2. Eduquer aux réseaux sociaux ?
• Définir les réseaux sociaux, et définir l’éducation. Et définir qui est l’objet
(ou le sujet) de cette éducation. Supposons qu’il s’agisse essentiellement
d’adolescents (pour la bonne raison que les enfants n’ont ni à être ni à
aller sur les réseaux sociaux)
• Qu’est-ce qu’un réseau social ? « Un site de réseau social est une
catégorie de site web avec des profils d'utilisateurs, des commentaires
publics semi-persistants sur chaque profil, et un réseau social public
naviguable ("traversable") affiché en lien direct avec chaque profil
individuel. »
• Mais « réseaux sociaux » sont aujourd’hui des « médias sociaux » et ça
change … tout : dynamiques interactionnelles (recommandations, mises
en relation), métriques (mesures d’audience), modèle économique
(assignation / économie attention) …
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3. Eduquer aux réseaux ou aux médias sociaux ?
• Mettre en relation des gens (réseaux) n’a rien à voir avec le fait de mettre
en relation des gens avec des contenus (médias)
• "La différence entre des individus choisissant les contenus
qu'ils lisent et des entreprises choisissant ces contenus à la
place des individus affecte toutes les formes de médias. »
Anil Dash
• Passage en une génération (le web a 33 ans mais le web grand public a 25
ans – Google 1998) d’espaces communs de socialisation désaturés en
information (le journal qu’on regardait à la télé en famille) à des espaces
privés sursaturés en informations (qui n’ont par ailleurs plus rien à voir
avec « l’information » du JT familial ou des programmes TV).
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4. • «les adolescents adoptent les médias sociaux pour les mêmes raisons que les générations précédentes
d'adolescents allaient dans les boums, se rassemblaient dans les parkings, occupaient les escaliers des
immeubles ou restaient pendus au téléphone durant des heures. Les adolescents veulent bavarder, flirter,
se plaindre, comparer leurs notes, partager des passions, être émus ou plaisanter. Ils veulent être en
mesure de parler entre eux, même si cela signifie aller en ligne.»
Réseaux et médias sociaux : une éducation …
sentimentale.
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8. Attendre les instructions officielles.
• Education à l’image (photographique) ? Toujours rien presque 2 siècles plus tard.
• Invention photographie : 1839
• 2018 : « Il n’est jamais question d’acquérir une culture technique et analytique des images (être en mesure de prendre des photos ou de
tourner un film ; décrypter les intentions d’un journal télévisé ou d’une image publicitaire). On se cantonne à une initiation ou à une
découverte (approcher les notions générales de perspective ou de plan ; découvrir deux ou trois peintures, photographies ou films
emblématiques de l’histoire de l’humanité). Une réforme des programmes et des rythmes scolaires se fait attendre pour que cette
problématique soit prise en compte. » Bourgatte, Michaël. « La construction du regard photographique. Retour sur un projet d’éducation à
l’image », Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 12,n2, no. 2, 2018, pp. 361-382.
• Education à l’image animée ? Un siècle.
• Invention du cinéma : 1885.
• À partir des années 1980 création de l'option cinéma-audiovisuel au lycée sous l'impulsion du ministre de la culture de l'époque, Jack Lang
+ dispositifs nationaux d’éducation à l’image (fin années 80) (Collège au Cinéma (en 1989), École et Cinéma (en 1994), et Lycéens et
apprentis au Cinéma (en 1998) Passeurs d'image (en 1991) Un film pour tous (en 1989).
• Au numérique ? 30 ans.
• Le web est né en 1989. La micro-informatique à la fin des années 1970. 2019 option NSI (numérique et science informatique) au lycée.
• Mais peut-on bien enseigner le numérique actuel (fait essentiellement d’images) si on n’enseigne toujours presque pas le cinéma et
l’image ? 8
9. A quoi éduquer « dans » le
numérique ou « sur » les
médias sociaux ?
• Longtemps on a considéré que l’éducation au numérique devait commencer par l’apprentissage
du code. Mais le code, à la différence de l’alphabet, est invisible.
• Quand vous lisez un livre, vous ne voyez que le code alphabétique. Quand vous utilisez le
numérique vous ne voyez jamais le code. Ce n’est donc pas un préalable. Ce qu’il faut commencer
par apprendre c’est l’activité de publication, de rendu public.
• Education idéale au numérique (dont les réseaux sociaux)
• Histoire du numérique (hors informatique) : comportements et usages collectifs
• Analyse de textes importants (déclaration d’indépendance du cyberespace, Code is Law …)
• Apprentissage du code.
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10. Non pas « éduquer aux médias sociaux »
• Mais éduquer en sachant l’existence des médias sociaux comme on a continué à éduquer en sachant
l’existence de la radio, du cinéma, de la télévision, du téléphone.
• Pour autant jamais personne n’est venu en classe avec sa télé.
• Restauration d’un pacte attentionnel dans des environnements cognitifs et attentionnels concurrentiels.
• L’école, le lycée, l’université sont le lieu d’un pacte attentionnel qui conditionne la délivrance d’un diplôme
mais surtout la formation de citoyen.ne.s.
• Le web, les réseaux sociaux, comme la radio ou la télé sont (et doivent rester) des ressources, périphériques.
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11. Il faut enseigner la publication. Le « rendu
public ».
• Et ça fait 10 ans que je le dis.
• Former à Facebook, à Google, à Twitter est certes encore utile mais lorsque ces outils disparaîtront ou seront remplacés
par d'autres, à quoi cela aura-t-il servi ? Il existe pourtant une solution simple : il faut enseigner la publication. (…) Avec la
même importance et le même soin que l'on prend, dès le cours préparatoire, à enseigner la lecture et l'écriture. (…)
Comprendre (…) que l'impossibilité de maîtriser un "savoir publier", sera demain un obstacle et une inégalité aussi clivante
que l'est aujourd'hui celle de la non-maîtrise de la lecture et de l'écriture, un nouvel analphabétisme numérique hélas déjà
observable. Cet enjeu est essentiel pour que chaque individu puisse trouver sa place dans le monde mouvant du
numérique, mais il concerne également notre devenir collectif, car comme le rappelait Bernard Stiegler : "la démocratie
est toujours liée à un processus de publication - c'est à dire de rendu public - qui rend possible un espace public : alphabet,
imprimerie, audiovisuel, numérique. »
• L’histoire même de notre rapport au numérique s’est forgée au travers de ce rendu public : notre rapport politique avec
Wikileaks, notre rapport intime avec les blogs et la définition d’une « extimité », etc.
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12. Difficulté : médias sociaux sont 1 zone grise.
• Espaces semi-publics semi-privés.
• La question de la gestion des espaces privés est (plutôt) bien
comprise et compartimentée. En tout cas chez les jeunes. Le
problème là-dessus viendrait plutôt des Boomers
• La question de la gestion des espaces public l’est moins :
• parce que les gens « publient » peu (très peu de créateurs / créatrices de
contenu)
• Et que des signes « indiciels » (un like, un partage, une reprise en story …)
sont des actes de publication. Des « rendus publics » qui servent autant à
alimenter des machineries privées qu’à nous gratifier de récompenses
sociales (reconnaissance)
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13. Il faut enseigner la lecture critique (et le biais
de confirmation).
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14. Il faut enseigner la lecture critique (et le biais
de confirmation).
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15. Toujours se souvenir de l’histoire de nos
propres crédulités.
• Sans réseaux sociaux, sans internet, à 18 ans débarquant dans une vie d’étudiant,
l’idée qu’un crocodile soit dans les égoûts toulousains me semblait probable. Et
nous avions aussi déjà ce récit de vol d’organes.
• Ne pas considérer que tomber dans le piège de la légende urbaine nous priverait
de toute capacité de discernement. Il s’agit d’une dynamique. Pas d’une
permanence. Cette dynamique dépend de l’âge, du contexte, du capital culturel
et d’enjeux d’appartenance au groupe.
• Morale de l’histoire : souvent ce que l’on impute aux réseaux ou
aux médias sociaux ,n’a rien à voir avec eux et n’est que le fruit
d’une permanence culturelle et sociologique qui tient à des récits
de mythologies urbaines qui fonctionnent comme des marqueurs
de nos changements de vie (on devient étudiant, parent, etc.) ou
de nos désirs d’appartenance au groupe.
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16. CHAPITRE 2
Pourquoi la question de l’éducation aux médias
sociaux (nous) semble si compliquée ?
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19. Parce que nous n’avons pas le bon repère.
Et que ce repère bouge tout le temps.
19
20. Dans nos propres réseaux affinitaires, dans nos propres graphes relationnels, mais aussi dans le modèle des
médias eux-mêmes, on passe en permanence d’environnements très centralisés à des environnements
décentralisés ou distribués.
Ces changements incessants « égarent » notre perception de l’ensemble et renforcent tous nos biais cognitifs
et perceptifs.
Les médias
Les réseaux sociaux
nous
Notre rapport à l’information
Notre rapport aux médias
Notre rapport aux autres
Les médias sociaux
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21. Manque de repère(s).
• Depuis 10 ans : délinéarisation des médias « classiques » (vidéo à la demande, télévision de rattrapage, podcasts, etc.)
• Depuis 10 ans (aussi) : linéarisation des médias sociaux : on fait / regarde défiler.
• Concurrence entre la possibilité d’une consommation asynchrone et la tentation d’une consommation synchrone pour un même
temps d’attention non extensible.
• FOMOn (Fear Of Missing Out) : comme on sait qu’on ne manquera rien de l’asynchrone, on se laisse engloutir par le synchrone.
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Quantité (et qualité) des programmes
Audiences
22. Consommation culturelle linéaire (double sens de « en ligne »).
• Souvent on reste coincé dans un rayon (Netflix, Twitch, Youtube, Amazon, etc.)
22
23. 23
Diamètre (D) des données (data) permettant de les alimenter
Circonférence du périmètre attentionnel des plateformes
+ on consomme en rayon et + ce rayonnage semble infini …
+ on renforce les données qui forment le diamètre de l’offre « personnalisée » …
+ on augmente la circonférence (du périmètre attentionnel des plateformes)
26. Ultra dominance des formes narratives subjectivées comme
invariants.
• Martine / Petit Ours Brun / McFly& Carlito / Amixem / Gotaga
• joue(nt) aux jeux vidéos
• Vont à l’accrobranche avec des amis
• Part(ent) en vacances
• lance(nt) un défi
• Raconte(nt) des blagues.
• Question des vLogs
• Existe aussi d’autres dimensions (politiques - Hugo décrypte,
scientifiques – Dr Nozman, historiens – NotaBene …)
26
29. « [L’]histoire [d’internet] est un accident fortuit résultant d’un
désintérêt commercial initial, d’une négligence gouvernementale et
militaire et de l’inclinaison des ingénieurs à construire des systèmes
ouverts simples et faciles. » Bruce Schneier
Aujourd’hui : univers marchand, consumériste + question centrale de
la surveillance des états (révélations Snowden) + systèmes fermés et
propriétaires (non-interopérables).
29
Parce qu’ils ont changé de nature, d’enjeu, d’échelle et
de technologie comme jamais aucun média avant eux et
en aussi peu de temps.
30. 30
Parce qu’on ne sait pas vraiment ce
qu’ils s/font (et qu’ils en jouent)
31. Parce qu’il faut réinventer des outils de
stabilisation des savoirs
• « Ce qui change dans le temps c’est la connaissance. Celle d’un environnement social et scientifique, celle d’un individu donné … Mais ce
mouvement de la connaissance se construit à partir de référents stables que sont les documents publiés à un moment donné. Les
peintres pratiquaient le "vernissage" des toiles afin de s’interdire toute retouche. Les imprimeurs apposaient "l’achevé d’imprimer". Il
convient d’élaborer de même un rite de publication sur le réseau afin que des points stables soient offerts à le lecture, à la critique, à la
relecture … et parfois aussi à la réhabilitation. » Hervé Le Crosnier. "De l’(in)utilité de W3 : communication et information vont en
bateau." Présentation lors du congrès JRES’95, Chambéry, 22-24. Novembre 1995.
• Voilà pourquoi (entre autres) le fait qu’en rachetant Twitter, Elon Musk propose de pouvoir éditer et corriger des tweets pose problème.
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32. Parce qu’il y a toujours eu (et il y aura toujours) des « paniques morales »
(et qu’il faut savoir les reconnaître pour ce qu’elles sont)
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Trop cher … Pas assez de contenus …Surcharge d’information à
cause du mail (!) … les jeunes découvrent que la vraie vie c’est mieux
(sic)
Frédéric Lefebvre (2008 – Discours AN)
« L’absence de régulation du Net provoque chaque jour des victimes !
Combien faudra-t-il de jeunes filles violées pour que les autorités réagissent ?
Combien faudra-t-il de morts suite à l’absorption de faux médicaments ?
Combien faudra-t-il d’adolescents manipulés ? Combien faudra-t-il de bombes
artisanales explosant aux quatre coins du monde ? Combien faudra-t-il de
créateurs ruinés par le pillage de leurs œuvres ? »
33. Sans transition … et en moins de 6 ans :
Du fantasme d’un internet de la barbarie … à celui d’une société totalement « digitalisée »
33
35. On a un peu (bcp) oublié la part des processus de
normalisation culturelle que les plateformes numériques
imposent à bas bruit.
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Un exemple hélas concret de ce qui se
produit quand on n’enseigne pas la
publication (article Le Monde) et que
les plateformes deviennent un lieu
d’impubliable.
On a oublié de préserver et de cultiver
(par l’éducation) les environnements
dans lesquels chacun pouvait contrôler
ce qu’il publiait au profit de
plateformes ou cette décision leur est
entièrement déléguée.
37. « Le numérique est un milieu. »
Louise Merzeau
• Pour éduquer à un milieu il faut s’y plonger, s’y habituer, y
déployer des habitus.
• Réfraction.
• Principe d'Archimède dit que “tout corps plongé dans un
liquide subit une poussée verticale vers le haut égale au poids
du volume de liquide déplacé”
• Tout individu plongé dans le numérique
subit une pression cognitive et sociale égale
au volume de ses affects mesurés et
mobilisés.
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38. Une éducation aux
médias sociaux ?
• Un enjeu politique : il faut
éduquer les médias sociaux.
• Contraindre (législations)
• Pacifier (casser les chaînes de
contamination virales pour
mettre fin à la polarisation)
• Éclairer (transparence et
redevabilité)
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Mais il n’y a pas que des adolescents sur les réseaux sociaux.
De TOUS les textes
De TOUT CE QUI fait texte
Une lecture renouvellée de tout ce qui fait SENS
Parfois jusqu’à saturation, jusqu’à la nausée, souvent jusqu’au VERTIGE
Jusqu’au vertige de rencontres que l’on n’aurait jamais cru possibles
la majorité des publics/destinataires est absente au moment même de la médiation (= la transmission du message = par exemple, la publication d'un message texte).
« On échange avec un public imaginé alors que d’autres peuvent interagir dans la conversation (parents, profs, etc.) » Danah Boyd.
Nouveau rapport au tempsCe que vous dîtes à 15 ans sera encore accessible quand vous en aurez 30 ... 50
Nouvelles proximités.
Parfois bénéfiques (anciens copains, famille éloignée, etc.)
Parfois … moins, si elles ne sont pas « cadrées » (relation prof – élève, relation parent – enfant
Avant les réseaux sociaux, votre mère ne pouvait pas savoir où vous étiez en train de faire la fête avec vos amis ou ce que vous pensiez d'elle.
ce que vous avez dit/publié/posté/photographié/filmé peut être recopié et replacé dans un contexte totalement différent (d’autant plus que les gens ne sont pas là au moment où on a publié/posté/etc … cf « audiences invisibles »)
Fin de la pénibilité et du coût cognitif de la copie. Perte de valeur de la copie.
1972 par le sociologue Stanley Cohen (« moral panic »), désigne la réaction disproportionnée de certains groupes face à des pratiques culturelles ou personnelles en général minoritaires, jugées « déviantes » ou dangereuses pour la société.