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Le coût du travail au coeur du débat

par Denis CLERC (Alternatives économiques, n° 039, 01/1999)

        Le débat fait rage chez les économistes à propos du lien salaire/emploi. Les
positions sont souvent tranchées sur une question pourtant plus complexe qu'il n'y
paraît. Comment lutter efficacement contre le chômage, notamment des moins
qualifiés ? Les économistes ont bien entendu été sollicités, et fortement, pour
répondre à cette question clé. Le point sur lequel se focalisent la plupart des
discussions est celui des salaires.
        Les salaires sont des prix et, dans une économie de marché, on sait que les
prix sont une variable essentielle d'ajustement entre l'offre et la demande. Pourquoi
en serait-il différemment sur le marché du travail, s'interrogent les économistes
néoclassiques ? Lorsque le travail devient coûteux, les entreprises ont tendance à
préférer des techniques de production faisant davantage appel aux équipements ;
on parle alors d'effet de substitution du capital au travail : par exemple, les
concierges sont remplacées par des ouvre-portes électroniques, les services de
guichet dans les banques par des distributeurs automatiques. Quant à la demande
pour les produits (biens ou services) faisant appel essentiellement à du travail, elle
tend à plafonner, voire à se réduire en raison de leur prix croissant : les cours
particuliers, le théâtre et les concerts, la consultation médicale ou le prix de l'heure
de ménage.
        Ce que certains résument ainsi : " Le travail est trop cher par rapport au prix
du produit", surtout celui des actifs peu qualifiés. Pour l'économiste Jacques
Lesourne, "la rigidité du coût du travail maintient le coût [de ces derniers] à un
niveau trop élevé (...) et suscite un chômage structurel qui atteint surtout les
jeunes et les travailleurs peu qualifiés. "

        Ces analyses ne font cependant pas l'unanimité et essuient trois grandes
critiques. Premièrement, les nombreuses études empiriques du lien entre réduction
du coût salarial et progression de l'emploi non qualifié ne concluent pas à une
corrélation certaine et forte. Pour Daniel Cohen, mais pour une autre raison : même
si les employeurs sont sensibles à une réduction du coût salarial, l'effet sur la
réduction du chômage des actifs peu qualifiés risque d'être minime, car il existe
d'autres facteurs que le coût du travail. Les chômeurs sont en quelque sorte
suspectés partiellement d'inemployabilité, mis hors jeu et le salaire n'a qu'une
influence réduite sur la capacité de l'économie à les réintégrer dans le jeu social.
Cela ne signifie évidemment pas que cette influence n'existe pas, seulement qu'elle
est moins automatique et importante que l'analyse théorique pourrait le laisser
croire.

        La deuxième critique est plus subtile. Elle concerne principalement les
propositions visant à réduire le coût salarial des travailleurs les moins qualifiés ou
les moins payés. Elle est résumée brutalement par Guillaume Duval : si la France
persiste dans cette voie, elle risquerait de " devenir une réserve d'OS et de petits
boulots pour les pays qui, au contraire de nous, privilégient l'emploi qualifié en
misant sur l'innovation et le développement de nouveaux produits et services ". Il
n'est pas le seul. André Gauron, par exemple, conteste les mesures d'allègement
des charges patronales sur les bas salaires en vue d'inciter à la création d'emplois
plus nombreux dans le bas de l'échelle. Il estime qu'il s'agit " de mesures qui, à
l'horizon de dix ans et plus auront pour conséquence de freiner la modernisation
technologique et d'affaiblir les entreprises françaises dans la compétition
mondiale ". Ainsi, l'automobile française, arc-boutée sur l'avantage compétitif d'une
main-d'oeuvre recrutée à bas prix dans les pays du Maghreb ou en Turquie, a loupé
la révolution technologique impulsée notamment par les firmes japonaises et en a
payé chèrement le prix, socialement et économiquement, dans les années 80. Pour
Philippe Frémeaux, " plutôt que de chercher à multiplier les emplois peu qualifiés,
ce sont les emplois qualifiés qu'il faut aujourd'hui multiplier (...), ce qui permettra
de libérer progressivement les emplois non qualifiés au profit de ceux qui ne
peuvent accéder à d'autres emplois ". L'emploi est une sorte de jeu de chaises
musicales : lorsque les candidats sont plus nombreux que les postes à pourvoir,
ceux qui disposent de plus d'atouts - parce qu'ils sont mieux formés ou plus
diplômés, notamment - peuvent accéder plus facilement aux chaises disponibles.
L'impact d'une baisse des salaires sur l'économie

        Enfin, la troisième critique concerne les effets en retour d'une baisse -
générale ou ciblée - des salaires (ou du coût salarial, si cette baisse ne concerne
que les cotisations patronales) sur l'économie dans son ensemble, et en particulier
sur la demande. Lorsque les gros bataillons des consommateurs voient leurs
revenus - d'activité ou sociaux - se réduire, comment ne pas imaginer qu'il puisse y
avoir des effets sur la consommation, sur l'épargne, sur les comportements
d'activité, etc. ? Et comment être certain que ces effets seront bénéfiques à
l'emploi ? En d'autres termes, il ne suffit pas de raisonner d'un point de vue micro-
économique, il faut aussi regarder les conséquences macro-économiques. Et il n'est
pas sûr que ces dernières soient bénéfiques. C'était la critique de Keynes aux
propositions de réduction des salaires que certains hommes politiques faisaient
dans les années 30 pour lutter contre la crise. Vous allez aggraver le mal,
expliquait-il en 1931, lorsque le gouvernement britannique s'apprêtait à réduire de
15 % le salaire des instituteurs : " Les producteurs britanniques verront
s'amenuiser d'un total approximatif de 70 millions de livres sterling les recettes que
leur procurent les dépenses des consommateurs (...). Ils ne pourront éponger cette
perte sans réduire leurs propres dépenses ou licencier une partie de leur personnel
ou recourir aux deux expédients à la fois. ". Ce n'est évidemment pas fatal : ainsi,
malgré la baisse des salaires moyens constatée aux Etats-Unis depuis une dizaine
d'années, la part des salaires dans la valeur ajoutée a augmenté, alors qu'elle
diminuait en France. L'effet d'embauche peut être tel que la masse salariale
augmente. Mais, si l'exemple américain apporte de l'eau au moulin des partisans de
la baisse des coûts du travail, les autres exemples sont moins probants, à
commencer par le Royaume-Uni. L'effet dépressif des baisses de salaires entre
1980 et 1990 n'a pas été compensé, outre-Manche, par l'effet d'accélération des
embauches.

        C'est la raison pour laquelle des économistes keynésiens, comme Martin
Weitzman ou James Meade, préconisent ce que l'on appelle l'économie du partage.
Imaginons, proposent-ils, que le salaire soit composé d'une partie fixe - que
l'employeur doit verser quoiqu'il arrive - et d'une partie variable, indexée sur
l'excédent brut ou le résultat d'exploitation, par exemple. Lorsque les affaires vont
mal, la deuxième partie du salaire diminue, si bien que l'entreprise est moins
obligée de licencier : la flexibilité des salaires permet d'atténuer le choc, sans qu'il
soit besoin de réduire les effectifs. A l'inverse, lorsque les affaires vont bien,
l'entreprise est incitée à embaucher : il ne lui en coûte que la partie fixe du salaire
puisque, au pire, si le nouveau salarié se révèle totalement improductif, c'est la
partie variable du salaire des autres qui va diminuer d'autant. Globalement, ce
mécanisme contribue à pousser l'emploi en période de croissance et à le stabiliser
en période de crise. C'est d'ailleurs, semble-t-il, l'explication du cas japonais : en
moyenne, près d'un tiers de la masse salariale est composé de primes qui
disparaissent ou se réduisent lorsque la conjoncture se détériore. Résultat :
l'ajustement se fait par la masse salariale et non par l'emploi.

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  • 1. Le coût du travail au coeur du débat par Denis CLERC (Alternatives économiques, n° 039, 01/1999) Le débat fait rage chez les économistes à propos du lien salaire/emploi. Les positions sont souvent tranchées sur une question pourtant plus complexe qu'il n'y paraît. Comment lutter efficacement contre le chômage, notamment des moins qualifiés ? Les économistes ont bien entendu été sollicités, et fortement, pour répondre à cette question clé. Le point sur lequel se focalisent la plupart des discussions est celui des salaires. Les salaires sont des prix et, dans une économie de marché, on sait que les prix sont une variable essentielle d'ajustement entre l'offre et la demande. Pourquoi en serait-il différemment sur le marché du travail, s'interrogent les économistes néoclassiques ? Lorsque le travail devient coûteux, les entreprises ont tendance à préférer des techniques de production faisant davantage appel aux équipements ; on parle alors d'effet de substitution du capital au travail : par exemple, les concierges sont remplacées par des ouvre-portes électroniques, les services de guichet dans les banques par des distributeurs automatiques. Quant à la demande pour les produits (biens ou services) faisant appel essentiellement à du travail, elle tend à plafonner, voire à se réduire en raison de leur prix croissant : les cours particuliers, le théâtre et les concerts, la consultation médicale ou le prix de l'heure de ménage. Ce que certains résument ainsi : " Le travail est trop cher par rapport au prix du produit", surtout celui des actifs peu qualifiés. Pour l'économiste Jacques Lesourne, "la rigidité du coût du travail maintient le coût [de ces derniers] à un niveau trop élevé (...) et suscite un chômage structurel qui atteint surtout les jeunes et les travailleurs peu qualifiés. " Ces analyses ne font cependant pas l'unanimité et essuient trois grandes critiques. Premièrement, les nombreuses études empiriques du lien entre réduction du coût salarial et progression de l'emploi non qualifié ne concluent pas à une corrélation certaine et forte. Pour Daniel Cohen, mais pour une autre raison : même si les employeurs sont sensibles à une réduction du coût salarial, l'effet sur la réduction du chômage des actifs peu qualifiés risque d'être minime, car il existe d'autres facteurs que le coût du travail. Les chômeurs sont en quelque sorte suspectés partiellement d'inemployabilité, mis hors jeu et le salaire n'a qu'une influence réduite sur la capacité de l'économie à les réintégrer dans le jeu social. Cela ne signifie évidemment pas que cette influence n'existe pas, seulement qu'elle est moins automatique et importante que l'analyse théorique pourrait le laisser croire. La deuxième critique est plus subtile. Elle concerne principalement les propositions visant à réduire le coût salarial des travailleurs les moins qualifiés ou les moins payés. Elle est résumée brutalement par Guillaume Duval : si la France persiste dans cette voie, elle risquerait de " devenir une réserve d'OS et de petits boulots pour les pays qui, au contraire de nous, privilégient l'emploi qualifié en misant sur l'innovation et le développement de nouveaux produits et services ". Il n'est pas le seul. André Gauron, par exemple, conteste les mesures d'allègement des charges patronales sur les bas salaires en vue d'inciter à la création d'emplois plus nombreux dans le bas de l'échelle. Il estime qu'il s'agit " de mesures qui, à l'horizon de dix ans et plus auront pour conséquence de freiner la modernisation technologique et d'affaiblir les entreprises françaises dans la compétition mondiale ". Ainsi, l'automobile française, arc-boutée sur l'avantage compétitif d'une main-d'oeuvre recrutée à bas prix dans les pays du Maghreb ou en Turquie, a loupé la révolution technologique impulsée notamment par les firmes japonaises et en a payé chèrement le prix, socialement et économiquement, dans les années 80. Pour Philippe Frémeaux, " plutôt que de chercher à multiplier les emplois peu qualifiés, ce sont les emplois qualifiés qu'il faut aujourd'hui multiplier (...), ce qui permettra de libérer progressivement les emplois non qualifiés au profit de ceux qui ne
  • 2. peuvent accéder à d'autres emplois ". L'emploi est une sorte de jeu de chaises musicales : lorsque les candidats sont plus nombreux que les postes à pourvoir, ceux qui disposent de plus d'atouts - parce qu'ils sont mieux formés ou plus diplômés, notamment - peuvent accéder plus facilement aux chaises disponibles. L'impact d'une baisse des salaires sur l'économie Enfin, la troisième critique concerne les effets en retour d'une baisse - générale ou ciblée - des salaires (ou du coût salarial, si cette baisse ne concerne que les cotisations patronales) sur l'économie dans son ensemble, et en particulier sur la demande. Lorsque les gros bataillons des consommateurs voient leurs revenus - d'activité ou sociaux - se réduire, comment ne pas imaginer qu'il puisse y avoir des effets sur la consommation, sur l'épargne, sur les comportements d'activité, etc. ? Et comment être certain que ces effets seront bénéfiques à l'emploi ? En d'autres termes, il ne suffit pas de raisonner d'un point de vue micro- économique, il faut aussi regarder les conséquences macro-économiques. Et il n'est pas sûr que ces dernières soient bénéfiques. C'était la critique de Keynes aux propositions de réduction des salaires que certains hommes politiques faisaient dans les années 30 pour lutter contre la crise. Vous allez aggraver le mal, expliquait-il en 1931, lorsque le gouvernement britannique s'apprêtait à réduire de 15 % le salaire des instituteurs : " Les producteurs britanniques verront s'amenuiser d'un total approximatif de 70 millions de livres sterling les recettes que leur procurent les dépenses des consommateurs (...). Ils ne pourront éponger cette perte sans réduire leurs propres dépenses ou licencier une partie de leur personnel ou recourir aux deux expédients à la fois. ". Ce n'est évidemment pas fatal : ainsi, malgré la baisse des salaires moyens constatée aux Etats-Unis depuis une dizaine d'années, la part des salaires dans la valeur ajoutée a augmenté, alors qu'elle diminuait en France. L'effet d'embauche peut être tel que la masse salariale augmente. Mais, si l'exemple américain apporte de l'eau au moulin des partisans de la baisse des coûts du travail, les autres exemples sont moins probants, à commencer par le Royaume-Uni. L'effet dépressif des baisses de salaires entre 1980 et 1990 n'a pas été compensé, outre-Manche, par l'effet d'accélération des embauches. C'est la raison pour laquelle des économistes keynésiens, comme Martin Weitzman ou James Meade, préconisent ce que l'on appelle l'économie du partage. Imaginons, proposent-ils, que le salaire soit composé d'une partie fixe - que l'employeur doit verser quoiqu'il arrive - et d'une partie variable, indexée sur l'excédent brut ou le résultat d'exploitation, par exemple. Lorsque les affaires vont mal, la deuxième partie du salaire diminue, si bien que l'entreprise est moins obligée de licencier : la flexibilité des salaires permet d'atténuer le choc, sans qu'il soit besoin de réduire les effectifs. A l'inverse, lorsque les affaires vont bien, l'entreprise est incitée à embaucher : il ne lui en coûte que la partie fixe du salaire puisque, au pire, si le nouveau salarié se révèle totalement improductif, c'est la partie variable du salaire des autres qui va diminuer d'autant. Globalement, ce mécanisme contribue à pousser l'emploi en période de croissance et à le stabiliser en période de crise. C'est d'ailleurs, semble-t-il, l'explication du cas japonais : en moyenne, près d'un tiers de la masse salariale est composé de primes qui disparaissent ou se réduisent lorsque la conjoncture se détériore. Résultat : l'ajustement se fait par la masse salariale et non par l'emploi.