Clé de construction de la stratégie du projet pour l'#Orne
La réforme territoriale peut finir en désastre
1. La réforme territoriale peut finir en désastre.
Un objectif flou. Des voltes faces permanents. Des espoirs d’économies transformés en surcoûts ruineux. Une pagaille
démocratique inédite. Un blocage certain de l’investissement local. Un changement immédiat de cap s’impose si l’on veut que la
réforme territoriale ne finisse pas en désastre.
Un objectif flou
Pour réformer, il ne suffit pas de sauter sur son siège
comme un cabri en criant « réforme, réforme ! ».
Encore faut-il savoir où l’on veut aller. La réforme
territoriale apparait aujourd’hui plus comme un leurre à
l’adresse de Bruxelles qu’une vision claire d’une
modernisation de l’action publique. L’objectif de cette
réforme reste ambigu. S’agit-il de rendre la sphère
publique française parmi les plus performantes au
monde ou tout simplement réaliser, dans l’urgence, des
économies budgétaires ?
Des impasses évidentes
Les voies de réussite ne sont pas les mêmes selon les
deux options. Rendre l’appareil administratif français
compétitif exige, en premier, d’intégrer l’Etat dans le
processus. Il est, en France, le pivot de tout,
l’intermédiaire obligé, celui qui produit le droit, distribue
la finance, et paradoxalement encourage à la dépense.
A l’inverse, couper dans la dépense locale passe par
l’instauration de règles budgétaires, en forme de
programme interne de stabilité. La baisse des dotations
chassera la bonne dépense et encouragera la
mauvaise. Soyons lucides, sans destination claire, il
n’existe aucun chemin. Seulement des impasses. Et,
en l’espèce, on s’y enfonce à très grande vitesse.
Des conséquences économiques graves
La désastreuse méthode choisie annonce donc des
lendemains périlleux. Privées de visibilité, les
collectivités vont stopper leurs investissements,
suspendre leurs projets de fusions, de mutualisations,
se barricader derrière leurs remparts et attendre la fin
de ce quinquennat brouillon. L’économie locale
s’effondrera et les recettes fiscales avec elle. Le
bâtiment, les travaux publics alimenteront le flot du
chômage. Et le Gouvernement s’étonnera de la
conjoncture. Alors que, du coup, cette conjoncture-là
dépend principalement de lui.
Pouvait-on faire autrement ?
S’il est un endroit qui ignore tout de la France profonde
c’est bien Paris ! C’est pourtant à ce laboratoire de la
centralisation la plus caricaturale au monde qu’il a été
confié la réorganisation du Pays profond. Le résultat n’a
pas tardé : extension à toute la France du modèle de
l’Ile de France ! Penser, de sucrcroît, que trente
secondes de discours de politique générale suffiraient à
effacer quinze siècles d’histoire est caractéristique de
cette curie parisienne « d’élite, sûre d’elle-même et
dominatrice ».
L’urgence à restaurer la confiance
Le niveau de défiance atteint entre le pouvoir central et
les collectivités locales est inédit dans notre histoire.
Les préjugés et procès d’intention tiennent lieu de
diagnostic. Aucune solution n’est possible sans la
restauration de la confiance mutuelle comme préalable
absolu. Concertation, transparence, et sincérité sont les
clés d’un nouveau départ.
Associer les territoires aux choix les concernant
La France est plus habile à donner des leçons au
monde sur la nécessité de rendre les populations
maîtresses de leur destin, qu’à les pratiquer dans son
propre pays. L’idée d’associer les territoires et leurs
élus à leur organisation semble une évidence. Pas pour
les technocrates. Certes, les élus locaux sont
soupçonnables et soupçonnés de s’accrocher à leurs
schémas désuets. Mais alors, pourquoi ne pas leur
avoir donné, même un court délai, pour proposer leurs
cartes, l’organisation de leurs compétences. Le
Parlement aurait souverainement ensuite statué. Même
en 1789, les redécoupages ont été mieux concertés !
Séparer les notions de démocratie et de gestion
Comme le pire n’est jamais sûr, on pourrait imaginer un
honorable scénario de sortie. L’idée serait de séparer
complètement la notion de démocratie locale et celle de
gestion publique. Respecter la Constitution n’est-il-pas
2. le premier impératif démocratique ? Le Gouvernement
doit donc s’y soumettre.
Cesser de vouloir supprimer les départements
Ainsi il pourrait utilement, en premier pour lui-même,
cesser de prétendre décider de supprimer les
départements, ce n’est pas en son pouvoir. Ils sont un
échelon de démocratie totalement pertinent. C’est au
niveau communal qu’un choix doit être enfin opéré
entre communes et intercommunalité. Quant à la
dimension « gestion publique », instaurons un pacte
national de stabilité comportant les droits et obligations
de l’Etat et de chaque échelon territorial, en matière de
recettes, de dépenses, de solde et aussi d’organisation
de la production de biens et services publics, au
meilleur rapport coût-efficacité. Et cessons de vouloir
construire un nouveau jardin à la française du droit
régissant les collectivités. La gestion avisée nécessite
moins de droit dur que de liberté et de souplesse et
aussi de reddition des comptes.
En finir avec les affirmations fausses
L’envie de passer en force cette réforme a donné lieu
aux affirmations les plus fausses. Les économies
annoncées ont été assimilables à des manoeuvres
dolosives. C’est à une envolée des coûts à laquelle il
faudrait s’attendre. La notion de « taille critique »
n’existe pas en matière d’entités démocratiques. Elle
peine même à être démontrée en termes de gestion
publique.
Se poser plutôt les vraies questions
Comment prétendre à la nécessité de fusionner des
échelons territoriaux, au seul motif qu’ils couteraient
trop cher, en refusant de publier le montant des
dépenses imposées par l’Etat lui-même ? Pourquoi
avoir toujours refusé juridiquement aux collectivités de
mutualiser leurs services ? Pourquoi avoir sciemment
confondu territoire régional et pôle territorial
d’entrainement ? Selon quel raisonnement économique
éloigne-t-on les équipements de proximité (routes et
collèges) de leur collectivité de rattachement ?
Pourquoi ne publie-t-on pas le coût des alignements
par le haut de tous les coûts des entités fusionnées ?
Comment l’Etat peut-il prétendre savoir organiser les
administrations décentralisées quand celles
déconcentrées placées sous son autorité sont livrées à
l’abandon ?
Et si on essayait d’en sortir par l’humilité ?
Les voltes faces sur les découpages, les changements
incessants de dates d’élection et autres facéties ne se
seraient pas produits si le Gouvernement avait tenu
compte des nombreux rapports qu’il avait commandés
et des conseils qu’il avait sollicités. Sans vouloir
l’absoudre, constatons cependant que le défaut d’un
jeune gouvernement est souvent de vouloir singer ses
administrations, en se laissant enfermer sur leur terrain,
leur abandonnant le champ politique. Elles s’en
emparent immédiatement et ne tardent pas à l’utiliser à
leur profit, notamment pour y reprendre le pouvoir
perdu. Les sujets démocratiques ont grand besoin
d’urgence d’être repris en mains par les politiques. Et
les sujets économiques soumis à une réelle et
nécessaire contradiction devant des experts en gestion
publique, lesquels sont jusqu’alors très critiques. Une
sorte de grande réconciliation sur cette réforme
territoriale pourrait même être tentée. Le prochain
Congrès des Maires de France pourrait en être
l’occasion solennelle. Personne, y compris le
Gouvernement, ne devrait se sentir prisonnier de ses
positions antérieures. Le Gouvernement n’y perdrait
rien, bien au contraire. Comment expliquera-t-il à
Bruxelles qu’il a inventé une réforme pour entrainer de
nouvelles dépenses. Le seul et unique but qui doit enfin
rassembler tout le monde n’est-il-pas de retrouver une
France qui reparte et qui réussisse ?
Et si cela passait par l’humilité de chacun ?
Alain Lambert
ancien Ministre
Président du Conseil général de l'Orne