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- 1. CONSTRUIRE ET DÉVELOPPER UNE OPPORTUNITÉ
ENTREPRENEURIALE PAR LA DÉMARCHE SYNOPP
Mircea-Gabriel Chirita et al.
De Boeck Supérieur | Entreprendre & Innover
2012/3 - n° 15
pages 66 à 76
ISSN 2034-7634
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2012-3-page-66.htm
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Pour citer cet article :
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Chirita Mircea-Gabriel et al., « Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp »,
Entreprendre & Innover, 2012/3 n° 15, p. 66-76. DOI : 10.3917/entin.015.0066
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- 2. 66 /
Construire et développer
une opportunité
entrepreneuriale
par la démarche SynOpp
> Mircea-Gabriel Chirita
> Marie-Ange Masson
> Claude Ananou
Résumé
Les milieux universitaires et du conseil s’interrogent de plus en plus sur l’utilité du business plan 1
pour prédire
les chances de réussite d’un projet entrepreneurial. À une époque caractérisée par les changements rapides et
imprévisibles, il est légitime de s’interroger sur la pertinence du paradigme de la planification. Dans une pers-
pective entrepreneuriale, nous remettons en question la pertinence du business plan comme moyen à la dispo-
sition d’un porteur de projet pour présenter l’opportunité qu’il a créée et les moyens pour la mettre en œuvre.
Après avoir analysé cet outil, nous allons présenter les fondements d’une autre démarche. Ayant fait ses preu-
ves au Canada depuis plusieurs années, elle rompt avec la réflexion axée sur l’écriture d’un business plan : elle
prône l’accompagnement de l’entrepreneur dans l’action.
1 Le « business plan » est aussi mentionné par l’appellation « plan d’affaires », dans les pays francophones.
Les points forts
Les créateurs d’entreprise doivent maîtriser la notion d’opportunité.•
C’est là que se situe le cœur de la maîtrise du métier d’entrepreneur.
La démarche SynOpp, pratiquée au Canada, est à la fois holistique,•
heuristique et itérative, tout en favorisant la synchronicité des événements.
Au fur et à mesure de son avancement, le porteur du projet doit être•
capable de porter sur lui-même un regard critique en se demandant
systématiquement s’il est le bon entrepreneur, avec le bon projet, au bon
endroit et au bon moment.
Le plan d’affaires, vol. 3 (15), 2012
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- 3. Entreprendre Innover / Novembre 2012 / 67
Mircea-Gabriel Chirita, Marie-Ange Masson et Claude Ananou
L’histoire de l’utilisation de la planifica-
tion, surtout pour l’obtention du finan-
cement, n’est pas si récente que nous
l’imaginons. L’historien Fernand Braudel 2
a montré que les marchands de Venise, à
la Renaissance, préparaient des budgets
prévisionnels afin d’évaluer leurs chances
de succès et pour négocier le financement
de leurs expéditions. C’était le début
d’une nouvelle époque pour Venise : le
commerce maritime prenait son essor, le
capital circulait vite (rotation de six mois
à un an). L’accessibilité au crédit était
grande, car les gens disposés à investir
étaient nombreux.
Cependant, l’époque glorieuse de la pla-
nification commence après la Deuxième
Guerre mondiale. Déjà en Union Soviéti-
que, l’encadrement de l’économie natio-
nale par l’État, instauré depuis 1921 sous
le nom de Gosplan, permet au pays d’ob-
tenir des résultats économiques enviables.
Au fur et à mesure, la planification fascine
et rassure les milieux politiques et d’affai-
res par une sorte de sécurité qu’elle four-
nit. La France et d’autres pays européens
se montrent intéressés par la planification
économique.
Parallèlement, le monde de l’entreprise
commence à s’intéresser lui aussi à la pla-
nification à long terme, traduite en objec-
tifs fixés par les actionnaires et dirigeants
(chiffre d’affaires, bénéfices, part de mar-
ché), en programmes d’action et en bud-
gets pour réaliser ces buts et actions.
Les origines du business plan
Dans ce contexte fortement favorable à
la planification de l’activité économique,
2 Braudel, Fernand, La mer, sous la direction de Fer-
nand Braudel, La Méditerranée. L’espace et l’histoire. Les
hommes et l’héritage, Paris, Flammarion, France Loisirs,
1985.
quelques auteurs, dont Igor Ansoff (1965)
et Kenneth Andrews (1971) proposent de
transposer la planification à la stratégie
d’entreprise. Dans son livre le plus popu-
laire, Corporate Strategy (1965), Ansoff
essaye de formaliser les orientations stra-
tégiques de la firme par des plans stratégi-
ques à travers des objectifs, des budgets et
des programmes d’action à court, moyen
et long termes, par domaines d’activités
et fonctions. Après une courte période
de gloire, suite aux soubresauts du mar-
ché pétrolier et les crises subséquentes,
la planification stratégique commence à
décliner au début des années `80. Les pro-
cédures formelles, quel que soit leur degré
de complexité, s’avèrent plutôt inutiles
face à un environnement de plus en plus
instable. Le terme « planification straté-
gique », à connotation trop rigide, est
délaissé et on commence à parler plutôt
de « gestion stratégique ».
Cependant, la planification reste très
séduisante et rassurante pour ceux qui
traitent avec les PME. Sans tenir compte
du fait que les PME ne bénéficient que
de ressources limitées et ont très peu de
contrôle sur leur environnement, parti-
culièrement en phase de démarrage, les
milieux bancaires et financiers leur impo-
sent les outils et les processus stratégi-
ques de la grande entreprise.
La planification en contexte de PME porte
ainsi un nom emprunté aux pratiques des
États et des grandes entreprises, soit un
dérivé des outils de la planification stra-
tégique communément appelé « business
plan ».
L’hégémonie du business plan
Rapidement, l’omniprésence de la pla-
nification amène les milieux bancaires,
financiers, d’affaires, institutionnels et
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- 4. 68 /
Dossier : Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp
universitaires à adopter le business plan
comme un standard, y compris pour le
démarrage d’entreprises. On commence
à enseigner les plans d’affaires dans les
cours d’entrepreneuriat des collèges et
universités, alors que ces institutions ont
avant tout été créées pour former des
cadres.
De nos jours, de nombreux livres et bro-
chures proposent des modèles et des
informations sur les meilleures façons
de rédiger un business plan. En outre,
maints outils interactifs conçus pour aider
les entrepreneurs à préparer un business
plan peuvent être trouvés sur le Web. Une
simple recherche sur Google 3
nous mon-
tre 44 600 000 résultats pour l’expression
« business plan », 1 030 000 pour « busi-
ness plan template » et 665 000 pour
« how to write a business plan ». Les écrits
francophones sont eux aussi foisonnants -
662 000 résultats pour « plan d’affaires »
et cinq fois plus pour « business plan »
(sites en français).
On en arrive à affirmer que le business plan
est un outil « incontournable » en matière
d’entrepreneuriat (Laguecir et Colas 4
).
Selon ces deux auteurs, le business plan
est en quelque sorte devenu un « must
culturel » indispensable à la réussite d’un
projet de création d’entreprise.
Selon Armstrong 5
, l’enthousiasme pour
le business plan découle de l’engouement
général pour la planification, car elle
donne l’assurance de pouvoir éliminer les
conjectures du hasard, en particulier en
3 Recherche effectuée en juillet 2012.
4 Laguecir (Azziza) et Colas (Hervé) « Des Modes d’utili-
sation du Business Plan », Cahiers de recherche BEM Bor-
deaux Management School, 2007.
5 Armstrong (J. Scott), “The value of formal planning for
strategic decisions: Review of empirical research”, Strate-
gic Management Journal, 3, 1982, p.197-211.
ce qui a trait aux prévisions budgétaires
des organisations.
D’ailleurs, la philosophie du business plan
reprend les principes de la planification
stratégique : définir a priori la mission de
l’entreprise, ses buts et objectifs à attein-
dre explicités à partir de données chif-
frées, l’évaluation des forces et faiblesses
de l’entreprise et du promoteur, l’analyse
du prix de revient ainsi que des prévisions
financières découpées par années, voire
par trimestres ou mois pour la première
année d’opération de l’entreprise à naî-
tre.
La démarche SynOpp
Comme nous venons de le voir, il existe
une emprise du business plan en entre-
preneuriat, bien que certains considè-
rent qu’il retarde les entrepreneurs dans
la mise en place de leur projet et consti-
tue une barrière à l’envie d’entreprendre.
C’est pourquoi il nous paraît important de
réfléchir à d’autres pistes pour renforcer
l’esprit entrepreneurial dans le processus
de création d’entreprise tout en tenant
compte de la perspective des banquiers
et des investisseurs, du corps enseignant
et des accompagnateurs des porteurs de
projets.
Notre travail auprès des créateurs d’entre-
prise nous a appris l’importance de mieux
préparer ces derniers à la maîtrise de la
conception d’opportunité, car c’est là que
se situe le cœur de la maîtrise du métier
d’entrepreneur. Nous nous penchons
ci-après sur une approche de ce type, la
démarche SynOpp 6
.
6 Dans Filion (Louis Jacques), Ananou (Claude), Schmitt
(Christophe) De l’intuition à l’action entrepreneuriale :
Créer son entreprise sans business plan, Eyrolles, Paris,
2012, 319 pages.
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- 5. Entreprendre Innover / Novembre 2012 / 69
Mircea-Gabriel Chirita, Marie-Ange Masson et Claude Ananou
Nous présentons également les témoigna-
ges de plusieurs consultants et accom-
pagnateurs en création d’entreprise
concernant la pertinence du chemine-
ment SynOpp comme alternative au plan
d’affaires.
La philosophie de la démarcheŰŰ
Au lieu d’être centrée sur la planification
des activités futures, la démarche SynOpp
se concentre sur l’individualité de l’entre-
preneur et l’unicité de son projet dans le
processus de construction des opportu-
nités. La démarche vise à aider les entre-
preneurs à transformer leur intuition d’un
besoin en opportunité d’affaires. Dans les
plans d’affaires traditionnels, l’accent est
mis sur le développement d’un produit
ou d’un service pour répondre à une soi-
disant opportunité saisie sur le marché.
Cependant, une opportunité d’affaires ne
se trouve pas dans la nature, attendant
qu’elle soit découverte. L’entrepreneur
la crée, la construit, la développe à par-
tir d’une première intuition d’un besoin.
Une opportunité d’affaires se situe au
confluent d’un ensemble d’éléments qui
caractérisent un entrepreneur – son intui-
tion, ses compétences, ses centres d’inté-
rêt, ses ressources – et l’environnement
dans lequel il évolue : contacts, marché,
offre et demande, législation et autres.
Les quatre piliersŰŰ
de la démarche SynOpp
La démarche SynOpp trouve ses fonde-
ments théoriques dans les critiques qui
ont été adressées au business plan tra-
ditionnel. Nous allons présenter ses fon-
dements, regroupés en quatre piliers sur
lesquels la démarche s’appuie.
L’aspect holistique
Comme nous venons de le voir, la créa-
tion d’une opportunité d’affaires nécessite
l’adéquation entre le projet, l’entrepreneur
et son environnement. Dans un même
environnement, avec des informations
identiques, au même moment, deux
entrepreneurs construisent des opportu-
nités différentes, dépendamment de leurs
perceptions, de leurs compétences, de leur
intuition, de leur esprit entrepreneurial, de
leurs ressources, etc. Le profil de l’entrepre-
neur, le projet en cours et l’environnement
sont interdépendants et s’influencent réci-
proquement. Pour assurer la cohérence de
la démarche entrepreneuriale, ces trois
variables doivent toujours être en adéqua-
tion : être la bonne personne, avec le bon
projet, au bon endroit, au bon moment.
L’aspect heuristique
L’heuristique 7
est un terme qui signifie
« l’art d’inventer, de faire des découver-
7 Heuristique vient du grec ancien εὑρίσκω, eurisko,
« je trouve ». Heuristique partage la même racine que le
verbe « eureka » qui signifie « trouver ».
Encadré 1 – La démarche SYNOPP
La démarche SynOpp a été créée en 2007
par un des auteurs de ce texte, Claude
Ananou, maître d’enseignement à HEC
Montréal (Canada), en collaboration
avec des organismes d’aide aux entre-
preneurs québécois (Centre Locaux de
Développement du Québec). Cette initia-
tive s’inscrit dans la tendance de remise
en question du business plan.
SynOpp (de « Syn », du grec « sun », qui
se traduit par « avec », « ensemble »,
« faire le lien entre des choses », et
« Opp » pour « opportunité ») consiste
en une démarche pour créer une oppor-
tunité dans l’action, en faisant le lien
entre l’intuition de l’entrepreneur, les
caractéristiques de ce dernier et les élé-
ments de son environnement (ressour-
ces, événements, etc.).
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Dossier : Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp
tes ». Une faiblesse importante du busi-
ness plan résulte de son usage parfois
exclusif en tant que guide de la création
d’entreprise. Pourtant, il ne suffit pas,
pour démarrer une entreprise, de rédiger
un business plan. L’entrepreneur doit être
toujours prêt à remettre en cause et/ou
abandonner les hypothèses initiales de
son projet, suite aux découvertes qu’il a
faites sur le terrain.
L’aspect itératif
Créer un projet entrepreneurial, c’est s’en-
gager dans une démarche à plusieurs éta-
pes, qui n’est pas toujours linéaire. Pour
démarrer l’entreprise, l’entrepreneur pro-
cède à un ensemble de réflexions, déci-
sions et actions (pas toujours dans cet
ordre), de manière itérative (voir figure 1
ci-dessous). C’est pourquoi la démarche
SynOpp considère l’itération du processus
entrepreneurial comme un élément clé,
alors que le business plan traditionnel
fournit une vision du projet comme une
évolution linéaire. Pourtant, dans une
start-up il est rare qu’un business plan
« survive » au premier contact avec les
clients (Filion et coll., 2005) 8
.9
8 Filion (Louis Jacques), Borges (Cândido) et Simard
(Germain) Création d’entreprises : examen de la documen-
tation. Montréal : HEC Montréal, Chaire d’entrepreneuriat
Rogers - J.-A.-Bombardier, 2005.
9 Source : Filion (Louis Jacques), Ananou (Claude),
Schmitt (Christophe) De l’intuition à l’action entrepreneu-
riale : Créer son entreprise sans business plan, Eyrolles,
Paris, 2012, 319 pages.
Figure 1 : Les trois composantes du processus entrepreneurial itératif (RDA) 9
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Mircea-Gabriel Chirita, Marie-Ange Masson et Claude Ananou
À différentes étapes de son projet, l’entre-
preneur peut mener une réflexion préala-
ble afin d’émettre des hypothèses quant
aux facteurs susceptibles d’influencer
son projet. Ainsi, il découvre les interac-
tions entre son profil, l’environnement et
son projet. L’entrepreneur explore com-
ment ancrer son intuition dans l’environ-
nement, afin de la transformer en une
opportunité.
L’apprentissage itératif au fil du processus
constitue les fondements des décisions
que l’entrepreneur va prendre au fur et à
mesure de sa progression. C’est d’ailleurs
là que se situe l’apprentissage de la base
de son métier d’entrepreneur : comprendre
des besoins, créer des opportunités et pas-
ser à l’action pour les mettre en œuvre.
Les hypothèses que l’entrepreneur pose
durant le processus de RDA ne sont pas sta-
tiques ; l’entrepreneur doit alors fréquem-
ment évaluer leur pertinence : sont-elles
correctes ? Doivent-elles être ajustées ou
abandonnées ? Cela lui permet de véri-
fier le bien-fondé de son projet à chaque
étape.
La synchronicité
Souvent, les éléments constitutifs d’une
opportunité n’ont pas de relation de cause
à effet. Pourtant, l’entrepreneur réussit à
leur donner un sens grâce à la manière par-
ticulière dont il les perçoit, selon son état
d’esprit et sa créativité. Nous pouvons dire
qu’un projet de démarrage présente une
certaine synchronicité 10
de l’entrepreneur
avec son environnement.
Étant donné que le projet entrepreneurial
dépend des perceptions de son porteur
(c.-à-d. de sa subjectivité), face à l’appa-
rition d’événements et de leur fréquence,
deux facteurs, que l’entrepreneur est en
mesure d’influencer, peuvent favoriser
la création d’une opportunité d’affaires.
D’une part, les perceptions propres à l’en-
trepreneur représentent le premier levier
d’influence. En modifiant son état psy-
chologique, son ouverture d’esprit sur le
monde, sa manière d’être, l’entrepreneur
peut percevoir les choses différemment,
tel qu’il les agence autrement, qu’elles
alimentent son projet et le favorisent.
D’autre part, en posant des actions, même
anodines, l’entrepreneur peut modifier la
configuration de l’environnement et créer
de nouveaux événements, bien souvent
disparates. L’entrepreneur modifie ainsi
la configuration et augmente le rythme
d’apparition des événements. Les occa-
sions de créer des opportunités sont donc
plus fréquentes.
Ces quatre piliers nous montrent comment
les projets de démarrage d’entreprise sont
envisagés dans la démarche SynOpp. Nous
allons maintenant essayer de comprendre
comment un entrepreneur peut créer une
opportunité selon une démarche holisti-
que, heuristique et itérative, tout en favo-
risant la synchronicité des événements
(voir figure 2 ci-dessous).
10 Selon Carl Gustav Jung, la synchronicité désigne l’oc-
currence simultanée d’au moins deux événements qui ne
présentent pas de lien de causalité, mais dont l’associa-
tion prend un sens pour la personne qui les perçoit.
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Dossier : Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp
Figure 2 : La spirale de création d’une opportunité selon la démarche SynOpp 11
Le schéma ci-dessus montre également les
différentes étapes de la démarche SynOpp
que nous présentons dans l’encadré sui-
vant :
La démarche SynOpp
et les consultants en création
d’entreprise
Afin d’arriver à proposer un outil qui
représente une alternative au business
11 Source : Filion (Louis Jacques), Ananou (Claude) et col-
laborateurs De l’intuition au projet d’entreprise. Éditions
Transcontinental, Éditions de la Fondation de l’entrepre-
neurship et Presses HEC Montréal, 2010, 517 p.
plan, nous avons testé la pertinence de
ses fondements théoriques. Pour ce faire,
nous avons formé un échantillon repré-
sentatif de huit personnes qui sont des
experts du milieu de l’éducation en entre-
preneuriat, de l’économie sociale, de l’in-
novation, de l’entrepreneuriat féminin,
etc.
Nous leur avons demandé de se prononcer
sur les quatre piliers de la démarche : les
aspects holistique, heuristique, itératif et
la synchronicité.
Nous avons organisé les paragraphes
suivants selon l’importance relative de
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- 9. Entreprendre Innover / Novembre 2012 / 73
Mircea-Gabriel Chirita, Marie-Ange Masson et Claude Ananou
chaque pilier dans le discours des partici-
pants. Comme nous allons le voir, l’aspect
holistique est clairement le plus abordé.
Viennent ensuite les approches heuristi-
que et itérative. La synchronicité du pro-
cessus est finalement peu citée.
Les commentaires nous permettent de
croire que la démarche SynOpp retient
l’attention des experts en entrepreneu-
riat. Une analyse plus approfondie du
discours des participants nous permet de
dire que l’échantillon approuve la philo-
sophie du cheminement SynOpp bien que
le pilier « synchronicité » ne suscite pas
d’engouement particulier. Cela veut-il dire
qu’il n’est pas pertinent ? Si nous suivons
le raisonnement de l’un des intervenants,
il n’est pas utile d’inclure ce pilier, car il
ne se distingue pas suffisamment des
trois autres : comme nous l’avons vu, il
est implicitement exprimé dans le proces-
sus heuristique organisé autour du tripty-
que entrepreneur-environnement-projet.
Ce n’est pas pour autant que le concours
de concomitances ne soit pas pertinent
pour le processus de création d’entre-
prise. Selon Jung 12
, les découvertes sont
souvent dues à des synchronicités.
Les commentaires des consultants en
entrepreneuriat nous montrent que la
démarche SynOpp vient combler certaines
des faiblesses du business plan qui ont été
aussi remarquées par nos interlocuteurs.
Ceci étant dit, nous ne nous sommes pas
contentés de ces résultats :
Tout d’abord, nous avons essayé de mieux
articuler le quatrième pilier (c.-à-d. la syn-
chronicité) de la méthode SynOpp. Ainsi
on a ajouté le concept de la sérendipité 13
qui est, à notre avis, fondamentale dans le
cheminement entrepreneurial puisqu’elle
ouvre de nouvelles voies à exploiter pour
l’entrepreneur (voir encadre 3 ci-dessous).
12 Dans Pauli (Wolfang) et (Jung Carl Gustav), Correspon-
dance 1932-1958, trad. Françoise Périgault, Albin Michel,
2000.
13 La sérendipité représente une rencontre fortuite, une
découverte inattendue ou toute autre trouvaille sur-
prenante, ayant un impact sur le projet ou menant à la
conception de nouveaux projets
Encadré 2 : Les étapes de la démarche SynoPP
Dans un premier temps, l’entrepreneur s’engage dans la création d’une entreprise, car il a
l’intuition que certaines personnes ressentent un besoin qui n’est pas totalement comblé
(étape 1 « besoin détecté »). Cette intuition correspond à un mélange très subjectif d’intérêts,
d’intellect, de compétences, de besoins personnels, de perceptions, d’expérience, etc. À par-
tir de cette intuition, dans une dynamique de synchronicité, l’entrepreneur se place en tant
que catalyseur d’un ensemble d’éléments disparates. Il crée ainsi une opportunité située au
confluent de certaines de ses caractéristiques – son intuition, ses compétences, ses comporte-
ments, ses centres d’intérêt, etc. – et de l’environnement dans lequel il évolue – ses contacts,
le besoin, le marché, l’offre et la demande, etc. (étape 2 « avantages prépondérants »).
L’entrepreneur réussit à donner un sens à cet ensemble varié pour concrétiser progressive-
ment son intuition en opportunité entrepreneuriale (étape 3 « solution potentielle »). Cette
solution doit avoir un potentiel de marché suffisant (étape 4 « adeptes »).
L’entrepreneur doit ensuite prendre conscience du contexte d’incertitude et estimer s’il est
prêt à y faire face (étape 5 « risques et incertitudes »). Dans un dernier temps, il concrétise ces
étapes par l’amorçage du projet et la définition d’activités de gestion à court terme (étapes 6
« amorçage » et 7 « propagation »).
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Dossier : Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp
Par la suite, étant donné que la validation
auprès des professionnels du domaine a
suscité l’intérêt des milieux institution-
nels et d’affaires, la philosophie de la
démarche SynOpp a été formalisée dans
un guide opérationnel (le dossier d’oppor-
tunité), utilisé à la fois dans les cours de
création d’entreprise à HEC Montréal et
par certains centres locaux de développe-
ment du Québec sous le nom d’« appro-
Les piliers de la
démarche SynOpp
Témoignages
Aspect
holistique
« La plus grande force de SynOpp est de lier le projet et l’entrepreneur
avec l’environnement tout au long du processus ».
La démarche holistique interpelle un des intervenants puisqu’elle se rap-
proche de sa pratique. En effet, il explique le concept de risque à ses en-
trepreneurs par une approche holistique : le risque pesant sur la survie
d’une entreprise dépend du risque technologique (le projet), du risque
de marché (environnement) et du risque d’exécution (management).
Aspect
heuristique
La démarche SynOpp permet à l’entrepreneur de « raconter son histoire
et de se remettre en question continuellement ».
« Personne n’aura jamais toutes les réponses, il y aura toujours une
incertitude, mais il ne faut pas avoir peur de soulever les faiblesses de
notre propre projet. » Cela permet à l’entrepreneur « d’être réaliste, au
final. »
Aspect
itératif
« Une entreprise part d’une idée qui progresse et puis à chaque fois
que t’en apprends plus sur le projet, sur l’opportunité, sur la taille du
marché, sur l’environnement, l’équipe, la technologie ou le produit, t’as
deux choix : est-ce que tu continues ou tu arrêtes ? »
« Si on trouve tout de suite les réponses, soit on est dans un environne-
ment extraordinairement simple, ou, et plus probablement, on ne s’est
pas encore posé les bonnes questions ».
« Il vaut mieux parfois faire un retour en arrière avant que tout soit
coulé dans le béton » :
Synchronicité La synchronicité a été peu remarquée par nos interlocuteurs. Selon l’un
d’eux, la synchronicité « devrait être intégrée au processus holistique ».
Tableau 1 : L’avis des experts sur les piliers de la démarche SynOpp
Pilier Nombre de participants ayant :
évoqué le pilier, avant que
la démarche SynOpp
leur ait été présentée
octroyé de l’importance au pilier,
après que la démarche SynOpp
leur a été présentée
Holistique 3 6
Heuristique 2 2
Itératif 1 4
Synchronicité 0 0
Tableau 2 : Synthèse de la présence des piliers dans le propos des experts, en fonction
de l’avancement de l’entrevue
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- 11. Entreprendre Innover / Novembre 2012 / 75
Mircea-Gabriel Chirita, Marie-Ange Masson et Claude Ananou
che d’accompagnement d’affaires par
opportunité - A20 »
Comment peut-on renforcer l’esprit entre-
preneurial en contexte de création d’entre-
prise, c’est-à-dire aider les entrepreneurs à
transformer leur intuition en opportunité
d’affaires ? Comment faire pour que la
rédaction d’un business plan ne soit pas
décourageante pour les porteurs de pro-
jets ? Comment s’assurer que l’entrepre-
neur puisse démontrer la cohérence de
son projet avec sa personnalité et l’envi-
ronnement ? 14
L’alternative au plan d’affaires tradition-
nel que nous proposons répond à ces
questions par l’accompagnement de l’en-
trepreneur dans l’action. Ainsi, la philoso-
phie de la démarche SynOpp prône qu’une
opportunité d’affaires est conçue par un
entrepreneur à partir d’une intuition. La
réflexion n’est pas pour autant mise de
côté. En effet, l’entrepreneur envisage
14 Kaufman (Henri), Wargnier (Xavier) et Bussy (Stéphane)
Carnets de Sérendipité - trouvez ce que vous ne cherchez
pas !, Paris : Éditions KAWA, 2010, 208 p.
des hypothèses relatives à certains points
clés, en fonction desquelles il décide de
continuer sa démarche entrepreneuriale
par de petites actions cohérentes avec le
développement de son projet. Ainsi, l’en-
trepreneur se familiarise avec son envi-
ronnement et monte son projet. Au fur
et à mesure de son avancement, il est
capable de porter un regard critique sur
son projet en se demandant systémati-
quement : « Suis-je le bon entrepreneur,
avec le bon projet, au bon endroit et au
bon moment ? ».
La démarche SynOpp devrait être plus
motivante pour un entrepreneur qu’un
business plan, puisqu’il entre dans un
processus d’apprentissage de son projet :
il devrait mieux comprendre la dynami-
que du démarrage de son entreprise et
ainsi personnaliser, s’approprier la démar-
che. Cependant, cette motivation ne sera
pas intuitive. Ici intervient le rôle de des
experts, car, grâce à eux, les promoteurs
devraient apprendre le métier d’entrepre-
neur.
Encadré 3 – La sérendipité et la création d’Entreprise
La définition de la sérendipité est la découverte heureuse d’une chose totalement inatten-
due et d’importance capitale, souvent alors qu’on cherchait autre chose. Selon Henri Kauf-
man, auteur du livre « Carnets de Sérendipité »14
(2010), il s’agit d’un concept simple qui
nécessite intelligence, intuition, créativité et synchronisation, et surtout ne pas avoir peur
du hasard. Pour un entrepreneur, la sérendipité représente l’exploitation créative de l’inat-
tendu qui peut l’aider à créer la rupture sur un marché. Dans leur démarche les entrepre-
neurs devraient se laisser porter par la sérendipité, accepter l’imprévu et le risque, et réagir
rapidement aux opportunités, car : ceci est le secret des entrepreneurs qui réussissent. Il est
reconnu chez les entrepreneurs à succès que ce facteur ait souvent été la clé de réussite de
leur projet ou du moins du non-échec de leur projet.
La sérendipité ne peut apparaître que dans l’action et non dans la réflexion. La sérendipité
est associée à la créativité, sauf que dans ce cas la créativité vient de l’extérieur. Il faut agir
rapidement pour récupérer la créativité accidentelle causée par les circonstances, la chance
ou même l’erreur.
Un exemple très connu de sérendipité est la récupération stratégique par Pfizer du Viagra
d’une découverte faite par hasard lors des essais cliniques d’une molécule destinée à traiter
l’hypertension.
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- 12. 76 /
Dossier : Construire et développer une opportunité entrepreneuriale par la démarche SynOpp
Face à l’hégémonie du business plan
et son importance dans la pratique des
conseillers, ceci constitue le défi le plus
grand pour l’adoption du cheminement
SynOpp en tant que guide aux projets de
démarrage d’entreprise.
Mircea-Gabriel Chirita est candidat au PH.D. à HEC
Montréal.
Marie-Ange Masson est diplômée d’une maîtrise
en sciences de gestion de l’Université Paris-Dau-
phine et M.Sc. de HEC Montréal)
Claude Ananou est maître d’enseignement à HEC
Montréal.
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