2. conclusion
« Santé et sécurité : sont-elles des valeurs
absolues ? »
je propose de répondre « non »
plus exactement : « non merci »
une bonne intention mais avec des conséquences
massivement contre-productives
exactement ce qui m'intéresse en éthique
2
3. introduction et méthode
je vais essayer d'établir cette réponse :
en repartant des notions de base en éthique
notamment celle de valeur
en essayant d'être applicable pour
≠ appliquer moi-même
le médecin (Responsable Santé Humaine)
l'informaticien (Responsable Sécurité Informatique)
à partir d'inspirations non conventionnelles :
nouveaux courants en technoéthique, philosophies de la
sagesse, philosophie pragmatique américaine et
philosophies asiatiques
3
4. santé
exigence sociétale forte
= n'apparaît comme une question, ni un sujet
« négociable »
→ de pieux mensonges, de la langue de bois
« la santé n'a pas de prix (la sécurité non plus) »
= valeur absolue, inconditionnelle →
difficile de réfléchir au coût de la santé, financier et
humain
à la fois déficit financier des gestions publiques de la santé,et
visite du médecin moins coûteuse pour le particulier que celle
d'un plombier, et médicaments gratuits en pharmacie...
difficile de réfléchir aux effets secondaires nocifs et aux
échecs des techniques de santé
toute pathologie iatrogénique est un scandale
= viole une valeur sociétale absolue, celle de la santé
4
5. santé
→ une exigence de maîtrise technique absolue
caractéristique du système de valeur implicite
de l'Occident hyper-industriel
nous voulons des technologies infaillibles, c'est une
exigence « normale »
aviation, énergie nucléaire, …
→ mythe de la santé absolue
qui est un mythe technique : « tous les paramètres
sont nominaux »
interprétation symbolique : en route pour l'immortalité !
5
6. santé
deux critiques du mythe de la santé absolue :
Georges Canguilhem
relativisation de la définition de « pathologie », donc de
santé
« la santé n'est pas un concept scientifique », et surtout pas une
norme quantitative
la santé non pas comme l'absence de maladie mais
comme la capacité à être malade et à en guérir
la personne jeune et robuste en pleine gastro-entérite / le vieillard
immunodéprimé qui en ce moment n'a aucune pathologie
infectieuse mais qui succombera au premier germe
Michel Foucault
cadre : une critique de la relation pouvoir / savoir
les relations d'emprise, de pouvoir, qui s'appuient sur les
« évidences » de la domination (technique) par le savoir
application : le biopouvoir
la médecine est menacée par un modèle de pouvoir sur les corps
devenu une fin en soi, projet politique et totalitaire 6
7. sécurité
vu : « la santé/sécurité n'a pas de prix »
→ l'impression de couvercle de plomb de contraintes sanitaires-
sécuritaires (...)
alors que les comportements réels quotidiens accumulent les
prises de risque sanitaires et sécuritaires (…)
exigence sociétale forte
un peu plus suspecte que la santé ?
exigence commerciale forte
ce sont les malades qui ont une exigence de santé absolue, plus
rarement les médecins qui essaient de les en convaincre (sauf
dans certains cas, intéressants)
pour la sécurité, ce sont les « vendeurs de sécurité »,
techniciens et politiciens, qui ont une exigence de sécurité
absolue et essaie d'en convaincre leur clientèle
contra : « voilà, c'est gratuit, ça marche très bien et ça fait des
choses miraculeuses,-- ex : vidéoconférence, ou accès à toute la
musique du monde, etc. - seulement, ce n'est pas sécurisé.... »
7
8. sécurité
valeur absolue, inconditionnelle, de la sécurité
consensus implicite sur les deux étages de base de
la pyramide des besoins (Maslow) : (1) besoins
physiologiques, (2) besoin de sécurité
consensus contestable, surtout sur l'étage (2)
exemple : la sécurisation de notre habitat physique -
réalité à tous les étages / accent mis sur l'étage sécurité
par … le vendeurs de portes blindées
relativisation, applicable en informatique : la sécurité de la
porte/serrure se mesure au temps qu'il faut pour la briser
= un relatif, pas un absolu
⇒ il n’existe pas de sécurité absolue
ni de demande réelle de sécurité absolue
(une valeur, mais pas absolue)
8
9. sécurité
deux critiques du mythe de la sécurité absolue :
Michel Foucault
la volonté de contrôle total des populations est inhérente
au projet politique de l’État moderne
elle prend le relais de la mobilisation interne pour la « défense »
contre l'agression étrangère
le « sécuritaire » confond (volontairement) le bien-être du
pouvoir (la véritable fin) et le bien-être de ceux qui y sont
soumis (un simple moyen)
Danah Boyd
les possibilités « libertaires » du Web ont suscité une
contre-offensive très efficace sur l'opinion :
créer une société de la peur
le sentiment le plus directement associé au contact des
enfants avec le Web
alors que : c'est monter dans la voiture de leurs parents
qui est réellement dangereux pour eux... 9
10. fin / moyen
mythes de la santé absolue
et de la sécurité absolue ≠ valeurs
mais malheureusement contamination par l'« absolu »
repartir de bases saines en éthique, en 3 points
style aristotélicien/pragmatiste d'analyse des valeurs
point n°0 : l'action réelle / le discours de valeurs
« éthique » → ethos, le comportement réel, habituel
et délibéré
délibéré → effectuant un choix qui mentionne des valeurs
≠ discours moralisateur, sur des « principes », production
de « chartes », de textes, de recommandation, par des
comités, des experts, des sages
la différence action/discours est fondamentale ontologiquement
et éthiquement 10
11. fin / moyen
repartir de bases saines en éthique
point n°1 : les moyens et les fins (téléologie)
(un outil intellectuel simple qu'on croit connaître mais qu'on
utilise peu)
action humaine éthiquement significative → un
objectif, but, fin, raison d'agir, motif (telos)
qui n'est pas une causalité physique directe
(= la vieille question de la « liberté »)
mais : rétrécissement « technicien » de la
compréhension courante de l'action :
tout est système de moyens
= on discute pas des fins, elles sont supposées données,
connues, évidentes, non négociables
→ des « valeurs absolues » apparentes
en tout cas du point de vue du terrain d'action
11
12. fin / moyen
idée de base :
bien distinguer les discussions sur les moyens
(technique) et les discussion sur les fins (éthique)
et prendre en compte un déséquilibre structurel en
faveur des moyens
↔ un manque de ressources et de repères pour
discuter des fins
12
13. valeur
repartir de bases saines en éthique
point n°2 : la prise en compte de valeurs
(axiologie)
(des ressources et des repères sur les fins)
« prise en compte » = identification, sélection,
priorisation, réaménagement...
rappel : la dimension éthique de l'action humaine :
« mentionner » des valeurs (minimalisme extensionnaliste)
valeur ↔ fin
relation essentielle
13
14. valeur
3 types de problèmes en éthique :
1) acrasie
= savoir ce qu'il faut faire, vouloir le faire, mais ne pas
pouvoir le faire
ex : arrêter de fumer, faire du sport, etc.
2) conflit entre valeurs
ex : bienfaisance / justice
3) incompatibilité moyens / valeurs
ex : écoterrorisme
les types de problème (2) et (3) renvoient à la
« puissance » axiologique des valeurs (plus ou
moins absolues) →
14
15. valeur absolue / valeurs relatives
classique en éthique médicale : l'application d'un
principe contredit (directement ou par les moyens
employés) un autre principe
ex : principes d'autonomie et de bienfaisance
si on pose une valeur absolue
que l'on supposera bien définie quoique ne ne soit
pas le cas général
→ blocage
et encore plus si il y a plusieurs valeurs absolues
→ affrontement entre valeurs absolues
une logique de guerre sainte, croisade/jihad, face-
à-face idéologique...
= violence 15
16. valeur absolue / valeurs relatives
⇒ prendre conscience de l'intérêt de la
différence : valeurs relatives ≠ valeurs absolues
refuser la confusion : « valeurs »= absolues
« ce pour quoi on est prêt à se battre »
soupçon : et si les « valeurs absolues » étaient
instrumentalisées par une valeur honteuse mais réelle, le
goût de la violence, de l'affrontement, de la domination ?
répondre au défi : concevoir des valeurs
relatives mais éthiques quand même
ce pluralisme axiologique devient nécessaire dans
une civilisation globale
c'est la seule alternative au clash des civilisations
éthiques
directement présent dans la violence inapparente de
l'idée de « valeur absolue » 16
17. valeur absolue / valeurs relatives
bilan :
le problème principal est le blocage éthique par
l’absolu (pas la valeur, mais son statut)
= la sacralisation
source d'affrontement et de violence
le sacré instaure un régime de violence, « ce pour quoi
on est prêt à se battre, à punir, à souffrir et à faire
souffrir... »
⇒ comprendre que :
valeur ≠ valeur absolue et sacrée
→ défi : respecter sans sacraliser
17
18. valeurs en réseau
tendances récentes en éthique appliquée :
pluralisme des valeurs, priorisations personnelles,
discussion et évolution des valeurs...
≠ l'idéologie technicienne qui rétrécit notre vue et notre
compréhension
de la santé et de la sécurité
en les définissant comme des optima techniques
qui ne posent que des problèmes de moyens
mise en œuvre :
insérer la santé / la sécurité dans des systèmes de
valeurs pluralistes
réfléchir à leurs relations avec les autres valeurs et les
autres dimensions de l'existence humaine
= une généralisation technoéthique des approches la santé et de
la sécurité
négociation d'un protocole de réseau entre valeurs... 18
19. valeurs en réseau
quelles valeurs dans le réseau ?
la vie, l'autonomie, l'épanouissement, la dignité,
l'harmonie, l'évitement de la souffrance, la sérénité,
la « vie bonne » selon sa définition personnelle...
application :
cette procédure de sécurité nécessitant 4 ou 5 saisies
successives le matin d'identifiants/mot de passe (cas réel actuel)
optimise la sécurité avec les moyens dont dispose mon S.I.
aujourd'hui, mais quid en termes de réseau de valeurs
(l'autonomie, l'épanouissement, la dignité, l'harmonie, la
sérénité, la « vie bonne » selon sa définition personnelle...) ?
ce traitement (7 comprimés / jours, 1 injection / 3 jours, 1 prise
de sang / 15 jours, un bilan complet avec hospitalisation / 3
mois) donne à mon patient 53 % de chances de rejoindre
l'intervalle normal recommandé ce qui lui procurerait 6 années
QALY (Quality Adjusted Life Year), mais quid en termes de
réseau de valeurs (la vie, l'autonomie, l'épanouissement, la
dignité, l'harmonie, l'évitement de la souffrance, la sérénité, la
« vie bonne » selon sa définition personnelle...)
19
20. valeurs en réseau
bilan
je ne veux pas dire : la technologie est mauvaise ou
dangereuse
je pense exactement le contraire
je veux dire :
1) elle le devient lorsqu'elle est utilisée comme pur
système de moyens
2) c'est ce que nous faisons sans en être conscient
3) si nous ne délibérons pas sur les fins (la nature
et le statut de valeur de la santé et de la sécurité)
c'est parce que nous n'avons pas les moyens de le
faire, nous ne nous sentons pas capables de le
faire, nous n'avons pas de protocole de négociation
des valeurs
= l'urgence éthique 20