le droit de parler au nom du collectif et de le représenter. Elles préfèrent des procédures décisionnelles telles que le consensus ou le compromis à une volonté générale dont on peut définir positivement les valeurs substantielles. f) Exercer notre responsabilité Nous sommes souvent sommés de cliquer et de choisir sans pour autant bénéficier des garanties indispensables à un acte réfléchi. Il nous incombe de ne pas river notre attention au sommet de la hiérarchie pour choisir. Le numérique doit enrichir l’espace public de plates-formes intermédiaires où l’expression et le partage de contenus qui jusqu’à lors circulaient très difficilement, sont autorisés. Une fois reconnue que la normativité du numérique se construit en marche et n’est jamais posée comme un préalable à l’action, comment évaluer l’efficacité politique en ligne ? 5) Comment permettent-ils d’envisager de nouvelles formes pour l’action politique ? Quelle est la force politique des réseaux numériques ? Il s’agit d’utiliser les identités polyphoniques numériques qui peuvent susciter des comportements 23
  • 24. 24 contestataires (mise à distance) Les réseaux numériques se posent comme une forme originale de contradiction, un « je parle donc nous sommes », ils inaugurent un paradigme politique. Mais reconnaître les potentialités qu’ils offrent, ne doit pas nous conduire à en faire les ressources exclusives de l’action contestataire : celle-ci ne saurait exister sans l’appui d’engagements politiques préalables. L’expérience originaire hacker ? Les Hackers nous invitent à reconnaître d’autres stratégies d’opposition car il n’est plus possible d’adopter une position extérieure au système, de le combattre à distance sans le pénétrer. Rompre avec les mythologies révolutionnaires et valoriser le faire pression Nous ne pouvons plus investir le fantasme du Grand Soir révolutionnaire, l’engagement est à penser sous une forme inédite et démystifiée. Il nous faut libérer notre potentiel d’action, instaurer des rapports de force tout en restaurant la philia. Mais l’alternative ne se joue plus entre la décision héroïque d’affirmer sa liberté et le refus d’en être, nous sommes d’ores et déjà embarqués. Les différents mouvements de contestation sur internet ne visent plus une transformation unilatérale du monde, elles ne survalorisent plus la conquête du pouvoir. Ces formes de coopération imaginent une multitude de petits gestes qui font pression sur soi comme sur les autres et renouvèlent nos représentations politiques. L’intelligence des agrégations spontanées Que veut dire coopérer sur Internet ? Les réseaux numériques sont des chambres d’échos où il suffit de peu pour qu’un mouvement s’engage, pour que du régime des relations locales et personnelles nous accédions à des conversations nationales ou internationales, aux enjeux collectifs. Ces nouveaux moyens d’action de masse s’appuient au départ sur de petits collectifs éphémères et modestes qui n’ambitionnent pas de changer les structures mais les comportements. Il s’agit de faire valoir la force des coopérations faibles. Déjouer la concentration et le monopole sur la toile : L’amitié est une recherche en commun de la vérité selon Platon dans le Charmide comme dans le Lysis : nous nous aimons pas simplement pour nous-mêmes mais parce que nous poursuivons une émancipation intellectuelle commune. Or les open data, les données ouvertes, ont promu la transparence, la circulation de l’information et des connaissances. La libre diffusion est fondamentale si l’on veut des pouvoirs publics réellement 24
  • 25. 25 responsables devant leurs électeurs. La mise en ligne des données publiques participe de la vigilance citoyenne en déployant des contenus traditionnellement cachés. Valoriser les Res communis et res nullus Ces systèmes reconnaissent les droits d’auteurs mais ils laissent également la possibilité aux internautes de s’approprier, de détourner, de sampler, de réutiliser les éléments de l’environnement numérique sous des conditions que seuls les gens ont à définir : ce sont des biens communs, res communis, que nul ne peut économiquement s’approprier. Cette idée s’inspire de la théorie anglo-saxonne des nouveaux communs, terres à bois ou à pâturage, qui pouvaient être utilisées de tous ceux qui appartenaient à une communauté donnée. Avec l’apparition des biens numériques, de nouvelles formes de reconnaissances juridiques s’imposent : la notion de res nullus s’ajoute à celle de res communis et désigne un bien qui n’appartient à personne, dont tout le monde peut se saisir. Dans ce cadre, copier n’est plus affaiblir : une plus grande liberté d’usage des données est légitimée. La question n’est plus seulement de préserver mais d’enrichir nos informations comme le succès de Wikipédia en témoigne Conclusion : - Reconnaître l’ambivalence fondamentale du numérique pour éviter la dystopie. - La communauté numérique comme le numérique est un écosystème dynamique dont les règles de fonctionnement changent. - Une communauté finie ne veut pas dire communauté close. - Nécessité des temps sans. - Valoriser les communautés savantes, favoriser le bricolage numérique. - Lutter contre les algorithmes de la recommandation qui déplacent - Comment privilégier le partage à l’ère de l’open source ? L’invention du logiciel libre, initié en 1985 par l’informaticien Richard Stallman avec la création de la Free Software Fondation. Il s’agit alors de proposer au programmateur du monde entier de placer le fruit de leur travail sous licence libre, en dehors de la logique du brevet, en marge du circuit industriel ou commercial. - Générosité, partage, échange sont les valeurs fondatrices de cette proposition révolutionnaire. L’amitié serait révolutionnaire. 25
  • 26. 26 « Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre. Le dialogue (à la différence des conversations intimes où les âmes individuelles parlent d’elles-mêmes), si imprégné qu’il puisse être du plaisir pris à la présence de l’ami, se soucie du monde commun, qui reste “inhumain” en un sens très littéral, tant que des hommes n’en débattent pas constamment. Car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue. » Hannah ARENDT, Vies politiques, Gallimard, Paris, 1974, pp. 34-35. 26