Inquiets devant le réchauffement climatique, des milliers de Français calculent leur empreinte carbone personnelle afin de réduire leurs émissions de CO2. Avec en tête un objectif qui va bientôt s’imposer à tous : la réduire à 2 tonnes d'ici 2050
1. L’OBS/N°2948-29/04/2021
20 CREDIT PHOTO
« Terrain
de sport du campus
Geesseknäppchen,
Luxembourg-Merl ».
Cette photo comme
les suivantes
sont tirées
de « Particles »
(éd. Kehrer Verlag),
qui présente
des sculptures
de Boris Loder : des
« pavés » composés
d’objets collectés
dans l’espace public
luxembourgeois.
2. L’OBS/N°2948-29/04/2021 21
BORIS LODER
EN COUVERTURE
Inquiets devant le
réchauffement climatique,
des milliers de Français
calculent leur empreinte
carbone personnelle afin
de réduire leurs émissions
de CO2. Avec en tête
un objectif qui va bientôt
s’imposer à tous : la réduire
à 2 tonnes d’ici à 2050
Par SÉBaSTien BillaRd et RÉMi noYon
Photos BoRiS lodeR
O
n est encore à plus de 4 tonnes! » Nous sommes
en 2050, et Julien, Mélanie, Sophie, Céline, Lisa et
lesautressontdépités.Ilsonteubeaus’interdirede
prendre l’avion, rénover leur logement à la pelle,
diminuer leur consommation de viande rouge,
leursempreintescarbonepersonnelles–c’est-à-direlaquantité
degazàeffetdeserrequ’ilsémettentdansleurviequotidienne
pour se nourrir, se loger, se déplacer… – explosent encore tous
les plafonds. Leurs modes de vie impliquent toujours trop de
dioxyde de carbone, de méthane, de protoxyde d’azote, ces gaz
quinousmènentaugouffreclimatique.Unevoixbrisesoudain
lesilencequis’estabattusurlaréunion :« Vousn’avezpasaussi
un atelier sur l’éco-anxiété? »
Heureusement, tout ça n’est qu’un jeu. Pour l’instant. Il est
23 heures,noussommesenmars 2021.Julien,Mélanie,Sophie,
Céline, Lisa et les autres participent, en visioconférence, à un
atelier« 2 tonnes »,organiséparl’entreprisedumêmenom.Cer-
tainssontconsultantseninformatique,d’autrestravaillentdans
lemarketing,desONG,àlaSNCF,ousontenreconversionpro-
fessionnelle.Ilshabitentlarégionparisienne,NiceouAnnecy…
Tous sont ici car ils sont animés par une profonde inquiétude
quantànotreavenirdansunmondetoujourspluschaud.Avant
derejoindrelaplateforme,chacunaréponduàunquestionnaire
assezprécis.Commentestchaufféleurlogement ?Combiende
kilomètres font-ils en voiture ? Combien de fois ont-ils pris
l’avioncesdernierstemps ?Qu’achètent-ilscommevêtements ?
Aquellefréquencechangent-ilsleursappareilsélectriques ?Au
débutdelapartie,touteslesempreintescarbonedesparticipants
s’affichent sur un graphique. Sophie dépasse la moyenne
écologie
3. L’OBS/N°2948-29/04/2021
22
Biens de
consommation
1,7tonne
Logement
2tonnes
Transport
3,2tonnes
Services
publics
1,4tonne
Alimentation
1,8tonne
L’objectif
pour 2050 est de
2tonnes
d’éq.CO2
Elle est
aujourd’hui de
10,1tonnes
d’éq.CO2
L’EMPREINTECARBONEMOYENNED’UNFRANÇAIS
française.« C’estparcequejevisseuledansunepassoirether-
miqueetquej’aiunevoitureimmense. »Lesautres,encorejeunes
oudéjàtrèsécolos,sontendessous.Aufuretàmesuredel’ate-
lier, les participantschoisissent différentes actions (renoncer à
l’avion, manger moins de viande, etc.), et l’on assiste à la – trop
– lente descente des courbes.
Cequiressembleàunsimplejeuécolopréfigurenotreavenir.
Alorsqu’unFrançaismoyenémetaujourd’huienviron10 tonnes
d’équivalent carbone par an (éq. CO2), il faudrait qu’il soit à
seulement 2 tonnes en 2050 pour respecter les engagements
pris lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015 et
contenir l’augmentationdelatempératuremondialeendessous
de 2 °C. Afin d’atteindre in fine la neutralité carbone, la France
est censée, en 2050, ne pas émettre davantage de gaz à effet
de serre que ce qu’elle est en capacité d’absorber grâce aux
« puits de carbone » (forêts, océans, filtres artificiels, etc.).
Comme Julien, Mélanie, Sophie, Céline, Lisa, de nombreux
Français se sont mis, ces dernières années, à calculer leur
« poids climatique » grâce à des outils de plus en plus perfec-
tionnés et accessibles (il suffit de taper « calculateur carbone »
surinternetpoursevoiroffrirunetripotéedecesoutilsfondés
sur les bases de données de l’Ademe, l’Agence de la Transition
écologique). Et ils sont des milliers à avoir, comme eux, modi-
fiéleurshabitudespouressayer,enfin,d’infléchircettecourbe
desémissionsdeCO2 qu’ilfaudraitvoirchuteràpic.Cettepra-
tiquevousfaitdoucementsourire ?Ellepourraitpourtants’im-
poser à nous plus tôt qu’on ne le croit, au vu de la dramatique
trajectoire climatique qui se dessine. Olivier, animateur de
l’atelier et chef de projet informatique, glisse qu’il n’a encore
jamais vu un groupe atteindre l’objectif de 2 tonnes en 2050,
quellequesoitlaradicalitédesmesuresprisespendantlasimu-
lation… Cela ne veut pas dire que c’est impossible, mais que le
défi qui est face à nous est d’une ampleur inédite. Et que l’on
nepourrapaséchapperàdestransformationsmajeuresde nos
modes de vie.
Paroùcommencer ?Alorsque,tropsouvent,leschiffressont
unpeuconfusdanslestêtes,lesaccrosàl’exerciceaimentréciter
lesfameux« ordresdegrandeur ».Euxlesaventbien :toutesles
actions ne se valent pas. « On nous parle beaucoup du tri sélectif
et du zéro déchet. Bien sûr, c’est important, en particulier pour la
pollution des océans, qui sont des puits de carbone, mais l’impact
surlaréductiondesémissionsresterelativementfaible »,noteLan
Anh Vu Hong, auteur de « Cent Gestes pour réduire son
empreinte
carbone » (FYP, 2021). Lors de l’atelier auquel nous
assistons,legrosdesquestionsportesurcettejolieprosonoma-
sie :« laviandeet l’avion ».Deuxgigantesquespostesd’émissions
(unkilodevianderougereprésenteenviron35 kgdeCO2,etun
aller-retourParis-NewYork,2 tonnesd’éq.CO2,soitl’intégralité
devotrebudgetcarbonede2050 !),quisontparmilessujetsles
plus clivants. « Je me souviens d’un participant qui a refusé de
soustraire l’avion à son bilan carbone jusqu’à la fin de la partie,
parcequ’ilsavaitnepaspouvoirrenonceràsesvacancesàl’autre
boutdumonde »,serappelleLanAnhVuHong.Aprèsavoirtra-
vaillédanslemarketing,cettetrentenairequivitdanslesHautes-
Alpes intervient auprès d’entreprises pour animer des projets
de transformation écologique, en particulier sur les enjeux de
l’éducation aux défis environnementaux.
Chezcertains,lacomptabilitécarbonepeutdevenirunréflexe
quotidien et entraîner un vrai changement de vie. « J’ai tout
passé au crible. J’ai arrêté l’avion et la viande presque du jour au
lendemain.JecomptebientôtmerendreàIstanbul,jevaislefaire
en train, même si le trajet peut prendre jusqu’à deux jours »,
raconteThomasWagner.Cetrentenaireparisienvientdequit-
ter un poste dans la finance pour affiner son blog consacré aux
questionsclimatiques(bonpote.com).Certainsdesesamistra-
vaillentencoredanslabanqueetn’hésitentpasàprendrel’avion
pour un week-end : « Je les aime, mais ils flinguent la planète.
Certains ont des empreintes à 30 tonnes ! » A l’écouter, la teneur
des débats politiques serait tout autre si nous avions tous une
idéeplusprécisedesconséquencesclimatiquesdenosactions :
« Nousn’aurionspascesdébatsàlaconsurlerepasvégétarienpar
semaine dans les cantines scolaires. »
CETTE PRATIQUE VOUS FAIT
SOURIRE ? ELLE POURRAIT
S’IMPOSER À NOUS PLUS TÔT
QU’ON NE LE CROIT.
4. L’OBS/N°2948-29/04/2021 23
BORIS LODER
EN COUVERTURE
Cescalculsontaussileurslimites :insistersurl’empreintecar-
bonenefait-ilpaspesersurlesindividusl’entièreresponsabilité
d’unetransitionécologiquequinepeutêtrequestructurelle?Et
à entretenir l’illusion que ces « écogestes » suffiront? On pense
auxannées2000,quandlerécitcollectifétaitencoreau« déve-
loppementdurable »,àlasensibilisationgentilletteautrisélectif
par les pouvoirs publics… « Tout n’est pas entre les mains de l’in-
dividu. Nos actions quotidiennes sont contraintes. Lorsque vous
habitez le périurbain parce que le foncier est trop cher en centre-
ville et qu’il n’y a pas de transports en commun près de chez vous,
vous dépendez entièrement de la voiture », note Solange Martin.
Cettesociologue,quiatravailléàl’Agencedelatransitionéco-
logique (Ademe), souligne que « l’approche par les comporte-
ments » repose sur l’idée enchantée que l’individu a un « libre
arbitreetréagitsansfrictionàdesstimuli,commelessignaux-prix
ou les labels sur les produits ». Même réserve chez l’économiste
AntoninPottier,quivientdepublieravecplusieurschercheurs
uneétudeconsacréeauxinégalitésécologiques(1).« L’empreinte
carbone attribue aux individus des émissions qui sont celles d’un
système, et notamment d’un système d’urbanisation que nous
n’avonspastouschoisi,maisdanslequelnousvivons. »Ceconcept,
estime-t-il, peut accélérer la prise de conscience, mais il est
« Aéroport
Luxembourg-
Findel ».
Seul aéroport
du Luxembourg,
le « Findel »
accueille
quelque
3,6 millions
de passagers
chaque année.
6. L’OBS/N°2948-29/04/2021 25
EN COUVERTURE
COMMENTCALCULERUNEEMPREINTECARBONE
Nousavonscalculélesempreintescarboned’Isabelle
Autissier,deThierryMarx,deFrançoisRuffin
et de Najat Vallaud-Belkacemgrâceàl’outilMyCO2,
développépar Carbone4,cabinetdeconseil
spécialisédansla stratégiecarbone.L’empreinte
carboneintègre l’ensembledesémissionsinduites
parla consommation finaledesménages,ycompris
les émissionsdesbiens importésdel’étranger.
Carbone4proposedes« webinaires »« interactifs,
gratuitsetnonculpabilisants »pourpermettre
auxparticuliersdedécouvrirlesordresdegrandeur
ducarbone(inscriptionsurmyco2.fr).
àmanieravecprécaution.« Lesdiscoursmettantl’accentsur
les petits gestes ont tendance trop souvent à masquer nos dépen-
dancescollectivesetlaresponsabilitédenombreuxautresacteurs
économiques. »LesociologueJean-BaptisteComby,auteurd’un
livre sur la naissance et l’essor de cette rhétorique des « gestes
pourlaplanète »(2),semontrepluscritiqueencore :« Eninsis-
tantsurlaresponsabilitédechacun,ondépolitiseleproblèmecli-
matique,enmettantdecôtélesresponsabilitésdetoutunsystème
de production et d’organisation sociale, et en enfermant le débat
dansunregistrepurementmoral.Leclivageseréduitàuneoppo-
sition simpliste entre les bons et les mauvais citoyens. »
LecabinetCarbone 4,aveclequel« l’Obs »s’estassociépourcal-
culer les empreintes carbone d’Isabelle Autissier, Thierry Marx,
NajatVallaud-BelkacemetFrançoisRuffin,publiaitenjuin 2019
uneétudequiaétébeaucouppartagéedanslesmilieuxécologistes.
Elleconcluaitque« leschangementsdecomportementindividuels
significatifs (devenir végétarien, privilégier le vélo, ne plus prendre
l’avion…)permettentderéduirel’empreintede25 %aumieux ».En
clair,les« petitsgestes »sonttoutàlafoisincontournablesetinsuf-
fisants.Pourallerplusloin,ilfautinvestir(rénoversonlogement)
ouprécipiterlesévolutionsstructurelles :décarbonerl’industrie,
l’agriculture,lesservicespublics,repenserl’aménagementduter-
ritoire,etc.Autantdelevierssurlesquelslesménagesontpeude
pouvoirdirect.« Nepasprendrel’avionetnepasmangerdeviande
diminuentvraimentlesémissions.Maisceschangementsnepeuvent
pas être la solution unique sur laquelle se reposer pour baisser nos
émissionscarbone »,complèteAntoninPottier.
CettemêmeétudedeCarbone 4prendsoindesouligneraussi
quece« Françaismoyen »estunefiction :lechiffrede10 tonnes
d’éq.CO2 masquedesdisparitésdemodedevieénormes,terri-
torialesmaisaussisociales.Plusieursétudeslesoulignent :plus
onestriche,plusonconsomme,plusonsedéplace–notamment
enavion–,doncplusonémetdeCO2.« Unménageappartenant
aux 10 % les plus riches émet en moyenne 2,2 fois plus qu’un
ménagemoyendes10 %lespluspauvres,ontcalculéAntoninPot-
tier et ses collègues. Les ménages les plus riches parcourent
50 000 kilomètres en moyenne par an, soit près de trois fois plus
que les plus pauvres. » Autre conséquence de ces disparités
sociales fortes : tout le monde n’a pas le même pouvoir d’action
pourchangersesactesquotidiensetlesrendreplussobres.« Si
voushabitezenville,vousavezàdispositiondavantaged’alterna-
tives pour avoir un comportement plus écologique, notamment
pour vous déplacer. Et plus vous êtes riche, plus vous avez des
marges de manœuvre pour faire évoluer votre consommation,
notamment parce qu’une part importante de vos achats sont des
dépenses de loisirs, donc peu contraintes. »
Lesadeptesdel’empreintecarbonesont-ilspourautantdegen-
tilsnaïfs ?Cen’estpascequiressortdujeu-simulationauquelnous
avonsassisté.Leprocédéestconçudetellemanièrequelesques-
tionsstructurellessontsanscesseabordées :faut-ilconstruirepar-
toutdesbornesderechargeélectriquepourlesvoitures ?Investir
massivementdanslarénovationthermique ?Alourdirlafiscalité
sur les carburants ? Construire des pistes cyclables ? S’engager ?
Manifester ? Prendre part à des actions de désobéissance civile ?
Lisa, l’une des participantes de l’atelier, tente depuis quelques
années de bouleverser sa manière de consommer : cette consul-
tanteengestiondeprojetsinformatiquesde29 ans,installéedans
lesAlpes-Maritimes,estdevenuevégétarienne,s’estengagéedans
une démarche zéro déchet, et vient même de changer de boulot
pourrejoindreuneentrepriseplus« vertueuse ».
Alorsqu’uneformed’épuisementlaguette–« Çaimpliqueune
charge mentale énorme » –, elle explique avoir pris conscience
de l’importance de « passer d’une démarche individuelle à une
démarche collective » grâce au jeu de l’atelier. « Passé un certain
stade, j’ai compris qu’il devenait très difficile de faire baisser son
empreinteseul. »Elleenestressortieaveclaconvictionqu’onne
pourrapasarriveraux2 tonnes« sansunchangementdesociété
drastique ». « Nous avons besoin de contraintes fortes, comme la
limitation des vols en avion. » Quelles que soient les limites de
l’exercice, calculer son empreinte carbone a une vertu : rendre
visiblel’omniprésencedesénergiesfossilesdansnotrequotidien.
« La sensibilisation sur le réchauffement climatique est faite, ce
qu’il faut désormais, c’est de l’éducation, souligne Lan Anh Vu
Hong. Quel que soit le niveau de diplôme, nous avons de grosses
lacunessurcequigénèredesémissionsdeCO2,etdansquellespro-
portions. » Ce calcul, quand il ne devient pas paralysant, aide
aussiàdépasserlesimpassesdel’éternelleoppositionentreres-
ponsabilités individuelle et collective. « On entend toujours : “A
quoiçasertquejefassedeseffortssilesentreprises,lecapitalisme,
les Américains, etc., n’en font pas ?”, reprend Lan Anh Vu Hong,
maisonpeutavoiruncomportementquel’onestimejusteetcohé-
rent, tout en gardant à l’esprit que l’objectif est de réduire l’em-
preinte globale et qu’on n’y arrivera pas tout seul. » Dans un
mondeoùlejeudesociétéleplusvendu,leMonopoly,enseigne
depuis1935àengrangerleplusd’argentpossibleenaccumulant
les biens, il est peut-être temps d’apprendre à ne plus compter
les billets et les immeubles, mais les kilos de CO2. n
(1)AntoninPottier,EmmanuelCombet,Jean-MichelCayla,SimonadeLauretis,FranckNadaud,« QuiémetduCO2 ?
panoramacritiquedesinégalitésécologiquesenFrance »,dans« Revuedel’OFCE »n° 169,novembre 2020.
(2)Jean-BaptisteComby,« LaQuestionclimatique.Genèseetdépolitisationd’unproblèmepublic »,éd. Raisons
d’agir,octobre 2015.
Lire notre entretien avec Antonin Pottier sur Nouvelobs.com
TOUT LE MONDE N’A PAS
LE MÊME POUVOIR D’ACTION
POUR RENDRE SES ACTES
QUOTIDIENS PLUS SOBRES.
8. L’OBS/N°2948-29/04/2021 27
audoin desforGes pour « l’obs »
EN COUVERTURE
La navigatrice, présidente d’honneur
du WWF France, voit dans la
pandémie “l’entrée de nos sociétés
dans l’ère des crises”. Nous avons
calculé son empreinte carbone, ainsi
que celles de Thierry Marx, Najat
Vallaud-Belkacem et François Ruffin
Par SÉBaSTien BillaRd
Photos aUdoin deSFoRGeS
ISABELLE
AUTISSIER
Çame
réveille
lanuit”
I
sabelle Autissier bénéficie d’un poste d’obser-
vation privilégié sur les crises écologiques en
cours :sonbateau.Premièrefemmeàavoirfait
letourdumondeàlavoileensolitaire,écrivaine
à succès, la présidente d’honneur du Fonds
mondialpourlaNature(WWFFrance)continuede
sillonnerinlassablementlesmersduGrandNord.Et
ce qu’elle y voit est dramatique: « Au large, l’impact
des pollutions est peu visible à l’œil nu. Mais c’est très
net quand on aborde les côtes. On voit les glaciers qui
ontdesmorainestoutesfraîches,demoinsdecinqans.
On voit des tonnes de plastique sur les plages, y com-
prisdansdesendroitsextrêmementpaumés,loindela
civilisation.Ilyenaparfoistellementqu’ellesontl’ap-
parencedechampsdeplastique. »L’étatdelaplanète,
lanavigatricel’avusedégraderaufildesans.Dèsles
années 1980, cette diplômée en agronomie halieu-
tique a commencé à percevoir dans son travail les
premiers méfaits de l’action de l’homme. Depuis, la
situation n’a fait qu’empirer. La voilà donc « gagnée
parl’inquiétude »faceauxeffetsdeplusenplusper-
ceptibles du réchauffement, et à la lenteur des
réponsesdesgouvernements.« Parfois,çameréveille
lanuit.Jevoisl’horlogetourner,oncontinuedefoncer
danslemur. »LapandémiedeCovid-19marque,pour
elle, « l’entrée dans l’ère des crises ». « Qu’elles soient
climatiques ou sanitaires, elles vont s’enchaîner. »
Pour autant, Isabelle Autissier dit s’intéresser à
l’écologie depuis assez longtemps pour avoir vu la
sociétéévoluer.« Ilyaquinze ans,quandjefaisaisdes
conférencessurleréchauffementclimatique,laques-
tion qui ressortait souvent était: “Mais est-ce vrai-
mentgrave?” »Depuiscinqans,letonachangé.« La
question est plutôt: “Qu’est-ce que je peux faire?” Il
n’yaplusdedoutedanslatêtedesgens.Onlessentun
peu perdus, démunis et inquiets, mais aussi désireux
de changement. » Une prise de conscience salutaire
mais trop tardive? Elle refuse de tomber dans le
défaitisme. Si le réchauffement climatique est iné-
luctable, « il faut se battre pour le dixième de degré
supplémentaire qu’on va empêcher, et pour les
quelques espèces que l’on va sauver de la dispari-
tion. Ce qui se joue maintenant, c’est la sévérité de ce
qui va nous tomber dessus. » Pour elle, c’est clair:
nous sommes « tous coupables » des désastres éco-
logiques en cours. « C’est collectivement que nous
avons construit ce monde-là. Il y a eu des lois pour
pousser à la croissance, des entreprises qui nous ont
proposédesmillionsdeproduits,et,individuellement,
nous nous sommes tous lancés à corps perdu dans la
consommation matérielle. » Mais pour freiner le
réchauffement, la responsabilité des Etats et des
entreprises est immense: « Ce sont eux qui déter-
minent nos comportements et nos achats. »
“
9. L’OBS/N°2948-29/04/2021
28
SON EMPREINTE CARBONE :
6,9TONNESD’ÉQUIVALENTCO2 PARAN*
Isabelle Autissier a une empreinte car-
bonenettementinférieureàlamoyenne
française.Celalarassureunpeu :« C’est
encourageant de voir que l’on peut la
réduire tout en vivant très bien. » Mais
le chemin qui reste à parcourir l’an-
goisse. « Je suis certes devenue une toute
petiteconsommatrice,maismonbilanest
encore beaucoup trop élevé par rapport à
ce qu’il faudrait faire. » D’autant qu’elle
confessecommenceràsesentir« unpeu
à l’os ». « Jusqu’alors, les changements
que j’ai impulsés dans ma vie pour être
plus écolo n’ont pas été des décisions
très difficilesàprendre.C’estmêmeassez
gratifiant de mettre en application ses
propresvaleurs,çalibèredesendorphines.
Mais baisser encore mon empreinte car-
boneimpliqueraitdetoucheràdeschoses
plus sensibles, plus difficilement négo-
ciables,commerenonceraufaitd’habiter
seule dans une maison ou de partir navi-
guer dans le Grand Nord… »
ALIMENTATION
575 kgd’éq.CO2 paran(1,8tonne
pourleFrançaismoyen)
Isabelle Autissier n’est pas végéta-
rienne, mais sa consommation de
viande est extrêmement faible. Elle
n’en achète que lorsqu’elle reçoit des
invités à dîner. Lors de ses achats, elle
veille à acheter local, de saison, et en
vrac pour ce qui est des céréales et des
biscuits. Elle produit par ailleurs « 10%
à 15 % » de son alimentation – légumes,
fruits – grâce à un jardin partagé. Reste
ses péchés mignons: « Je suis une
grande mangeuse de chocolat et une
grande buveuse de café, alors qu’écologi-
quement je sais que ce n’est pas top. »
Logement
2tonnes
Transport
3,2tonnes
mentation
8tonne
L’objectif
pour 2050 est de
2tonnes
d’eq.CO2
LOGEMENT
1tonned’éq.CO2 paran(2tonnes
pourleFrançaismoyen)
Elle vit seule dans une maison, à
La Rochelle. Une vieille bâtisse d’envi-
ron 100 mètres carrés, achetée il y a
quinze ans, qu’elle a rénovée entière-
ment. Pas vraiment frileuse, Isabelle
Autissiernechauffepassonlogementla
nuit. Dans la journée, elle utilise un
poêle à bois : la température est de 18 à
19°Cmaximuml’hiver.Poursechauffer,
elle n’émet donc que 138 kg d’éq. CO2.
Elle se fournit en électricité « verte »
chez Enercoop et a installé environ
8 mètrescarrésdepanneauxsolairessur
le toit de sa remise.
TRANSPORTS
3,5tonnesd’éq.CO2paran(3,2tonnes
pourleFrançaismoyen)
Avec sa voiture électrique, une Toyota
Prius, Isabelle Autissier parcourt envi-
ron 13000 kilomètres par an – dont
8000 kilomètres de déplacements pro-
fessionnels. Elle utilise aussi beaucoup
le train, pour se rendre à Paris, donner
desconférencesousignerdesdédicaces
dansdeslibrairiesàtraverslaFrance.Au
quotidien,elleprivilégielevélo.Quantà
l’avion, elle admet l’avoir « beaucoup
pris »àuneépoque.Aujourd’hui,ellefait
encore un aller-retour par an afin de
rejoindre son bateau, amarré soit en
Norvège, soit en Islande. Trois mois par
an,ellenavigueavecdansleGrandNord,
puis le laisse là-bas. « Ce serait trop long
de le ramener jusqu’à La Rochelle. » Si,
à bord, « on est à l’économie de tout, on
consommepeudechoses,àpartduvent »,
elle a conscience que ce trajet en avion
la plombe un peu, mais ne se sent pas
prête à y renoncer. « Naviguer dans les
mers froides est l’un des fondements de
ma vie. C’est, pour l’instant, de l’ordre de
l’indispensable. » Un aller-retour pour
Tromsø, en Norvège, émet à lui seul
800 kg d’éq. CO2. Au total, Isabelle
Autissier émet donc 1,3 tonne d’éq. CO2
pour ses déplacements personnels, et
2,2 tonnes pour ses déplacements
professionnels.
BIENSDECONSOMMATION
480 kgd’éq.CO2 paran(1,7tonne
pourleFrançaismoyen)
« Un pantalon, un pull et trois tee-shirts
par an, une paire de chaussures tous les
trois ans. » Isabelle Autissier est une
consommatrice de vêtements plutôt
sobre.Idempourlemobilieroul’électro-
ménager.Elledisposed’unréfrigérateur,
d’un lave-linge, et affirme ne pas avoir
acheté le moindre meuble « depuis
vingt ans ». Côté matériel électronique,
ellepossèdeunvieilordinateur,unordi-
nateur portable, et un smartphone
acheté il y a trois ans. « J’ai, hélas, été
obligée de me séparer de mon vieux télé-
phone. » S. B.
(*)Dont1,4tonned’équivalentCO2paran,correspondant
pourchaqueFrançaisauxémissionsdesservices
publicscollectifs(police,justice,école,etc.).
THIERRY
MARX
Pour le chef cuisinier,
larévolutionécologique
se fera aussi dans
nos assiettes
L
es écologistes, Thierry Marx
les a longtemps regardés avec
un peu de moquerie. « Gamin,
puis ado, je ne rêvais que de
consommer, d’avoir de belles
fringues et une belle bagnole », confesse
le chef cuisinier, qui a grandi dans une
cité HLM de Champigny-sur-Marne.
Aujourd’hui, il le reconnaît: « Ils avaient
raison de nous alerter. » Sa prise de
conscience,assezrécente,doitbeaucoup
à ses rencontres avec l’ex-patron du
WWF, Serge Orru, ou avec le biologiste
GillesBœuf,ancienprésidentduMuséum
nationald’Histoirenaturelle.Ilenatiréla
conviction que la révolution écologique
passerait forcément par l’assiette. « Les
quarante dernières années ont été celles
de l’agriculture intensive, de la grande
distribution, puis du low cost. Le résultat?
Pollution, malbouffe, et drame social des
paysans. » Lui rêve d’une agriculture
moins gourmande en eau, moins dépen-
dantedelachimie.Quantànotreconsom-
mation de viande, elle doit diminuer. « Il
yaeulagénérationdubœuf-carottes,pas-
sons aux carottes-bœuf, avec 80% de pro-
téines d’origine végétale dans une assiette
et seulement 20% d’origine animale. »
“Passons
aux
carottes-
bœuf”
10. L’OBS/N°2948-29/04/2021 29
audoin desforGes pour « l’obs »
EN COUVERTURE
Biens de
consommation
1,7tonne
Logement
2tonnes
Transport
3,2tonnes
Services
publics
1,4tonne
Alimentation
1,8tonne
L’objectif
pour 2050 est de
2tonnes
d’eq.CO2
Elle est
aujourd’hui de
10tonnes
d’eq.CO2
l’empreintecarboneactuelled’unFrançaismoyen
LOGEMENT
2,5tonnesd’éq.CO2paran(2tonnes
pourleFrançaismoyen)
Il vit avec sa compagne à bord d’une
péniche de 120 mètres carrés, amarrée à
Paris,surlaSeine.Unlogementchaufféau
fioul:« 19°Cdansleschambres,de20à21 °C
danslesespacesdevie. »Sicelaalourditson
bilan carbone, vivre sur une péniche per-
metpourtantd’êtreplusécolo,estime-t-il.
« Ça oblige à vivre léger. Faute de grandes
capacitésdestockage,nousnepouvonspas
consommerdemanièredébridée. »
TRANSPORTS
15,7tonnesd’éq.CO2 paran(3,2tonnes
pourleFrançaismoyen)
Dans ses déplacements quotidiens, il
utilise le vélo à Paris, et sa moto (une
BMW 1 200 RT) pour se rendre dans un
dojo–ilpratiquelesartsmartiaux–situé
à 10 kilomètres de la capitale. « La moto,
c’est le premier objet qui m’a émancipé de
mon quartier pourri. Aujourd’hui, je reste
très attaché à la liberté, à tout moment, de
me barrer avec. » Il ne possède pas de
voiture, mais prend beaucoup l’avion,
notamment tous les deux mois pour le
Japon, où il possède des établissements.
Il voyage aussi aux Etats-Unis, environ
deux fois par an, pour rendre visite à ses
enfants.Autotal,ThierryMarxémetdonc
8,2 tonnes d’éq. CO2 pour ses déplace-
ments personnels et 7,5 tonnes pour ses
déplacements professionnels.
BIENSDECONSOMMATION
510 kgd’éq.CO2 paran(1,7tonne
pourleFrançaismoyen)
S’ilalongtempsvudanslaconsommation
un symbole de réussite, il dit en être
revenu.« Danslebouddhismezen,ondit:
“Lesobjetst’appartiennentetpuisunjour
tuappartiensauxobjets.” »Ilprécisequ’il
ne possède que trois pantalons et trois
paires de chaussures… Question numé-
rique, il utilise un ordinateur portable
et un smartphone, qu’il change « tous les
trois ans environ ». S. B.
(*) Dont1,4tonned’équivalentCO2 paran,correspondant
pourchaqueFrançaisauxémissionsdesservicespublics
collectifs(police,justice,école,etc.).
SON EMPREINTE CARBONE :
20,5TONNESD’ÉQUIVALENTCO2*
Thierry Marx présente une empreinte
deuxfoisplusimportantequelamoyenne
française.Sesdéplacementslepénalisent
fortement – ils représentent 76% de son
bilan total. Ce qui tranche avec un mode
de vie très sobre, surtout en matière
d’alimentation et de consommation.
ALIMENTATION
370 kgd’éq.CO2 paran(1,8tonne
pourleFrançaismoyen)
Végétarien depuis vingt ans, il a appris
« à cuisiner la viande » mais n’a « jamais
vraiment aimé la manger ». Il s’approvi-
sionneenpartiegrâceàsonpotagerpari-
sien. Pas fan des supermarchés, il s’y
rend surtout pour se fournir en produits
ménagers et de toilette.
11. L’OBS/N°2948-29/04/2021
30 audoin desforGes pour « l’obs »
E
cologiste, Najat Vallaud-
Belkacem affirme l’avoir tou-
joursété,deparsonéducation
et son origine sociale. « J’ai
grandiàlacampagneetdansun
milieumodeste,oùonnepouvaitpasseper-
mettredegaspillerquoiquecesoit »,raconte
l’ancienne ministre de l’Education. Cette
enfance, passée en partie au Maroc, lui a
ainsi donné très tôt des « réflexes écolo-
giques qui sont restés profondément
ancrés ». Et ont été renforcés par la nais-
sance de ses deux enfants, en 2008:
« Quand on devient parent, notre
conscience écologique s’aiguise. Puis, les
enfants deviennent à leur tour des ambas-
sadeurs de l’écologie – ma fille est éco-
déléguée de son collège – et ce sont eux qui
nousfontdésormaisparfoislaleçon! »
Cellequiprésideaujourd’huil’ONGOne
estimeque« lesdysfonctionnementsécolo-
giques découlent des injustices sociales. Il
n’yauradoncpasdesociétérespectueusede
l’environnementsansréductiondesinéga-
lités sociales ». Partisane d’une « société
du “care” », elle rappelle aussi que les
femmes sont « les premières victimes, et
les plus nombreuses, des dérèglements du
climat ». Si elle est élue à la tête de la
région Auvergne-Rhône-Alpes en juin,
la candidatesocialisteprometd’installer
un « parlement climatique régional ». Sa
mission? « Veiller à ce que les grandes
questions écologiques soient prises en
compte dans nos politiques publiques. »
SON EMPREINTE CARBONE :
7,1TONNESD’ÉQ.CO2 PARAN*
Najat Vallaud-Belkacem présente une
empreintecarboneinférieurede3tonnes
à la moyenne française. Ses principaux
postes d’émissions sont l’alimentation et
lestransports.Sielleprivilégielemétroet
le train, il lui arrive d’utiliser l’avion dans
lecadredesonactivitéprofessionnelle.
ALIMENTATION
1,4tonned’éq.CO2 paran(1,8tonne
pourleFrançaismoyen)
Elle mange « de tout, y compris de la
viande », mais veille à alléger sa consom-
mation de protéines animales, notam-
ment lors du dîner.
LOGEMENT
696 kgd’éq.CO2paran(2tonnespour
leFrançaismoyen)
Elle vit entre Paris et Villeurbanne. Dans
la capitale, son domicile est plutôt bien
isolé, et chauffé au gaz grâce à une chau-
dière haute performance condensation.
A Villeurbanne, son appartement est en
revanche une « passoire thermique ».
TRANSPORTS
2,9tonnesd’éq.CO2 paran(3,2tonnes
pourleFrançaismoyen)
Hors avion, son empreinte liée aux
transports est très faible: 100 kg d’éq.
CO2 émis seulement. A Paris, Najat
Vallaud-Belkacem se déplace essentiel-
lement en métro. A l’extérieur, elle pri-
vilégie le train, notamment pour se
rendre à Villeurbanne et chaque été
dans les Landes. Elle a décroché son
permisdeconduirevoilàdeuxans,mais
utilise très peu la voiture. Elle n’en pos-
sèdepas,etaparfoisrecoursàdelaloca-
tion ou à des services d’autopartage.
Directricegénéraledesétudesinterna-
tionales et de l’innovation sociale au sein
del’InstitutIpsosdefévrier 2018auprin-
temps2020,elleréalisaitenmoyenneun
voyage en avion toutes les deux à trois
semaines, soit 18 tonnes d’éq. CO2. Son
passage à la tête de l’ONG One ainsi que
lapandémieontdiminuélafréquencede
sesvols.En 2020,ellenes’estdéplacéeen
avion qu’à deux occasions.
BIENSDECONSOMMATION
670 kgd’éq.CO2 paran(1,7tonne
pourleFrançaismoyen)
NajatVallaud-Belkacempossèdeunvieil
iPad, un iPhone plutôt récent, ainsi
qu’un ordinateur. Elle dit avoir pris
conscience récemment du caractère
énergivore des boîtes mails, et faire
depuis, régulièrement, le ménage dans
la sienne. « J’ai longtemps eu l’obsession
de l’archive, je gardais presque tout. »
S. B.
(*) Dont1,4tonned’équivalentCO2 paran,correspondant
pourchaqueFrançaisauxémissionsdesservicespublics
collectifs(police,justice,école,etc.).
Biens de
consommation
1,7tonne
Logement
2tonnes
Transport
3,2tonnes
Services
publics
1,4tonne
Alimentation
1,8tonne
L’objectif
pour 2050 est de
2tonnes
d’eq.CO2
Elle est
aujourd’hui de
10tonnes
d’eq.CO2
l’empreintecarboneactuelled’unFrançaismoyen
NAJAT
VALLAUD-
BELKACEM
“Ilfautréduire
lesinégalités”
Pour l’ex-ministre socialiste,
le combat écologiqueetceluicontreles
injusticessociales sont intimement liés
12. L’OBS/N°2948-29/04/2021 31
audoin desforGes pour « l’obs »
EN COUVERTURE
Le député de
La France insoumise
ne croit pas aux
petits gestes écolos.
Il plaide pour
l’instauration
de quotas carbone
individuels
“Ona
besoin
delimites”
L
’écologie, François Ruffin dit
s’y être intéressé en s’enga-
geant,adolescent,pourlacause
animale, révolté par l’élevage
de poules en cage. C’était
quelquesannéesavantdeseplongerdans
un autre combat, contre la publicité, qu’il
considèrecommeunebatailleécologique
clé :« Ilfautproposerunautrecheminque
le bonheur par l’hyperconsommation »,
défendledéputédeLaFranceinsoumise.
Pas convaincu du tout par la promesse
d’une « croissance verte », lui se définit
comme« accroissant »–« J’aifaitsortirla
croissanceduPIBdemonchampmental ».
François Ruffin se dit mal à l’aise avec
les discours écolos mettant l’accent sur la
responsabilité individuelle: « Je ne crois
pasàlathéorieducolibri.Onesttousplon-
gés dans une vie faite de supermarchés, de
numérique, avec des tonnes de publicités
qui vantentletoutnouveaumodèledevoi-
ture,lesvacancesenavion…Onnepeutpas
demander aux gens de s’en extraire facile-
ment. » Pour lui, « on a besoin de limites »,
fixéescollectivement.Ilaainsiproposéen
juindernierlamiseenplaced’unsystème
de quotas carbone individuels pour le
transportaérien,afindelimiterlenombre
devoyagesparpersonne.
SON EMPREINTE CARBONE :
6,3TONNESD’ÉQUIVALENTCO2 PARAN*
L’empreinte carbone de François Ruffin
estfaibleencomparaisondelamoyenne
française :« Depuisquejesuisdéputé,ma
vie personnelle s’est réduite, il est donc
logique que mon empreinte soit assez
faible. » Mais,entresonjournal,« Fakir »,
etsafonctiond’élu,ilfaittravaillersixou
sept personnes, imprime beaucoup de
papier, publie de nombreuses vidéos sur
internetetcompteaussiunepermanence
parlementaire… « Mon mode de vie per-
sonnelestplutôtsobre,maismavieprofes-
sionnelle sans doute beaucoup moins. »
ALIMENTATION
850 kgd’éq.CO2paran(1,8tonne
pourleFrançaismoyen)
Adolescent, François Ruffin a longtemps
étévégétarien.Aujourd’hui,ilnemange
FRANÇOIS
RUFFIN plus de viande que trois ou quatre fois
parsemaine.« Ondoitenmangermoins,
maissurtoutdemeilleurequalité. »Atta-
ché au local, il confesse être pris par le
temps pour ses achats alimentaires.
« J’ai une vie de gars pressé de remplir le
frigoquandilrentrelevendredi,pourque
les gamins aient à bouffer. »
LOGEMENT
2tonnesd’éq.CO2paran(2tonnes
pourleFrançaismoyen)
CedéputédelaSommevitentresamai-
son,àAmiens,etsonbureaudel’Assem-
blée où il dort quand il est à Paris. Sa
maison, refaite il y a trois ans, est chauf-
fée au gaz, réglé sur 19 °C, « 20 °C quand
les enfants se plaignent ».
TRANSPORTS
1,35tonned’éq.CO2 paran(3,2tonnes
pourleFrançaismoyen)
A Amiens, la plupart de ses déplace-
ments se font à pied ou à vélo. Pour le
reste, il ne prend pas l’avion mais il est
un usager régulier du train. La voiture,
il l’utilise pour son travail en circons-
cription et ses vacances. Il parcourt
environ 5000 kilomètres par an avec sa
Citroën Berlingo essence, achetée d’oc-
casion il y a quinze ans. Au total, il émet
donc 350 kg d’éq. CO2 pour ses déplace-
ments personnels, et 1 tonne d’éq. CO2
pour ses déplacements professionnels.
BIENSDECONSOMMATION
750 kgd’éq.CO2 paran(1,7tonne
pourleFrançaismoyen)
François Ruffin assure avoir une garde-
robeassezlimitée :ilnepossèdepasplus
de cinq tenues, dont « deux pulls qui
font sérieuxpouralleràl’Assemblée ».Un
lave-vaisselle, un lave-linge, un smart-
phone et un vieil ordinateur acheté
d’occasion, voilà à quoi se résume son
équipement. Mais le député publie
beaucoupdevidéosenligne.« Jesuisun
faible consommateur mais un gros émet-
teur de numérique. »
S. B.
(*) Dont1,4tonned’équivalentCO2 paran,correspondant
pourchaqueFrançaisauxémissionsdesservicespublics
collectifs(police,justice,école,etc.).
Biens de
consommation
1,7tonne
Logement
2tonnes
Transport
3,2tonnes
Services
publics
1,4tonne
Alimentation
1,8tonne
L’objectif
pour 2050 est de
2tonnes
d’eq.CO2
Elle est
aujourd’hui de
10tonnes
d’eq.CO2
l’empreintecarboneactuelled’unFrançaismoyen
13. L’OBS/N°2948-29/04/2021
32
Alimentation, transport, logement, numérique…
Comment réduire ses émissions de C02 ? Quelles
sont les activités de notre vie quotidienne les plus
polluantes ? “L’Obs” vous aide à y voir clair
Par SÉBASTIEN BILLARD
MOINSPOLLUER,
mode d’emploi
S
ileschangementsdecomporte-
mentindividuelseulsnepeuvent
suffireàluttercontreleréchauf-
fement climatique, certaines
actions sont loin d’être inutiles
pour autant. Animatrice pour l’atelier La
Fresque du climat et membre du collectif
2Tonnes,LanAnhVuHongl’expliquedans
« CentGestespourréduirevotreempreinte
carbone » (FYP, 2021), un guide pratique
quicontientdeprécieusesinformations.
RENONCER À L’AVION
« C’est l’action qui diminuera le plus forte-
ment, de loin, votre empreinte carbone »,
résumeLanAnhVuHong.Carl’impactdu
transportaérienesttoutsimplementgigan-
tesque. Prenez un aller-retour Paris-New
York :chaquepassagerémetl’équivalentde
deuxtonnesdeCO2,soitl’intégralitédece
quechacunpourrasepermettred’émettre
sur une année entière en 2050 ! Vous êtes
accroauxvolslowcostpourquelquesjours
àLondres,AmsterdamouBerlin ?Ehbien
sachez que trois week-ends en avion
émettent autant qu’un an de voiture (soit,
enmoyenne13 000 kilomètres,avec1,4 pas-
sager à bord). Préférez donc le train pour
voyager :ilémetenviron40 foismoinspar
passagertransportéetparkilomètre…
MOINS PRENDRE SA VOITURE
Sans surprise, la voiture individuelle est
aussi une source majeure d’émissions de
CO2.Alorsquelesecteurdutransportest
la première source d’émissions de gaz à
effetdeserreenFrance,« prèsdelamoitié
de ces émissions est due aux voitures indi-
viduelles », rappelle Lan Anh Vu Hong.
L’automobile est ainsi responsable de
l’émissionde1,7 tonneparanetparpassa-
ger (avec un taux de remplissage moyen
de 1,5 passager). Le train émet dix fois
moins qu’un véhicule avec quatre passa-
gersàbord ;etl’onestimequ’untrajetseul
envoitureémet50 foisplusdeCO2 qu’un
trajetenmétroouentram…Remplacerne
serait-ceque10 kilomètresdetrajetsquo-
tidiensenvoiturepardesdéplacementsà
vélo ou à pied peut éviter l’émission de
700 kg de CO2 par an. Reste que tout le
mondenedisposepasdesmêmesmarges
de manœuvre. Si, en ville, les alternatives
sont nombreuses, c’est loin d’être le cas
partout, en raison de décennies de choix
d’infrastructures et d’aménagement du
territoire(absencedepistescyclables,éta-
lement urbain…). Si on ne peut se passer
de prendre la route, le covoiturage peut
aideràdiminuersonempreintecarbone :
pour un trajet domicile-travail quotidien
de 10 kilomètres, passer d’un à deux pas-
sagersparvéhiculepermetderéduireson
empreinted’aumoins300 kgdeCO2.
DIMINUER SA
CONSOMMATION DE VIANDE
La mise en place de menus sans viande
danscertainescantinesfaitrégulièrement
polémique.Leconstatestpourtantimpla-
cable : notre niveau actuel de consomma-
tiondeviandeestinsoutenablepourlecli-
mat. L’alimentation est responsable de
25 % de nos émissions de gaz à effet de
serre, soit 2 tonnes de CO2 par Français
par an. Or 90 % de cette empreinte car-
bone viennent de produits d’origine ani-
male, l’élevage étant une source majeure
degazàeffetdeserre.Unrepasàbasede
bœuf émet ainsi 12 à 14 fois plus qu’un
repasvégétarien.« Adopterunrégimeali-
mentaireplusvégétalestdonclapremière
chose à mettre en place pour réduire effi-
cacement les émissions de gaz à effet de
serre liées à notre alimentation », plaide
danssonlivreLanAnhVuHong.L’effort
doitparticulièrementportersurlaviande
rouge :selonl’Agencedelatransitionéco-
logique(Ademe),uneentrecôteémetsix
fois plus de gaz à effet de serre que des
filets de poulet…
BIEN ISOLER SON LOGEMENT
Aveclavoiture,lechauffageestlepostele
plusimportantdel’empreintecarbonedes
Français. Pour réduire ses émissions, le
premierlevierestl’isolation.OrenFrance,
beaucoupresteàfaire :seulement5 %des
résidencesprincipalesontunebonneper-
formance énergétique (A ou B) face à
5 millions de passoires thermiques. Le
choix de la source d’énergie est lui aussi
primordial.Lemieuxestdebannirlefioul
– une chaudière émet 2,2 fois plus qu’un
radiateurélectriqueet6,6 foisplusqu’une
pompe à chaleur – et le gaz, qui émet
1,5 fois plus qu’un radiateur électrique et
6,8 fois plus qu’une chaudière à granulés
14. L’OBS/N°2948-29/04/2021 33
BORIS LODER
EN COUVERTURE
de bois. Si vous n’êtes pas propriétaire de
votre logement, diminuer la température
d’un degré permet de baisser de 7% la
consommationd’énergie.
ACHETER MOINS
Vêtements, meubles, électroménager…
Cesdernièresdécenniesontétémarquées
paruneconsommationd’objetsexponen-
tielle, qu’il faut enrayer. L’Ademe estime
ainsi à 2,5 tonnes le poids total des objets
accumulés chez nous… « Un individu
achètedeuxfoisplusdevêtementsqu’ilya
vingt ans, mais les utilise moitié moins
longtemps », souligne Lan Anh Vu Hong.
Pour baisser son empreinte carbone, il
fautdoncachetermoinsetautrement.La
fast fashion et le jetable (nous consom-
mons, en France, 100 milliards d’objets
plastiques à usage unique par an) sont à
proscrire. Autre enjeu : prolonger autant
que possible la vie des objets.
MODÉRER SA CONSOMMATION
NUMÉRIQUE
Parmilesconsommationsquiontexplosé
ces dernières années, il y a évidemment
celles liées au numérique. Chaque Fran-
çais produit 20 kg de déchets d’équipe-
mentsélectriquesetélectroniquesparan,
dont 3 kg de déchets numériques ! « La
fabrication d’un ordinateur ou d’un télé-
phoneestextrêmementgourmandeenres-
sources et émettrice de CO2 », précise Lan
Anh Vu Hong. Il faut donc limiter notre
équipementnumérique–prèsde100 mil-
lions de smartphones inutilisés dormi-
raient dans nos tiroirs – mais aussi le
visionnage de vidéos en ligne, qui repré-
sentententre60 %et80 %desfluxdedon-
néessurinternet.Ilestrecommandéd’en
regarder moins ou, dans un premier
temps, de privilégier le visionnage en
bassedéfinition.« Pluslaqualitéestélevée,
plus l’image pèse lourd sur le trafic et donc
plus elle consomme des ressources qui
génèrentdesémissions. »■
POURALLERPLUSLOIN :
-nosgestesclimat.fr
-agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/calculer-
emissions-carbone-trajets
-www.bilans-ges.ademe.fr
« Parking du campus
Geesseknäppchen », de la
série « Particles », de Boris
Loder (voir aussi p. 20).
Souvenirs du passage
des professeurs.