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L’Empirisme
logique
By Maryam
RAHOU
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Rudolf Carnap
Né en Allemagne à Wuppertal (1891-1970), Rudolf Carnap appartient à la fois à la philosophie germanique et à la
philosophie anglo-saxonne. Le nazisme l'ayant amené, en 1935, à partir pour les États-Unis. Il fut, avec M. Schlick et
Otto Neurath, un des chefs de file du Cercle de Vienne. Après la dispersion de celui-ci, il libéralisa progressivement ses
thèses initiales. Il a traité des problèmes principaux de l'épistémologie de la mathématique et des sciences exactes.
Après ses études de mathématique, de physique et de philosophie à Fribourg et à Léna – il fut l'un des très rares
auditeurs de Frege –, Carnap obtint le titre de docteur avec une thèse intitulée : « L'Espace : une contribution à la théorie
de la science » (1921). Sur l'initiative de H. Hahn et M. Schlick, il devint, en 1926, privatdozent à l'université de Vienne
et participa aux discussions du Cercle de Vienne. Le Cercle se fit connaître en 1929 avec un manifeste qui, signé par
Carnap, Hahn et Neurath (Feigl y participa aussi), développait les grandes thèses du mouvement de la
« conception scientifique du monde ». Mais, déjà un an plus tôt, Carnap avait publié "Der logische Aufbau der Welt".
Dans son célèbre livre intitulé "Der logische Aufbau der Welt" (La Construction logique du monde), il a tenté d'exécuter le programme du phénoménalisme :
reconstruire le monde à partir d'une seule relation donnée dans l'expérience immédiate. Son intérêt pour le langage des sciences et la philosophie a fait de
lui l'un des initiateurs du « tournant linguistique » en philosophie.
Ludwig Wittgenstein
D'origine autrichienne, le philosophe britannique Ludwig Wittgenstein (1889-1951) a enseigné à Cambridge. Étudiant
puis ami de Russell, Wittgenstein publie en 1921 son "Tractatus logico-philosophicus" (Traité logico-philosophique). Il y
expose, en soixante-quinze pages d'aphorismes, que le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du
monde… En 1929, il revint à Cambridge sur l’insistance de Bertrand Russell et George Moore, et critiqua les principes de
son premier traité.
Il prépare alors, à travers de nombreux essais, un ensemble de remarques intitulé "Philosophische Untersuchungen"
(Investigations philosophiques), dont le texte est à peu près achevé lorsqu'il meurt. Il y reprend l'idée d'une élucidation
du langage, examinant cette fois le langage usuel pour y chercher le statut et les conditions de la signification des mots,
qui en constituent la « grammaire philosophique ».
Personnalité emplie de doutes, Wittgenstein se questionne très tôt dans son enfance sur la notion de vérité. L'influence
de Wittgenstein s'est rapidement répandue dans les pays de langue anglaise ; elle gagne aujourd'hui en extension sinon
en profondeur, le langage étant devenu un thème philosophique majeur. Elle a eu une action décisive sur les
philosophes du Cercle de Vienne, dans les années 1930, et sur ceux de l'école analytique, dans les années 1950, sans
que Wittgenstein se soit jamais reconnu dans les œuvres d'aucun d'entre eux.
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Moritz Schlick
Né à Berlin (1882-1936), où il étudie la physique avec Max
Planck (il passa son doctorat en 1904 avec une thèse sur la
réflexion de la lumière). Membre du Cercle de Vienne, Schlick
est l'un des fondateurs de la philosophie analytique. La pratique
qu'il a de la recherche scientifique le laisse insatisfait de
l'épistémologie néo-kantienne et de la phénoménologie
husserlienne. Il prend pour point de départ les analyses de
Mach, de Helmhotz et de Poincaré et exprime ses premières
conclusions en 1918 dans "Allgemeine Erkenntnislehre".
De nombreux essais de ses "Gesammelte Aufsätze" (1926-1936) sont consacrés à l'élucidation
de la notion de signification, au principe de vérifiabilité, au réalisme critique comme réponse
au conflit entre idéalisme et réalisme. On peut lire de lui en français un article intitulé : «
L'École de Vienne et la philosophie traditionnelle » dans les travaux du IXème Congrès
international de philosophie (Paris, 1937).
Hans Hahn
Hans Hahn né à Vienne (1879-1934) est un mathématicien et
philosophe autrichien qui a apporté de nombreuses contributions
à l'analyse fonctionnelle, la topologie, la théorie des ensembles, le
calcul des variations et la théorie des ordres.
Otto Neurath
Philosophe et sociologue autrichien
(1882-1945), un des fondateurs de
l'empirisme logique. Socialiste
marxiste indépendant, Otto Neurath
s'est intéressé à l'économie, à la
politique et à l'histoire. Éditeur de
l'Encyclopaedia of Unified Science, il
fut le membre le plus « extrémiste
» du Cercle de Vienne, grand
pourfendeur de la métaphysique.
Comme économiste, il publia en 1909 une histoire comparée
des systèmes économiques de la Grèce antique et de Rome ;
comme historien des sciences, en 1915, il rédigea une histoire
de l'optique (Descartes, Malebranche, Huygens, Newton, Young,
Fresnel). Sous le gouvernement social-démocrate, il participa
aux travaux de l'office central de planification en Bavière. En
tant que socialiste, il s'interrogea sur le problème des
manières de vivre, sur la lutte contre les habitudes et les
mentalités capitalistes. Son ouvrage "Foundations of the Social
Sciences" (1944) use d'un langage physicaliste et béhavioriste,
qui convient au matérialisme historique.
Hahn s'inscrivit au départ à l'université de Vienne en 1898 pour y étudier le droit. Au bout d'un an, il se consacra aux mathématiques, qu'il étudia à
l’université de Strasbourg et à l’université de Munich. En 1901, il repartit pour Vienne, où en 1902 il passa sa thèse intitulée : « Théorie de la seconde variation
des intégrales définies ». Hahn, cofondateur et membre actif du Cercle de Vienne, s’intéressait beaucoup à la philosophie. Il mourut en 1934 des suites d’une
opération.
Le nom de Hans Hahn reste surtout célèbre pour le théorème de Hahn-Banach. Par-delà cet énoncé, Hahn a apporté des contributions importantes en
analyse fonctionnelle, à la théorie de la mesure (théorème de décomposition de Hahn et théorème de Hahn-Kolmogorov), à l’analyse harmonique et à la topologie
générale (théorème de Hahn-Mazurkiewicz). Le gros des publications de Hahn concerne les mathématiques. Il ne publia d’articles de philosophie qu'au début
des années 1930, consacrés aux problèmes épistémologiques posés par les sciences naturelles. En 1926, il fut élu président de la Deutsche Mathematiker-
Vereinigung (Association des mathématiciens allemands).
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 DE QUOI S’AGIT-IL ?
 CONTEXTE DE PARUTION
 POSITIVISME LOGIQUE VS POSITIVISME
 THESES PRINCIPALES
 CRITIQUES DE L’EMPIRISME LOGIQUE
 CONCLUSION
 REFERENCES PHARES EN MATIERE DE L’EMPIRISME LOGIQUE
 WEBOGRAPHIE
 TABLE DES MATIERES
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De quoi s’agit-il ?
L’empirisme logique (parfois nommé empirisme rationnel, positivisme
logique ou néo–positivisme) est issu du positivisme d’Ernst Mach
(physicien et philosophe autrichien), d'Henri Poincaré (mathématicien, physicien,
philosophe et ingénieur français) et de la pensée du jeune Wittgenstein
(philosophe autrichien, puis britannique) [8].
À savoir, d’abord baptisée « positivisme logique », cette conception
philosophique de la connaissance fait notamment appelée « empirisme
logique » ou encore « empirisme scientifique » à partir de l’année
1936 [31].
Le néo-positivisme, ou positivisme logique, ne constitue pas
proprement parler une école, ayant à sa tête un maître et attachée à
un dogme, mais plutôt une attitude philosophique définie à l'origine par
un groupe (le Cercle de Vienne) et aujourd'hui largement diffusée et
diversifiée, en particulier aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans
les pays scandinaves [12]. Pareillement, on aurait tort de considérer
que l’empirisme logique fut dès l’origine une doctrine articulant un
ensemble de thèses philosophiques partagées en commun par un
groupe déclaré de penseurs.
Ainsi, d’après Christian Bonnet (professeur français d’histoire de la philosophie
allemande à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Pierre Wagner (professeur
français à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne spécialisé en histoire de la philosophie
des sciences et la philosophie de Rudolf Carnap), cette doctrine ne fut en fait
que « le résultat d’un ensemble de réflexions critiques que des scientifiques
et philosophes de différentes spécialités échangèrent dans les premières
décennies du XX siècle. ».
Le positivisme logique se voit parfaitement fidèle au premier
positivisme, formulé au XIXe
siècle par Auguste Comte (philosophe
français), on pourrait même ajouter qu'il ne diffère pas, sur ce point, de
la critique kantienne distinguant entre la connaissance des phénomènes
et celle, impossible, des noumènes1
.
1 Il s'agit de tout ce qui existe et que la sensibilité ne peut pas atteindre.
Ernst
Mach
1838-1916
Henri
Poincaré
1854-1912
Ludwig
Wittgen-
stein
1889-1951
Christian
Bonnet
?
Pierre
Wagner
1963
Auguste
Comte
1798-1857
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L’empirisme logique partageait ainsi, dans une certaine mesure, le point
de vue du kantisme sur la distinction entre science et croyance. Or, il
n'existe pas, comme le prétendait Emmanuel Kant (philosophe allemand),
de jugement synthétique à priori. Ceci dit, la métaphysique ne peut
être une science [8].
Pour la philosophie de la connaissance scientifique, l’empirisme logique
n’en a pas moins fini par constituer la doctrine la plus marquante du
vingtième siècle, et c’est au cours de l’élaboration de cette doctrine
qu’a émergé ce que l’on appelle de nos jours la « philosophie
analytique2
» [31].
À savoir que Rudolf Carnap, philosophe allemand naturalisé
américain, est le plus célèbre représentant du positivisme logique [39].
2 La philosophie analytique, philosophie dominante de la seconde moitié du XXe siècle, est
majoritaire dans l'ensemble des pays anglophones et dans une grande partie de l'Europe
(Autriche, Allemagne, Pologne, Suisse, pays scandinaves, etc.). Elle se caractérise par un usage
important de la logique mathématique et plus généralement par une grande attention portée
au langage comme source d'illusions et de paralogismes, et ce, pour éclairer les grandes
questions philosophiques.
Emman-
uel Kant
1724-1804
Rudolf
Carnap
1891-1970
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Contexte de parution
C'est en réaction contre l'idéalisme issu des grandes philosophies post-
kantiennes, alors dominantes dans le monde germanique, que s'est
formé à Vienne, dans les années 30, par la rencontre de quelques
savants et philosophes d'un exceptionnel talent, le Wiener Kreis
(Cercle de Vienne).
En présence des progrès éclatants de la physique entre 1905 et 1930,
comparés au déroulement incertain de la philosophie contemporaine,
ils estiment que l'âge scientifique n'a pas la philosophie qu'il mérite [12].
Nous sommes dans les années de crise de la physique classique,
ébranlée d'abord par la théorie de la relativité, puis la naissance de la
mécanique quantique. Du point de vue philosophique, il se produit une
irruption (entrée soudaine) de courants irrationalistes (relativistes),
contre lesquels s'élève le Cercle.
Vienne est une ville culturellement et scientifiquement en pointe. Le
Cercle qui se forme se compose de philosophes qui sont en même
temps des scientifiques actifs. Ils ont pour projet de réfléchir sur le
fondement et la nature de la connaissance scientifique, avec pour mot
d'ordre l'éviction de la métaphysique. Ils veulent également fonder une
philosophie rationnelle connectée avec l'avancée des sciences [26].
Les membres les plus centraux de l’empirisme logique furent Rudolf
Carnap, Hans Hahn (mathématicien et philosophe autrichien), Otto
Neurath (philosophe, sociologue, économiste autrichien), Moritz Schlick
(philosophe allemand).
Participèrent également aux travaux H. Reichenbach (philosophe de
sciences allemand), P. Frank (physicien, mathématicien et philosophe australien),
A. Tarski (logicien et un philosophe polonais), K. Popper (philosophe de sciences
autrichien), K. Menger (mathématicien autrichien), K. Gödel (logicien et
mathématicien austro-américain), W. Quine (philosophe et logicien américain) et
L. Wittgenstein [26-31].
Cependant, aucune orthodoxie véritable ne lie les membres du groupe
viennois qui, dès 1931, commence à essaimer avec R. Carnap et P.
Frank, nommés à l'université de Prague pour occuper respectivement
une chaire de philosophie des sciences de la nature et une chaire de
Hans
Hahn
1879-1934
Otto
Neurath
1882-1945
Moritz
Schlick
1882-1936
Hans
Reichen-
bach
1891-1953
Philip
Frank
1884-1966
Alfred
Tarski
1901-1983
Karl
Popper
1902-1994
Karl
Menger
1902-1985
Kurt
Gödel
1906-1978
Willard
Van
Orman
Quine
1908-2000
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physique. Sur un autre plan, les représentants du Cercle (Neurath,
Menger, Gödel…) se sont éparpillés pour avoir part aux congrès
internationaux, ayant pour thème l'« unité de la science3
», tenus à
Paris, aux Etats-Unis et en Angleterre [12].
Le point de départ de l'empirisme logique revient véritablement au
premier grand ouvrage systématique publié par Rudolf Carnap : "Der
logische Aufbau der Welt", en français "La construction logique du
monde" (1928). Dans ce livre, Carnap continuait le projet de Bertrand
Russell de fonder toutes les connaissances sur la logique et un langage
phénoméniste. Il s'efforce ainsi d'élaborer un système hiérarchique de
tous les concepts scientifiques afin de démontrer l'unité fondamentale
de toute la science [32-18].
Le Cercle se réunira de 1929 jusqu'à 1936, date de l'assassinat de
Moritz Schlick, par un étudiant nazi. Par la suite, la plupart de ses
membres émigrèrent pour fuir le nazisme [26].
En fait, c’est à partir de l’an 1924 qu’un cercle de discussion
philosophique se réunit tous les jeudis soir autour de Moritz Schlick
pour discuter de questions relevant de la philosophie des sciences, de
la logique et des mathématiques.
Ce cercle, qu’on appela le Schlicks Kreis, c’est-à-dire le « Cercle de
Schlick », où Schlick faisait figure de primus inter pares (président) et
qui compta dans sa période la plus active moins de vingt membres
réguliers plus quelques sympathisants et des visiteurs occasionnels, fut
le véritable creuset de l’empirisme logique.
3 Cf. projet d’unité des sciences, pp. 32-35.
Au cours des douze années qui suivirent, de nombreux philosophes,
mathématiciens et scientifiques aujourd’hui célèbres (entre autres Otto
Neurath, Rudolf Carnap…) participèrent aux réunions de ce groupe de
discussion [31].
À la même époque, à Berlin, des sympathisants se regroupent autour
de Hans Reichenbach et de la Gesellschaft für Empirische Philosophie
(Société pour la philosophie empirique). Fondée en 1928, celle-ci
accueillit Carl Gustav Hempel (philosophe de sciences allemand), Richard Von
Mises (savant/ingénieur autrichien en mécanique des fluides, aérodynamique,
aéronautique ainsi qu'en statistique et en théorie des probabilités), David Hilbert
(mathématicien allemand) et Kurt Grelling (logicien et philosophe allemand) [8].
Carl
Gustav
Hempel
1905-1997
Richard
Von
Mises
1883-1953
David
Hilbert
1862-1943
Kurt
Grelling
1886-1942
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Positivisme logique VS Positivisme
Le positivisme logique se distingue du positivisme comtien, celui
d’Auguste Comte, par deux aspects :
❑ La dimension « logique » : d’abord, la principale nouveauté du
Cercle de Vienne consiste dans son usage de la logique développée
par Frege (mathématicien, logicien, philosophe allemand) et Russell (mathématicien,
logicien, philosophe, épistémologue, homme politique et moraliste anglais), et ce, pour
l'étude des problèmes scientifiques [8]. D’ailleurs, Carnap a suivi les
cours que donnait Frege à Léna4
[13].
La conception de la philosophie est ainsi radicalement modifiée, pour
se concentrer sur l'épistémologie et la philosophie des sciences : tout
le reste ne serait que des faux problèmes pour lesquels on ne peut
attendre aucune solution scientifique.
Autrement dit, la philosophie doit être la « logique de la science »,
c'est-à-dire examiner les théories scientifiques, et en dégager les
4 Grande ville industrielle et universitaire située en Allemagne.
relations logiques. Elle doit, à ce titre, montrer comment le langage
d'observation constitué par les « propositions protocolaires », voire
les « énoncés observationnels », fournit les prémisses sur lesquelles
on peut déduire les propositions scientifiques ou celles théoriques,
proprement dites [8]. C'est avant tout de Ludwig Wittgenstein, du
"Tractatus logico-philosophicus" (1921), que les néopositivistes
reçoivent sur ce point l'héritage.
Pour ce philosophe, le langage est l'image du monde, et la science n'est
rien d'autre que l'ensemble des propositions qui le décrivent. Chacune
de ces propositions est l'image d'un « fait », qui s'analyse par liaisons
entre faits élémentaires, ou « états de choses », à chacun desquels
correspond une proposition élémentaire5
qui en est l'image et qui
consiste en l'association d'un prédicat et des noms qui s'y rapportent.
Ainsi, la logique, étant l'aspect à priori de connaissance scientifique, se
réduit à l'ensemble des contraintes qui règlent l'usage des prédicats et
5 Cf. pp. 21-23.
Gottlob
Frege
1848-1925
Bertrand
Russell
1872-1970
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celui des liaisons propositionnelles. La logique n'est rien d'autre qu'une
« grammaire » de la langue qui décrit le monde [12].
Certes, le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein réfléchit à partir
de la pensée de Russell, et sa première philosophie (celle du "Tractatus
logico-philosophicus") influença les idées du Cercle de Vienne, d'où
émergea le positivisme logique dans les années 1920 et 1930 [29]
même si Wittgenstein considérait que les néopositivistes commettaient
de graves contresens sur la signification de sa pensée [22].
❑ L’empirisme : ensuite, le positivisme logique se distingue de celui
de Comte par son empirisme.
Chez ce dernier en effet, l'expérience sensible est très largement
déterminée par les théories dont nous disposons en vue de la
comprendre et n'a aucune priorité, alors que l’empirisme logique
considère que la sensation est le fondement de la connaissance, et ce,
dans la continuation de l'empirisme de John Locke (philosophe anglais) et
David Hume (philosophe, économiste et historien britannique) [8].
Les néopositivistes proclament leur attachement à l'empirisme. Ainsi,
ils entendent mener jusqu’au bout les implications de l’empirisme
anglais [3], c'est-à-dire attribuer à l'expérience tout le contenu de
notre savoir.
L'expérience, en tant qu'elle se résout en sensations, telle est, pour les
néo-positivistes, la source unique du contenu de nos connaissances. Il
n'y a pas de jugements synthétiques à priori : toute proposition valide
à priori est analytique6
, c'est-à-dire que sa vérité ne dépend que des
propriétés du langage [12].
Les sensations sont absolument indubitables et peuvent donc, une fois
formulées dans un langage précis, servir à créer des théories
scientifiques. Les sensations doivent prendre la forme d'énoncés
protocolaires décrivant qu'une certaine sensation a été ressentie à tel
lieu et tel moment par telle personne.
Les propositions protocolaires étant absolument vraies, la science n'a
plus qu'à comprendre les relations entre eux pour obtenir une théorie
complète de la réalité physique. En cela, Ernst Mach est le véritable
précurseur du Cercle de Vienne, car il défendait déjà l'idée selon
laquelle le concept de réalité objective n'était pas utile en science. La
science ne ferait selon lui qu'organiser de façon rationnelle et précise
les relations entre nos sensations [8].
→ Le Cercle de Vienne défendait l'adoption d'une attitude
empiriste et positiviste associée à la logique. C'est pourquoi on
parle de positivisme logique ou d'empirisme logique [26].
6 Cf. pp. 18-19.
John
Locke
1632-1704
David
Hume
1711-1776
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Thèses principales
La thèse capitale de l'empirisme logique est que toute connaissance
scientifique doit venir soit de l'expérience soit d'une vérité
logique ou mathématique [26].
À l’origine, le Cercle de Vienne est l'auteur d'un manifeste intitulé : "La
Conception scientifique du monde : Le Cercle de Vienne" où il
expose ses thèses principales [23].
Le manifeste est un texte historique et programmatique signé par
Carnap, Hans Hahn et Otto Neurath. À noter qu’Herbert Feigl (philosophe
autrichien) y participa également.
Publié en 1929, ledit manuscrit décrit les missions philosophiques,
scientifiques et politiques de la conception scientifique du monde
adoptée par les membres du Cercle de Vienne. Mais, déjà un an plus
tôt, Carnap avait publié "Der Logische Aufbau der Welt" en 1928 [23-17].
Par ailleurs, Alfred J. Ayer (philosophe, logicien et éthicien britannique) a
résumé les grandes thèses du positivisme logique, dans son œuvre
"Langage, Vérité et Logique" (1936) [8].
En premier lieu, les néo-positivistes voulaient rapprocher la
philosophie et la science, en exorcisant de faux problèmes, qu'ils
dénoncent sous le nom de métaphysique [12].
En fait, d’après le Cercle, l’analyse des énoncés permet de faire
apparaître une démarcation entre7
:
1. Les énoncés qui portent sur des données empiriques dits
« pourvus de sens » ;
2. Les énoncés logiques et mathématiques qualifiés de « vides de
sens » ;
7 Cf. pp. 17-21.
Herbert
Feigl
1902-1988
Alfred
Jules Ayer
1910-1989
1. Avant tout : Philosophie & Métaphysique
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3. Et les énoncés dits « dépourvus de signification », parce qu'ils
ne portent sur rien d'empiriquement constatable. Ceux-ci sont
qualifiés de "métaphysiques" (car ils portent sur des sujets
traditionnellement considérés comme tels) [36-26].
Ceci dit, d’après le positivisme logique, le sens d'une proposition est
réduit à sa signification cognitive, autrement dit à la valeur de vérité de
celle-ci ; une proposition qui n'est ni vraie ni fausse est, selon le Cercle
de Vienne, dépourvue de signification.
C'est en ce sens que le positivisme affirme que les énoncés poétiques
ou métaphysiques sont des énoncés sur le langage, et non sur le
monde : ils n'ont pas de valeur de vérité, celle-ci dépendant d'une
correspondance avec les faits empiriques [36].
Dès lors, les énoncés éthiques/métaphysiques sont, en tant qu'énoncés
prescriptifs et non descriptifs et vérifiables. Le positivisme logique est
ainsi à l'origine de la dichotomie tranchée entre les « faits » et les
« valeurs » (reprise par le positivisme juridique), qui a été par la suite
partiellement remise en cause [8].
En réalité, il y a plusieurs manières de concevoir cette distinction entre
jugements de faits et de celui de valeur… Ainsi, on peut, comme le
positivisme logique (Carnap, Ayer), la considérer entant que dichotomie
: il y aurait d'un côté les jugements de fait, descriptifs et objectifs, et
de l'autre ceux de valeur, prescriptifs, voire subjectifs.
Partant, les énoncés scientifiques correspondraient à des jugements de
fait, et les énoncés éthiques ou métaphysiques à des jugements de
valeur.
Toutefois, on peut atténuer cette dichotomie, en ne parlant plus que
d'une distinction des faits et des valeurs : c'est la perspective prise par
Hilary Putnam (philosophe américain), pour qui les faits et les valeurs sont
imbriqués l'un dans l'autre. Dès lors, pour Putnam (2002), la distinction
fait-valeurs ne recoupe plus la distinction objectivité/subjectivité.
Putnam s'appuie en particulier sur l'exemple des « concepts éthiques
épais » (thick ethical concepts), qui mélangent les aspects descriptifs et
ceux prescriptifs [19].
Pour Carnap, désireux d'éliminer la métaphysique, « les métaphysiciens
sont des musiciens sans talent musical. » et les termes métaphysiques
sont dénués de sens [39].
La métaphysique, qui prétend donner des jugements synthétiques à
priori au sein du langage ordinaire, est donc sans fondement. Cette
dernière s'expliquerait par deux types d'erreurs [26] :
1. D’une part l'usage du langage ordinaire ;
2. D'autre part la supposition d’une connaissance possible par la
seule pensée, sans l'aide d'aucune donnée empirique. Cela vise
directement la possibilité de jugements synthétiques à priori. La
pensée abstraite ne serait capable que de jugements analytiques,
passant par déduction d'un énoncé à un autre sans pouvoir rien
y ajouter.
La métaphysique traditionnelle traite de pseudo-questions, les
questions authentiques étant traitées par les sciences. En effet, la
métaphysique porte soit sur des mots mal éclaircis, sur des
propositions non vérifiables, ou encore sur des propositions pseudo-
Hilary
Whitehall
Putnam
1926
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syntaxiques. L’analyse logique bien menée permet de mettre fin à la
métaphysique et de la dépasser. La métaphysique demeure dans
l’incommunicable, dans l’inexprimable [3].
En 1931, dans "Le Dépassement de la métaphysique par l'analyse
logique du langage", Rudolf Carnap argumente au nom des exigences
de la syntaxe logique du langage.
Les énoncés métaphysiques, pour lui, ne sont ni vrais ni même faux : ils
pêchent contre les règles de la syntaxe et constituent des « simili-
énoncés » (Scheinsätze) dépourvus de sens.
Carnap s'en prend à l'ouvrage de Martin Heidegger (philosophe allemand)
"Qu'est-ce que la métaphysique ?" (1929) en montrant par quelles
opérations des énoncés doués de sens peuvent, via un usage
syntaxiquement déviant de termes tels que « rien », se transformer en
phrases qu'il est impossible de traduire en une langue symbolique
correcte, et qui sont donc dénués de sens « le néant néantise » (das
nichts nichtet) [17].
Dans le même sens, cette fois-ci dans sa "Logische Syntax der Sprache"
(1934), dit "Syntaxe logique du langage" en français, Carnap veut
montrer que les questions métaphysiques traditionnelles sont de
pseudo-questions, dans la mesure où leur mystère repose sur la
confusion et le mélange entre des expressions se référant aux objets
du monde et des expressions se référant aux propriétés mêmes du
langage.
De telles pseudo-propositions apparaissent notamment lorsqu'on
énonce des propriétés syntaxiques d'un certain langage comme s'il
s'agissait de propriétés d'objets réels. Par exemple, dire, avec
Wittgenstein, que « le monde est la totalité des faits, non des choses » doit
être correctement traduit par la proposition de syntaxe : « la science
est un système de propositions et non pas un ensemble de noms. » [12].
Contrairement à une opinion reçue, tous les énoncés métaphysiques
ne sont donc pas absurdes (c.-à-d. dépourvus de sens) pour
l’empirisme logique.
Ainsi, Rudolf Carnap voit qu'un énoncé métaphysique et apparemment
ontologique8
tel que « le monde se compose de données sensorielles. » ou
« le monde est composé de choses matérielles. » n'est pas absurde ; il
donne seulement l'illusion de donner une information sur le monde,
alors qu'il exprime en fait une préférence linguistique.
En d'autres termes, ces énoncés métaphysiques sont des énoncés sur
le langage, thèse qui informe une grande partie de la philosophie
analytique [36].
La métaphysique se révèle comme expression inadéquate de la
situation de l'homme à l'égard de la vie, d'une « vision du monde ». Il
ne reste plus de la philosophie qu'une logique de la science, c'est-à-dire
une « syntaxe logique du langage de la science », conviendra
Carnap, qui dira plus tard, sous l’influence de David Hilbert et d'Alfred
Tarski, que la philosophie est une métathéorie générale de la
science, à la fois syntaxique et sémantique9
.
8 Ontologie : partie de la philosophie dont l’objet est l'étude des propriétés les plus
générales de l'être, telles que l'existence, la possibilité, la durée, le devenir.
9 Au sujet de la « syntaxe logique du langage » et de la relation syntaxe/sémantique, Cf. pp. 23-
27.
Martin
Heidegger
1889-1976
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La philosophie comme analyse du langage n'est donc pas le point de
vue de tous les néo-positivistes, et en particulier de Carnap, qui vise à
faire de la philosophie une science parmi les sciences. L'influence
reconnue de Tarski et Hilbert l'avait conduit à chercher une exposition
strictement formelle et exacte, à l'instar des sciences objectives [12].
Un autre point de vue fait de la philosophie une connaissance
rigoureuse pour autant qu’elle prend pour thème le discours
scientifique. Elle a pour tâche d’élucider les propositions scientifiques
que la science a pour tâche d’établir.
Là-dessus plane Wittgenstein qui n’ira pas jusqu’à dire que la
philosophie est une science rigoureuse. La philosophie, au sens du
"Tractatus", ne peut pas être caractérisée à titre de science en tant que
représentation du monde [3].
La première thèse porte sur le langage [26]. Ce dernier, dit
Wittgenstein, est « la totalité des propositions. ». Et la proposition elle-
même est « une fonction de vérité des propositions élémentaires. ».
Cela veut dire qu'en dehors des propositions élémentaires, toute
proposition est le résultat d'une construction à partir des propositions
élémentaires [34].
De surcroit, à l'époque de "Principia Mathematica" (1910-1913, de
Russell et Whitehead), et du "Tractatus", la notion ď « analyse »
appliquée au langage voulait dire la résolution ou la réduction de
propositions complexes en termes de propositions simples ou
propositions élémentaires.
C'est ainsi que lorsque Russell et Whitehead (philosophe, logicien et
mathématicien britannique) parlent du langage, ils utilisent la notion ď « un
ensemble de propositions. », et que, lorsqu'ils parlent d'une proposition
complexe, ils considèrent une telle proposition comme étant
constituée de propositions élémentaires, voire, disent-ils, « une fonction
ayant des propositions comme arguments. ».
Plus tard, sous l'influence du "Tractatus", lorsqu'ils écrivirent une
seconde introduction pour la 2ème
édition de "Principia Mathematica"
(1925), ils s'y exprimèrent d'une manière encore plus précise : « Notre
système commence avec des "propositions atomiques". ».
Bref, le langage ordinaire est considéré comme trompeur et imprécis
du point de vue de l’empirisme logique. Il faudrait dans le domaine
philosophique et scientifique utiliser un langage précis fondé sur des
évidences empiriques.
Chaque proposition de base, élémentaire, devrait correspondre à un
fait empiriquement avéré. C'est ce qui constituerait le sens de la
proposition [26]. Désormais, plusieurs termes nécessitent d’être
clarifiés. On verra de la sorte :
1. Qu’est-ce qu’une proposition ?
2. Qu’elles sont les propositions relatives aux théories
scientifiques ?
3. Qu’est-ce qu’une proposition élémentaire ?
2. Langage & Analyse du langage
Alfred
North
Whitehe-
ad
1861-1947
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2.1. Qu’est-ce qu’une proposition ?
Frege et Russel ont développé la logique propositionnelle. Qu'est-ce
qu'une proposition ? En première approximation, il s'agit d'une phrase.
Néanmoins toute phrase n'est pas une proposition. Un ordre : « Il faut
aller te coucher » ou une question : « D'où viens-tu ? » ne sont pas des
propositions car elles ne peuvent être considérées comme vraies ou
fausses.
De plus, une phrase comme : « Si je deviens riche, alors je m'achèterai un
château » est formée de deux propositions : « Je deviens riche » et « Je
m'achèterai un château » reliée par un lien de connexion : « si… alors. ».
Une proposition est donc un énoncé capable d'autonomie
grammaticale. « Brutus tua César » et « Brutus occidit Caesarem » sont
deux phrases différentes mais non deux propositions différentes du
moment qu’elles ont exactement le même sens. Une proposition est
donc considérée selon sa signification et non comme un ensemble de
sons [41].
Mais dans le langage, il y a aussi des propositions complexes telles que
les négations, les conjonctions, les disjonctions, etc. Ces propositions
contiennent des expressions – les « constantes logiques » comme
« ne pas », « et », « ou », etc. – qui, d’après Bertrand Russell, signifiaient
des « objets logiques ».
Pour Wittgenstein, au contraire, les constantes logiques n’ont pas de
valeur désignative : il n’y a rien au monde qui corresponde au signe de
négation ou de conjonction. Les constantes logiques ont pour seule
fonction de déterminer de quelle manière le sens d’une proposition
complexe où elles apparaissent, dépend du sens des propositions plus
simples dont elle est constituée.
Le sens de chaque proposition complexe dépend de la sorte (pour
Ludwig Wittgenstein comme pour Frege) du sens des propositions
élémentaires dont elle est constituée.
Si nous avons affaire à une proposition sensée, nous devons être en
mesure de calculer pour quelles valeurs de vérité des constituants
élémentaires la proposition est vraie et pour lesquelles elle est fausse.
En principe, toute proposition sensée doit présenter (i) les
propositions élémentaires dont dépend sa valeur de vérité, et (ii)
comment elle en dépend.
De fait, les deux aspects peuvent être plus ou moins « masqués » par
la forme grammaticale superficielle de la proposition. C’est alors à
l’analyse logique de reconstruire la proposition de manière à ce que
l’on voit que sa valeur de vérité dépend des valeurs de vérité des
propositions élémentaires dont elle est constituée.
Ludwig Wittgenstein accepte donc l’idée russellienne d’analyse ainsi que
la distinction entre forme grammaticale et forme logique sur laquelle
elle est fondée.
De la sorte, il deviendrait évident que ce que la proposition exprime
est une dépendance déterminée des valeurs de vérité possibles de ses
constituants élémentaires. Et puisque ce qu’une proposition exprime,
c’est son sens, il est correct de dire que le sens d’une proposition ce
sont ses conditions de vérité.
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Les propositions de la logique10
donc se distinguent de toutes les
autres parce qu’elles sont vraies quel que soit l’état des choses : leur
vérité est indépendante des faits du monde, et donc elle peut être
déterminée sans que celles-ci soient confrontées au monde,
contrairement à ce qui se passe avec les autres propositions. Elles
n’ont alors aucun contenu représentationnel : ce ne sont pas des
images de la réalité, elles ne traitent de rien, ne disent rien [5].
2.2. Propositions relatives aux théories scientifiques
On se positionne à cet égard au stade de la théorie vérificationniste
du Cercle de Vienne. Dans sa formulation la plus simple, ladite
théorie affirme qu'un énoncé n'a de signification cognitive, voire n'est
susceptible d'être vrai ou faux, que s'il est vérifiable par l'expérience.
Les autres énoncés sont soit analytiques, et « vides de sens » (sinnlos),
soit synthétiques mais non vérifiables par l'expérience, c’est-à-dire
« absurdes » (unsinnig). Cette distinction entre sinnlos et unsinnig vient
du "Tractatus" de Wittgenstein, qui influença remarquablement le
programme du Cercle de Vienne [36].
Il importe de noter que le "Tractatus logico-philosophicus" est un ouvrage
très court (environ 70 pages) mais déconcertant car il se présente
sous forme d'une suite d'aphorismes (7 aphorismes principaux,
numérotés de 1 à 7). Il s'agit de répondre à la question "Que peut-on
exprimer ?".
10 Cf. pp. 18-19.
Wittgenstein y montre que le seul usage correct du langage consiste à
exprimer les faits du monde et que les règles à priori de ce langage
constituent la logique (celle issue de Frege et de Russell) [41].
Le "Tractatus" est discuté, critiqué et a énormément influencé le Cercle
de Vienne. Wittgenstein se voit attribuer le principe de vérifiabilité :
sens des propositions ayant un contenu empirique [3] ; il cherche à
déterminer les limites de ce qui peut se dire de façon sensée.
Wittgenstein différencie donc les propositions sensées de celles qui ne
le sont pas. Il distingue trois types d'énoncés [37] :
1. Les propositions sensées, ou pourvues de sens (sinnvoll) ;
2. Les propositions insensées, ou dépourvues de sens (unsinnig) ;
3. Les propositions hors du sens, ou vides de sens (sinnlos).
Seule la première catégorie inclut des « propositions » strictement
dites. Les 2 autres catégories ne comprennent que des « pseudo-
propositions » [37] :
❑ Pourvu de sens : pour le "Tractatus" de Wittgenstein, les
propositions sensées répondent à un critère de vérifiabilité. Il ne s'agit
pas là de la possibilité effective de vérifier un énoncé ou de la
connaissance d'une méthode qui permettrait de le vérifier. Vérifiabilité
a ici un sens faible. Une proposition a un sens si on peut concevoir
qu'elle soit vérifiée : il n'y a même pas besoin de disposer des
conditions d'une vérification théorique.
❑ Vide de sens et non-sens : les énoncés qui ne sont pas sensés sont
des pseudo-énoncés, mais être un pseudo-énoncé n'est pas équivalent
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à être insensé. De façon assez surprenante, le "Tractatus" ne fait pas
coïncider « ce qui n'est pas sensé » avec « ce qui est insensé » ;
lorsqu'une expression n'a pas de sens elle n'est pas forcément un non-
sens. Les deux catégories correspondent à des éléments très
différents, mais la traduction peut parfois induire en erreur.
Granger (épistémologue et philosophe rationaliste français) par exemple [37],
qui a publié en 1972 une traduction en français du "Tractatus logico-
philosophicus", traduit unsinnig « dépourvu de sens » et sinnlos « vide
de sens ». Ces deux expressions peuvent être proches en français,
alors que les notions d'unsinnig et sinnlos que définit Wittgenstein ne se
recoupent pas du tout.
Ce dernier établit une différence entre les pseudo-propositions [37] et
on a :
1. Sinnlos / Vide de sense, qui ne sont même pas dans le domaine
du sens. Les propositions vides de sens, ou hors du sens, sont
des propositions formelles. Elles n'ont aucun contenu et ne
prétendent pas donner d'information. Wittgenstein pense aux
expressions de la logique et des mathématiques (ce qu’on
appellera « propositions analytiques ») ;
2. Unsinnig / Non-sens, qui sont dans le non-sens, c'est-à-dire
insensées. Ce sont des énoncés qui croient dire des choses sur
le réel alors même qu'ils ne le font pas, et surtout qu'ils ne le
peuvent pas. Les critères du sens posés par le "Tractatus"
rejettent tout énoncé qui ne décrit pas des faits du domaine du
sens. Le non-sens ne s'identifie pourtant pas à l'absurde. Ce n'est
pas parce qu'une proposition est insensée que ce dont elle tente
de parler est sans importance.
Ce que Wittgenstein appelle non-sens recouvre un grand nombre
de propositions hétéroclites. On pourra trouver parmi elles les
énoncés métaphysiques (nous avons déjà vu que les propositions
de la métaphysique sont insensées), mais aussi les énoncés
éthiques et esthétiques, qui jouissent d'un statut très particulier.
Le cas des énoncés philosophiques sera abordé à part, mais il est
clair que la philosophie ne produit elle aussi que des pseudo-
propositions.
L'empirisme logique divise les énoncés des théories scientifiques en
« expressions logiques » et « expressions descriptives » [36]. Les
premières renvoient au statut « vide de sens », les deuxièmes sont de
la catégorie « pourvu de sens » comme suit :
❑ Les propositions logiques et celles mathématiques sont des
propositions analytiques : elles rassemblent les connecteurs logiques
et les quantificateurs et sont partagés par toutes les sciences. Les
énoncés analytiques n'apprennent rien sur le monde, et sont vrais ou
fausses de par la signification des termes qui les composent (par validité
interne indépendamment du monde). Ce sont des propositions sinnlos
et non pas unsinnig, non pas « absurdes », mais « vides de sens » [36].
Les conditions de vérité de ces propositions dépendent des seules
relations logiques entre les mots. Par conséquent elles sont
déterminées dès lors qu’on connaît les règles linguistiques qui
gouvernent les énoncés.
Gilles
Gaston
Granger
1920
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Schlick stipule dans "Sur le fondement de la connaissance" (1935) :
« La validité des propositions analytiques ne soulève aucune contribution à
leur exactitude, simplement parce qu’ils n’expriment, comme tel, rien des
objets d’expérience. Il ne leur appartient de ce fait que la « vérité formelle »,
ne tenant nullement à l’exactitude avec laquelle ils expriment quelque chose
sur le monde, mais tenant uniquement à ce qu’ils sont correctement
présentés dans leur forme, c’est-à-dire en parfaite concordance avec nos
définitions arbitrairement posées. ».
La phrase analytique est une proposition non métaphysique, vide de
tout contenu factuel, elle n’apporte pas de connaissance nouvelle. Ces
énoncés analytiques sont des tautologies. Une proposition est soit
analytique et est à priori, soit elle est synthétique et, par conséquent, à
posteriori [3].
❑ Les propositions descriptives ou empiriques11
sont dites
synthétiques : celles-ci sont spécifiques à chaque science (par exemple
le concept de « force », d'« électron » ou de « molécule ») [36]. Ces
propositions portent sur le monde et ne sont vraies que si elles
correspondent au monde. Cette correspondance est justement leur
"signification" [26].
Pour qu'un énoncé synthétique ait un sens, il faut donc qu'il porte sur
un fait empirique observable. S'il n'est pas vérifiable via l'expérience,
alors c'est soit de la pseudo-science (para-science), soit de la
métaphysique [36]. Dans ce cas, on parle de proposition non vérifiable
par l'expérience, et donc « absurde » (unsinnig).
11 L’appellation « empirique » est tirée de : http://www.implications-
philosophiques.org/actualite/une/l%E2%80%99heritage-wittgensteinien-du-tractatus-et-le-
neopositivisme-de-schlick-et-carnap/
Les propositions synthétiques sont donc les énoncés dont la
signification exige l’expérience. L’empirisme prône d’interpréter cette
signification comme factuelle par relation de symbolisation à un fait.
Cette thèse qui fait état d’un référent extra-linguistique en matière de
la détermination de la signification cognitive exclut la possibilité de fait
transcendantal12
. Ni la vérité ni la fausseté d’un tel énoncé ne peuvent
s’établir sur une base purement linguistique. Seul le recours à un
facteur non linguistique, mais empirique, permet de le caractériser.
La thèse révèle une doctrine de la signification ajoutée à l’idée forte de
l’empirisme, à savoir que toute connaissance vient de l’expérience et
que l’expérience seule permet de déterminer la vérité d’un énoncé.
On en arrive ainsi à l’énoncé du principe de l’empirisme, à l’énoncé des
critères de signification et de vérifiabilité formulés par Carnap13
.
La signification d’un énoncé synthétique réside dans le fait qu’il
exprime un état de choses concevable. Si un énoncé n’exprime pas un
état de choses concevable, il n’a pas de sens. Il n’est un énoncé qu’en
apparence. S’il exprime un état de choses concevable, alors il est de
toute façon signifiant ; vrai si l’état de choses existe, faux si l’état de
choses n’existe pas.
12 L’adjectif transcendantal renvoie ici à ce qui est purement rationnel, qui se fonde sur des
données à priori. En fait, « transcendantal » est un terme fondamental pour la philosophie
moderne et dont le succès vient de l’importance que lui donna d’abord Kant et ensuite
Edmund Husserl.
13 Cf. pp. 35-41.
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Carnap établit une équivalence logique entre un énoncé significatif et
un état de choses concevable. Signifier veut dire décrire l’état de
choses qui devra exister, si l’énoncé est vrai.
Les positivistes logiques réfléchissent sur la signification en termes de
vérification. L’énoncé synthétique est pourvu de sens si sont
stipulées les conditions de sa vérification, c’est-à-dire si l’on est en
mesure de décrire l’ensemble des expériences dont l’exécution
entraînerait sa vérification [3].
Il est vrai qu'un philosophe pourtant proche par ses origines du néo-
positivisme, Willard Van Orman Quine, a poussé si loin la critique du
langage que la distinction entre analytique et synthétique s'estompe, et
que son empirisme tend vers un pragmatisme. Mais c'est là un exemple
des voies divergentes qu'autorise l'attitude néo-positiviste et la
distinction de l'apport analytique du langage et de celui synthétique de
la sensation demeure caractéristique de cette attitude [12].
Les propositions descriptives ou synthétiques eux-mêmes se divisent
en « langage observationnel » et en « langage théorique » [36] :
Le langage observationnel désigne les entités publiquement
observables (c'est-à-dire observables à vue nue, par exemple une
« chaise ») ;
Tandis que le langage théorique comporte des termes
désignant des entités non observables (ou plus difficilement
observables, comme un « proton »).
En fait, au moyen de la conception vérificationniste de la vérification, il
est possible d’établir une distinction entre les énoncés observationnels
et ceux théoriques. Pour cette raison, le langage de la science peut
être partitionné en 2 sous-ensembles disjoints : énoncés
observationnels et énoncés théoriques, de sorte que [28] :
Aucun énoncé observationnel ne dérive son sens et sa
confirmation de celui d’un ou d’un ensemble d’énoncés
théoriques ;
Tous les énoncés théoriques dérivent leur sens et leur
confirmation de celui d’un ou d’un ensemble d’énoncés
observationnels.
De par cette distinction entre « énoncés descriptifs
observationnels » et « énoncés descriptifs théoriques », la théorie
vérificationniste de la signification en arrive à postuler qu'« un énoncé a
une signification cognitive (autrement dit, fait une assertion vraie ou fausse)
si et seulement s'il n'est pas analytique ou contradictoire et s'il est
logiquement déductible d'une classe finie d'énoncés observables. » [36].
Dit autrement, l’empirisme logique développe cette double exigence
de vérifier le langage par l'analyse logique (détecter les contradictions
et les tautologies) et par le renvoi éventuel à un objet singulier et
immédiat de l'expérience (critère « vérificationniste »14
) [4].
Toutes les théories scientifiques pourraient se ramener à des systèmes
explicatifs de type logicomathématiques, voire aussi à des propositions
élémentaires empiriques. Les premières sont les "explications" et les
secondes la "justification" de la théorie explicative.
14 Cf. plus de détails au sujet des critères vérificationnistes, pp. 35-41.
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Cela abouti à distinguer le "contexte de la découverte" (renvoyé du
côté des sociologues/psychologues) et le "contexte de la
justification" (la philosophie analytique propose à ce titre une analyse
normative de la justification et laisse de côté le contexte de la
découverte) [26].
Par ailleurs, le Cercle de Vienne partage une conception instrumentale
des théories scientifiques : celles-ci doivent permettre de faire des
prédictions observables, et non d'expliquer la réalité, c'est-à-dire de
donner des représentations (vraies ou fausses) de la réalité.
Conformément à la distinction, parmi les énoncés descriptifs, entre les
énoncés observationnels et ceux théoriques, les positivistes tentent de
« traduire le vocabulaire théorique au niveau du vocabulaire
observationnel », puisque seul celui-ci peut fournir un appui empirique
à la connaissance. Mais en 1936-1937, Carnap montre l'échec de ce
programme, dans un article intitulé "Testability and Meaning" [8].
2.3. Propositions élémentaires
Aux états de choses, des enchaînements d'objets simples,
correspondent des propositions élémentaires qui revendiquent
l'existence d'états de choses. Le monde peut être entièrement décrit
en répertoriant toutes les propositions élémentaires (qui renvoient au
langage observationnel) et en répertoriant ensuite celles d'entre elles
qui sont vraies et celles qui sont fausses. Le seul usage correct du
langage consiste à exprimer les faits du monde [41].
Selon le positivisme logique, les « énoncés de base » (ou propositions
élémentaires) sont les points de tangence du discours scientifique et
de la réalité empirique. À ce titre, ils garantissent l'objectivité et la
vérité de l'édifice de la science positive et lui assurent un ancrage dans
la réalité qui le distingue des systèmes métaphysiques et de ceux
pseudo-scientifiques [18].
Ces énoncés de base ou propositions les plus simples, que Wittgenstein
appelle propositions élémentaires15
[5] ont suscité de nombreuses
controverses. Parmi les questions le plus souvent abordées, on peut
mentionner les suivantes [10] :
L'aspect subjectif de l'expérience perceptive, fût-elle
d'observation. Les propositions élémentaires doivent-elles être
les descriptions des expériences privées du locuteur, ou
d'événements observables par tous ?
Ces énoncés sont-ils indubitables, irréfutables, ou falsifiables ?
Est-il même légitime d'admettre l'existence d'une classe
particulière de propositions à titre de propositions élémentaires ?
À cet égard, les énoncés protocolaires représentent une espèce dont
le genre serait ce qu'on appelle « propositions élémentaires », ou
« propositions de base » (basic statements). Parmi ces dernières, il
faudrait compter d'autres espèces, tels les « constats d'expériences »
(en allemand, « Konstatierungen ») de Schlick, qui se caractérisent par
l'usage des particuliers égocentriques (je, ici, maintenant), tandis que les
15 Russell parle, comme l’on a indiqué auparavant (Cf. p. 15) de « proposition atomique »
qui constitue pour lui la base de la logique. Elle est dite atomique parce que c'est « une
proposition qui ne contient qu'un seul verbe. » (ex : « Socrate est mortel », « Il pleut »). Cette
proposition simple est vraie ou fausse. Les propositions moléculaires (c.-à-d. complexes)
sont composées de plusieurs propositions atomiques liées par des mots qui ont une fonction
logique : « et », « si », « ou », « alors », etc. représentés par des symboles. Pour plus de
détails là-dessus, Cf. la notion d’« Atomisme logique » dans sa version russellien et
wittgensteinienne.
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énoncés protocolaires ont une expression objective (un tel, au lieu x, à
l'instant t).
On trouve chez Russell ("The Analysis of Mind", 1921 ; "An Inquiry into
Meaning and Truth", 1940) et chez Ayer ("Basic Propositions", 1950) des
conceptions différentes.
C'est autour des années trente que les néo-positivistes (membres du
Cercle de Vienne), Carnap et Neurath, donnent à l'expression d’énoncé
protocolaire un sens renouvelé et lui font désigner les propositions
qui, décrivant l'expérience immédiate, la perception d'un observateur,
sont considérées comme les éléments premiers de la connaissance et
de la science.
En 1931, Carnap semble admettre parmi les énoncés protocolaires
aussi bien « Vert ici maintenant », « Joie maintenant » que « Cercle vert
maintenant » ou « Une boule verte roule sur la table ». Neurath y ajoute la
mention du nom de l'observateur, par souci de communicabilité
intersubjective : « Énoncé protocolaire d'Otto, à 3h17 ⇌ pensée verbale
d'Otto, à 3h16 ⇌ dans la pièce, à 3h15, une table était perçue par Otto ».
Les énoncés protocolaires répondent à une triple préoccupation [10] :
1. En premier lieu, ils découlent de l'analyse faite par Wittgenstein
du langage scientifique dans le "Tractatus logico-philosophicus" en
1921 : le sens et la vérité d'une proposition complexe dépendent
de la vérité de ses constituants, ces derniers peuvent être
également complexes. L'analyse se termine lorsqu'on parvient à
des propositions élémentaires ultimes, c'est-à-dire, pour
Wittgenstein, à des agencements de noms qui représentent les
agencements possibles de choses simples, à des « tableaux
logiques d'états de choses élémentaires » (les énoncés
protocolaires peuvent donc être considérés, pour une part,
comme de tels tableaux logiques) ;
2. En deuxième lieu, ils répondent au souci de trouver un
fondement de la science : tout repose en définitive sur la vérité
ou la fausseté des propositions élémentaires. En 1934, M. Schlick
parle de la quête nécessaire d'une classe de propositions qui
fournissent le « fondement inébranlable et indubitable de toute
connaissance. » ;
3. Enfin, ils répondent au souci de fonder le principe de
vérifiabilité…
Dès lors, on sait que l’énoncé décrivant un état de choses concevable
est l’énoncé observationnel ou protocolaire. Les énoncés
protocolaires sont les réquisits ultimes de l’analyse. Les membres du
Cercle de Vienne sont unanimes pour les assimiler aux énoncés qui
touchent les données des sens et qui ne sont donc plus analysables.
Sur cette base, les positivistes logiques rangent les énoncés des
sciences parmi les discours pourvus de sens tandis qu’ils en excluent
les pseudo-énoncés métaphysiques, éthiques et théologiques.
Un tel critère est trop exigeant. Sous les critiques de Karl Popper,
Willard Quine et de John Austin (philosophe anglais), les positivistes logiques
vont affaiblir les critères de vérification empirique. Ils étendent le
statut cognitif de signifiance à toute proposition dont on peut
logiquement déduire une proposition empiriquement vérifiable.
John
Langshaw
Austin
1911-1960
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Si la vérification empirique, hic et nunc, est incertaine – puisqu’on n’est
pas assuré d’avoir spécifié tous les énoncés protocolaires se
rapportant à l’expérience originaire –, l’autre façon est d’envisager une
vérification en termes de logique.
C’est une possibilité logique, et non plus empirique, de l’énoncé lui-
même, donc une propriété interne dont l’examen fera apparaître à
partir de ses termes constitutifs des énoncés protocolaires précis. Si
ce n’est pas le cas, alors l’énoncé est considéré comme dépourvu de
signification cognitive [3].
De prime à bord, le statut de la logique ne fait pas l'unanimité dans le
Cercle de Vienne, et a été sujet de changements de vues. Ainsi, Schlick
défend une conception, proche de Wittgenstein, qui fait de la logique
une activité et non une théorie.
La logique ne pouvant rien dire de sensé, elle a seulement pour rôle de
donner des éclaircissements sur les propositions scientifiques. Partant,
la théorie vérificationniste de la vérité, qui est censée distinguer le sens
(propositions pourvues de sens) du non-sens (propositions absurdes),
serait elle-même un non-sens [8].
Wittgenstein a avancé l’idée que la logique doit être conçue comme la
grammaire16
qui décrit le monde. On est loin de George Boole (logicien,
mathématicien et philosophe britannique) qui conçoit la logique comme un
ensemble des lois de la pensée.
16 Ensemble des règles qui président à la correction, à la norme de la langue écrite ou parlée.
Il ne s’agit pas pareillement de la logique d’Aristote (philosophe, logicien et
scientifique grec) conçue comme une théorie des syllogismes17
où les
considérations logiques sont liées à l’ontologie. Ce n’est pas non plus
celle de Emmanuel Kant qui traite des règles universelles de
l’entendement [3].
Pour Carnap, certes la logique ne parle pas des objets du monde, mais
elle est bien une théorie, elle établit la syntaxe18
des propositions
scientifiques [8]. Chez les positivistes logiques, l’analyse du langage (qui
veut dire, comme l’on a vu, la réduction des propositions complexes
en termes de propositions élémentaires) est la seule voie d’accès à la
logique et, inversement, l’appareil de la logique symbolique est
l’instrument que le philosophe doit appliquer pour analyser et élucider
tout sorte d’énoncé, en particulier les énoncés des sciences.
La logique est le guide de l’analyse. Si, dans la connaissance scientifique,
l’apport empirique vient de l’observation, tout l’apport formel vient de
la logique du langage. La logique constitue l’aspect « à priori » de la
connaissance [3]. Là-dessus, Carnap ne s’y oppose pas (c'est-à-dire au
fait que la logique constitue l’aspect à priori de la connaissance), bien
qu’il introduit l’aspect syntaxique à l’analyse du langage, voire à la
logique. Il parle ainsi de « syntaxe logique du langage ».
17 Le syllogisme est un raisonnement logique à deux propositions (également appelées
prémisses) conduisant à une conclusion qu'Aristote a été le premier à formaliser. Par exemple,
« Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel » est un
syllogisme. La science des syllogismes est la syllogistique, à laquelle se sont intéressés les
penseurs de la scolastique médiévale, mais aussi Antoine Arnauld, Gottfried Leibniz, Emmanuel
Kant, et Émile Durkheim. Elle est l'ancêtre de la logique mathématique moderne et a été
enseignée jusqu'à la fin du XIXème siècle.
18 La syntaxe est, à l'origine, la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les mots se
combinent pour former des phrases ou des énoncés dans une langue. On distingue la syntaxe
qui concerne les expressions [les mots/le signifiant], de la sémantique qui concerne ce qui
est visé par les expressions [les choses/le signifié].
3. Logique & Syntaxe logique du langage
George
Boole
1815-1864
Aristote
384 av. J.-
C.- 322 av.
J.-C.
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Durant sa période praguoise (1931-1935) et dans le prolongement de
l'étude du langage de la métaphysique, Carnap avait entrepris un grand
travail sur la syntaxe logique du langage (1934) dans lequel il
systématise les méthodes formelles utilisées dans la recherche des
fondements en mathématique (Hilbert et Brouwer (mathématicien et
philosophe néerlandais), l'école polonaise).
Il y formule son « principe de tolérance » en matière de syntaxe
– c'est-à-dire de logique – : « En logique, il n'y a pas de morale ; chacun
peut construire sa forme de langage comme il l'entend. » [17-12].
Il vaut la peine de citer à ce propos ce que le logicien Rudolf Carnap
avait à dire sur ce sujet il y a presque neuf décennies dans son œuvre :
"The logical syntax of language" de 1937 :
« Par syntaxe logique d'un langage, nous entendons la théorie formelle des
formes linguistiques de ce langage, l'exposé systématique des règles
formelles qui le gouvernent, et le développement des conséquences qui
résultent de ces règles. (…) Selon l'opinion régnante, la syntaxe et la
logique, en dépit de quelques points de contact, sont fondamentalement des
théories d'un type très différent.
On suppose que la syntaxe d'un langage fixe les règles selon lesquelles les
structures linguistiques (ainsi, les phrases) doivent être formées à partir des
éléments (ainsi, les mots ou les parties de mots). On suppose, d'autre part,
que la tâche principale de la logique est de formuler les règles selon
lesquelles des jugements peuvent être inférés à partir d'autres jugements ;
en d'autres termes, les règles selon lesquelles des conclusions peuvent être
tirées de prémisses.
Mais, comme l'a montré son développement au cours des dix dernières
années, on ne peut atteindre quelque précision dans l'étude de la logique,
que lorsque celle-ci est fondée non sur des jugements (pensées, ou contenu
des pensées), mais plutôt sur des expressions linguistiques ; les plus
importantes parmi celles-ci étant les énoncés, parce qu'ils sont les seuls pour
lesquels il est possible de fixer des règles nettement définies.
(…) On y verra que la logique, elle aussi, doit s'occuper du traitement
formel des énoncés. Nous verrons que les caractéristiques logiques des
énoncés (par exemple, si un énoncé est analytique, synthétique, ou
contradictoire ; s'il est ou non un énoncé existentiel, etc.) et leurs relations
logiques (par exemple, si deux énoncés se contredisent ou sont compatibles,
etc. ; si l'un est ou non logiquement déductible d'un autre, etc.), dépendent
uniquement de la structure syntaxique des énoncés. De cette façon, la
logique deviendra une partie de la syntaxe, pourvu qu'on ait de celle-ci une
conception assez large, et qu'on la formule avec exactitude. » [1].
Carnap, le premier, avait donc développé une syntaxe logique, qu'il
considérait comme représentant à elle seule tout l'apport formel du
langage [12]. Convaincu finalement par les arguments physicalistes de
Neurath19
, Carnap essaya en 1934 dans sa "Logische Syntax der Sprache",
de construire des règles syntaxiques permettant d’éliminer du langage
ordinaire toutes les phrases contradictoires ou dépourvues de sens.
Le but étant d’arriver à exprimer le discours scientifique et les énoncés
protocolaires dans un langage tel que tout énoncé bien formé soit
automatiquement pourvu de signification. Dans cette tentative, Carnap
espérait déduire de la seule analyse syntaxique d’une proposition si elle
19 Cf. physicalisme de Neurath, pp. 28-35.
Luitzen
Egbertus
Jan
Brouwer
1881-1966
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est ou non pourvue de signification empirique. Il reconnut plus tard
dans son "Introduction to Semantics" qu’il est cependant impossible
pour y parvenir de se passer de considérations sémantiques [15].
De ce point de vue, il déterminait un langage au moyen des règles de
« formation » des énoncés propositionnels corrects, et au moyen des
règles de « transformation » permettant de passer d'une ou plusieurs
propositions à une proposition qui en est la conséquence.
R. Carnap construisait ainsi à titre d'exemple deux langages de richesse
croissante, dont le second seulement offrait la possibilité de
développer l'arithmétique et l'ensemble des mathématiques classiques :
la langue I est censée répondre aux exigences des intuitionnistes et
constructivistes tandis que la langue II permet d'exprimer la
mathématique classique et même la physique [17-12].
En effet, les critères de vérification empirique qui sont proprement
sémantiques supposent que les conditions syntaxiques aient été
respectées : « l’exigence première de la logique » est qu’« un mot doit
indiquer sa syntaxe, c’est-à-dire la forme de l’énoncé élémentaire dans lequel
il figure. ».
Où emprunter les critères formels ? On aura recours non seulement à
la grammaire ordinaire, mais aussi et surtout à la grammaire logique, à
la syntaxe logique du langage qui fournit les règles de formation des
bons énoncés et les règles de déductibilité d’énoncé à énoncé [3].
Au sujet de la distinction entre la syntaxe et la sémantique, Charles W.
Morris (sémioticien et philosophe américain), introduira une triple distinction,
devenue classique, dans cette analyse du langage à laquelle il donnera le
nom général de « sémiotique », théorie des signes, à la fois science
particulière et organon de toutes les sciences. Partant, les signes ont
des rapports [12] :
1. Entre eux en tant que signes : leur étude constitue la syntaxe ;
2. Avec les objets et les faits auxquels ils renvoient : leur étude est
la sémantique ;
3. Avec les personnes qui en usent dont l’étude est la pragmatique.
Carnap entreprend de démontrer au niveau de la "Syntaxe logique du
langage" que les préalables à la construction des systèmes logiques
sont ceux d'une syntaxe générale englobant tous les autres langages.
L'ambition précisée dans la préface de l'ouvrage indique que la logique
des sciences remplace la philosophie car elle n'est rien d'autre que la
syntaxe logique du langage de la science, et in fine des mathématiques.
De ce fait, Rudolf Carnap espère réduire les problèmes mathématiques
et logiques aux problèmes syntaxiques, induisant de cela que les
relations sémantiques et les questions implicites de la signification se
résorberaient dans l'étude de l'enchainement formel des symboles.
La syntaxe générale serait ainsi la théorie formelle des formes
linguistiques et elle se confondrait avec l'analyse combinatoire20
par
arithmétisation, selon les procédés introduit entre autres par K. Gödel.
Seulement, cette poursuite de l'édification d'un langage qui se réduirait
à une pure syntaxe semble également guidée par l'intention d'éviter la
sémantique et les questions de la signification [27].
Au niveau de la "Syntaxe logique du langage", Carnap introduit sa célèbre
distinction entre le mode matériel et le mode formel du discours. La
20 En mathématiques, la combinatoire ou analyse combinatoire, étudie les configurations
de collections finies d'objets ou les combinaisons d'ensembles finis, et les dénombrements.
Charles
William
Morris
1901-1979
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science comporte 2 classes d'énoncés : les énoncés d'objet (ex : « cinq
est un nombre premier ») et les énoncés syntaxiques (en mode
formel, ex : « cinq n'est pas un terme d'objet, mais un terme
numérique »). Or, il existe une classe intermédiaire, à savoir, les
énoncés quasi syntaxiques en mode matériel.
Il s’agit des énoncés syntaxiques déguisés en énoncés d'objet (ex :
« cinq n'est pas une chose, mais un nombre »). L'usage matériel du
discours n'est pas condamnable lorsqu'un tel énoncé peut être traduit
en mode formel.
Ainsi, la deuxième assertion du "Tractatus" de Wittgenstein : « le monde
est la totalité des faits, non des choses », deviendra : « la science est un
système d'énoncés, non de noms. ». L'usage matériel est cependant
dangereux, car les confusions philosophiques résultent précisément de
l'emploi matériel, qui n'est pas traduisible en mode formel [17].
La reformulation dans l'« idiome formel » les phrases de l'« idiome
matériel » permet à R. Carnap de montrer que certains énoncés dits
métaphysiques ne sont pas absurdes, mais « donnent l'illusion de
transmettre une information sur le monde. ». Il rejoint alors la thèse de
Wittgenstein dans le "Tractatus logico-philosophicus", qui distingue
radicalement la science de la philosophie : les énoncés philosophiques,
lorsqu'ils ne sont pas absurdes, ne portent pas sur le monde, mais sur
le langage ; ils expriment une préférence à l'égard d'un cadre
linguistique.
Mais si en 1934, Carnap affirme, dans la "Syntaxe logique du langage",
qu'il est possible de distinguer dans un langage les énoncés dotés de
sens des énoncés absurdes (Unsinnig) à l'aide d'une simple « analyse
formelle purement syntaxique », il reconnaît dans "Introduction to
Semantics" (1942), écrit après les travaux de Tarski, la nécessité de
recourir à des concepts sémantiques (comme ceux de référence et de
vérité) pour déterminer le statut cognitif des énoncés d'un langage [8].
En fait, l'étude de la signification se voyait s'infiltrer en linguistique dans
le premier quart du XXème
siècle, mais depuis, et grâce surtout aux
efforts des logiciens polonais, la sémantique est devenue un domaine
bien défini, et rigoureux. Ce changement conduit Rudolf Carnap à
réintroduire la sémantique en logique, et il devrait inviter la
linguistique descriptive21
à suivre son exemple [1].
La parution donc, un an après la "Syntaxe logique du langage", des
travaux d'Alfred Tarski sur la sémantique obligea Carnap à élargir le
point de vue syntaxique et à tenir compte des concepts de
signification, de dénotation et de vérité.
Ses trois volumes de "Studies in Semantics" présentent la théorie des
concepts logico-sémantiques (L-concepts) et des concepts syntaxiques
(C-concepts). Sans s'en rendre compte, Carnap y retrouve, en les
exposant dans une langue symbolique, la plupart des résultats de la
logique de Bolzano (mathématicien, logicien, philosophe et théologien autrichien).
Le point de vue de Carnap consiste à considérer les symboles dans leur
rapport avec des désignations possibles. Un langage est alors défini au
moyen de règles de formation, de règles de désignation et de règles de
21 En linguistique descriptive, les spécialistes recueillent des données auprès de locuteurs
natifs ; ils analysent les composants de leurs discours et organisent les données en fonction de
niveaux hiérarchiques distincts : phonologie, morphologie et syntaxe. La linguistique
descriptive, ou descriptivisme, est une étude synchronique de la langue qui s'oppose ainsi à la
linguistique historique.
Bernard
Bolzano
1781-1848
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« vérité », qui indiquent à quelles conditions générales les propositions
seront considérées comme vraies [12].
Dans le troisième volume des "Studies, Meaning and Necessity"
(1947), il aborde l'étude de la logique non extensionnelle, plus
particulièrement la théorie de la signification (meaning) d'une
expression, qui est analysée en deux composantes : l'extension et
l'intension. Dans le dernier chapitre, il traite de la logique modale.
L’intérêt de R. Carnap pour le langage des sciences et la philosophie a
fait de lui l'un des initiateurs du « tournant linguistique » en
philosophie [17].
Sans nécessairement adopter une définition aussi stricte de la
philosophie comme science du langage scientifique, les néo-positivistes
des années trente se sont mis d'accord pour entreprendre une mise
en ordre de l'ensemble des énoncés scientifiques.
Ce projet grandiose, renouvelé de Leibniz (philosophe, mathématicien,
logicien, diplomate, juriste et philologue allemand) et des encyclopédistes
français, a explicitement pour visée d'unifier non le contenu de la
connaissance, mais son langage [12].
À savoir, l’idée d’unification leur est fournie par l’importance de la
fonction logique assurée par l’expression linguistique. En réalité, si les
sciences peuvent toutes se fonder sur les propositions protocolaires,
alors les sciences auront une unité non seulement méthodologique
mais aussi théorique. Il n'y a plus de raison de distinguer les différentes
sciences en fonction de leur domaine comme le faisait Comte [3].
4.1. Physicalisme
La science doit pouvoir être unifiée au moins dans son langage. Il s’agit
alors de découvrir un tel langage qui doit pouvoir faire l’accord de
tous les esprits et permettre l’intensification de la science. Ce langage,
selon Carnap et Neurath, est le langage de la physique, plus exactement
le langage physicaliste (Dingsprache) portant sur les « choses » et qui
doit pouvoir s’étendre à la psychologie qui y sera traduite [3].
Pour Neurath et Carnap, le langage permettant d'assurer à la fois un
accord intersubjectif22
et une extension universelle est donc celui de la
physique, ou plus exactement le langage qualitatif portant sur les choses.
Ainsi, les faits psychiques, en particulier, peuvent bien être traités par le
psychologue d'une manière quelconque : ses propositions seront, en
tout cas, traduisibles dans le langage physicaliste, telle est la thèse.
Carnap va même plus loin et propose comme but plausible pour le
développement futur de la science, non pas seulement une unification
de son langage, mais encore une réduction logique de ses lois à celles
de la physique [12].
Pareillement, d'après Quine, l'unité de la science repose sur l'unité du
réel. Tous les phénomènes (biologiques, sociaux, culturels, etc.) sont
réductibles à des phénomènes physiques, c'est-à-dire entièrement
descriptibles à partir des lois fondamentales de la physique [8].
22 L’intersubjectivité veut dire ce qui est commun à tous et qui en tant que tel cimente les
individus les uns aux autres en leur permettant de se ressembler suffisamment pour
comprendre et échanger (ex : la conscience, le langage, les sentiments).
Gottfried
Wilhelm
von
Leibniz
1646-1716
4. Unité des sciences & Physicalisme
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Il n'est pas certain que les lois de la biologie, à titre d’exemple, se
réduisent aux lois de la physique mais les énoncés devront se réduire
aux concepts physiques. C'est ce que Otto Neurath appela :
« physicalisme » [26].
Le terme du « physicalisme » a été introduit par Neurath en 1929, et la
doctrine qu’il désignait allait devenir prédominante au sein du Cercle
de Vienne, concurremment avec la thèse de l’unité de la science. Le
physicalisme signifiait en premier lieu le choix d’un langage pour la
conception scientifique du monde. Ce choix était celui du langage
physique des choses observables, adéquat à la formulation de tous les
énoncés doués de sens.
Un tel langage est celui du commerce quotidien, lorsque nous
décrivons nos transactions avec les propriétés physiques du monde ;
selon Neurath, le langage unifié du physicalisme (Einheitssprache des
Physicalismus) :
« (…) généralement dérivé des modifications du langage quotidien (Sprache
des Alltags), est le langage de la physique (…). La science vise à transformer
les énoncés de la vie quotidienne (die Sätze des Alltags). Ceux-ci nous sont
donnés comme des "mixtes" (Ballungen), consistant en éléments physicaliste
et pré-physicalistes (physikalistischen und vorphysikalistischen). Nous les
remplaçons par les "standardisations" du langage physique. (…) le langage
quotidien physicaliste s’obtiendra à partir du langage quotidien réel, dont
seules certaines parties devront être écartées, tandis que d’autres seront
intégrées et complétées pour corriger certaines déficiences (…). Le langage
du physicalisme n’est pour ainsi dire aucunement nouveau ; c’est le langage
familier aux enfants et aux peuples encore "naïfs" (naiven Kindern und
Völkern). ».
On voit immédiatement la raison pour laquelle le choix du
physicalisme comme langage de la science devait impliquer celui du
behaviorisme méthodologique en psychologie23
[11].
Là-dessus, pour Carnap, « La soi-disant psychologique du comportement (le
"behaviourisme" de Watson (psychologiste américain), Dewey
(philosophe/psychologiste américain) et les autres) réduit tous les phénomènes
psychologiques à ceux qui peuvent être perçus par les sens, c'est-à-dire au
physique. Ainsi un système constructionniste qui est basé sur cette position
devrait choisir une base physique. » [33]. Le langage psychologique devrait,
par là-même, être « physicalisé » selon l’expression de Neurath.
D’après Carnap, « la thèse du physicalisme telle qu’elle a été à l’origine
admise par le Cercle de Vienne, soutenait à peu près la conception selon
laquelle chaque concept du langage de la science pouvait être explicitement
défini en termes d’observables ; par conséquent, chaque phrase du langage
de la science était traduisible en une phrase portant sur des propriétés
observables. » [11].
Néanmoins, il compte de signaler que dans la recherche d’un langage
unifié pour les sciences, la première réduction carnapienne, celle de
l’"Aufbau", n’était pas physicaliste mais phénoménaliste ; la « base de
réduction » étant formulée dans le langage solipsiste24
du psychisme
propre [11]. Or, Neurath parvint à convaincre Carnap d'abandonner le
langage phénoménaliste pour adopter le physicalisme [17].
23 Le béhaviorisme ou comportementalisme est une approche psychologique qui consiste à
se concentrer sur le comportement observable déterminé par l'environnement et l'histoire
des interactions de l'individu avec son milieu.
24 Le solipsisme est une démarche de la philosophe qui pose la subjectivité comme fait
primitif et qui pratique le scepticisme radical face à tout jugement sur la réalité objective.
John
Broadus
Watson
1878-1958
John
Dewey
1859-1952
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Pour comprendre comment Carnap s’y est arrivé, il faut savoir que
"Der logische Aufbau der Welt" est l’ouvrage constituant le point de
départ des discussions autour du physicalisme à partir duquel Rudolf
Carnap entend donc réduire les concepts de tous les domaines à un
nombre minimal d'éléments de base [17].
Le projet de l’"Aufbau" est un projet de traduction, de réexpression de
la science et n’a rien à voir avec la science entant que recherche sur le
réel. Son but est d’arriver à une description totale de l’Univers qui ne
peut être qu’une description de relations, ordonnant une structure, et
non de propriétés [33]. Carnap y distingue quatre grandes sphères de la
connaissance [17] :
1. Les objets socio-culturels (geistige Gegenstände) ;
2. Les objets hétéropsychiques (les autres moi) ;
3. Les objets physiques ;
4. Les objets autopsychiques (objets de l'expérience privée).
Cette construction est une réduction qui doit aboutir à un système
constitutif, voire à un arbre généalogique des concepts, reliés par des
chaînes de définitions aux éléments de base. De cette manière, les
concepts de toutes les sciences seront rattachés au même domaine
fondamental et l'unité de la science sera réalisée. La méthode de Rudolf
Carnap suppose la logique symbolique moderne, qui, avec sa théorie
des relations, est seule capable de fournir les instruments pour des
descriptions structurelles [17].
De manière précise, "La construction logique du monde" se heurte au
moins à deux problèmes : (i) le choix des éléments fondamentaux à
partir desquels tout le reste sera construit, et (ii) le choix des relations
de base, c'est-à-dire des formes logiques grâce auxquelles le passage
d’un degré au suivant sera fait :
❑ Les éléments de base : pour des raisons épistémologiques, Rudolf
Carnap choisit une base autopsychique comme point de départ de sa
construction : les éléments de base sont mes vécus élémentaires
(Elementarerlebnisse) [17]. Il s’agit d’une base phénoménale constituée
par des énoncés au sujet d’expériences perceptuelles.
Ces éléments de base auraient pu être physiques : la constitution aurait
été matérialiste. La base physicaliste prendrait comme éléments
primitifs les objets physiques [17]. Carnap hésite sur ce point. Pour lui,
le choix d’un langage phénoménaliste a un double avantage :
1. Le premier est épistémologique : un tel langage permet
d’opérer la définition ou constitution des concepts à l’aide des
énoncés par lesquels commence véritablement la connaissance ;
2. Le deuxième avantage est celui de la simplicité : un tel
langage est parmi tous les langages celui qui requière la base la
plus économique.
Carnap justifiera son choix d’une base auto psychologique par le fait
que tout énoncé qui n’est pas réductible à des énoncés portant sur des
qualités sensibles parlerait d’objet dépourvus de repères perceptifs et
serait donc exclu de la science. Ainsi, la relation psychophysique ne
peut relever que de ma propre expérience. Or, dira Neurath, le langage
phénoménaliste est subjectif alors que celui de la science est
intersubjectif [33].
Page 30 sur 55
Comment atteindre donc l’objectivité, voire l’intersubjectivité pour
Carnap, à travers ce système formel dont la base, formée d’éléments
du vécu, est phénoménale ? La réponse de Carnap est que la matière
des vécus individuels est effectivement incomparable : il n’existe pas
deux sentiments ou deux sensations qui soient comparables.
Cependant, la structure de tout vécu est la même. Les propriétés
structurelles sont valables pour tous les « fleuves du vécu ».
Malgré tout et sous l’influence de Neurath, Carnap et au début des
années 30, admettait l’universalité du langage physicaliste (Total
sprache), au sens où tous les énoncés intersubjectivement vérifiables
pouvaient y être formulés. Il a reconnu la nécessité d’un langage
physique à titre de condition de possibilité d’une vérification
intersubjective des énoncés scientifiques [11].
Carnap deviendra physicaliste pour des raisons de proximité
épistémique, en ramenant les énoncés protocolaires à certains
énoncés physiques publiquement contrôlables. Mais ces énoncés
protocolaires restent des énoncés contenant exclusivement des
termes d’expériences personnelles.
Le behaviourisme logique de Carnap vise à traduire toute la
psychologie, et en particulier les énoncés protocolaires en le langage
de la psychologie behavioriste qui est lui-même manifestement
réductible à celui de la physique. Ce qui compte est la possibilité d’un
langage unifié, et au-delà, de remarquer le sensé et l’insensé [33].
Une fois muni de la distinction des modes matériel et formel du
langage25
, Carnap pourra reconnaitre l’équivalence du langage
phénoménal et du langage physique, le premier ayant une
interprétation au sein du second dans le mode formel.
En effet, l’asymétrie épistémologique des deux langages n’est plus
pertinente du point de vue syntaxique du mode formel : deux énoncés
dont l’un est formulé dans le langage physique et l’autre dans le langage
du psychisme n’ont pas la même signification, mais leurs traductions
syntaxiques sont les mêmes dans la mesure où elles autorisent les
mêmes dérivations formelles.
Dans une lettre à Neurath, Carnap précise que le dualisme des deux
langages peut être éliminé avec le rejet du mode matériel du langage.
On devrait en conclure que le mode formel supprime le dualisme des
deux langages [11].
Le langage physicaliste, qui parle des objets physiques, devient le
langage universel de toutes les sciences, biologie et psychologie
comprises [17]. Il reste, tout de même, à savoir que pour Carnap, le
physicalisme n’est pas une doctrine, mais une attitude « (…) par ce
qu’il s’agissait d’une question pratique de préférence, non pas d’une question
théorique de vérité. ».
Au contraire, pour Neurath26
, le physicalisme est une question
théorique du moment où elle met en jeu la méta-théorie27
de la
25 Cf. la distinction de Carnap entre le mode matériel et formel du langage, pp. 23-27.
26 D’après la source, l’ensemble du dossier de la controverse Neurath-Carnap est présenté
dans l’ouvrage de Thomas Uebel : "Overcoming Logical Positivism from Within".
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science. Pour lui, la réduction physicaliste concerne l’ensemble des
énoncés du langage de la science. Elle concerne également les choses
matérielles aussi bien que leurs propriétés observables [11].
Selon Sandra Laugier (philosophe française en matière de la philosophie du
langage, philosophie des sciences et la philosophie morale), "La construction
logique du monde" est un commencement mais n’était aussi qu’une
simple proposition [33].
D’ailleurs, d'après Goodman (philosophe, logicien et collectionneur d'art américain)
et Quine, Carnap, malgré la rigueur employée, ne parvient pas à réduire
intégralement son système constitutif aux éléments de base ; son
ouvrage introduit une foule de concepts et de procédés et propose un
des premiers grands systèmes logico-empiriques de reconstruction du
monde [17].
❑ Les relations de base : pour la recherche et le choix des relations
de base, Carnap choisit de partir de la constitution des objets
physiques. La constitution du monde physique se fait par utilisation des
éléments du vécu élémentaire, et principalement des sensations, avec
leurs qualités et leurs intensités, puis de l’ordre spatio-temporel…
Toute proposition sur n’importe quel objet de la connaissance peut
ainsi être ramenée à une proposition sur les éléments fondamentaux
avec la ressemblance mémorielle comme relation fondamentale et
suffisante.
27 Une méta-théorie est une théorie dont le sujet est une autre théorie. Tous les domaines
de recherche partagent certaines méta-théories. Les investigations méta-théoriques font
généralement partie de la philosophie de la science.
Les classes de qualité représentent les premiers éléments du vécu
élémentaire, c'est-à-dire finalement les qualités de sensations. Avec
l’aide de ces qualités spatio-temporelles, le monde des objets
physiques pourra être construit, puis les autres objets plus complexes
peuvent être décrits, particulièrement les objets psychiques et les
objets spirituels [14].
Schlick se fait ouvertement le défenseur de la thèse qui a reçu le nom
de « physicalisme » dans le Cercle de Vienne. Dans l’interprétation que
Schlick en donne, cette thèse affirme que seule la langue de la physique
est adéquate pour exprimer précisément les connaissances objectives
et que l’usage d’une telle langue est indispensable pour établir une
communication objective entre les scientifiques.
Le point de vue de Schlick peut être illustré via l’exemple de la
perception de la couleur. La physique définit le phénomène de la
couleur par la fréquence des ondes constituant la lumière, c’est-à-dire
par le nombre de vibrations par seconde. Pour une lumière
monochromatique donnée, nous obtenons toujours un nombre de
vibrations exactement identique d’une mesure à l’autre : en ce sens, la
couleur est un phénomène objectif qui ne saurait varier d’un
observateur à l’autre.
Cela étant dit, la physique n’enseigne évidemment pas que, placés
devant une même couleur ainsi définie, deux individus auront
exactement la même expérience mentale de la couleur et qu’ils verront
la même couleur (c.-à-d. une certaine teinte et une certaine nuance
particulière de cette couleur). Mais, soutient Schlick, leur perception
personnelle de cette couleur serait-elle identique ou différente que
nous n’aurions aucun moyen de le savoir. Chose certaine, ce n’est pas
Sandra
Laugier
1961
Nelson
Goodman
1906-1998
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parce que l’un et l’autre auraient affaire à un même rayonnement
objectif qu’ils verraient pour autant la même couleur.
Or, seul le point de vue de la physique permet de saisir ce qui fait de la
couleur un phénomène objectif et, par voie de conséquence, lui seul
donne véritablement accès à une authentique connaissance de ce fait
empirique. Schlick généralise la conclusion de cette analyse et soutient
qu’en principe, une description complète de l’univers peut être donnée
dans la langue de la physique et seulement dans cette langue [31].
4.2. Projet d’unité des sciences
À la différence de Rudolf Carnap, qui collabore également au projet
d'une « Encyclopédie des Sciences Unifiées », mais qui favorise une
unification sous la conception hiérarchique de l'arbre, où tout dérive
d'une science-mère, Neurath défend l'idée que l'unification ne peut se
faire que de façon transversale via une encyclopédie. La marche de la
science n'étant pas linéaire ni imposée par un modèle unique, mais
« allant d'encyclopédies en encyclopédies. ».
Il présente cette position dans son article « L'Encyclopédie comme
modèle » (1936). Ce thème est mis de l'avant lors du premier
Congrès international pour l'Unité de la science, tenu à la
Sorbonne en 1935. Lors du troisième congrès, également tenu à Paris
en 1937, Neurath présente son projet d'"International Encyclopedia
of Unified Science" (IEUS) [25].
Le comité de cette encyclopédie comprend : O. Neurath, R. Carnap, Ph.
Franck, Ch. Morris, J. Joergensen (philosophe danois) et L. Rougier (philosophe
français) [9]. L’encyclopédie doit paraître sous forme de fascicules. Seule
la première section "Foundations of the Unity of Science" (FUS) a
été publiée. Elle contient deux volumes d’un total de 19 monographies
publiées entre 1938 et 1969 [25-16] :
❑ Volume I : dix fascicules y sont publiés en 1938 :
1. O. Neurath, Niels Bohr (physicien danois), J. Dewey, B. Russell, Carnap
et Ch. Morris : Encyclopedia and Unified Science (FUS I-1) ;
2. Ch. Morris : Foundations of the Theory of Signs (FUS I-2) ;
3. R. Carnap : Foundations of Logic and Mathematics (FUS I-3) ;
4. Leonard Bloomfield (linguiste américain) : Linguistic Aspects of
Science (FUS I-4) ;
5. Victor F. Lenzen (professeur américain de physique) : Procedures of
Empirical Science (FUS I-5) ;
6. Ernest Nagel (philosophe américain de sciences) : Principles of the
Theory of Probability (FUS I-6) ;
7. P. Frank : Foundations of Physics (FUS I-7) ;
8. E. Finlay-Freundlich (astronome allemand) : Cosmology (FUS I-8) ;
9. Felix Mainx (biologiste et médecin tchèque) : Foundations of Biology
(FUS I-9) ;
10. Egon Brunswik (psychologiste hongrois) : The Conceptual
Framework of Psychology (FUS I-10).
❑ Volume II : le second volume a été consacré aux sciences sociales
paraît en 1939, avant que la publication soit interrompue par la guerre :
1. O. Neurath : Foundations of the Social Sciences (FUS II-1) ;
2. Thomas S. Kuhn (physicien, historien et philosophe de sciences américain) :
The Structure of Scientific Revolutions (FUS II-2) ;
3. Abraham Edel (philosophe et déontologue américain) : Science and the
Structure of Ethics (FUS II-3) ;
Jorgen
Joergens-
en
1894-1969
Louis
Auguste
Paul
Rougier
1889-1982
Victor
Fritz
Lenzen
1890-1975
Ernest
Nagel
1901-1985
Erwin
Finlay-
Freundli-
ch
1885-1964
Felix
Mainx
1900- ?
Egon
Brunswik
Edler von
Korompa
1903-1955
Thomas
Samuel
Kuhn
1922-1996
Abraham
Edel
1908-2007
Page 33 sur 55
4. J. Dewey : Theory of Valuation (FUS II-4) ;
5. Joseph H. Woodger (biologiste et philosophe de biologie anglais) : The
Technique of Theory Construction (FUS II-5) ;
6. Gerhard Tintner (professeur d’économie, mathématique et statistique
allemand) : Methodology of Mathematical Economics and
Econometrics (FUS II-6) ;
7. Carl G. Hempel : Concept Formation in Empirical Science
(FUS II-7) ;
8. George De Santillana (philosophe et historien des sciences italien-
américain) et Edgar Zilsel (historien et philosophe de sciences autrichien) :
The Development of Rationalism and Empiricism (FUS II-8) ;
9. Joergen Joergensen : The Development of Logical Empiricism
(FUS II-9) ;
10. H. Feigl et Ch. Morris : Bibliography and Index (FUS II-10).
Par-dessus, des congrès internationaux, ayant pour thème l'« unité de
la science », rassemblent des penseurs venus d'autres horizons. Russell
et Scholz (logicien, philosophe et théologue allemand) participent au congrès
de Paris (1935), G. Moore (philosophe anglais) préside celui de Cambridge
(1938). En 1938, Kaufmann (philosophe austro-américain), Menger, Gödel et
Reichenbach sont aux États-Unis.
Waismann (mathématicien, physicien et philosophe australien) et Otto Neurath
en Angleterre, où ils ont des disciples : Ayer. Ils en ont aussi en
Scandinavie : Petzäll (philosophe suédois), Joergensen, Kaila (philosophe,
critique et enseignant finlandais). Des logiciens de Varsovie : Ajdukiewicz
(philosophe polonais) et Kotarbinski (philosophe, logicien et praxéologue polonais)
sympathisent également avec certaines de leurs thèses [12].
Présentant le projet de l’"Encyclopedia of Unified Science" lors du
premier Congrès International de Philosophie scientifique qui se
tient à Paris en 1935, O. Neurath débute ainsi : « On peut dire que du
point de vue de l’empirisme scientifique, ce n’est pas la notion de "système"
mais celle d’"encyclopédie" qui nous offre le véritable modèle de la science
prise dans son ensemble. ».
Une encyclopédie, pour Neurath, doit être considérée comme le
modèle du savoir humain, comme le seul programme possible
émergeant de la crise des tentatives analytiques et néo-positivistes, par
ce qu’elle intègre les différentes affirmations scientifiques sans pour
autant en nier les différences et les difficultés.
Seule l’encyclopédie peut finalement résoudre les difficultés nées par le
développement des sciences portées à consolider (dans la
spécialisation) leur propre langage et donc à s’isoler. La science a
besoin d’un langage unifié, qui ne peut trouver que dans l’encyclopédie
son milieu naturel : c’est en fait le développement de la logique qui
rend cette dernière possible.
Par cet effort, que seul permet un travail collectif garanti par « une large
coopération entre spécialistes des différentes disciplines », l’encyclopédie
« internationale » pourra « montrer toute la large et profonde unité de
l’idée générale de la science. » : une unité dans la différence [9].
Il ne s'agit donc nullement de présenter un système, car, selon le mot
de Neurath, « la complétude anticipée du Système s'oppose à l'incomplétude
soulignée d'une encyclopédie. » [12]. Autrement dit, l’idée encyclopédique,
continue Neurath, ne consiste plus à se référer à un système, mais
plutôt à instaurer « une sorte d’instrumentarium de la science en
Joseph
Henry
Woodger
1894-1981
Gerhard
Tintner
1907-1983
Giorgio
Diaz de
Santillana
1902-1974
Edgar
Zilsel
1891-1944
Heinrich
Scholz
1884-1956
George
Edward
Moore
1873-1958
Felix
Kaufma-
nn
1895-1949
Friedrich
Waisma-
nn
1896-1959
Åke
Petzäll
1901-1957
Eino Kaila
1890-1958
Kazimierz
Ajdukiew-
icz
1890-1963
Tadeusz
Kotarbiń-
ski
1886-1981
Page 34 sur 55
général. » ; « Ce nouvel ouvrage devra montrer surtout dans quelle direction
s’ouvrent des voies nouvelles, ou gisent les problèmes. », sans s’arrêter à
une simple « synthèse rétrospective », voire à un répertoire.
L’encyclopédie repousse, entre autres choses, le classement
alphabétique, en lui préférant un classement par matière, ne souhaitant
pas « présenter chaque discipline en un tableau achevé, mais montrer
précisément les lacunes et les insuffisances du savoir actuel. Il y aura lieu de
souligner ce que toute recherche a de contingent, et le fait que toute science
dépend des conditions historiques. ».
Elle devra donc être conçue comme une œuvre ouverte, « toujours
rajeunissante », « précisément comme une Encyclopédie en marche. », écrit
Neurath [9].
Ce dernier aspirait à l'unité des sciences, qu'il chercha donc à réaliser
à travers son projet d'une « Encyclopédie des Sciences Unifiées ».
Dans son "Unified Science as Encyclopedic Integration" et partant
du constat que le domaine de la « recherche empirique avait longtemps
été en opposition radicale avec les constructions logiques à priori dérivant de
systèmes philosophico-religieux. », Otto Neurath propose de réaliser une
synthèse de l'approche factuelle typique de la science et de la
démarche logico-déductive : l'empirisme scientifique.
Il s'agit notamment de dégager les règles gouvernant les procédures
scientifiques, d'unifier les diverses terminologies scientifiques et de
réduire tous les termes à des mots d'usage courant [25].
Sur ce point, le physicalisme permet de donner un sens clair à la thèse
de l’« unité de la science » : « La thèse de l’unité de la science telle que
Neurath et moi-même la soutenions (…) signifiait le rejet de la division des
sciences empiriques entre des champs tenus pour fondamentalement
séparées, et en premier lieu de la division entre sciences naturelles et
sciences sociales (Geisteswissenschaften), division fondée sur les
métaphysiques dualiste alors prévalentes en Allemagne. En contraste avec
cette conception dualiste, notre thèse affirmait que la science, dans la
diversité de ses domaines, pouvait être construite sur une base uniforme. »,
stipule Carnap.
Le refus de toute forme de dualisme entre sciences de la nature et
ceux de l’esprit peut, avec l’adoption du physicalisme, être formulé
comme une thèse métalinguistique, à savoir selon Carnap « (…) la
thèse selon laquelle le langage total embrassant toute la connaissance peut
être construit sur une base physicaliste. » [11].
Neurath défendit l'unité des sciences, qui toutes sont « naturelles », et
il eut une grande influence sur Carnap ; les sciences s'unifient par le
langage, la méthode, les relations interdisciplinaires [24]… Toutefois,
son physicalisme risque d’éliminer les différences spécifiques entre les
diverses disciplines [9].
Pour Carnap, la question de la signification est essentielle à la théorie
de la connaissance. Les deux principes pour une théorie de la
connaissance sont les questions de la signification et de la
vérification.
5. Doctrine de la signification du positivisme logique
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  • 1. Page 1 sur 55 L’Empirisme logique By Maryam RAHOU
  • 3. Page 3 sur 55 Rudolf Carnap Né en Allemagne à Wuppertal (1891-1970), Rudolf Carnap appartient à la fois à la philosophie germanique et à la philosophie anglo-saxonne. Le nazisme l'ayant amené, en 1935, à partir pour les États-Unis. Il fut, avec M. Schlick et Otto Neurath, un des chefs de file du Cercle de Vienne. Après la dispersion de celui-ci, il libéralisa progressivement ses thèses initiales. Il a traité des problèmes principaux de l'épistémologie de la mathématique et des sciences exactes. Après ses études de mathématique, de physique et de philosophie à Fribourg et à Léna – il fut l'un des très rares auditeurs de Frege –, Carnap obtint le titre de docteur avec une thèse intitulée : « L'Espace : une contribution à la théorie de la science » (1921). Sur l'initiative de H. Hahn et M. Schlick, il devint, en 1926, privatdozent à l'université de Vienne et participa aux discussions du Cercle de Vienne. Le Cercle se fit connaître en 1929 avec un manifeste qui, signé par Carnap, Hahn et Neurath (Feigl y participa aussi), développait les grandes thèses du mouvement de la « conception scientifique du monde ». Mais, déjà un an plus tôt, Carnap avait publié "Der logische Aufbau der Welt". Dans son célèbre livre intitulé "Der logische Aufbau der Welt" (La Construction logique du monde), il a tenté d'exécuter le programme du phénoménalisme : reconstruire le monde à partir d'une seule relation donnée dans l'expérience immédiate. Son intérêt pour le langage des sciences et la philosophie a fait de lui l'un des initiateurs du « tournant linguistique » en philosophie. Ludwig Wittgenstein D'origine autrichienne, le philosophe britannique Ludwig Wittgenstein (1889-1951) a enseigné à Cambridge. Étudiant puis ami de Russell, Wittgenstein publie en 1921 son "Tractatus logico-philosophicus" (Traité logico-philosophique). Il y expose, en soixante-quinze pages d'aphorismes, que le seul usage correct du langage est d'exprimer les faits du monde… En 1929, il revint à Cambridge sur l’insistance de Bertrand Russell et George Moore, et critiqua les principes de son premier traité. Il prépare alors, à travers de nombreux essais, un ensemble de remarques intitulé "Philosophische Untersuchungen" (Investigations philosophiques), dont le texte est à peu près achevé lorsqu'il meurt. Il y reprend l'idée d'une élucidation du langage, examinant cette fois le langage usuel pour y chercher le statut et les conditions de la signification des mots, qui en constituent la « grammaire philosophique ». Personnalité emplie de doutes, Wittgenstein se questionne très tôt dans son enfance sur la notion de vérité. L'influence de Wittgenstein s'est rapidement répandue dans les pays de langue anglaise ; elle gagne aujourd'hui en extension sinon en profondeur, le langage étant devenu un thème philosophique majeur. Elle a eu une action décisive sur les philosophes du Cercle de Vienne, dans les années 1930, et sur ceux de l'école analytique, dans les années 1950, sans que Wittgenstein se soit jamais reconnu dans les œuvres d'aucun d'entre eux.
  • 4. Page 4 sur 55 Moritz Schlick Né à Berlin (1882-1936), où il étudie la physique avec Max Planck (il passa son doctorat en 1904 avec une thèse sur la réflexion de la lumière). Membre du Cercle de Vienne, Schlick est l'un des fondateurs de la philosophie analytique. La pratique qu'il a de la recherche scientifique le laisse insatisfait de l'épistémologie néo-kantienne et de la phénoménologie husserlienne. Il prend pour point de départ les analyses de Mach, de Helmhotz et de Poincaré et exprime ses premières conclusions en 1918 dans "Allgemeine Erkenntnislehre". De nombreux essais de ses "Gesammelte Aufsätze" (1926-1936) sont consacrés à l'élucidation de la notion de signification, au principe de vérifiabilité, au réalisme critique comme réponse au conflit entre idéalisme et réalisme. On peut lire de lui en français un article intitulé : « L'École de Vienne et la philosophie traditionnelle » dans les travaux du IXème Congrès international de philosophie (Paris, 1937). Hans Hahn Hans Hahn né à Vienne (1879-1934) est un mathématicien et philosophe autrichien qui a apporté de nombreuses contributions à l'analyse fonctionnelle, la topologie, la théorie des ensembles, le calcul des variations et la théorie des ordres. Otto Neurath Philosophe et sociologue autrichien (1882-1945), un des fondateurs de l'empirisme logique. Socialiste marxiste indépendant, Otto Neurath s'est intéressé à l'économie, à la politique et à l'histoire. Éditeur de l'Encyclopaedia of Unified Science, il fut le membre le plus « extrémiste » du Cercle de Vienne, grand pourfendeur de la métaphysique. Comme économiste, il publia en 1909 une histoire comparée des systèmes économiques de la Grèce antique et de Rome ; comme historien des sciences, en 1915, il rédigea une histoire de l'optique (Descartes, Malebranche, Huygens, Newton, Young, Fresnel). Sous le gouvernement social-démocrate, il participa aux travaux de l'office central de planification en Bavière. En tant que socialiste, il s'interrogea sur le problème des manières de vivre, sur la lutte contre les habitudes et les mentalités capitalistes. Son ouvrage "Foundations of the Social Sciences" (1944) use d'un langage physicaliste et béhavioriste, qui convient au matérialisme historique. Hahn s'inscrivit au départ à l'université de Vienne en 1898 pour y étudier le droit. Au bout d'un an, il se consacra aux mathématiques, qu'il étudia à l’université de Strasbourg et à l’université de Munich. En 1901, il repartit pour Vienne, où en 1902 il passa sa thèse intitulée : « Théorie de la seconde variation des intégrales définies ». Hahn, cofondateur et membre actif du Cercle de Vienne, s’intéressait beaucoup à la philosophie. Il mourut en 1934 des suites d’une opération. Le nom de Hans Hahn reste surtout célèbre pour le théorème de Hahn-Banach. Par-delà cet énoncé, Hahn a apporté des contributions importantes en analyse fonctionnelle, à la théorie de la mesure (théorème de décomposition de Hahn et théorème de Hahn-Kolmogorov), à l’analyse harmonique et à la topologie générale (théorème de Hahn-Mazurkiewicz). Le gros des publications de Hahn concerne les mathématiques. Il ne publia d’articles de philosophie qu'au début des années 1930, consacrés aux problèmes épistémologiques posés par les sciences naturelles. En 1926, il fut élu président de la Deutsche Mathematiker- Vereinigung (Association des mathématiciens allemands).
  • 5. Page 5 sur 55  DE QUOI S’AGIT-IL ?  CONTEXTE DE PARUTION  POSITIVISME LOGIQUE VS POSITIVISME  THESES PRINCIPALES  CRITIQUES DE L’EMPIRISME LOGIQUE  CONCLUSION  REFERENCES PHARES EN MATIERE DE L’EMPIRISME LOGIQUE  WEBOGRAPHIE  TABLE DES MATIERES
  • 6. Page 6 sur 55 De quoi s’agit-il ? L’empirisme logique (parfois nommé empirisme rationnel, positivisme logique ou néo–positivisme) est issu du positivisme d’Ernst Mach (physicien et philosophe autrichien), d'Henri Poincaré (mathématicien, physicien, philosophe et ingénieur français) et de la pensée du jeune Wittgenstein (philosophe autrichien, puis britannique) [8]. À savoir, d’abord baptisée « positivisme logique », cette conception philosophique de la connaissance fait notamment appelée « empirisme logique » ou encore « empirisme scientifique » à partir de l’année 1936 [31]. Le néo-positivisme, ou positivisme logique, ne constitue pas proprement parler une école, ayant à sa tête un maître et attachée à un dogme, mais plutôt une attitude philosophique définie à l'origine par un groupe (le Cercle de Vienne) et aujourd'hui largement diffusée et diversifiée, en particulier aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves [12]. Pareillement, on aurait tort de considérer que l’empirisme logique fut dès l’origine une doctrine articulant un ensemble de thèses philosophiques partagées en commun par un groupe déclaré de penseurs. Ainsi, d’après Christian Bonnet (professeur français d’histoire de la philosophie allemande à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et Pierre Wagner (professeur français à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne spécialisé en histoire de la philosophie des sciences et la philosophie de Rudolf Carnap), cette doctrine ne fut en fait que « le résultat d’un ensemble de réflexions critiques que des scientifiques et philosophes de différentes spécialités échangèrent dans les premières décennies du XX siècle. ». Le positivisme logique se voit parfaitement fidèle au premier positivisme, formulé au XIXe siècle par Auguste Comte (philosophe français), on pourrait même ajouter qu'il ne diffère pas, sur ce point, de la critique kantienne distinguant entre la connaissance des phénomènes et celle, impossible, des noumènes1 . 1 Il s'agit de tout ce qui existe et que la sensibilité ne peut pas atteindre. Ernst Mach 1838-1916 Henri Poincaré 1854-1912 Ludwig Wittgen- stein 1889-1951 Christian Bonnet ? Pierre Wagner 1963 Auguste Comte 1798-1857
  • 7. Page 7 sur 55 L’empirisme logique partageait ainsi, dans une certaine mesure, le point de vue du kantisme sur la distinction entre science et croyance. Or, il n'existe pas, comme le prétendait Emmanuel Kant (philosophe allemand), de jugement synthétique à priori. Ceci dit, la métaphysique ne peut être une science [8]. Pour la philosophie de la connaissance scientifique, l’empirisme logique n’en a pas moins fini par constituer la doctrine la plus marquante du vingtième siècle, et c’est au cours de l’élaboration de cette doctrine qu’a émergé ce que l’on appelle de nos jours la « philosophie analytique2 » [31]. À savoir que Rudolf Carnap, philosophe allemand naturalisé américain, est le plus célèbre représentant du positivisme logique [39]. 2 La philosophie analytique, philosophie dominante de la seconde moitié du XXe siècle, est majoritaire dans l'ensemble des pays anglophones et dans une grande partie de l'Europe (Autriche, Allemagne, Pologne, Suisse, pays scandinaves, etc.). Elle se caractérise par un usage important de la logique mathématique et plus généralement par une grande attention portée au langage comme source d'illusions et de paralogismes, et ce, pour éclairer les grandes questions philosophiques. Emman- uel Kant 1724-1804 Rudolf Carnap 1891-1970
  • 8. Page 8 sur 55 Contexte de parution C'est en réaction contre l'idéalisme issu des grandes philosophies post- kantiennes, alors dominantes dans le monde germanique, que s'est formé à Vienne, dans les années 30, par la rencontre de quelques savants et philosophes d'un exceptionnel talent, le Wiener Kreis (Cercle de Vienne). En présence des progrès éclatants de la physique entre 1905 et 1930, comparés au déroulement incertain de la philosophie contemporaine, ils estiment que l'âge scientifique n'a pas la philosophie qu'il mérite [12]. Nous sommes dans les années de crise de la physique classique, ébranlée d'abord par la théorie de la relativité, puis la naissance de la mécanique quantique. Du point de vue philosophique, il se produit une irruption (entrée soudaine) de courants irrationalistes (relativistes), contre lesquels s'élève le Cercle. Vienne est une ville culturellement et scientifiquement en pointe. Le Cercle qui se forme se compose de philosophes qui sont en même temps des scientifiques actifs. Ils ont pour projet de réfléchir sur le fondement et la nature de la connaissance scientifique, avec pour mot d'ordre l'éviction de la métaphysique. Ils veulent également fonder une philosophie rationnelle connectée avec l'avancée des sciences [26]. Les membres les plus centraux de l’empirisme logique furent Rudolf Carnap, Hans Hahn (mathématicien et philosophe autrichien), Otto Neurath (philosophe, sociologue, économiste autrichien), Moritz Schlick (philosophe allemand). Participèrent également aux travaux H. Reichenbach (philosophe de sciences allemand), P. Frank (physicien, mathématicien et philosophe australien), A. Tarski (logicien et un philosophe polonais), K. Popper (philosophe de sciences autrichien), K. Menger (mathématicien autrichien), K. Gödel (logicien et mathématicien austro-américain), W. Quine (philosophe et logicien américain) et L. Wittgenstein [26-31]. Cependant, aucune orthodoxie véritable ne lie les membres du groupe viennois qui, dès 1931, commence à essaimer avec R. Carnap et P. Frank, nommés à l'université de Prague pour occuper respectivement une chaire de philosophie des sciences de la nature et une chaire de Hans Hahn 1879-1934 Otto Neurath 1882-1945 Moritz Schlick 1882-1936 Hans Reichen- bach 1891-1953 Philip Frank 1884-1966 Alfred Tarski 1901-1983 Karl Popper 1902-1994 Karl Menger 1902-1985 Kurt Gödel 1906-1978 Willard Van Orman Quine 1908-2000
  • 9. Page 9 sur 55 physique. Sur un autre plan, les représentants du Cercle (Neurath, Menger, Gödel…) se sont éparpillés pour avoir part aux congrès internationaux, ayant pour thème l'« unité de la science3 », tenus à Paris, aux Etats-Unis et en Angleterre [12]. Le point de départ de l'empirisme logique revient véritablement au premier grand ouvrage systématique publié par Rudolf Carnap : "Der logische Aufbau der Welt", en français "La construction logique du monde" (1928). Dans ce livre, Carnap continuait le projet de Bertrand Russell de fonder toutes les connaissances sur la logique et un langage phénoméniste. Il s'efforce ainsi d'élaborer un système hiérarchique de tous les concepts scientifiques afin de démontrer l'unité fondamentale de toute la science [32-18]. Le Cercle se réunira de 1929 jusqu'à 1936, date de l'assassinat de Moritz Schlick, par un étudiant nazi. Par la suite, la plupart de ses membres émigrèrent pour fuir le nazisme [26]. En fait, c’est à partir de l’an 1924 qu’un cercle de discussion philosophique se réunit tous les jeudis soir autour de Moritz Schlick pour discuter de questions relevant de la philosophie des sciences, de la logique et des mathématiques. Ce cercle, qu’on appela le Schlicks Kreis, c’est-à-dire le « Cercle de Schlick », où Schlick faisait figure de primus inter pares (président) et qui compta dans sa période la plus active moins de vingt membres réguliers plus quelques sympathisants et des visiteurs occasionnels, fut le véritable creuset de l’empirisme logique. 3 Cf. projet d’unité des sciences, pp. 32-35. Au cours des douze années qui suivirent, de nombreux philosophes, mathématiciens et scientifiques aujourd’hui célèbres (entre autres Otto Neurath, Rudolf Carnap…) participèrent aux réunions de ce groupe de discussion [31]. À la même époque, à Berlin, des sympathisants se regroupent autour de Hans Reichenbach et de la Gesellschaft für Empirische Philosophie (Société pour la philosophie empirique). Fondée en 1928, celle-ci accueillit Carl Gustav Hempel (philosophe de sciences allemand), Richard Von Mises (savant/ingénieur autrichien en mécanique des fluides, aérodynamique, aéronautique ainsi qu'en statistique et en théorie des probabilités), David Hilbert (mathématicien allemand) et Kurt Grelling (logicien et philosophe allemand) [8]. Carl Gustav Hempel 1905-1997 Richard Von Mises 1883-1953 David Hilbert 1862-1943 Kurt Grelling 1886-1942
  • 10. Page 10 sur 55 Positivisme logique VS Positivisme Le positivisme logique se distingue du positivisme comtien, celui d’Auguste Comte, par deux aspects : ❑ La dimension « logique » : d’abord, la principale nouveauté du Cercle de Vienne consiste dans son usage de la logique développée par Frege (mathématicien, logicien, philosophe allemand) et Russell (mathématicien, logicien, philosophe, épistémologue, homme politique et moraliste anglais), et ce, pour l'étude des problèmes scientifiques [8]. D’ailleurs, Carnap a suivi les cours que donnait Frege à Léna4 [13]. La conception de la philosophie est ainsi radicalement modifiée, pour se concentrer sur l'épistémologie et la philosophie des sciences : tout le reste ne serait que des faux problèmes pour lesquels on ne peut attendre aucune solution scientifique. Autrement dit, la philosophie doit être la « logique de la science », c'est-à-dire examiner les théories scientifiques, et en dégager les 4 Grande ville industrielle et universitaire située en Allemagne. relations logiques. Elle doit, à ce titre, montrer comment le langage d'observation constitué par les « propositions protocolaires », voire les « énoncés observationnels », fournit les prémisses sur lesquelles on peut déduire les propositions scientifiques ou celles théoriques, proprement dites [8]. C'est avant tout de Ludwig Wittgenstein, du "Tractatus logico-philosophicus" (1921), que les néopositivistes reçoivent sur ce point l'héritage. Pour ce philosophe, le langage est l'image du monde, et la science n'est rien d'autre que l'ensemble des propositions qui le décrivent. Chacune de ces propositions est l'image d'un « fait », qui s'analyse par liaisons entre faits élémentaires, ou « états de choses », à chacun desquels correspond une proposition élémentaire5 qui en est l'image et qui consiste en l'association d'un prédicat et des noms qui s'y rapportent. Ainsi, la logique, étant l'aspect à priori de connaissance scientifique, se réduit à l'ensemble des contraintes qui règlent l'usage des prédicats et 5 Cf. pp. 21-23. Gottlob Frege 1848-1925 Bertrand Russell 1872-1970
  • 11. Page 11 sur 55 celui des liaisons propositionnelles. La logique n'est rien d'autre qu'une « grammaire » de la langue qui décrit le monde [12]. Certes, le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein réfléchit à partir de la pensée de Russell, et sa première philosophie (celle du "Tractatus logico-philosophicus") influença les idées du Cercle de Vienne, d'où émergea le positivisme logique dans les années 1920 et 1930 [29] même si Wittgenstein considérait que les néopositivistes commettaient de graves contresens sur la signification de sa pensée [22]. ❑ L’empirisme : ensuite, le positivisme logique se distingue de celui de Comte par son empirisme. Chez ce dernier en effet, l'expérience sensible est très largement déterminée par les théories dont nous disposons en vue de la comprendre et n'a aucune priorité, alors que l’empirisme logique considère que la sensation est le fondement de la connaissance, et ce, dans la continuation de l'empirisme de John Locke (philosophe anglais) et David Hume (philosophe, économiste et historien britannique) [8]. Les néopositivistes proclament leur attachement à l'empirisme. Ainsi, ils entendent mener jusqu’au bout les implications de l’empirisme anglais [3], c'est-à-dire attribuer à l'expérience tout le contenu de notre savoir. L'expérience, en tant qu'elle se résout en sensations, telle est, pour les néo-positivistes, la source unique du contenu de nos connaissances. Il n'y a pas de jugements synthétiques à priori : toute proposition valide à priori est analytique6 , c'est-à-dire que sa vérité ne dépend que des propriétés du langage [12]. Les sensations sont absolument indubitables et peuvent donc, une fois formulées dans un langage précis, servir à créer des théories scientifiques. Les sensations doivent prendre la forme d'énoncés protocolaires décrivant qu'une certaine sensation a été ressentie à tel lieu et tel moment par telle personne. Les propositions protocolaires étant absolument vraies, la science n'a plus qu'à comprendre les relations entre eux pour obtenir une théorie complète de la réalité physique. En cela, Ernst Mach est le véritable précurseur du Cercle de Vienne, car il défendait déjà l'idée selon laquelle le concept de réalité objective n'était pas utile en science. La science ne ferait selon lui qu'organiser de façon rationnelle et précise les relations entre nos sensations [8]. → Le Cercle de Vienne défendait l'adoption d'une attitude empiriste et positiviste associée à la logique. C'est pourquoi on parle de positivisme logique ou d'empirisme logique [26]. 6 Cf. pp. 18-19. John Locke 1632-1704 David Hume 1711-1776
  • 12. Page 12 sur 55 Thèses principales La thèse capitale de l'empirisme logique est que toute connaissance scientifique doit venir soit de l'expérience soit d'une vérité logique ou mathématique [26]. À l’origine, le Cercle de Vienne est l'auteur d'un manifeste intitulé : "La Conception scientifique du monde : Le Cercle de Vienne" où il expose ses thèses principales [23]. Le manifeste est un texte historique et programmatique signé par Carnap, Hans Hahn et Otto Neurath. À noter qu’Herbert Feigl (philosophe autrichien) y participa également. Publié en 1929, ledit manuscrit décrit les missions philosophiques, scientifiques et politiques de la conception scientifique du monde adoptée par les membres du Cercle de Vienne. Mais, déjà un an plus tôt, Carnap avait publié "Der Logische Aufbau der Welt" en 1928 [23-17]. Par ailleurs, Alfred J. Ayer (philosophe, logicien et éthicien britannique) a résumé les grandes thèses du positivisme logique, dans son œuvre "Langage, Vérité et Logique" (1936) [8]. En premier lieu, les néo-positivistes voulaient rapprocher la philosophie et la science, en exorcisant de faux problèmes, qu'ils dénoncent sous le nom de métaphysique [12]. En fait, d’après le Cercle, l’analyse des énoncés permet de faire apparaître une démarcation entre7 : 1. Les énoncés qui portent sur des données empiriques dits « pourvus de sens » ; 2. Les énoncés logiques et mathématiques qualifiés de « vides de sens » ; 7 Cf. pp. 17-21. Herbert Feigl 1902-1988 Alfred Jules Ayer 1910-1989 1. Avant tout : Philosophie & Métaphysique
  • 13. Page 13 sur 55 3. Et les énoncés dits « dépourvus de signification », parce qu'ils ne portent sur rien d'empiriquement constatable. Ceux-ci sont qualifiés de "métaphysiques" (car ils portent sur des sujets traditionnellement considérés comme tels) [36-26]. Ceci dit, d’après le positivisme logique, le sens d'une proposition est réduit à sa signification cognitive, autrement dit à la valeur de vérité de celle-ci ; une proposition qui n'est ni vraie ni fausse est, selon le Cercle de Vienne, dépourvue de signification. C'est en ce sens que le positivisme affirme que les énoncés poétiques ou métaphysiques sont des énoncés sur le langage, et non sur le monde : ils n'ont pas de valeur de vérité, celle-ci dépendant d'une correspondance avec les faits empiriques [36]. Dès lors, les énoncés éthiques/métaphysiques sont, en tant qu'énoncés prescriptifs et non descriptifs et vérifiables. Le positivisme logique est ainsi à l'origine de la dichotomie tranchée entre les « faits » et les « valeurs » (reprise par le positivisme juridique), qui a été par la suite partiellement remise en cause [8]. En réalité, il y a plusieurs manières de concevoir cette distinction entre jugements de faits et de celui de valeur… Ainsi, on peut, comme le positivisme logique (Carnap, Ayer), la considérer entant que dichotomie : il y aurait d'un côté les jugements de fait, descriptifs et objectifs, et de l'autre ceux de valeur, prescriptifs, voire subjectifs. Partant, les énoncés scientifiques correspondraient à des jugements de fait, et les énoncés éthiques ou métaphysiques à des jugements de valeur. Toutefois, on peut atténuer cette dichotomie, en ne parlant plus que d'une distinction des faits et des valeurs : c'est la perspective prise par Hilary Putnam (philosophe américain), pour qui les faits et les valeurs sont imbriqués l'un dans l'autre. Dès lors, pour Putnam (2002), la distinction fait-valeurs ne recoupe plus la distinction objectivité/subjectivité. Putnam s'appuie en particulier sur l'exemple des « concepts éthiques épais » (thick ethical concepts), qui mélangent les aspects descriptifs et ceux prescriptifs [19]. Pour Carnap, désireux d'éliminer la métaphysique, « les métaphysiciens sont des musiciens sans talent musical. » et les termes métaphysiques sont dénués de sens [39]. La métaphysique, qui prétend donner des jugements synthétiques à priori au sein du langage ordinaire, est donc sans fondement. Cette dernière s'expliquerait par deux types d'erreurs [26] : 1. D’une part l'usage du langage ordinaire ; 2. D'autre part la supposition d’une connaissance possible par la seule pensée, sans l'aide d'aucune donnée empirique. Cela vise directement la possibilité de jugements synthétiques à priori. La pensée abstraite ne serait capable que de jugements analytiques, passant par déduction d'un énoncé à un autre sans pouvoir rien y ajouter. La métaphysique traditionnelle traite de pseudo-questions, les questions authentiques étant traitées par les sciences. En effet, la métaphysique porte soit sur des mots mal éclaircis, sur des propositions non vérifiables, ou encore sur des propositions pseudo- Hilary Whitehall Putnam 1926
  • 14. Page 14 sur 55 syntaxiques. L’analyse logique bien menée permet de mettre fin à la métaphysique et de la dépasser. La métaphysique demeure dans l’incommunicable, dans l’inexprimable [3]. En 1931, dans "Le Dépassement de la métaphysique par l'analyse logique du langage", Rudolf Carnap argumente au nom des exigences de la syntaxe logique du langage. Les énoncés métaphysiques, pour lui, ne sont ni vrais ni même faux : ils pêchent contre les règles de la syntaxe et constituent des « simili- énoncés » (Scheinsätze) dépourvus de sens. Carnap s'en prend à l'ouvrage de Martin Heidegger (philosophe allemand) "Qu'est-ce que la métaphysique ?" (1929) en montrant par quelles opérations des énoncés doués de sens peuvent, via un usage syntaxiquement déviant de termes tels que « rien », se transformer en phrases qu'il est impossible de traduire en une langue symbolique correcte, et qui sont donc dénués de sens « le néant néantise » (das nichts nichtet) [17]. Dans le même sens, cette fois-ci dans sa "Logische Syntax der Sprache" (1934), dit "Syntaxe logique du langage" en français, Carnap veut montrer que les questions métaphysiques traditionnelles sont de pseudo-questions, dans la mesure où leur mystère repose sur la confusion et le mélange entre des expressions se référant aux objets du monde et des expressions se référant aux propriétés mêmes du langage. De telles pseudo-propositions apparaissent notamment lorsqu'on énonce des propriétés syntaxiques d'un certain langage comme s'il s'agissait de propriétés d'objets réels. Par exemple, dire, avec Wittgenstein, que « le monde est la totalité des faits, non des choses » doit être correctement traduit par la proposition de syntaxe : « la science est un système de propositions et non pas un ensemble de noms. » [12]. Contrairement à une opinion reçue, tous les énoncés métaphysiques ne sont donc pas absurdes (c.-à-d. dépourvus de sens) pour l’empirisme logique. Ainsi, Rudolf Carnap voit qu'un énoncé métaphysique et apparemment ontologique8 tel que « le monde se compose de données sensorielles. » ou « le monde est composé de choses matérielles. » n'est pas absurde ; il donne seulement l'illusion de donner une information sur le monde, alors qu'il exprime en fait une préférence linguistique. En d'autres termes, ces énoncés métaphysiques sont des énoncés sur le langage, thèse qui informe une grande partie de la philosophie analytique [36]. La métaphysique se révèle comme expression inadéquate de la situation de l'homme à l'égard de la vie, d'une « vision du monde ». Il ne reste plus de la philosophie qu'une logique de la science, c'est-à-dire une « syntaxe logique du langage de la science », conviendra Carnap, qui dira plus tard, sous l’influence de David Hilbert et d'Alfred Tarski, que la philosophie est une métathéorie générale de la science, à la fois syntaxique et sémantique9 . 8 Ontologie : partie de la philosophie dont l’objet est l'étude des propriétés les plus générales de l'être, telles que l'existence, la possibilité, la durée, le devenir. 9 Au sujet de la « syntaxe logique du langage » et de la relation syntaxe/sémantique, Cf. pp. 23- 27. Martin Heidegger 1889-1976
  • 15. Page 15 sur 55 La philosophie comme analyse du langage n'est donc pas le point de vue de tous les néo-positivistes, et en particulier de Carnap, qui vise à faire de la philosophie une science parmi les sciences. L'influence reconnue de Tarski et Hilbert l'avait conduit à chercher une exposition strictement formelle et exacte, à l'instar des sciences objectives [12]. Un autre point de vue fait de la philosophie une connaissance rigoureuse pour autant qu’elle prend pour thème le discours scientifique. Elle a pour tâche d’élucider les propositions scientifiques que la science a pour tâche d’établir. Là-dessus plane Wittgenstein qui n’ira pas jusqu’à dire que la philosophie est une science rigoureuse. La philosophie, au sens du "Tractatus", ne peut pas être caractérisée à titre de science en tant que représentation du monde [3]. La première thèse porte sur le langage [26]. Ce dernier, dit Wittgenstein, est « la totalité des propositions. ». Et la proposition elle- même est « une fonction de vérité des propositions élémentaires. ». Cela veut dire qu'en dehors des propositions élémentaires, toute proposition est le résultat d'une construction à partir des propositions élémentaires [34]. De surcroit, à l'époque de "Principia Mathematica" (1910-1913, de Russell et Whitehead), et du "Tractatus", la notion ď « analyse » appliquée au langage voulait dire la résolution ou la réduction de propositions complexes en termes de propositions simples ou propositions élémentaires. C'est ainsi que lorsque Russell et Whitehead (philosophe, logicien et mathématicien britannique) parlent du langage, ils utilisent la notion ď « un ensemble de propositions. », et que, lorsqu'ils parlent d'une proposition complexe, ils considèrent une telle proposition comme étant constituée de propositions élémentaires, voire, disent-ils, « une fonction ayant des propositions comme arguments. ». Plus tard, sous l'influence du "Tractatus", lorsqu'ils écrivirent une seconde introduction pour la 2ème édition de "Principia Mathematica" (1925), ils s'y exprimèrent d'une manière encore plus précise : « Notre système commence avec des "propositions atomiques". ». Bref, le langage ordinaire est considéré comme trompeur et imprécis du point de vue de l’empirisme logique. Il faudrait dans le domaine philosophique et scientifique utiliser un langage précis fondé sur des évidences empiriques. Chaque proposition de base, élémentaire, devrait correspondre à un fait empiriquement avéré. C'est ce qui constituerait le sens de la proposition [26]. Désormais, plusieurs termes nécessitent d’être clarifiés. On verra de la sorte : 1. Qu’est-ce qu’une proposition ? 2. Qu’elles sont les propositions relatives aux théories scientifiques ? 3. Qu’est-ce qu’une proposition élémentaire ? 2. Langage & Analyse du langage Alfred North Whitehe- ad 1861-1947
  • 16. Page 16 sur 55 2.1. Qu’est-ce qu’une proposition ? Frege et Russel ont développé la logique propositionnelle. Qu'est-ce qu'une proposition ? En première approximation, il s'agit d'une phrase. Néanmoins toute phrase n'est pas une proposition. Un ordre : « Il faut aller te coucher » ou une question : « D'où viens-tu ? » ne sont pas des propositions car elles ne peuvent être considérées comme vraies ou fausses. De plus, une phrase comme : « Si je deviens riche, alors je m'achèterai un château » est formée de deux propositions : « Je deviens riche » et « Je m'achèterai un château » reliée par un lien de connexion : « si… alors. ». Une proposition est donc un énoncé capable d'autonomie grammaticale. « Brutus tua César » et « Brutus occidit Caesarem » sont deux phrases différentes mais non deux propositions différentes du moment qu’elles ont exactement le même sens. Une proposition est donc considérée selon sa signification et non comme un ensemble de sons [41]. Mais dans le langage, il y a aussi des propositions complexes telles que les négations, les conjonctions, les disjonctions, etc. Ces propositions contiennent des expressions – les « constantes logiques » comme « ne pas », « et », « ou », etc. – qui, d’après Bertrand Russell, signifiaient des « objets logiques ». Pour Wittgenstein, au contraire, les constantes logiques n’ont pas de valeur désignative : il n’y a rien au monde qui corresponde au signe de négation ou de conjonction. Les constantes logiques ont pour seule fonction de déterminer de quelle manière le sens d’une proposition complexe où elles apparaissent, dépend du sens des propositions plus simples dont elle est constituée. Le sens de chaque proposition complexe dépend de la sorte (pour Ludwig Wittgenstein comme pour Frege) du sens des propositions élémentaires dont elle est constituée. Si nous avons affaire à une proposition sensée, nous devons être en mesure de calculer pour quelles valeurs de vérité des constituants élémentaires la proposition est vraie et pour lesquelles elle est fausse. En principe, toute proposition sensée doit présenter (i) les propositions élémentaires dont dépend sa valeur de vérité, et (ii) comment elle en dépend. De fait, les deux aspects peuvent être plus ou moins « masqués » par la forme grammaticale superficielle de la proposition. C’est alors à l’analyse logique de reconstruire la proposition de manière à ce que l’on voit que sa valeur de vérité dépend des valeurs de vérité des propositions élémentaires dont elle est constituée. Ludwig Wittgenstein accepte donc l’idée russellienne d’analyse ainsi que la distinction entre forme grammaticale et forme logique sur laquelle elle est fondée. De la sorte, il deviendrait évident que ce que la proposition exprime est une dépendance déterminée des valeurs de vérité possibles de ses constituants élémentaires. Et puisque ce qu’une proposition exprime, c’est son sens, il est correct de dire que le sens d’une proposition ce sont ses conditions de vérité.
  • 17. Page 17 sur 55 Les propositions de la logique10 donc se distinguent de toutes les autres parce qu’elles sont vraies quel que soit l’état des choses : leur vérité est indépendante des faits du monde, et donc elle peut être déterminée sans que celles-ci soient confrontées au monde, contrairement à ce qui se passe avec les autres propositions. Elles n’ont alors aucun contenu représentationnel : ce ne sont pas des images de la réalité, elles ne traitent de rien, ne disent rien [5]. 2.2. Propositions relatives aux théories scientifiques On se positionne à cet égard au stade de la théorie vérificationniste du Cercle de Vienne. Dans sa formulation la plus simple, ladite théorie affirme qu'un énoncé n'a de signification cognitive, voire n'est susceptible d'être vrai ou faux, que s'il est vérifiable par l'expérience. Les autres énoncés sont soit analytiques, et « vides de sens » (sinnlos), soit synthétiques mais non vérifiables par l'expérience, c’est-à-dire « absurdes » (unsinnig). Cette distinction entre sinnlos et unsinnig vient du "Tractatus" de Wittgenstein, qui influença remarquablement le programme du Cercle de Vienne [36]. Il importe de noter que le "Tractatus logico-philosophicus" est un ouvrage très court (environ 70 pages) mais déconcertant car il se présente sous forme d'une suite d'aphorismes (7 aphorismes principaux, numérotés de 1 à 7). Il s'agit de répondre à la question "Que peut-on exprimer ?". 10 Cf. pp. 18-19. Wittgenstein y montre que le seul usage correct du langage consiste à exprimer les faits du monde et que les règles à priori de ce langage constituent la logique (celle issue de Frege et de Russell) [41]. Le "Tractatus" est discuté, critiqué et a énormément influencé le Cercle de Vienne. Wittgenstein se voit attribuer le principe de vérifiabilité : sens des propositions ayant un contenu empirique [3] ; il cherche à déterminer les limites de ce qui peut se dire de façon sensée. Wittgenstein différencie donc les propositions sensées de celles qui ne le sont pas. Il distingue trois types d'énoncés [37] : 1. Les propositions sensées, ou pourvues de sens (sinnvoll) ; 2. Les propositions insensées, ou dépourvues de sens (unsinnig) ; 3. Les propositions hors du sens, ou vides de sens (sinnlos). Seule la première catégorie inclut des « propositions » strictement dites. Les 2 autres catégories ne comprennent que des « pseudo- propositions » [37] : ❑ Pourvu de sens : pour le "Tractatus" de Wittgenstein, les propositions sensées répondent à un critère de vérifiabilité. Il ne s'agit pas là de la possibilité effective de vérifier un énoncé ou de la connaissance d'une méthode qui permettrait de le vérifier. Vérifiabilité a ici un sens faible. Une proposition a un sens si on peut concevoir qu'elle soit vérifiée : il n'y a même pas besoin de disposer des conditions d'une vérification théorique. ❑ Vide de sens et non-sens : les énoncés qui ne sont pas sensés sont des pseudo-énoncés, mais être un pseudo-énoncé n'est pas équivalent
  • 18. Page 18 sur 55 à être insensé. De façon assez surprenante, le "Tractatus" ne fait pas coïncider « ce qui n'est pas sensé » avec « ce qui est insensé » ; lorsqu'une expression n'a pas de sens elle n'est pas forcément un non- sens. Les deux catégories correspondent à des éléments très différents, mais la traduction peut parfois induire en erreur. Granger (épistémologue et philosophe rationaliste français) par exemple [37], qui a publié en 1972 une traduction en français du "Tractatus logico- philosophicus", traduit unsinnig « dépourvu de sens » et sinnlos « vide de sens ». Ces deux expressions peuvent être proches en français, alors que les notions d'unsinnig et sinnlos que définit Wittgenstein ne se recoupent pas du tout. Ce dernier établit une différence entre les pseudo-propositions [37] et on a : 1. Sinnlos / Vide de sense, qui ne sont même pas dans le domaine du sens. Les propositions vides de sens, ou hors du sens, sont des propositions formelles. Elles n'ont aucun contenu et ne prétendent pas donner d'information. Wittgenstein pense aux expressions de la logique et des mathématiques (ce qu’on appellera « propositions analytiques ») ; 2. Unsinnig / Non-sens, qui sont dans le non-sens, c'est-à-dire insensées. Ce sont des énoncés qui croient dire des choses sur le réel alors même qu'ils ne le font pas, et surtout qu'ils ne le peuvent pas. Les critères du sens posés par le "Tractatus" rejettent tout énoncé qui ne décrit pas des faits du domaine du sens. Le non-sens ne s'identifie pourtant pas à l'absurde. Ce n'est pas parce qu'une proposition est insensée que ce dont elle tente de parler est sans importance. Ce que Wittgenstein appelle non-sens recouvre un grand nombre de propositions hétéroclites. On pourra trouver parmi elles les énoncés métaphysiques (nous avons déjà vu que les propositions de la métaphysique sont insensées), mais aussi les énoncés éthiques et esthétiques, qui jouissent d'un statut très particulier. Le cas des énoncés philosophiques sera abordé à part, mais il est clair que la philosophie ne produit elle aussi que des pseudo- propositions. L'empirisme logique divise les énoncés des théories scientifiques en « expressions logiques » et « expressions descriptives » [36]. Les premières renvoient au statut « vide de sens », les deuxièmes sont de la catégorie « pourvu de sens » comme suit : ❑ Les propositions logiques et celles mathématiques sont des propositions analytiques : elles rassemblent les connecteurs logiques et les quantificateurs et sont partagés par toutes les sciences. Les énoncés analytiques n'apprennent rien sur le monde, et sont vrais ou fausses de par la signification des termes qui les composent (par validité interne indépendamment du monde). Ce sont des propositions sinnlos et non pas unsinnig, non pas « absurdes », mais « vides de sens » [36]. Les conditions de vérité de ces propositions dépendent des seules relations logiques entre les mots. Par conséquent elles sont déterminées dès lors qu’on connaît les règles linguistiques qui gouvernent les énoncés. Gilles Gaston Granger 1920
  • 19. Page 19 sur 55 Schlick stipule dans "Sur le fondement de la connaissance" (1935) : « La validité des propositions analytiques ne soulève aucune contribution à leur exactitude, simplement parce qu’ils n’expriment, comme tel, rien des objets d’expérience. Il ne leur appartient de ce fait que la « vérité formelle », ne tenant nullement à l’exactitude avec laquelle ils expriment quelque chose sur le monde, mais tenant uniquement à ce qu’ils sont correctement présentés dans leur forme, c’est-à-dire en parfaite concordance avec nos définitions arbitrairement posées. ». La phrase analytique est une proposition non métaphysique, vide de tout contenu factuel, elle n’apporte pas de connaissance nouvelle. Ces énoncés analytiques sont des tautologies. Une proposition est soit analytique et est à priori, soit elle est synthétique et, par conséquent, à posteriori [3]. ❑ Les propositions descriptives ou empiriques11 sont dites synthétiques : celles-ci sont spécifiques à chaque science (par exemple le concept de « force », d'« électron » ou de « molécule ») [36]. Ces propositions portent sur le monde et ne sont vraies que si elles correspondent au monde. Cette correspondance est justement leur "signification" [26]. Pour qu'un énoncé synthétique ait un sens, il faut donc qu'il porte sur un fait empirique observable. S'il n'est pas vérifiable via l'expérience, alors c'est soit de la pseudo-science (para-science), soit de la métaphysique [36]. Dans ce cas, on parle de proposition non vérifiable par l'expérience, et donc « absurde » (unsinnig). 11 L’appellation « empirique » est tirée de : http://www.implications- philosophiques.org/actualite/une/l%E2%80%99heritage-wittgensteinien-du-tractatus-et-le- neopositivisme-de-schlick-et-carnap/ Les propositions synthétiques sont donc les énoncés dont la signification exige l’expérience. L’empirisme prône d’interpréter cette signification comme factuelle par relation de symbolisation à un fait. Cette thèse qui fait état d’un référent extra-linguistique en matière de la détermination de la signification cognitive exclut la possibilité de fait transcendantal12 . Ni la vérité ni la fausseté d’un tel énoncé ne peuvent s’établir sur une base purement linguistique. Seul le recours à un facteur non linguistique, mais empirique, permet de le caractériser. La thèse révèle une doctrine de la signification ajoutée à l’idée forte de l’empirisme, à savoir que toute connaissance vient de l’expérience et que l’expérience seule permet de déterminer la vérité d’un énoncé. On en arrive ainsi à l’énoncé du principe de l’empirisme, à l’énoncé des critères de signification et de vérifiabilité formulés par Carnap13 . La signification d’un énoncé synthétique réside dans le fait qu’il exprime un état de choses concevable. Si un énoncé n’exprime pas un état de choses concevable, il n’a pas de sens. Il n’est un énoncé qu’en apparence. S’il exprime un état de choses concevable, alors il est de toute façon signifiant ; vrai si l’état de choses existe, faux si l’état de choses n’existe pas. 12 L’adjectif transcendantal renvoie ici à ce qui est purement rationnel, qui se fonde sur des données à priori. En fait, « transcendantal » est un terme fondamental pour la philosophie moderne et dont le succès vient de l’importance que lui donna d’abord Kant et ensuite Edmund Husserl. 13 Cf. pp. 35-41.
  • 20. Page 20 sur 55 Carnap établit une équivalence logique entre un énoncé significatif et un état de choses concevable. Signifier veut dire décrire l’état de choses qui devra exister, si l’énoncé est vrai. Les positivistes logiques réfléchissent sur la signification en termes de vérification. L’énoncé synthétique est pourvu de sens si sont stipulées les conditions de sa vérification, c’est-à-dire si l’on est en mesure de décrire l’ensemble des expériences dont l’exécution entraînerait sa vérification [3]. Il est vrai qu'un philosophe pourtant proche par ses origines du néo- positivisme, Willard Van Orman Quine, a poussé si loin la critique du langage que la distinction entre analytique et synthétique s'estompe, et que son empirisme tend vers un pragmatisme. Mais c'est là un exemple des voies divergentes qu'autorise l'attitude néo-positiviste et la distinction de l'apport analytique du langage et de celui synthétique de la sensation demeure caractéristique de cette attitude [12]. Les propositions descriptives ou synthétiques eux-mêmes se divisent en « langage observationnel » et en « langage théorique » [36] : Le langage observationnel désigne les entités publiquement observables (c'est-à-dire observables à vue nue, par exemple une « chaise ») ; Tandis que le langage théorique comporte des termes désignant des entités non observables (ou plus difficilement observables, comme un « proton »). En fait, au moyen de la conception vérificationniste de la vérification, il est possible d’établir une distinction entre les énoncés observationnels et ceux théoriques. Pour cette raison, le langage de la science peut être partitionné en 2 sous-ensembles disjoints : énoncés observationnels et énoncés théoriques, de sorte que [28] : Aucun énoncé observationnel ne dérive son sens et sa confirmation de celui d’un ou d’un ensemble d’énoncés théoriques ; Tous les énoncés théoriques dérivent leur sens et leur confirmation de celui d’un ou d’un ensemble d’énoncés observationnels. De par cette distinction entre « énoncés descriptifs observationnels » et « énoncés descriptifs théoriques », la théorie vérificationniste de la signification en arrive à postuler qu'« un énoncé a une signification cognitive (autrement dit, fait une assertion vraie ou fausse) si et seulement s'il n'est pas analytique ou contradictoire et s'il est logiquement déductible d'une classe finie d'énoncés observables. » [36]. Dit autrement, l’empirisme logique développe cette double exigence de vérifier le langage par l'analyse logique (détecter les contradictions et les tautologies) et par le renvoi éventuel à un objet singulier et immédiat de l'expérience (critère « vérificationniste »14 ) [4]. Toutes les théories scientifiques pourraient se ramener à des systèmes explicatifs de type logicomathématiques, voire aussi à des propositions élémentaires empiriques. Les premières sont les "explications" et les secondes la "justification" de la théorie explicative. 14 Cf. plus de détails au sujet des critères vérificationnistes, pp. 35-41.
  • 21. Page 21 sur 55 Cela abouti à distinguer le "contexte de la découverte" (renvoyé du côté des sociologues/psychologues) et le "contexte de la justification" (la philosophie analytique propose à ce titre une analyse normative de la justification et laisse de côté le contexte de la découverte) [26]. Par ailleurs, le Cercle de Vienne partage une conception instrumentale des théories scientifiques : celles-ci doivent permettre de faire des prédictions observables, et non d'expliquer la réalité, c'est-à-dire de donner des représentations (vraies ou fausses) de la réalité. Conformément à la distinction, parmi les énoncés descriptifs, entre les énoncés observationnels et ceux théoriques, les positivistes tentent de « traduire le vocabulaire théorique au niveau du vocabulaire observationnel », puisque seul celui-ci peut fournir un appui empirique à la connaissance. Mais en 1936-1937, Carnap montre l'échec de ce programme, dans un article intitulé "Testability and Meaning" [8]. 2.3. Propositions élémentaires Aux états de choses, des enchaînements d'objets simples, correspondent des propositions élémentaires qui revendiquent l'existence d'états de choses. Le monde peut être entièrement décrit en répertoriant toutes les propositions élémentaires (qui renvoient au langage observationnel) et en répertoriant ensuite celles d'entre elles qui sont vraies et celles qui sont fausses. Le seul usage correct du langage consiste à exprimer les faits du monde [41]. Selon le positivisme logique, les « énoncés de base » (ou propositions élémentaires) sont les points de tangence du discours scientifique et de la réalité empirique. À ce titre, ils garantissent l'objectivité et la vérité de l'édifice de la science positive et lui assurent un ancrage dans la réalité qui le distingue des systèmes métaphysiques et de ceux pseudo-scientifiques [18]. Ces énoncés de base ou propositions les plus simples, que Wittgenstein appelle propositions élémentaires15 [5] ont suscité de nombreuses controverses. Parmi les questions le plus souvent abordées, on peut mentionner les suivantes [10] : L'aspect subjectif de l'expérience perceptive, fût-elle d'observation. Les propositions élémentaires doivent-elles être les descriptions des expériences privées du locuteur, ou d'événements observables par tous ? Ces énoncés sont-ils indubitables, irréfutables, ou falsifiables ? Est-il même légitime d'admettre l'existence d'une classe particulière de propositions à titre de propositions élémentaires ? À cet égard, les énoncés protocolaires représentent une espèce dont le genre serait ce qu'on appelle « propositions élémentaires », ou « propositions de base » (basic statements). Parmi ces dernières, il faudrait compter d'autres espèces, tels les « constats d'expériences » (en allemand, « Konstatierungen ») de Schlick, qui se caractérisent par l'usage des particuliers égocentriques (je, ici, maintenant), tandis que les 15 Russell parle, comme l’on a indiqué auparavant (Cf. p. 15) de « proposition atomique » qui constitue pour lui la base de la logique. Elle est dite atomique parce que c'est « une proposition qui ne contient qu'un seul verbe. » (ex : « Socrate est mortel », « Il pleut »). Cette proposition simple est vraie ou fausse. Les propositions moléculaires (c.-à-d. complexes) sont composées de plusieurs propositions atomiques liées par des mots qui ont une fonction logique : « et », « si », « ou », « alors », etc. représentés par des symboles. Pour plus de détails là-dessus, Cf. la notion d’« Atomisme logique » dans sa version russellien et wittgensteinienne.
  • 22. Page 22 sur 55 énoncés protocolaires ont une expression objective (un tel, au lieu x, à l'instant t). On trouve chez Russell ("The Analysis of Mind", 1921 ; "An Inquiry into Meaning and Truth", 1940) et chez Ayer ("Basic Propositions", 1950) des conceptions différentes. C'est autour des années trente que les néo-positivistes (membres du Cercle de Vienne), Carnap et Neurath, donnent à l'expression d’énoncé protocolaire un sens renouvelé et lui font désigner les propositions qui, décrivant l'expérience immédiate, la perception d'un observateur, sont considérées comme les éléments premiers de la connaissance et de la science. En 1931, Carnap semble admettre parmi les énoncés protocolaires aussi bien « Vert ici maintenant », « Joie maintenant » que « Cercle vert maintenant » ou « Une boule verte roule sur la table ». Neurath y ajoute la mention du nom de l'observateur, par souci de communicabilité intersubjective : « Énoncé protocolaire d'Otto, à 3h17 ⇌ pensée verbale d'Otto, à 3h16 ⇌ dans la pièce, à 3h15, une table était perçue par Otto ». Les énoncés protocolaires répondent à une triple préoccupation [10] : 1. En premier lieu, ils découlent de l'analyse faite par Wittgenstein du langage scientifique dans le "Tractatus logico-philosophicus" en 1921 : le sens et la vérité d'une proposition complexe dépendent de la vérité de ses constituants, ces derniers peuvent être également complexes. L'analyse se termine lorsqu'on parvient à des propositions élémentaires ultimes, c'est-à-dire, pour Wittgenstein, à des agencements de noms qui représentent les agencements possibles de choses simples, à des « tableaux logiques d'états de choses élémentaires » (les énoncés protocolaires peuvent donc être considérés, pour une part, comme de tels tableaux logiques) ; 2. En deuxième lieu, ils répondent au souci de trouver un fondement de la science : tout repose en définitive sur la vérité ou la fausseté des propositions élémentaires. En 1934, M. Schlick parle de la quête nécessaire d'une classe de propositions qui fournissent le « fondement inébranlable et indubitable de toute connaissance. » ; 3. Enfin, ils répondent au souci de fonder le principe de vérifiabilité… Dès lors, on sait que l’énoncé décrivant un état de choses concevable est l’énoncé observationnel ou protocolaire. Les énoncés protocolaires sont les réquisits ultimes de l’analyse. Les membres du Cercle de Vienne sont unanimes pour les assimiler aux énoncés qui touchent les données des sens et qui ne sont donc plus analysables. Sur cette base, les positivistes logiques rangent les énoncés des sciences parmi les discours pourvus de sens tandis qu’ils en excluent les pseudo-énoncés métaphysiques, éthiques et théologiques. Un tel critère est trop exigeant. Sous les critiques de Karl Popper, Willard Quine et de John Austin (philosophe anglais), les positivistes logiques vont affaiblir les critères de vérification empirique. Ils étendent le statut cognitif de signifiance à toute proposition dont on peut logiquement déduire une proposition empiriquement vérifiable. John Langshaw Austin 1911-1960
  • 23. Page 23 sur 55 Si la vérification empirique, hic et nunc, est incertaine – puisqu’on n’est pas assuré d’avoir spécifié tous les énoncés protocolaires se rapportant à l’expérience originaire –, l’autre façon est d’envisager une vérification en termes de logique. C’est une possibilité logique, et non plus empirique, de l’énoncé lui- même, donc une propriété interne dont l’examen fera apparaître à partir de ses termes constitutifs des énoncés protocolaires précis. Si ce n’est pas le cas, alors l’énoncé est considéré comme dépourvu de signification cognitive [3]. De prime à bord, le statut de la logique ne fait pas l'unanimité dans le Cercle de Vienne, et a été sujet de changements de vues. Ainsi, Schlick défend une conception, proche de Wittgenstein, qui fait de la logique une activité et non une théorie. La logique ne pouvant rien dire de sensé, elle a seulement pour rôle de donner des éclaircissements sur les propositions scientifiques. Partant, la théorie vérificationniste de la vérité, qui est censée distinguer le sens (propositions pourvues de sens) du non-sens (propositions absurdes), serait elle-même un non-sens [8]. Wittgenstein a avancé l’idée que la logique doit être conçue comme la grammaire16 qui décrit le monde. On est loin de George Boole (logicien, mathématicien et philosophe britannique) qui conçoit la logique comme un ensemble des lois de la pensée. 16 Ensemble des règles qui président à la correction, à la norme de la langue écrite ou parlée. Il ne s’agit pas pareillement de la logique d’Aristote (philosophe, logicien et scientifique grec) conçue comme une théorie des syllogismes17 où les considérations logiques sont liées à l’ontologie. Ce n’est pas non plus celle de Emmanuel Kant qui traite des règles universelles de l’entendement [3]. Pour Carnap, certes la logique ne parle pas des objets du monde, mais elle est bien une théorie, elle établit la syntaxe18 des propositions scientifiques [8]. Chez les positivistes logiques, l’analyse du langage (qui veut dire, comme l’on a vu, la réduction des propositions complexes en termes de propositions élémentaires) est la seule voie d’accès à la logique et, inversement, l’appareil de la logique symbolique est l’instrument que le philosophe doit appliquer pour analyser et élucider tout sorte d’énoncé, en particulier les énoncés des sciences. La logique est le guide de l’analyse. Si, dans la connaissance scientifique, l’apport empirique vient de l’observation, tout l’apport formel vient de la logique du langage. La logique constitue l’aspect « à priori » de la connaissance [3]. Là-dessus, Carnap ne s’y oppose pas (c'est-à-dire au fait que la logique constitue l’aspect à priori de la connaissance), bien qu’il introduit l’aspect syntaxique à l’analyse du langage, voire à la logique. Il parle ainsi de « syntaxe logique du langage ». 17 Le syllogisme est un raisonnement logique à deux propositions (également appelées prémisses) conduisant à une conclusion qu'Aristote a été le premier à formaliser. Par exemple, « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel » est un syllogisme. La science des syllogismes est la syllogistique, à laquelle se sont intéressés les penseurs de la scolastique médiévale, mais aussi Antoine Arnauld, Gottfried Leibniz, Emmanuel Kant, et Émile Durkheim. Elle est l'ancêtre de la logique mathématique moderne et a été enseignée jusqu'à la fin du XIXème siècle. 18 La syntaxe est, à l'origine, la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les mots se combinent pour former des phrases ou des énoncés dans une langue. On distingue la syntaxe qui concerne les expressions [les mots/le signifiant], de la sémantique qui concerne ce qui est visé par les expressions [les choses/le signifié]. 3. Logique & Syntaxe logique du langage George Boole 1815-1864 Aristote 384 av. J.- C.- 322 av. J.-C.
  • 24. Page 24 sur 55 Durant sa période praguoise (1931-1935) et dans le prolongement de l'étude du langage de la métaphysique, Carnap avait entrepris un grand travail sur la syntaxe logique du langage (1934) dans lequel il systématise les méthodes formelles utilisées dans la recherche des fondements en mathématique (Hilbert et Brouwer (mathématicien et philosophe néerlandais), l'école polonaise). Il y formule son « principe de tolérance » en matière de syntaxe – c'est-à-dire de logique – : « En logique, il n'y a pas de morale ; chacun peut construire sa forme de langage comme il l'entend. » [17-12]. Il vaut la peine de citer à ce propos ce que le logicien Rudolf Carnap avait à dire sur ce sujet il y a presque neuf décennies dans son œuvre : "The logical syntax of language" de 1937 : « Par syntaxe logique d'un langage, nous entendons la théorie formelle des formes linguistiques de ce langage, l'exposé systématique des règles formelles qui le gouvernent, et le développement des conséquences qui résultent de ces règles. (…) Selon l'opinion régnante, la syntaxe et la logique, en dépit de quelques points de contact, sont fondamentalement des théories d'un type très différent. On suppose que la syntaxe d'un langage fixe les règles selon lesquelles les structures linguistiques (ainsi, les phrases) doivent être formées à partir des éléments (ainsi, les mots ou les parties de mots). On suppose, d'autre part, que la tâche principale de la logique est de formuler les règles selon lesquelles des jugements peuvent être inférés à partir d'autres jugements ; en d'autres termes, les règles selon lesquelles des conclusions peuvent être tirées de prémisses. Mais, comme l'a montré son développement au cours des dix dernières années, on ne peut atteindre quelque précision dans l'étude de la logique, que lorsque celle-ci est fondée non sur des jugements (pensées, ou contenu des pensées), mais plutôt sur des expressions linguistiques ; les plus importantes parmi celles-ci étant les énoncés, parce qu'ils sont les seuls pour lesquels il est possible de fixer des règles nettement définies. (…) On y verra que la logique, elle aussi, doit s'occuper du traitement formel des énoncés. Nous verrons que les caractéristiques logiques des énoncés (par exemple, si un énoncé est analytique, synthétique, ou contradictoire ; s'il est ou non un énoncé existentiel, etc.) et leurs relations logiques (par exemple, si deux énoncés se contredisent ou sont compatibles, etc. ; si l'un est ou non logiquement déductible d'un autre, etc.), dépendent uniquement de la structure syntaxique des énoncés. De cette façon, la logique deviendra une partie de la syntaxe, pourvu qu'on ait de celle-ci une conception assez large, et qu'on la formule avec exactitude. » [1]. Carnap, le premier, avait donc développé une syntaxe logique, qu'il considérait comme représentant à elle seule tout l'apport formel du langage [12]. Convaincu finalement par les arguments physicalistes de Neurath19 , Carnap essaya en 1934 dans sa "Logische Syntax der Sprache", de construire des règles syntaxiques permettant d’éliminer du langage ordinaire toutes les phrases contradictoires ou dépourvues de sens. Le but étant d’arriver à exprimer le discours scientifique et les énoncés protocolaires dans un langage tel que tout énoncé bien formé soit automatiquement pourvu de signification. Dans cette tentative, Carnap espérait déduire de la seule analyse syntaxique d’une proposition si elle 19 Cf. physicalisme de Neurath, pp. 28-35. Luitzen Egbertus Jan Brouwer 1881-1966
  • 25. Page 25 sur 55 est ou non pourvue de signification empirique. Il reconnut plus tard dans son "Introduction to Semantics" qu’il est cependant impossible pour y parvenir de se passer de considérations sémantiques [15]. De ce point de vue, il déterminait un langage au moyen des règles de « formation » des énoncés propositionnels corrects, et au moyen des règles de « transformation » permettant de passer d'une ou plusieurs propositions à une proposition qui en est la conséquence. R. Carnap construisait ainsi à titre d'exemple deux langages de richesse croissante, dont le second seulement offrait la possibilité de développer l'arithmétique et l'ensemble des mathématiques classiques : la langue I est censée répondre aux exigences des intuitionnistes et constructivistes tandis que la langue II permet d'exprimer la mathématique classique et même la physique [17-12]. En effet, les critères de vérification empirique qui sont proprement sémantiques supposent que les conditions syntaxiques aient été respectées : « l’exigence première de la logique » est qu’« un mot doit indiquer sa syntaxe, c’est-à-dire la forme de l’énoncé élémentaire dans lequel il figure. ». Où emprunter les critères formels ? On aura recours non seulement à la grammaire ordinaire, mais aussi et surtout à la grammaire logique, à la syntaxe logique du langage qui fournit les règles de formation des bons énoncés et les règles de déductibilité d’énoncé à énoncé [3]. Au sujet de la distinction entre la syntaxe et la sémantique, Charles W. Morris (sémioticien et philosophe américain), introduira une triple distinction, devenue classique, dans cette analyse du langage à laquelle il donnera le nom général de « sémiotique », théorie des signes, à la fois science particulière et organon de toutes les sciences. Partant, les signes ont des rapports [12] : 1. Entre eux en tant que signes : leur étude constitue la syntaxe ; 2. Avec les objets et les faits auxquels ils renvoient : leur étude est la sémantique ; 3. Avec les personnes qui en usent dont l’étude est la pragmatique. Carnap entreprend de démontrer au niveau de la "Syntaxe logique du langage" que les préalables à la construction des systèmes logiques sont ceux d'une syntaxe générale englobant tous les autres langages. L'ambition précisée dans la préface de l'ouvrage indique que la logique des sciences remplace la philosophie car elle n'est rien d'autre que la syntaxe logique du langage de la science, et in fine des mathématiques. De ce fait, Rudolf Carnap espère réduire les problèmes mathématiques et logiques aux problèmes syntaxiques, induisant de cela que les relations sémantiques et les questions implicites de la signification se résorberaient dans l'étude de l'enchainement formel des symboles. La syntaxe générale serait ainsi la théorie formelle des formes linguistiques et elle se confondrait avec l'analyse combinatoire20 par arithmétisation, selon les procédés introduit entre autres par K. Gödel. Seulement, cette poursuite de l'édification d'un langage qui se réduirait à une pure syntaxe semble également guidée par l'intention d'éviter la sémantique et les questions de la signification [27]. Au niveau de la "Syntaxe logique du langage", Carnap introduit sa célèbre distinction entre le mode matériel et le mode formel du discours. La 20 En mathématiques, la combinatoire ou analyse combinatoire, étudie les configurations de collections finies d'objets ou les combinaisons d'ensembles finis, et les dénombrements. Charles William Morris 1901-1979
  • 26. Page 26 sur 55 science comporte 2 classes d'énoncés : les énoncés d'objet (ex : « cinq est un nombre premier ») et les énoncés syntaxiques (en mode formel, ex : « cinq n'est pas un terme d'objet, mais un terme numérique »). Or, il existe une classe intermédiaire, à savoir, les énoncés quasi syntaxiques en mode matériel. Il s’agit des énoncés syntaxiques déguisés en énoncés d'objet (ex : « cinq n'est pas une chose, mais un nombre »). L'usage matériel du discours n'est pas condamnable lorsqu'un tel énoncé peut être traduit en mode formel. Ainsi, la deuxième assertion du "Tractatus" de Wittgenstein : « le monde est la totalité des faits, non des choses », deviendra : « la science est un système d'énoncés, non de noms. ». L'usage matériel est cependant dangereux, car les confusions philosophiques résultent précisément de l'emploi matériel, qui n'est pas traduisible en mode formel [17]. La reformulation dans l'« idiome formel » les phrases de l'« idiome matériel » permet à R. Carnap de montrer que certains énoncés dits métaphysiques ne sont pas absurdes, mais « donnent l'illusion de transmettre une information sur le monde. ». Il rejoint alors la thèse de Wittgenstein dans le "Tractatus logico-philosophicus", qui distingue radicalement la science de la philosophie : les énoncés philosophiques, lorsqu'ils ne sont pas absurdes, ne portent pas sur le monde, mais sur le langage ; ils expriment une préférence à l'égard d'un cadre linguistique. Mais si en 1934, Carnap affirme, dans la "Syntaxe logique du langage", qu'il est possible de distinguer dans un langage les énoncés dotés de sens des énoncés absurdes (Unsinnig) à l'aide d'une simple « analyse formelle purement syntaxique », il reconnaît dans "Introduction to Semantics" (1942), écrit après les travaux de Tarski, la nécessité de recourir à des concepts sémantiques (comme ceux de référence et de vérité) pour déterminer le statut cognitif des énoncés d'un langage [8]. En fait, l'étude de la signification se voyait s'infiltrer en linguistique dans le premier quart du XXème siècle, mais depuis, et grâce surtout aux efforts des logiciens polonais, la sémantique est devenue un domaine bien défini, et rigoureux. Ce changement conduit Rudolf Carnap à réintroduire la sémantique en logique, et il devrait inviter la linguistique descriptive21 à suivre son exemple [1]. La parution donc, un an après la "Syntaxe logique du langage", des travaux d'Alfred Tarski sur la sémantique obligea Carnap à élargir le point de vue syntaxique et à tenir compte des concepts de signification, de dénotation et de vérité. Ses trois volumes de "Studies in Semantics" présentent la théorie des concepts logico-sémantiques (L-concepts) et des concepts syntaxiques (C-concepts). Sans s'en rendre compte, Carnap y retrouve, en les exposant dans une langue symbolique, la plupart des résultats de la logique de Bolzano (mathématicien, logicien, philosophe et théologien autrichien). Le point de vue de Carnap consiste à considérer les symboles dans leur rapport avec des désignations possibles. Un langage est alors défini au moyen de règles de formation, de règles de désignation et de règles de 21 En linguistique descriptive, les spécialistes recueillent des données auprès de locuteurs natifs ; ils analysent les composants de leurs discours et organisent les données en fonction de niveaux hiérarchiques distincts : phonologie, morphologie et syntaxe. La linguistique descriptive, ou descriptivisme, est une étude synchronique de la langue qui s'oppose ainsi à la linguistique historique. Bernard Bolzano 1781-1848
  • 27. Page 27 sur 55 « vérité », qui indiquent à quelles conditions générales les propositions seront considérées comme vraies [12]. Dans le troisième volume des "Studies, Meaning and Necessity" (1947), il aborde l'étude de la logique non extensionnelle, plus particulièrement la théorie de la signification (meaning) d'une expression, qui est analysée en deux composantes : l'extension et l'intension. Dans le dernier chapitre, il traite de la logique modale. L’intérêt de R. Carnap pour le langage des sciences et la philosophie a fait de lui l'un des initiateurs du « tournant linguistique » en philosophie [17]. Sans nécessairement adopter une définition aussi stricte de la philosophie comme science du langage scientifique, les néo-positivistes des années trente se sont mis d'accord pour entreprendre une mise en ordre de l'ensemble des énoncés scientifiques. Ce projet grandiose, renouvelé de Leibniz (philosophe, mathématicien, logicien, diplomate, juriste et philologue allemand) et des encyclopédistes français, a explicitement pour visée d'unifier non le contenu de la connaissance, mais son langage [12]. À savoir, l’idée d’unification leur est fournie par l’importance de la fonction logique assurée par l’expression linguistique. En réalité, si les sciences peuvent toutes se fonder sur les propositions protocolaires, alors les sciences auront une unité non seulement méthodologique mais aussi théorique. Il n'y a plus de raison de distinguer les différentes sciences en fonction de leur domaine comme le faisait Comte [3]. 4.1. Physicalisme La science doit pouvoir être unifiée au moins dans son langage. Il s’agit alors de découvrir un tel langage qui doit pouvoir faire l’accord de tous les esprits et permettre l’intensification de la science. Ce langage, selon Carnap et Neurath, est le langage de la physique, plus exactement le langage physicaliste (Dingsprache) portant sur les « choses » et qui doit pouvoir s’étendre à la psychologie qui y sera traduite [3]. Pour Neurath et Carnap, le langage permettant d'assurer à la fois un accord intersubjectif22 et une extension universelle est donc celui de la physique, ou plus exactement le langage qualitatif portant sur les choses. Ainsi, les faits psychiques, en particulier, peuvent bien être traités par le psychologue d'une manière quelconque : ses propositions seront, en tout cas, traduisibles dans le langage physicaliste, telle est la thèse. Carnap va même plus loin et propose comme but plausible pour le développement futur de la science, non pas seulement une unification de son langage, mais encore une réduction logique de ses lois à celles de la physique [12]. Pareillement, d'après Quine, l'unité de la science repose sur l'unité du réel. Tous les phénomènes (biologiques, sociaux, culturels, etc.) sont réductibles à des phénomènes physiques, c'est-à-dire entièrement descriptibles à partir des lois fondamentales de la physique [8]. 22 L’intersubjectivité veut dire ce qui est commun à tous et qui en tant que tel cimente les individus les uns aux autres en leur permettant de se ressembler suffisamment pour comprendre et échanger (ex : la conscience, le langage, les sentiments). Gottfried Wilhelm von Leibniz 1646-1716 4. Unité des sciences & Physicalisme
  • 28. Page 28 sur 55 Il n'est pas certain que les lois de la biologie, à titre d’exemple, se réduisent aux lois de la physique mais les énoncés devront se réduire aux concepts physiques. C'est ce que Otto Neurath appela : « physicalisme » [26]. Le terme du « physicalisme » a été introduit par Neurath en 1929, et la doctrine qu’il désignait allait devenir prédominante au sein du Cercle de Vienne, concurremment avec la thèse de l’unité de la science. Le physicalisme signifiait en premier lieu le choix d’un langage pour la conception scientifique du monde. Ce choix était celui du langage physique des choses observables, adéquat à la formulation de tous les énoncés doués de sens. Un tel langage est celui du commerce quotidien, lorsque nous décrivons nos transactions avec les propriétés physiques du monde ; selon Neurath, le langage unifié du physicalisme (Einheitssprache des Physicalismus) : « (…) généralement dérivé des modifications du langage quotidien (Sprache des Alltags), est le langage de la physique (…). La science vise à transformer les énoncés de la vie quotidienne (die Sätze des Alltags). Ceux-ci nous sont donnés comme des "mixtes" (Ballungen), consistant en éléments physicaliste et pré-physicalistes (physikalistischen und vorphysikalistischen). Nous les remplaçons par les "standardisations" du langage physique. (…) le langage quotidien physicaliste s’obtiendra à partir du langage quotidien réel, dont seules certaines parties devront être écartées, tandis que d’autres seront intégrées et complétées pour corriger certaines déficiences (…). Le langage du physicalisme n’est pour ainsi dire aucunement nouveau ; c’est le langage familier aux enfants et aux peuples encore "naïfs" (naiven Kindern und Völkern). ». On voit immédiatement la raison pour laquelle le choix du physicalisme comme langage de la science devait impliquer celui du behaviorisme méthodologique en psychologie23 [11]. Là-dessus, pour Carnap, « La soi-disant psychologique du comportement (le "behaviourisme" de Watson (psychologiste américain), Dewey (philosophe/psychologiste américain) et les autres) réduit tous les phénomènes psychologiques à ceux qui peuvent être perçus par les sens, c'est-à-dire au physique. Ainsi un système constructionniste qui est basé sur cette position devrait choisir une base physique. » [33]. Le langage psychologique devrait, par là-même, être « physicalisé » selon l’expression de Neurath. D’après Carnap, « la thèse du physicalisme telle qu’elle a été à l’origine admise par le Cercle de Vienne, soutenait à peu près la conception selon laquelle chaque concept du langage de la science pouvait être explicitement défini en termes d’observables ; par conséquent, chaque phrase du langage de la science était traduisible en une phrase portant sur des propriétés observables. » [11]. Néanmoins, il compte de signaler que dans la recherche d’un langage unifié pour les sciences, la première réduction carnapienne, celle de l’"Aufbau", n’était pas physicaliste mais phénoménaliste ; la « base de réduction » étant formulée dans le langage solipsiste24 du psychisme propre [11]. Or, Neurath parvint à convaincre Carnap d'abandonner le langage phénoménaliste pour adopter le physicalisme [17]. 23 Le béhaviorisme ou comportementalisme est une approche psychologique qui consiste à se concentrer sur le comportement observable déterminé par l'environnement et l'histoire des interactions de l'individu avec son milieu. 24 Le solipsisme est une démarche de la philosophe qui pose la subjectivité comme fait primitif et qui pratique le scepticisme radical face à tout jugement sur la réalité objective. John Broadus Watson 1878-1958 John Dewey 1859-1952
  • 29. Page 29 sur 55 Pour comprendre comment Carnap s’y est arrivé, il faut savoir que "Der logische Aufbau der Welt" est l’ouvrage constituant le point de départ des discussions autour du physicalisme à partir duquel Rudolf Carnap entend donc réduire les concepts de tous les domaines à un nombre minimal d'éléments de base [17]. Le projet de l’"Aufbau" est un projet de traduction, de réexpression de la science et n’a rien à voir avec la science entant que recherche sur le réel. Son but est d’arriver à une description totale de l’Univers qui ne peut être qu’une description de relations, ordonnant une structure, et non de propriétés [33]. Carnap y distingue quatre grandes sphères de la connaissance [17] : 1. Les objets socio-culturels (geistige Gegenstände) ; 2. Les objets hétéropsychiques (les autres moi) ; 3. Les objets physiques ; 4. Les objets autopsychiques (objets de l'expérience privée). Cette construction est une réduction qui doit aboutir à un système constitutif, voire à un arbre généalogique des concepts, reliés par des chaînes de définitions aux éléments de base. De cette manière, les concepts de toutes les sciences seront rattachés au même domaine fondamental et l'unité de la science sera réalisée. La méthode de Rudolf Carnap suppose la logique symbolique moderne, qui, avec sa théorie des relations, est seule capable de fournir les instruments pour des descriptions structurelles [17]. De manière précise, "La construction logique du monde" se heurte au moins à deux problèmes : (i) le choix des éléments fondamentaux à partir desquels tout le reste sera construit, et (ii) le choix des relations de base, c'est-à-dire des formes logiques grâce auxquelles le passage d’un degré au suivant sera fait : ❑ Les éléments de base : pour des raisons épistémologiques, Rudolf Carnap choisit une base autopsychique comme point de départ de sa construction : les éléments de base sont mes vécus élémentaires (Elementarerlebnisse) [17]. Il s’agit d’une base phénoménale constituée par des énoncés au sujet d’expériences perceptuelles. Ces éléments de base auraient pu être physiques : la constitution aurait été matérialiste. La base physicaliste prendrait comme éléments primitifs les objets physiques [17]. Carnap hésite sur ce point. Pour lui, le choix d’un langage phénoménaliste a un double avantage : 1. Le premier est épistémologique : un tel langage permet d’opérer la définition ou constitution des concepts à l’aide des énoncés par lesquels commence véritablement la connaissance ; 2. Le deuxième avantage est celui de la simplicité : un tel langage est parmi tous les langages celui qui requière la base la plus économique. Carnap justifiera son choix d’une base auto psychologique par le fait que tout énoncé qui n’est pas réductible à des énoncés portant sur des qualités sensibles parlerait d’objet dépourvus de repères perceptifs et serait donc exclu de la science. Ainsi, la relation psychophysique ne peut relever que de ma propre expérience. Or, dira Neurath, le langage phénoménaliste est subjectif alors que celui de la science est intersubjectif [33].
  • 30. Page 30 sur 55 Comment atteindre donc l’objectivité, voire l’intersubjectivité pour Carnap, à travers ce système formel dont la base, formée d’éléments du vécu, est phénoménale ? La réponse de Carnap est que la matière des vécus individuels est effectivement incomparable : il n’existe pas deux sentiments ou deux sensations qui soient comparables. Cependant, la structure de tout vécu est la même. Les propriétés structurelles sont valables pour tous les « fleuves du vécu ». Malgré tout et sous l’influence de Neurath, Carnap et au début des années 30, admettait l’universalité du langage physicaliste (Total sprache), au sens où tous les énoncés intersubjectivement vérifiables pouvaient y être formulés. Il a reconnu la nécessité d’un langage physique à titre de condition de possibilité d’une vérification intersubjective des énoncés scientifiques [11]. Carnap deviendra physicaliste pour des raisons de proximité épistémique, en ramenant les énoncés protocolaires à certains énoncés physiques publiquement contrôlables. Mais ces énoncés protocolaires restent des énoncés contenant exclusivement des termes d’expériences personnelles. Le behaviourisme logique de Carnap vise à traduire toute la psychologie, et en particulier les énoncés protocolaires en le langage de la psychologie behavioriste qui est lui-même manifestement réductible à celui de la physique. Ce qui compte est la possibilité d’un langage unifié, et au-delà, de remarquer le sensé et l’insensé [33]. Une fois muni de la distinction des modes matériel et formel du langage25 , Carnap pourra reconnaitre l’équivalence du langage phénoménal et du langage physique, le premier ayant une interprétation au sein du second dans le mode formel. En effet, l’asymétrie épistémologique des deux langages n’est plus pertinente du point de vue syntaxique du mode formel : deux énoncés dont l’un est formulé dans le langage physique et l’autre dans le langage du psychisme n’ont pas la même signification, mais leurs traductions syntaxiques sont les mêmes dans la mesure où elles autorisent les mêmes dérivations formelles. Dans une lettre à Neurath, Carnap précise que le dualisme des deux langages peut être éliminé avec le rejet du mode matériel du langage. On devrait en conclure que le mode formel supprime le dualisme des deux langages [11]. Le langage physicaliste, qui parle des objets physiques, devient le langage universel de toutes les sciences, biologie et psychologie comprises [17]. Il reste, tout de même, à savoir que pour Carnap, le physicalisme n’est pas une doctrine, mais une attitude « (…) par ce qu’il s’agissait d’une question pratique de préférence, non pas d’une question théorique de vérité. ». Au contraire, pour Neurath26 , le physicalisme est une question théorique du moment où elle met en jeu la méta-théorie27 de la 25 Cf. la distinction de Carnap entre le mode matériel et formel du langage, pp. 23-27. 26 D’après la source, l’ensemble du dossier de la controverse Neurath-Carnap est présenté dans l’ouvrage de Thomas Uebel : "Overcoming Logical Positivism from Within".
  • 31. Page 31 sur 55 science. Pour lui, la réduction physicaliste concerne l’ensemble des énoncés du langage de la science. Elle concerne également les choses matérielles aussi bien que leurs propriétés observables [11]. Selon Sandra Laugier (philosophe française en matière de la philosophie du langage, philosophie des sciences et la philosophie morale), "La construction logique du monde" est un commencement mais n’était aussi qu’une simple proposition [33]. D’ailleurs, d'après Goodman (philosophe, logicien et collectionneur d'art américain) et Quine, Carnap, malgré la rigueur employée, ne parvient pas à réduire intégralement son système constitutif aux éléments de base ; son ouvrage introduit une foule de concepts et de procédés et propose un des premiers grands systèmes logico-empiriques de reconstruction du monde [17]. ❑ Les relations de base : pour la recherche et le choix des relations de base, Carnap choisit de partir de la constitution des objets physiques. La constitution du monde physique se fait par utilisation des éléments du vécu élémentaire, et principalement des sensations, avec leurs qualités et leurs intensités, puis de l’ordre spatio-temporel… Toute proposition sur n’importe quel objet de la connaissance peut ainsi être ramenée à une proposition sur les éléments fondamentaux avec la ressemblance mémorielle comme relation fondamentale et suffisante. 27 Une méta-théorie est une théorie dont le sujet est une autre théorie. Tous les domaines de recherche partagent certaines méta-théories. Les investigations méta-théoriques font généralement partie de la philosophie de la science. Les classes de qualité représentent les premiers éléments du vécu élémentaire, c'est-à-dire finalement les qualités de sensations. Avec l’aide de ces qualités spatio-temporelles, le monde des objets physiques pourra être construit, puis les autres objets plus complexes peuvent être décrits, particulièrement les objets psychiques et les objets spirituels [14]. Schlick se fait ouvertement le défenseur de la thèse qui a reçu le nom de « physicalisme » dans le Cercle de Vienne. Dans l’interprétation que Schlick en donne, cette thèse affirme que seule la langue de la physique est adéquate pour exprimer précisément les connaissances objectives et que l’usage d’une telle langue est indispensable pour établir une communication objective entre les scientifiques. Le point de vue de Schlick peut être illustré via l’exemple de la perception de la couleur. La physique définit le phénomène de la couleur par la fréquence des ondes constituant la lumière, c’est-à-dire par le nombre de vibrations par seconde. Pour une lumière monochromatique donnée, nous obtenons toujours un nombre de vibrations exactement identique d’une mesure à l’autre : en ce sens, la couleur est un phénomène objectif qui ne saurait varier d’un observateur à l’autre. Cela étant dit, la physique n’enseigne évidemment pas que, placés devant une même couleur ainsi définie, deux individus auront exactement la même expérience mentale de la couleur et qu’ils verront la même couleur (c.-à-d. une certaine teinte et une certaine nuance particulière de cette couleur). Mais, soutient Schlick, leur perception personnelle de cette couleur serait-elle identique ou différente que nous n’aurions aucun moyen de le savoir. Chose certaine, ce n’est pas Sandra Laugier 1961 Nelson Goodman 1906-1998
  • 32. Page 32 sur 55 parce que l’un et l’autre auraient affaire à un même rayonnement objectif qu’ils verraient pour autant la même couleur. Or, seul le point de vue de la physique permet de saisir ce qui fait de la couleur un phénomène objectif et, par voie de conséquence, lui seul donne véritablement accès à une authentique connaissance de ce fait empirique. Schlick généralise la conclusion de cette analyse et soutient qu’en principe, une description complète de l’univers peut être donnée dans la langue de la physique et seulement dans cette langue [31]. 4.2. Projet d’unité des sciences À la différence de Rudolf Carnap, qui collabore également au projet d'une « Encyclopédie des Sciences Unifiées », mais qui favorise une unification sous la conception hiérarchique de l'arbre, où tout dérive d'une science-mère, Neurath défend l'idée que l'unification ne peut se faire que de façon transversale via une encyclopédie. La marche de la science n'étant pas linéaire ni imposée par un modèle unique, mais « allant d'encyclopédies en encyclopédies. ». Il présente cette position dans son article « L'Encyclopédie comme modèle » (1936). Ce thème est mis de l'avant lors du premier Congrès international pour l'Unité de la science, tenu à la Sorbonne en 1935. Lors du troisième congrès, également tenu à Paris en 1937, Neurath présente son projet d'"International Encyclopedia of Unified Science" (IEUS) [25]. Le comité de cette encyclopédie comprend : O. Neurath, R. Carnap, Ph. Franck, Ch. Morris, J. Joergensen (philosophe danois) et L. Rougier (philosophe français) [9]. L’encyclopédie doit paraître sous forme de fascicules. Seule la première section "Foundations of the Unity of Science" (FUS) a été publiée. Elle contient deux volumes d’un total de 19 monographies publiées entre 1938 et 1969 [25-16] : ❑ Volume I : dix fascicules y sont publiés en 1938 : 1. O. Neurath, Niels Bohr (physicien danois), J. Dewey, B. Russell, Carnap et Ch. Morris : Encyclopedia and Unified Science (FUS I-1) ; 2. Ch. Morris : Foundations of the Theory of Signs (FUS I-2) ; 3. R. Carnap : Foundations of Logic and Mathematics (FUS I-3) ; 4. Leonard Bloomfield (linguiste américain) : Linguistic Aspects of Science (FUS I-4) ; 5. Victor F. Lenzen (professeur américain de physique) : Procedures of Empirical Science (FUS I-5) ; 6. Ernest Nagel (philosophe américain de sciences) : Principles of the Theory of Probability (FUS I-6) ; 7. P. Frank : Foundations of Physics (FUS I-7) ; 8. E. Finlay-Freundlich (astronome allemand) : Cosmology (FUS I-8) ; 9. Felix Mainx (biologiste et médecin tchèque) : Foundations of Biology (FUS I-9) ; 10. Egon Brunswik (psychologiste hongrois) : The Conceptual Framework of Psychology (FUS I-10). ❑ Volume II : le second volume a été consacré aux sciences sociales paraît en 1939, avant que la publication soit interrompue par la guerre : 1. O. Neurath : Foundations of the Social Sciences (FUS II-1) ; 2. Thomas S. Kuhn (physicien, historien et philosophe de sciences américain) : The Structure of Scientific Revolutions (FUS II-2) ; 3. Abraham Edel (philosophe et déontologue américain) : Science and the Structure of Ethics (FUS II-3) ; Jorgen Joergens- en 1894-1969 Louis Auguste Paul Rougier 1889-1982 Victor Fritz Lenzen 1890-1975 Ernest Nagel 1901-1985 Erwin Finlay- Freundli- ch 1885-1964 Felix Mainx 1900- ? Egon Brunswik Edler von Korompa 1903-1955 Thomas Samuel Kuhn 1922-1996 Abraham Edel 1908-2007
  • 33. Page 33 sur 55 4. J. Dewey : Theory of Valuation (FUS II-4) ; 5. Joseph H. Woodger (biologiste et philosophe de biologie anglais) : The Technique of Theory Construction (FUS II-5) ; 6. Gerhard Tintner (professeur d’économie, mathématique et statistique allemand) : Methodology of Mathematical Economics and Econometrics (FUS II-6) ; 7. Carl G. Hempel : Concept Formation in Empirical Science (FUS II-7) ; 8. George De Santillana (philosophe et historien des sciences italien- américain) et Edgar Zilsel (historien et philosophe de sciences autrichien) : The Development of Rationalism and Empiricism (FUS II-8) ; 9. Joergen Joergensen : The Development of Logical Empiricism (FUS II-9) ; 10. H. Feigl et Ch. Morris : Bibliography and Index (FUS II-10). Par-dessus, des congrès internationaux, ayant pour thème l'« unité de la science », rassemblent des penseurs venus d'autres horizons. Russell et Scholz (logicien, philosophe et théologue allemand) participent au congrès de Paris (1935), G. Moore (philosophe anglais) préside celui de Cambridge (1938). En 1938, Kaufmann (philosophe austro-américain), Menger, Gödel et Reichenbach sont aux États-Unis. Waismann (mathématicien, physicien et philosophe australien) et Otto Neurath en Angleterre, où ils ont des disciples : Ayer. Ils en ont aussi en Scandinavie : Petzäll (philosophe suédois), Joergensen, Kaila (philosophe, critique et enseignant finlandais). Des logiciens de Varsovie : Ajdukiewicz (philosophe polonais) et Kotarbinski (philosophe, logicien et praxéologue polonais) sympathisent également avec certaines de leurs thèses [12]. Présentant le projet de l’"Encyclopedia of Unified Science" lors du premier Congrès International de Philosophie scientifique qui se tient à Paris en 1935, O. Neurath débute ainsi : « On peut dire que du point de vue de l’empirisme scientifique, ce n’est pas la notion de "système" mais celle d’"encyclopédie" qui nous offre le véritable modèle de la science prise dans son ensemble. ». Une encyclopédie, pour Neurath, doit être considérée comme le modèle du savoir humain, comme le seul programme possible émergeant de la crise des tentatives analytiques et néo-positivistes, par ce qu’elle intègre les différentes affirmations scientifiques sans pour autant en nier les différences et les difficultés. Seule l’encyclopédie peut finalement résoudre les difficultés nées par le développement des sciences portées à consolider (dans la spécialisation) leur propre langage et donc à s’isoler. La science a besoin d’un langage unifié, qui ne peut trouver que dans l’encyclopédie son milieu naturel : c’est en fait le développement de la logique qui rend cette dernière possible. Par cet effort, que seul permet un travail collectif garanti par « une large coopération entre spécialistes des différentes disciplines », l’encyclopédie « internationale » pourra « montrer toute la large et profonde unité de l’idée générale de la science. » : une unité dans la différence [9]. Il ne s'agit donc nullement de présenter un système, car, selon le mot de Neurath, « la complétude anticipée du Système s'oppose à l'incomplétude soulignée d'une encyclopédie. » [12]. Autrement dit, l’idée encyclopédique, continue Neurath, ne consiste plus à se référer à un système, mais plutôt à instaurer « une sorte d’instrumentarium de la science en Joseph Henry Woodger 1894-1981 Gerhard Tintner 1907-1983 Giorgio Diaz de Santillana 1902-1974 Edgar Zilsel 1891-1944 Heinrich Scholz 1884-1956 George Edward Moore 1873-1958 Felix Kaufma- nn 1895-1949 Friedrich Waisma- nn 1896-1959 Åke Petzäll 1901-1957 Eino Kaila 1890-1958 Kazimierz Ajdukiew- icz 1890-1963 Tadeusz Kotarbiń- ski 1886-1981
  • 34. Page 34 sur 55 général. » ; « Ce nouvel ouvrage devra montrer surtout dans quelle direction s’ouvrent des voies nouvelles, ou gisent les problèmes. », sans s’arrêter à une simple « synthèse rétrospective », voire à un répertoire. L’encyclopédie repousse, entre autres choses, le classement alphabétique, en lui préférant un classement par matière, ne souhaitant pas « présenter chaque discipline en un tableau achevé, mais montrer précisément les lacunes et les insuffisances du savoir actuel. Il y aura lieu de souligner ce que toute recherche a de contingent, et le fait que toute science dépend des conditions historiques. ». Elle devra donc être conçue comme une œuvre ouverte, « toujours rajeunissante », « précisément comme une Encyclopédie en marche. », écrit Neurath [9]. Ce dernier aspirait à l'unité des sciences, qu'il chercha donc à réaliser à travers son projet d'une « Encyclopédie des Sciences Unifiées ». Dans son "Unified Science as Encyclopedic Integration" et partant du constat que le domaine de la « recherche empirique avait longtemps été en opposition radicale avec les constructions logiques à priori dérivant de systèmes philosophico-religieux. », Otto Neurath propose de réaliser une synthèse de l'approche factuelle typique de la science et de la démarche logico-déductive : l'empirisme scientifique. Il s'agit notamment de dégager les règles gouvernant les procédures scientifiques, d'unifier les diverses terminologies scientifiques et de réduire tous les termes à des mots d'usage courant [25]. Sur ce point, le physicalisme permet de donner un sens clair à la thèse de l’« unité de la science » : « La thèse de l’unité de la science telle que Neurath et moi-même la soutenions (…) signifiait le rejet de la division des sciences empiriques entre des champs tenus pour fondamentalement séparées, et en premier lieu de la division entre sciences naturelles et sciences sociales (Geisteswissenschaften), division fondée sur les métaphysiques dualiste alors prévalentes en Allemagne. En contraste avec cette conception dualiste, notre thèse affirmait que la science, dans la diversité de ses domaines, pouvait être construite sur une base uniforme. », stipule Carnap. Le refus de toute forme de dualisme entre sciences de la nature et ceux de l’esprit peut, avec l’adoption du physicalisme, être formulé comme une thèse métalinguistique, à savoir selon Carnap « (…) la thèse selon laquelle le langage total embrassant toute la connaissance peut être construit sur une base physicaliste. » [11]. Neurath défendit l'unité des sciences, qui toutes sont « naturelles », et il eut une grande influence sur Carnap ; les sciences s'unifient par le langage, la méthode, les relations interdisciplinaires [24]… Toutefois, son physicalisme risque d’éliminer les différences spécifiques entre les diverses disciplines [9]. Pour Carnap, la question de la signification est essentielle à la théorie de la connaissance. Les deux principes pour une théorie de la connaissance sont les questions de la signification et de la vérification. 5. Doctrine de la signification du positivisme logique