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n°   71                                         Sommaire
                                       Fév. 2012
                                                                                            l page 2 : Médias sociaux et culture des
                                                                                            écrans l page 8 : Vers un renouveau
                                                                                            générationnel l page 13 : Communication
                                                                                            et lien social : de nouvelles modalités ?
                                                                                            l  page 18 : Identités numériques,
                                                                                            identités dynamiques l  page 21 :
                                                                                            En guise de conclusion l  page 22 :
                                                                                            Bibliographie




                                      JEUNESSES 2.0 : LES PRATIQUES
Dossier d’actualité

                                      RELATIONNELLES AU CŒUR DES
                                      MÉDIAS SOCIAUX
                                      Les connaissances acquises par le                                          Par Laure Endrizzi
                                      biais d’internet sont-elles aussi impor-
                                      tantes que celles apprises à l’école ?                                     Chargée d’étude et de
                                      La question semble impertinente, mais                                      recherche au service
                                      elle n’en mobilise pas moins nombre                                        Veille et Analyses de
                                      d’institutions et de chercheurs qui ne                                     l’Institut Français de
                                      peuvent décemment être étiquetés de                                        l’Éducation (IFÉ)
                                      subversifs.

                                      L’Institute for Prospective Technological
                                      Studies (IPTS) signale par exemple que                La fréquentation de ce que l’on appelle les
                                      31% des internautes de l’UE-27 utilisent              « médias sociaux » – ces applications qui se
                                      l’internet pour apprendre par eux-mêmes               fondent sur les valeurs et les technologies
                                      alors qu’ils ne sont que 5% à avoir suivi             du web 2.0 – dépasse désormais celle des
                                      un cours en ligne. Ces chiffres permettent            portails commerciaux et services de vente
                                      d’appréhender plus concrètement un lieu               en ligne qui se sont affichés en tête des me-
                                      commun : l’idée selon laquelle les techno-            sures d’audience au niveau mondial pendant
                                      logies de l’information et de la communi-             plusieurs années. Autrement dit, Facebook
                                      cation stimulent les apprentissages infor-            pour les réseaux sociaux, Wikipédia pour
               VEILLE ET ANALYSES




                                      mels, alors que les milieux de l’éducation            les projets collaboratifs, Wordpress pour les
                                      et de la formation se saisissent encore               blogs, Twitter pour les micro-blogs, YouTube
                                      marginalement des opportunités qu’elles               et Flickr pour le partage de vidéos ou de pho-
                                      fournissent (Redecker et al., 2010).                  tos, World of Warcraft pour les jeux en réseau
                                                                                            multi-joueurs ou bien encore MSN pour la
                                      En 10 ans, les pratiques d’internet ont               messagerie instantanée sont aujourd’hui plé-
                                      considérablement évolué ; les écrans sont             biscités par des internautes du monde entier,
                                      devenus omniprésents et l’informatique                et rencontrent une audience inédite auprès
                                      connectée s’est banalisée, notamment                  des jeunes générations.
                                      avec l’essor des technologies mobiles. Les
                                      usages, tant en termes de communication               Le discours commun s’avère pourtant peu
                                      que de loisirs ont explosé, en particulier            nuancé s’agissant des médias sociaux, os-
                                      pour ce qui concerne la consultation et le            cillant entre la promesse d’échanges sans
                                      partage de contenus audiovisuels (Don-                intermédiaires et sans limites d’une part, et
                                      nat, 2009 ; Bigot & Croutte, 2011).                   la disparition de la vie privée et l’avènement




                  Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                  Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux                   1/24
d’une société de surveillance généralisée       Après une première partie introductive sur
d’autre part (Cardon, 2011). Les TIC d’une      la place des médias sociaux dans notre
manière générale suscitent depuis une           environnement culturel, nous cherchons
vingtaine d’années un affrontement entre        à savoir si les pratiques numériques des
«  une vision « technophile » enchantée,        jeunes font communauté, c’est-à-dire si
faisant d’internet le moteur de l’avène-        elles sont ou non le fait d’une génération
ment d’une société globale plus ouverte,        de natifs. Nous nous intéressons ensuite
démocratique, fraternelle, égalitaire » et      aux usages communicationnels qui nour-
«  une vision « technophobe » faisant au        rissent le quotidien numérique des jeunes
contraire d’internet un ferment de nivel-       et aux nouvelles sociabilités qui s’y déve-
lement des valeurs et de destruction du         loppent. Nous examinons enfin les dyna-
lien social ». Dans ce paysage, les jeunes      miques identitaires à l’œuvre et en parti-
sont particulièrement stigmatisés, et leurs     culier comment ils redéfinissent les fron-
pratiques médiatiques sources de toutes         tières entre espace public et espace privé
les inquiétudes (Mercklé, 2011).                et comment ils cherchent à faire la preuve
                                                de leur valeur.
À tort ou à raison ? Si la question n’appelle
pas de réponse simple, nous constatons
que l’école n’est pas totalement insen-
sible aux questions que ces pratiques
médiatiques soulèvent. En France, Édus-
                                                Médias sociaux et
col a publié en novembre 2011 un dos-           culture des écrans
sier de synthèse intitulé Médias sociaux
et éducation ; l’Association des collèges
privés du Québec (ACPQ) a financé une           Du Web 2.0 aux
recherche sur l’Évaluation de produc-           médias sociaux : de
tions issues de l’intégration pédagogique
                                                la participation à la
d’outils du web social dont le rapport est
paru en janvier 2012. Côté enseignants,
                                                monétisation ?
des communautés dédiées émergent et
se revendiquent du « learning 2.0 » ou          La notoriété des réseaux sociaux n’est
du « social learning », comme le réseau         plus à faire. En France, Facebook, You-
francophone Apprendre 2.0. Des asso-            Tube et Twitter composent désormais le
ciations telles que le CLEMI et le CIEME        palmarès des réseaux les plus connus.
s’engagent en France au côté des ensei-         Les usages se sont largement diffusés
gnants et des parents pour démêler ces          depuis 2008 jusqu’à atteindre quasiment
nouvelles pratiques et les formes inédites      des valeurs planchers. En 2011, les in-
de littératie qu’elles engendrent (ou pas).     ternautes français sont membres de 2,8
                                                réseaux en moyenne. L’utilisation de Fa-
Au vu de l’importance de ces médias so-         cebook (un internaute sur deux) touche
ciaux pour la jeunesse scolarisée, nous         toutes les couches de la population quel
avons estimé opportun de faire le point         que soit l’âge, le sexe ou la catégorie
sur cette question, comme élément du            socio-professionnelle. Si la notoriété de
contexte d’apprentissage. Dans le pro-          Twitter ne se traduit pas dans sa fré-
longement de la synthèse réalisée en            quentation (8% des internautes), celle de
2008 par Gaussel sur les liaisons dange-        Google+, lancé en juillet 2011 s’est avérée
reuses entre éducation et télévision, ce        en quelques mois fortement mobilisatrice
dossier d’actualité se propose d’adopter        (12% des internautes) (IFOP, 2011).
une position distanciée pour examiner
au travers de recherches récentes les           Pour analyser cet engouement, certains
changements réellement imputables au            font référence au « web 2.0 », largement
développement des médias sociaux, et            popularisé par Tim O’Reilly, dans son
plus largement à celui de l’informatique        texte de 2005, What is Web 2.0. D’autres
connectée.                                      évoquent les termes de « nouveaux mé-
                                                dias » ou de « médias sociaux ». Selon




                                                Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                2/24                            Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Rebillard (2011), le succès de l’étiquette     Les travaux de Kietzmann et al. (2011)
                               2.0 accolée à tous les domaines de la          complètent la typologie de Kaplan &
                               vie sociale (politique 2.0, culture 2.0,       Haenlein en y associant sept fonctionnali-
                               entreprise 2.0, ville 2.0, école 2.0, etc.)    tés structurantes : identité, conversations,
                               a largement contribué à promouvoir un          partage, présence, relations, réputation et
                               idéal de la participation, basée à la fois     groupes. Les usagers de LinkedIn s’inté-
                               sur une contribution active des individus      ressent plutôt à l’identité, la réputation et
                               et une multiplication des échanges. Le         les relations, tandis que ceux de YouTube
                               terme de « médias sociaux » est né de          privilégient le partage, les conversations,
                               ce morcellement du web 2.0 : il désigne        les groupes et la réputation.
                               globalement tous les outils et services
                               qui permettent à des individus de s’ex-        L’incarnation de la philosophie du web 2.0
                               primer en ligne dans le but de rencontrer      dans des outils et services combinant pu-
                               des pairs et/ou de partager ou créer des       blication, partage et socialisation a permis
                               contenus avec eux.                             la diffusion d’une vision moins enchantée,
                                                                              plus pragmatique, voire plus commerciale,
                               Le périmètre de ce que l’on nomme              dans laquelle l’idéal de participation laisse
                               «  médias sociaux » n’est pas pour au-         progressivement la place à l’efficacité : le
                               tant stabilisé, en France en particulier       partage est désormais moins une valeur
                               où règne une certaine confusion avec           qu’une fonctionnalité. Il s’agit d’optimiser
                               les « réseaux sociaux » proprement dits.       l’expérience de l’internaute en proposant
                               Une des définitions les plus commu-            des fonctionnalités innovantes (et moné-
                               nément citées, s’agissant des médias           tisables) basées sur une exploitation des
                               sociaux, est celle fournie par Kaplan et       données personnelles des internautes
                               Haenlein (2010) : « a group of Internet-       (Rebillard, 2011).
                               based applications that build on the
                               ideological and technological founda-          Pour Stenger et Coutant (2011), le terme
                               tions of Web 2.0, and allow the crea-          « médias sociaux » génère beaucoup de
                               tion and exchange of user-generated            confusion parce qu’il ne permet pas d’ap-
                               content ».                                     préhender dans toute leur complexité les
                                                                              différentes plates-formes regroupées sous
                               Le « web 2.0 » se différencie du « média       cette étiquette. Si toutes se caractérisent
                               social » en ce qu’il ne réfère à aucune ap-    par un modèle économique construit sur
                               plication particulière ; il désigne les nou-   les contenus produits par les internautes,
                               veaux usages du web considéré comme            leurs spécificités s’incarnent dans des
                               une plate-forme dont les contenus et les       usages trop divers pour être traitées indis-
                               fonctionnalités évoluent en permanence         tinctement. Ils proposent de considérer
                               grâce à l’activité des usagers. Le terme       les « réseaux socionumériques » comme
                               « user-generated content » qualifie cette      un cas particulier.
                               activité : elle est caractérisée par une
                               certaine créativité, exercée générale-
                               ment en dehors des routines profession-
                               nelles, et est rendue publique sur un site     Les réseaux sociaux : des
                               dédié, accessible à tous ou à une sélec-       médias sociaux comme les
                               tion de membres inscrits.                      autres ?
    De nombreuses
l
    infographies tentent de    Dans leur classification, les auteurs dis-     Les réseaux sociaux ne sont pas nés
    représenter cet univers
    médiatique dont le péri-   tinguent six types de médias : projets         avec Facebook, ni même avec l’internet.
    mètre est en constante     collaboratifs (Wikipédia), blogs (Wor-         Le terme a été utilisé pour la première
    évolution. Parmi les       dpress) et microblogs (Twitter), commu-        fois par l’anthropologue John A. Barnes
    plus populaires, men-      nautés de contenus (YouTube, Flickr),          en 1954 : il s’agissait de prendre pour
    tionnons le panorama
    proposé par Cavazza        sites de réseaux sociaux (Facebook,            objet d’études non pas les attributs des
    en 2008 et la Social       LinkedIn), jeux virtuels (World of War-        individus (âge, profession, etc.), mais les
    media map d’Overdrive      craft) et mondes virtuels (Second Life)        relations qu’ils tissent entre eux et leurs
    Interactive, mise à jour   (Kaplan & Haenlein, 2010). l                   régularités, afin de rendre compte de
    périodiquement.




       Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
       Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                                  3/24
leur formation, de leurs transformations       termes de trafic aux États-Unis, comme
et de leurs effets sur les comportements.      le montrent les études de ComScore. À
Le concept n’est donc pas nouveau, il          titre de comparaison, le réseau LinkedIn
s’appuie sur une histoire déjà longue,         touche 135 millions de professionnels et
marquée notamment par le développe-            Google+, malgré son jeune âge, atteint
ment d’une méthodologie quantitative,          d’ores et déjà 90 millions d’inscrits.
l’analyse des réseaux sociaux (social
network analysis), qui a su se constituer      Si le réseautage social est l’activité en
un domaine propre au sein des sciences         ligne la plus répandue dans le monde,
sociales (Mercklé, 2011).                      elle laisse apparaître des différences
                                               notables selon les aires géographiques
Son application aux sites de réseaux           et culturelles et selon les âges : Face-
sociaux (social network sites ou SNS)          book est par exemple très répandu en
s’appuie sur la définition communément         Australie et peu utilisé au Japon ; et si
citée de Boyd et Ellison (2007), qui dis-      les jeunes générations investissent lar-
tingue trois fonctionnalités. Les SNS          gement les SNS, c’est auprès des usa-
permettent 1/ de définir un profil public      gers de 65 ans et plus qu’ils connaissent
ou semi-public au sein d’un système ;          depuis peu la plus forte progression aux
2/ de gérer une liste de contacts avec         États-Unis (Madden, 2010).
lesquels ils partagent un lien ; 3/ de voir
et naviguer sur leur liste de liens et sur     L’évolution des différentes plates-formes
ceux établis par les autres au sein du         s’inscrit dans un double mouvement
système (Boyd & Ellison, 2007). La prin-       de concentration et de fragmenta-
cipale nouveauté réside dans la mise en        tion de l’audience (ComScore, 2011),
place progressive de la liste de contacts      mouvement qui n’est pas sans rappeler
comme outil de navigation : le web de-         la « longue traîne » de Chris Anderson
vient un espace familier et navigable          (2007). Parallèlement, les grands ré-
grâce aux traces d’activité des amis de        seaux sociaux généralistes fonctionnent
ses amis (Cardon, 2011).                       de moins en moins selon des logiques
                                               professionnelles.
En s’appuyant sur les travaux du Digital
Youth Project (Ito et al., 2009), Stenger      Dans une infographie dynamique actua-
et Coutant (2011) distinguent les activi-      lisée en juin 2011, Cosenza donne à
tés qui se tiennent au sein des réseaux        voir le recul progressif depuis 2009 de
socionumériques, plutôt centrées sur la        nombreux réseaux nationaux au pro-
sociabilité et l’amitié, des sites regroupés   fit de Facebook. La carte publiée en
sous l’appellation « médias sociaux » qui      octobre 2011 par Oxyweb montre éga-
permettent des activités guidées par un        lement un resserrement de l’audience
intérêt particulier : passions, rencontres     autour de trois réseaux leaders : Face-
amoureuses, partage de contenus, pra-          book dans une grande majorité de pays,
tiques professionnelles, etc.                  RenRen en Chine et vKontacte en Rus-
                                               sie. Face à ces grands réseaux leaders
Les SNS ou réseaux socionumériques             dont le taux de croissance ralentit et
les plus connus sont « grand public »          dont la capacité d’innovation est faible,
(Facebook, Google+, Copains d’avant            se développent nombre de services de
en France) ou professionnels (Linke-           niche, ciblant des sous-populations d’in-
dIn, Viadéo en France). Ils occupent           ternautes et connaissant pour certains         l
                                                                                                  Lancé en 2004 dans
une place singulière dans le paysage           une croissance dite exponentielle. En              les milieux estudiantins
des médias sociaux du fait de leur au-         France, le même phénomène est ob-                  américains, Facebook
dience extrêmement forte. Si d’autres          servé, avec par exemple l’érosion de la            compte 800 millions
médias ont connu une croissance mon-           position du réseau grand public Copains            d’inscrits en janvier
                                                                                                  2012 (dont 350 millions
diale spectaculaire (Twitter, World of         d’avant, peu utilisé malgré un nombre de           de mobinautes) avec
Warcraft et Second Life), celle de Face-       membres qui reste important, et la mon-            chacun en moyenne
book  l reste en effet totalement inéga-       tée en puissance du réseau profession-             130 « amis », selon les
lée. Il concurrence désormais Google en        nel Viadéo (IFOP, 2011).                           statistiques produites
                                                                                                  par le site.




                                               Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                4/24                           Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
une personne sur quatre, essentiellement
                                                                                   de jeunes adultes et des diplômés de l’ensei-
                                    D’après l’étude du Crédoc,
    	                                                                              gnement supérieur (Bigot & Croutte, 2011).
                                    quatre Français sur dix sont
                                    membres d’un réseau social ;                   Les principaux usages de l’internet fixe (re-
                                    le fait d’être diplômé et/ou                   cherches, itinéraires, actualités, météo) sont
                                    actif est un bon prédicteur                    déjà répliqués sur les téléphones mobiles.
                                    d’inscription, mais l’âge reste                Les services nécessitant l’usage du clavier
                                    largement le critère le plus                   (courriel, réseaux sociaux essentiellement)
                                    discriminant : les moins de 25                 sont utilisés de manière extensive par la moi-
                                    ans sont plus de 80% à être                    tié des mobinautes français (IDATE, 2011).
                                    inscrits sur un réseau social
                                                                                   Cette convergence entre téléphonie mo-
                                    (Bigot & Croutte, 2011).
                                                                                   bile et réseaux sociaux, susceptible de
                                                                                   nourrir une certaine addiction, a connu une
                                                                                   croissance spectaculaire en 2011. D’après
                                                                                   les derniers chiffres de ComScore sur le
                                 La confiance envers les réseaux sociaux           Mobile social networking (novembre 2011),
                                 est faible, tant chez les utilisateurs que chez   les usages ont augmenté de 44% en un an
l                                les non-utilisateurs. Les risques perçus          dans les cinq principaux pays européens
    En moyenne un mobi-          concernent l’accès aux données privées et         (Allemagne, Espagne, France, Italie et
    naute de l’UE-5 sur
    quatre fréquente les         le stockage (conservation) de ces données         Royaume Uni). l
    réseaux sociaux depuis       par des tiers. Si la méfiance reste forte, elle
    son téléphone, en par-       ne constitue pas nécessairement un frein à        Le téléphone mobile ne servirait-il plus seu-
    ticulier Twitter et Linke-   l’usage : les internautes interrogés dans le      lement à téléphoner ? En tous cas, son utili-
    dIn dont les usages ont
    doublé en un an.             baromètre de la Caisse des dépôts et de           sation par les jeunes générations est large-
                                 l’ACSEL utilisent massivement les réseaux         ment influencée par les fonctionnalités qu’il
                                 sociaux, tout en ne leur faisant pas confiance    « embarque ».
                                 (IDATE, 2011).
                                                                                   Facebook même fonctionne comme un
                                                                                   hub, selon Cavazza : il permet d’afficher ses
                                                                                   goûts et ses activités (comme MySpace),
                                 Omniprésence des écrans,                          de retrouver des anciens amis (comme
                                 développement des                                 Copains d’avant), de partager ses photos et
                                 pratiques connectées                              ses vidéos (comme FlickR, Dailymotion ou
                                                                                   YouTube), de communiquer instantanément
                                 Avec les évolutions techniques et les offres      avec ses amis (comme Msn), etc.
                                 commerciales caractérisées les unes et les
                                 autres par une surenchère permanente,             Tout se passe comme si la technologie
                                 apparaissent deux tendances majeures : un         importait peu, comme si l’attachement au
                                 essor inédit des équipements mobiles              téléphone portable et à Facebook était
                                 (cellulaires, ordinateurs portables, micro-       motivé par les activités que l’un et l’autre
                                 portables, clés 3G, tablettes), qui viennent      permettent : stocker, lire, écouter, diffuser,
                                 compléter souvent un équipement fixe, et          communiquer, etc. (Lenhart et al., 2010) ;
                                 corollairement une croissance forte des ac-       des activités rendues possibles par une cer-
                                 cès nomades à l’internet.                         taine « convergence des médias », comme
                                                                                   l’ont montré les travaux de Jenkins au MIT
                                 En France, une personne sur deux est dé-          (2006).
                                 sormais équipée d’un ordinateur portable,
                                 tandis que près d’un tiers dispose de plu-        Aux États-Unis également, la consommation
                                 sieurs ordinateurs. Le taux d’accès à internet    médiatique des jeunes a explosé avec la ba-
                                 à domicile avoisine les 75%. Parallèlement        nalisation du téléphone comme plate-forme
                                 l’utilisation du cellulaire comme terminal        et l’adoption généralisée des iPod et autres
                                 d’accès à internet progresse fortement. Ce        appareils MP3.
                                 mode de connexion concerne désormais




        Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
        Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                                       5/24
trouve sa place dans un mouvement géné-
   Les jeunes de 8 à 18 ans inter-                 ral d’enrichissement du parc audiovisuel
   rogés pour l’enquête longitu-                   domestique entamé au début des années
   dinale Generation M2 disent                     60. Les écrans sont devenus les supports
   passer quotidiennement plus                     privilégiés du rapport à la culture, alors que
   de 7h30 à consommer des                         dans le même temps culture, divertissement
                                                   et communication s’interpénètrent. Contrai-
   contenus numériques, ce qui
                                                   rement à la consommation télévisuelle, gé-
   équivaut approximativement à                    néralement corrélée à un faible niveau de
   une journée de travail pour un                  participation culturelle, l’internet concerne
   adulte (Rideout et al., 2010).                  prioritairement les populations déjà les
                                                   plus investies dans le domaine culturel. La
                                                   démultiplication des écrans s’accompagne
                                                   ainsi d’un cumul d’activités et l’écran de
Ils passent en moyenne par jour 4h30 pour          l’ordinateur devient concomitamment un
les programmes TV (tout support confondu),         terminal complémentaire pour regarder les
2h30 pour la musique, 1h30 pour l’ordina-          programmes télévisuels.
teur, 1h15 pour les jeux vidéos, moins de 40
mn pour des imprimés (livres, magazines,           C’est toutefois chez les jeunes générations
etc.) et moins de 30 mn pour des films. Si         que les changements s’avèrent plus pro-
l’on retranche avant d’additionner les acti-       fonds : elles sont les plus nombreuses à
vités simultanées, ces 7h30 correspondent          s’emparer des nouvelles technologies et des
en fait à une exposition totale de près de         nouvelles offres facilitant l’accès aux images
11h par jour. La proportion de ces activités       et à la musique ; ce sont elles qui ont le plus
simultanées, estimée à 30%, a doublé en 10         contribué à la baisse du temps d’écoute
ans, depuis la première enquête de la Kaiser       de la télévision et de la radio et dans une
Family Foundation (Rideout et al., 2010).          moindre mesure à celle de la lecture des
                                                   supports imprimés ; ce sont elles également
                                                   qui fréquentent moins les salles de cinéma
                                                   et font moins de sorties culturelles, alors que
Des pratiques culturelles                          dans le même temps la participation des
convergentes ou                                    seniors augmente. Les moins de 30 ans qui
concurrentielles ?                                 ont grandi avec les téléviseurs, ordinateurs,
                                                   consoles de jeux et autres écrans appar-
Dans quelle mesure ces nouvelles pratiques         tiennent à une génération marquée par la
médiatiques concurrencent-elles ou complé-         dématérialisation des contenus et la généra-
mentent-elles les pratiques culturelles plus       lisation de l’internet à haut débit ; ils sont les
traditionnelles ? La dernière édition de l’en-     héritiers d’une révolution médiatique initiée
quête sur les pratiques culturelles des Fran-      par la génération des babyboomers (Don-
çais montre que globalement le numérique           nat, 2009).
n’a pas bouleversé la structure générale
des pratiques culturelles ni surtout infléchi      Pour autant, la fracture numérique n’a pas
les tendances de la fin des années 1990. À         disparu, elle a changé de nature. D’une fa-
l’exception du temps consacré à la télévision      çon générale, la différence se fait moins
et à la radio qui a diminué sensiblement,          désormais sur le fait d’être équipé ou
les changement dans les autres domaines            pas que sur la nature et la qualité tech-
(écoute de musique, lecture de presse et de        niques des équipements : posséder chez
livres, visites et sortie culturelles, pratiques   soi plusieurs ordinateurs, être équipé d’un
amateur de la photo et de la vidéo) pro-           smartphone ou d’une tablette tactile, pouvoir
longent des tendances mises en évidence            se connecter à internet de plusieurs façons,
dans les précédentes éditions de l’enquête         etc. Pour la moitié des 25% qui ne sont pas
(Donnat, 2009).                                    équipés, il s’agit d’abord d’un manque d’in-
                                                   térêt, avant d’être une question économique
La pénétration extrêmement rapide de l’ordi-       (Bigot & Croutte, 2011).
nateur et de l’internet dans les foyers français




                                                   Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                 6/24                              Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Les inégalités sont générationnelles et            née au sein des médias sociaux (Cardon,
                              sociales avant d’être économiques, elles           2011).
                              touchent surtout les retraités et les catégories
                              socio-professionnelles modestes (Donnat,           Mais les échanges sur internet ne se subs-
                              2009 ; Bigot & Croutte, 2011). Elle ne tient       tituent pas à ceux de la vie réelle, ni ne les
                              pas seulement aux conditions d’accès, ni à         diminuent ; au contraire le nombre de corres-
                              l’acculturation à l’informatique connectée,        pondants et la fréquence des contacts aug-
                              elle s’inscrit dans les logiques sociales : les    mentent. Si, sur un plan qualitatif, l’internet ne
                              défavorisés numériques sont aussi des              permet pas d’enrayer une certaine « culture
                              défavorisés sociaux. Elle concerne ceux            de la chambre », potentiellement désocia-
                              qui n’utilisent pas l’informatique connectée,      lisante, chez les adolescents, il contribue à
                              ceux qui ont abandonné après avoir essayé          remédier à un certain isolement, à générer
                              et ceux qui sont équipés mais développent          un sentiment d’appartenance à un collec-
                              de faibles usages (Granjon, 2011).                 tif (Mercklé, 2011). En outre, bien qu’utilisé
                                                                                 plutôt à domicile, l’internet est très lié à des
                              Pour les non-défavorisés numériques, les           modes de loisirs tournés vers l’extérieur, en
                              usages d’internet se diversifient et s’inten-      particulier chez les jeunes générations (Don-
                              sifient  : e-administration, banque en ligne,      nat, 2009).
                              achat et vente, réseaux sociaux, etc. Internet
                              change également la donne en matière de            Ces loisirs, connectés ou non, varient d’ail-
                              musique et de vidéos : la pratique déclarée        leurs fortement selon les âges et offrent de
                              du streaming connaît une progression forte,        ce fait de nouveaux supports à la communi-
                              supérieure à celle du téléchargement (Bigot        cation entre pairs. C’est ce que met en évi-
                              & Croutte, 2011).                                  dence l’enquête longitudinale réalisée par
                                                                                 le Ministère de la culture auprès de plus de
l
    Ce sont les jeux en
                              La diffusion de ces nouvelles pratiques s’ac-      4000 adolescents suivis de la fin de l’école
    ligne qui dominent les    compagne d’une inquiétude croissante vis-          primaire jusqu’au milieu du lycée tout au long
    usages communica-         à-vis de la protection de la vie privée. Si les    des années 2000 (Octobre et al., 2010). l
    tionnels au début du      Français ont gagné en maturité s’agissant de
    collège, avant de lais-
    ser progressivement la
                              leur vie numérique, l’exploitation potentielle     Dans ce paysage, les nouveaux médias, et
    place à la messagerie     de leurs données personnelles et des traces        notamment les réseaux socionumériques,
    instantanée (75% des      qu’ils laissent est un sujet sensible (Bigot &     occupent une place de choix, ne serait-ce
    jeunes de 13 ans) qui     Croutte, 2011 ; IDATE, 2011). Le « droit à         que parce que le temps qui leur est consa-
    elle même devance
    largement le courriel
                              l’oubli numérique » devient une préoccupa-         cré est important. Leur attractivité se fonde
    (57%) et les forums       tion des pouvoirs publics, en France comme         à la fois sur les opportunités relationnelles
    (22%) (Octobre et al.,    en Europe.                                         qu’ils génèrent et sur les passions qu’ils per-
    2010).                                                                       mettent d’assouvir, comme l’ont montré les
                                                                                 chercheurs qui ont pris part au Digital Youth
                                                                                 Project (plus de 800 jeunes internautes nord-
                              Une explosion des usages                           américains interrogés, des milliers d’heures
                              communicationnels                                  d’observation en ligne) (Ito et al., 2009).

                              À côté de la recherche d’information et des        La plupart du temps, les jeunes utilisent les
                              usages de loisirs, ce sont les usages com-         technologies pour étendre les relations avec
                              municationnels qui ont explosé sur internet :      ceux qu’ils fréquentent déjà dans les diffé-
                              messagerie électronique, messagerie ins-           rents cercles auxquels ils participent (école,
                              tantanée, tchats ou forums en ligne, jeux en       sports, etc.). Pour entretenir et négocier cette
                              réseau, etc. (Donnat, 2009). Parallèlement         présence sociale, ils s’appuient sur des
                              avec les plates-formes web 2.0, les médias         échanges privés (SMS, messagerie ins-
                              traditionnels et les industries culturelles ne     tantanée, téléphone mobile) ou passent
                              sont plus les seuls vecteurs de l’information.     par des réseaux sociaux « publics »
                              Ils cohabitent désormais avec le tissu de          tels que Facebook. Certains, moins
                              conversations, de partages, de commen-             nombreux, explorent les ressources du
                              taires et de recommandations qui se déve-          web à la recherche d’informations sur
                              loppent de manière autonome et désordon-           leurs centres d’intérêt émergents. Ils




        Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
        Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                                       7/24
se connectent avec ceux qui partagent          immigrants) a alimenté ces controverses
les mêmes appétences pour des sujets           parce qu’on y a lu, sans doute abusive-
aussi divers que le jeu en ligne, l’écriture   ment, la confirmation que cette génération
créative, le montage de vidéo, etc. C’est      avait une maîtrise quasiment innée des
alors l’occasion de rencontrer des pairs       technologies environnantes. Dès lors, il
hors de leurs cercles relationnels habi-       suffit de remplacer «  maîtrise quasiment
tuels et de donner une nouvelle visibilité     innée » par « aisance » et la proposi-
à leurs activités (Ito et al., 2009).          tion devient acceptable. Non seulement
                                               acceptable, mais aussi « valide », car
Mais l’intensité émotionnelle des relations    toutes les recherches s’accordent sur le
qui se développent au travers de ces nou-      fait que les adolescents d’aujourd’hui sont
veaux médias reste complexe à appré-           « porteurs et acteurs des mutations du
hender en raison de leur ambivalence :         numérique, et incarnent un renouveau
d’une part l’individualisation des supports    générationnel » (Octobre et al., 2010).
permet à chacun de protéger sa sociabi-
lité de son entourage (parents, conjoint,
etc.), d’autre part les technologies sont      Génération X, génération
au service d’une transparence accrue des
                                               Y, génération C ?
échanges. En parallèle la notion de groupe
se transforme : on passe de groupes ho-
mogènes et unifiés à des groupes plus          Les statisticiens, sociologues et autres
hétérogènes et plus spécialisés, dont          économistes, prompts à raisonner en
les membres, faiblement reliés les uns         terme de génération, ont livré à nos ré-
aux autres, pratiquent une nouvelle forme      flexions plusieurs vocables peu aisés à
d’amitié, le « friending » (Mercklé, 2011),    manipuler, ne serait-ce que parce qu’ils
sur laquelle nous reviendrons.                 recouvrent des échelles de temps va-
                                               riables d’une région du monde, voire d’un
                                               expert à un(e) autre. Les travaux souvent
                                               cités en référence sont ceux des histo-
Vers un renouveau                              riens américains Strauss et Howe qui ont
                                               mis au jour dans les années 1990 un cycle
générationnel                                  générationnel composé de quatre temps.

L’analyse des pratiques culturelles en         Dans leur modèle, le cycle actuel aurait
termes générationnels est une démarche         commencé à la fin de la seconde guerre
controversée. D’une part, elle ne tient pas    mondiale, avec la génération des baby-
compte des mécanismes sociaux et consi-        boomers et se serait poursuivi entre 1960
dère les comportements comme mécani-           et 1980 avec la génération X.
quement déterminés par le passé ; d’autre
part, elle offre une vision homogène gom-
mant nombre de caractéristiques qui fis-
surent ces constructions générationnelles,        Depuis le début des années
en particulier les nouvelles formes de pré-
                                                  1980, les experts s’accordent
carité engendrées par les technologies
                                                  pour distinguer deux temps :
(Lobet-Maris, 2011). Les nuances sont
essentielles, en particulier quand il s’agit      celui de la génération Y qui
des « jeunes », car les pratiques des en-         regrouperait les natifs du pre-
fants, préadolescents, adolescents et             mier âge de l’informatique
jeunes adultes sont fondamentalement              personnel et celui de la géné-
diverses (Donnat, 2009 ; Octobre et al.,          ration Z ou C qui concernerait
2010).                                            les natifs de l’informatique
                                                  connectée.
L’expression « digital natives » proposée
par Prensky (2001) pour distinguer les na-
tifs du numérique de leurs parents (digital




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Les avis divergent en revanche sur le mo-           leurs préoccupations et intérêts personnels
                    ment de la transition : certains estiment la        et sociaux. C’est le cas en France (Kredens
                    durée de vie de la génération Y à une ving-         & Fontar, 2010 ; Octobre et al., 2010), c’est
                    taine d’années (donc une durée équiva-              aussi le cas ailleurs comme le montrent les
                    lente à celle des générations précédentes),         récents travaux du CEFRIO au Québec
                    d’autres plaident pour une transition accélé-       (Roy, 2009) et les études de Pew Internet
                    rée, fixant le passage à la génération Z ou C       aux États-Unis sur les usages des jeunes
                    à la fin des années 1990.                           générations. Et ces préoccupations et inté-
                                                                        rêts, qui évoluent aujourd’hui à un rythme
                    Ceux qui appartiennent à la « génération            accéléré, sont les marqueurs d’un nouveau
                    Y » sont les premiers à avoir grandi avec           rapport au temps qui précipite leur désir
                    les ordinateurs personnels, les jeux vidéos         d’immédiateté, voire leurs fantasmes d’ubi-
                    et l’internet ; ils sont entrés dans l’âge adulte   quité (Lachance, 2011).
                    aux alentours du millénaire. On les désigne
                    aussi parfois sous les étiquettes de « net
                    generation », « generation next », « mille-         Plus de centres d’intérêts, plus
                    nials » ou bien encore « boomerang gene-            d’activités connectées
                    ration » (du fait de leur retour fréquent au
                    foyer familial après une tentative d’indépen-       Les jeunes définissent l’internet à l’aune de
                    dance). La « génération Z » ou « généra-            leurs propres activités : un outil de divertis-
                    tion C » viendrait donc ensuite pour dési-          sement, un outil de communication et une
                    gner des personnes exposées dès leur plus           grande bibliothèque. L’internet ne crée pas
                    jeune âge à l’informatique connectée et ubi-        de nouvelles pratiques, mais prolonge et
                    quitaire, aux pratiques multimédia nomades,         rend plus accessibles des activités qui pré-
                    associées notamment au téléphone mobile,            existaient. Ces activités évoluent également
                    aux réseaux sociaux. Ce sont les « digital          avec l’âge, mais varient peu en fonction du
                    natives » à proprement parler ; les SMS,            sexe : les plus jeunes préfèrent les jeux,
                    la musique et l’internet sont leurs médias          les collégiens sont partagés entre le réseau
                    favoris. On les appelle aussi « generation          social, la musique et les vidéos, les lycéens
                    M » (pour le fonctionnement multitâche) ou          préfèrent le réseau social. En prenant de
                    «  generation text » (pour l’usage intensif         l’âge, les jeunes jouent moins. Et contraire-
                    des SMS).                                           ment aux idées reçues, les jeux en réseau
                                                                        ne sont pas plébiscités par les jeunes qui
                    Cette exposition des jeunes au numé-                leur préfèrent nettement les mini-jeux ou
                    rique consacre-t-elle leur appartenance à           jeux flash. En outre, quand ils grandissent,
                    une (ou deux) génération(s) numérique(s),           au fur et à mesure que leurs centres d’intérêt
                    distincte(s) de celles de leurs parents et de       et les impératifs scolaires se développent,
                    leurs grands-parents, dont les usages sont          l’éventail des activités connectées s’élargit
                    en comparaison peu étudiés ? (Lobet-Maris,          (Kredens & Fontar, 2010).
                    2011). Autrement dit, ces grilles de lecture
                    autorisent-elles à penser que les pratiques
                    sociales font « communauté » ?                      En grandissant, des appropriations
                                                                        plus solitaires
                                                                        C’est au sein du foyer que les jeunes se
                    Les ados ne sont ni des                             connectent majoritairement et prioritairement
                    enfants, ni des adultes...                          à l’internet. La pratique est le plus souvent
                                                                        individuelle, mais les aînés et les parents
                    Si communauté il y a, force est de consta-          jouent un rôle clé dans les appropriations au
                    ter que le pluriel est de mise. Car, toutes         sein de la sphère familiale, complémentaire
                    les études le signalent, les différences sont       des découvertes qui s’opèrent à l’école ou
                    fortes entre les enfants (école primaire), les      que stimule la sphère amicale. L’encadre-
                    préadolescents (collège) et les adolescents         ment familial varie également en fonction de
                    (lycée). Les pratiques numériques chez les          l’âge, allant de l’interdiction d’accès à cer-
                    jeunes font ainsi écho et ont à voir avec           tains sites à la limitation du temps passé sur




Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                             9/24
écran. Plus les jeunes grandissent, plus ils
sont isolés derrière leur ordinateur : les collé-   249 SMS par semaine pour les 12-17
giens surfent le plus souvent dans une pièce        ans
commune du foyer, alors que les lycéens se
connectent plus fréquemment à l’abri des            Les ados n’utilisent pas le téléphone por-
regards, dans leur chambre (Kredens &               table pour téléphoner. Ou, quand ils le font,
Fontar, 2010).                                      les appels sont courts et plutôt adressés
                                                    aux parents. En revanche, la pratique des
                                                    SMS (texting en anglais) atteint des som-
Des ados moins aventureux que les                   mets, tant en termes de fréquence que
pré-ados                                            de quantité : on comptabilise un nombre
                                                    moyen de 249 SMS par semaine pour les
Alors que la préférence pour la télévision          12-17 ans en France (Bigot & Croutte,
décroît avec l’âge, l’usage de l’internet s’in-     2011) et plus de 100 SMS par jour pour
tensifie jusqu’à devenir quotidien chez les         un tiers de leurs homologues américains
lycéens. Le fait que la régulation parentale        (Lenhart et al., 2009).
diminue ne semble pas corrélée à une prise
de risques plus forte. Au contraire, les ados       Le SMS est devenu, en quelques an-
prennent des habitudes qui s’ancrent au fur         nées, le principal moyen d’échanger avec
et à mesure qu’ils murissent. Autrement dit,        ses pairs chez les ados américains. Les
plus ils sont âgés, moins ils s’aventurent : 8      usages les plus addictifs sont à chercher
jeunes sur 10 disent savoir à l’avance où ils       du côté des filles les plus âgées du panel,
veulent aller, plus de la moitié vont toujours      alors que les garçons les plus jeunes ré-
sur les mêmes sites, enregistrés le plus            sistent davantage (Lenhart et al., 2009).
souvent dans leurs favoris, plus de 28%             Le tchat vidéo connaît cependant une forte
ont un ordre de consultation immuable ses-          progression, des usages complémentaires
sion après session. Les plus aventuriers se         à ceux du téléphone apparaissent : le soir,
trouvent chez les jeunes garçons, encore            à la maison, pour faire les devoirs, mais
vierges de rituels (Kredens & Fontar, 2010).        aussi juste pour être ensemble (Ericsson
                                                    ConsumerLab, 2012).

Twitter : une scène
d’expérimentation peu adaptée                       265 amis sur Facebook : normal !

Si un outil, un service ne répond pas à leurs       Les jeunes Américains de 13-17 ans possè-
besoins, les jeunes ne l’adoptent pas. Ils ne       dent en moyenne 265 « amis » sur Facebook,
sont pas fondamentalement des « geeks ».            mais considèrent qu’il est curieux d’en avoir
Twitter par exemple ne fait pas partie spon-        plus de 350. 265, c’est le double du nombre
tanément de leurs activités favorites : ce          moyen d’amis des 800 000 millions de profils
sont à peine 8% des jeunes Américains de            enregistrés aujourd’hui (130). Dans leur es-
12 à 17 ans qui disent avoir déjà twitté (une       prit, Facebook reste un outil complémentaire
proportion similaire à ceux qui participent         des SMS, qui permet de communiquer facile-
à des mondes virtuels), alors qu’ils repré-         ment avec ses amis, à l’aide de chansons ou
sentent un tiers de 18-20 ans (Lenhart et           d’extraits de films, alors que les adultes s’en
al., 2010). En France aussi, il est utilisé par     servent massivement pour échanger des
une population internaute plutôt mascu-             informations textuelles qui pourraient être
line et plutôt étudiante (18-24 ans) (IFOP,         véhiculées autrement. Au delà des outils, ils
2011). L’hypothèse d’une redondance par             plébiscitent la fonction sociale, celle qui leur
rapport aux autres applications utilisées est       permet d’éprouver ce sentiment nécessaire
parfois avancée. Mais les échanges qui s’y          d’appartenance à un groupe, aux contours
développent sont plus éphémères, la liste           certes élargis, mais maîtrisés, même si au
des « followers » compose un réseau plus            final, les échanges effectifs (écrire sur le mur
distendu qui évolue presque par hasard,             d’un tiers, commenter ses posts, etc.) ne
parfois au gré d’événements ponctuels.              concernent qu’un petit nombre d’« amis »
                                                    (Ericsson ConsumerLab, 2012).




                                                    Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                  10/24                             Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Des jeunes québécois moins                         breux. C’est pourquoi les analyses du Pew
                    « connectés » qu’on le croirait                    Research Center américain doivent retenir
                                                                       notre attention, d’autant que les résultats
                    Si ces pratiques varient d’un âge de la jeu-       sont ambivalents.
                    nesse à un autre, elles ne le font pas indé-
                    pendamment de l’environnement social et            Au delà des convergences technologiques,
                    culturel dans lequel elles s’exercent. Là en-      les jeunes adultes Américains (génération Y)
                    core, il conviendrait de nuancer davantage.        présenteraient une certaine homogénéité
                    Si de prime abord, les analyses d’usages           sociale. Les travaux du groupe Millennials
                    mettent au jour une relative convergence           montrent qu’ils sont plus confiants, plus opti-
                    entre les jeunes Américains et les jeunes          mistes et plus ouverts au changement que
                    Français, l’enquête « Génération C » du            leurs aînés. Ils appartiennent à la génération
                    CEFRIO, menée auprès de plus de 2000               d’Américains la plus instruite, non seulement
                    jeunes de 12 à 24 ans, signale des diffé-          parce qu’ils évoluent dans une « société de
                    rences tangibles avec leurs homologues             la connaissance », mais aussi parce qu’ils se
                    québécois (Roy, 2009).                             forment plus et/ou plus longtemps en raison
                                                                       de la récession économique (Parker et al.,
                    Les SMS, par exemple, ne sont pas au cœur          2010).
                    des sociabilités, ne serait-ce que parce que
                    les jeunes Québécois (12-17 ans) ne sont           D’autres travaux plus récents tendent à rela-
                    que 39% à posséder un téléphone portable.          tiviser ces convergences générationnelles
                    En revanche, ils utilisent davantage le cour-      fondées en partie sur les pratiques numé-
                    riel, et, dans une moindre mesure, le clavar-      riques. La dernière enquête Generations pu-
                    dage (tchat). Les résultats mettent en évi-        bliée par le Pew Research Center montre en
                    dence également des différences de genre :         effet que, dans nombre d’activités en ligne,
                    les filles bavardent plus, tiennent des blogs,     la domination de la génération Y s’est
                    laissent des commentaires sur d’autres             largement amenuisée. Certaines pratiques
                    blogs, consultent Facebook ; les garçons           continuent à se banaliser, en quelque sorte
                    jouent davantage à des jeux en ligne, font         par pollinisation, au niveau du groupe d’âge :
                    des achats, regardent des films.                   alors que leurs aînés privilégient la consulta-
                                                                       tion de sites gouvernementaux et d’informa-
                    Une autre catégorie émerge de l’enquête,           tions financières, les 18-33 ans investissent
                    permettant de relativiser l’homogénéité sup-       plus volontiers les réseaux sociaux, la mes-
                    posée des profils  : les grands utilisateurs,      sagerie instantanée, les petites annonces en
                    approximativement un tiers des jeunes inter-       ligne, la musique (écoute), les jeux, les blogs
                    rogés, ont des usages plus diversifiés et plus     (lecture) et les mondes virtuels.
                    intensifs. Ils sont corrélativement plus enclins
                    à utiliser l’internet pour leurs travaux sco-      Parallèlement, d’autres activités clés se gé-
                    laires. La fréquentation des réseaux sociaux       néralisent plus uniformément dans la popu-
                    n’est pas, pour eux, une activité dominante ;      lation internaute : le courrier électronique, les
                    ils utilisent davantage le clavardage et sont      moteurs de recherche, les informations de
                    plus amateurs de musique en ligne que la           santé, les achats en ligne, les réservations
                    moyenne des jeunes Québécois. D’une fa-            de voyage, la banque en ligne, etc. Même
                    çon générale, plus ils passent de temps sur        dans les domaines d’activités encore domi-
                    internet, plus ils sont susceptibles de passer     nés par la génération Y, la progression des
                    de spectateur à créateur de contenus (Roy,         générations précédentes peut être très forte,
                    2009).                                             en particulier pour ce qui touche aux activi-
                                                                       tés de communication et de divertissement
                                                                       en ligne (réseaux sociaux, vidéo et musique
                                                                       en ligne, petites annonces essentiellement)
                    Les ados sont parfois aussi                        (Zickuhr, 2010).
                    des adultes (et vice versa)
                                                                       La pratique du blog a également augmen-
                    Les travaux d’ampleur assumant cette pers-         té significativement chez les plus de 30
                    pective générationnelle ne sont pas si nom-        ans, alors qu’elle semble s’être déplacée




Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                            11/24
chez les adolescents et les jeunes adultes : le      C’est en tous cas le résultat d’une étude menée
nombre d’internautes blogueurs âgés de 12 à          par Boyd aux États-Unis (2011), montrant les
17 ans est passé de 28% en 2006 à 14% en             logiques sociales à l’œuvre dans les choix de
2009. Une des explications avancées porte            MySpace et Facebook. L’année scolaire 2006-
sur le fait que différents supports peuvent au-      07 aurait ainsi vu nombre d’adolescents blancs
jourd’hui permettre de mettre à jour son profil et   migrer de MySpace à Facebook, avec pour
de poster des actualités : les réseaux sociaux       conséquence une ghettoïsation de MySpace.
bien évidemment, mais aussi le « micro-blog-         Selon l’auteur, cette migration s’apparente au
ging » qui remplace peu à peu le « macro-blog-       phénomène de « white flight » qui s’est carac-
ging » (Lenhart et al., 2010).                       térisé au milieu du XXe siècle par un exode des
                                                     blancs vers les zones périphériques des villes
Ainsi, indépendamment des plates-formes,             américaines.
certaines activités sont de plus en plus commu-
nément partagées par les internautes, mais ne
se diffusent pas à la même vitesse dans toutes
les couches de la population. Les internautes        Des pratiques culturelles 
qui ont du temps, les jeunes et les retraités,       fondamentalement
et ceux issus de milieux favorisés, tendent à        exploratoires
adopter plus rapidement des technologies nou-
velles et à développer plus fréquemment des          Les jeunes apprennent de leurs pratiques sur
usages numériques qui peu à peu essaiment            les réseaux sociaux : ils expérimentent de
auprès des autres catégories de la population.       nouvelles formes d’expression, de nouvelles
                                                     règles de comportement ; ils découvrent de
Le multitâche comme caractéristique distinctive      nouvelles techniques, telles que faire un mon-
d’une génération doit être relativisé, même s’il     tage vidéo ou customiser leur page de profil ; ils
est avéré que les jeunes le pratiquent davan-        partagent leurs créations et reçoivent un feed-
tage. Outre le fait qu’il se caractérise davantage   back des tiers. Ceux qui se passionnent pour
par une commutation de tâches (task swit-            un sujet ou un autre « rencontrent » d’autres
ching) que par la réalisation simultanée de plu-     jeunes ou moins jeunes partageant le même
sieurs tâches (multitasking), certaines études       centre d’intérêt, au-delà des milieux qu’ils fré-
montrent qu’il s’agit d’une pratique courante        quentent hors ligne. Ils cherchent alors à amé-
aussi chez les membres de la génération X et         liorer leurs connaissances pour être reconnus
ceux de la génération des babyboomers. Ce            par leurs pairs, accroître leur réputation. Ils pro-
sont les tâches à combiner, voire les tâches dif-    cèdent constamment par essais-erreurs.
ficiles à combiner qui varient d’une génération
à l’autre (Carrier et al., 2009).                    Dans ces configurations relationnelles, les
                                                     adultes participants ne sont pas automati-
D’autres activités en revanche restent anecdo-       quement perçus ni ne se comportent comme
tiques, tant pour les jeunes que pour les adultes,   des référents en possession d’une expertise à
alors qu’elles concentrent l’attention des milieux   transmettre.
économiques : la présence de la publicité sur
les réseaux sociaux ne semble guère impacter
les pratiques des internautes, peu attirés par          Autrement dit, les expériences
exemple par le suivi des marques, quel que              numériques avec les nouveaux
soit leur âge (Kredens & Fontar, 2010 ; IDATE,          médias stimulent l’auto-ap-
2011 ; IFOP, 2011).                                     prentissage et gomment les
                                                        traditionnelles barrières liées
Enfin, les inégalités du monde des adultes              au statut et à l’autorité ; elles
existent aussi, déjà, chez les adolescents.             favorisent une démarche ex-
Peu d’études le mettent en évidence, même si            ploratoire autonome qui a peu
l’on s’en doute. Les jeunes issus de milieux
                                                        à voir avec les apprentissages
économiquement et culturellement défavo-
risés n’investissent pas les réseaux socio-
                                                        scolaires (Ito et al., 2009).
numériques de la même façon que ceux
issus de milieux plus favorisés (Boyd, 2011).




                                                     Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                  12/24                              Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Les sites de réseaux sociaux répondent          sion sociale n’est pas avéré : les transforma-
                    particulièrement bien à cet attrait des         tions à l’œuvre s’accompagnent aussi d’une
                    jeunes pour une exploration sociale :           multiplication des liens faibles, plus propices
                    «  création d’un espace générationnel           à la cohésion sociale, au détriment des liens
                    propre, course à la popularité, possi-          forts.
                    bilité de se comparer aux profils popu-
                    laires, apprentissage à se comporter en         Dans ce contexte, l’essor des NTIC, au dé-
                    public ou dans les interactions senti-          but des années 2000, ne permet pas d’en-
                    mentales » (Stenger & Coutant, 2011).           rayer les discours catastrophistes, même
                    Facebook n’est donc pas qu’un simple            si l’apparition des sites de réseaux laisse
                    outil de communication : c’est d’abord          entrevoir le développement d’une sociabilité
                    un outil au service de la socialisation         à distance, face à une sociabilité présen-
                    et du développement interpersonnel.             tielle déclinante (Mercklé, 2011). En 2010
                                                                    cependant, les analyses ont radicalement
                    Si ces pratiques ne sont pas uniformes          évolué. Tout se passe comme si Facebook
                    d’un âge de la jeunesse à un autre,             avait changé la donne et que le déclin s’était
                    elles varient également d’un pays à             mué en avènement de « nouvelles sociabi-
                    l’autre. Les conclusions du projet EU           lités » (Casilli, 2010).
                    Kids Online montrent que l’utilisation
                    des SNS par les jeunes Européens
                    varie peu selon le sexe ou le statut so-
                    cio-économique, et confirment que les           Les vrais amis et les amis
                    variations portent sur l’âge : 26% des          potentiellement utiles
                    9-10 ans ont un compte sur un SNS,
                    contre 82% des 15-16 ans. Les usages            Alors que Facebook prétend favoriser le dé-
                    sont également plus ou moins dévelop-           veloppement de liens forts entre personnes
                    pés selon les pays : un jeune de 9 à            appartenant à un même groupe, il favorise
                    16 ans sur deux dans les pays où les            dans les faits d’abord le développement de
                    SNS sont les moins utilisés (Roumanie,          liens faibles, associant des personnes qui se
                    Turquie, Allemagne) à trois jeunes sur          connaissent peu a priori. Pour les jeunes, il
                    quatre dans les pays « leaders » (Pays-         s’agit à la fois de se connecter à leurs pairs
                    Bas, Lituanie, Danemark) (Livingstone           et leurs amis et de développer leur capital
                    et al., 2011).                                  social en affichant des relations plus loin-
                                                                    taines. Ces sociabilités numériques ne sont
                                                                    donc que partiellement le décalque des
                                                                    sociabilités ordinaires (Granjon, 2011).
                    Communication                                   Le terme « ami » sur les réseaux sociaux
                    et lien social :                                renvoie ainsi à une grande diversité de rela-
                                                                    tions (Boyd, 2008).
                    de nouvelles
                    modalités ?
                    La popularité croissante de la notion de
                    « réseau » s’accompagne, depuis les an-               Deux types de pratiques sont
                    nées 1990, d’une montée en puissance de               généralement observés : celles
                    discours sur le déclin des sociabilités et le         visant à la conversation avec
                    délitement du lien social. Pourtant, ces hy-          les proches (friendship-dri-
                    pothèses alarmistes sont à nuancer : si les           ven) et celles promouvant le
                    discussions en face à face tendent à dimi-
                                                                          partage de contenus autour
                    nuer quel que soit le type de relations (tra-
                    vail, voisinage, famille, amis,...), le temps         de centres d’intérêt communs
                    quotidien de la sociabilité reste stable.             (interest-oriented) (Ito et al.,
                    De même le lien entre le déclin supposé des           2009).
                    sociabilités et l’affaiblissement de la cohé-




Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                         13/24
Certaines plates-formes encouragent un        Alors intéressés, les jeunes sur Face-
type d’activités plutôt qu’un autre. Quand    book ? Pourtant dans la vraie vie non
c’est la mise en relation de contacts pré-    plus, il n’y a pas nécessairement d’oppo-
existants qui est privilégiée, les conver-    sition entre « amitié » et « intérêt ».
sations se déroulent dans une zone de
familiarité contrôlée, que Cardon qualifie
de « clair obscur » ; elles relèvent alors       Certaines activités réalisées
plus du bavardage que de la prise de             avec les amis ne sont pas mo-
parole distanciée, tout en restant plus ou       tivées par un goût pour l’acti-
moins ouvertes sur l’extérieur.                  vité elle-même mais servent
                                                 de prétexte ou de support à
D’autres plates-formes se caractérisent
                                                 cette sociabilité.
par des réseaux plus divers et plus dis-
tendus. Les participants y exposent
moins leur quotidien, et davantage leurs
centres d’intérêt. Ces espaces relation-
nels sont pour autant de moins en moins       On va regarder telle émission télévisuelle
distincts : l’hybridation du réseau social    pour pouvoir en discuter le lendemain,
et du réseau thématique s’inscrit dans        aller au cinéma pour échapper à une inti-
une logique qui rassemble les « vrais »       mité toute nouvelle avec son nouveau co-
amis et les amis « utiles » ou « intéres-     pain ou sa nouvelle copine, etc. La rela-
sants » et qui favorise une « exploration     tion devient alors une pratique culturelle
curieuse » du monde (Cardon, 2011).           en soi (Octobre et al., 2010).

D’après Boyd et Ellison (2007), le ré-        Les « vrais amis » restent importants,
seautage numérique dépend à la fois           tous les jeunes n’ont pas 265 amis sur
des affordances de la plate-forme et des      Facebook. L’enquête EU Kids Online
logiques sociales réelles, même si ce qui     montre que la moitié des jeunes Euro-
se passe hors ligne est rarement analy-       péens interrogés ont moins de 50 amis
sé. Ce qui est nouveau avec les réseaux       sur leur profil et que la majorité de ces
sociaux, ce n’est pas tant la possibilité     contacts sont présents dans l’environ-
de se lier à des personnes peu connues        nement social « hors ligne ». Pour expli-
voire inconnues, que de pouvoir afficher      quer cette redondance sociale, près de
les cercles relationnels de chacun et         la moitié des jeunes évoquent d’une part
leur articulation. C’est la mobilisation      une plus grande facilité à s’exprimer et
des « liens latents », non actifs socia-      d’autre part une complémentarité des
lement et potentiellement opportunistes,      sujets de discussion. l
qui consacre le caractère inédit des liens                                                       Un jeune sur trois
rendus visibles (Granjon, 2011).              Pour autant, les jeunes Européens ne               par exemple affirme
                                                                                             l
                                                                                                 que « sur Internet,
                                              sont pas totalement insouciants vis-à-vis          ils parlent de choses
La notion de « friending », introduite par    de la confidentialité de certaines infor-          privées dont ils ne
Boyd, permet de considérer l’amitié nu-       mations. Tous les paramètres d’identité            pourraient pas discuter
mérique comme une relation humaine            ne sont pas renseignés (et l’âge men-              avec des gens en face
                                                                                                 à face ». C’est donc le
à part entière : contrairement à l’amitié     tionné est fréquemment surévalué) ; au             côté plus intime, plus
classique, elle est déclarée, possible-       total, moins d’un tiers a un profil public.        authentique qui est
ment intéressée, potentiellement animée       Paradoxalement, ce sont dans les pays              ici mis en avant (Li-
par de mauvaises intentions. La popu-         où les réseaux socionumériques sont                vingstone et al., 2011).
larité n’est pas seulement liée à la taille   plutôt publics que les jeunes donnent da-
du réseau (au nombre de liens), mais à        vantage leur âge réel et fournissent plus
son activabilité. Les liens correspondent     d’informations personnelles (adresse,
à des facettes identitaires multiples, la     téléphone, etc.) ; les préoccupations
proximité émotionnelle et/ou sociale n’est    liées à la vie privée ne sont pas inexis-
pas déterminante. Les relations sont plus     tantes, mais elles sont modulées selon
stables du fait qu’elles nécessitent une      les cultures nationales (Livingstone et al.,
implication moindre (Casilli, 2010).          2011).




                                              Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
               14/24                          Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Une sociabilité renouvelée,                        liens faibles. Cette « nouvelle économie
                    des normes régénérées                              relationnelle » introduit une logique du calcul
                                                                       dans les relations sociales des individus :
                    Hormis quelques travaux montrant que la            « elle renforce les logiques de réputation qui
                    mixité sociale ne dépasse guère le stade du        exacerbent les inégalités sociales et cultu-
                    souhait sur des plates-formes telles que les       relles entre ceux qui parviennent à construire
                    sites de rencontres, peu d’études prennent         un réseau de contacts large et hétérogène et
                    véritablement en compte l’appartenance             ceux qui restent enfermés dans un espace
                    sociale pour analyser les liens qui se tissent     relationnel réduit et homogène » (Cardon,
                    sur les réseaux socionumériques (Granjon,          2011).
                    2011). Il semble toutefois que la multiplica-
                    tion des liens faibles plaide pour un affaiblis-   Pour certains chercheurs, ces nouvelles
                    sement des hiérarchies sociales.                   sociabilités appauvrissent la substance
                                                                       même des relations : « la prolifération de
                                                                       liens faibles online » et « le délitement des
                       Les relations sont moins mar-                   liens forts offline » seraient concomitants
                       quées par les déterminismes                     (Granjon, 2011). Pour d’autres, ces relations
                       sociaux traditionnels (sexe,                    en ligne, même si elles ne revendiquent pas
                       âge, classe sociale, origine,                   de fonction communautaire, font en quelque
                       etc.) ; les adolescents s’affran-               sorte communauté, au sens où elles se dé-
                       chissent plus facilement de                     veloppent dans des contextes extrêmement
                       certaines normes du groupe                      normatifs qui favorisent l’établissement et le
                                                                       maintien du lien social (Hugon, 2011).
                       de pairs, en particulier celles
                       qui limitent la fréquentation                   Pour d’autres, l’apparente fluidité des
                       des pairs de l’autre sexe (Met-                 échanges, dans une situation de communi-
                       ton-Gayon, 2009).                               cation assistée par ordinateur, nécessaire-
                                                                       ment décontextualisés et potentiellement ins-
                                                                       tantanés, peut présenter certains risques en
                                                                       matière de responsabilité, de respect et de
                    Un tel affaiblissement constitue-t-il une op-      transparence : on serait moins responsable
                    portunité pour élargir son réseau au delà des      de ce que l’on dit ou écrit, moins sensible à la
                    cercles éloignés de la vraie vie ? Pas systé-      qualité des échanges, et moins autonomes
                    matiquement, répondent les chercheurs tra-         parce que plus surveillés, potentiellement.
                    vaillant sur le projet Sociogeek (11000 partici-   D’une façon générale, le risque est celui
                    pants, majoritairement masculins, 28 ans en        d’une « dilution du sens moral » (Chardel &
                    moyenne). Le jeu des affinités numériques          Reber, 2011).
                    ne se distingue en effet a priori guère de
                    celui des affinités sociales hors web : on ne      Pour d’autres enfin, la technologie n’est plus
                    change pas de milieu sur le web, on trouve         le levier de la transformation du monde, mais
                    des gens qui nous ressemblent. Mais les            au contraire l’environnement où la culture
                    stratégies varient : les internautes d’origine     numérique de masse se développe. La
                    modeste ou les moins diplômés cherchent            communauté n’est plus un groupe d’indivi-
                    à élargir leur capital social et se montrent au    dus qui partagent un intérêt et mutualisent
                    départ plus entreprenants, tandis que ceux         ses moyens en vue d’une fin, mais une expé-
                    issus de milieux économiquement et culturel-       rience collective ritualisée, qui a perdu « sa
                    lement favorisés cherchent à le préserver en       vocation utilitaire et fonctionnaliste, pour ne
                    filtrant davantage les demandes de contact         constituer qu’une célébration du groupe par
                    (Aguiton et al., 2009).                            lui même, à partir de la mobilisation d’un ima-
                                                                       ginaire commun » (Hugon, 2011).
                    Plusieurs travaux en revanche montrent que
                    les réseaux socionumériques prolongent,            Pour Dagnaud (2011), cet imaginaire com-
                    intensifient et transforment des sociabi-          mun dépasse largement les plaisanteries
                    lités qui préexistaient, et favorisent une         potaches de la « culture LOL » (laughing out
                    augmentation et un élargissement des               loud) pour donner naissance à de nouvelles




Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                            15/24
formes d’actions et à de nouveaux modes             Les tentatives de légiférer ne contribuent
du vivre ensemble. Les jeunes adultes se            pas toujours de surcroît à une meilleure
tiennent davantage à distance des idéologies        compréhension des réseaux sociaux,
de partie, se mobilisent plutôt sur des enjeux      ni en termes d’enjeux, ni en termes de
locaux, pour la démocratie dans les pays            risques. Malgré la COPPA (Children
arabes, contre le chômage et la précarité en        Online Privacy Protection Act), 38% des
Espagne, contre Wall Street aux États-Unis,         jeunes Américains de 12 ans sont inscrits
misent enfin sur leur capacité d’auto-organi-       sur un réseau social : ils sont donc 38% à
sation à travers les réseaux.                       contourner la limite d’âge de 13 ans, avec
                                                    la complicité massive de leurs parents qui
Dès lors faut-il considérer l’utilisation mas-      assument ce manquement à la loi. Dans
sive d’avatars, de pseudonymes et de toutes         cet exemple, la COPPA génère plus de
autres formes de modulations de soi, comme          confusion qu’elle ne permet de répondre
l’expression d’un rituel ou comme une               aux préoccupations de sécurité et de
initiative autonome de l’individu ?                 confidentialité en ligne, ni de responsabili-
                                                    ser les parents et les enfants (Boyd et al.,
                                                    2011).
Le risque, c’est d’abord soi,                       Ainsi les risques perçus ne corres-
pas les autres                                      pondent pas toujours aux risques
                                                    réels. Les pratiques des adultes en té-
                                                    moignent, qui tiennent volontiers des dis-          Autrement dit, la
Risques perçus, risques réels ?                     cours négatifs sur Facebook et Wikipédia            confiance ou le manque
                                                                                                        de confiance impacte
                                                    par exemple, mais qui ne sont pas les der-          peu les usages : les
Certains parents stigmatisent, voire diabo-         niers à les utiliser. l                         l   internautes français uti-
lisent, l’internet, le rendant responsable de                                                           lisent à plus de 85% les
certains maux de la jeunesse (relations vir-        D’après l’enquête de Fréquence écoles,              réseaux sociaux alors
                                                                                                        qu’ils ne sont que 35%
tuelles, pornographie, addiction, etc.), pre-       les risques perçus sont en décalage par             à leur faire confiance
nant ainsi les symptômes pour des causes.           rapport aux risques réels : si la mauvaise          (IDATE, 2011).
Cette méfiance intergénérationnelle n’est           rencontre est envisagée comme le danger
pas nouvelle : la jeunesse est en quelque           n°1 par près de la moitié des jeunes inter-
sorte toujours dangereuse ou en danger. Et          rogés, les expériences vécues pointent
les technologies, si elles permettent de fa-        d’abord les questions de virus ou de pira-
çon inédite aux adolescents d’éprouver leur         tage (36%) ; viennent ensuite les images
force de caractère et leurs idéaux en dehors        et films pornographiques ou violents (plus
de tout cadre institutionnel traditionnel, ne       de 20%), l’utilisation de photos par des
doivent pas non plus nourrir une vision radi-       tiers et les insultes, menaces et méchan-
cale du changement (Barrère, 2011).                 cetés (près de 15%). Les activités, et cor-
                                                    rélativement le degré d’exposition à ces
Pas facile pourtant de relativiser. À trop insis-   dangers, croissent avec l’âge (Kredens &
ter sur le caractère dangereux et incontrô-         Fontar, 2010).
lable des réseaux sociaux, médias et pou-
voirs publics incitent les parents à surveiller     Parallèlement, le recul critique augmente
leurs enfants tout en cherchant à les décou-        également à chaque niveau scolaire.
rager, voire à leur en interdire l’utilisation.     Même si les garçons, les adolescents les
                                                    plus âgés et ceux issus de milieux socio-
                                                    économiques plutôt favorisés sont volon-
   Cette tentation anxiogène de                     tiers plus ouverts, moins méfiants, dans
   l’hyper-contrôle encourage                       les relations qu’ils développent en ligne,
                                                    rien n’autorise à penser aujourd’hui que
   au final les jeunes à dissimuler
                                                    ces nouvelles formes relationnelles sont
   leurs pratiques et à mentir, ac-                 un facteur de risque (Livingstone et al.,
   centuant ainsi le clivage entre                  2011).
   les générations (Boyd, 2008).




                                                    Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
                  16/24                             Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
Narcissisme et empathie                            nalité à l’âge adulte. Toutes les études
                                                                          sur les troubles de dépendance à internet
                       Les psychologues qui analysent les ré-             (TDI) convergent : ce besoin excessif et
                       seaux sociaux mettent généralement en              obsessionnel d’utiliser un ordinateur, qu’il
                       évidence deux types d’impact sur les com-          s’agisse d’une dépendance au réseautage
                       pétences « sociales », négatif et positif.         social, aux jeux en ligne, à la pornogra-
                                                                          phie, aux courriels ou même aux achats
                       D’un côté, l’usage de réseaux tels que             sur internet, traduit une certaine immatu-
                       Facebook signale un comportement                   rité affective qui ne permet pas au sujet de
                       plutôt narcissique chez les adolescents,           se construire une identité psychosociale
                       pouvant évoluer vers des troubles psy-             véritable, solide.
                       chiatriques plus graves à l’âge adulte :
                       comportement antisocial, tendances ma-             La période de l’adolescence est particu-
                       niaques ou agressives. Le temps passé              lièrement propice à un basculement parce
                       est crucial : un usage excessif des techno-        que c’est un moment clé dans la construc-
                       logies numériques quelles qu’elles soient          tion de cette identité psycho-sociale ; la
                       rendrait les enfants, les préadolescents et        vigilance des parents est donc de mise.
                       les adolescents sujets à l’anxiété et à la         Mais pour être efficace, cette mobilisation
                       dépression et préfigurerait des désordres          doit s’ancrer dans une régulation continue
                       plus importants à l’âge adulte. Face-              de l’usage des écrans, comme l’illustre la
                       book peut être source de distraction au            règle des 3-6-9-12 proposée par Stiegler
                       sens négatif du terme : certaines études           et Tisseron (2009) : pas d’écran avant
                       montrent par exemple que les élèves qui            trois ans, pas de console de jeu avant 6
                       vérifient leur profil au moins toutes les 15       ans, pas d’internet, même accompagné
                       mn ont des résultats scolaires plus faibles        des parents, avant 9 ans et internet sous
                       (Rosen, 2011).                                     contrôle à partir de 12 ans.

                       D’un autre côté, le web 2.0 offre des es-          Enfin, certaines études mettent en garde
                       paces de consolation, permettant aux               contre une perception trop exacerbée
                       individus de s’exprimer dans des forums            des parents sur les risques associés au
                       ou sur des blogs, propose des espaces              nombre d’activités investies, au temps
                       substitutifs, apaisants, capables de géné-         consacré et à l’intensité mobilisée. Les
                       rer des nouvelles solidarités, de créer de         jeunes sont conscients de ces excès qui
                       nouvelles formes de « pâtir ensemble »             participent de leurs expériences adoles-
                       (Auray, 2011). Les pratiques augmentent            centes et en tant que tels ne méritent pas
                       l’empathie virtuelle des internautes, c’est-       d’être systématiquement stigmatisés (Bar-
                       à-dire la capacité à prendre en considéra-         rère, 2011).
                       tion l’état émotionnel d’un tiers à distance,
                       en particulier chez les jeunes adultes.            Pour Oliveri (2011), ce n’est pas le temps
                       Les adolescents introvertis y trouvent un          passé à jouer qui caractérise concrète-
                       moyen plus à leur portée de socialiser à           ment cette cyberdépendance, mais la
                       travers la médiation des écrans, tandis            coupure relationnelle avec l’entourage :
                       que pour les élèves, l’usage pédagogique           « quand le jeu vidéo devient la principale
                       de certaines technologies peut s’avérer            motivation, l’unique centre d’intérêt d’un
                       suffisamment convaincant pour accroître            individu, au détriment des autres activités
                       leur engagement scolaire (Rosen, 2011).            sociales ». Cette mobilisation peut s’avérer
                                                                          intense tout en s’inscrivant dans une dyna-
                       Autrement dit, la question majeure n’est           mique de groupe : les jeunes joueurs fran-
                       pas celle de l’impact des réseaux sociaux          çais explorent ensemble, sur une période
                       en tant que tel, mais celle de savoir com-         de temps plus ou moins longue, ce « nou-
                       ment faire en sorte que des pratiques              veau territoire d’émancipation », lieu virtuel
                       potentiellement pathologiques à l’ado-             « d’une reconfiguration du lien social à tra-
                       lescence ne trouvent pas dans les ré-              vers la pratique vidéoludique intensive ».
                       seaux sociaux un terreau favorable à
                       l’apparition de désordres de la person-




Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012
Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
                                                                                           17/24
Enquete 2012
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Enquete 2012

  • 1. 71 Sommaire Fév. 2012 l page 2 : Médias sociaux et culture des écrans l page 8 : Vers un renouveau générationnel l page 13 : Communication et lien social : de nouvelles modalités ? l  page 18 : Identités numériques, identités dynamiques l  page 21 : En guise de conclusion l  page 22 : Bibliographie JEUNESSES 2.0 : LES PRATIQUES Dossier d’actualité RELATIONNELLES AU CŒUR DES MÉDIAS SOCIAUX Les connaissances acquises par le Par Laure Endrizzi biais d’internet sont-elles aussi impor- tantes que celles apprises à l’école ? Chargée d’étude et de La question semble impertinente, mais recherche au service elle n’en mobilise pas moins nombre Veille et Analyses de d’institutions et de chercheurs qui ne l’Institut Français de peuvent décemment être étiquetés de l’Éducation (IFÉ) subversifs. L’Institute for Prospective Technological Studies (IPTS) signale par exemple que La fréquentation de ce que l’on appelle les 31% des internautes de l’UE-27 utilisent « médias sociaux » – ces applications qui se l’internet pour apprendre par eux-mêmes fondent sur les valeurs et les technologies alors qu’ils ne sont que 5% à avoir suivi du web 2.0 – dépasse désormais celle des un cours en ligne. Ces chiffres permettent portails commerciaux et services de vente d’appréhender plus concrètement un lieu en ligne qui se sont affichés en tête des me- commun : l’idée selon laquelle les techno- sures d’audience au niveau mondial pendant logies de l’information et de la communi- plusieurs années. Autrement dit, Facebook cation stimulent les apprentissages infor- pour les réseaux sociaux, Wikipédia pour VEILLE ET ANALYSES mels, alors que les milieux de l’éducation les projets collaboratifs, Wordpress pour les et de la formation se saisissent encore blogs, Twitter pour les micro-blogs, YouTube marginalement des opportunités qu’elles et Flickr pour le partage de vidéos ou de pho- fournissent (Redecker et al., 2010). tos, World of Warcraft pour les jeux en réseau multi-joueurs ou bien encore MSN pour la En 10 ans, les pratiques d’internet ont messagerie instantanée sont aujourd’hui plé- considérablement évolué ; les écrans sont biscités par des internautes du monde entier, devenus omniprésents et l’informatique et rencontrent une audience inédite auprès connectée s’est banalisée, notamment des jeunes générations. avec l’essor des technologies mobiles. Les usages, tant en termes de communication Le discours commun s’avère pourtant peu que de loisirs ont explosé, en particulier nuancé s’agissant des médias sociaux, os- pour ce qui concerne la consultation et le cillant entre la promesse d’échanges sans partage de contenus audiovisuels (Don- intermédiaires et sans limites d’une part, et nat, 2009 ; Bigot & Croutte, 2011). la disparition de la vie privée et l’avènement Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 1/24
  • 2. d’une société de surveillance généralisée Après une première partie introductive sur d’autre part (Cardon, 2011). Les TIC d’une la place des médias sociaux dans notre manière générale suscitent depuis une environnement culturel, nous cherchons vingtaine d’années un affrontement entre à savoir si les pratiques numériques des «  une vision « technophile » enchantée, jeunes font communauté, c’est-à-dire si faisant d’internet le moteur de l’avène- elles sont ou non le fait d’une génération ment d’une société globale plus ouverte, de natifs. Nous nous intéressons ensuite démocratique, fraternelle, égalitaire » et aux usages communicationnels qui nour- «  une vision « technophobe » faisant au rissent le quotidien numérique des jeunes contraire d’internet un ferment de nivel- et aux nouvelles sociabilités qui s’y déve- lement des valeurs et de destruction du loppent. Nous examinons enfin les dyna- lien social ». Dans ce paysage, les jeunes miques identitaires à l’œuvre et en parti- sont particulièrement stigmatisés, et leurs culier comment ils redéfinissent les fron- pratiques médiatiques sources de toutes tières entre espace public et espace privé les inquiétudes (Mercklé, 2011). et comment ils cherchent à faire la preuve de leur valeur. À tort ou à raison ? Si la question n’appelle pas de réponse simple, nous constatons que l’école n’est pas totalement insen- sible aux questions que ces pratiques médiatiques soulèvent. En France, Édus- Médias sociaux et col a publié en novembre 2011 un dos- culture des écrans sier de synthèse intitulé Médias sociaux et éducation ; l’Association des collèges privés du Québec (ACPQ) a financé une Du Web 2.0 aux recherche sur l’Évaluation de produc- médias sociaux : de tions issues de l’intégration pédagogique la participation à la d’outils du web social dont le rapport est paru en janvier 2012. Côté enseignants, monétisation ? des communautés dédiées émergent et se revendiquent du « learning 2.0 » ou La notoriété des réseaux sociaux n’est du « social learning », comme le réseau plus à faire. En France, Facebook, You- francophone Apprendre 2.0. Des asso- Tube et Twitter composent désormais le ciations telles que le CLEMI et le CIEME palmarès des réseaux les plus connus. s’engagent en France au côté des ensei- Les usages se sont largement diffusés gnants et des parents pour démêler ces depuis 2008 jusqu’à atteindre quasiment nouvelles pratiques et les formes inédites des valeurs planchers. En 2011, les in- de littératie qu’elles engendrent (ou pas). ternautes français sont membres de 2,8 réseaux en moyenne. L’utilisation de Fa- Au vu de l’importance de ces médias so- cebook (un internaute sur deux) touche ciaux pour la jeunesse scolarisée, nous toutes les couches de la population quel avons estimé opportun de faire le point que soit l’âge, le sexe ou la catégorie sur cette question, comme élément du socio-professionnelle. Si la notoriété de contexte d’apprentissage. Dans le pro- Twitter ne se traduit pas dans sa fré- longement de la synthèse réalisée en quentation (8% des internautes), celle de 2008 par Gaussel sur les liaisons dange- Google+, lancé en juillet 2011 s’est avérée reuses entre éducation et télévision, ce en quelques mois fortement mobilisatrice dossier d’actualité se propose d’adopter (12% des internautes) (IFOP, 2011). une position distanciée pour examiner au travers de recherches récentes les Pour analyser cet engouement, certains changements réellement imputables au font référence au « web 2.0 », largement développement des médias sociaux, et popularisé par Tim O’Reilly, dans son plus largement à celui de l’informatique texte de 2005, What is Web 2.0. D’autres connectée. évoquent les termes de « nouveaux mé- dias » ou de « médias sociaux ». Selon Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 2/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 3. Rebillard (2011), le succès de l’étiquette Les travaux de Kietzmann et al. (2011) 2.0 accolée à tous les domaines de la complètent la typologie de Kaplan & vie sociale (politique 2.0, culture 2.0, Haenlein en y associant sept fonctionnali- entreprise 2.0, ville 2.0, école 2.0, etc.) tés structurantes : identité, conversations, a largement contribué à promouvoir un partage, présence, relations, réputation et idéal de la participation, basée à la fois groupes. Les usagers de LinkedIn s’inté- sur une contribution active des individus ressent plutôt à l’identité, la réputation et et une multiplication des échanges. Le les relations, tandis que ceux de YouTube terme de « médias sociaux » est né de privilégient le partage, les conversations, ce morcellement du web 2.0 : il désigne les groupes et la réputation. globalement tous les outils et services qui permettent à des individus de s’ex- L’incarnation de la philosophie du web 2.0 primer en ligne dans le but de rencontrer dans des outils et services combinant pu- des pairs et/ou de partager ou créer des blication, partage et socialisation a permis contenus avec eux. la diffusion d’une vision moins enchantée, plus pragmatique, voire plus commerciale, Le périmètre de ce que l’on nomme dans laquelle l’idéal de participation laisse «  médias sociaux » n’est pas pour au- progressivement la place à l’efficacité : le tant stabilisé, en France en particulier partage est désormais moins une valeur où règne une certaine confusion avec qu’une fonctionnalité. Il s’agit d’optimiser les « réseaux sociaux » proprement dits. l’expérience de l’internaute en proposant Une des définitions les plus commu- des fonctionnalités innovantes (et moné- nément citées, s’agissant des médias tisables) basées sur une exploitation des sociaux, est celle fournie par Kaplan et données personnelles des internautes Haenlein (2010) : « a group of Internet- (Rebillard, 2011). based applications that build on the ideological and technological founda- Pour Stenger et Coutant (2011), le terme tions of Web 2.0, and allow the crea- « médias sociaux » génère beaucoup de tion and exchange of user-generated confusion parce qu’il ne permet pas d’ap- content ». préhender dans toute leur complexité les différentes plates-formes regroupées sous Le « web 2.0 » se différencie du « média cette étiquette. Si toutes se caractérisent social » en ce qu’il ne réfère à aucune ap- par un modèle économique construit sur plication particulière ; il désigne les nou- les contenus produits par les internautes, veaux usages du web considéré comme leurs spécificités s’incarnent dans des une plate-forme dont les contenus et les usages trop divers pour être traitées indis- fonctionnalités évoluent en permanence tinctement. Ils proposent de considérer grâce à l’activité des usagers. Le terme les « réseaux socionumériques » comme « user-generated content » qualifie cette un cas particulier. activité : elle est caractérisée par une certaine créativité, exercée générale- ment en dehors des routines profession- nelles, et est rendue publique sur un site Les réseaux sociaux : des dédié, accessible à tous ou à une sélec- médias sociaux comme les tion de membres inscrits. autres ? De nombreuses l infographies tentent de Dans leur classification, les auteurs dis- Les réseaux sociaux ne sont pas nés représenter cet univers médiatique dont le péri- tinguent six types de médias : projets avec Facebook, ni même avec l’internet. mètre est en constante collaboratifs (Wikipédia), blogs (Wor- Le terme a été utilisé pour la première évolution. Parmi les dpress) et microblogs (Twitter), commu- fois par l’anthropologue John A. Barnes plus populaires, men- nautés de contenus (YouTube, Flickr), en 1954 : il s’agissait de prendre pour tionnons le panorama proposé par Cavazza sites de réseaux sociaux (Facebook, objet d’études non pas les attributs des en 2008 et la Social LinkedIn), jeux virtuels (World of War- individus (âge, profession, etc.), mais les media map d’Overdrive craft) et mondes virtuels (Second Life) relations qu’ils tissent entre eux et leurs Interactive, mise à jour (Kaplan & Haenlein, 2010). l régularités, afin de rendre compte de périodiquement. Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 3/24
  • 4. leur formation, de leurs transformations termes de trafic aux États-Unis, comme et de leurs effets sur les comportements. le montrent les études de ComScore. À Le concept n’est donc pas nouveau, il titre de comparaison, le réseau LinkedIn s’appuie sur une histoire déjà longue, touche 135 millions de professionnels et marquée notamment par le développe- Google+, malgré son jeune âge, atteint ment d’une méthodologie quantitative, d’ores et déjà 90 millions d’inscrits. l’analyse des réseaux sociaux (social network analysis), qui a su se constituer Si le réseautage social est l’activité en un domaine propre au sein des sciences ligne la plus répandue dans le monde, sociales (Mercklé, 2011). elle laisse apparaître des différences notables selon les aires géographiques Son application aux sites de réseaux et culturelles et selon les âges : Face- sociaux (social network sites ou SNS) book est par exemple très répandu en s’appuie sur la définition communément Australie et peu utilisé au Japon ; et si citée de Boyd et Ellison (2007), qui dis- les jeunes générations investissent lar- tingue trois fonctionnalités. Les SNS gement les SNS, c’est auprès des usa- permettent 1/ de définir un profil public gers de 65 ans et plus qu’ils connaissent ou semi-public au sein d’un système ; depuis peu la plus forte progression aux 2/ de gérer une liste de contacts avec États-Unis (Madden, 2010). lesquels ils partagent un lien ; 3/ de voir et naviguer sur leur liste de liens et sur L’évolution des différentes plates-formes ceux établis par les autres au sein du s’inscrit dans un double mouvement système (Boyd & Ellison, 2007). La prin- de concentration et de fragmenta- cipale nouveauté réside dans la mise en tion de l’audience (ComScore, 2011), place progressive de la liste de contacts mouvement qui n’est pas sans rappeler comme outil de navigation : le web de- la « longue traîne » de Chris Anderson vient un espace familier et navigable (2007). Parallèlement, les grands ré- grâce aux traces d’activité des amis de seaux sociaux généralistes fonctionnent ses amis (Cardon, 2011). de moins en moins selon des logiques professionnelles. En s’appuyant sur les travaux du Digital Youth Project (Ito et al., 2009), Stenger Dans une infographie dynamique actua- et Coutant (2011) distinguent les activi- lisée en juin 2011, Cosenza donne à tés qui se tiennent au sein des réseaux voir le recul progressif depuis 2009 de socionumériques, plutôt centrées sur la nombreux réseaux nationaux au pro- sociabilité et l’amitié, des sites regroupés fit de Facebook. La carte publiée en sous l’appellation « médias sociaux » qui octobre 2011 par Oxyweb montre éga- permettent des activités guidées par un lement un resserrement de l’audience intérêt particulier : passions, rencontres autour de trois réseaux leaders : Face- amoureuses, partage de contenus, pra- book dans une grande majorité de pays, tiques professionnelles, etc. RenRen en Chine et vKontacte en Rus- sie. Face à ces grands réseaux leaders Les SNS ou réseaux socionumériques dont le taux de croissance ralentit et les plus connus sont « grand public » dont la capacité d’innovation est faible, (Facebook, Google+, Copains d’avant se développent nombre de services de en France) ou professionnels (Linke- niche, ciblant des sous-populations d’in- dIn, Viadéo en France). Ils occupent ternautes et connaissant pour certains l Lancé en 2004 dans une place singulière dans le paysage une croissance dite exponentielle. En les milieux estudiantins des médias sociaux du fait de leur au- France, le même phénomène est ob- américains, Facebook dience extrêmement forte. Si d’autres servé, avec par exemple l’érosion de la compte 800 millions médias ont connu une croissance mon- position du réseau grand public Copains d’inscrits en janvier 2012 (dont 350 millions diale spectaculaire (Twitter, World of d’avant, peu utilisé malgré un nombre de de mobinautes) avec Warcraft et Second Life), celle de Face- membres qui reste important, et la mon- chacun en moyenne book  l reste en effet totalement inéga- tée en puissance du réseau profession- 130 « amis », selon les lée. Il concurrence désormais Google en nel Viadéo (IFOP, 2011). statistiques produites par le site. Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 4/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 5. une personne sur quatre, essentiellement de jeunes adultes et des diplômés de l’ensei- D’après l’étude du Crédoc, gnement supérieur (Bigot & Croutte, 2011). quatre Français sur dix sont membres d’un réseau social ; Les principaux usages de l’internet fixe (re- le fait d’être diplômé et/ou cherches, itinéraires, actualités, météo) sont actif est un bon prédicteur déjà répliqués sur les téléphones mobiles. d’inscription, mais l’âge reste Les services nécessitant l’usage du clavier largement le critère le plus (courriel, réseaux sociaux essentiellement) discriminant : les moins de 25 sont utilisés de manière extensive par la moi- ans sont plus de 80% à être tié des mobinautes français (IDATE, 2011). inscrits sur un réseau social Cette convergence entre téléphonie mo- (Bigot & Croutte, 2011). bile et réseaux sociaux, susceptible de nourrir une certaine addiction, a connu une croissance spectaculaire en 2011. D’après les derniers chiffres de ComScore sur le La confiance envers les réseaux sociaux Mobile social networking (novembre 2011), est faible, tant chez les utilisateurs que chez les usages ont augmenté de 44% en un an l les non-utilisateurs. Les risques perçus dans les cinq principaux pays européens En moyenne un mobi- concernent l’accès aux données privées et (Allemagne, Espagne, France, Italie et naute de l’UE-5 sur quatre fréquente les le stockage (conservation) de ces données Royaume Uni). l réseaux sociaux depuis par des tiers. Si la méfiance reste forte, elle son téléphone, en par- ne constitue pas nécessairement un frein à Le téléphone mobile ne servirait-il plus seu- ticulier Twitter et Linke- l’usage : les internautes interrogés dans le lement à téléphoner ? En tous cas, son utili- dIn dont les usages ont doublé en un an. baromètre de la Caisse des dépôts et de sation par les jeunes générations est large- l’ACSEL utilisent massivement les réseaux ment influencée par les fonctionnalités qu’il sociaux, tout en ne leur faisant pas confiance « embarque ». (IDATE, 2011). Facebook même fonctionne comme un hub, selon Cavazza : il permet d’afficher ses goûts et ses activités (comme MySpace), Omniprésence des écrans, de retrouver des anciens amis (comme développement des Copains d’avant), de partager ses photos et pratiques connectées ses vidéos (comme FlickR, Dailymotion ou YouTube), de communiquer instantanément Avec les évolutions techniques et les offres avec ses amis (comme Msn), etc. commerciales caractérisées les unes et les autres par une surenchère permanente, Tout se passe comme si la technologie apparaissent deux tendances majeures : un importait peu, comme si l’attachement au essor inédit des équipements mobiles téléphone portable et à Facebook était (cellulaires, ordinateurs portables, micro- motivé par les activités que l’un et l’autre portables, clés 3G, tablettes), qui viennent permettent : stocker, lire, écouter, diffuser, compléter souvent un équipement fixe, et communiquer, etc. (Lenhart et al., 2010) ; corollairement une croissance forte des ac- des activités rendues possibles par une cer- cès nomades à l’internet. taine « convergence des médias », comme l’ont montré les travaux de Jenkins au MIT En France, une personne sur deux est dé- (2006). sormais équipée d’un ordinateur portable, tandis que près d’un tiers dispose de plu- Aux États-Unis également, la consommation sieurs ordinateurs. Le taux d’accès à internet médiatique des jeunes a explosé avec la ba- à domicile avoisine les 75%. Parallèlement nalisation du téléphone comme plate-forme l’utilisation du cellulaire comme terminal et l’adoption généralisée des iPod et autres d’accès à internet progresse fortement. Ce appareils MP3. mode de connexion concerne désormais Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 5/24
  • 6. trouve sa place dans un mouvement géné- Les jeunes de 8 à 18 ans inter- ral d’enrichissement du parc audiovisuel rogés pour l’enquête longitu- domestique entamé au début des années dinale Generation M2 disent 60. Les écrans sont devenus les supports passer quotidiennement plus privilégiés du rapport à la culture, alors que de 7h30 à consommer des dans le même temps culture, divertissement et communication s’interpénètrent. Contrai- contenus numériques, ce qui rement à la consommation télévisuelle, gé- équivaut approximativement à néralement corrélée à un faible niveau de une journée de travail pour un participation culturelle, l’internet concerne adulte (Rideout et al., 2010). prioritairement les populations déjà les plus investies dans le domaine culturel. La démultiplication des écrans s’accompagne ainsi d’un cumul d’activités et l’écran de Ils passent en moyenne par jour 4h30 pour l’ordinateur devient concomitamment un les programmes TV (tout support confondu), terminal complémentaire pour regarder les 2h30 pour la musique, 1h30 pour l’ordina- programmes télévisuels. teur, 1h15 pour les jeux vidéos, moins de 40 mn pour des imprimés (livres, magazines, C’est toutefois chez les jeunes générations etc.) et moins de 30 mn pour des films. Si que les changements s’avèrent plus pro- l’on retranche avant d’additionner les acti- fonds : elles sont les plus nombreuses à vités simultanées, ces 7h30 correspondent s’emparer des nouvelles technologies et des en fait à une exposition totale de près de nouvelles offres facilitant l’accès aux images 11h par jour. La proportion de ces activités et à la musique ; ce sont elles qui ont le plus simultanées, estimée à 30%, a doublé en 10 contribué à la baisse du temps d’écoute ans, depuis la première enquête de la Kaiser de la télévision et de la radio et dans une Family Foundation (Rideout et al., 2010). moindre mesure à celle de la lecture des supports imprimés ; ce sont elles également qui fréquentent moins les salles de cinéma et font moins de sorties culturelles, alors que Des pratiques culturelles dans le même temps la participation des convergentes ou seniors augmente. Les moins de 30 ans qui concurrentielles ? ont grandi avec les téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux et autres écrans appar- Dans quelle mesure ces nouvelles pratiques tiennent à une génération marquée par la médiatiques concurrencent-elles ou complé- dématérialisation des contenus et la généra- mentent-elles les pratiques culturelles plus lisation de l’internet à haut débit ; ils sont les traditionnelles ? La dernière édition de l’en- héritiers d’une révolution médiatique initiée quête sur les pratiques culturelles des Fran- par la génération des babyboomers (Don- çais montre que globalement le numérique nat, 2009). n’a pas bouleversé la structure générale des pratiques culturelles ni surtout infléchi Pour autant, la fracture numérique n’a pas les tendances de la fin des années 1990. À disparu, elle a changé de nature. D’une fa- l’exception du temps consacré à la télévision çon générale, la différence se fait moins et à la radio qui a diminué sensiblement, désormais sur le fait d’être équipé ou les changement dans les autres domaines pas que sur la nature et la qualité tech- (écoute de musique, lecture de presse et de niques des équipements : posséder chez livres, visites et sortie culturelles, pratiques soi plusieurs ordinateurs, être équipé d’un amateur de la photo et de la vidéo) pro- smartphone ou d’une tablette tactile, pouvoir longent des tendances mises en évidence se connecter à internet de plusieurs façons, dans les précédentes éditions de l’enquête etc. Pour la moitié des 25% qui ne sont pas (Donnat, 2009). équipés, il s’agit d’abord d’un manque d’in- térêt, avant d’être une question économique La pénétration extrêmement rapide de l’ordi- (Bigot & Croutte, 2011). nateur et de l’internet dans les foyers français Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 6/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 7. Les inégalités sont générationnelles et née au sein des médias sociaux (Cardon, sociales avant d’être économiques, elles 2011). touchent surtout les retraités et les catégories socio-professionnelles modestes (Donnat, Mais les échanges sur internet ne se subs- 2009 ; Bigot & Croutte, 2011). Elle ne tient tituent pas à ceux de la vie réelle, ni ne les pas seulement aux conditions d’accès, ni à diminuent ; au contraire le nombre de corres- l’acculturation à l’informatique connectée, pondants et la fréquence des contacts aug- elle s’inscrit dans les logiques sociales : les mentent. Si, sur un plan qualitatif, l’internet ne défavorisés numériques sont aussi des permet pas d’enrayer une certaine « culture défavorisés sociaux. Elle concerne ceux de la chambre », potentiellement désocia- qui n’utilisent pas l’informatique connectée, lisante, chez les adolescents, il contribue à ceux qui ont abandonné après avoir essayé remédier à un certain isolement, à générer et ceux qui sont équipés mais développent un sentiment d’appartenance à un collec- de faibles usages (Granjon, 2011). tif (Mercklé, 2011). En outre, bien qu’utilisé plutôt à domicile, l’internet est très lié à des Pour les non-défavorisés numériques, les modes de loisirs tournés vers l’extérieur, en usages d’internet se diversifient et s’inten- particulier chez les jeunes générations (Don- sifient  : e-administration, banque en ligne, nat, 2009). achat et vente, réseaux sociaux, etc. Internet change également la donne en matière de Ces loisirs, connectés ou non, varient d’ail- musique et de vidéos : la pratique déclarée leurs fortement selon les âges et offrent de du streaming connaît une progression forte, ce fait de nouveaux supports à la communi- supérieure à celle du téléchargement (Bigot cation entre pairs. C’est ce que met en évi- & Croutte, 2011). dence l’enquête longitudinale réalisée par le Ministère de la culture auprès de plus de l Ce sont les jeux en La diffusion de ces nouvelles pratiques s’ac- 4000 adolescents suivis de la fin de l’école ligne qui dominent les compagne d’une inquiétude croissante vis- primaire jusqu’au milieu du lycée tout au long usages communica- à-vis de la protection de la vie privée. Si les des années 2000 (Octobre et al., 2010). l tionnels au début du Français ont gagné en maturité s’agissant de collège, avant de lais- ser progressivement la leur vie numérique, l’exploitation potentielle Dans ce paysage, les nouveaux médias, et place à la messagerie de leurs données personnelles et des traces notamment les réseaux socionumériques, instantanée (75% des qu’ils laissent est un sujet sensible (Bigot & occupent une place de choix, ne serait-ce jeunes de 13 ans) qui Croutte, 2011 ; IDATE, 2011). Le « droit à que parce que le temps qui leur est consa- elle même devance largement le courriel l’oubli numérique » devient une préoccupa- cré est important. Leur attractivité se fonde (57%) et les forums tion des pouvoirs publics, en France comme à la fois sur les opportunités relationnelles (22%) (Octobre et al., en Europe. qu’ils génèrent et sur les passions qu’ils per- 2010). mettent d’assouvir, comme l’ont montré les chercheurs qui ont pris part au Digital Youth Project (plus de 800 jeunes internautes nord- Une explosion des usages américains interrogés, des milliers d’heures communicationnels d’observation en ligne) (Ito et al., 2009). À côté de la recherche d’information et des La plupart du temps, les jeunes utilisent les usages de loisirs, ce sont les usages com- technologies pour étendre les relations avec municationnels qui ont explosé sur internet : ceux qu’ils fréquentent déjà dans les diffé- messagerie électronique, messagerie ins- rents cercles auxquels ils participent (école, tantanée, tchats ou forums en ligne, jeux en sports, etc.). Pour entretenir et négocier cette réseau, etc. (Donnat, 2009). Parallèlement présence sociale, ils s’appuient sur des avec les plates-formes web 2.0, les médias échanges privés (SMS, messagerie ins- traditionnels et les industries culturelles ne tantanée, téléphone mobile) ou passent sont plus les seuls vecteurs de l’information. par des réseaux sociaux « publics » Ils cohabitent désormais avec le tissu de tels que Facebook. Certains, moins conversations, de partages, de commen- nombreux, explorent les ressources du taires et de recommandations qui se déve- web à la recherche d’informations sur loppent de manière autonome et désordon- leurs centres d’intérêt émergents. Ils Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 7/24
  • 8. se connectent avec ceux qui partagent immigrants) a alimenté ces controverses les mêmes appétences pour des sujets parce qu’on y a lu, sans doute abusive- aussi divers que le jeu en ligne, l’écriture ment, la confirmation que cette génération créative, le montage de vidéo, etc. C’est avait une maîtrise quasiment innée des alors l’occasion de rencontrer des pairs technologies environnantes. Dès lors, il hors de leurs cercles relationnels habi- suffit de remplacer «  maîtrise quasiment tuels et de donner une nouvelle visibilité innée » par « aisance » et la proposi- à leurs activités (Ito et al., 2009). tion devient acceptable. Non seulement acceptable, mais aussi « valide », car Mais l’intensité émotionnelle des relations toutes les recherches s’accordent sur le qui se développent au travers de ces nou- fait que les adolescents d’aujourd’hui sont veaux médias reste complexe à appré- « porteurs et acteurs des mutations du hender en raison de leur ambivalence : numérique, et incarnent un renouveau d’une part l’individualisation des supports générationnel » (Octobre et al., 2010). permet à chacun de protéger sa sociabi- lité de son entourage (parents, conjoint, etc.), d’autre part les technologies sont Génération X, génération au service d’une transparence accrue des Y, génération C ? échanges. En parallèle la notion de groupe se transforme : on passe de groupes ho- mogènes et unifiés à des groupes plus Les statisticiens, sociologues et autres hétérogènes et plus spécialisés, dont économistes, prompts à raisonner en les membres, faiblement reliés les uns terme de génération, ont livré à nos ré- aux autres, pratiquent une nouvelle forme flexions plusieurs vocables peu aisés à d’amitié, le « friending » (Mercklé, 2011), manipuler, ne serait-ce que parce qu’ils sur laquelle nous reviendrons. recouvrent des échelles de temps va- riables d’une région du monde, voire d’un expert à un(e) autre. Les travaux souvent cités en référence sont ceux des histo- Vers un renouveau riens américains Strauss et Howe qui ont mis au jour dans les années 1990 un cycle générationnel générationnel composé de quatre temps. L’analyse des pratiques culturelles en Dans leur modèle, le cycle actuel aurait termes générationnels est une démarche commencé à la fin de la seconde guerre controversée. D’une part, elle ne tient pas mondiale, avec la génération des baby- compte des mécanismes sociaux et consi- boomers et se serait poursuivi entre 1960 dère les comportements comme mécani- et 1980 avec la génération X. quement déterminés par le passé ; d’autre part, elle offre une vision homogène gom- mant nombre de caractéristiques qui fis- surent ces constructions générationnelles, Depuis le début des années en particulier les nouvelles formes de pré- 1980, les experts s’accordent carité engendrées par les technologies pour distinguer deux temps : (Lobet-Maris, 2011). Les nuances sont essentielles, en particulier quand il s’agit celui de la génération Y qui des « jeunes », car les pratiques des en- regrouperait les natifs du pre- fants, préadolescents, adolescents et mier âge de l’informatique jeunes adultes sont fondamentalement personnel et celui de la géné- diverses (Donnat, 2009 ; Octobre et al., ration Z ou C qui concernerait 2010). les natifs de l’informatique connectée. L’expression « digital natives » proposée par Prensky (2001) pour distinguer les na- tifs du numérique de leurs parents (digital Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 8/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 9. Les avis divergent en revanche sur le mo- leurs préoccupations et intérêts personnels ment de la transition : certains estiment la et sociaux. C’est le cas en France (Kredens durée de vie de la génération Y à une ving- & Fontar, 2010 ; Octobre et al., 2010), c’est taine d’années (donc une durée équiva- aussi le cas ailleurs comme le montrent les lente à celle des générations précédentes), récents travaux du CEFRIO au Québec d’autres plaident pour une transition accélé- (Roy, 2009) et les études de Pew Internet rée, fixant le passage à la génération Z ou C aux États-Unis sur les usages des jeunes à la fin des années 1990. générations. Et ces préoccupations et inté- rêts, qui évoluent aujourd’hui à un rythme Ceux qui appartiennent à la « génération accéléré, sont les marqueurs d’un nouveau Y » sont les premiers à avoir grandi avec rapport au temps qui précipite leur désir les ordinateurs personnels, les jeux vidéos d’immédiateté, voire leurs fantasmes d’ubi- et l’internet ; ils sont entrés dans l’âge adulte quité (Lachance, 2011). aux alentours du millénaire. On les désigne aussi parfois sous les étiquettes de « net generation », « generation next », « mille- Plus de centres d’intérêts, plus nials » ou bien encore « boomerang gene- d’activités connectées ration » (du fait de leur retour fréquent au foyer familial après une tentative d’indépen- Les jeunes définissent l’internet à l’aune de dance). La « génération Z » ou « généra- leurs propres activités : un outil de divertis- tion C » viendrait donc ensuite pour dési- sement, un outil de communication et une gner des personnes exposées dès leur plus grande bibliothèque. L’internet ne crée pas jeune âge à l’informatique connectée et ubi- de nouvelles pratiques, mais prolonge et quitaire, aux pratiques multimédia nomades, rend plus accessibles des activités qui pré- associées notamment au téléphone mobile, existaient. Ces activités évoluent également aux réseaux sociaux. Ce sont les « digital avec l’âge, mais varient peu en fonction du natives » à proprement parler ; les SMS, sexe : les plus jeunes préfèrent les jeux, la musique et l’internet sont leurs médias les collégiens sont partagés entre le réseau favoris. On les appelle aussi « generation social, la musique et les vidéos, les lycéens M » (pour le fonctionnement multitâche) ou préfèrent le réseau social. En prenant de «  generation text » (pour l’usage intensif l’âge, les jeunes jouent moins. Et contraire- des SMS). ment aux idées reçues, les jeux en réseau ne sont pas plébiscités par les jeunes qui Cette exposition des jeunes au numé- leur préfèrent nettement les mini-jeux ou rique consacre-t-elle leur appartenance à jeux flash. En outre, quand ils grandissent, une (ou deux) génération(s) numérique(s), au fur et à mesure que leurs centres d’intérêt distincte(s) de celles de leurs parents et de et les impératifs scolaires se développent, leurs grands-parents, dont les usages sont l’éventail des activités connectées s’élargit en comparaison peu étudiés ? (Lobet-Maris, (Kredens & Fontar, 2010). 2011). Autrement dit, ces grilles de lecture autorisent-elles à penser que les pratiques sociales font « communauté » ? En grandissant, des appropriations plus solitaires C’est au sein du foyer que les jeunes se Les ados ne sont ni des connectent majoritairement et prioritairement enfants, ni des adultes... à l’internet. La pratique est le plus souvent individuelle, mais les aînés et les parents Si communauté il y a, force est de consta- jouent un rôle clé dans les appropriations au ter que le pluriel est de mise. Car, toutes sein de la sphère familiale, complémentaire les études le signalent, les différences sont des découvertes qui s’opèrent à l’école ou fortes entre les enfants (école primaire), les que stimule la sphère amicale. L’encadre- préadolescents (collège) et les adolescents ment familial varie également en fonction de (lycée). Les pratiques numériques chez les l’âge, allant de l’interdiction d’accès à cer- jeunes font ainsi écho et ont à voir avec tains sites à la limitation du temps passé sur Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 9/24
  • 10. écran. Plus les jeunes grandissent, plus ils sont isolés derrière leur ordinateur : les collé- 249 SMS par semaine pour les 12-17 giens surfent le plus souvent dans une pièce ans commune du foyer, alors que les lycéens se connectent plus fréquemment à l’abri des Les ados n’utilisent pas le téléphone por- regards, dans leur chambre (Kredens & table pour téléphoner. Ou, quand ils le font, Fontar, 2010). les appels sont courts et plutôt adressés aux parents. En revanche, la pratique des SMS (texting en anglais) atteint des som- Des ados moins aventureux que les mets, tant en termes de fréquence que pré-ados de quantité : on comptabilise un nombre moyen de 249 SMS par semaine pour les Alors que la préférence pour la télévision 12-17 ans en France (Bigot & Croutte, décroît avec l’âge, l’usage de l’internet s’in- 2011) et plus de 100 SMS par jour pour tensifie jusqu’à devenir quotidien chez les un tiers de leurs homologues américains lycéens. Le fait que la régulation parentale (Lenhart et al., 2009). diminue ne semble pas corrélée à une prise de risques plus forte. Au contraire, les ados Le SMS est devenu, en quelques an- prennent des habitudes qui s’ancrent au fur nées, le principal moyen d’échanger avec et à mesure qu’ils murissent. Autrement dit, ses pairs chez les ados américains. Les plus ils sont âgés, moins ils s’aventurent : 8 usages les plus addictifs sont à chercher jeunes sur 10 disent savoir à l’avance où ils du côté des filles les plus âgées du panel, veulent aller, plus de la moitié vont toujours alors que les garçons les plus jeunes ré- sur les mêmes sites, enregistrés le plus sistent davantage (Lenhart et al., 2009). souvent dans leurs favoris, plus de 28% Le tchat vidéo connaît cependant une forte ont un ordre de consultation immuable ses- progression, des usages complémentaires sion après session. Les plus aventuriers se à ceux du téléphone apparaissent : le soir, trouvent chez les jeunes garçons, encore à la maison, pour faire les devoirs, mais vierges de rituels (Kredens & Fontar, 2010). aussi juste pour être ensemble (Ericsson ConsumerLab, 2012). Twitter : une scène d’expérimentation peu adaptée 265 amis sur Facebook : normal ! Si un outil, un service ne répond pas à leurs Les jeunes Américains de 13-17 ans possè- besoins, les jeunes ne l’adoptent pas. Ils ne dent en moyenne 265 « amis » sur Facebook, sont pas fondamentalement des « geeks ». mais considèrent qu’il est curieux d’en avoir Twitter par exemple ne fait pas partie spon- plus de 350. 265, c’est le double du nombre tanément de leurs activités favorites : ce moyen d’amis des 800 000 millions de profils sont à peine 8% des jeunes Américains de enregistrés aujourd’hui (130). Dans leur es- 12 à 17 ans qui disent avoir déjà twitté (une prit, Facebook reste un outil complémentaire proportion similaire à ceux qui participent des SMS, qui permet de communiquer facile- à des mondes virtuels), alors qu’ils repré- ment avec ses amis, à l’aide de chansons ou sentent un tiers de 18-20 ans (Lenhart et d’extraits de films, alors que les adultes s’en al., 2010). En France aussi, il est utilisé par servent massivement pour échanger des une population internaute plutôt mascu- informations textuelles qui pourraient être line et plutôt étudiante (18-24 ans) (IFOP, véhiculées autrement. Au delà des outils, ils 2011). L’hypothèse d’une redondance par plébiscitent la fonction sociale, celle qui leur rapport aux autres applications utilisées est permet d’éprouver ce sentiment nécessaire parfois avancée. Mais les échanges qui s’y d’appartenance à un groupe, aux contours développent sont plus éphémères, la liste certes élargis, mais maîtrisés, même si au des « followers » compose un réseau plus final, les échanges effectifs (écrire sur le mur distendu qui évolue presque par hasard, d’un tiers, commenter ses posts, etc.) ne parfois au gré d’événements ponctuels. concernent qu’un petit nombre d’« amis » (Ericsson ConsumerLab, 2012). Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 10/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 11. Des jeunes québécois moins breux. C’est pourquoi les analyses du Pew « connectés » qu’on le croirait Research Center américain doivent retenir notre attention, d’autant que les résultats Si ces pratiques varient d’un âge de la jeu- sont ambivalents. nesse à un autre, elles ne le font pas indé- pendamment de l’environnement social et Au delà des convergences technologiques, culturel dans lequel elles s’exercent. Là en- les jeunes adultes Américains (génération Y) core, il conviendrait de nuancer davantage. présenteraient une certaine homogénéité Si de prime abord, les analyses d’usages sociale. Les travaux du groupe Millennials mettent au jour une relative convergence montrent qu’ils sont plus confiants, plus opti- entre les jeunes Américains et les jeunes mistes et plus ouverts au changement que Français, l’enquête « Génération C » du leurs aînés. Ils appartiennent à la génération CEFRIO, menée auprès de plus de 2000 d’Américains la plus instruite, non seulement jeunes de 12 à 24 ans, signale des diffé- parce qu’ils évoluent dans une « société de rences tangibles avec leurs homologues la connaissance », mais aussi parce qu’ils se québécois (Roy, 2009). forment plus et/ou plus longtemps en raison de la récession économique (Parker et al., Les SMS, par exemple, ne sont pas au cœur 2010). des sociabilités, ne serait-ce que parce que les jeunes Québécois (12-17 ans) ne sont D’autres travaux plus récents tendent à rela- que 39% à posséder un téléphone portable. tiviser ces convergences générationnelles En revanche, ils utilisent davantage le cour- fondées en partie sur les pratiques numé- riel, et, dans une moindre mesure, le clavar- riques. La dernière enquête Generations pu- dage (tchat). Les résultats mettent en évi- bliée par le Pew Research Center montre en dence également des différences de genre : effet que, dans nombre d’activités en ligne, les filles bavardent plus, tiennent des blogs, la domination de la génération Y s’est laissent des commentaires sur d’autres largement amenuisée. Certaines pratiques blogs, consultent Facebook ; les garçons continuent à se banaliser, en quelque sorte jouent davantage à des jeux en ligne, font par pollinisation, au niveau du groupe d’âge : des achats, regardent des films. alors que leurs aînés privilégient la consulta- tion de sites gouvernementaux et d’informa- Une autre catégorie émerge de l’enquête, tions financières, les 18-33 ans investissent permettant de relativiser l’homogénéité sup- plus volontiers les réseaux sociaux, la mes- posée des profils  : les grands utilisateurs, sagerie instantanée, les petites annonces en approximativement un tiers des jeunes inter- ligne, la musique (écoute), les jeux, les blogs rogés, ont des usages plus diversifiés et plus (lecture) et les mondes virtuels. intensifs. Ils sont corrélativement plus enclins à utiliser l’internet pour leurs travaux sco- Parallèlement, d’autres activités clés se gé- laires. La fréquentation des réseaux sociaux néralisent plus uniformément dans la popu- n’est pas, pour eux, une activité dominante ; lation internaute : le courrier électronique, les ils utilisent davantage le clavardage et sont moteurs de recherche, les informations de plus amateurs de musique en ligne que la santé, les achats en ligne, les réservations moyenne des jeunes Québécois. D’une fa- de voyage, la banque en ligne, etc. Même çon générale, plus ils passent de temps sur dans les domaines d’activités encore domi- internet, plus ils sont susceptibles de passer nés par la génération Y, la progression des de spectateur à créateur de contenus (Roy, générations précédentes peut être très forte, 2009). en particulier pour ce qui touche aux activi- tés de communication et de divertissement en ligne (réseaux sociaux, vidéo et musique en ligne, petites annonces essentiellement) Les ados sont parfois aussi (Zickuhr, 2010). des adultes (et vice versa) La pratique du blog a également augmen- Les travaux d’ampleur assumant cette pers- té significativement chez les plus de 30 pective générationnelle ne sont pas si nom- ans, alors qu’elle semble s’être déplacée Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 11/24
  • 12. chez les adolescents et les jeunes adultes : le C’est en tous cas le résultat d’une étude menée nombre d’internautes blogueurs âgés de 12 à par Boyd aux États-Unis (2011), montrant les 17 ans est passé de 28% en 2006 à 14% en logiques sociales à l’œuvre dans les choix de 2009. Une des explications avancées porte MySpace et Facebook. L’année scolaire 2006- sur le fait que différents supports peuvent au- 07 aurait ainsi vu nombre d’adolescents blancs jourd’hui permettre de mettre à jour son profil et migrer de MySpace à Facebook, avec pour de poster des actualités : les réseaux sociaux conséquence une ghettoïsation de MySpace. bien évidemment, mais aussi le « micro-blog- Selon l’auteur, cette migration s’apparente au ging » qui remplace peu à peu le « macro-blog- phénomène de « white flight » qui s’est carac- ging » (Lenhart et al., 2010). térisé au milieu du XXe siècle par un exode des blancs vers les zones périphériques des villes Ainsi, indépendamment des plates-formes, américaines. certaines activités sont de plus en plus commu- nément partagées par les internautes, mais ne se diffusent pas à la même vitesse dans toutes les couches de la population. Les internautes Des pratiques culturelles  qui ont du temps, les jeunes et les retraités, fondamentalement et ceux issus de milieux favorisés, tendent à exploratoires adopter plus rapidement des technologies nou- velles et à développer plus fréquemment des Les jeunes apprennent de leurs pratiques sur usages numériques qui peu à peu essaiment les réseaux sociaux : ils expérimentent de auprès des autres catégories de la population. nouvelles formes d’expression, de nouvelles règles de comportement ; ils découvrent de Le multitâche comme caractéristique distinctive nouvelles techniques, telles que faire un mon- d’une génération doit être relativisé, même s’il tage vidéo ou customiser leur page de profil ; ils est avéré que les jeunes le pratiquent davan- partagent leurs créations et reçoivent un feed- tage. Outre le fait qu’il se caractérise davantage back des tiers. Ceux qui se passionnent pour par une commutation de tâches (task swit- un sujet ou un autre « rencontrent » d’autres ching) que par la réalisation simultanée de plu- jeunes ou moins jeunes partageant le même sieurs tâches (multitasking), certaines études centre d’intérêt, au-delà des milieux qu’ils fré- montrent qu’il s’agit d’une pratique courante quentent hors ligne. Ils cherchent alors à amé- aussi chez les membres de la génération X et liorer leurs connaissances pour être reconnus ceux de la génération des babyboomers. Ce par leurs pairs, accroître leur réputation. Ils pro- sont les tâches à combiner, voire les tâches dif- cèdent constamment par essais-erreurs. ficiles à combiner qui varient d’une génération à l’autre (Carrier et al., 2009). Dans ces configurations relationnelles, les adultes participants ne sont pas automati- D’autres activités en revanche restent anecdo- quement perçus ni ne se comportent comme tiques, tant pour les jeunes que pour les adultes, des référents en possession d’une expertise à alors qu’elles concentrent l’attention des milieux transmettre. économiques : la présence de la publicité sur les réseaux sociaux ne semble guère impacter les pratiques des internautes, peu attirés par Autrement dit, les expériences exemple par le suivi des marques, quel que numériques avec les nouveaux soit leur âge (Kredens & Fontar, 2010 ; IDATE, médias stimulent l’auto-ap- 2011 ; IFOP, 2011). prentissage et gomment les traditionnelles barrières liées Enfin, les inégalités du monde des adultes au statut et à l’autorité ; elles existent aussi, déjà, chez les adolescents. favorisent une démarche ex- Peu d’études le mettent en évidence, même si ploratoire autonome qui a peu l’on s’en doute. Les jeunes issus de milieux à voir avec les apprentissages économiquement et culturellement défavo- risés n’investissent pas les réseaux socio- scolaires (Ito et al., 2009). numériques de la même façon que ceux issus de milieux plus favorisés (Boyd, 2011). Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 12/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 13. Les sites de réseaux sociaux répondent sion sociale n’est pas avéré : les transforma- particulièrement bien à cet attrait des tions à l’œuvre s’accompagnent aussi d’une jeunes pour une exploration sociale : multiplication des liens faibles, plus propices «  création d’un espace générationnel à la cohésion sociale, au détriment des liens propre, course à la popularité, possi- forts. bilité de se comparer aux profils popu- laires, apprentissage à se comporter en Dans ce contexte, l’essor des NTIC, au dé- public ou dans les interactions senti- but des années 2000, ne permet pas d’en- mentales » (Stenger & Coutant, 2011). rayer les discours catastrophistes, même Facebook n’est donc pas qu’un simple si l’apparition des sites de réseaux laisse outil de communication : c’est d’abord entrevoir le développement d’une sociabilité un outil au service de la socialisation à distance, face à une sociabilité présen- et du développement interpersonnel. tielle déclinante (Mercklé, 2011). En 2010 cependant, les analyses ont radicalement Si ces pratiques ne sont pas uniformes évolué. Tout se passe comme si Facebook d’un âge de la jeunesse à un autre, avait changé la donne et que le déclin s’était elles varient également d’un pays à mué en avènement de « nouvelles sociabi- l’autre. Les conclusions du projet EU lités » (Casilli, 2010). Kids Online montrent que l’utilisation des SNS par les jeunes Européens varie peu selon le sexe ou le statut so- cio-économique, et confirment que les Les vrais amis et les amis variations portent sur l’âge : 26% des potentiellement utiles 9-10 ans ont un compte sur un SNS, contre 82% des 15-16 ans. Les usages Alors que Facebook prétend favoriser le dé- sont également plus ou moins dévelop- veloppement de liens forts entre personnes pés selon les pays : un jeune de 9 à appartenant à un même groupe, il favorise 16 ans sur deux dans les pays où les dans les faits d’abord le développement de SNS sont les moins utilisés (Roumanie, liens faibles, associant des personnes qui se Turquie, Allemagne) à trois jeunes sur connaissent peu a priori. Pour les jeunes, il quatre dans les pays « leaders » (Pays- s’agit à la fois de se connecter à leurs pairs Bas, Lituanie, Danemark) (Livingstone et leurs amis et de développer leur capital et al., 2011). social en affichant des relations plus loin- taines. Ces sociabilités numériques ne sont donc que partiellement le décalque des sociabilités ordinaires (Granjon, 2011). Communication Le terme « ami » sur les réseaux sociaux et lien social : renvoie ainsi à une grande diversité de rela- tions (Boyd, 2008). de nouvelles modalités ? La popularité croissante de la notion de « réseau » s’accompagne, depuis les an- Deux types de pratiques sont nées 1990, d’une montée en puissance de généralement observés : celles discours sur le déclin des sociabilités et le visant à la conversation avec délitement du lien social. Pourtant, ces hy- les proches (friendship-dri- pothèses alarmistes sont à nuancer : si les ven) et celles promouvant le discussions en face à face tendent à dimi- partage de contenus autour nuer quel que soit le type de relations (tra- vail, voisinage, famille, amis,...), le temps de centres d’intérêt communs quotidien de la sociabilité reste stable. (interest-oriented) (Ito et al., De même le lien entre le déclin supposé des 2009). sociabilités et l’affaiblissement de la cohé- Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 13/24
  • 14. Certaines plates-formes encouragent un Alors intéressés, les jeunes sur Face- type d’activités plutôt qu’un autre. Quand book ? Pourtant dans la vraie vie non c’est la mise en relation de contacts pré- plus, il n’y a pas nécessairement d’oppo- existants qui est privilégiée, les conver- sition entre « amitié » et « intérêt ». sations se déroulent dans une zone de familiarité contrôlée, que Cardon qualifie de « clair obscur » ; elles relèvent alors Certaines activités réalisées plus du bavardage que de la prise de avec les amis ne sont pas mo- parole distanciée, tout en restant plus ou tivées par un goût pour l’acti- moins ouvertes sur l’extérieur. vité elle-même mais servent de prétexte ou de support à D’autres plates-formes se caractérisent cette sociabilité. par des réseaux plus divers et plus dis- tendus. Les participants y exposent moins leur quotidien, et davantage leurs centres d’intérêt. Ces espaces relation- nels sont pour autant de moins en moins On va regarder telle émission télévisuelle distincts : l’hybridation du réseau social pour pouvoir en discuter le lendemain, et du réseau thématique s’inscrit dans aller au cinéma pour échapper à une inti- une logique qui rassemble les « vrais » mité toute nouvelle avec son nouveau co- amis et les amis « utiles » ou « intéres- pain ou sa nouvelle copine, etc. La rela- sants » et qui favorise une « exploration tion devient alors une pratique culturelle curieuse » du monde (Cardon, 2011). en soi (Octobre et al., 2010). D’après Boyd et Ellison (2007), le ré- Les « vrais amis » restent importants, seautage numérique dépend à la fois tous les jeunes n’ont pas 265 amis sur des affordances de la plate-forme et des Facebook. L’enquête EU Kids Online logiques sociales réelles, même si ce qui montre que la moitié des jeunes Euro- se passe hors ligne est rarement analy- péens interrogés ont moins de 50 amis sé. Ce qui est nouveau avec les réseaux sur leur profil et que la majorité de ces sociaux, ce n’est pas tant la possibilité contacts sont présents dans l’environ- de se lier à des personnes peu connues nement social « hors ligne ». Pour expli- voire inconnues, que de pouvoir afficher quer cette redondance sociale, près de les cercles relationnels de chacun et la moitié des jeunes évoquent d’une part leur articulation. C’est la mobilisation une plus grande facilité à s’exprimer et des « liens latents », non actifs socia- d’autre part une complémentarité des lement et potentiellement opportunistes, sujets de discussion. l qui consacre le caractère inédit des liens Un jeune sur trois rendus visibles (Granjon, 2011). Pour autant, les jeunes Européens ne par exemple affirme l que « sur Internet, sont pas totalement insouciants vis-à-vis ils parlent de choses La notion de « friending », introduite par de la confidentialité de certaines infor- privées dont ils ne Boyd, permet de considérer l’amitié nu- mations. Tous les paramètres d’identité pourraient pas discuter mérique comme une relation humaine ne sont pas renseignés (et l’âge men- avec des gens en face à face ». C’est donc le à part entière : contrairement à l’amitié tionné est fréquemment surévalué) ; au côté plus intime, plus classique, elle est déclarée, possible- total, moins d’un tiers a un profil public. authentique qui est ment intéressée, potentiellement animée Paradoxalement, ce sont dans les pays ici mis en avant (Li- par de mauvaises intentions. La popu- où les réseaux socionumériques sont vingstone et al., 2011). larité n’est pas seulement liée à la taille plutôt publics que les jeunes donnent da- du réseau (au nombre de liens), mais à vantage leur âge réel et fournissent plus son activabilité. Les liens correspondent d’informations personnelles (adresse, à des facettes identitaires multiples, la téléphone, etc.) ; les préoccupations proximité émotionnelle et/ou sociale n’est liées à la vie privée ne sont pas inexis- pas déterminante. Les relations sont plus tantes, mais elles sont modulées selon stables du fait qu’elles nécessitent une les cultures nationales (Livingstone et al., implication moindre (Casilli, 2010). 2011). Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 14/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 15. Une sociabilité renouvelée, liens faibles. Cette « nouvelle économie des normes régénérées relationnelle » introduit une logique du calcul dans les relations sociales des individus : Hormis quelques travaux montrant que la « elle renforce les logiques de réputation qui mixité sociale ne dépasse guère le stade du exacerbent les inégalités sociales et cultu- souhait sur des plates-formes telles que les relles entre ceux qui parviennent à construire sites de rencontres, peu d’études prennent un réseau de contacts large et hétérogène et véritablement en compte l’appartenance ceux qui restent enfermés dans un espace sociale pour analyser les liens qui se tissent relationnel réduit et homogène » (Cardon, sur les réseaux socionumériques (Granjon, 2011). 2011). Il semble toutefois que la multiplica- tion des liens faibles plaide pour un affaiblis- Pour certains chercheurs, ces nouvelles sement des hiérarchies sociales. sociabilités appauvrissent la substance même des relations : « la prolifération de liens faibles online » et « le délitement des Les relations sont moins mar- liens forts offline » seraient concomitants quées par les déterminismes (Granjon, 2011). Pour d’autres, ces relations sociaux traditionnels (sexe, en ligne, même si elles ne revendiquent pas âge, classe sociale, origine, de fonction communautaire, font en quelque etc.) ; les adolescents s’affran- sorte communauté, au sens où elles se dé- chissent plus facilement de veloppent dans des contextes extrêmement certaines normes du groupe normatifs qui favorisent l’établissement et le maintien du lien social (Hugon, 2011). de pairs, en particulier celles qui limitent la fréquentation Pour d’autres, l’apparente fluidité des des pairs de l’autre sexe (Met- échanges, dans une situation de communi- ton-Gayon, 2009). cation assistée par ordinateur, nécessaire- ment décontextualisés et potentiellement ins- tantanés, peut présenter certains risques en matière de responsabilité, de respect et de Un tel affaiblissement constitue-t-il une op- transparence : on serait moins responsable portunité pour élargir son réseau au delà des de ce que l’on dit ou écrit, moins sensible à la cercles éloignés de la vraie vie ? Pas systé- qualité des échanges, et moins autonomes matiquement, répondent les chercheurs tra- parce que plus surveillés, potentiellement. vaillant sur le projet Sociogeek (11000 partici- D’une façon générale, le risque est celui pants, majoritairement masculins, 28 ans en d’une « dilution du sens moral » (Chardel & moyenne). Le jeu des affinités numériques Reber, 2011). ne se distingue en effet a priori guère de celui des affinités sociales hors web : on ne Pour d’autres enfin, la technologie n’est plus change pas de milieu sur le web, on trouve le levier de la transformation du monde, mais des gens qui nous ressemblent. Mais les au contraire l’environnement où la culture stratégies varient : les internautes d’origine numérique de masse se développe. La modeste ou les moins diplômés cherchent communauté n’est plus un groupe d’indivi- à élargir leur capital social et se montrent au dus qui partagent un intérêt et mutualisent départ plus entreprenants, tandis que ceux ses moyens en vue d’une fin, mais une expé- issus de milieux économiquement et culturel- rience collective ritualisée, qui a perdu « sa lement favorisés cherchent à le préserver en vocation utilitaire et fonctionnaliste, pour ne filtrant davantage les demandes de contact constituer qu’une célébration du groupe par (Aguiton et al., 2009). lui même, à partir de la mobilisation d’un ima- ginaire commun » (Hugon, 2011). Plusieurs travaux en revanche montrent que les réseaux socionumériques prolongent, Pour Dagnaud (2011), cet imaginaire com- intensifient et transforment des sociabi- mun dépasse largement les plaisanteries lités qui préexistaient, et favorisent une potaches de la « culture LOL » (laughing out augmentation et un élargissement des loud) pour donner naissance à de nouvelles Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 15/24
  • 16. formes d’actions et à de nouveaux modes Les tentatives de légiférer ne contribuent du vivre ensemble. Les jeunes adultes se pas toujours de surcroît à une meilleure tiennent davantage à distance des idéologies compréhension des réseaux sociaux, de partie, se mobilisent plutôt sur des enjeux ni en termes d’enjeux, ni en termes de locaux, pour la démocratie dans les pays risques. Malgré la COPPA (Children arabes, contre le chômage et la précarité en Online Privacy Protection Act), 38% des Espagne, contre Wall Street aux États-Unis, jeunes Américains de 12 ans sont inscrits misent enfin sur leur capacité d’auto-organi- sur un réseau social : ils sont donc 38% à sation à travers les réseaux. contourner la limite d’âge de 13 ans, avec la complicité massive de leurs parents qui Dès lors faut-il considérer l’utilisation mas- assument ce manquement à la loi. Dans sive d’avatars, de pseudonymes et de toutes cet exemple, la COPPA génère plus de autres formes de modulations de soi, comme confusion qu’elle ne permet de répondre l’expression d’un rituel ou comme une aux préoccupations de sécurité et de initiative autonome de l’individu ? confidentialité en ligne, ni de responsabili- ser les parents et les enfants (Boyd et al., 2011). Le risque, c’est d’abord soi, Ainsi les risques perçus ne corres- pas les autres pondent pas toujours aux risques réels. Les pratiques des adultes en té- moignent, qui tiennent volontiers des dis- Autrement dit, la Risques perçus, risques réels ? cours négatifs sur Facebook et Wikipédia confiance ou le manque de confiance impacte par exemple, mais qui ne sont pas les der- peu les usages : les Certains parents stigmatisent, voire diabo- niers à les utiliser. l l internautes français uti- lisent, l’internet, le rendant responsable de lisent à plus de 85% les certains maux de la jeunesse (relations vir- D’après l’enquête de Fréquence écoles, réseaux sociaux alors qu’ils ne sont que 35% tuelles, pornographie, addiction, etc.), pre- les risques perçus sont en décalage par à leur faire confiance nant ainsi les symptômes pour des causes. rapport aux risques réels : si la mauvaise (IDATE, 2011). Cette méfiance intergénérationnelle n’est rencontre est envisagée comme le danger pas nouvelle : la jeunesse est en quelque n°1 par près de la moitié des jeunes inter- sorte toujours dangereuse ou en danger. Et rogés, les expériences vécues pointent les technologies, si elles permettent de fa- d’abord les questions de virus ou de pira- çon inédite aux adolescents d’éprouver leur tage (36%) ; viennent ensuite les images force de caractère et leurs idéaux en dehors et films pornographiques ou violents (plus de tout cadre institutionnel traditionnel, ne de 20%), l’utilisation de photos par des doivent pas non plus nourrir une vision radi- tiers et les insultes, menaces et méchan- cale du changement (Barrère, 2011). cetés (près de 15%). Les activités, et cor- rélativement le degré d’exposition à ces Pas facile pourtant de relativiser. À trop insis- dangers, croissent avec l’âge (Kredens & ter sur le caractère dangereux et incontrô- Fontar, 2010). lable des réseaux sociaux, médias et pou- voirs publics incitent les parents à surveiller Parallèlement, le recul critique augmente leurs enfants tout en cherchant à les décou- également à chaque niveau scolaire. rager, voire à leur en interdire l’utilisation. Même si les garçons, les adolescents les plus âgés et ceux issus de milieux socio- économiques plutôt favorisés sont volon- Cette tentation anxiogène de tiers plus ouverts, moins méfiants, dans l’hyper-contrôle encourage les relations qu’ils développent en ligne, rien n’autorise à penser aujourd’hui que au final les jeunes à dissimuler ces nouvelles formes relationnelles sont leurs pratiques et à mentir, ac- un facteur de risque (Livingstone et al., centuant ainsi le clivage entre 2011). les générations (Boyd, 2008). Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 16/24 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux
  • 17. Narcissisme et empathie nalité à l’âge adulte. Toutes les études sur les troubles de dépendance à internet Les psychologues qui analysent les ré- (TDI) convergent : ce besoin excessif et seaux sociaux mettent généralement en obsessionnel d’utiliser un ordinateur, qu’il évidence deux types d’impact sur les com- s’agisse d’une dépendance au réseautage pétences « sociales », négatif et positif. social, aux jeux en ligne, à la pornogra- phie, aux courriels ou même aux achats D’un côté, l’usage de réseaux tels que sur internet, traduit une certaine immatu- Facebook signale un comportement rité affective qui ne permet pas au sujet de plutôt narcissique chez les adolescents, se construire une identité psychosociale pouvant évoluer vers des troubles psy- véritable, solide. chiatriques plus graves à l’âge adulte : comportement antisocial, tendances ma- La période de l’adolescence est particu- niaques ou agressives. Le temps passé lièrement propice à un basculement parce est crucial : un usage excessif des techno- que c’est un moment clé dans la construc- logies numériques quelles qu’elles soient tion de cette identité psycho-sociale ; la rendrait les enfants, les préadolescents et vigilance des parents est donc de mise. les adolescents sujets à l’anxiété et à la Mais pour être efficace, cette mobilisation dépression et préfigurerait des désordres doit s’ancrer dans une régulation continue plus importants à l’âge adulte. Face- de l’usage des écrans, comme l’illustre la book peut être source de distraction au règle des 3-6-9-12 proposée par Stiegler sens négatif du terme : certaines études et Tisseron (2009) : pas d’écran avant montrent par exemple que les élèves qui trois ans, pas de console de jeu avant 6 vérifient leur profil au moins toutes les 15 ans, pas d’internet, même accompagné mn ont des résultats scolaires plus faibles des parents, avant 9 ans et internet sous (Rosen, 2011). contrôle à partir de 12 ans. D’un autre côté, le web 2.0 offre des es- Enfin, certaines études mettent en garde paces de consolation, permettant aux contre une perception trop exacerbée individus de s’exprimer dans des forums des parents sur les risques associés au ou sur des blogs, propose des espaces nombre d’activités investies, au temps substitutifs, apaisants, capables de géné- consacré et à l’intensité mobilisée. Les rer des nouvelles solidarités, de créer de jeunes sont conscients de ces excès qui nouvelles formes de « pâtir ensemble » participent de leurs expériences adoles- (Auray, 2011). Les pratiques augmentent centes et en tant que tels ne méritent pas l’empathie virtuelle des internautes, c’est- d’être systématiquement stigmatisés (Bar- à-dire la capacité à prendre en considéra- rère, 2011). tion l’état émotionnel d’un tiers à distance, en particulier chez les jeunes adultes. Pour Oliveri (2011), ce n’est pas le temps Les adolescents introvertis y trouvent un passé à jouer qui caractérise concrète- moyen plus à leur portée de socialiser à ment cette cyberdépendance, mais la travers la médiation des écrans, tandis coupure relationnelle avec l’entourage : que pour les élèves, l’usage pédagogique « quand le jeu vidéo devient la principale de certaines technologies peut s’avérer motivation, l’unique centre d’intérêt d’un suffisamment convaincant pour accroître individu, au détriment des autres activités leur engagement scolaire (Rosen, 2011). sociales ». Cette mobilisation peut s’avérer intense tout en s’inscrivant dans une dyna- Autrement dit, la question majeure n’est mique de groupe : les jeunes joueurs fran- pas celle de l’impact des réseaux sociaux çais explorent ensemble, sur une période en tant que tel, mais celle de savoir com- de temps plus ou moins longue, ce « nou- ment faire en sorte que des pratiques veau territoire d’émancipation », lieu virtuel potentiellement pathologiques à l’ado- « d’une reconfiguration du lien social à tra- lescence ne trouvent pas dans les ré- vers la pratique vidéoludique intensive ». seaux sociaux un terreau favorable à l’apparition de désordres de la person- Dossier d’actualité veille et analyses • n° 71 • Février 2012 Jeunesses 2.0 : les pratiques relationnelles au cœur des médias sociaux 17/24