Les approches fondées sur les compétences occupent une place centrale dans les discours propres au monde de l’entreprise, devenant un objet de dialogue social et un composant central de la gestion des ressources humaines. La compétence est aussi devenue une référence pour les politiques de formation et d’emploi. Pourtant, dans les faits, on constate que la gestion des compétences reste encore largement minoritaire en entreprise, où prédominent des logiques de postes et de qualification.
En savoir plus :
https://www.strategie.gouv.fr/publications/place-competences-lentreprise
Note de synthèse - Les solidarités entre territoires : un levier pour la tran...
Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
1. Rapport du Réseau Emplois Compétences
Avril 2021
Quelle place
pour les compétences
dans l’entreprise ?
Renouveler les approches
pour refonder les pratiques
2.
3. AVRIL 2021
QUELLE PLACE
POUR LES COMPÉTENCES
DANS L’ENTREPRISE ?
RENOUVELER LES APPROCHES
POUR REFONDER LES PRATIQUES
Rapport du Réseau Emplois Compétences
Rapporteurs
Marième Diagne et Vincent Donne
4.
5. FRANCE STRATÉGIE 3 AVRIL 2021
www.strategie.gouv.fr
SOMMAIRE
Synthèse ......................................................................................................................... 5
Chapitre 1 – Genèse des politiques de gestion des compétences..................... 17
1. De la « compétence » à la « gestion des compétences »................................... 17
1.1. Une notion multiforme....................................................................................... 17
1.2. Structuration de l’objet « compétence professionnelle » en France.................. 19
2. Institutionnalisation et intégration dans la loi..................................................... 23
2.1. Certifier pour sécuriser les parcours ................................................................. 23
2.2. Encourager la diffusion en entreprise ............................................................... 29
3. L’action convergente d’acteurs aux logiques variées........................................ 35
Chapitre 2 – Représentations et pratiques effectives en entreprise.................... 39
1. Des enjeux en lien avec les besoins opérationnels et les objectifs
stratégiques .................................................................................................................. 41
1.1. Comment les entreprises se représentent-elles la compétence ?..................... 41
1.2. Des besoins qui concernent l’ensemble des entreprises .................................. 44
1.3. Les démarches de compétences et la stratégie................................................ 46
2. Une gestion des compétences circonscrite à des approches de type GPEC... 52
2.1. Des inspirations réglementaires........................................................................ 52
2.2. Des pratiques intermédiées par les instruments............................................... 61
2.3. Les logiques de poste ou de qualification font de la résistance ....................... 71
3. Des pratiques de compétences en dehors des processus RH .......................... 79
3.1. Un environnement de travail qui infuse dans les pratiques............................... 79
3.2. Le développement des compétences et le rôle joué par la dynamique
de travail........................................................................................................... 90
6. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 4 AVRIL 2021
www.strategie.gouv.fr
Chapitre 3 – Renouveler les discours et les pratiques d’accompagnement ......101
1. Un écosystème institutionnel mal identifié et ne répondant pas toujours aux
attentes des entreprises.............................................................................................101
1.1. Un écosystème institutionnel complexe ..........................................................103
1.2. Une offre de services qui ne remplit pas toujours ses objectifs.......................111
2. Surmonter les décalages : renouveler les pratiques pour mieux répondre
aux attentes des entreprises......................................................................................116
2.1. Rapprocher les logiques d’intervention de la réalité des entreprises ..............117
2.2. Améliorer la gouvernance des dispositifs d’accompagnement........................123
ANNEXES
Annexe 1 – Composition du groupe de travail et liste des personnes
auditionnées................................................................................................................131
Annexe 2 – Le contenu minimum d’un accord de gestion de l’emploi
et des parcours professionnels.................................................................................135
Annexe 3 – Quelques outils de gestion des emplois et des compétences............141
Annexe 4 – Sigles et abréviations .............................................................................151
7. FRANCE STRATÉGIE 5 AVRIL 2021
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SYNTHÈSE
Présente dans les discours et les pratiques depuis près de trente ans, la compétence est
aujourd’hui considérée comme un des éléments structurants du marché du travail et de la
relation formation-emploi par les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs institutionnels.
Pourtant nous ne disposons que de très peu d’éléments pour mesurer le rôle que joue
réellement cette notion dans les pratiques effectives des entreprises1. Ce constat a amené
le Réseau Emplois Compétences à lancer fin 2019 un groupe de travail2 pour réfléchir à la
façon dont « les entreprises mobilisent les compétences dans le cadre de leurs
pratiques, notamment en matière de ressources humaines ».
Interroger la réalité des pratiques impliquait de partir des enjeux concrets auxquels sont
confrontées les entreprises, en prenant en compte la diversité des approches, des besoins
mais aussi des moyens investis pour y répondre, dans une période où les évolutions
législatives renforcent leur responsabilité et celle des branches dans le pilotage des emplois
et des compétences. Réunissant des experts, des représentants du monde de l’entreprise,
des acteurs institutionnels et de l’accompagnement, ce groupe de travail piloté par France
Stratégie s’est réuni sept fois entre mai 2019 et décembre 2020. Il s’est appuyé sur les
travaux existants, sur les remontées et les expériences de ses membres, sur des auditions
et enfin sur les résultats d’une étude monographique ad hoc auprès d’un échantillon
d’entreprises de taille diverse3 – étude initiée pour faire émerger du matériau original.
Une notion référence dans le champ de la formation et de l’emploi
Initialement apparues dans le champ de l’éducation et de la formation, les approches
fondées sur les compétences se sont largement diffusées au sein du monde professionnel,
devenant un objet de dialogue social (spontané puis suscité), un composant central de la
gestion des ressources humaines (GRH) ainsi qu’un objet commun des sciences du travail
(gestion, sociologie des organisations, économie). Porteur pour l’organisation d’une
1
Et par extension, en incluant le secteur public, dans l’ensemble des organisations.
2
La composition du groupe de travail et la liste des personnes auditionnées figurent en annexe 1.
3
L’étude, qui met l’accent sur les TPE-PME, a été réalisée par le cabinet Sauléa auprès de 14 entreprises.
Elle est disponible en ligne sur le site de France Stratégie.
8. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 6 AVRIL 2021
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promesse de gains d’efficacité et pour les salariés d’une autonomie accrue et d’une
reconnaissance des capacités acquises au travail, le modèle de la compétence fait
aujourd’hui l’objet d’un véritable marché, animé par une diversité d’acteurs offreurs de
ressources, de services et de prestations.
En parallèle, la compétence est devenue une référence pour les politiques de formation et
d’emploi, intégrant de manière croissante le corpus législatif et administratif les sous-
tendant. Après avoir cherché à référencer la compétence pour faciliter sa certification (bilans
de compétence, VAE, nomenclature ROME), les pouvoirs publics ont prescrit aux
entreprises des pratiques relevant de cette approche. Ce mouvement se matérialise
notamment à partir de 2005 avec l’obligation pour les entreprises de plus de 300 salariés de
négocier avec les organisations syndicales un plan triennal de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences (GPEC)1. Il culmine avec les réformes introduisant le Plan
d’investissement dans les compétences (PIC, 2018), avec la loi Liberté de choisir son avenir
professionnel substituant le plan de développement des compétences au plan de formation
(2018) et tout récemment avec le dispositif Transco2 fondé sur le transfert de compétences
entre métiers.
Une gestion des compétences circonscrite aux méthodes
de GPEC et peinant à supplanter les logiques antérieures
Une variété d’acteurs régis par des logiques propres ont ainsi contribué à diffuser la gestion
des compétences dans le monde de l’entreprise : les pouvoirs publics (par l’obligation de
conclure des accords de GPEC et par la multiplication de dispositifs et de normes),
l’écosystème institutionnel et académique mais aussi les acteurs institutionnels et privés de
la gestion des compétences ou encore les professionnels des ressources humaines (RH).
Un objet d’inspiration réglementaire donnant lieu à des démarches très formalisées
L’obligation de négocier des accords de GPEC, singularité française, a permis de générer
du dialogue social autour des enjeux de compétences, même si ceux-ci restent un objet
difficilement négocié : sont ici en cause la réticence de certaines organisations syndicales
(qui craignent que les accords ne pavent la voie à des restructuration), la faible effectivité de
ces accords formels et la technicité du sujet. Cette prévalence de l’approche GPEC dans la
loi a contribué à mettre la dimension prévisionnelle au premier rang des préoccupations de
1
Désormais remplacée par une obligation de Gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP)
sans que cela modifie en profondeur l’attendu légal. Le changement étant récent et le terme encore très peu
usité, nous utilisons systématiquement l’acronyme GPEC.
2
Dispositif prévu dans le cadre de France Relance et destiné à faciliter les mobilités professionnelles et
répondre à l’accélération des mutations économiques liées à la crise du Covid. Voir Instruction
n° DGEFP/SDPFC/MDFF/2021/13 du 11 janvier 2021.
9. Synthèse
FRANCE STRATÉGIE 7 AVRIL 2021
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la gestion des compétences et à en donner une vision très formalisée s’incarnant notamment
dans des outils et des instrumentations sophistiqués.
Ce mouvement a débouché, dans certaines grandes entreprises en particulier, sur des
approches innovantes, où les stratégies de compétences, largement accompagnées par les
directions métiers, sont articulées à des exercices de prospective destinés à anticiper les
mutations économiques et leurs conséquences sur les emplois et les compétences. Depuis
la loi de 2005, une part grandissante d’entreprises – majoritairement des grandes
entreprises et des ETI – a ainsi mis en place des éléments de gestion des compétences
(outils d’analyse, référentiels, entretiens professionnels, etc.).
Cependant, il faut souligner que lorsqu’ils existent, ces accords formels et les
instrumentations qui les accompagnent sont de qualité très variable. Ils souffrent aussi
parfois d’un défaut d’appropriation de la part d’une partie des acteurs internes, en particulier
les directions métiers, mais plus largement les salariés et leurs représentants. Cela semble
en partie dû à l’écart entre l’aspect prescriptif des accords et de l’instrumentation et leurs
impacts opérationnels réels. À titre d’exemple, le volet prévisionnel de la GPEC reste
souvent un vœu pieux, au vu des ressources conséquentes qu’il nécessite (y compris pour
les grandes entreprises) et de l’incertitude liée à l’exercice.
Une gestion par les compétences moins répandue qu’il n’y paraît
Il est difficile de quantifier le nombre d’entreprises qui mettent réellement en place une
gestion des compétences – du fait même de la difficulté d’objectiver sa manifestation.
Les études qui tentent de le faire arrivent cependant à la même conclusion : seule une faible
part des entreprises la mettent en pratique de façon systématique. À peine un quart selon
une étude de France Stratégie publiée en 20191, avec de larges différences selon les
secteurs d’activité, les éventuelles difficultés de recrutements en emplois qualifiés ou encore
la présence d’une véritable fonction RH.
Par ailleurs, dans les entreprises ayant mis en place une gestion des compétences, on
remarque que la démarche reste souvent très peu articulée à ces leviers habituels de la
GRH que sont la formation, le recrutement, la sécurisation des parcours professionnels (en
interne et vers l’externe), les politiques de rémunération et surtout l’organisation du travail
(par ailleurs cruellement absente des accords collectifs portant sur la GPEC). La gestion de
compétences se trouve ainsi parfois réduite à la présence d’une instrumentation de gestion
reflétant de manière incomplète l’activité qu’elle est censée décrire.
Dans les faits, près de trente ans après son introduction, la route est encore longue pour
que la notion de compétence professionnelle parvienne à supplanter la logique de poste,
1
Zizzo C. (2019), « Quelles entreprises pratiquent la gestion des compétences », La Note d’analyse, n° 77,
France Stratégie, avril.
10. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 8 AVRIL 2021
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définie comme une addition de tâches à accomplir, ou le modèle de la qualification fondée
sur le poste de travail.
Des TPE-PME peu concernées
La réduction de la gestion des compétences à des approches de GPEC très formalisées a
une autre conséquence : une grande partie des TPE-PME, qui s’appuient sur une fonction
RH beaucoup moins structurée que dans les grandes entreprises, ne se sentent pas en
mesure d’appréhender cette approche qu’elles perçoivent comme floue et éloignée de leurs
préoccupations quotidiennes.
Disposant de ressources limitées, elles n’atteignent pas nécessairement le seuil critique
pour la mise en place d’une instrumentation de gestion de compétences. Parallèlement, bien
qu’une majorité d’entre elles ne soient pas soumises à l’exigence de mise en place d’une
GPEC1, elles sont contraintes à certaines obligations (réalisation d’entretiens
professionnels, information sur le CEP, formations obligatoires, plan de développement des
compétences, etc.) auxquelles elles tentent de se plier pour se mettre en conformité avec la
loi. L’intérêt pour les démarches de compétences formalisées dépend alors beaucoup de la
sensibilité des dirigeants, à qui reviennent les fonctions de ressources humaines –
auxquelles ils ont été rarement formés.
Rapprocher la compétence des pratiques opérationnelles
Plus que pour une méfiance à l’égard des démarches de gestion des compétences, ces
éléments militent en faveur d’un rapprochement entre les enjeux de compétences et la
réalité des entreprises, par deux approches complémentaires.
Une ressource au service des objectifs de l’entreprise
La première approche consiste à rappeler que la compétence est avant tout une ressource
au service de l’atteinte des objectifs opérationnels et stratégiques des entreprises. Une
majorité d’entre elles partagent de prime abord cette vision. Interrogées sur leurs
représentations de la notion de compétence, elles la relient à des enjeux largement
opérationnels : performance économique et besoins de main-d’œuvre. C’est notamment le
cas dans les grandes entreprises où les exercices d’anticipation viennent nourrir la stratégie
économique en l’articulant avec la démarche compétences, logiquement conçue comme un
moyen d’atteindre des objectifs stratégiques.
Si certaines entreprises restent étrangères à des démarches formalisées, elles sont de plus
en plus nombreuses à intégrer les compétences à leurs considérations de recrutement
1
Sauf dans le cas du dispositif « Transco », qui conditionne l’accès au dispositif à la conclusion d’un accord
de GEPP (ex-GPEC), quelle que soit la taille de l’entreprise concernée.
11. Synthèse
FRANCE STRATÉGIE 9 AVRIL 2021
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comme à celles d’ordre stratégique. À la recherche d’une compétence rare, ou confrontées
à l’évolution des métiers et des pratiques professionnelles, y compris dans les emplois les
moins qualifiés, les entreprises ont des besoins dont la satisfaction embarque, à des degrés
divers, la notion de compétence.
Un produit des pratiques de l’entreprise
Selon une deuxième approche, la compétence est le produit d’une combinaison de
caractéristiques propres aux personnes (formation, expérience, etc.) et de pratiques ayant
cours dans l’entreprise (managériales, organisationnelles, de ressources humaines, etc.) qui
s’expriment dans un contexte spécifique (culture commune, environnement et conditions de
travail, relations sociales, etc.).
Outre des processus RH, la compétence est ainsi tributaire d’une dynamique de travail qui
s’exprime notamment à travers le contexte organisationnel et les modes de management.
Individuelle ou collective, elle se construit au sein de l’entreprise, en interaction avec son
écosystème. Elle est avant tout la résultante de pratiques largement informelles et
échappant à la normalisation : méthodes de travail collaboratives, espaces de dialogue,
partage de savoir-faire, culture d’entreprise, logiques bottom-up…
De nombreuses entreprises mettent en place des pratiques mobilisant et développant les
compétences sans en avoir toujours conscience ou sans les identifier formellement comme
telles. Il en va ainsi notamment dans les TPE-PME, où la gestion quotidienne des salariés
ne donne pas toujours lieu à des instrumentations formelles. C’est le cas de nombreuses
pratiques qui reposent sur une hybridation entre formation classique et apprentissages
informels : tutorat, mentorat, ateliers professionnels, etc.
Un système producteur de compétences pour l’entreprise et ses salariés
C’est bien l’articulation de ces deux dimensions – individuelle et organisationnelle –, trop
souvent considérées de façon dissociée, qui fonde ce que l’on pourrait nommer un système
holistique de management par les compétences.
Ce management par les compétences est désirable non pour lui-même mais en ce qu’il
permet de répondre aux besoins des entreprises (objectifs stratégiques et opérationnels),
tout en sécurisant les parcours des salariés et en garantissant un environnement de travail
apprenant. Plus que la gestion des compétences stricto sensu, ce sont donc les conditions
permettant l’atteinte de ces objectifs qu’il convient de promouvoir auprès des entreprises.
En particulier celles de taille plus modeste, pour qui l’introduction d’une gestion des
compétences formalisée est souvent inaccessible.
Les acteurs évoluant dans l’écosystème institutionnel du champ de l’emploi, de l’orientation
et de la formation professionnelle (EFOP) devraient donc d’abord viser à encourager des
12. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 10 AVRIL 2021
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pratiques qui, combinées, contribuent à créer un système producteur de
compétences pour les individus (compétences individuelles) mais aussi au service
de l’organisation toute entière (compétences collectives et organisationnelles).
En effet, il s’agit de considérer que la compétence n’est pas de la seule responsabilité de
l’entreprise. Si celle-ci est au cœur de la démarche puisqu’elle en est le lieu d’expression,
les enjeux de compétences, individuels comme collectifs, se jouent également à une échelle
plus large (branche, secteur, filière, bassin d’emploi, territoire, etc.). Cela conduit à réaffirmer
le rôle essentiel joué ici par l’accompagnement, en lien avec les besoins et les pratiques des
entreprises.
Le groupe de travail a ainsi élaboré une représentation systémique des pratiques – souvent
présentes de façon plus ou moins élaborée et formalisée au sein des entreprises – qu’il s’agit
de susciter ou d’encourager. Cette représentation (qui figure en fin de cette synthèse) se
veut un cadre de référence à destination des entreprises et surtout des acteurs institutionnels
de l’accompagnement aux entreprises. Il importe alors d’œuvrer à l’émergence et au
développement de ces pratiques, notamment par la mise à disposition de ressources et
d’une offre de service adéquates.
Un décalage relatif entre les entreprises et une partie des acteurs du champ
de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle
Difficulté à se repérer dans un écosystème complexe
Outre les opérateurs privés, une multitude d’acteurs institutionnels impliqués dans les
dispositifs d’appui aux entreprises – service public de l’emploi, OPMQ, OPCO, Carif-Oref,
DIRECCTE, Maisons de l’emploi, etc. – proposent des ressources ainsi qu’une offre
d’accompagnement ciblée sur les compétences. Mais leurs offres semblent parfois en
décalage vis-à-vis des attentes exprimées par une partie des entreprises car elles reposent
d’abord sur les obligations réglementaires et sur des outils génériques.
Les grandes entreprises, mais aussi les ETI, sont plus susceptibles d’aller puiser dans les
ressources mises à disposition par certains acteurs institutionnels sur l’évolution des métiers
et des besoins en compétences (travaux prospectifs et référentiels de branche, exercice de
Prospective des métiers et des qualifications – PMQ). Mais elles se tournent majoritairement
vers le secteur privé pour ce qui concerne l’accompagnement en matière de gestion et de
pratiques de compétences, parce qu’elles sont à la recherche de services sur mesure. En
dehors de ces ressources et de certaines prestations très spécifiques (les EDEC ou les
dispositifs d’appui aux mutations économiques), l’offre proposée par l’écosystème
institutionnel s’adresse ainsi principalement aux petites et moyennes entreprises. Or, une
part importante de ces dernières confessent mal connaître cette offre pléthorique qui
manque à leurs yeux de lisibilité. De fait, en dehors de certains acteurs bien identifiés,
13. Synthèse
FRANCE STRATÉGIE 11 AVRIL 2021
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comme les OPCO ou Pôle emploi, dont l’image est parfois brouillée sur ce type
d’accompagnement, les parties prenantes de l’écosystème institutionnel de la compétence
souffrent pour beaucoup d’un déficit de notoriété.
Partant de ce constat, France Stratégie a sollicité Centre Inffo pour réaliser une
cartographie permettant de situer en un coup d’œil les acteurs clés de
l’accompagnement des entreprises, en fonction de la nature de leur offre de services
et des principales thématiques d’accompagnement1
. Si elle peut faire l’objet d’une
appropriation par les entreprises elles-mêmes, cette cartographie cible au premier chef les
acteurs du champ EFOP : sur l’ensemble des thématiques en lien avec les compétences,
ces acteurs pourront ainsi fournir une information de premier niveau et renvoyer vers les
structures les mieux adaptées aux besoins précis des entreprises.
Une offre de services qui ne correspond pas toujours aux attentes
Préoccupées principalement par les objectifs concrets de la gestion quotidienne, les
entreprises se heurtent à des acteurs parfois prisonniers d’une taxonomie rigide car
corollaire des dispositifs légaux liés aux compétences. Cet écueil contribue à les détourner
de certains acteurs, malgré des besoins d’accompagnement réels, notamment en termes
de recrutement ou d’appui à la construction d’un plan de formation.
Cette difficulté à établir le dialogue traduit, outre des différences dans l’appréhension de la
compétence, le décalage entre une logique de prestations standardisées et les attentes des
entreprises qui souhaiteraient un accompagnement sur mesure et des solutions très
opérationnelles. En conséquence, de nombreux dispositifs d’accompagnement RH et
compétences, parfois gratuits, peinent à trouver preneurs.
Renouveler les pratiques d’accompagnement pour mieux répondre
aux besoins des entreprises
Orientation 1 – Privilégier une démarche de sensibilisation en partant des objectifs
stratégiques et des besoins opérationnels de l’entreprise
La relation d’accompagnement doit être fondée sur des engagements réciproques, avec
d’un côté les entreprises qui se positionnent non comme des « clients » déléguant la
résolution d’un problème mais comme des partenaires dans la co-construction d’une
réponse, et de l’autre des structures d’accompagnement jouant un rôle de « facilitateurs ».
Un accent particulier devrait être mis sur des actions de sensibilisation aux bénéfices que
1
Figurant pages 109-110 du rapport, cette cartographie s’accompagne d’un livret de présentation des acteurs
qui la composent (disponible et téléchargeable sur le site de France Stratégie).
14. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 12 AVRIL 2021
www.strategie.gouv.fr
les entreprises peuvent retirer à considérer les compétences comme une ressource
stratégique, dont le développement devrait être un objectif à part entière.
À cette fin, on peut mobiliser les travaux académiques qui établissent un lien entre
mobilisation des compétences et augmentation de la productivité du travail, en soulignant
notamment le rôle majeur du capital humain dans les gains de productivité. Ces travaux
insistent également sur le rôle des compétences pour déployer la stratégie de l’entreprise,
la montée en compétences des salariés permettant d’assurer la compétitivité de l’entreprise
à moyen et long terme.
Orientation 2 – Adapter les ressources et les services proposés aux attentes
des entreprises
En matière de ressources sur l’évolution des métiers et des besoins en compétences, il est
essentiel d’essayer de coller au plus près des besoins opérationnels des entreprises. Un tel
objectif pose la difficile question de la maille retenue lors de la production de ces travaux. Le
rôle des branches professionnelles et des associations professionnelles spécialisées doit
être ici renforcé. Dans le même temps, les approches par filières d’activité, souvent éclipsées
par celles raisonnant par branches ou par secteurs, doivent être revalorisées : elles
permettent notamment de penser des réallocations de compétences à un niveau
macroéconomique, en ces périodes d’accélération des mutations de l’appareil productif,
sous l’effet notamment des transitions écologique et numérique.
En ce qui concerne l’offre d’accompagnement en direction des TPE-PME, le groupe de
travail invite les accompagnateurs de proximité à passer d’une logique de traitement –
fondée sur des approches très généralistes normalisées et sur des solutions « clés en
main » parfois éloignées des attentes des entreprises – à un accompagnement sur mesure,
avec un « service d’aide à la carte » privilégiant des solutions très opérationnelles co-
construites avec les entreprises.
Un premier pas consisterait à éviter d’aborder la question par les outils pour s’intéresser aux
pratiques en matière de ressources humaines déjà en place au sein de l’entreprise, qu’elles
soient formalisées ou non, et à leur lien avec la stratégie de l’entreprise, l’organisation du
travail et le management. L’objectif est d’une part de rendre visibles et de valoriser les actes
de gestion quotidiens et souvent informels déjà existants, et d’autre part de construire et de
renforcer les principes d’organisation du travail afin d’assurer une cohérence globale des
pratiques autour des compétences. La démarche ayant mené à la formalisation des
pratiques d’AFEST (Action de formation en situation de travail) et à leur intégration dans la
définition de l’action de formation peut être citée en modèle.
Une telle approche suppose d’abord de réaliser de manière systématique des pré-
diagnostics globaux afin de mettre en perspective les ressources de l’entreprise face à son
15. Synthèse
FRANCE STRATÉGIE 13 AVRIL 2021
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environnement et le degré de maîtrise des principaux enjeux auxquels elle est confrontée.
Cela inciterait l’entreprise à adopter une attitude réflexive sur ses propres pratiques, et à
cibler ses besoins réels en matière d’accompagnement.
Cette valorisation des pratiques existantes peut ensuite donner lieu à la construction de
solutions adaptées aux enjeux identifiés dans l’entreprise. Cela nécessite du côté des
accompagnateurs de proximité de privilégier les solutions individualisées fondées sur la
connaissance précise des pratiques de travail et du contexte de l’entreprise, ce qui implique
du temps et des ressources conséquentes.
À RETENIR
Afin de répondre au plus près aux attentes des entreprises, le groupe de travail considère
comme prioritaires les actions suivantes :
• Sensibiliser les dirigeants – en priorité ceux des TPE-PME – aux bénéfices que peuvent
générer les compétences en termes de performance économique, en particulier dans un
contexte de crise qui se traduit par une accélération des mutations économiques (sujet
des transitions collectives notamment).
• Œuvrer à l’émergence d’un langage commun autour de la compétence, qui s’appuierait
largement sur les logiques « métier » et qui soit audible par les dirigeants de TPE-PME.
• Rendre plus lisibles et accessibles les ressources mises à disposition des entreprises :
s’appuyer pour cela sur les acteurs de proximité (filière, secteur, branche, territoire, etc.).
• Associer l’ensemble des parties prenantes dans la démarche de diagnostic et de
définition des actions cibles à mettre en œuvre.
• Partir des pratiques déjà effectives dans les entreprises en matière de compétence.
• Repositionner l’appui-conseil pour l’articuler à la spécificité de l’intervention auprès des
TPE-PME en passant d’une logique de prestations standardisées à une logique de
service à la carte, adapté aux spécificités de l’entreprise et à ses besoins.
Orientation 3 – Améliorer la gouvernance de l’offre d’accompagnement
Le premier objectif de l’écosystème institutionnel doit être une amélioration de la lisibilité et
de l’articulation de l’offre d’accompagnement. Même pour les plus motivés d’entre eux, les
dirigeants de petites entreprises ne disposent que de peu de temps pour explorer le marché
du conseil et doivent faire face à un nombre d’interlocuteurs grandissant, aux missions
souvent renouvelées. Outre les enjeux de visibilité, il s’agit de mieux structurer et de
renforcer les coopérations à l’échelle des territoires entre les acteurs économiques
(branches, consulaires, syndicats d’employeurs et de salariés) et ceux de l’emploi-formation
16. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 14 AVRIL 2021
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(DIRECCTE, SPE, Carif-Oref ou encore collectivités locales). Cette coordination
institutionnelle, toujours imparfaite malgré des déclarations de principe maintes fois
réitérées, pose une question centrale : celle de la possibilité pour les accompagnateurs
d’entreprises de sortir du strict respect des objets pour lesquels ils sont autorisés à dépenser
de l’argent public et mutualisé. De fait, les acteurs institutionnels se voient assignés des
missions spécifiques – avec des cloisons étanches entre enjeux de formation, de
recrutement ou de prestations RH – pour lesquelles ils perçoivent des financements et sont
habilités à intervenir auprès des entreprises. Ce n’est qu’à ce prix que seront levées ce qui
apparaît pour certaines entreprises comme des rigidités administratives qui peuvent les
décourager de faire appel aux acteurs institutionnels.
Point connexe, l’amélioration de la gouvernance passe également par une systématisation
de la culture de l’évaluation et par un suivi actif des actions d’accompagnement réalisées ou
financées. Pour un certain nombre de structures, la qualité du service est d’abord appréciée
via les modalités de prise en charge financière, contrepartie du versement de subventions.
De la même façon, lorsque l’offre d’accompagnement s’appuie sur du conseil privé financé
par les acteurs institutionnels, il convient de renforcer la capacité de ces acteurs à « piloter »
les prestataires privés : le suivi et l’évaluation des structures mais aussi de la qualité des
prestations délivrées et de leur pertinence au regard des attentes de l’entreprise doivent
devenir systématiques.
À RETENIR
Pour une meilleure cohérence de l’offre d’accompagnement, le groupe de travail considère
comme prioritaires les actions suivantes :
• Rendre plus lisible l’offre d’accompagnement sur un territoire a) par une meilleure
intelligibilité des processus d’élaboration et d’application des dispositifs en la matière ;
b) par une coordination voire une harmonisation des offres.
• Créer des guichets uniques sur les territoires ou améliorer l’interconnaissance des
acteurs afin de permettre une meilleure orientation des entreprises à la recherche
d’information et d’appui. Il pourrait même être envisagé d’assouplir la rigidité des
segmentations entre les champs d’intervention de chaque acteur institutionnel.
• Systématiser la culture de l’évaluation des actions d’accompagnement réalisées ou
financées, autant sur le montant et les modalités de prise en charge financière que sur
l’impact de ces actions dans les entreprises.
• Assurer un suivi des entreprises après le terme de l’action d’accompagnement afin de
s’assurer notamment de l’adaptation et d’une pérennité des solutions mises en place.
• Renforcer la capacité des « financeurs » à piloter les prestataires privés a) par une
meilleure connaissance des prestations de conseil sur le territoire ; b) par une
supervision précise des actions d’accompagnement aux entreprises.
17.
18.
19. FRANCE STRATÉGIE 17 AVRIL 2021
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CHAPITRE 1
GENÈSE DES POLITIQUES
DE GESTION DES COMPÉTENCES
Avant d’explorer la façon dont les entreprises mobilisent aujourd’hui la gestion des
compétences, il convient de s’arrêter sur le mouvement d’institutionnalisation qu’a connu
en France la notion de compétence professionnelle depuis son introduction il y a une
trentaine d’années.
Depuis son avènement sous la forme d’un « modèle de la compétence » cher aux
sociologues des organisations jusqu’à son omniprésence dans les récentes réformes
relatives à la formation professionnelle et au marché du travail, la compétence s’est vue
promue progressivement comme élément central de la gestion au sein des entreprises et
de l’appariement sur le marché du travail.
Sous la double influence des pouvoirs publics et d’un ensemble d’acteurs privés et
institutionnels, jouant un rôle de passeur, la gestion des compétences s’est largement
diffusée dans le monde de l’entreprise. Mais elle s’est trouvée le plus souvent circonscrite
à des méthodes se réclamant de la GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences) – une réduction qui contribue à faire de la gestion des compétences un objet
d’inspiration réglementaire, arrimé à une approche essentiellement adéquationniste.
1. De la « compétence » à la « gestion des compétences »
1.1. Une notion multiforme
Parvenir à un consensus sur la définition de la compétence est un exercice périlleux. Alors
que cela figurait initialement dans les objectifs du groupe de travail, ses membres ont
décidé de se contenter d’une vision minimaliste en se mettant collectivement d’accord sur
quelques grands principes (voir encadré 1). En effet, on peut affirmer avec Gilbert (2006)
que la compétence renvoie bien plus à des représentations sociales qu’au champ
20. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 18 AVRIL 2021
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académique, ce qui en fait un objet « nomade », c’est-à-dire vivant dans plusieurs univers
parallèles où il a acquis des sens différents, parfois partagés par une communauté très
délimitée, en fonction a) des usages qu’on a voulu le voir servir b) des environnements
nationaux dans lesquels ces usages se sont développés c) de la manière dont chacune
des sciences du travail s’en est saisie1.
Cette pluralité d’approches, explorée dans une littérature fournie2, n’est pas sans
conséquence sur la difficulté à appréhender et à pratiquer la compétence en entreprise.
Nous renvoyons également à ces travaux très complets pour ce qui est de retracer l’origine
du concept. Rappelons brièvement que la compétence apparaît dès les années 1960-1970
dans les travaux de psychologues américains qui s’efforcent d’identifier chez les individus
les paramètres influençant de manière significative leurs performances dans le travail.
Transposée de façon quasi immédiate dans les sciences de l’éducation/formation – on
parle alors surtout de « développement des compétences » –, la notion fait ensuite l’objet
des premiers affrontements théoriques entre approches behaviouristes et approches
cognitives. Les premières voyaient la compétence comme purement individuelle,
hétérogène et permettant d’établir une relation causale entre des qualités personnelles et
une performance dans un emploi. La remise en question de cette causalité simple entre
compétence et performance a donné naissance à la définition cognitive de la compétence.
Celle-ci insiste sur l’idée que la compétence n’existe réellement que lorsque les actions
produites sont appropriées aux situations où elles sont mises en œuvre. La compétence
devient alors contextualisée. Elle ne prend sens que par rapport à une situation où elle est
mise en œuvre. C’est sur la base de cette définition cognitive que la notion de compétence
sera importée dans le champ du travail.
Encadré 1 – Caractériser la compétence
Face à l’ampleur des débats théoriques sur la nature de la compétence, le groupe
de travail a décidé de retenir une définition a minima. On appréhende donc ici la
compétence de façon opérationnelle et pragmatique, en considérant qu’elle est :
‒ une ressource au service des entreprises, dans l’atteinte de leurs objectifs
opérationnels ou stratégiques ;
‒ le produit et la conséquence de l’ensemble des pratiques qui s’expriment dans
une organisation et un environnement (de travail) donné. Elle est de ce fait
1
Gilbert P. (2006), « La compétence : concept nomade, significations fixes », Psychologie du travail et des
organisations, 12(2), p. 67-77.
2
Sur la notion de compétence, outre les travaux de Patrick Gilbert, nous renverrons pour ce qui est de la
France à ceux d’Ewan Oiry, de Jean-Claude Coulet ou encore de Guy Le Boterf.
21. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 19 AVRIL 2021
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intimement liée à des enjeux RH mais également d’organisation du travail, de
management, de dialogue social ou encore de modèle d’entreprise.
Un tel exercice nous oblige cependant à rappeler quelques principes généraux, qui
permettent de dissiper les malentendus et de préciser comment la compétence
professionnelle se manifeste.
• Une compétence n’existe que dans l’activité. Elle est donc naturellement
contextualisée et ne se révèle qu’en situation de travail.
• La compétence doit être identifiée. Ce processus peut prendre plusieurs
formes, mais nécessite une analyse de l’activité de travail en vue de nommer
les compétences mobilisées. Plusieurs méthodes peuvent être mobilisées (voir
annexe 3) mais toutes nécessitent un dialogue entre les acteurs de l’entreprise.
• La compétence n’existe pas en elle-même mais uniquement une fois
validée. La responsabilité de sa validation, et donc de son évaluation, revient
dans la majorité des cas à l’entreprise. La validation consiste à reconnaître à un
individu la maîtrise d’une compétence (de façon binaire ou graduée).
• Pour être validée en dehors de l’entreprise, la compétence doit faire l’objet
d’une certification pouvant prendre plusieurs formes (voir la section 2 de ce
chapitre). La personne voit ainsi sa compétence reconnue par l’ensemble des
acteurs du monde du travail et de la formation, en vue de la construction de son
parcours professionnel, notamment en dehors de l’entreprise (accès à une
qualification, mobilités professionnelles, transformation de la compétence en
signal de recrutement, etc.).
Ce rapport considère donc que les pratiques qui relèvent de la compétence ne se
résument pas dans ce que l’on nomme communément la gestion des
compétences, bien que celle-ci en soit l’une des pierres angulaires. Ainsi, il sera
possible de trouver les expressions démarches compétences, approches
compétence ou logiques compétences qui ont vocation à définir l’ensemble des
pratiques et dispositions qui au sens large embarquent la notion de compétence,
sans que cette dernière en constitue l’objet principal.
1.2. Structuration de l’objet « compétence professionnelle » en France
Dépasser le modèle de la qualification
En provenance du champ éducatif, la compétence professionnelle apparaît réellement
en France à l’orée des années 1990, sous la forme d’un « modèle de la compétence »
22. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 20 AVRIL 2021
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présenté comme une réactualisation du « modèle de la qualification »1. Jusqu’alors
dominant dans la littérature de gestion, ce dernier pouvait être défini comme
« l’imbrication entre un ensemble de connaissances et de savoir-faire acquis par un
individu pour l’exercice d’une activité professionnelle et une position précise qui lui est
assignée dans l’organisation du travail de l’entreprise2 ». Ce modèle reposait notamment
sur trois composantes : un fort degré d’objectivation des critères de classification des
emplois (niveau de diplôme, durée d’ancienneté dans un poste, etc.) ; une
homogénéisation de la représentation du travail autour d’un nombre restreint de
catégories ; et enfin une intégration systématique dans le cadre légal et conventionnel
(négociation collective).
Avec le célèbre accord « A. CAP 20003 » signé en 1990 dans la sidérurgie, la logique de
compétence fait symboliquement irruption en tant qu’objet de négociation collective et
nouveau mode de gestion du travail. Elle apporte en particulier une dissociation entre
emploi occupé et classification, cette dernière étant désormais individuelle, attachée à la
personne et à ses attributs et non plus aux qualifications requises par la fonction exercée4.
Cette définition complexe consacre le passage à un modèle qui fait contrepoint au modèle
de la qualification sur au moins trois points : une évaluation de l’engagement subjectif de
l’individu dans une activité de travail identifiée ; une configuration « mouvante » des
emplois liée au développement des compétences des salariés ; et enfin une focalisation
sur la négociation d’entreprise (ou de groupe).
Le modèle de la compétence et ses promesses
Apparu par le biais de la négociation collective, le modèle de la compétence5 est aussi
pensé comme un renouvellement des pratiques d’organisation du travail et des logiques
de management, consacrant le dépassement d’une approche fondée sur le poste,
inhérente au modèle de production tayloriste, et permettant l’apparition d’organisations
« qualifiantes »6. Ce modèle poursuit un double objectif : d’un côté il porte la promesse
1
Après avoir prédominé, la rhétorique de rupture entre les deux modèles sera remise en cause par la suite.
Voir Oiry E. (2005), « Qualification et compétence : deux sœurs jumelles ? », Revue française de gestion,
Lavoisier, 31 (158), p. 13-34.
2
Brochier D. (2010), « La notion de compétence professionnelle : état de la recherche et perspectives »,
intervention au séminaire organisé par l’Observatoire des métiers, des qualifications et de l’égalité
professionnelle entre les hommes et les femmes dans la banque, mai.
3
Pour Accord sur la conduite de l’activité professionnelle.
4
Chatzis K., De Connick F. et Zarifian P. (1995), « L’accord A.CAP 2000, la logique de compétence à
l’épreuve des faits », Travail et emploi, n° 64, juillet-septembre.
5
Théorisé en France notamment dans Zarifian P. (1999), Le modèle de la compétence, Éditions Liaisons.
6
Entreprise comme « lieu de production de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, de leur
appropriation reconnue par les salariés, tout en assurant l’adaptation de l’entreprise aux données
changeantes du contexte » : voir Maroy Christian in Grimand Amaury in « L’organisation qualifiante entre
autonomie et contrôle », Revue française de gestion, n° 32, juillet-août 1999, p. 109.
23. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 21 AVRIL 2021
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d’une plus grande efficacité de l’activité débouchant sur des gains de productivité1 pour
l’entreprise, et de l’autre, il permet au salarié de (re)gagner en autonomie et stimule
l’initiative, rompant en cela avec un mode de production fractionné qui, selon la sociologie
critique, le dépossède de son travail2. Une complémentarité que Pierre-Éric Sutter3
résume ainsi : « valoriser d’une part chaque salarié en élargissant ses compétences
individuelles et (…) son employabilité ; valoriser d’autre part le corps social en accroissant
les compétences collectives et ainsi sa capacité à développer de la valeur pour
l’organisation ».
L’approche par les compétences devait également permettre aux travailleurs les moins
qualifiés de se voir mieux reconnus et potentiellement d’accéder à une qualification sur la
base de leur pratique du travail. Les logiques de compétences sont d’ailleurs initialement
défendues par une partie des « militants de l’emploi » 4 (tenants du développement social
et des organisations qualifiantes notamment), car elles prônent une forme de réciprocité :
les salariés mettent à disposition leurs compétences contre la promesse de l’entreprise de
construire des parcours en son sein, afin de garantir leur employabilité individuelle,
y compris hors de l’entreprise.
Notons cependant qu’une autre partie de la sociologie critique5 remet en cause les
logiques de compétences en ce qu’elles surferaient sur l’aspiration à l’autonomie des
salariés en introduisant des logiques d’autocontrôle. Et plus encore en ce qu’elles génèrent
une individualisation des parcours et des modes de rémunération, annihilant la possibilité
de luttes collectives. Ces critiques sont également en lien avec les réticences qu’une partie
des organisations syndicales manifesteront à l’égard du modèle de la compétence.
Diffusion rapide et consécration de la compétence
Suite à l’accord A.CAP 2000, la nouvelle GPEC (le « C » de compétences vient s’ajouter
à la Gestion prospective des emplois) se diffuse très rapidement au cours des années
1990 par le biais d’approches managériales (Aérospatiale, en 1991 ; Alcatel CIT, en 1992)
mais surtout de négociations collectives.
1
En 1998, le CNPF expliquait que c’est grâce au développement et à la mobilité des compétences que se
gagnera la compétition internationale.
2
Baron X. (2016), « Les compétences entre attributs et capacités autonomes », in Fernagu Oudet S. et
Batal C., (R)évolution du management des ressources humaines, Septentrion Presses Universitaires
3
Sutter P.-E. (2016), « Gestion des compétences : autopsie d’une illusion », in Fernagu Oudet S. et Batal C.,
op. cit.
4
Baron X. (2016), « Les compétences, entre attributs et capacités autonomes », op. cit.
5
Linhart D. (2015), La comédie humaine du travail, de la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation
managériale, Érès, coll. Sociologie clinique, Toulouse.
24. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 22 AVRIL 2021
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La consécration grand public surviendra lors des assises du CNPF en 1998 avec
l’apparition d’une définition de la compétence qui fera date : « Une combinaison de savoir-
faire, expériences et comportements s’exerçant dans un contexte précis, qui se constate
lors de sa mise en œuvre en situation professionnelle à partir de laquelle elle est validable.
C’est donc à l’entreprise qu’il appartient de la repérer, de l’évaluer, de la valider et de la
faire évoluer ». Vite résumée par le triptyque « savoirs / savoir-faire / savoir-être », aisé à
retenir et à appréhender, cette déclaration deviendra la définition hégémonique de la
compétence – bien que cette réduction acte la vision de la compétence en tant qu’attribut
existant en tant que tel, même déconnecté de l’activité réelle.
La définition du CNPF souligne un point essentiel, à savoir la nécessaire contextualisation
de la compétence. Introduisant également la notion de coresponsabilité entre l’individu et
l’entreprise, elle assigne à la seconde la tâche de son évaluation, d’où découlent les
processus d’identification, de validation, de valorisation et de développement. C’est pour
remplir ces objectifs que la gestion des compétences devient dans les années 1990-2000
un objet de Ressources humaines et qu’on assiste à une large diffusion des référentiels
au sein des entreprises, accompagnés d’un ensemble d’outils et de stratégies qui
soutiennent le développement d’une culture de l’évaluation1
, au-delà même des enjeux de
compétences.
En plein renouveau avec la naissance de la notion de « gestion des ressources
humaines », les directions du personnel verront dans le modèle de la compétence une
occasion de gagner en responsabilité au sein de l’organisation et soutiendront largement
sa diffusion. Ainsi, après avoir été un objet de négociation collective, ce modèle se
dissémine tous azimuts à partir des années 1990 dans les discours managériaux…
Tendant à devenir le modèle hégémonique de GRH, un marché de la gestion des
compétences se développe sous l’égide de nombreux consultants, pendant qu’un large
écosystème institutionnel se met en place. En effet, parallèlement au monde de
l’entreprise, les pouvoirs publics reprennent à leur compte le concept de compétence,
désormais notion référence2 pour l’administration de l’emploi et du marché du travail.
1
Carette V. (2007), « Les implications de la notion de compétence sur l’évaluation », Éducation-Formation,
n° 286.
2
Duclos L. (2008), « Le droit de la bonne pratique. Enquête sur une norme de gestion prévisionnelle de
l’emploi et des compétences », Cahiers philosophiques 2008/4 N° 116, Réseau Canopée.
25. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 23 AVRIL 2021
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2. Institutionnalisation et intégration dans la loi
La première mention de la compétence dans la loi intervient avec l’introduction du bilan
de compétences dès 19911. Ce dispositif a vocation à faciliter la mobilisation des compé-
tences par les individus pour la construction de leur parcours professionnel. C’est le début
d’un mouvement qui va voir la notion de compétence professionnelle infuser petit à petit
l’ensemble du corpus légal et réglementaire français, avec une répartition des rôles assez
claire. Si, suivant la définition du CNPF, l’entreprise et les individus sont mis en
coresponsabilité de la gestion des compétences, de l’employabilité et de la construction
des parcours professionnels, les pouvoirs publics s’attribuent vis-à-vis des compétences
professionnelles2 deux objectifs majeurs :
‒ référencer la compétence et ainsi permettre sa certification :
‒ encourager voire susciter les pratiques de gestion de compétences en entreprise.
2.1. Certifier pour sécuriser les parcours
Recruter et valoriser ses compétences sur le marché du travail
Dès 1993, la principale nomenclature d’emploi française, le ROME (Répertoire
opérationnel des métiers et emplois) donne une place centrale à la compétence en la
consacrant comme l’une des modalités permettant l’appariement sur le marché du travail.
Près de vingt ans plus tard, après plusieurs actualisations du ROME et de son référentiel
de compétences, Pôle emploi introduit dans le cadre de son plan stratégique « Pôle emploi
2015 » l’approche par les compétences qui permettrait à la fois : de faciliter les mobilités
professionnelles des demandeurs d’emploi ; d’accompagner les employeurs qui expriment
des difficultés à recruter ; et enfin de suivre l’évolution des métiers. Les demandeurs
d’emploi peuvent se créer un « Profil de compétences », là où les entreprises sont
désormais invitées à renseigner leurs offres d’emplois en compétences. Il est à noter que
le ROME classe, près de vingt ans après la définition du CNPF, les compétences
en « savoirs » ; « savoir-faire » et « savoir-être professionnels »3.
Cette approche introduit notamment ce que Pôle emploi nomme les recrutements par
compétence, qui consistent à permettre aux employeurs de rechercher des candidats sur
la base des compétences professionnelles (et pas du seul diplôme ou expérience). Opérer
1
Voir la loi 91-1405 du 31 décembre 1991.
2
S’y ajoute naturellement le champ de l’éducation et de la formation où, au niveau français comme européen,
la notion de compétence s’impose comme cruciale : définition des objectifs pédagogiques, de l’élaboration
des programmes, de l’évaluation des élèves ou encore de la professionnalisation des enseignants.
3
Au nombre de 14, ces dernières sont définies sur le site de Pôle emploi comme l’ensemble des manières
d’agir et les capacités relationnelles utiles pour interagir dans un contexte professionnel.
26. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 24 AVRIL 2021
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l’appariement de l’offre et de la demande sur le marché du travail par l’intermédiaire des
compétences nécessite de pouvoir inventorier les compétences détenues par les individus
afin de les certifier et de les transformer en signal de recrutement pour les entreprises.
Outre cette logique d’appariement par la compétence déclarée, Pôle emploi a élaboré des
outils et méthodes1 qui reposent sur une définition de la compétence « en situation de
travail ». Ainsi, la méthode de recrutement par simulation (MRS) permet de sortir des
critères habituels de sélection en mettant les candidats dans une situation proche de celle
qu’ils rencontreront en emploi. Des exercices pratiques permettent d’observer leur
« habileté », ici entendue au sens de capacité à occuper le poste. Cette approche, qui
reste numériquement limitée avec 40 000 à 50 000 embauches en 2018, est plébiscitée
par les experts2 car elle fait primer les compétences « en action » sur le diplôme ou sur
d’autres critères potentiellement discriminatoires (âge, sexe, origine sociale, etc.).
Certifier la compétence pour aider à la construction des parcours
Si la compétence est « exprimée » dans le travail et « validée » au sein de l’entreprise, elle
a vocation à être « certifiée » sur le marché du travail, afin d’être transformée en signal de
recrutement et d’aider les individus à construire leur parcours professionnel hors de
l’entreprise. Cette certification prend initialement la forme d’un diplôme. Depuis le milieu des
années 1980, les diplômes professionnels sont ainsi exprimés par le biais de référentiels,
rompant avec la logique de « programme » de formation. Cette évolution méthodologique a
été concomitante de l’introduction massive de la notion de compétence. Cette logique
institutionnelle de référencement de la compétence professionnelle s’accélère avec la
création en 2002, dans le cadre de la loi de modernisation sociale, du RNCP (Répertoire
national des certifications professionnelles) qui acte la coexistence de « certifications
professionnelles » produites par l’État (les diplômes3), par les organismes de formation et
les chambres consulaires (les titres professionnels) et par les branches (les certificats de
qualification professionnelle). L’inscription au répertoire est conditionnée à l’existence d’un
« résumé du référentiel d’emploi ou des éléments de compétence acquis » dans le cadre du
diplôme ou de la certification. La création de cet ensemble composite, qui actait la possibilité
d’un dépassement futur des diplômes et des titres, mènera l’ensemble des certificateurs à
aligner leur méthodologie à terme4.
1
Recours généralisé aux bilans de compétences, outils d’auto-évaluation, Actions de formation préalables
au recrutement (AFPR), etc.
2
De Larquier G., Rieucau G. et Tuchszirer C. (2013), « La méthode de recrutement par simulation : une
passerelle entre logiques d’entreprise et de service public», CEE, n°107, Economix.
3
À l’exception du ministère du travail qui continue de délivrer des « titres ».
4
Dans l’immédiat, les ministères inscrivent leurs diplômes et titres de droit au RNCP, ce qui leur confère un
statut particulier, puisque les autres doivent faire la preuve de leur utilité devant la CNCP, maintenant la
commission certification de FC.
27. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 25 AVRIL 2021
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La loi de 2002 introduisait également la Validation des acquis de l’expérience (VAE), qui
vise à transformer une expérience professionnelle en certification. Si cette conversion n’est
pas automatique et fait l’objet d’un processus de validation, elle a pour objet d’obtenir, sans
recourir à la voie de la formation, une certification voire une qualification. L’introduction de
cette modalité d’accès à la certification avait vocation à jouer un rôle essentiel dans les
approches par les compétences : elle devait cibler des salariés peu qualifiés à l’issue de la
formation initiale et leur promettait la construction de carrière ascendante, sans recourir à
une formation professionnelle à laquelle ils ont traditionnellement moins accès en France1.
Pourtant, en 2017, près de quinze ans après son introduction et malgré des données
difficiles à compiler, la VAE semblait un relatif échec. Les individus sont globalement peu
nombreux à s’engager dans ce dispositif 2 et dans le même temps, le taux de validation reste
trop faible (aux alentours de 60 %) pour être incitatif. Les réformes récentes (notamment le
Plan d’investissement dans les compétences et la loi « liberté de choisir son avenir
professionnel ») se donnent pour objectif d’essayer de massifier le recours à cette voie de
certification en simplifiant son accès et ses modalités de financement.
Un pas supplémentaire est franchi en 2014 avec la loi relative à la formation
professionnelle, à l‘emploi et à la démocratie sociale3. Celle-ci introduit les blocs de
compétences comme « parties identifiées de certification professionnelle, classées au
sein du répertoire national des certifications professionnelles », en les mettant en relation
avec les dispositions relatives aux formations éligibles au compte personnel de
formation (CPF). Cette démarche vise à faire du bloc de compétences la « brique »
d’accès modulaire et progressive à la certification afin de créer des signaux lisibles sur le
marché du travail4
. Destinée à unifier formation et exercice professionnel – et peut-être
demain formation initiale –, elle a soulevé de nombreux débats5. La réforme de 2018 (voir
ci-dessous) continuera sur cette logique.
Notons que pour le moment, la voie d’accès par la VAE ne permet pas de certifier des
blocs de compétences. La conversion de l’expérience en certification est validée en totalité
ou réfutée. Au vu du taux de réussite relativement faible de cette voie d’accès à la
certification, on ne peut que le déplorer. Et c’est pourquoi une expérimentation prévue dans
1
Formation continue et situation sur le marché du travail, Premier indicateurs du volet salariés de l’enquête
Defis, Céreq Études, 2017.
2
Dares (2017) « La validation des acquis de l’expérience en 2015 dans les ministères certificateurs : le
nombre de diplômés par la voie de la VAE continue de baisser », Dares Résultats n° 38, juin.
3
N° 2014-288 du 5 mars 2014.
4
France Compétences (2019) « Note relative aux blocs de compétence ».
5
Céreq (2017) « Les blocs de compétences dans le système français de certification professionnelle : un état
des lieux », Céreq Échanges, n° 4, janvier.
28. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 26 AVRIL 2021
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le cadre de la loi de 2018 vise actuellement à vérifier dans quelles conditions la VAE par
blocs de compétences peut représenter un levier pour l’accès à la certification1.
Référencer la compétence, y compris en dehors de la situation de travail ?
Cette volonté de la part des pouvoirs publics de référencer des compétences en vue de
leur certification sur le marché du travail se poursuit avec la création de référentiels de
compétences « clés » ou « transverses », comme le dispositif de certification Cléa2
(et
plus tard Cléa Numérique). Destinée à faciliter l’insertion professionnelle des personnes
les moins qualifiées, une telle démarche se heurte à plusieurs difficultés, au premier rang
desquelles la définition des compétences transversales : sont-elles une combinaison de
« savoirs, savoir-faire, savoir-être », permettant de « savoir agir en situation » ? Ou doit-
on les circonscrire à de simples savoir-faire comportementaux ?3
Si par définition les compétences transversales sont communes à plusieurs métiers et
secteur, donc mobilisables dans diverses situations de travail, cela ne signifie pas qu’elles
soient mobilisables d’emblée dans toute situation professionnelle. Ce qu’illustrent ces
questionnements, c’est la difficulté à établir des référentiels externes à l’entreprise alors
que la compétence s’exprime dans l’activité de travail. Des écueils qui conduisent certains
comme Stéphane Balas à dénoncer « qu’à vouloir décrire des qualités génériques et
transverses, les partenaires sociaux ont produit un outil mobilisant une signification
étriquée de la notion de compétence »4.
Pour limiter ces risques, l’AFPA ou encore l’Agenda européen pour la formation des adultes
(AEFA), porté par l’agence Erasmus+, insistent dans leurs travaux sur la nécessité de ne pas
considérer les compétences transverses comme des objets hors sol. L’initiative portée par le
projet transnational RECTEC5, qui soutient la réappropriation du référentiel de l’AEFA par les
organisations afin qu’elles l’adaptent à leur réalité professionnelle, peut être citée en référence.
Dans les faits, la multiplication de ces initiatives de la part des pouvoirs publics pour référencer
la compétence conduit à éloigner la compétence du travail et à la considérer comme un capital
immuable attaché à une personne. Une approche qui n’est pas sans influence sur la façon
dont la gestion des compétences s’est diffusée au sein des entreprises.
1
Voir par exemple sur le site Via Compétences.
2
Certificat de connaissances et de compétences professionnelle, créé en 2015.
3
Aboubadra-Pauly S. et Afriat C. (2019), « Journée du REC : Les compétences transversales : quels usages
sur le marché du travail ? », Compte rendu du REC.
4
Balas S. (2019), « La compétence sans le travail ? : enrichir la notion et développer ses usages », Éducation
permanente Partir des compétences transversales pour lire autrement le travail, Arcueil.
5
Le projet RECTEC pour « Reconnaître les compétences transversales en lien avec l’employabilité et les
certifications » est un projet transnational piloté par le GIP-FCiP de l’Académie de Versailles et soutenu par
l’agence Erasmus+ : voir le site http://rectec.ac-versailles.fr/
29. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 27 AVRIL 2021
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Encadré 2 – L’Europe des compétences
Si l’emploi, l’éducation et la formation professionnelle sont des domaines de
compétences nationaux, les institutions européennes appellent de leurs vœux
depuis 1997 l’émergence d’une « Europe des compétences ». Un cheminement
que l’on peut diviser en trois phases successives.
De 1997 à 2000
« L’Europe des compétences » trouve sa source d’un côté dans la stratégie euro-
péenne pour l’emploi1
, qui vise un « niveau élevé d’emploi », et de l’autre dans la
politique de l’éducation et de la formation tout au long de la vie2
, qui définit pour
l’UE un nouvel objectif stratégique pour la période 2000-2010, afin de renforcer
l’emploi, la réforme économique et la cohésion sociale dans le cadre d’une
économie fondée sur la connaissance, sur la base d’un agenda européen des
compétences défini comme « un plan quinquennal élaboré dans le but d’aider les
individus et les entreprises de l’Union européenne à développer des compétences
plus nombreuses et de meilleure qualité ». Bien que considérés par le Traité de
Rome comme relevant de la responsabilité des États membres, ces deux textes
ouvrent la voie à des initiatives européennes, dans le cadre de la subsidiarité.
De 2000 à 2016
La vision de la compétence portée par l’Europe a évolué au fil des politiques
menées au cours de cette période. Les premières réalisations ont visé le cadre des
compétences clés : référentiels de langues (2001), compétences clés (2006),
compétences numériques (2014), compétences entrepreneuriales (2016), travaux
auxquels on peut rattacher le cadre européen des compétences transversales
(RECTEC, 2018). La Commission européenne souhaite que ces référentiels
inspirent les politiques publiques dans le champ de l’éducation et de la formation
tout au long de la vie. Certains de ces cadres (en particulier les langues ou les CV
Europass) sont largement utilisés par les salariés et les entreprises, en particulier
dans leurs démarches de recrutement.
Outre ces cadres transversaux, les programmes LEONARDO, SOCRATES et
ERASMUS ouvrent la voie à des travaux sectoriels au niveau européen, le plus
souvent menés par les organisations professionnelles, ou avec leur participation.
Parallèlement, le CEC (Cadre européen des certifications, 2008), qui propose des
niveaux des certifications sur la base de descripteurs de compétences, porte une
vision de la compétence centrée sur les savoir-faire de leurs détenteurs. Le CEC
1
SEE 1997, traité d’Amsterdam.
2
Conseil européen de Lisbonne – 2000.
30. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 28 AVRIL 2021
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tend vers la comparabilité du niveau des « résultats d’apprentissage », avec des
descripteurs visant une approche holistique des « acquis de l’apprentissage ».
Le projet ESCO lancé en 2009 entend franchir une étape supplémentaire, de
construction d’une taxonomie par un inventaire des compétences-métiers
(26 branches feront l’objet d’études spécifiques) et de compétences transversales,
donnant naissance à une liste de 13 485 compétences.
De 2016 à… 2021
Lancée en 2016, la première version du projet ESCO est destinée en priorité à
alimenter les indicateurs de compétence des SPE (Services publics de l’emploi)
européens, sans que l’interface entre compétences professionnelles et
compétences transversales ait été réellement explorée au préalable.
La déclaration de la Commission européenne du 1er
juillet 2020 annonce un « pacte
sur les compétences » en faisant référence en particulier au « job-skilling » et au
développement au niveau européen des micro-credentials (micro-certificats).
La tendance actuelle est donc de passer d’une vision holistique de la compétence,
orientée vers une capacité à faire, à une approche plus analytique, fragmentée, qui
suppose le recours à une analyse combinatoire créant un pont entre les nouveaux
outils numériques du marché du travail, les descripteurs de compétences et les
descripteurs des certifications. Les certifications internationales et les micro-
certificats en seraient les outils privilégiés.
Cette « nouvelle donne » se traduit actuellement, de façon accélérée, par l’annonce
d’un agenda des compétences le 1er
juillet 2020, puis d’une recommandation du
Conseil de l’UE en date du 24 novembre 2020 (2020/C 417/01) en matière
d’enseignement et de formation professionnels (EFP) en faveur de la compétitivité
durable, de l’équité sociale et de la résilience, publiée le 2 décembre 2020 au JO
de l’UE. Sur le point précis de l’identification et de la définition des compétences,
on consultera avec intérêt le projet de rapport d’experts publié par le CEDEFOP en
septembre 20211
, qui revisite la structure de la taxonomie ESCO et donne un
aperçu de futures propositions de la CE.
1
CEDEFOP (2020), Towards a structured and consistent terminology on transversal skills and competences.
31. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 29 AVRIL 2021
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2.2. Encourager la diffusion en entreprise
Parallèlement à cette volonté de sécuriser les parcours des actifs en dehors de l’entreprise,
par le biais de la certification et des politiques relatives au fonctionnement du marché du
travail, les pouvoirs publics vont chercher à encourager la diffusion des pratiques de gestion
des compétences au sein de l’entreprise, quitte à les susciter là où elles n’existent pas.
En 2004, la loi de modernisation sociale du 4 mai, axée sur la formation professionnelle
tout au long de la vie et le dialogue social, consacre l’obligation d’adaptation du salarié
à son poste de travail en lui proposant un parcours de formation qui lui permet d’acquérir
les compétences nécessaires. Elle instaure aussi une nouvelle typologie des actions de
formation entre i) adaptation au poste de travail ii) actions liées à l’évolution des emplois
ou au maintien dans l’emploi et iii) développement des compétences. En outre, la loi
institue l’obligation de mettre en place un observatoire paritaire dans chaque branche
professionnelle (OPMQ, Observatoire paritaire des métiers et des qualifications).
Une obligation de conclure des accords de GPEC qui marque un tournant
Mais c’est véritablement avec la loi de programmation pour la cohésion sociale (dite loi
Borloo) du 18 janvier 2005 qu’aura lieu le tournant majeur, puisqu’elle instaure l’obligation
pour les entreprises de plus de 300 salariés de négocier un plan triennal de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
Comme évoqué plus haut, la diffusion des pratiques de GPEC s’était en partie opérée
avant la loi. Si le modèle de la compétence avait émergé avec son lot de promesses, la
GPEC a été présentée d’abord comme une méthode permettant d’éviter les licenciements
dans les organisations menacées par la crise économique1. Les tentatives d’analyse2 des
pratiques de GPEC préalables à la loi concluaient que celles-ci apparaissaient :
‒ très hétérogènes, car orientées ou bien vers une gestion individuelle (des parcours
professionnels), ou bien vers une gestion plus collective (des emplois en l’occurrence)
et misant sur le contrôle ou au contraire sur l’autonomie des salariés ;
‒ relativement inefficaces, car elles réussissaient peu à éviter les licenciements.
Ces analyses ne remettaient pas à cause la gestion des compétences en tant que telle. Elles
désignaient en revanche la dimension prévisionnelle comme inatteignable, les entreprises
ne parvenant pas à anticiper leur stratégie et, par voie de conséquence, leurs besoins en
1
Thierry D. et Sauret C. (1994), La gestion prévisionnelle et préventive de l’emploi et des compétences, Paris,
L’Harmattan.
2
Oyeau A. et Retour D. (1999), « La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences entre contrôle
et autonomie », Revue de gestion des ressources humaines, n° 32, p. 127-143 ; Brochier D. (2002), Gestion
des compétences. Acteurs et pratiques, Paris, Economica, 2002.
32. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 30 AVRIL 2021
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matière d’emplois et de compétences. La littérature de gestion et les tenants de la
compétence appelaient alors de leurs vœux une orientation vers une gestion « concrète »
des compétences, qui vise à identifier, à reconnaître voire à rémunérer les compétences.
La loi de 2005 contribue largement à remettre la dimension prévisionnelle au premier rang
des préoccupations (voir chapitre 2, section 1). Une décision qui appuie celle de la création
des OPMQ, dont le but était déjà de faire passer les démarches de développement des
compétences d’une visée « défensive » à une visée « anticipative », désarticulant les
méthodes de GPEC et les logiques de sauvegarde de l’emploi.
Selon un collège de chercheurs1, en obligeant à conclure des accords de GPEC et non
une simple gestion des compétences, la loi « s’inscrit en rupture avec les pratiques de
gestion antérieures, qui avaient plutôt conduit à l’idée selon laquelle la GPEC était vouée
à l’échec et que seule une gestion des compétences limitée à l’identification et à la
reconnaissance des compétences existantes était possible. La loi Borloo a donc
directement contribué à relancer une dynamique de négociation sociale sur le
“prévisionnel” dans la gestion des compétences ». En ce sens, même sans préciser les
modalités de mise en œuvre, la loi de 2005 avait vocation à influer largement sur les
pratiques de gestion des compétences des entreprises. Cette réduction de la gestion des
compétences aux approches de GPEC devait marquer durablement la façon dont les
entreprises allaient la pratiquer.
Encadré 3 – La GEPP-GPEC2
dans la loi
Depuis 2005, le Code du travail (article L. 2242-2) impose une obligation de négocier
la GPEC tous les trois ans – négociation triennale – avec les partenaires sociaux :
aux entreprises qui emploient au moins 300 salariés ; aux entreprises de dimension
communautaire employant au moins 150 salariés en France.
Selon la loi, un plan de GPEC permet à l’entreprise d’anticiper les conséquences
des évolutions liées à ses environnements internes et externes et à ses choix
stratégiques. Il a pour finalité de déterminer les actions à mettre en œuvre à court
1
Oiry E., Bellini S., Colomer T., Fayolle J., Fleury N., Fredy-Planchot A. et Vincent S. (2013), « La GPEC : de la
loi aux pratiques RH – identification de quatre idéaux-types », Annales des Mines - Gérer et comprendre, 112(2).
2
Depuis 2017, la Gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) remplace la Gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Il s’agit là avant tout d’un changement de terminologie,
la GEPP ayant vocation à désigner l’accord négocié dans le cadre d’une approche de GPEC. Le changement
étant récent et le terme est encore très peu usité, nous utilisons systématiquement l’acronyme GPEC.
33. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 31 AVRIL 2021
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et à moyen terme, pour faire face aux évolutions d’effectifs, tout en répondant aux
besoins de l’entreprise.
Sur quoi porte l’obligation de négociation triennale ?
La négociation triennale porte obligatoirement sur (voir annexe 2) :
• la mise en place d’un dispositif de GPEC ainsi que sur les mesures
d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière
de formation, d’abondement du compte personnel de formation, de validation
des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que
d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés
autres que celles prévues dans le cadre d’un licenciement ;
• les conditions de la mobilité professionnelle et géographique interne à
l’entreprise ;
• les grandes orientations à trois ans de la formation professionnelle dans
l’entreprise et les objectifs du plan de formation ;
• les perspectives de recours par l’employeur aux différents contrats de travail,
au travail à temps partiel et aux stages ;
• les conditions dans lesquelles les entreprises sous-traitantes sont informées
des orientations stratégiques de l’entreprise ayant un effet sur leurs métiers,
l’emploi et les compétences ;
• le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales
en plus de leurs fonctions.
La négociation peut également porter sur :
• les modalités d’information et de consultation du comité social et économique
et, le cas échéant, le cadre de recours à une expertise par ce comité lorsque
l’employeur envisage de prononcer le licenciement économique d’au moins dix
salariés dans une même période de trente jours ;
• les conditions dans lesquelles le comité social et économique est réuni et
informé de la situation économique et financière de l’entreprise ;
• la qualification des catégories d’emplois menacés par les évolutions
économiques ou technologiques ;
• les modalités de l’association des entreprises sous-traitantes au dispositif de
GPEC de l’entreprise ;
• les conditions dans lesquelles l’entreprise participe aux actions de GPEC mises
en œuvre à l’échelle des territoires où elle est implantée ;
• la mise en place de congés de mobilités ;
34. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 32 AVRIL 2021
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• la formation et l’insertion durable des jeunes dans l’emploi, l’emploi des salariés
âgés et la transmission des savoirs et des compétences, les perspectives de
développement de l’alternance ainsi que les modalités d’accueil des alternants
et des stagiaires et l’amélioration des conditions de travail des salariés âgés.
La GPEC au niveau d’une branche professionnelle
La loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 (article L. 2241-4 du Code du travail)
prévoit que les branches professionnelles doivent négocier sur la GPEC au moins
une fois tous les trois ans. L’accord national interprofessionnel (ANI) du
17 novembre 2008 a défini le rôle des branches qui doivent contribuer à faciliter la
négociation de la GPEC dans les entreprises (négociation obligatoire depuis 2005
pour les entreprises d’au moins 300 salariés).
La branche constitue ainsi un cadre permettant de fournir des repères à la
négociation :
• en mettant à disposition des informations notamment sur les évolutions
démographiques et technologiques, et sur la détermination des besoins en
qualifications et compétences ;
• par la définition d’un outillage adapté aux caractéristiques des entreprises
rattachées à la branche concernée ;
• par la mise en place d’un suivi et d’une évaluation des actions mises en œuvre
dans la branche et la diffusion des bonnes pratiques.
Ce dispositif juridique a été complété par l’ANI du 11 janvier 2013 transposé dans
le cadre de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013.
L’Accord national interprofessionnel du 14 novembre 2008 a également instauré la
possibilité de conclure des GPEC au niveau d’un territoire (GPEC T). La GPEC T
s’entend comme une démarche visant la mise en œuvre d’un plan de
développement en faveur de l’emploi et des compétences dans les territoires à
partir d’une stratégie partagée et d’anticipation.
Là où la GPEC d’entreprise est essentiellement un outil d’ajustement au service
des entreprises, la GPEC territoriale est un outil partagé, au service de tout le
territoire. Elle s’inscrit dans le cadre des politiques nationales pour l’emploi et la
sécurisation des parcours professionnels.
Une institutionnalisation des pratiques qui se poursuit
Depuis quinze ans, la loi progresse dans son effort de normalisation des pratiques RH des
entreprises. L’obligation d’une négociation de GPEC tous les trois ans sera étendue
35. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 33 AVRIL 2021
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en 2008 aux branches professionnelles1 puis précisée avec la loi de sécurisation de
l’emploi de 2013 (voir encadré 3).
Dans le même temps, en 20112, l’État se propose avec la démarche d’appui aux
mutations économiques (AME) d’impulser et de coordonner des actions de soutien et
de développement de l’emploi et des compétences. Les objectifs sont l’anticipation des
besoins en emplois et en compétences ; la conception et l’accompagnement d’actions de
développement des compétences des actifs ; et enfin le renforcement de la fonction
ressources humaines au sein des TPE-PME. Pour ce faire, l’État crée un ensemble d’outils
mobilisables au niveau des branches, des territoires ou de l’entreprise :
‒ les engagements de développement des emplois et des compétences (EDEC) qui
regroupent deux outils : le Contrat d’études prospectives (CEP) et les Actions de
développement de l’emploi et des compétences (ADEC) ;
‒ la prestation de conseil en ressources humaines pour les TPE-PME (PCRH TPE) ;
‒ l’« AME Entreprise » (qui s’appuie sur le dispositif Fonds national de l’emploi-formation).
La loi de du 5 mars 20143, en même temps qu’elle introduit le Compte personnel de
formation (CPF) et le Conseil en évolution professionnelle (CEP), rend obligatoire
l’entretien professionnel tous les deux ans dans l’ensemble des entreprises et oblige ces
dernières à proposer à intervalle régulier des formations non obligatoires.
La loi « Liberté de choisir son avenir professionnel » de 2018 consacre la compétence
comme l’objet central des politiques de formation, pour les pouvoirs publics comme pour
les entreprises (voir encadré 4). Notons enfin que l’instauration du dispositif sur les
« transitions collectives », mis en place dans le cadre de France Relance suite à
l’instruction du 11 janvier 20214, conditionne l’accès au dispositif à la conclusion d’un
accord de GEPP (ex-GPEC), quelle que soit la taille de l’entreprise concernée5.
1
Pour rappel, la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 (article L. 2241-4 du Code du travail) prévoit que les
branches professionnelles doivent négocier sur la GPEC au moins une fois tous les trois ans.
2
Circulaire DGEFP n°2011/12 du 1er
avril 2011.
3
Loi n° 2014-288, Code du travail, article L.6315-1.
4
https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/instruction_transitions_collectives_11012021.pdf
5
Pour plus de détails sur le dispositif ainsi qu’un exemple d’accord de GEPP, voir https://www.centre-
inffo.fr/content/uploads/2021/01/instr-transco.pdf.
36. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 34 AVRIL 2021
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Encadré 4 – La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel de 20181
Sans entrer dans les détails2
, rappelons que la dernière réforme de la formation
professionnelle consacre la notion de compétence par son omniprésence dans le
texte de loi. Annoncée comme un « big bang »3
au sein des politiques de formation
et d’emploi, la réforme s’inscrit cependant en ce qui concerne les compétences
professionnelles dans une continuité des logiques antérieures.
Elle consacre notamment la place de la « certification professionnelle » puisqu’elle
entérine le fait que l’action de formation mène nécessairement à une certification
(inscrite soit au RNCP soit au Répertoire spécifique4
nouvellement créé) qui doit
être systématiquement exprimée en blocs de compétences. La loi supprime de ce
fait les listes de formation éligibles au CPF, qui couvre désormais la totalité des
formations certifiantes.
La loi de 2018 crée également France Compétences, nouvelle autorité nationale
(quadripartite) unique de régulation et de financement de la formation
professionnelle et de l’apprentissage. Sous cet intitulé, l’organisme a pour objectif
de garantir la pertinence des certifications professionnelles et leur adéquation avec
les besoins de l’économie. Mais il a aussi pour mission d’émettre des
recommandations sur l’articulation des actions en matière d‘orientation, de
formation professionnelle et d’emploi5
.
Côté préconisations en matière de pratiques en entreprise, la loi instaure le plan
de développement des compétences en lieu et place du plan de formation. Entrent
dans ledit plan (et sont donc éligibles à des financements) :
• les actions de formation qui acquièrent pour l’occasion une nouvelle définition
tentant de se rapprocher de l’ambition originelle de la compétence6
;
• la VAE ;
• les contrats d’apprentissage et de professionnalisation ;
• les actions de reconversion ou promotion par alternance PRO-A ;
1
Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
2
Pour plus de détails : https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/GUIDE_reforme_formation_professionnelle.pdf
3
Le 5 mars 2018, l’expression de Muriel Pénicaud fera florès et sera reprise par les acteurs du champ.
4
Qui remplace l’ancien l’Inventaire des certifications et habilitations.
5
Lire par exemple sa « Note sur les référentiels d’activités, de compétences et d’évaluation », qui va jusqu’à
proposer une méthodologie d’aide à la rédaction des compétences.
6
« Parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel réalisé en tout ou partie à distance
et possible sous certaines conditions en situation de travail. »
37. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 35 AVRIL 2021
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Cette réforme systémique de la formation professionnelle et de l’apprentissage1
intervient de façon concomitante avec le grand Plan d’investissement dans les
compétences (PIC)2
qui constitue un investissement massif d’environ 15 milliards
d’euros sur la période 2018-2022 et vise i) à financer des actions s’attachant à
développer les compétences des demandeurs d’emploi faiblement qualifiés et des
jeunes sans qualification ; ii) à répondre aux besoins de recrutement des
entreprises et iii) à contribuer à la transformation des compétences pour répondre
aux mutations économiques. En ce sens, le PIC cherche également à consolider
les approches de type GPEC et à les étendre à l’ensemble de l’économie nationale.
Si aucune évaluation de la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel n’a
encore été menée, signalons la publication du premier rapport du comité
scientifique du Plan d’investissement dans les compétences3
.
3. L’action convergente d’acteurs aux logiques variées
En conséquence de ces mouvements, la compétence s’est imposée comme un objet
central des politiques de l’emploi et de la relation entre les champ éducation et formation,
mais aussi comme le cœur d’un langage commun entre les institutions, les acteurs du
marché de la compétence et le monde de l’entreprise.
Cette évolution s’est faite sous l’influence directe de la loi et des réglementations, mais elle
a également été relayée par un ensemble d’acteurs qui ont contribué à façonner les
pratiques et les représentations de la gestion des compétences en entreprise. Parmi ces
acteurs jouant un rôle de « médiateurs externes de la compétence », on peut citer :
‒ les acteurs institutionnels du champ EFOP4 : SPE, OPMQ, OPCO, Carif-Oref, France
compétences, le Réseau Emplois Compétences, etc. ;
‒ les partenaires sociaux, bien qu’une partie des organisations syndicales restent
réticentes à l’égard du modèle de la compétence5 ;
1
Qui, outre les points traités ici, porte sur une variété de sujets tels que la refonte du CPF, les mécanismes
de collectes et de financement de la formation, l’architecture institutionnelle du champ EFOP, l’unification de
l’orientation TALV. Le document est disponible sur le site du ministère du Travail.
2
https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/pic/
3
https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/dares_pic_comite_scientifique_1er_rapport_oct2020.pdf
4
Le rapport revient dans le chapitre 2 (section 3) sur les pratiques de ces acteurs et sur la perception qu’en
ont parfois les entreprises.
5
Notamment la CGT et FO qui considéraient (et considèrent encore parfois) que le modèle de la compétence
conduit à une individualisation des parcours et complique les mobilisations collectives.
38. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 36 AVRIL 2021
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‒ l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) qui, de par sa
mission d’opérateur de l’État au service des entreprises, se retrouve régulièrement
dans un rôle de prescripteur en matière de pratiques de gestion des compétences ;
‒ les organisations internationales, au premier rang desquelles les institutions
européennes qui jouent un rôle essentiel dans la promotion de la compétence depuis
la fin des années 1990 (voir encadré 2) ;
‒ les producteurs de normes et les certificateurs qualité1 ;
‒ les chercheurs et le monde académique ;
‒ les consultants du « marché des compétences » ;
‒ les « offreurs de solutions techniques » en matière de gestion des compétences
(producteurs de progiciels, de SIRH, etc.)
L’influence croisée de ces acteurs – malgré leurs différences – a conduit à la diffusion
progressive de la gestion des compétences au sein de l’entreprise et a consacré le modèle
des compétences comme référence des ressources humaines. Cependant, alors que ce
modèle était porteur initialement d’ambitions multiples et variées, cette diffusion a entraîné
une évolution de son objet, que l’on peut résumer en deux points principaux.
Une vision largement adéquationniste de la compétence
Alors qu’elle visait à dépasser la relation formation/emploi fondée sur le diplôme et la
qualification, la compétence s’est progressivement retrouvée au centre d’un discours
« adéquationniste ».
Cette vision consiste à transposer au sein de l’entreprise la théorie adéquationniste qui
établit un rapport purement mécaniste entre formation et emploi. Elle désigne les
compétences comme une forme de capital autonome, détenu et entretenu par des
individus, acquis en partie hors du champ professionnel (compétences de base et soft
skills) et dont dépendrait leur employabilité.
Elle évalue ensuite des « besoins en compétences » des entreprises (selon une logique
attachée aux postes de travail) qu’il s’agit alors de satisfaire au prix d’un ensemble de
démarches et de processus (la gestion des compétences) qui vise à allouer au mieux ce
capital ou à se le procurer (par le recrutement ou la formation)2.
1
En particulier l’AFNOR et sa norme X50-750.
2
L’injonction à la « mesure des écarts en compétences » comme le préconise les méthodes de GPEC
pouvant être vue comme l’un des symboles de l’adéquationnisme importé au sein de l’entreprise.
39. Chapitre 1
Genèse des politiques de gestion des compétences
FRANCE STRATÉGIE 37 AVRIL 2021
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La réduction de la gestion des compétences à la GPEC
Apparue dans un premier temps par l’entremise du monde académique et des acteurs
privés, les méthodes de GPEC visaient la sauvegarde de l’emploi et consacraient une
approche prévisionnelle de la gestion des compétences, tout en recouvrant une large
variété d’outils et de dispositifs.
Malgré la difficulté des entreprises à anticiper les besoins en compétences et le poids de
telles démarches qui compliquent leur mise en place, en particulier dans les entreprises
aux ressources limitées, la loi de 2005 obligeant l’ensemble des entreprises de plus de
300 salariés à négocier des accords de GPEC a conduit à généraliser ces approches.
Cette obligation légale a eu pour effet de rendre « Gestion des Compétences » et
« GPEC » synonymes dans les représentations de la majorité des entreprises, mais
également aux yeux d’une grande partie de leur écosystème. S’est introduit de fait un biais
qui n’est pas sans conséquence sur la façon dont les entreprises mettent en place ou non
une gestion des compétences.
40.
41. FRANCE STRATÉGIE 39 AVRIL 2021
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CHAPITRE 2
REPRÉSENTATIONS
ET PRATIQUES EFFECTIVES EN ENTREPRISE
Nous avons vu dans le chapitre précédent que sur intervention d’un certain nombre
d’acteurs, au premier rang desquels les pouvoirs publics, la gestion des compétences s’est
imposée dans les dispositifs institutionnels et les modèles de gestion des ressources
humaines. Ce faisant, elle s’est diffusée au sein des entreprises françaises. Il convient à
présent de se pencher sur la façon dont celles-ci se représentent la compétence et sur les
pratiques déployées, notamment sous l’influence de cette institutionnalisation. Nous avons
conscience de l’écueil qui consisterait à évoquer les entreprises comme un bloc, quand la
réalité est largement hétérogène. Sans viser l’exhaustivité, ce rapport tente de présenter
des éléments issus de témoignages collectés dans le cadre des travaux de groupe, de
l’étude de terrain ou en séance (voir encadré 5), et ayant nourri les analyses des
participants.
Toutes les entreprises rencontrent des enjeux de compétences lorsqu’elles cherchent à
atteindre leurs objectifs opérationnels et stratégiques. Nous analyserons dans un premier
temps comment les démarches en la matière, formalisées ou non, dialoguent de façon
plus ou moins étroite avec ces questions opérationnelles et stratégiques. Nous
soulignerons au passage la complexité à laquelle se heurte l’approche prévisionnelle, qui
vise à anticiper les mutations économiques et leur impact en matière de compétences
(Section 1).
Nous nous pencherons ensuite sur les pratiques que les entreprises considèrent comme
relevant de la gestion des compétences. Nous verrons que sous l’influence des pouvoirs
publics mais également d’acteurs « médiateurs de la compétence », cela se résume
souvent à des pratiques de type GPEC, c’est-à-dire d’inspiration largement réglementaire,
s’appuyant sur des approches très formalisées, avec une forte dimension instrumentale.
Nous verrons que bien que ces démarches aient permis de créer du dialogue social et des
initiatives innovantes, la gestion par les compétences n’a pas encore réussi à supplanter
les logiques antérieures (Section 2).
42. Quelle place pour les compétences dans l’entreprise ?
FRANCE STRATÉGIE 40 AVRIL 2021
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En s’appuyant sur le fait que la compétence n’est pas seulement une variable d’ajustement
entre ressources et besoins, il s’agira ensuite de réaffirmer que la démarche compétences
ne se limite pas à des pratiques de GPEC ou à des dispositifs réglementaires. Les
entreprises, et en particulier certaines TPE-PME, mobilisent ainsi fréquemment la
compétence, sans forcément se reconnaître dans une appellation de type gestion par les
compétences, notamment par le biais de pratiques échappant à la formalisation. Nous
verrons que, présentes sous des formes embryonnaires et hétérogènes, ces approches
nécessitent un accompagnement fort pour donner leur pleine mesure (Section 3).
Nous concluons ce chapitre en proposant une représentation des pratiques – liées à des
processus RH ou plus ancrées dans l’activité de travail – présentes ou à encourager au
sein de l’entreprise et qui, combinées, contribuent à l’édification d’un système producteur
de compétences au service de l’entreprise et de ses salariés.
Encadré 5 – Étude qualitative sur la mobilisation des compétences en entreprise
En parallèle du groupe de travail, une étude de terrain qualitative a fait l’objet d’un
marché d’étude avec un objectif de production de connaissances sur les pratiques
liées à la mobilisation des compétences, au sein d’entreprises de taille intermédiaire,
de petites et moyennes entreprises, voire de très petites entreprises. Cette étude ne
vise pas l’exhaustivité ni même la représentativité des configurations d’entreprises,
mais plutôt un éclairage complémentaire. Elle a permis d’interroger des dirigeants et
des représentants des ressources humaines1
sur leurs pratiques, sur le rôle qu’y
jouent les compétences ainsi que sur la représentation qu’ils se font de cet objet.
Réalisée par les cabinets Sauléa et Sémaphores, l’étude s’est appuyée sur des
entretiens en face à face, dans quatorze entreprises, auprès de DRH ou de
dirigeants. Ces entretiens ont permis d’élaborer des monographies d’entreprises et
une synthèse transversale2
dont les enseignements sont repris dans le présent
rapport.
1
Initialement, il avait été décidé d’essayer d’interroger également des représentants du personnel, mais en
raison des complications liées aux conditions de réalisation de l’étude (grèves ’d’ampleur dans les transports
puis crise sanitaire), cela n’a pas été possible.
2
Le rapport de synthèse de l’étude de terrain est disponible sur le site de France Stratégie.