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La phrase en contexte :
grammaire et textualité
Luciana T. Soliman
Sophie Saffi
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Prima edizione: xxxxxxxxxx 2023
ISBN 978 88 5495 XXX X
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Volume pubblicato con il contributo del Dipartimento di Studi Linguistici e
Letterari dell’Università degli Studi di Padova.
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Table des matières
Introduzione
Louis Begioni
Alvaro Rocchetti
L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux
langues romanes ; comparaison avec les langues agglutinantes
et isolantes 11
Luciana T. Soliman
Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 27
Sophie Saffi
La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée
en français et en italien 47
Mohammed Nabih
De l’organisation compositionnelle du discours médiatique
électronique 91
Guy Achard-Bayle
Ondřej Pešek
La phrase en cotexte et la hiérarchie des unités mésotextuelles 121
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6 La phrase en contexte : grammaire et textualité
Thomas Franck
Quand citer c’est faire. Analyse de la doxa existentialiste à
partir de ses citations décontextualisées 161
Francesco Parisi
Le Schizo et les langues : la frase tra letteratura, linguistica e
filosofia 177
Houda Landolsi
Le Rassemblement National et les prénoms.
Construction du sens intégral dans le discours sur la
francisation des prénoms : une affaire de… contexte ? 201
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 6 23/06/2023 11:58:43
Introduction
Dans la perspective psychomécanique qui nous occupe de près, le
rapport langue/discours est généralement centré sur les mots et leurs
éléments formateurs, mais l’observation des faits de discours garde
une importance remarquable dans la démarche méthodologique de
Gustave Guillaume (1883-1960). Certes, la théorie de Guillaume, ins-
crite dans le cadre de la linguistique structurale, ne va pas au-delà de
la phrase, au point que l’idée de texte est pour le moins décevante.
C’est la linguistique textuelle des années 1970 qui prendra en compte
l’enchaînement de groupes plus vastes que la phrase et qui examinera
les relations existant entre ces groupes et leur contexte. Les remarques
sur quelques faits grammaticaux isolés demeurent pourtant gravées
dans les raisonnements des linguistes intéressés par certains segments
récursifs du texte. Si ce n’est pas un système de contraintes relatif à la
phrase et à sa continuité qui définit l’ensemble, l’exploration en long
et en large de la structure du texte et de ses propriétés intrinsèques
peut conduire au dévoilement de la cohérence et de la cohésion obser-
vées à travers le grand angle du contexte. Cette dernière notion, que la
linguistique théorique a souvent négligée, mais que Guillaume a ébau-
chée dans sa célèbre contribution sur le problème de l’article de 19191
,
intègre – ou mieux éclaire – l’interprétation linguistique et textuelle
1
Guillaume, G. (1975 [1919]) : Le problème de l’article et sa solution dans la langue
française, préface de Roch Valin, Paris/Québec, Nizet/Les Presses de l’Université Laval.
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8 La phrase en contexte : grammaire et textualité
en permettant de profiter des informations données par l’environne-
ment linguistique, voire celles qu’offrent la situation socio-discursive
ou le patrimoine culturel partagé par les co-énonciateurs, dans le but
de comprendre certains usages ou certaines régularités du discours.
Pour nous, la portée discursive et textuelle des faits de langue « en
action » est tangible dans les domaines de la narratologie, de la sty-
listique, sans compter les territoires fort complexes de la sémiotique.
Mais toute textualité répondant à une visée globale du sujet écrivant/
parlant et puisant à une situation socio-discursive déterminée peut
posséder une cohésion et une cohérence valables.
Le présent recueil, qui a pour but de théoriser ou de décrire les
aspects grammaticaux, stylistiques et compositionnels des textes,
s’ouvre sur la contribution de Louis Begioni et Alvaro Rocchetti qui
développent une réflexion importante sur l’ordre des mots. Ils exa-
minent l’unité-phrase en étudiant le passage du latin aux langues ro-
manes, sans négliger la comparaison avec les langues agglutinantes et
isolantes. Leur étude s’avère productive dans la mesure où elle permet
de saisir la portée des variations dans le temps de l’agencement syn-
taxique au sein de la phrase. Intéressée par la texture micro-linguis-
tique du texte, Luciana T. Soliman examine et inventorie les formes
verbales voici/voilà et leurs fonctions dans un corpus de légendes en
français en décodant les paramètres clés de ces deux anciens « pré-
sentatifs ». Afin de ne pas limiter la notion de texte au champ linguis-
tique, Sophie Saffi explore une bande dessinée en montrant d’abord
les caractéristiques distinctives de ce discours iconotextuel, et en révé-
lant ensuite la complémentarité des textes et des dessins. Après avoir
décrit les constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies
et les bulles, elle revisite de manière novatrice le découpage d’un scé-
nario de BD selon l’organisation séquentielle d’un texte conçue par
Jean-Michel Adam. C’est grâce au même modèle d’analyse de départ
que Mohammed Nabih examine les pratiques discursives du journa-
lisme numérique en identifiant d’emblée une hétérogénéité qui marque
le discours médiatique en ligne : les séquences narratives, descriptives,
argumentatives et explicatives se combinent jusqu’à s’imbriquer dans
un rapport hiérarchique variable. Guy Achard-Bayle et Ondřej Pešek,
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 8 23/06/2023 11:58:43
Introduzione 9
quant à eux, vérifient le passage de la phrase au texte et définissent le
niveau mésotextuel. Ils creusent les questions liées à la diversité et à
la quantité des unités intermédiaires pour se pencher ensuite sciem-
ment sur le trouble existant entre période et macroproposition, entre
séquence et paragraphe. Pour ce qui est de la contribution de Thomas
Franck, qui s’inscrit dans la linguistique pragma-énonciative, elle ex-
ploite le discours existentialiste d’après-guerre afin de témoigner de la
manière dont la force des citations de ce type de discours en porte-à-
faux entre le littéraire et le philosophique est déformée par son emploi
hors contexte, valorisant ainsi la plénitude du sens contextuel d’un
acte de parole. Le rapport étroit existant entre la phrase et le contexte
est également supposé par Francesco Parisi, qui examine de près les
particularités de l’énoncé « schizophrénique » dans un roman auto-
biographique d’élite. Pour conclure, Houda Landolsi se concentre
sur le discours politique de l’assimilation en prônant un décryptage
textuel fondé non seulement sur les données condensées entre les
frontières du texte, mais aussi sur ces données que l’on trouve en de-
hors du discours et précisément aux niveaux inter- et extra-discursif
en vue de découvrir les mécanismes sociétaux gouvernant le rapport
entre le dit et le non-dit.
Luciana T. Soliman
Università di Padova
Sophie Saffi
Aix-Marseille Université
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin
aux langues romanes ; comparaison avec les langues
agglutinantes et isolantes
Louis Begioni
Università degli Studi di Roma Tor Vergata, Université de Lille
Alvaro Rocchetti
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
Lorsqu’on observe de près l’évolution des langues romanes1
, de-
puis le latin jusqu’à nos jours, on est constamment mis en présence de
déplacements dans l’ordre des mots qui vont pratiquement toujours
dans le même sens : on est passés, par exemple, d’une langue mère
que l’on qualifie de « flexionnelle », avec des déclinaisons à la finale
de ses substantifs et des désinences à la fin de ses verbes, à des langues
filles qui les ont réparties différemment. Ces flexions sont réduites ou
remplacées dans les langues romanes, pour le substantif, par des élé-
ments anticipés (articles et nouvelles prépositions) et, pour le verbe,
partiellement ou totalement, selon la langue – moins systématique-
ment toutefois que dans le cas du substantif –, par des auxiliaires, eux
aussi anticipés, et dans l’une des langues romanes (le français), par des
pronoms personnels anticipés « liés ». Toutes les langues romanes ne
sont pas au même stade d’évolution, mais la tendance à l’anticipation
des marques morphologiques est commune.
Dans un premier temps nous étudierons l’anticipation des marques
morphologiques du substantif et du verbe, puis les mouvements au ni-
veau de la phrase qui concernent plus directement le plan syntaxique
comme par exemple l’anticipation de la conjonction pour les propo-
1
Le présent article se fonde sur les positions défendues ailleurs par Begioni (2012),
Begioni et Rocchetti (2010, 2013, 2015, 2019) et Rocchetti (1980, 2005).
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 11 23/06/2023 11:58:43
12 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
sitions subordonnées. Nous porterons une attention particulière pour
la remontée du verbe de la fin de la phrase – position qui caractérise
les langues agglutinantes – à la seconde place après le sujet – plutôt ca-
ractéristique des langues flexionnelles – afin d’interpréter l’évolution
générale du fonctionnement systémique des langues romanes.
1. Les anticipations au niveau du substantif et du verbe
Le mouvement d’anticipation qui touche à la fois le substantif et
le verbe se traduit par un processus de démorphologisation. Pour le
substantif, la morphologie générale du genre et du nombre n’est plus
portée par le nom lui-même : elle est transférée sur un mot gramma-
tical antéposé et étroitement lié à lui. Pour le verbe, on peut observer
un mécanisme analogue pour toutes les langues romanes, avec l’antici-
pation de l’auxiliaire aboutissant à la démorphologisation de l’aspect.
1.1. Au niveau du substantif
Dans toutes les langues romanes, l’anticipation concerne à la fois
les morphèmes grammaticaux du genre et du nombre, mais aussi, dans
une moindre mesure, les morphèmes lexicaux comme les suffixes.
1.1.1. L’anticipation de la morphologie du genre et du nombre
On peut constater que toutes les langues romanes passent par
une phase où la double morphologie est présente : elles conservent la
marque post-nominale du genre et du nombre, tout en ayant anticipé
– sauf pour l’article défini du roumain qui est postposé au substantif –
ces mêmes marques sur un déterminant qui peut être un article, un
adjectif démonstratif, un adjectif possessif. C’est le cas, à ce stade,
de toutes les langues romanes, y compris de l’ancien français. Mais,
dans cette dernière langue, la morphologie nominale du pluriel ne
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 13
distingue pas le masculin du féminin au cas régime. Or, comme c’est
le cas régime qui sera généralisé dans la phase ultérieure, cela explique
que le français ne distingue pas le genre au pluriel. Du moyen fran-
çais au français d’aujourd’hui, l’anticipation est devenue totale dans la
langue orale, même si la langue écrite conserve encore la morphologie
de l’ancien français. La neutralisation du genre au pluriel opérée sur
les déterminants a pour conséquence de le renvoyer au signifié du
substantif. Cette tendance est l’un des signes avant-coureurs de l’évo-
lution typologique du français jusqu’à ce jour.
Les autres langues romanes – qui, remarquons-le, ne sont pas
passées par une opposition entre cas sujet et cas régime – ont, elles,
conservé la double morphologie. La marque morphologique finale du
substantif se trouve anticipée dans la forme de l’article, puis systéma-
tiquement répétée par le substantif : ainsi, it. sing. la casa/pl. le case,
esp. sing. la casa/pl. las casas.
1.1.2. La réduction des suffixes par anticipation
Comme nous venons de le voir, l’anticipation au niveau du subs-
tantif concerne surtout les morphèmes grammaticaux du genre et du
nombre. Les morphèmes lexicaux postposés au substantif – comme
les suffixes diminutifs, augmentatifs, péjoratifs… – semblent épar-
gnés par ce processus. Seule la langue française amplifie largement
aujourd’hui l’anticipation de ce type de suffixe. Ainsi, on ne dira plus
un garçonnet mais un petit garçon, alors que, dans la plupart des autres
langues romanes, le suffixe n’est pas anticipé : it. un ragazz-ino, esp.
un chiqu-ito, un chiqu-it-ín, un chiqu-irr-it-ín, roum. mic-uţ. On peut
penser qu’en français, après l’anticipation de la morphologie du genre
et du nombre, le suffixe lexical se retrouve à la dernière place du subs-
tantif et peut donc être anticipé à son tour. La nouvelle logique de la
construction du substantif en français repose sur un accent tonique
qui clôt l’expression du signifié. Ainsi le substantif se réduit au seul
signifié de son radical et tout ajout de morphème est de moins en
moins cohérent avec la logique du système linguistique. Toutefois, en
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14 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
français, dans les langues spécialisées, ce type de suffixation est encore
possible (ex. cancer > cancéreux, cancérigène, cancérologue…).
1.2. Au niveau du verbe
1.2.1. L’anticipation de l’auxiliaire
Elle constitue le mécanisme le plus général au niveau du verbe : il
s’agit d’une anticipation de l’aspect verbal qui passe d’une morpholo-
gie interne en latin à une expression anticipée, constituée d’un auxi-
liaire et d’un participe passé. L’auxiliaire porte la marque de l’aspect
verbal accompli et le participe passé du verbe apporte la signification.
Ce rapport entre auxiliaire et participe passé diffère selon les langues.
Par exemple, en italien, le participe passé est encore fortement lié à
l’auxiliaire, avec une dimension verbale évidente, alors qu’en français
le participe passé fonctionne véritablement comme un adjectif. Ainsi,
le camion est chargé peut être rendu en italien de deux manières : il
camion è caricato qui exprime une action accomplie du verbe caricare
(« on est en train de le charger »), et il camion è carico, lequel exprime
un état du sujet (« il a été chargé »).
1.2.2. Le pronom personnel sujet obligatoire en français
C’est le point sur lequel la différence entre le français et les autres
langues romanes est la plus nette. Alors qu’en espagnol, en portugais,
en italien ou en roumain, la forme verbale aux différents temps inclut
le pronom sujet, implicitement ou dans sa finale flexionnelle, la langue
française ne l’inclut plus : il doit donc être exprimé soit par un subs-
tantif, soit par un pronom sujet. Cela signifie que l’on se retrouve dans
les deux cas, dans une situation comparable à celle du substantif :
comme les langues romanes autres que le français incluent dans leur
forme verbale le sujet de l’action, elles n’ont pas recours à un pronom
sujet anticipé, cependant que lorsque le verbe est rattaché à un subs-
tantif (qui précède le verbe ou le suit), le sujet de l’action est spécifié
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 14 23/06/2023 11:58:43
L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 15
deux fois, par la forme verbale elle-même et par le substantif sujet qui
la précède ou qui lui fait suite. En revanche, en français, le sujet du
verbe n’est exprimé qu’une seule fois, soit par le substantif, soit par
le pronom, lequel est désormais obligatoire s’il n’y a pas de substantif
sujet.
Remarquons cependant qu’en français parlé, très fréquemment, le
sujet thématique de la phrase est repris par un pronom clitique obliga-
toire ; la phrase tend à se constituer en deux éléments fondamentaux :
le thème, élément qui est posé, et le rhème qui explicite le thème. Par
exemple, dans la phrase du français parlé, Mon frère, il va au cinéma
ce soir, « mon frère » constitue le thème, c’est-à-dire le sujet logique
de la phrase, et « il va au cinéma ce soir » en constitue le rhème. On
peut constater que dans le rhème le pronom personnel sujet reprend
le sujet de la phrase.
Par rapport aux autres langues romanes, on a donc franchi succes-
sivement deux étapes.
La généralisation obligatoire du pronom lorsqu’il n’y a pas de
substantif sujet (cas du français standard : ex. Mon frère (ma sœur)
va au cinéma ce soir > il (elle) va au cinéma ce soir), contrairement
aux autres langues romanes : esp. va al cine esta tarde/it. va al cinema
questa sera/roum. se duce la cinema în seara asta.
L’utilisation de la reprise par un pronom personnel sujet, même
si on dispose d’un substantif sujet : c’est la reprise du thème par le
rhème (ex. : Mon frère, il va au cinéma ce soir).
On peut penser que cette nouvelle structure de la langue parlée
sera celle du français de demain. Elle est déjà courante lorsque le
thème est exprimé par un pronom fort : Lui, il va au cinéma ce soir/
Elle, elle va au cinéma ce soir.
2. Les mouvements au niveau de la phrase
Ces mouvements sont caractérisés par des anticipations qui ren-
forcent, d’une part, les prépositions et, d’autre part, les conjonctions
de subordination.
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16 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
2.1. Le rôle des prépositions
Les prépositions, déjà partiellement présentes dans la langue latine
en complément de la flexion, se sont développées, en particulier pour
remplacer les désinences casuelles du génitif, du datif et de l’ablatif
qui se trouvent ainsi antéposées. Pour la distinction entre le nominatif
et l’accusatif, c’est essentiellement la position par rapport au verbe qui
sert de discriminant : le nom qui précède le verbe est généralement
le sujet et celui qui suit le verbe exprime l’objet. Certaines langues
(espagnol, roumain) ont introduit des prépositions même dans le cas
de l’objet pour distinguer l’objet animé de l’objet inanimé : ainsi, en
espagnol, la préposition « a » précède l’objet animé (ex. He conocido a
tu padre, « j’ai connu ton père ») et la langue roumaine fait de même,
en rajoutant un pronom et la préposition pe à l’objet animé : L-am
cunoscut pe tatăl tău.
2.2. Les conjonctions de subordination
Des particules sont venues compléter certains modes verbaux,
comme le subjonctif précédé de « que » (français, espagnol), « che »
(italien), « să » et « că » (roumain) et même, pour cette dernière langue,
l’infinitif a trouvé, comme en anglais, une particule anticipée en rem-
placement de l’infinitif en -r ou en -re des autres langues romanes :
chanter, dormir, se disent en roumain : a cânta, a dormi. Cette évolution
plus poussée de la langue roumaine est à mettre en relation avec la
double particule d’introduction de la subordination que nous venons
d’observer (să et că) et avec le fait que la troisième personne comporte,
comme en anglais, un marquage spécifique : le subjonctif a en effet
identifié ses formes de première et de deuxième personnes avec l’in-
dicatif, mais il a gardé une forme verbale spécifique pour la troisième
personne. Ainsi, le présent du subjonctif du roumain reprend, pour les
personnes de l’interlocution, les formes du présent de l’indicatif : ex.
indicatif (eu) cânt, (tu) cânţi/subjonctif (eu) săcânt, (tu) să cânţi. Mais
la troisième personne est différente : (el) cântă/(el) săcânte.
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 17
En revanche, les autres langues romanes – y compris le français –
ont généralisé la conjonction « que », laquelle fonctionne comme une
particule de troisième personne antéposée à l’ensemble de la propo-
sition subordonnée. Seule la langue française a porté cette généralisa-
tion à son terme dans la langue orale, mais seulement pour les verbes
réguliers du premier groupe et pas pour l’interlocution au pluriel :
– ind. je chante subj. que je chante
– ind. tu chantes subj. que tu chantes
– ind. il chante subj. qu’il chante
Mais :
– ind. nous chantons subj. que nous chantions
– ind. vous chantez subj. que vous chantiez
On peut donc observer deux orientations au niveau des simplifi-
cations morphologiques en cours qui font ressortir une grande cohé-
rence au sein de chaque système linguistique : soit la simplification
porte sur les personnes interlocutives (cas du roumain, cf. l’anglais)
et, dans ce cas, la troisième personne doit recevoir une marque mor-
phologique spécifique pour bien souligner l’opposition entre interlo-
cution et hors interlocution (d’où le -s ajouté à la troisième personne
en anglais et le maintien d’une troisième personne du subjonctif en
roumain) ; soit la simplification se porte sur la généralisation de la
troisième personne et, dans ce cas, ce sont les éléments de l’interlocu-
tion qui doivent être marqués. Ces choix, somme toute, très différents
– on pourrait même dire qu’ils sont systémiquement opposés – ont été
effectués en fonction de la cohérence du système de chaque langue et
ce processus est en cours depuis presque deux millénaires.
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18 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
3. Explication générale
3.1. La remontée du verbe
Quelle peut être la cause d’un tel bouleversement de l’ordre des
mots entre la langue-mère et les langues-filles ? Et cette langue-mère
n’était-elle pas déjà, elle aussi, en cours d’évolution à partir d’une
langue-mère antérieure ? Il est évident que la langue latine présente
des caractéristiques qui la rattachent au type des langues aggluti-
nantes, mais aussi des innovations qui se prolongeront et se dévelop-
peront dans les futures langues romanes. Ainsi, dans les phrases com-
plexes, comprenant plusieurs propositions enchâssées les unes dans
les autres, le verbe de la proposition principale tend à remonter en
deuxième position afin de clarifier l’enchaînement sémantique et syn-
taxique de l’ensemble des propositions. Par la suite, ce nouvel ordre
des mots va s’imposer, même dans les phrases simples et entraîner de
nouvelles interactions systémiques
3.2. Les interactions systémiques
Le passage progressif d’une typologie agglutinante à une typolo-
gie fonctionnelle des langues romanes a donc pour conséquence le
changement de l’ordre des mots de S O V à S V O. Le nouvel ordre
des mots, qui fixe dans la phrase la place des syntagmes suivant leur
fonction, va provoquer l’affaiblissement progressif des déclinaisons.
L’anticipation de la morphologie nominale est sans doute une consé-
quence de tous ces bouleversements. On peut constater que, dans les
langues romanes où l’anticipation nominale n’est pas complètement
aboutie, l’ordre des mots n’est pas définitivement fixé car le sujet
n’arrive pas systématiquement à la première place. On peut décrire
l’ordre des mots dans ces langues par la formule suivante : (S) V O.
Seule la langue française qui a totalement anticipé la morphologie no-
minale et bien avancé dans l’anticipation de la morphologie verbale, a
désormais un ordre des mots strict du type S V O.
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 19
4. D’une typologie à l’autre : des langues agglutinantes aux langues
flexionnelles et aux langues néo-isolantes
4.1. Quelle nouvelle opposition typologique entre les langues romanes ?
Nous venons d’examiner le passage progressif d’une typologie ag-
glutinante à une typologie flexionnelle, en analysant en particulier les
changements au sein même du latin, puis du latin aux langues romanes.
Dans un premier temps, le latin perd définitivement les dernières ca-
ractéristiques de la typologie agglutinante avec l’anticipation du verbe
à la seconde place de la phrase en affirmant ses caractéristiques typo-
logiques flexionnelles. Dans un deuxième temps, du latin aux langues
romanes, l’anticipation morphologique nominale de toutes les langues
romanes annonce-t-elle le passage à une nouvelle typologie linguis-
tique et, si oui, laquelle ? On constate que toutes les langues romanes,
sauf le français, évoluent vers une anticipation morphologique nomi-
nale partielle, avec une double morphologie – celle du déterminant et
celle du substantif – mais sans anticipation au niveau du verbe, dans
la mesure où la morphologie post-verbale (exprimant la personne) est
renforcée. Ces deux mouvements typologiques opposés ne semblent
pas annoncer un changement typologique susceptible de se produire
dans un proche avenir.
4.2. Le français, langue à part dans les langues romanes ?
Dans l’évolution du latin aux langues romanes, seule la langue
française a entamé une double anticipation à la fois nominale et verba-
le. L’anticipation nominale est quasiment achevée dans la langue par-
lée et l’anticipation verbale, avec un décalage diachronique, est bien
avancée, elle aussi, par l’instauration du pronom personnel sujet obli-
gatoire et l’affaiblissement progressif des désinences post-verbales. La
désinence de la première personne du pluriel « -ons » est déjà antici-
pée sous la forme du pronom « on » suivi de la forme verbale commu-
ne aux trois premières personnes du singulier. À l’origine, le pronom
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20 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
« on » avec une valeur d’impersonnel, provenait du nominatif latin
homo. Mais, récemment, au cours du XXe
siècle, le pronom « on »
s’est progressivement imposé dans la langue parlée avec la valeur de
« nous », au point qu’on peut estimer qu’aujourd’hui il remplace le
pronom « nous » dans plus de neuf fois sur dix. Seule la désinence de
la seconde personne du pluriel résiste encore, même si, dans des situa-
tions de communication particulières, on peut constater sa disparition
(ex. au marché : « qu’est-ce qu’elles veulent les petites dames ? » pour
« que voulez-vous acheter ? »). Ces deux mouvements d’anticipation
(verbale et nominale) vont dans le même sens et sont le signe d’une
nouvelle structuration typologique de la langue française. Le substan-
tif et le verbe vont vers un modèle démorphologisé qui ressemble de
plus en plus à celui des langues isolantes. Toutefois, ce nouveau mo-
dèle ne ressemble pas complètement à celui des langues isolantes, en
particulier celles d’Extrême-Orient comme le mandarin. Le détermi-
nant porte en effet désormais la morphologie nominale et est intime-
ment lié au substantif. De la même manière le pronom personnel sujet
porte la morphologie verbale et est, lui aussi, intimement lié au verbe.
Par ailleurs, le substantif et le verbe appartiennent toujours à deux
catégories linguistiques bien distinctes, chacune avec un fonctionne-
ment qui lui est propre : articles et prépositions pour le substantif,
pronoms et auxiliaires pour le verbe. Le français est pour l’instant la
seule langue romane à se diriger vers un nouveau modèle typologique
que nous qualifierons de « néo-isolant lié », dans la mesure où le lien
obligatoire et intime entre le déterminant et le substantif d’une part, et
celui entre le pronom personnel sujet et le verbe d’autre part, en sont
les caractéristiques fondamentales et spécifiques.
Ces liens entraînent aussi une autre conséquence qui rapproche,
cette fois, le français du fonctionnement des langues isolantes : la
disparition de l’expression de la morphologie dans la désinence du
substantif, aussi bien que dans celle du verbe, a conduit la langue
française à disposer d’un nombre de monosyllabes bien plus élevé que
les autres langues romanes. C’est qu’en effet, une fois la désinence
morphologique anticipée, la partie du substantif qui apporte le sens
se trouve réduite et tend à devenir commune au substantif et au verbe
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 21
puisque la différence entre ces deux valeurs est déjà exprimée par les
éléments morphologiques anticipés. Ce n’est pratiquement jamais le
cas dans les autres langues romanes : sauf cas exceptionnel, la double
composition aussi bien du substantif que du verbe (1- apport du sens
+ 2 - désinence morphologique) entraîne dans ces langues la nécessité
de disposer au minimum de deux syllabes.
Un exemple concret de comparaison peut être parlant : prenons
le cas du verbe faire en français et de ses correspondants dans les
autres langues romanes : l’italien fare, l’espagnol hacer et le roumain
a face. Observons d’abord l’utilisation, en français parlé, du même
monosyllabe pour le verbe : je fais, tu fais, il/elle fait, on fait, j’ai fait,
j’avais fait… mais aussi pour le nom, au singulier comme au pluriel : le
fait, les faits, un fait, des faits… En revanche, en espagnol, les formes
correspondantes sont au moins bisyllabiques : hago, haces, hace, ha-
cemos, haceis, hacen… el hecho, los hechos. Elles sont, de plus, très
diversifiées les unes par rapport aux autres, au point qu’on peut re-
marquer que la seule consonne qui se trouve dans toutes les formes
– la consonne initiale h – est aussi la seule qui… ne se prononce pas !
La diversité italienne est tout aussi remarquable : faccio, fai, fa, fac-
ciamo, fate, fanno, pour le verbe et il fatto, i fatti, pour le substantif.
Il en est de même pour le roumain : (eu) fac, (tu) faci, (el) face, facem,
faceti,(ei) fac, pour le présent du verbe et faptul, fapte, pour le subs-
tantif singulier et pluriel. On notera qu’il y a en roumain, dans ce cas,
une seule forme commune (fac, monosyllabique, remarquons-le) entre
la première personne du singulier et la troisième du pluriel, mais, en
revanche, aucune forme commune entre le substantif et le verbe.
La réduction formelle dans la langue française que nous venons
d’observer pour les dérivés du verbe faire (devenu, lui aussi mono-
syllabique depuis l’amuïssement du e final) touche un grand nombre
de verbes français. Il suffit de penser aux verbes du premier groupe
en -er, comme par exemple passer : je passe, tu passe(s), il passe, on
passe… ils passe(nt) qui coïncident avec le singulier et le pluriel du
substantif : la passe, les passe(s), une passe, des passe(s). On voit que
les formes bisyllabiques de l’espagnol (paso, pasas, pasa… un paso,
dos pasos) et de l’italien (passo, passi, passa… un passo, due passi) sont
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22 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
devenues régulièrement monosyllabiques en français. L’anticipation
de la morphologie liée nominale et verbale permet donc une grande
réduction des formes avec une tendance très nette à se rapprocher
des monosyllabes des langues isolantes d’Extrême-Orient. On est loin
de l’indo-européen – la langue agglutinante du départ – avec le verbe
placé à la fin de la phrase et tous les substantifs et les verbes pourvus
de désinences morphologiques. La langue intermédiaire – le latin –
gardait encore souvent le verbe à la fin de la phrase et n’avait entrepris
l’évolution d’anticipation que pour le substantif : il avait bien déjà
développé des prépositions, mais pas encore créé les articles. Toutes
les langues romanes ont poursuivi cette évolution en anticipant aussi
la morphologie verbale avec la création des auxiliaires. Mais seule la
langue française a été jusqu’au bout de ce processus d’évolution en
anticipant aussi la morphologie verbale du genre et du nombre sous la
forme du pronom personnel sujet obligatoire.
Conclusion
Les phénomènes que nous avons analysés nous permettent donc
de mieux comprendre les évolutions différenciées des langues ro-
manes. On assiste à la création progressive d’une nouvelle syntaxe qui
conserve des éléments liés tout en mettant en évidence le caractère
indépendant des constituants fondamentaux de la phrase. On peut
comparer la construction d’un discours à la construction d’une mai-
son : de même que pour la maison on utilise des briques, des portes,
des fenêtres, des poutres, des tuiles, etc., de même pour le discours
on utilise des substantifs, des adjectifs, des verbes, des adverbes, etc.
Mais une accumulation de briques, de portes, de fenêtres, de poutres
et de tuiles ne fait pas une maison. Il faut ajouter du ciment pour que
les briques soient bien reliées entre elles et pour que les portes et les
fenêtres soient bien à leur place. Il en est de même dans le discours où
les éléments qui apportent le sens (les substantifs, les adjectifs qualifi-
catifs…) et ceux qui apportent les actions (les verbes, les adverbes…)
sont bien reliés entre eux par ce que l’on appelle « la morphologie ».
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 23
Il s’agit d’éléments d’ordre syntaxique qui assurent la cohésion de
la phrase, comme les articles, les prépositions, les pronoms, les au-
xiliaires… Ils sont à la fois indépendants des éléments qu’ils intro-
duisent, mais aussi intimement liés à eux. Employés seuls, ils n’au-
raient aucun sens et seraient incompréhensibles. Nous venons de voir
qu’ils n’existent pas dans toutes les langues et que, dans les langues ro-
manes, ils sont de création relativement récente et à un stade différent
selon les langues. Une question se pose dès lors : comment procèdent
les langues qui ne les possèdent pas ?
Nous nous permettons de montrer ici, brièvement, par un exemple,
comment fonctionne, sur ce point, une langue agglutinante qui ne
dispose pas d’éléments syntaxiques indépendants-liés. Dans le mot-
phrase turc suivant, on ne compte pas moins de 14 éléments suffixés
au mot initial Paris :
Parislileştiremediklerimizdensinizdir
La traduction de ce seul mot turc est une phrase française com-
posée, elle, de 13 éléments ! Elle commence par la fin du mot turc
(sinizdir = vous êtes) et se termine par le début de la phrase turque
(Parisli = parisien) :
« Vous êtes de ceux que nous n’avons pas réussi à rendre parisiens ».
L’unité de ce mot est liée à l’harmonie vocalique (i/e) qui est don-
née par le -i- contenu dans la syllabe finale du premier élément (Paris).
Si on avait utilisé le mot Istanbul, l’harmonie vocalique aurait été en
rapport avec le u de la dernière syllabe (bul), ce qui aurait donné :
Istanbullulaştıramadıklarımızdansınızdır
« Vous êtes de ceux que nous n’avons pas réussi à rendre stambouliotes ».
Morer (1986 : 10), dans son ouvrage Grammaire de la langue
turque, définit ainsi l’harmonie vocalique :
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24 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti
La règle de l’euphonie, ou harmonie vocalique, constitue la base de la
grammaire turque. En tant que langue agglutinante, le turc exprime les
rapports grammaticaux au moyen de suffixes en nombre fort important.
Toutes les fois qu’il s’agit d’ajouter à un mot une terminaison quelconque,
ce suffixe se prononcera avec un son doux, si la voyelle dominante qui est
la voyelle finale du mot, est une voyelle douce (e, i, ö, ü), ou avec un son
dur, si c’est une voyelle dure (a, ı, o, u).
Quel est l’intérêt, pour une langue agglutinante, d’avoir recours
à cette variation des voyelles de tous les suffixes à partir de la der-
nière syllabe du mot de base ? Deny (1955 : 16), dans ses Principes de
grammaire turque, explique que « l’harmonie vocalique est un phéno-
mène à la fois phonétique et morphologique : elle assure, en effet, une
certaine cohésion entre les éléments morphologiques constitutifs du
mot ». On pourrait combiner les constatations de ces deux grammai-
riens de la langue turque en observant que, devant le nombre « fort
important » de suffixes, il est nécessaire que soit soulignée « la cohé-
sion entre les éléments constitutifs du mot » (ibid.). C’est donc, en
dernière analyse, pour un besoin de clarté que le discours turc recourt
à l’harmonie vocalique. Ne peut-on pas penser qu’il pourrait en être
de même avec la création dans nos langues – encore partiellement
flexionnelles, mais aussi ex-agglutinantes, ne l’oublions pas – d’un
nombre de plus en plus important de « particules antéposées-liées »
lesquelles tendent manifestement à remplacer les suffixes. C’est, en
tout cas, une idée à méditer…
Bibliographie
Begioni, L., Rocchetti, A. (2010) : « Phénomènes de déflexivité du latin
aux langues romanes : quels mécanismes systémiques sous-tendent cette
évolution ? », Langages, 178, p. 67-87.
Begioni, L. (2012) : « Interactions entre sémantique et morphosyntaxe dans
le cadre d’une systémique diachronique des langues: exemples en français
et en italien », in Begioni, L., Bracquenier, Ch. (éds), Sémantique et lexi-
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L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 25
cologie des langues d’Europe. Théories, méthodes et applications, Rennes,
Presses Universitaires de Rennes, p. 69-84.
Begioni, L., Rocchetti, A. (2013) : « Comprendre la concordance des temps
et son évolution comme un phénomène de déflexivité : d’une concordan-
ce, élément actif de la syntaxe (italien, français classique) à une concor-
dance en cours de réduction (français d’aujourd’hui) », Langages, 191, p.
23-36.
Begioni, L., Rocchetti, A. (2015) : « Quelles perspectives psychomécaniques
pour une systémique comparée des langues romanes », Studia Universi-
tatis Babes-Bolyai. Philologia, vol. 3, Cluj, Cluj University Press, p. 9-21.
Begioni, L., Rocchetti, A. (2019) : « Typologie lexicale comparée des lan-
gues romanes : les spécificités de la langue française et leur implication
sur la cognition et la culture », Langages, 2019/2, 214, p. 33-44.
Deny, J. (1955) : Principes de grammaire turque, Paris, Maisonneuve.
Morer, A. (1986) : Grammaire de la langue turque, Paris, Maisonneuve.
Rocchetti, A. (1980), « De l’indo-européen aux langues romanes : une hy-
pothèse sur l’évolution du système verbal », in Hirtle, W., Joly, A. (éds),
Langage et psychomécanique du langage. Études dédiées à Roch Valin,
Lille/Québec, Presses Universitaires de Lille/Presses de l’Université La-
val, p. 255-267.
Rocchetti, A. (2005) : « De l’indo-européen aux langues romanes : appari-
tion, évolution et conséquences de la subordination verbale », in Araujo
Carreira M.H. (éd), Des universaux aux faits de langue et de discours, lan-
gues romanes : hommage à Bernard Pottier, Université Paris 8-Vincennes
Saint-Denis, p. 101-123.
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif
Luciana T. Soliman
Università di Padova
Le genre discursif de la légende se caractérise généralement par
un emploi important de phrases dénuées d’artifices rhétoriques puis-
sants. Ces phrases, qui gouvernent la narration à l’aide d’une parataxe
fréquente, assurent la clarté et l’accessibilité au sens, comprimant ain-
si les élans d’érudition et évoquant ce raffinement sans excès que la
tradition connaît.
Dans les légendes écrites par Henri Gougaud1
(L’Arbre à soleils,
1979), les outils morphosyntaxiques voici et voilà, qui répondent à
cette exigence de simplicité, recourent avec une certaine abondance.
Leur présence s’inscrit dans une narration visant à instruire le lecteur,
qui peut méditer sur le secret de sa morale ou sur les valeurs humaines
perpétuelles qu’elle préconise. En effet, les histoires recueillies et re-
formulées par le conteur découlent d’une énonciation dictée pour la
plupart par la logique du mythe ou du rêve : l’homme se confronte à
1
Henri Gougaud (Villemoustaussou 1936 −) est romancier et conteur. Il est l’auteur
de nombreux ouvrages, notamment Les Sept Plumes de l’aigle (1995) et L’Enfant de
la neige (2011). Grâce à un vaste répertoire de légendes et de contes, il a écrit une
vingtaine de recueils, parmi lesquels Contes du vieux moulin (1968), Contes de la Hu-
chette (1973), L’Arbre à soleils : légendes du monde entier (1979), L’Arbre aux trésors :
légendes du monde entier (1987), L’Arbre d’amour et de sagesse : contes du monde
entier (1992), Contes des sages soufis (2005), La Clé des cœurs : contes et mystères du
pays amoureux (2017).
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28 Luciana T. Soliman
ses limites ou est gagné de manière temporaire par ses passions dans
de longs voyages jusqu’aux frontières du monde connu, voire au-delà
de celui-ci, dans des aventures qui peuvent garantir le succès du projet
de départ ou offrir une réponse au mystère du destin ou des origines
de l’univers.
L’étude du comportement de voici/voilà dans les légendes de cet
écrivain français nous semble utile afin de saisir leurs signifiés et leurs
fonctions textuelles. Comme on le verra, ces formes sont issues de
l’impératif du verbe « voir » et sont employées comme formes ver-
bales puisqu’elles peuvent se combiner avec un pronom (le, nous),
tandis qu’elles auraient le statut de prépositions dans le cas d’un em-
ploi temporel2
(voici et voilà peuvent être suivis d’un localisateur tem-
porel indiquant l’antériorité).
Voici et voilà sont liés soit à une situation d’énonciation particulière,
soit au contexte linguistique. Il suffit de considérer leur histoire dès
le début : en ancien français veez ci figurait uniquement en discours
direct et comportait le renvoi concret à un être ou à un objet présents
dans le lieu d’énonciation (Oppermann-Marsaux 2008 : 318). Quant
au développement progressif de l’emploi de voici/voilà dans la nar-
ration écrite, le lecteur continue de jouer le rôle de témoin, quoique
fictif, de ces événements qui aboutissent souvent à un stade crucial du
récit. C’est donc dans le territoire privilégié du texte qu’opèrent les
occurrences de voici/voilà dont nous allons examiner la nature et les
fonctions.
2
Le Trésor de la Langue Française informatisé (1994) définit voici/voilà selon leur
emploi : soit comme des verbes défectifs réduits à la forme unipersonnelle du présent
de l’indicatif de l’aspect inaccompli, soit comme des prépositions. Le Petit Robert
(2020) précise plutôt que voici/voilà, quoique classés parmi les prépositions, ont en
fait la valeur de verbe. Rétrospectivement, leur catégorie d’appartenance a été tou-
jours assez floue : conçus par Wartburg et Zumthor (1958 : 297) comme des adverbes
démonstratifs en raison de leur emploi déictique, ils ont été traités par Brunot et
Bruneau (1969 : 210) comme des adverbes présentatifs.
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 29
1. Nature de voici/voilà
Voici et voilà sont des verbes de perception. Comme le note Op-
permann-Marsaux à maintes reprises (2004, 2006, 2008), on a iden-
tifié des variantes non soudées aux XIIe
et XIIIe
siècles composées
de l’impératif du verbe veoir et de l’adverbe ci ou la. Ce n’est qu’à
partir du moyen français, notamment dès le XVe
siècle, que les formes
soudées commencent à voir le jour : veci et vela, avec base verbale ve-.
Avec la soudure, le sens du verbe de perception s’est dégradé (Op-
permann-Marsaux 2006 : 88) et au XVIe
siècle les nouvelles formes
voici et voilà sont également employées en renvoyant à des mots du
contexte immédiat (Oppermann-Marsaux 2008 : 318). En français
préclassique, la forme voici est encore plus fréquente que voilà, celle-
ci apparaissant de plus en plus régulièrement dans la construction
avec complétive (XVIIe
-XVIIIe
siècles). Mais un nouvel emploi de
voici/voilà suivis d’un indicateur temporel et de la conjonction que
signale que la valeur sémantique de ces deux outils s’est enrichie : si en
français médiéval voici/voilà sont liés à l’espace, les nouveaux emplois
les inscrivent dans la catégorie du temps (ibid. : 327) modifiant ainsi
leur classe morphosyntaxique d’appartenance.
C’est la théorie de la psychomécanique du langage qui a clarifié la
double nature de ces deux formes. Moignet (1969 : 201) les définit en
langue comme
une sorte de verbe sans variation morphologique verbale, impersonnel,
unimodal (indicatif) et unitemporel (présent), qui désigne ce qui est posi-
tivement dans le moment même de la parole. À ce titre, il constitue l’élé-
ment temporel du prédicat et est donc bien un verbe […]. Cependant, il
peut être déchu en discours de cette fonction de prédicat quand il s’agit
de faire entrer dans un énoncé une référence temporelle. Il fonctionne
alors comme une sorte de préposition.
Le fait d’exclure l’impératif, même si la lecture interprétative de
voici/voilà pourrait être proche dans certains cas de l’injonctif (le
premier élément exhorte le lecteur à regarder et le second élément
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30 Luciana T. Soliman
oriente le regard en précisant la place proche ou éloignée de l’être/ob-
jet), et le fait de passer donc le relais au mode indicatif découleraient
de l’incompatibilité syntaxique avec la pronominalisation. En effet, le
voici prouve qu’il est impossible de placer le pronom personnel après
la base verbale.
Dans le cadre de leurs fonctions prioritaires, voici sert essentielle-
ment à désigner, alors que voilà appelle généralement l’attention sur
un être ou un objet, voire une situation qui viennent d’être mention-
nés. Les deux garderaient de leur origine verbale « le pouvoir de servir
de centre à la proposition » (Gardes-Tamine 1990 : 41). Certes, l’op-
position proche/éloigné s’est adoucie, au point que la langue courante
ne retient que voilà (Rey 2019 : 4142). Si à l’oral les deux formes ne
s’opposent presque plus en termes de deixis3
, il faut admettre que
voici introduit plus souvent une entité dans la situation d’énonciation,
tandis que voilà l’introduit même dans d’autres circonstances en rai-
son d’une véritable neutralisation sémantique. Par contre, à l’écrit, le
premier se différencie du second en termes de registre : voici est perçu
comme plus formel que voilà ; dans la succession des énoncés, voici/
voilà renvoient à un élément mentionné ailleurs dans le contexte : ce
qui est dit par voici est qualifié par le contexte qui suit, tandis que ce
qui est énoncé par voilà reprend le contexte qui précède.
Même en usage textuel, quand ces deux formes annoncent ou ré-
sument un fait, il n’y a plus d’opposition nette entre elles. Néanmoins,
on peut aller jusqu’à dire que toutes les deux, en particulier dans un
contexte soutenu, font de la phrase qu’elles introduisent la suite de
ce qui a été déjà énoncé tout en introduisant une nouveauté (Riegel,
Pellat et Rioul 20074
: 453-454). Ce n’est pas par hasard si dans Le
bon usage (Grevisse-Goosse 1986 : §§ 1043, 1046-1047) voici et voilà
sont conçus comme des « introducteurs » assertifs4
, leur fonction se
3
Comme le note Landragin (2021 : 2004), le rôle présentatif de voici/voilà ne serait
que le vestige de leur fonctionnement déictique d’origine.
4
Voilà peut être employé dans une phrase interrogative à valeur exclamative, mais
avec la négation, même si cet usage (ne voilà pas, voilà pas) marquant la surprise est
désormais désuet. On introduit plutôt le pronom il avec inversion : voilà-t-il pas que…
([2] Voilà-t-il pas qu’ils assiègent le village !). Comme le précise Combettes (2021 :
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 31
bornant à l’introduction d’une entité nouvelle qui ne sert pas à unir.
En ce sens, on pourrait les considérer comme des formes expressives
« d’attaque » (Guillaume 1973 : 189) à l’instar de c’est, mais la notion
de Grevisse-Goosse ne coïncide pas entièrement avec celle de présen-
tatif. Qui plus est, voici/voilà sont différenciés des « ligateurs » (pré-
positions, conjonctions ou adverbes), car ils ne relient pas les phrases
entre elles. Ce qui mériterait d’être approfondi, car ce couple parti-
cipe copieusement à la description de la réalité référentielle en termes
d’espace et de temps dans le texte et contribue pour ce faire à l’agen-
cement, quoique dissimulé, des unités phrastiques qui le composent.
Outre la structure « voici/voilà suivis d’un groupe nominal » qui
aurait une valeur pour la plupart désignationnelle, il existe le cas de
voici/voilà que, traité par Delahaie (2009 : 3-4) comme une conjonc-
tion de subordination introduisant « une sorte de complétive : Voici/
voilà qu’il arrive, mais sans proposition principale ». Il serait donc
question d’une phrase incomplète, car voici/voilà ne sont pas classés
par cette linguiste comme des formes verbales englobant le rôle de
matrice. Pourtant, à la lumière de la théorie de Moignet (1969, 1974),
cet emploi peut être conçu comme la version syntaxique d’une phrase
à part entière ayant un effet scénique.
Le statut de voici/voilà suivi d’un indicateur temporel est actuelle-
ment moins controversé :
[1] Voici/voilà deux ans qu’elle ne vit plus dans son village.
Dans cet exemple, les deux outils jouent le rôle d’une préposition5
et sont interchangeables, même si voici peut être perçu comme plus
littéraire.
1969), c’est là une formule figée qui « ne dit pas l’absence d’une situation », car voilà
ne peut être nié dans d’autres cas.
5
Tseng et Abeillé (2021 : 775) situent voici/voilà parmi les prépositions temporelles
exprimant la durée et instaurant une relation chronologique d’antériorité.
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32 Luciana T. Soliman
2. Le corpus écrit
Notre corpus se compose de 98 légendes tirées du recueil L’Arbre
à soleils (Gougaud 1979) qui contiennent les formes verbales voici/
voilà (Tab. 1-2) : voici figure uniquement comme forme verbale (dans
38 légendes de l’ensemble textuel, à savoir 38,8% du corpus), alors
que voilà est attesté comme forme verbale de manière très élevée, mais
non maximale, soit 92,2% (dans 37 légendes du corpus, soit 37,8%)
(A-H), en raison d’un emploi prépositionnel de 7,8% (I)6
.
Nous avons d’abord répertorié ces occurrences selon leur modalité
assertive (A-F), interrogative (G) et exclamative (H). Aussi bien dans
le cas de voici que dans le cas de voilà, toutes les occurrences sont des
assertions, car le but principal de ces formes verbales est de poser
l’identité, de signaler ou de situer la présence d’un être/objet. L’ex-
pression de l’engagement d’un procès qui est typique de la modalité
interrogative est absente. Quant à l’expressivité de la modalité excla-
mative, le conteur n’y a jamais recours dans les légendes du recueil en
question.
Les formes verbales voici/voilà ont été répertoriées comme suit : en
emploi isolé, combinées avec des groupes nominaux ou des adverbes,
avec des pronoms personnels antéposés, avec l’infinitif, en phrase fo-
calisée et suivies du conjonctif que. Nous avons également recensées
les emplois prépositionnels de voici/voilà suivis d’une expression tem-
porelle dans l’objectif, comme on l’a décrit plus haut, de comprendre
la distribution des formes de ces outils bivalents. Les occurrences les
plus fréquentes concernent les emplois avec GN/Adv (23/55 voici,
soit 41,8% du total ; 13/51 voilà, à savoir 25,5%) et avec les pronoms
personnels conjoints (25/55 voici, c’est-à-dire 45,5% du total ; 22/51
voilà, à savoir 43,1%). La forme verbale voici n’est employée seule
que 4 fois (7,3%) ; il en va de même pour la forme verbale voilà (4
6
Dans notre corpus, voilà suivi d’une expression indiquant la durée peut définir des
états de fatigue ou l’attente : [3] Voilà des années qu’il s’épuise à bâtir une tour qui
refuse de tenir debout. (Balam et le destin, 76) ; [4] Voilà des années que je t’attends,
mon fils. (Hiawatha, 194)
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 33
occurrences, soit 7,8%). Quant à voici suivi d’une sous-phrase com-
plétive, nous n’avons observé que 2 occurrences (3,6%), alors que le
même cas avec voilà est nettement plus fréquent (12 occurrences, soit
23,5%). Aucune occurrence n’a été recensée quant aux formes ver-
bales suivies d’un infinitif. Pour ce qui est de la focalisation, un seul
cas d’« extraction »7
a été repéré.
Tab. 1. Traitement de voici dans le corpus.
VOICI
A
Seul
B
+GN/
Adv
C
+Pro
D
+Inf
E
Foc
F
+que
G
?
H
!
I
durée
+que
38/98 légendes 4 23 25 0 1 2 0 0 0
Enkidou et
Gilgamesh
2
Kessi-le-chasseur 1
Comment Lune
fit le monde
1
Kiutu et la Mort 1
Le monstre-
calebasse et le
bélier divin
1
Les nuits rouges
de Kouri
1
Koybo-l’intrépide 1 1
Farang 1
7
Chevalier (1969 : 85) définit les procédures de focalisation, qui sont limitées à la
dislocation et au clivage. Il propose ces exemples : [5] L’homme, le voilà ; [6] En
voilà, des histoires ; [7] Dormir, voilà (quelque chose) qui est bon. Quant à notre cor-
pus, le seul cas d’extraction répertorié est le suivant : [8] Voici le message qu’il nous
a chargés de vous transmettre […]. (La rançon d’Uryzmaeg, 352)
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34 Luciana T. Soliman
VOICI
A
Seul
B
+GN/
Adv
C
+Pro
D
+Inf
E
Foc
F
+que
G
?
H
!
I
durée
+que
Samba Gana et la
princesse Annalja
1 1
La pierre rouge 1 1 1
Le Veilleur 2
La broderie 1 1
Tsougpa, le mar-
chand clairvoyant
1
Histoire de Feng,
le vagabond du
temps oublié
1
Drit-de-rien 1
Kogi-le-sage 1
La tortue rouge 1
L’épopée de Maui 1
La légende du
poisson volant
1
Histoire de Lono 1
La fille tuée sept
fois
1
Les chants et les
fêtes
1
La naissance des
hommes blancs
1
Ti-Jean et la bel-
le-sans-connaître
1 1
Le garçon de
Nérac et la grande
bête à tête d’hom-
mes
1 1
L’amour des trois
oranges
1
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 35
VOICI
A
Seul
B
+GN/
Adv
C
+Pro
D
+Inf
E
Foc
F
+que
G
?
H
!
I
durée
+que
Jean l’Or 2
Les trois vagues 1
L’enfance de Cu-
chulaïnn
1
Le voyage de
Bran à l’île des
Bienheureux
1
Conn Eda 1 1
La légende d’E-
taine
1
Fenrir 1
La danse des
Nartes
3
La rançon d’Uryz-
maeg
1 1
Soslan à la con-
quête de la belle
Beduha
1 1
La légende d’At-
saematz
1
La fin des Nartes 1 2
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36 Luciana T. Soliman
Tab. 2. Traitement de voilà dans le corpus.
VOILÀ
A
Seul
B
+GN/
Adv
C
+Pro
D
+Inf
E
Foc
F
+que
G
?
H
!
I
durée
+que
37/98 légendes 4 13 22 0 0 12 0 0 4
Enkidou et
Gilgamesh
3
Kessi-le-chasseur 1
Comment Lune
fit le monde
1
Le monstre-
calebasse et le
bélier divin
1
Farang 1
La pierre rouge 1 1
Les babouches
d’Abou Kacem
2
Hachachi-le-
menteur
1
Balam et le destin 1 1
La broderie 1
Histoire de Spani 1 1
Tsougpa, le
marchand
clairvoyant
1
Koan le prince et
Sheng le magicien
1 1 1
L’aventure de
Chu
1 2
La maison hantée 1
La princesse Déa 1
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 37
VOILÀ
A
Seul
B
+GN/
Adv
C
+Pro
D
+Inf
E
Foc
F
+que
G
?
H
!
I
durée
+que
Le peintre Touo
Lan
1 1
Le ver à soie 1 1
L’ermite Unicorne 1 1
Le sang de
Kaduan
1 1
Un peu de soleil
dans la mer
1
L’épopée de Maui 1
Histoire de Lono 1
Hiawatha 1
Kotsi et le géant 1
Ti-Jean et la belle-
sans-connaître
1
Le magicien de
Venise
1
Louis-le-boiteux 1 1
L’amour des trois
oranges
1
Jean de Calais 1 1 1
Jean l’Or 1
Jean-le-chanceux 2
Le serpent au
diamant
1
La mort de
Cuchulaïnn
1
John-l’archer 1
La mort de Balder 1
La mort du dieu
Odin
1
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38 Luciana T. Soliman
3. Fonctions de voici/voilà
D’après nos lectures (Charaudeau 1992 ; Delahaie 2009 ; De Ce-
sare 2011), les fonctions que l’on peut attribuer à voici/voilà peuvent
être résumées au nombre de quatre (Tab. 3). En premier lieu, ces
formes verbales sont perçues comme jouant un rôle identitaire, à sa-
voir identificatoire ou définitoire selon le cas : un nouvel être est in-
troduit dans le discours ; il est nommé ou classifié selon la catégorie à
laquelle il appartient. En deuxième lieu, ces formes peuvent remplir
une fonction présentielle, l’identité étant généralement considérée
certaine. Deux valeurs s’alternent dans cette fonction : la monstra-
tion et la présence soudaine d’un être/objet dans une sorte de tableau
préconstruit. En troisième lieu, la fonction locative a trait au repérage
tout court : elle permet d’encadrer un être/objet ou une situation dans
l’espace ou dans le temps. Il faut préciser que la fonction présentielle
et la fonction locative relèvent de la deixis, à savoir de ce procédé
spatio-temporel qui ancre les mots dans le monde, mais la seconde est
fondamentalement narrative, car elle permet de situer d’emblée dans
le décor ou dans le temps l’être/objet qui accompagne voici/voilà en
dramatisant le récit. Quant à la dernière fonction qui rend compte de
la continuité référentielle intra-discursive, les deux formes verbales en
question peuvent annoncer ce qui va être présenté ou résumer le nom
ou le segment antérieurs. Contrairement aux attentes d’un voilà fac-
totum, les deux formes voici/voilà sont employées dans notre corpus
de manière équitable et gardent leur trait diaphorique traditionnel :
voici anticipe sur ce qui constitue souvent une expansion du groupe
nominal, tandis que voilà renvoie à ce qui a été énoncé. Cette fonc-
tion est cumulable avec les trois premières fonctions que nous venons
d’illustrer.
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 39
Tab. 3. Fonctions de voici/voilà.
Voici
Voilà
Fonction identitaire
Fonction
présentielle
Fonction locative
Fonction
textuelle
Identification Monstration
Repérage
spatial
Anaphore
Définition Apparition
Repérage
temporel
Cataphore
4. Fonctions de voici/voilà en contexte
L’étude des fonctions des formes verbales voici/voilà en discours
a une valeur documentaire et classificatoire à la fois, puisque les oc-
currences authentiques que nous allons fournir nous permettent de
motiver les remarques que nous avons récapitulées dans le Tab. 3.
Dans les cas où la fonction identitaire a le dessus sur la fonction
présentielle, nous signalons des occurrences d’identification qui sont
annoncées par le contexte verbal antérieur (cf. infra) :
[9] Au fond d’une salle aux dalles étincelantes un homme est assis dans
un fauteuil d’or. – Voici le roi, dit une voix lointaine. (Histoire de Feng, le
vagabond du temps oublié, 115)
[10] Elle la conserva précieusement dans une armoire et quand Odin fut
en âge de régner elle la lui confia en lui disant : – Voilà ta vie, veille sur
elle. (Odin, 330)
En effet, dans [9] le « roi » confère une identité à l’homme « assis
dans un fauteuil d’or » qui figure dans la phrase précédente. Malgré
le renvoi au contexte gauche, voici peut être également conçu comme
une cataphore d’ordre situationnel en raison du discours rapporté di-
rect où il figure ; il serait donc question d’un cas mixte anaphore-cata-
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40 Luciana T. Soliman
phore. Qui plus est, dans [10] la « vie » du dieu Odin renvoie anapho-
riquement à la bougie que la mère du dieu Odin a soigneusement
gardée et que les vieilles du destin lui ont donnée.
En ce qui concerne la fonction identitaire exprimée par une sorte
de définition, qui peut gloser le groupe nominal jusqu’à assumer les
traits de la description, nous citons uniquement l’occurrence suivante :
[11] Voici la merveille : ceux qui les accueillent dans cette ville neuve sont
des hommes blancs bizarrement vêtus qui ne parlent pas la langue des
Indiens. (La naissance des hommes blancs, 216)
La fonction présentielle, quant à elle, obéit aux règles de la mons-
tration dans la situation d’énonciation. Voici en emploi seul désigne
par un geste l’être ou l’objet de l’interaction :
[12] − Quelle est cette lumière qui t’éclairait cette nuit ?
Emhammed ouvre sa main :
− Voici, dit-il. Cette pierre rouge m’éclairait. (La pierre rouge, 61)
[13] − Mes babouches, dit-il, je vous le donne. Je vous en fais cadeau.
Voilà. Non, ne me remerciez pas. (Les babouches d’Abou Kacem, 67)
Relativement à la fonction présentielle d’apparition, à savoir celle
qui consiste à signaler cette « présence concrète et vivante » d’un ob-
jet ou d’un être « dont l’identité singulière représente une sorte de
‘promesse’ » (Charaudeau 1992 : 319), voici/voilà peuvent ouvrir une
scène-destination que l’on a attendue pendant un long intervalle de
temps :
[14] Ils sortent du rocher. Voici l’herbe verte à nouveau, le ciel bleu, les
arbres. (Le monstre-calebasse et le bélier divin, 41)
[15] Ils traversent la nuit, les montagnes, les forêts. A l’aube, les voilà sur
la vaste plaine. (Le ver à soie, 125)
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 41
Dans ce cadre sémantico-fonctionnel, voici/voilà suivis du conjonc-
tif que introduisent un être, un objet ou un événement nouveaux com-
portant généralement une accélération inopinée de la narration. Les
deux formes verbales sont souvent précédées d’une conjonction coor-
donnante d’addition (et) ou d’opposition (mais) qui renforcent l’effet
de surprise :
[16] Conn Eda obéit, son cheval entre dans l’eau, s’enfonce. Et voici que
la surface du lac au-dessus de leurs têtes est semblable à une voûte céleste.
(Conn Eda, 303)
[17] Mais voici qu’un coup de vent subit traverse le village, siffle dans les
buissons, couche les touffes d’herbe. (La broderie, 86)
[18] Ils chantent, le visage ensoleillé, pour se donner du cœur. Et voilà
que le premier à la proue de la barque tout à coup se dresse tout droit.
(Un peu de soleil dans la mer, 151)
[19] Mais voilà que Yin, toujours couché, immobile, est pris soudain
d’une irrépressible envie d’éternuer. (La maison hantée, 113)
Si voici/voilà que sont introduits par la conjonction d’enchaîne-
ment or, ils règlent la successivité événementielle de manière logique.
[20] Ce texte sacré dans son sac, le prince Koan s’en revint de Chine.
Or, sur le chemin de retour, se reposant un jour à l’ombre d’un arbre, au
bord du ravin de la Licorne, voilà qu’il rencontre un fameux magicien
très savant et très rusé, nommé Sheng. (Koan, 106)
Voilà que, qui contribue à l’expressivité de la phrase, comme le
remarquent Wagner et Pinchon (1962 : 504), dégage ici un élément
que l’on considère comme essentiel dans la progression de l’histoire.
En association avec un connecteur du raisonnement qui jette une
nouvelle lumière sur le rôle narratif de cette forme verbale, voilà que
centralise l’attention du lecteur sur le magicien qui modifie à jamais
le sort du prince.
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42 Luciana T. Soliman
La fonction locative de voici/voilà répond à des exigences de
construction d’un espace ou d’encadrement temporel qui favorisent la
mise en relief de l’endroit ou de l’instant. Dans le cas de la localisation
spatiale [21, 23], qui peut être complétée par une location temporelle
[22], voici/voilà sont suivis d’un groupe nominal ou précédés d’un
pronom personnel d’ordre anaphorique. Le champ visuel où les deux
formes verbales introduisant les lieux s’inscrivent peut être guidé par
le narrateur qui promène le lecteur jusqu’à cette pause descriptive
où les personnages dominent la scène. Tout semble culminer dans la
phrase introduite par voici/voilà qui ne se différencient presque pas :
[21] Au fond de cette caverne une lumière brille. Il court. Le voici devant
un grand jardin paisible sous le ciel bleu. (L’épopée de Maui, 154)
[22] Le bateau, déjà, quitte le port. Le ciel pâlit à l’horizon. […] Il aide à
la manœuvre. Les voici au large, sur les vagues tranquilles, dans le soleil
du matin. (Les trois vagues, 282)
[23] Il fait le tour de ce château, il ne découvre dans la muraille qu’une
petite porte vermoulue qui grince comme un battant de ruine. Il entre. Le
voilà dans une vaste cour pavée. (L’amour des trois oranges, 257)
[24] Le voilà donc sur le chemin du retour. (John-l’archer, 314)
Pour ce qui est de la localisation temporelle, l’emploi exclusif de
voici suivi d’un groupe nominal est important dans la représentation
du temps physique ou du temps vécu. Il isole le laps de temps en
acclimatant ce qui suit ou envisage l’événement qui va être décrit en
dressant la toile de fond :
[25] Le cheval galopant traverse la journée. Voici le soir. La grande lune
rouge descend sur le désert. (Jean l’Or, 266)
[26] Voici l’instant des retrouvailles. Les guerriers nartes acclament Uryz-
maeg et l’embrassent comme un père après longtemps d’absence. (La ran-
çon d’Uryzmaeg, 354)
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 43
Quant à la fonction textuelle, qui assure la cohésion, nous allons
nous attarder sur l’annonce d’un événement, auquel cas on parle de
cataphore. Voici en emploi seul ou suivi d’un groupe nominal joue un
rôle spécifique en ce sens :
[27] Voici : je vais grimper là-haut, sur cette montagne rocheuse qui do-
mine la forteresse. (Soslan à la conquête de la belle Beduha, 358)
[28] − Voici mes ordres, dit le seigneur : je veux que demain matin tu me
rapportes une feuille de figuier assez grande pour recouvrir entièrement
le village. (Drit-de-rien, 128)
Voilà en usage seul peut résumer le segment qui le précède à tra-
vers un mécanisme d’identification de la source de l’anaphore qui est
totalisant, c’est-à-dire que cet outil est capable d’impliquer par infé-
rence un paragraphe tout entier. Lorsqu’il est suivi du pronom indé-
fini quantificateur tout, voilà condense et clôture en même temps ce
qui précède.
[29] Il grimpe au sommet de la montagne, s’envole dans les nuages, at-
trape les dragons de la pluie par la queue. Il les fourre dans un gros pot,
ferme le couvercle.
– Voilà, dit-il, maintenant je suis tranquille. Il ne pleuvra plus de si tôt.
(L’ermite Unicorne, 131)
[30] − Aurais-tu donc oublié que tu m’as chassé de ta maison ? Je m’en
vais. Voilà tout. Je reviens chez mes parents. (Satana renvoyée chez ses
parents, 342)
Le type de liaisons diaphoriques que voici/voilà instaurent s’inscrit
dans ces relations qui forment un fil rouge entre les phrases ou des
pans de texte. On pourrait donc concevoir ces deux formes verbales
comme des marqueurs référentiels, voire des « organisateurs »8
qui se
8
La classe (élargie) des organisateurs remplirait, tout bien considéré, la fonction pri-
maire d’annoncer ou de fermer des portions de textes (Adam 2004 : 58-59).
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 43 23/06/2023 11:58:44
44 Luciana T. Soliman
différencient des connecteurs dont le rôle est plutôt d’orienter argu-
mentativement le récit. Qui plus est, si ces outils jouent autour de la
réalité référentielle spatiale et temporelle au point que l’on pourrait
parler parfois de voici/voilà comme des cadratifs tout court en début
de phrase, l’implication d’un raisonnement peut les rapprocher occa-
sionnellement du rôle de ces articulateurs logiques avec lesquels ils
ont également la capacité de se combiner. En effet, la transition événe-
mentielle, qui peut être nuancée par l’idée d’opposition, est évoquée
par la structure suivante : et/mais voici/voilà (que). C’est là un moyen
dynamique qui assure la bonne mise en intrigue et qui s’avère utile
afin de compliquer l’équilibre de la situation précédente et de faire
avancer rapidement l’histoire.
Conclusion
Les formes verbales voici/voilà, qui ont été explorées dans un cor-
pus de légendes défini, répondent à une exigence commune d’écono-
mie linguistique. En effet, le choix d’une syntaxe réduite dériverait de
la volonté de promouvoir essentiellement un mouvement scénique.
Il est clair que l’édification en langue de la phrase avec voici/voilà est
liée à l’« empreinte » cognitive préalable à l’orientation formelle que
le locuteur donne à son dire, la cohérence du psychique coordonnant
le sémiologique. En psychomécanique du langage, le contexte, ce pré-
cieux allié, remplit une fonction de filtre9
permettant de choisir ce
qui se prête à la construction du sens. L’étude fonctionnelle que nous
avons conduite après un traitement quantitatif des formes verbales
voici/voilà a mis la lumière sur leur actualisation. C’est la visée de dis-
cours d’une phrase avec voici/voilà qui permet d’aboutir à identifier
un être ou un objet, à définir une circonstance, à énoncer la présence
de cet être/objet, à retirer une image de celui-ci du fond de tableau
évoqué. Pour ce qui est des liaisons fortes que voici/voilà construisent
9
Guillaume (1985 : 78) traite du rôle du contexte dans sa leçon du 25 janvier 1946 à
propos de l’article.
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Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 45
entre les phrases de ces légendes, les morphèmes soudés -ci et -là as-
surent l’anticipation ou le rappel d’un segment du texte subséquent
ou antérieur selon la bonne règle classique de l’endophore in situ, le
conteur offrant au lecteur, avec un style très fin, des légendes au par-
fum d’antan.
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46 Luciana T. Soliman
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SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 46 23/06/2023 11:58:44
La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée
en français et en italien
Sophie Saffi
Aix Marseille Université, CAER
Nous proposons l’analyse du texte de la bande dessinée (BD)
L’Appel, dessinée par le congolais Pat Masioni, sur un scénario du
franco-camerounais Christophe N’Galle Edimo – à partir d’une nou-
velle de l’écrivaine belge Pascale Fonteneau, publiée par les éditions
Lai-Momo en 2005.
Nous remercions les Éditions Lai-Momo pour leur compréhen-
sion de l’intérêt scientifique d’une étude sur l’une de leur BD et pour
leur autorisation d’en reproduire ici quelques planches afin d’illustrer
notre propos.
Cette BD fait partie du projet pédagogique Valeurs communes por-
té par Eurodialog et Lai-Momo, cofinancé par la Commission euro-
péenne Direction Générale Justice, Liberté, Sécurité dans le cadre du
programme INTI 2003 pour l’intégration des immigrés. Ce projet a
pour but de promouvoir la culture de la paix à travers la confronta-
tion et le dialogue entre les religions et les cultures qui sont à l’œuvre
en Europe. Les actions du projet prévoient, en effet, d’engager les
élèves, les enseignants et la population civile de quatre pays européens
(Belgique, Espagne, France, Italie) dans une réflexion concernant les
valeurs communes aux différents systèmes de pensées, en utilisant la
BD comme outil de communication et de développement. L’Appel est
la première des 5 BD publiées par le projet. Elle aborde les thèmes
de l’amour et du pardon dans un récit de science-fiction : dans la
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 47 23/06/2023 11:58:44
48 Sophie Saffi
Ville, on célèbre la Journée de l’Entente, mais c’est une fête imposée
dans une cité divisée en secteurs selon l’appartenance religieuse des
habitants. Ce récit embarque le lecteur pour une dimension de guerre.
Dans ce monde fictif, mais aussi vrai que le nôtre, on suit le parcours
d’un adolescent qui vit dans un futur proche et qui, en l’espace d’une
journée, passe de l’euphorie de remporter une course au désespoir
de perdre ses deux parents, disparus avec tant d’autres personnes au
cours d’émeutes. Au fil de ses rencontres avec sa cousine, des camion-
neurs et un metteur en scène de théâtre, le pardon devient une étape
essentielle pour le dialogue et la réconciliation.
Nous nous proposons de montrer les caractéristiques particulières
du texte de BD qui tente majoritairement de reproduire des
interactions orales dans la mise en dialogues du récit. La BD
étant un média hétérogène constitué de la combinaison de deux
vecteurs informationnels, l’écrit et le dessin, nous montrerons la
complémentarité des textes et des dessins. Nous présenterons les
constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies et les bulles.
Nous tenterons de rapprocher le découpage d’un scénario de BD et
l’organisation séquentielle d’un texte proposée par Adam (2011).
1. Composition de l’album L’Appel
Les 28 planches de la BD sont encadrées par 2 préfaces de pré-
sentation et 1 postface renvoyant au site du projet où sont téléchar-
geables un guide didactique et du matériel pédagogique à l’attention
des enseignants souhaitant utiliser la BD dans leurs classes. Ces textes
d’encadrement définissent la visée illocutoire de l’album mais dans les
usages, le lecteur de BD lit – éventuellement – ces textes d’encadre-
ment après avoir lu les planches de la BD.
Dès les premières planches, l’architecture des édifices (Fig. 1) et les
codes vestimentaires (Fig. 2) opèrent une mise à distance fictionnelle
et donne au lecteur une instruction sur l’ancrage énonciatif non actuel
et sur le monde singulier futuriste du récit.
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 48 23/06/2023 11:58:44
La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 49
Cependant, la course de moto et les publicités1
de la planche 1
(Fig. 1), tout comme l’écran de télévision et le mobilier du bureau-bi-
bliothèque de la planche 2 (Fig. 3), ainsi que les dialogues du maire
avec ses conseillers et ses invités de la planche 4 (Fig. 4), indiquent au
lecteur que cet univers futuriste fonctionne selon des lois conformes à
celles qui régissent son univers de référence. La rupture entre fiction
1
Le rôle du pertexte a longtemps été sous-estimé et peu étudié (cf. Manco 2015,
2016, 2018).
Fig. 1. L’Appel, 1re
case, p. 1.
Fig. 2. L’Appel, p. 3.
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50 Sophie Saffi
et réalité du lecteur est ainsi atténuée, la cohésion sémantique globale
est posée d’emblée par la caractérisation de la BD comme une fiction
dans un futur proche.
Fig. 3. L’Appel, p. 2.
Fig. 4. L’Appel, p. 4.
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 50 23/06/2023 11:58:44
La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 51
2. Caractéristiques du texte de BD
Le texte d’une BD se répartit entre les bulles, les didascalies, le
pertexte et les onomatopées2
(Fig. 7). Ces dernières sont généralement
incluses dans le dessin mais peuvent aussi apparaître dans les
bulles3
. La répartition du texte de la BD est majoritairement dédiée
aux dialogues (ou monologues intérieurs) des personnages, la BD
introduisant une nouvelle catégorie de langue écrite qui reproduit la
langue parlée et altère la dichotomie classique « écrit vs parlé » (Gadet
2004 : 98 ; Pietrini 2008).
Le texte des dialogues de L’Appel se caractérise par le respect de la
langue standard alors que d’autres auteurs se permettent d’écrire en
néo-standard et en argot. Dans le cas présent, l’appartenance de la BD
à un projet pédagogique a peut-être conduit les auteurs à une forme
d’autocensure. Les écarts à la norme du français standard relevés dans
cette BD sont répartis avec parcimonie afin que le lecteur comprenne
qu’un registre moins soutenu accompagne un statut social, ou quand
le personnage change de registre sous le coup de l’émotion :
– la marque unique de la négation (pas vs ne…pas) dans certains
dialogues des camionneurs (Fig. 5) ;
– l’absence de pronom personnel sujet de 3e
personne en tête de
phrase (Fig. 6) ;
– l’interrogatif Qu’est-ce que c’est que (variante longue de Est-ce
que)4
;
2
Nous n’avons pas pris en compte d’autres textualités mineures (épitexte) telles que
le numéro des planches, la signature du dessinateur qui peuvent être inclus dans les
vignettes.
3
Dans la BD étudiée, 16 onomatopées sont incluses dans le dessin et 3 dans des
bulles.
4
« Le double introducteur Est-ce que c’est que (ou … qui) appartient seulement à
la langue parlée familière. Il est ancien pourtant. Il semble plus fréquent dans l’inter-
rogation partielle que dans l’interrogation globale. Dans la littérature, où il est peu
attesté, il apparaît seulement quand les auteurs font parler leurs personnages : Quand
est-ce que c’est que vous en aurez ? (Pagnol, Schpountz, cit. Renchon, p. 174.) − Où
donc que tu vas comme ça, ma Julia, et qu’est-ce que c’est donc que tu portes ? (Jou-
handeau, Chaminadour, p. 369) » (Grevisse-Goosse 2001 : 398, a).
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52 Sophie Saffi
– l’emploi du présentatif Il y a que, un dispositif en miroir qui in-
troduit une proposition indépendante en reprenant la structure
de la question à laquelle elle répond (Fig. 24) ;
– le juron Putain ! (Fig. 6) et le blasphème Nom d’un chien !
(Fig. 22).
Fig. 5. L’Appel, p. 17-18.
Fig. 6. L’Appel, p. 3, 22.
SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 52 23/06/2023 11:58:44
La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 53
Fig. 7. Répartition du texte dans L’Appel5
.
La bulle (ou ballon, phylactère) est l’espace, généralement cerné
d’un trait, qui contient les dialogues ou les pensées des personnages. La
didascalie (ou récitatif) est l’espace encadré intégrant un commentaire
sur l’action ou une intervention du narrateur. Le pertexte est :
[…] un texte sur un support spécifique (par exemple, un graffiti sur un
mur, un journal, la couverture d’un livre, une enseigne, etc.) qui est repré-
senté dans un texte figuratif, tel qu’une bande dessinée ou une publicité ;
la représentation du média est donc inhérente à la définition de la pertex-
tualité. (Manco 2018 : 93)
Enfin, les onomatopées de la BD sont des mots dont le signifiant
imite le son associé au fonctionnement ou au déplacement d’un objet
ou d’un personnage, ou qui reproduit les sons de la nature, les cris des
animaux ou des bruits non linguistiques émis par des personnages.
5
L’Appel : texte de la BD : 2678 mots ; bulles : 1918 mots = 71,6% ; didascalies : 548
mots = 20,4% ; pertexte : 196 mots = 7,3% ; onomatopées : 16 mots = 0,6%.
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54 Sophie Saffi
Fig. 9. Autres exemples de pertexte dans L’Appel, p. 10, 23.
Fig. 10. Exemples d’onomatopées dans L’Appel, p. 4, 5, 15.
Fig. 8. L’Appel, p. 2.
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 55
Les dialogues des BD sont enrichis de représentations des dis-
fluences orales rarement présentes dans les textes littéraires ou de
presse (Saffi 2014). Les phénomènes de disfluence sont des ruptures
de la linéarité syntagmatique (Blanche-Benveniste et Jeanjean 1987),
ils sont les traces d’une élaboration linguistique liées au mode de pro-
duction oral (Dister 2007), qu’ils soient associés à la planification du
discours (temps de réflexion, hésitation : Fig. 11) ou qu’ils dépendent
de facteurs extralinguistiques (émotions, froid, essoufflements et
tremblements divers).
En dépit de l’absence de contenu propositionnel, les disfluences jouent
un rôle important dans le discours. Elles en améliorent la compréhension
par des auditeurs, signalent la complexité de propos à venir (Tree 2001,
Rose 1998, cités par Adell et al. 2012) et, en situation de dialogue, faci-
litent la synchronisation interlocuteurs (Clark 2002). (Qader et al. 2017)
Fig. 11. L’Appel, p. 13.
Les différentes représentations des disfluences en BD sont princi-
palement de 4 types : la ponctuation, les propos non lexicaux (hum,
heu), les répétitions de phonèmes (allongement vocalique ou dupli-
cation de la consonne initiale) ou de mots, ou l’interruption de mot
(Saffi 2022). La BD L’Appel n’utilise que les 2 premiers types.
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56 Sophie Saffi
2.1. La ponctuation
Les points de suspension sont indéniablement la stratégie la plus
employée pour représenter une pause. Leur emploi peut marquer une
pause utilisée pour un temps de réflexion (Fig. 12) ou d’hésitation
(Fig. 13), l’attente après l’interpellation ou la gêne (Fig. 11).
Des symboles de ponctuation peuvent aussi être utilisés seuls dans
une bulle : ils remplacent alors une phrase entière et indiquent princi-
palement des émotions telles que la surprise ou la stupeur :
Fig. 12. L’Appel, p. 9. Fig. 13. L’Appel, p. 16.
Fig. 14. L’Appel, p. 3.
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 57
Dans une précédente publication (Saffi 2014 : 7-8), nous avons
montré dans les publications Disney des années Trente, un emploi
caractéristique de points de suspension surnuméraires au-delà de
3. Cette caractéristique a disparu dans les BD actuelles. L’évolution
entre ces deux périodes s’explique par le changement des habitudes
de lecture et l’installation de codes visuels spécifiques. Les auteurs de
BD recherchant le confort de lecture afin de faciliter l’interprétation
qu’ils préconisent chez le lecteur, ils suivent de près ces évolutions.
Nous avons également montré une prolifération de points d’excla-
mation, « signe qui, dans les numéros des années 2000, est presque
assimilé au point final de phrase, comme s’il y avait la nécessité d’une
marque spécifique de l’accent de phrase en lien avec la prosodie »
(ibid. : 7). Nous ne remarquons rien de tel dans la BD L’Appel, ce
qui s’explique par la différence du public visé : enfants et pré-ado-
lescents pour Disney, adolescents et adultes pour la BD L’Appel. Ces
derniers n’ont pas besoin d’une lecture guidée, ils n’apprécient pas les
redondances que l’ont peu trouver dans les BD pour enfants, que ce
soit entre le texte et l’image ou au sein du texte avec une ponctuation
excédentaire.
2.2.Les propos non lexicaux
Parmi les propos non lexicaux (Fig. 11, 13, 15) relevés dans notre
corpus, figure l’emploi de euh. C’est probablement la syllabe la plus
reconnue à travers le monde (Schuessler 2013), indépendamment de
la géographie, de la langue, de la culture et de la nationalité (Dinge-
manse et al. 2013). Dans le discours oral réel, la fréquence d’utilisation
de euh reflète souvent l’état émotionnel ou de vigilance du locuteur
(Clark et Fox Tree 2002 ; Corley et Oliver 2008). Dans notre corpus,
elle marque une hésitation (Fig. 11, 13), l’emploi de ho et ah (Fig. 15)
la surprise et celui de eh (Fig. 15) l’attaque de discours, ce qui permet
d’introduire une information personnelle ou un constat.
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58 Sophie Saffi
3. Constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies et les
bulles de L’Appel
La BD L’Appel présente 31 didascalies de diverses longueurs :12
se composent d’1 phrase6
(38,7%), 6 de 2 phrases (19,3%), 2 de
3 phrases (6,4%), 1 de 4 phrases (3,2%) et 1 de 5 phrases (3,2%) ;
6
Nous appliquons ici la définition de la phrase de Paulo De Carvalho (2005 : 90) :
« […] on définira donc la phrase comme le résultat, plus ou moins « élaboré », plus
ou moins complexe, d’un acte de langage, celui par lequel un être parlant répond – et
c’est là une réponse typiquement humaine – à la sollicitation pressante d’un certain
cas d’expérience. » Sachant que Gustave Guillaume (1971 : 29-30) définit la phrase
comme une « unité de discours » dont la construction est subordonnée à celle du
mot et conditionnée par les systèmes morphosyntaxiques de la langue : « L’unité de
puissance une fois construite en langue, on procède, s’il y a lieu, c’est-à-dire s’il est
besoin, à la construction de l’unité d’effet, qui est la phrase de discours. L’unité d’ef-
fet se construit à partir des unités de puissance préconstruites et sa construction, ses
possibilités de construction, dépendent de ce que sont dans la langue, de par leur
constitution, les mots de puissance. Il découle de là qu’en bonne méthode, en saine
linguistique, toute étude du mécanisme constructif de la phrase se subordonnera à
une considération préalable de la structure du mot. »
Fig. 15. L’Appel, p. 6, 18
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 59
par 4 fois, 2 ou 3 didascalies séparées forment une seule et même
phrase (29%, Fig. 17).
Notre corpus compte 141 bulles7
: 2 ne contiennent que des
signes de ponctuation, 2 autres contiennent une onomatopée. Sur
les 137 bulles restantes, 94 contiennent 1 seule phrase (68,6%), 31
contiennent 2 phrases (22,6%), 11 contiennent 3 phrases (8%) et 1
bulle contient 4 phrases (0,7%).
On constate que la contrainte spatiale exercée sur les textes de BD
favorise la répartition dans les bulles et les didascalies d’une phrase
à la fois, mais elle s’applique avec beaucoup plus de force dans les
bulles de dialogue.
La Fig. 17 illustre le cas d’une phrase de didascalie commencée en
bas de la page se terminant en haut de la page suivante : ce stratagème
fait partie des multiples stratégies développées par les auteurs de BD
pour éveiller la curiosité du lecteur et l’inciter à tourner la page, c’est
un principe récurrent du découpage d’une BD, l’hameçonnage peut
être textuel, iconographique ou scénaristique.
7
Nous avons exclu du corpus 5 bulles contenant du texte anglais.
Fig. 16. Comparaison des constructions syntaxiques
des textes des didascalies et des bulles.
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60 Sophie Saffi
3.1. Une modalité majoritairement assertive
Les 42 phrases qui composent les didascalies sont assertives. Nous
relevons cependant un cas où une proposition interrogative est le
sujet d’une assertive (Fig. 18). Nous relevons aussi un cas de phrase
dubitative avec une inversion du sujet – mais sans point d’interrogation
(Fig. 19 : « Peut-être, comme pour l’appel de Etchoki viendront-ils. »).
Fig. 17. L’Appel, p. 2, 3.
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 61
Alors que les didascalies sont à 100% assertives, seulement 55%
des 197 phrases utilisées dans les bulles sont assertives, 18% sont
exclamatives, 16% sont interrogatives, 9% sont injonctives et, dans
2% des cas, on relève une modalité mixte avec une entame injonctive
d’une phrase assertive :
Fig. 19. L’Appel, p. 27.
Fig. 18. L’Appel, p. 3.
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62 Sophie Saffi
Alors que le rôle des didascalies est de livrer des informations per-
mettant de contextualiser le récit, celui des bulles est de représenter
les interactions verbales et les pensées des personnages. Cette distinc-
tion explique la différence de distribution des modalités discursives
entre ces 2 types de textes de BD : les modalités injonctives, exclama-
tives et interrogatives côtoient les assertions dans les discours oraux
réels, ce que cherche à imiter le texte des bulles.
Fig. 20. L’Appel, p. 14, 18, 26.
Fig. 21. Distribution des modalités de discours
dans le texte des bulles de la BD L’Appel.
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 63
3.2. Une situation d’action langagière interne, une composante narrative
Nous avons constaté que l’ensemble des didascalies présente une
situation d’action langagière interne (Bronckart 1997), considérant
qu’il s’agissait de la voix off du conteur qui s’avère être celle de Nor-
man, le protagoniste masculin qui raconte cette histoire.
Dans n’importe quelle bande dessinée, il y a un narrateur. […] il arrive
que le narrateur soit l’un des personnages du récit et que cette informa-
tion importante ne soit apportée que tardivement dans l’histoire… (Gor-
ridge 2010 : 163)
La confirmation arrive à la planche 13 quand le lecteur constate
que 4 didascalies à la 1e
personne représentent les pensées de Norman
(13% des cas). Les didascalies représentant un long monologue inté-
rieur du protagoniste qui se remémore son histoire, elles relèvent d’une
situation d’action langagière interne dont le lecteur est le spectateur.
Dans les bulles, nous avons constaté l’inverse : la situation d’ac-
tion langagière interne est minoritaire, elle est représentée par 5 bulles
aux contours de type « nuage » indiquant les pensées du protagoniste
(planches 9, 10 et 11) et 2 bulles ne contenant pas de texte mais un signe
de ponctuation (Fig. 14) figurant une émotion interne. La majorité des
bulles situent une action langagière externe dans la représentation de
l’interaction verbale. Il semble bien que les auteurs aient choisi de dis-
tinguer nettement les actions langagières internes et externes en distri-
buant les premières dans les didascalies et les secondes dans les bulles.
Pour Adam (2011 : 30), les séquences élémentaires (prototypiques)
se réduisent à quelques types d’articulation des propositions : narratif,
descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal. Les textes hétérogènes
sont les plus fréquents et sont généralement classés en fonction du
type encadrant et non pas en fonction du type quantitativement ma-
joritaire car « c’est le type encadrant qui définit l’appartenance géné-
rique du tout. » (ibid. : 195) C’est pourquoi, nous en déduisons que la
BD L’Appel est un texte narratif bien que dans le corps de l’album les
dialogues soient quantitativement majoritaires. En effet, la 1e
planche
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64 Sophie Saffi
est une narration dessinée et la dernière vignette de la planche finale
est narrative avec une didascalie qui reprend le texte de la bulle de la
case précédente en l’amplifiant.
Fig. 22. Première et dernière planches de L’Appel.
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La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 65
Cependant, les bulles représentant 71,6% du texte de la BD, il
convient de regarder de plus près ce texte dialogal. L’unité d’analyse
de la conversation définie par Atkinson et Heritage (1984 : 5), « […]
sont les séquences et les tours de parole dans une séquence, plutôt
que les phrases et énoncés isolés », définition proche du modèle
proposé par Adam. Selon ce dernier (Adam 2011 : 154), il convient
d’ajouter d’autres unités entre les « séquence » et les « tours de pa-
role », conformément à son modèle hiérarchique [Texte < Séquence <
macro-phrases < phrases] :
Le texte dialogal peut être défini comme une structure hiérarchisée de
séquences appelées généralement « échanges ». Deux types de séquences
doivent être distinguées :
– les séquences phatiques d’ouverture et de clôture,
– les séquences transactionnelles constituant le corps de l’interaction.
En guise d’illustration, analysons les planches 11 et 12 qui ouvrent
la 3e
des 4 macro-séquences de la BD et qui constituent chacune une
séquence : la conversation de Norman et Nautile sur l’importance
des messages transportés par les ballons (Fig. 23) et la conversation
de Nautile et de l’oncle Nanky qui tente de l’empêcher de partir,
car Nautile veut répondre à l’Appel (Fig. 24).
Planche 11, les bulles phatiques qui encadrent la transaction sont
des phrases impératives. Cet échange met en place la position poli-
tique du personnage féminin ainsi que son caractère tranché. La cu-
riosité du lecteur pour le développement argumentatif de Nautile sur
sa position politique concernant les messages, le conduit à tourner la
page (hameçonnage en fin de planche).
Planche 12, les bulles phatiques qui encadrent la transaction sont
des prises de parole d’Oncle Nanky dont l’une introduit le sujet de
cette conversation avec une question, et l’autre la conclut par un
constat amer. Ce 2e
dialogue reprend pour l’introduction du person-
nage d’Oncle Nanky la même stratégie de découverte du personnage
du dialogue précédent. Il est possible d’appliquer à nouveau les types
élémentaires d’Adam aux bulles dialogales transactionnelles. On
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La Phrase en Contexte - Actes
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La Phrase en Contexte - Actes

  • 1. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 2 23/06/2023 11:58:42
  • 2. La phrase en contexte : grammaire et textualité Luciana T. Soliman Sophie Saffi SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 3 23/06/2023 11:58:43
  • 3. Prima edizione: xxxxxxxxxx 2023 ISBN 978 88 5495 XXX X © 2023 Cleup sc “Coop. Libraria Editrice Università di Padova” via G. Belzoni 118/3 – Padova (t. +39 049 8753496) www.cleup.it www.facebook.com/cleup Tutti i diritti di traduzione, riproduzione e adattamento, totale o parziale, con qualsiasi mezzo (comprese le copie fotostatiche e i microfilm) sono riservati. Ideazione grafica di copertina di xxxxxxxxxxxxxx. In copertina: xxxxxxxxxxxxxxxxx. Volume pubblicato con il contributo del Dipartimento di Studi Linguistici e Letterari dell’Università degli Studi di Padova. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 4 23/06/2023 11:58:43
  • 4. Table des matières Introduzione Louis Begioni Alvaro Rocchetti L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes ; comparaison avec les langues agglutinantes et isolantes 11 Luciana T. Soliman Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 27 Sophie Saffi La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 47 Mohammed Nabih De l’organisation compositionnelle du discours médiatique électronique 91 Guy Achard-Bayle Ondřej Pešek La phrase en cotexte et la hiérarchie des unités mésotextuelles 121 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 5 23/06/2023 11:58:43
  • 5. 6 La phrase en contexte : grammaire et textualité Thomas Franck Quand citer c’est faire. Analyse de la doxa existentialiste à partir de ses citations décontextualisées 161 Francesco Parisi Le Schizo et les langues : la frase tra letteratura, linguistica e filosofia 177 Houda Landolsi Le Rassemblement National et les prénoms. Construction du sens intégral dans le discours sur la francisation des prénoms : une affaire de… contexte ? 201 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 6 23/06/2023 11:58:43
  • 6. Introduction Dans la perspective psychomécanique qui nous occupe de près, le rapport langue/discours est généralement centré sur les mots et leurs éléments formateurs, mais l’observation des faits de discours garde une importance remarquable dans la démarche méthodologique de Gustave Guillaume (1883-1960). Certes, la théorie de Guillaume, ins- crite dans le cadre de la linguistique structurale, ne va pas au-delà de la phrase, au point que l’idée de texte est pour le moins décevante. C’est la linguistique textuelle des années 1970 qui prendra en compte l’enchaînement de groupes plus vastes que la phrase et qui examinera les relations existant entre ces groupes et leur contexte. Les remarques sur quelques faits grammaticaux isolés demeurent pourtant gravées dans les raisonnements des linguistes intéressés par certains segments récursifs du texte. Si ce n’est pas un système de contraintes relatif à la phrase et à sa continuité qui définit l’ensemble, l’exploration en long et en large de la structure du texte et de ses propriétés intrinsèques peut conduire au dévoilement de la cohérence et de la cohésion obser- vées à travers le grand angle du contexte. Cette dernière notion, que la linguistique théorique a souvent négligée, mais que Guillaume a ébau- chée dans sa célèbre contribution sur le problème de l’article de 19191 , intègre – ou mieux éclaire – l’interprétation linguistique et textuelle 1 Guillaume, G. (1975 [1919]) : Le problème de l’article et sa solution dans la langue française, préface de Roch Valin, Paris/Québec, Nizet/Les Presses de l’Université Laval. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 7 23/06/2023 11:58:43
  • 7. 8 La phrase en contexte : grammaire et textualité en permettant de profiter des informations données par l’environne- ment linguistique, voire celles qu’offrent la situation socio-discursive ou le patrimoine culturel partagé par les co-énonciateurs, dans le but de comprendre certains usages ou certaines régularités du discours. Pour nous, la portée discursive et textuelle des faits de langue « en action » est tangible dans les domaines de la narratologie, de la sty- listique, sans compter les territoires fort complexes de la sémiotique. Mais toute textualité répondant à une visée globale du sujet écrivant/ parlant et puisant à une situation socio-discursive déterminée peut posséder une cohésion et une cohérence valables. Le présent recueil, qui a pour but de théoriser ou de décrire les aspects grammaticaux, stylistiques et compositionnels des textes, s’ouvre sur la contribution de Louis Begioni et Alvaro Rocchetti qui développent une réflexion importante sur l’ordre des mots. Ils exa- minent l’unité-phrase en étudiant le passage du latin aux langues ro- manes, sans négliger la comparaison avec les langues agglutinantes et isolantes. Leur étude s’avère productive dans la mesure où elle permet de saisir la portée des variations dans le temps de l’agencement syn- taxique au sein de la phrase. Intéressée par la texture micro-linguis- tique du texte, Luciana T. Soliman examine et inventorie les formes verbales voici/voilà et leurs fonctions dans un corpus de légendes en français en décodant les paramètres clés de ces deux anciens « pré- sentatifs ». Afin de ne pas limiter la notion de texte au champ linguis- tique, Sophie Saffi explore une bande dessinée en montrant d’abord les caractéristiques distinctives de ce discours iconotextuel, et en révé- lant ensuite la complémentarité des textes et des dessins. Après avoir décrit les constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies et les bulles, elle revisite de manière novatrice le découpage d’un scé- nario de BD selon l’organisation séquentielle d’un texte conçue par Jean-Michel Adam. C’est grâce au même modèle d’analyse de départ que Mohammed Nabih examine les pratiques discursives du journa- lisme numérique en identifiant d’emblée une hétérogénéité qui marque le discours médiatique en ligne : les séquences narratives, descriptives, argumentatives et explicatives se combinent jusqu’à s’imbriquer dans un rapport hiérarchique variable. Guy Achard-Bayle et Ondřej Pešek, SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 8 23/06/2023 11:58:43
  • 8. Introduzione 9 quant à eux, vérifient le passage de la phrase au texte et définissent le niveau mésotextuel. Ils creusent les questions liées à la diversité et à la quantité des unités intermédiaires pour se pencher ensuite sciem- ment sur le trouble existant entre période et macroproposition, entre séquence et paragraphe. Pour ce qui est de la contribution de Thomas Franck, qui s’inscrit dans la linguistique pragma-énonciative, elle ex- ploite le discours existentialiste d’après-guerre afin de témoigner de la manière dont la force des citations de ce type de discours en porte-à- faux entre le littéraire et le philosophique est déformée par son emploi hors contexte, valorisant ainsi la plénitude du sens contextuel d’un acte de parole. Le rapport étroit existant entre la phrase et le contexte est également supposé par Francesco Parisi, qui examine de près les particularités de l’énoncé « schizophrénique » dans un roman auto- biographique d’élite. Pour conclure, Houda Landolsi se concentre sur le discours politique de l’assimilation en prônant un décryptage textuel fondé non seulement sur les données condensées entre les frontières du texte, mais aussi sur ces données que l’on trouve en de- hors du discours et précisément aux niveaux inter- et extra-discursif en vue de découvrir les mécanismes sociétaux gouvernant le rapport entre le dit et le non-dit. Luciana T. Soliman Università di Padova Sophie Saffi Aix-Marseille Université SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 9 23/06/2023 11:58:43
  • 9. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 10 23/06/2023 11:58:43
  • 10. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes ; comparaison avec les langues agglutinantes et isolantes Louis Begioni Università degli Studi di Roma Tor Vergata, Université de Lille Alvaro Rocchetti Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Lorsqu’on observe de près l’évolution des langues romanes1 , de- puis le latin jusqu’à nos jours, on est constamment mis en présence de déplacements dans l’ordre des mots qui vont pratiquement toujours dans le même sens : on est passés, par exemple, d’une langue mère que l’on qualifie de « flexionnelle », avec des déclinaisons à la finale de ses substantifs et des désinences à la fin de ses verbes, à des langues filles qui les ont réparties différemment. Ces flexions sont réduites ou remplacées dans les langues romanes, pour le substantif, par des élé- ments anticipés (articles et nouvelles prépositions) et, pour le verbe, partiellement ou totalement, selon la langue – moins systématique- ment toutefois que dans le cas du substantif –, par des auxiliaires, eux aussi anticipés, et dans l’une des langues romanes (le français), par des pronoms personnels anticipés « liés ». Toutes les langues romanes ne sont pas au même stade d’évolution, mais la tendance à l’anticipation des marques morphologiques est commune. Dans un premier temps nous étudierons l’anticipation des marques morphologiques du substantif et du verbe, puis les mouvements au ni- veau de la phrase qui concernent plus directement le plan syntaxique comme par exemple l’anticipation de la conjonction pour les propo- 1 Le présent article se fonde sur les positions défendues ailleurs par Begioni (2012), Begioni et Rocchetti (2010, 2013, 2015, 2019) et Rocchetti (1980, 2005). SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 11 23/06/2023 11:58:43
  • 11. 12 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti sitions subordonnées. Nous porterons une attention particulière pour la remontée du verbe de la fin de la phrase – position qui caractérise les langues agglutinantes – à la seconde place après le sujet – plutôt ca- ractéristique des langues flexionnelles – afin d’interpréter l’évolution générale du fonctionnement systémique des langues romanes. 1. Les anticipations au niveau du substantif et du verbe Le mouvement d’anticipation qui touche à la fois le substantif et le verbe se traduit par un processus de démorphologisation. Pour le substantif, la morphologie générale du genre et du nombre n’est plus portée par le nom lui-même : elle est transférée sur un mot gramma- tical antéposé et étroitement lié à lui. Pour le verbe, on peut observer un mécanisme analogue pour toutes les langues romanes, avec l’antici- pation de l’auxiliaire aboutissant à la démorphologisation de l’aspect. 1.1. Au niveau du substantif Dans toutes les langues romanes, l’anticipation concerne à la fois les morphèmes grammaticaux du genre et du nombre, mais aussi, dans une moindre mesure, les morphèmes lexicaux comme les suffixes. 1.1.1. L’anticipation de la morphologie du genre et du nombre On peut constater que toutes les langues romanes passent par une phase où la double morphologie est présente : elles conservent la marque post-nominale du genre et du nombre, tout en ayant anticipé – sauf pour l’article défini du roumain qui est postposé au substantif – ces mêmes marques sur un déterminant qui peut être un article, un adjectif démonstratif, un adjectif possessif. C’est le cas, à ce stade, de toutes les langues romanes, y compris de l’ancien français. Mais, dans cette dernière langue, la morphologie nominale du pluriel ne SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 12 23/06/2023 11:58:43
  • 12. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 13 distingue pas le masculin du féminin au cas régime. Or, comme c’est le cas régime qui sera généralisé dans la phase ultérieure, cela explique que le français ne distingue pas le genre au pluriel. Du moyen fran- çais au français d’aujourd’hui, l’anticipation est devenue totale dans la langue orale, même si la langue écrite conserve encore la morphologie de l’ancien français. La neutralisation du genre au pluriel opérée sur les déterminants a pour conséquence de le renvoyer au signifié du substantif. Cette tendance est l’un des signes avant-coureurs de l’évo- lution typologique du français jusqu’à ce jour. Les autres langues romanes – qui, remarquons-le, ne sont pas passées par une opposition entre cas sujet et cas régime – ont, elles, conservé la double morphologie. La marque morphologique finale du substantif se trouve anticipée dans la forme de l’article, puis systéma- tiquement répétée par le substantif : ainsi, it. sing. la casa/pl. le case, esp. sing. la casa/pl. las casas. 1.1.2. La réduction des suffixes par anticipation Comme nous venons de le voir, l’anticipation au niveau du subs- tantif concerne surtout les morphèmes grammaticaux du genre et du nombre. Les morphèmes lexicaux postposés au substantif – comme les suffixes diminutifs, augmentatifs, péjoratifs… – semblent épar- gnés par ce processus. Seule la langue française amplifie largement aujourd’hui l’anticipation de ce type de suffixe. Ainsi, on ne dira plus un garçonnet mais un petit garçon, alors que, dans la plupart des autres langues romanes, le suffixe n’est pas anticipé : it. un ragazz-ino, esp. un chiqu-ito, un chiqu-it-ín, un chiqu-irr-it-ín, roum. mic-uţ. On peut penser qu’en français, après l’anticipation de la morphologie du genre et du nombre, le suffixe lexical se retrouve à la dernière place du subs- tantif et peut donc être anticipé à son tour. La nouvelle logique de la construction du substantif en français repose sur un accent tonique qui clôt l’expression du signifié. Ainsi le substantif se réduit au seul signifié de son radical et tout ajout de morphème est de moins en moins cohérent avec la logique du système linguistique. Toutefois, en SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 13 23/06/2023 11:58:43
  • 13. 14 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti français, dans les langues spécialisées, ce type de suffixation est encore possible (ex. cancer > cancéreux, cancérigène, cancérologue…). 1.2. Au niveau du verbe 1.2.1. L’anticipation de l’auxiliaire Elle constitue le mécanisme le plus général au niveau du verbe : il s’agit d’une anticipation de l’aspect verbal qui passe d’une morpholo- gie interne en latin à une expression anticipée, constituée d’un auxi- liaire et d’un participe passé. L’auxiliaire porte la marque de l’aspect verbal accompli et le participe passé du verbe apporte la signification. Ce rapport entre auxiliaire et participe passé diffère selon les langues. Par exemple, en italien, le participe passé est encore fortement lié à l’auxiliaire, avec une dimension verbale évidente, alors qu’en français le participe passé fonctionne véritablement comme un adjectif. Ainsi, le camion est chargé peut être rendu en italien de deux manières : il camion è caricato qui exprime une action accomplie du verbe caricare (« on est en train de le charger »), et il camion è carico, lequel exprime un état du sujet (« il a été chargé »). 1.2.2. Le pronom personnel sujet obligatoire en français C’est le point sur lequel la différence entre le français et les autres langues romanes est la plus nette. Alors qu’en espagnol, en portugais, en italien ou en roumain, la forme verbale aux différents temps inclut le pronom sujet, implicitement ou dans sa finale flexionnelle, la langue française ne l’inclut plus : il doit donc être exprimé soit par un subs- tantif, soit par un pronom sujet. Cela signifie que l’on se retrouve dans les deux cas, dans une situation comparable à celle du substantif : comme les langues romanes autres que le français incluent dans leur forme verbale le sujet de l’action, elles n’ont pas recours à un pronom sujet anticipé, cependant que lorsque le verbe est rattaché à un subs- tantif (qui précède le verbe ou le suit), le sujet de l’action est spécifié SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 14 23/06/2023 11:58:43
  • 14. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 15 deux fois, par la forme verbale elle-même et par le substantif sujet qui la précède ou qui lui fait suite. En revanche, en français, le sujet du verbe n’est exprimé qu’une seule fois, soit par le substantif, soit par le pronom, lequel est désormais obligatoire s’il n’y a pas de substantif sujet. Remarquons cependant qu’en français parlé, très fréquemment, le sujet thématique de la phrase est repris par un pronom clitique obliga- toire ; la phrase tend à se constituer en deux éléments fondamentaux : le thème, élément qui est posé, et le rhème qui explicite le thème. Par exemple, dans la phrase du français parlé, Mon frère, il va au cinéma ce soir, « mon frère » constitue le thème, c’est-à-dire le sujet logique de la phrase, et « il va au cinéma ce soir » en constitue le rhème. On peut constater que dans le rhème le pronom personnel sujet reprend le sujet de la phrase. Par rapport aux autres langues romanes, on a donc franchi succes- sivement deux étapes. La généralisation obligatoire du pronom lorsqu’il n’y a pas de substantif sujet (cas du français standard : ex. Mon frère (ma sœur) va au cinéma ce soir > il (elle) va au cinéma ce soir), contrairement aux autres langues romanes : esp. va al cine esta tarde/it. va al cinema questa sera/roum. se duce la cinema în seara asta. L’utilisation de la reprise par un pronom personnel sujet, même si on dispose d’un substantif sujet : c’est la reprise du thème par le rhème (ex. : Mon frère, il va au cinéma ce soir). On peut penser que cette nouvelle structure de la langue parlée sera celle du français de demain. Elle est déjà courante lorsque le thème est exprimé par un pronom fort : Lui, il va au cinéma ce soir/ Elle, elle va au cinéma ce soir. 2. Les mouvements au niveau de la phrase Ces mouvements sont caractérisés par des anticipations qui ren- forcent, d’une part, les prépositions et, d’autre part, les conjonctions de subordination. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 15 23/06/2023 11:58:43
  • 15. 16 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti 2.1. Le rôle des prépositions Les prépositions, déjà partiellement présentes dans la langue latine en complément de la flexion, se sont développées, en particulier pour remplacer les désinences casuelles du génitif, du datif et de l’ablatif qui se trouvent ainsi antéposées. Pour la distinction entre le nominatif et l’accusatif, c’est essentiellement la position par rapport au verbe qui sert de discriminant : le nom qui précède le verbe est généralement le sujet et celui qui suit le verbe exprime l’objet. Certaines langues (espagnol, roumain) ont introduit des prépositions même dans le cas de l’objet pour distinguer l’objet animé de l’objet inanimé : ainsi, en espagnol, la préposition « a » précède l’objet animé (ex. He conocido a tu padre, « j’ai connu ton père ») et la langue roumaine fait de même, en rajoutant un pronom et la préposition pe à l’objet animé : L-am cunoscut pe tatăl tău. 2.2. Les conjonctions de subordination Des particules sont venues compléter certains modes verbaux, comme le subjonctif précédé de « que » (français, espagnol), « che » (italien), « să » et « că » (roumain) et même, pour cette dernière langue, l’infinitif a trouvé, comme en anglais, une particule anticipée en rem- placement de l’infinitif en -r ou en -re des autres langues romanes : chanter, dormir, se disent en roumain : a cânta, a dormi. Cette évolution plus poussée de la langue roumaine est à mettre en relation avec la double particule d’introduction de la subordination que nous venons d’observer (să et că) et avec le fait que la troisième personne comporte, comme en anglais, un marquage spécifique : le subjonctif a en effet identifié ses formes de première et de deuxième personnes avec l’in- dicatif, mais il a gardé une forme verbale spécifique pour la troisième personne. Ainsi, le présent du subjonctif du roumain reprend, pour les personnes de l’interlocution, les formes du présent de l’indicatif : ex. indicatif (eu) cânt, (tu) cânţi/subjonctif (eu) săcânt, (tu) să cânţi. Mais la troisième personne est différente : (el) cântă/(el) săcânte. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 16 23/06/2023 11:58:43
  • 16. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 17 En revanche, les autres langues romanes – y compris le français – ont généralisé la conjonction « que », laquelle fonctionne comme une particule de troisième personne antéposée à l’ensemble de la propo- sition subordonnée. Seule la langue française a porté cette généralisa- tion à son terme dans la langue orale, mais seulement pour les verbes réguliers du premier groupe et pas pour l’interlocution au pluriel : – ind. je chante subj. que je chante – ind. tu chantes subj. que tu chantes – ind. il chante subj. qu’il chante Mais : – ind. nous chantons subj. que nous chantions – ind. vous chantez subj. que vous chantiez On peut donc observer deux orientations au niveau des simplifi- cations morphologiques en cours qui font ressortir une grande cohé- rence au sein de chaque système linguistique : soit la simplification porte sur les personnes interlocutives (cas du roumain, cf. l’anglais) et, dans ce cas, la troisième personne doit recevoir une marque mor- phologique spécifique pour bien souligner l’opposition entre interlo- cution et hors interlocution (d’où le -s ajouté à la troisième personne en anglais et le maintien d’une troisième personne du subjonctif en roumain) ; soit la simplification se porte sur la généralisation de la troisième personne et, dans ce cas, ce sont les éléments de l’interlocu- tion qui doivent être marqués. Ces choix, somme toute, très différents – on pourrait même dire qu’ils sont systémiquement opposés – ont été effectués en fonction de la cohérence du système de chaque langue et ce processus est en cours depuis presque deux millénaires. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 17 23/06/2023 11:58:43
  • 17. 18 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti 3. Explication générale 3.1. La remontée du verbe Quelle peut être la cause d’un tel bouleversement de l’ordre des mots entre la langue-mère et les langues-filles ? Et cette langue-mère n’était-elle pas déjà, elle aussi, en cours d’évolution à partir d’une langue-mère antérieure ? Il est évident que la langue latine présente des caractéristiques qui la rattachent au type des langues aggluti- nantes, mais aussi des innovations qui se prolongeront et se dévelop- peront dans les futures langues romanes. Ainsi, dans les phrases com- plexes, comprenant plusieurs propositions enchâssées les unes dans les autres, le verbe de la proposition principale tend à remonter en deuxième position afin de clarifier l’enchaînement sémantique et syn- taxique de l’ensemble des propositions. Par la suite, ce nouvel ordre des mots va s’imposer, même dans les phrases simples et entraîner de nouvelles interactions systémiques 3.2. Les interactions systémiques Le passage progressif d’une typologie agglutinante à une typolo- gie fonctionnelle des langues romanes a donc pour conséquence le changement de l’ordre des mots de S O V à S V O. Le nouvel ordre des mots, qui fixe dans la phrase la place des syntagmes suivant leur fonction, va provoquer l’affaiblissement progressif des déclinaisons. L’anticipation de la morphologie nominale est sans doute une consé- quence de tous ces bouleversements. On peut constater que, dans les langues romanes où l’anticipation nominale n’est pas complètement aboutie, l’ordre des mots n’est pas définitivement fixé car le sujet n’arrive pas systématiquement à la première place. On peut décrire l’ordre des mots dans ces langues par la formule suivante : (S) V O. Seule la langue française qui a totalement anticipé la morphologie no- minale et bien avancé dans l’anticipation de la morphologie verbale, a désormais un ordre des mots strict du type S V O. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 18 23/06/2023 11:58:43
  • 18. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 19 4. D’une typologie à l’autre : des langues agglutinantes aux langues flexionnelles et aux langues néo-isolantes 4.1. Quelle nouvelle opposition typologique entre les langues romanes ? Nous venons d’examiner le passage progressif d’une typologie ag- glutinante à une typologie flexionnelle, en analysant en particulier les changements au sein même du latin, puis du latin aux langues romanes. Dans un premier temps, le latin perd définitivement les dernières ca- ractéristiques de la typologie agglutinante avec l’anticipation du verbe à la seconde place de la phrase en affirmant ses caractéristiques typo- logiques flexionnelles. Dans un deuxième temps, du latin aux langues romanes, l’anticipation morphologique nominale de toutes les langues romanes annonce-t-elle le passage à une nouvelle typologie linguis- tique et, si oui, laquelle ? On constate que toutes les langues romanes, sauf le français, évoluent vers une anticipation morphologique nomi- nale partielle, avec une double morphologie – celle du déterminant et celle du substantif – mais sans anticipation au niveau du verbe, dans la mesure où la morphologie post-verbale (exprimant la personne) est renforcée. Ces deux mouvements typologiques opposés ne semblent pas annoncer un changement typologique susceptible de se produire dans un proche avenir. 4.2. Le français, langue à part dans les langues romanes ? Dans l’évolution du latin aux langues romanes, seule la langue française a entamé une double anticipation à la fois nominale et verba- le. L’anticipation nominale est quasiment achevée dans la langue par- lée et l’anticipation verbale, avec un décalage diachronique, est bien avancée, elle aussi, par l’instauration du pronom personnel sujet obli- gatoire et l’affaiblissement progressif des désinences post-verbales. La désinence de la première personne du pluriel « -ons » est déjà antici- pée sous la forme du pronom « on » suivi de la forme verbale commu- ne aux trois premières personnes du singulier. À l’origine, le pronom SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 19 23/06/2023 11:58:43
  • 19. 20 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti « on » avec une valeur d’impersonnel, provenait du nominatif latin homo. Mais, récemment, au cours du XXe siècle, le pronom « on » s’est progressivement imposé dans la langue parlée avec la valeur de « nous », au point qu’on peut estimer qu’aujourd’hui il remplace le pronom « nous » dans plus de neuf fois sur dix. Seule la désinence de la seconde personne du pluriel résiste encore, même si, dans des situa- tions de communication particulières, on peut constater sa disparition (ex. au marché : « qu’est-ce qu’elles veulent les petites dames ? » pour « que voulez-vous acheter ? »). Ces deux mouvements d’anticipation (verbale et nominale) vont dans le même sens et sont le signe d’une nouvelle structuration typologique de la langue française. Le substan- tif et le verbe vont vers un modèle démorphologisé qui ressemble de plus en plus à celui des langues isolantes. Toutefois, ce nouveau mo- dèle ne ressemble pas complètement à celui des langues isolantes, en particulier celles d’Extrême-Orient comme le mandarin. Le détermi- nant porte en effet désormais la morphologie nominale et est intime- ment lié au substantif. De la même manière le pronom personnel sujet porte la morphologie verbale et est, lui aussi, intimement lié au verbe. Par ailleurs, le substantif et le verbe appartiennent toujours à deux catégories linguistiques bien distinctes, chacune avec un fonctionne- ment qui lui est propre : articles et prépositions pour le substantif, pronoms et auxiliaires pour le verbe. Le français est pour l’instant la seule langue romane à se diriger vers un nouveau modèle typologique que nous qualifierons de « néo-isolant lié », dans la mesure où le lien obligatoire et intime entre le déterminant et le substantif d’une part, et celui entre le pronom personnel sujet et le verbe d’autre part, en sont les caractéristiques fondamentales et spécifiques. Ces liens entraînent aussi une autre conséquence qui rapproche, cette fois, le français du fonctionnement des langues isolantes : la disparition de l’expression de la morphologie dans la désinence du substantif, aussi bien que dans celle du verbe, a conduit la langue française à disposer d’un nombre de monosyllabes bien plus élevé que les autres langues romanes. C’est qu’en effet, une fois la désinence morphologique anticipée, la partie du substantif qui apporte le sens se trouve réduite et tend à devenir commune au substantif et au verbe SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 20 23/06/2023 11:58:43
  • 20. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 21 puisque la différence entre ces deux valeurs est déjà exprimée par les éléments morphologiques anticipés. Ce n’est pratiquement jamais le cas dans les autres langues romanes : sauf cas exceptionnel, la double composition aussi bien du substantif que du verbe (1- apport du sens + 2 - désinence morphologique) entraîne dans ces langues la nécessité de disposer au minimum de deux syllabes. Un exemple concret de comparaison peut être parlant : prenons le cas du verbe faire en français et de ses correspondants dans les autres langues romanes : l’italien fare, l’espagnol hacer et le roumain a face. Observons d’abord l’utilisation, en français parlé, du même monosyllabe pour le verbe : je fais, tu fais, il/elle fait, on fait, j’ai fait, j’avais fait… mais aussi pour le nom, au singulier comme au pluriel : le fait, les faits, un fait, des faits… En revanche, en espagnol, les formes correspondantes sont au moins bisyllabiques : hago, haces, hace, ha- cemos, haceis, hacen… el hecho, los hechos. Elles sont, de plus, très diversifiées les unes par rapport aux autres, au point qu’on peut re- marquer que la seule consonne qui se trouve dans toutes les formes – la consonne initiale h – est aussi la seule qui… ne se prononce pas ! La diversité italienne est tout aussi remarquable : faccio, fai, fa, fac- ciamo, fate, fanno, pour le verbe et il fatto, i fatti, pour le substantif. Il en est de même pour le roumain : (eu) fac, (tu) faci, (el) face, facem, faceti,(ei) fac, pour le présent du verbe et faptul, fapte, pour le subs- tantif singulier et pluriel. On notera qu’il y a en roumain, dans ce cas, une seule forme commune (fac, monosyllabique, remarquons-le) entre la première personne du singulier et la troisième du pluriel, mais, en revanche, aucune forme commune entre le substantif et le verbe. La réduction formelle dans la langue française que nous venons d’observer pour les dérivés du verbe faire (devenu, lui aussi mono- syllabique depuis l’amuïssement du e final) touche un grand nombre de verbes français. Il suffit de penser aux verbes du premier groupe en -er, comme par exemple passer : je passe, tu passe(s), il passe, on passe… ils passe(nt) qui coïncident avec le singulier et le pluriel du substantif : la passe, les passe(s), une passe, des passe(s). On voit que les formes bisyllabiques de l’espagnol (paso, pasas, pasa… un paso, dos pasos) et de l’italien (passo, passi, passa… un passo, due passi) sont SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 21 23/06/2023 11:58:43
  • 21. 22 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti devenues régulièrement monosyllabiques en français. L’anticipation de la morphologie liée nominale et verbale permet donc une grande réduction des formes avec une tendance très nette à se rapprocher des monosyllabes des langues isolantes d’Extrême-Orient. On est loin de l’indo-européen – la langue agglutinante du départ – avec le verbe placé à la fin de la phrase et tous les substantifs et les verbes pourvus de désinences morphologiques. La langue intermédiaire – le latin – gardait encore souvent le verbe à la fin de la phrase et n’avait entrepris l’évolution d’anticipation que pour le substantif : il avait bien déjà développé des prépositions, mais pas encore créé les articles. Toutes les langues romanes ont poursuivi cette évolution en anticipant aussi la morphologie verbale avec la création des auxiliaires. Mais seule la langue française a été jusqu’au bout de ce processus d’évolution en anticipant aussi la morphologie verbale du genre et du nombre sous la forme du pronom personnel sujet obligatoire. Conclusion Les phénomènes que nous avons analysés nous permettent donc de mieux comprendre les évolutions différenciées des langues ro- manes. On assiste à la création progressive d’une nouvelle syntaxe qui conserve des éléments liés tout en mettant en évidence le caractère indépendant des constituants fondamentaux de la phrase. On peut comparer la construction d’un discours à la construction d’une mai- son : de même que pour la maison on utilise des briques, des portes, des fenêtres, des poutres, des tuiles, etc., de même pour le discours on utilise des substantifs, des adjectifs, des verbes, des adverbes, etc. Mais une accumulation de briques, de portes, de fenêtres, de poutres et de tuiles ne fait pas une maison. Il faut ajouter du ciment pour que les briques soient bien reliées entre elles et pour que les portes et les fenêtres soient bien à leur place. Il en est de même dans le discours où les éléments qui apportent le sens (les substantifs, les adjectifs qualifi- catifs…) et ceux qui apportent les actions (les verbes, les adverbes…) sont bien reliés entre eux par ce que l’on appelle « la morphologie ». SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 22 23/06/2023 11:58:43
  • 22. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 23 Il s’agit d’éléments d’ordre syntaxique qui assurent la cohésion de la phrase, comme les articles, les prépositions, les pronoms, les au- xiliaires… Ils sont à la fois indépendants des éléments qu’ils intro- duisent, mais aussi intimement liés à eux. Employés seuls, ils n’au- raient aucun sens et seraient incompréhensibles. Nous venons de voir qu’ils n’existent pas dans toutes les langues et que, dans les langues ro- manes, ils sont de création relativement récente et à un stade différent selon les langues. Une question se pose dès lors : comment procèdent les langues qui ne les possèdent pas ? Nous nous permettons de montrer ici, brièvement, par un exemple, comment fonctionne, sur ce point, une langue agglutinante qui ne dispose pas d’éléments syntaxiques indépendants-liés. Dans le mot- phrase turc suivant, on ne compte pas moins de 14 éléments suffixés au mot initial Paris : Parislileştiremediklerimizdensinizdir La traduction de ce seul mot turc est une phrase française com- posée, elle, de 13 éléments ! Elle commence par la fin du mot turc (sinizdir = vous êtes) et se termine par le début de la phrase turque (Parisli = parisien) : « Vous êtes de ceux que nous n’avons pas réussi à rendre parisiens ». L’unité de ce mot est liée à l’harmonie vocalique (i/e) qui est don- née par le -i- contenu dans la syllabe finale du premier élément (Paris). Si on avait utilisé le mot Istanbul, l’harmonie vocalique aurait été en rapport avec le u de la dernière syllabe (bul), ce qui aurait donné : Istanbullulaştıramadıklarımızdansınızdır « Vous êtes de ceux que nous n’avons pas réussi à rendre stambouliotes ». Morer (1986 : 10), dans son ouvrage Grammaire de la langue turque, définit ainsi l’harmonie vocalique : SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 23 23/06/2023 11:58:43
  • 23. 24 Louis Begioni, Alvaro Rocchetti La règle de l’euphonie, ou harmonie vocalique, constitue la base de la grammaire turque. En tant que langue agglutinante, le turc exprime les rapports grammaticaux au moyen de suffixes en nombre fort important. Toutes les fois qu’il s’agit d’ajouter à un mot une terminaison quelconque, ce suffixe se prononcera avec un son doux, si la voyelle dominante qui est la voyelle finale du mot, est une voyelle douce (e, i, ö, ü), ou avec un son dur, si c’est une voyelle dure (a, ı, o, u). Quel est l’intérêt, pour une langue agglutinante, d’avoir recours à cette variation des voyelles de tous les suffixes à partir de la der- nière syllabe du mot de base ? Deny (1955 : 16), dans ses Principes de grammaire turque, explique que « l’harmonie vocalique est un phéno- mène à la fois phonétique et morphologique : elle assure, en effet, une certaine cohésion entre les éléments morphologiques constitutifs du mot ». On pourrait combiner les constatations de ces deux grammai- riens de la langue turque en observant que, devant le nombre « fort important » de suffixes, il est nécessaire que soit soulignée « la cohé- sion entre les éléments constitutifs du mot » (ibid.). C’est donc, en dernière analyse, pour un besoin de clarté que le discours turc recourt à l’harmonie vocalique. Ne peut-on pas penser qu’il pourrait en être de même avec la création dans nos langues – encore partiellement flexionnelles, mais aussi ex-agglutinantes, ne l’oublions pas – d’un nombre de plus en plus important de « particules antéposées-liées » lesquelles tendent manifestement à remplacer les suffixes. C’est, en tout cas, une idée à méditer… Bibliographie Begioni, L., Rocchetti, A. (2010) : « Phénomènes de déflexivité du latin aux langues romanes : quels mécanismes systémiques sous-tendent cette évolution ? », Langages, 178, p. 67-87. Begioni, L. (2012) : « Interactions entre sémantique et morphosyntaxe dans le cadre d’une systémique diachronique des langues: exemples en français et en italien », in Begioni, L., Bracquenier, Ch. (éds), Sémantique et lexi- SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 24 23/06/2023 11:58:43
  • 24. L’évolution de l’ordre des mots dans la phrase du latin aux langues romanes 25 cologie des langues d’Europe. Théories, méthodes et applications, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, p. 69-84. Begioni, L., Rocchetti, A. (2013) : « Comprendre la concordance des temps et son évolution comme un phénomène de déflexivité : d’une concordan- ce, élément actif de la syntaxe (italien, français classique) à une concor- dance en cours de réduction (français d’aujourd’hui) », Langages, 191, p. 23-36. Begioni, L., Rocchetti, A. (2015) : « Quelles perspectives psychomécaniques pour une systémique comparée des langues romanes », Studia Universi- tatis Babes-Bolyai. Philologia, vol. 3, Cluj, Cluj University Press, p. 9-21. Begioni, L., Rocchetti, A. (2019) : « Typologie lexicale comparée des lan- gues romanes : les spécificités de la langue française et leur implication sur la cognition et la culture », Langages, 2019/2, 214, p. 33-44. Deny, J. (1955) : Principes de grammaire turque, Paris, Maisonneuve. Morer, A. (1986) : Grammaire de la langue turque, Paris, Maisonneuve. Rocchetti, A. (1980), « De l’indo-européen aux langues romanes : une hy- pothèse sur l’évolution du système verbal », in Hirtle, W., Joly, A. (éds), Langage et psychomécanique du langage. Études dédiées à Roch Valin, Lille/Québec, Presses Universitaires de Lille/Presses de l’Université La- val, p. 255-267. Rocchetti, A. (2005) : « De l’indo-européen aux langues romanes : appari- tion, évolution et conséquences de la subordination verbale », in Araujo Carreira M.H. (éd), Des universaux aux faits de langue et de discours, lan- gues romanes : hommage à Bernard Pottier, Université Paris 8-Vincennes Saint-Denis, p. 101-123. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 25 23/06/2023 11:58:43
  • 25. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 26 23/06/2023 11:58:43
  • 26. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif Luciana T. Soliman Università di Padova Le genre discursif de la légende se caractérise généralement par un emploi important de phrases dénuées d’artifices rhétoriques puis- sants. Ces phrases, qui gouvernent la narration à l’aide d’une parataxe fréquente, assurent la clarté et l’accessibilité au sens, comprimant ain- si les élans d’érudition et évoquant ce raffinement sans excès que la tradition connaît. Dans les légendes écrites par Henri Gougaud1 (L’Arbre à soleils, 1979), les outils morphosyntaxiques voici et voilà, qui répondent à cette exigence de simplicité, recourent avec une certaine abondance. Leur présence s’inscrit dans une narration visant à instruire le lecteur, qui peut méditer sur le secret de sa morale ou sur les valeurs humaines perpétuelles qu’elle préconise. En effet, les histoires recueillies et re- formulées par le conteur découlent d’une énonciation dictée pour la plupart par la logique du mythe ou du rêve : l’homme se confronte à 1 Henri Gougaud (Villemoustaussou 1936 −) est romancier et conteur. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment Les Sept Plumes de l’aigle (1995) et L’Enfant de la neige (2011). Grâce à un vaste répertoire de légendes et de contes, il a écrit une vingtaine de recueils, parmi lesquels Contes du vieux moulin (1968), Contes de la Hu- chette (1973), L’Arbre à soleils : légendes du monde entier (1979), L’Arbre aux trésors : légendes du monde entier (1987), L’Arbre d’amour et de sagesse : contes du monde entier (1992), Contes des sages soufis (2005), La Clé des cœurs : contes et mystères du pays amoureux (2017). SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 27 23/06/2023 11:58:43
  • 27. 28 Luciana T. Soliman ses limites ou est gagné de manière temporaire par ses passions dans de longs voyages jusqu’aux frontières du monde connu, voire au-delà de celui-ci, dans des aventures qui peuvent garantir le succès du projet de départ ou offrir une réponse au mystère du destin ou des origines de l’univers. L’étude du comportement de voici/voilà dans les légendes de cet écrivain français nous semble utile afin de saisir leurs signifiés et leurs fonctions textuelles. Comme on le verra, ces formes sont issues de l’impératif du verbe « voir » et sont employées comme formes ver- bales puisqu’elles peuvent se combiner avec un pronom (le, nous), tandis qu’elles auraient le statut de prépositions dans le cas d’un em- ploi temporel2 (voici et voilà peuvent être suivis d’un localisateur tem- porel indiquant l’antériorité). Voici et voilà sont liés soit à une situation d’énonciation particulière, soit au contexte linguistique. Il suffit de considérer leur histoire dès le début : en ancien français veez ci figurait uniquement en discours direct et comportait le renvoi concret à un être ou à un objet présents dans le lieu d’énonciation (Oppermann-Marsaux 2008 : 318). Quant au développement progressif de l’emploi de voici/voilà dans la nar- ration écrite, le lecteur continue de jouer le rôle de témoin, quoique fictif, de ces événements qui aboutissent souvent à un stade crucial du récit. C’est donc dans le territoire privilégié du texte qu’opèrent les occurrences de voici/voilà dont nous allons examiner la nature et les fonctions. 2 Le Trésor de la Langue Française informatisé (1994) définit voici/voilà selon leur emploi : soit comme des verbes défectifs réduits à la forme unipersonnelle du présent de l’indicatif de l’aspect inaccompli, soit comme des prépositions. Le Petit Robert (2020) précise plutôt que voici/voilà, quoique classés parmi les prépositions, ont en fait la valeur de verbe. Rétrospectivement, leur catégorie d’appartenance a été tou- jours assez floue : conçus par Wartburg et Zumthor (1958 : 297) comme des adverbes démonstratifs en raison de leur emploi déictique, ils ont été traités par Brunot et Bruneau (1969 : 210) comme des adverbes présentatifs. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 28 23/06/2023 11:58:43
  • 28. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 29 1. Nature de voici/voilà Voici et voilà sont des verbes de perception. Comme le note Op- permann-Marsaux à maintes reprises (2004, 2006, 2008), on a iden- tifié des variantes non soudées aux XIIe et XIIIe siècles composées de l’impératif du verbe veoir et de l’adverbe ci ou la. Ce n’est qu’à partir du moyen français, notamment dès le XVe siècle, que les formes soudées commencent à voir le jour : veci et vela, avec base verbale ve-. Avec la soudure, le sens du verbe de perception s’est dégradé (Op- permann-Marsaux 2006 : 88) et au XVIe siècle les nouvelles formes voici et voilà sont également employées en renvoyant à des mots du contexte immédiat (Oppermann-Marsaux 2008 : 318). En français préclassique, la forme voici est encore plus fréquente que voilà, celle- ci apparaissant de plus en plus régulièrement dans la construction avec complétive (XVIIe -XVIIIe siècles). Mais un nouvel emploi de voici/voilà suivis d’un indicateur temporel et de la conjonction que signale que la valeur sémantique de ces deux outils s’est enrichie : si en français médiéval voici/voilà sont liés à l’espace, les nouveaux emplois les inscrivent dans la catégorie du temps (ibid. : 327) modifiant ainsi leur classe morphosyntaxique d’appartenance. C’est la théorie de la psychomécanique du langage qui a clarifié la double nature de ces deux formes. Moignet (1969 : 201) les définit en langue comme une sorte de verbe sans variation morphologique verbale, impersonnel, unimodal (indicatif) et unitemporel (présent), qui désigne ce qui est posi- tivement dans le moment même de la parole. À ce titre, il constitue l’élé- ment temporel du prédicat et est donc bien un verbe […]. Cependant, il peut être déchu en discours de cette fonction de prédicat quand il s’agit de faire entrer dans un énoncé une référence temporelle. Il fonctionne alors comme une sorte de préposition. Le fait d’exclure l’impératif, même si la lecture interprétative de voici/voilà pourrait être proche dans certains cas de l’injonctif (le premier élément exhorte le lecteur à regarder et le second élément SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 29 23/06/2023 11:58:43
  • 29. 30 Luciana T. Soliman oriente le regard en précisant la place proche ou éloignée de l’être/ob- jet), et le fait de passer donc le relais au mode indicatif découleraient de l’incompatibilité syntaxique avec la pronominalisation. En effet, le voici prouve qu’il est impossible de placer le pronom personnel après la base verbale. Dans le cadre de leurs fonctions prioritaires, voici sert essentielle- ment à désigner, alors que voilà appelle généralement l’attention sur un être ou un objet, voire une situation qui viennent d’être mention- nés. Les deux garderaient de leur origine verbale « le pouvoir de servir de centre à la proposition » (Gardes-Tamine 1990 : 41). Certes, l’op- position proche/éloigné s’est adoucie, au point que la langue courante ne retient que voilà (Rey 2019 : 4142). Si à l’oral les deux formes ne s’opposent presque plus en termes de deixis3 , il faut admettre que voici introduit plus souvent une entité dans la situation d’énonciation, tandis que voilà l’introduit même dans d’autres circonstances en rai- son d’une véritable neutralisation sémantique. Par contre, à l’écrit, le premier se différencie du second en termes de registre : voici est perçu comme plus formel que voilà ; dans la succession des énoncés, voici/ voilà renvoient à un élément mentionné ailleurs dans le contexte : ce qui est dit par voici est qualifié par le contexte qui suit, tandis que ce qui est énoncé par voilà reprend le contexte qui précède. Même en usage textuel, quand ces deux formes annoncent ou ré- sument un fait, il n’y a plus d’opposition nette entre elles. Néanmoins, on peut aller jusqu’à dire que toutes les deux, en particulier dans un contexte soutenu, font de la phrase qu’elles introduisent la suite de ce qui a été déjà énoncé tout en introduisant une nouveauté (Riegel, Pellat et Rioul 20074 : 453-454). Ce n’est pas par hasard si dans Le bon usage (Grevisse-Goosse 1986 : §§ 1043, 1046-1047) voici et voilà sont conçus comme des « introducteurs » assertifs4 , leur fonction se 3 Comme le note Landragin (2021 : 2004), le rôle présentatif de voici/voilà ne serait que le vestige de leur fonctionnement déictique d’origine. 4 Voilà peut être employé dans une phrase interrogative à valeur exclamative, mais avec la négation, même si cet usage (ne voilà pas, voilà pas) marquant la surprise est désormais désuet. On introduit plutôt le pronom il avec inversion : voilà-t-il pas que… ([2] Voilà-t-il pas qu’ils assiègent le village !). Comme le précise Combettes (2021 : SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 30 23/06/2023 11:58:43
  • 30. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 31 bornant à l’introduction d’une entité nouvelle qui ne sert pas à unir. En ce sens, on pourrait les considérer comme des formes expressives « d’attaque » (Guillaume 1973 : 189) à l’instar de c’est, mais la notion de Grevisse-Goosse ne coïncide pas entièrement avec celle de présen- tatif. Qui plus est, voici/voilà sont différenciés des « ligateurs » (pré- positions, conjonctions ou adverbes), car ils ne relient pas les phrases entre elles. Ce qui mériterait d’être approfondi, car ce couple parti- cipe copieusement à la description de la réalité référentielle en termes d’espace et de temps dans le texte et contribue pour ce faire à l’agen- cement, quoique dissimulé, des unités phrastiques qui le composent. Outre la structure « voici/voilà suivis d’un groupe nominal » qui aurait une valeur pour la plupart désignationnelle, il existe le cas de voici/voilà que, traité par Delahaie (2009 : 3-4) comme une conjonc- tion de subordination introduisant « une sorte de complétive : Voici/ voilà qu’il arrive, mais sans proposition principale ». Il serait donc question d’une phrase incomplète, car voici/voilà ne sont pas classés par cette linguiste comme des formes verbales englobant le rôle de matrice. Pourtant, à la lumière de la théorie de Moignet (1969, 1974), cet emploi peut être conçu comme la version syntaxique d’une phrase à part entière ayant un effet scénique. Le statut de voici/voilà suivi d’un indicateur temporel est actuelle- ment moins controversé : [1] Voici/voilà deux ans qu’elle ne vit plus dans son village. Dans cet exemple, les deux outils jouent le rôle d’une préposition5 et sont interchangeables, même si voici peut être perçu comme plus littéraire. 1969), c’est là une formule figée qui « ne dit pas l’absence d’une situation », car voilà ne peut être nié dans d’autres cas. 5 Tseng et Abeillé (2021 : 775) situent voici/voilà parmi les prépositions temporelles exprimant la durée et instaurant une relation chronologique d’antériorité. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 31 23/06/2023 11:58:43
  • 31. 32 Luciana T. Soliman 2. Le corpus écrit Notre corpus se compose de 98 légendes tirées du recueil L’Arbre à soleils (Gougaud 1979) qui contiennent les formes verbales voici/ voilà (Tab. 1-2) : voici figure uniquement comme forme verbale (dans 38 légendes de l’ensemble textuel, à savoir 38,8% du corpus), alors que voilà est attesté comme forme verbale de manière très élevée, mais non maximale, soit 92,2% (dans 37 légendes du corpus, soit 37,8%) (A-H), en raison d’un emploi prépositionnel de 7,8% (I)6 . Nous avons d’abord répertorié ces occurrences selon leur modalité assertive (A-F), interrogative (G) et exclamative (H). Aussi bien dans le cas de voici que dans le cas de voilà, toutes les occurrences sont des assertions, car le but principal de ces formes verbales est de poser l’identité, de signaler ou de situer la présence d’un être/objet. L’ex- pression de l’engagement d’un procès qui est typique de la modalité interrogative est absente. Quant à l’expressivité de la modalité excla- mative, le conteur n’y a jamais recours dans les légendes du recueil en question. Les formes verbales voici/voilà ont été répertoriées comme suit : en emploi isolé, combinées avec des groupes nominaux ou des adverbes, avec des pronoms personnels antéposés, avec l’infinitif, en phrase fo- calisée et suivies du conjonctif que. Nous avons également recensées les emplois prépositionnels de voici/voilà suivis d’une expression tem- porelle dans l’objectif, comme on l’a décrit plus haut, de comprendre la distribution des formes de ces outils bivalents. Les occurrences les plus fréquentes concernent les emplois avec GN/Adv (23/55 voici, soit 41,8% du total ; 13/51 voilà, à savoir 25,5%) et avec les pronoms personnels conjoints (25/55 voici, c’est-à-dire 45,5% du total ; 22/51 voilà, à savoir 43,1%). La forme verbale voici n’est employée seule que 4 fois (7,3%) ; il en va de même pour la forme verbale voilà (4 6 Dans notre corpus, voilà suivi d’une expression indiquant la durée peut définir des états de fatigue ou l’attente : [3] Voilà des années qu’il s’épuise à bâtir une tour qui refuse de tenir debout. (Balam et le destin, 76) ; [4] Voilà des années que je t’attends, mon fils. (Hiawatha, 194) SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 32 23/06/2023 11:58:43
  • 32. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 33 occurrences, soit 7,8%). Quant à voici suivi d’une sous-phrase com- plétive, nous n’avons observé que 2 occurrences (3,6%), alors que le même cas avec voilà est nettement plus fréquent (12 occurrences, soit 23,5%). Aucune occurrence n’a été recensée quant aux formes ver- bales suivies d’un infinitif. Pour ce qui est de la focalisation, un seul cas d’« extraction »7 a été repéré. Tab. 1. Traitement de voici dans le corpus. VOICI A Seul B +GN/ Adv C +Pro D +Inf E Foc F +que G ? H ! I durée +que 38/98 légendes 4 23 25 0 1 2 0 0 0 Enkidou et Gilgamesh 2 Kessi-le-chasseur 1 Comment Lune fit le monde 1 Kiutu et la Mort 1 Le monstre- calebasse et le bélier divin 1 Les nuits rouges de Kouri 1 Koybo-l’intrépide 1 1 Farang 1 7 Chevalier (1969 : 85) définit les procédures de focalisation, qui sont limitées à la dislocation et au clivage. Il propose ces exemples : [5] L’homme, le voilà ; [6] En voilà, des histoires ; [7] Dormir, voilà (quelque chose) qui est bon. Quant à notre cor- pus, le seul cas d’extraction répertorié est le suivant : [8] Voici le message qu’il nous a chargés de vous transmettre […]. (La rançon d’Uryzmaeg, 352) SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 33 23/06/2023 11:58:44
  • 33. 34 Luciana T. Soliman VOICI A Seul B +GN/ Adv C +Pro D +Inf E Foc F +que G ? H ! I durée +que Samba Gana et la princesse Annalja 1 1 La pierre rouge 1 1 1 Le Veilleur 2 La broderie 1 1 Tsougpa, le mar- chand clairvoyant 1 Histoire de Feng, le vagabond du temps oublié 1 Drit-de-rien 1 Kogi-le-sage 1 La tortue rouge 1 L’épopée de Maui 1 La légende du poisson volant 1 Histoire de Lono 1 La fille tuée sept fois 1 Les chants et les fêtes 1 La naissance des hommes blancs 1 Ti-Jean et la bel- le-sans-connaître 1 1 Le garçon de Nérac et la grande bête à tête d’hom- mes 1 1 L’amour des trois oranges 1 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 34 23/06/2023 11:58:44
  • 34. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 35 VOICI A Seul B +GN/ Adv C +Pro D +Inf E Foc F +que G ? H ! I durée +que Jean l’Or 2 Les trois vagues 1 L’enfance de Cu- chulaïnn 1 Le voyage de Bran à l’île des Bienheureux 1 Conn Eda 1 1 La légende d’E- taine 1 Fenrir 1 La danse des Nartes 3 La rançon d’Uryz- maeg 1 1 Soslan à la con- quête de la belle Beduha 1 1 La légende d’At- saematz 1 La fin des Nartes 1 2 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 35 23/06/2023 11:58:44
  • 35. 36 Luciana T. Soliman Tab. 2. Traitement de voilà dans le corpus. VOILÀ A Seul B +GN/ Adv C +Pro D +Inf E Foc F +que G ? H ! I durée +que 37/98 légendes 4 13 22 0 0 12 0 0 4 Enkidou et Gilgamesh 3 Kessi-le-chasseur 1 Comment Lune fit le monde 1 Le monstre- calebasse et le bélier divin 1 Farang 1 La pierre rouge 1 1 Les babouches d’Abou Kacem 2 Hachachi-le- menteur 1 Balam et le destin 1 1 La broderie 1 Histoire de Spani 1 1 Tsougpa, le marchand clairvoyant 1 Koan le prince et Sheng le magicien 1 1 1 L’aventure de Chu 1 2 La maison hantée 1 La princesse Déa 1 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 36 23/06/2023 11:58:44
  • 36. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 37 VOILÀ A Seul B +GN/ Adv C +Pro D +Inf E Foc F +que G ? H ! I durée +que Le peintre Touo Lan 1 1 Le ver à soie 1 1 L’ermite Unicorne 1 1 Le sang de Kaduan 1 1 Un peu de soleil dans la mer 1 L’épopée de Maui 1 Histoire de Lono 1 Hiawatha 1 Kotsi et le géant 1 Ti-Jean et la belle- sans-connaître 1 Le magicien de Venise 1 Louis-le-boiteux 1 1 L’amour des trois oranges 1 Jean de Calais 1 1 1 Jean l’Or 1 Jean-le-chanceux 2 Le serpent au diamant 1 La mort de Cuchulaïnn 1 John-l’archer 1 La mort de Balder 1 La mort du dieu Odin 1 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 37 23/06/2023 11:58:44
  • 37. 38 Luciana T. Soliman 3. Fonctions de voici/voilà D’après nos lectures (Charaudeau 1992 ; Delahaie 2009 ; De Ce- sare 2011), les fonctions que l’on peut attribuer à voici/voilà peuvent être résumées au nombre de quatre (Tab. 3). En premier lieu, ces formes verbales sont perçues comme jouant un rôle identitaire, à sa- voir identificatoire ou définitoire selon le cas : un nouvel être est in- troduit dans le discours ; il est nommé ou classifié selon la catégorie à laquelle il appartient. En deuxième lieu, ces formes peuvent remplir une fonction présentielle, l’identité étant généralement considérée certaine. Deux valeurs s’alternent dans cette fonction : la monstra- tion et la présence soudaine d’un être/objet dans une sorte de tableau préconstruit. En troisième lieu, la fonction locative a trait au repérage tout court : elle permet d’encadrer un être/objet ou une situation dans l’espace ou dans le temps. Il faut préciser que la fonction présentielle et la fonction locative relèvent de la deixis, à savoir de ce procédé spatio-temporel qui ancre les mots dans le monde, mais la seconde est fondamentalement narrative, car elle permet de situer d’emblée dans le décor ou dans le temps l’être/objet qui accompagne voici/voilà en dramatisant le récit. Quant à la dernière fonction qui rend compte de la continuité référentielle intra-discursive, les deux formes verbales en question peuvent annoncer ce qui va être présenté ou résumer le nom ou le segment antérieurs. Contrairement aux attentes d’un voilà fac- totum, les deux formes voici/voilà sont employées dans notre corpus de manière équitable et gardent leur trait diaphorique traditionnel : voici anticipe sur ce qui constitue souvent une expansion du groupe nominal, tandis que voilà renvoie à ce qui a été énoncé. Cette fonc- tion est cumulable avec les trois premières fonctions que nous venons d’illustrer. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 38 23/06/2023 11:58:44
  • 38. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 39 Tab. 3. Fonctions de voici/voilà. Voici Voilà Fonction identitaire Fonction présentielle Fonction locative Fonction textuelle Identification Monstration Repérage spatial Anaphore Définition Apparition Repérage temporel Cataphore 4. Fonctions de voici/voilà en contexte L’étude des fonctions des formes verbales voici/voilà en discours a une valeur documentaire et classificatoire à la fois, puisque les oc- currences authentiques que nous allons fournir nous permettent de motiver les remarques que nous avons récapitulées dans le Tab. 3. Dans les cas où la fonction identitaire a le dessus sur la fonction présentielle, nous signalons des occurrences d’identification qui sont annoncées par le contexte verbal antérieur (cf. infra) : [9] Au fond d’une salle aux dalles étincelantes un homme est assis dans un fauteuil d’or. – Voici le roi, dit une voix lointaine. (Histoire de Feng, le vagabond du temps oublié, 115) [10] Elle la conserva précieusement dans une armoire et quand Odin fut en âge de régner elle la lui confia en lui disant : – Voilà ta vie, veille sur elle. (Odin, 330) En effet, dans [9] le « roi » confère une identité à l’homme « assis dans un fauteuil d’or » qui figure dans la phrase précédente. Malgré le renvoi au contexte gauche, voici peut être également conçu comme une cataphore d’ordre situationnel en raison du discours rapporté di- rect où il figure ; il serait donc question d’un cas mixte anaphore-cata- SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 39 23/06/2023 11:58:44
  • 39. 40 Luciana T. Soliman phore. Qui plus est, dans [10] la « vie » du dieu Odin renvoie anapho- riquement à la bougie que la mère du dieu Odin a soigneusement gardée et que les vieilles du destin lui ont donnée. En ce qui concerne la fonction identitaire exprimée par une sorte de définition, qui peut gloser le groupe nominal jusqu’à assumer les traits de la description, nous citons uniquement l’occurrence suivante : [11] Voici la merveille : ceux qui les accueillent dans cette ville neuve sont des hommes blancs bizarrement vêtus qui ne parlent pas la langue des Indiens. (La naissance des hommes blancs, 216) La fonction présentielle, quant à elle, obéit aux règles de la mons- tration dans la situation d’énonciation. Voici en emploi seul désigne par un geste l’être ou l’objet de l’interaction : [12] − Quelle est cette lumière qui t’éclairait cette nuit ? Emhammed ouvre sa main : − Voici, dit-il. Cette pierre rouge m’éclairait. (La pierre rouge, 61) [13] − Mes babouches, dit-il, je vous le donne. Je vous en fais cadeau. Voilà. Non, ne me remerciez pas. (Les babouches d’Abou Kacem, 67) Relativement à la fonction présentielle d’apparition, à savoir celle qui consiste à signaler cette « présence concrète et vivante » d’un ob- jet ou d’un être « dont l’identité singulière représente une sorte de ‘promesse’ » (Charaudeau 1992 : 319), voici/voilà peuvent ouvrir une scène-destination que l’on a attendue pendant un long intervalle de temps : [14] Ils sortent du rocher. Voici l’herbe verte à nouveau, le ciel bleu, les arbres. (Le monstre-calebasse et le bélier divin, 41) [15] Ils traversent la nuit, les montagnes, les forêts. A l’aube, les voilà sur la vaste plaine. (Le ver à soie, 125) SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 40 23/06/2023 11:58:44
  • 40. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 41 Dans ce cadre sémantico-fonctionnel, voici/voilà suivis du conjonc- tif que introduisent un être, un objet ou un événement nouveaux com- portant généralement une accélération inopinée de la narration. Les deux formes verbales sont souvent précédées d’une conjonction coor- donnante d’addition (et) ou d’opposition (mais) qui renforcent l’effet de surprise : [16] Conn Eda obéit, son cheval entre dans l’eau, s’enfonce. Et voici que la surface du lac au-dessus de leurs têtes est semblable à une voûte céleste. (Conn Eda, 303) [17] Mais voici qu’un coup de vent subit traverse le village, siffle dans les buissons, couche les touffes d’herbe. (La broderie, 86) [18] Ils chantent, le visage ensoleillé, pour se donner du cœur. Et voilà que le premier à la proue de la barque tout à coup se dresse tout droit. (Un peu de soleil dans la mer, 151) [19] Mais voilà que Yin, toujours couché, immobile, est pris soudain d’une irrépressible envie d’éternuer. (La maison hantée, 113) Si voici/voilà que sont introduits par la conjonction d’enchaîne- ment or, ils règlent la successivité événementielle de manière logique. [20] Ce texte sacré dans son sac, le prince Koan s’en revint de Chine. Or, sur le chemin de retour, se reposant un jour à l’ombre d’un arbre, au bord du ravin de la Licorne, voilà qu’il rencontre un fameux magicien très savant et très rusé, nommé Sheng. (Koan, 106) Voilà que, qui contribue à l’expressivité de la phrase, comme le remarquent Wagner et Pinchon (1962 : 504), dégage ici un élément que l’on considère comme essentiel dans la progression de l’histoire. En association avec un connecteur du raisonnement qui jette une nouvelle lumière sur le rôle narratif de cette forme verbale, voilà que centralise l’attention du lecteur sur le magicien qui modifie à jamais le sort du prince. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 41 23/06/2023 11:58:44
  • 41. 42 Luciana T. Soliman La fonction locative de voici/voilà répond à des exigences de construction d’un espace ou d’encadrement temporel qui favorisent la mise en relief de l’endroit ou de l’instant. Dans le cas de la localisation spatiale [21, 23], qui peut être complétée par une location temporelle [22], voici/voilà sont suivis d’un groupe nominal ou précédés d’un pronom personnel d’ordre anaphorique. Le champ visuel où les deux formes verbales introduisant les lieux s’inscrivent peut être guidé par le narrateur qui promène le lecteur jusqu’à cette pause descriptive où les personnages dominent la scène. Tout semble culminer dans la phrase introduite par voici/voilà qui ne se différencient presque pas : [21] Au fond de cette caverne une lumière brille. Il court. Le voici devant un grand jardin paisible sous le ciel bleu. (L’épopée de Maui, 154) [22] Le bateau, déjà, quitte le port. Le ciel pâlit à l’horizon. […] Il aide à la manœuvre. Les voici au large, sur les vagues tranquilles, dans le soleil du matin. (Les trois vagues, 282) [23] Il fait le tour de ce château, il ne découvre dans la muraille qu’une petite porte vermoulue qui grince comme un battant de ruine. Il entre. Le voilà dans une vaste cour pavée. (L’amour des trois oranges, 257) [24] Le voilà donc sur le chemin du retour. (John-l’archer, 314) Pour ce qui est de la localisation temporelle, l’emploi exclusif de voici suivi d’un groupe nominal est important dans la représentation du temps physique ou du temps vécu. Il isole le laps de temps en acclimatant ce qui suit ou envisage l’événement qui va être décrit en dressant la toile de fond : [25] Le cheval galopant traverse la journée. Voici le soir. La grande lune rouge descend sur le désert. (Jean l’Or, 266) [26] Voici l’instant des retrouvailles. Les guerriers nartes acclament Uryz- maeg et l’embrassent comme un père après longtemps d’absence. (La ran- çon d’Uryzmaeg, 354) SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 42 23/06/2023 11:58:44
  • 42. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 43 Quant à la fonction textuelle, qui assure la cohésion, nous allons nous attarder sur l’annonce d’un événement, auquel cas on parle de cataphore. Voici en emploi seul ou suivi d’un groupe nominal joue un rôle spécifique en ce sens : [27] Voici : je vais grimper là-haut, sur cette montagne rocheuse qui do- mine la forteresse. (Soslan à la conquête de la belle Beduha, 358) [28] − Voici mes ordres, dit le seigneur : je veux que demain matin tu me rapportes une feuille de figuier assez grande pour recouvrir entièrement le village. (Drit-de-rien, 128) Voilà en usage seul peut résumer le segment qui le précède à tra- vers un mécanisme d’identification de la source de l’anaphore qui est totalisant, c’est-à-dire que cet outil est capable d’impliquer par infé- rence un paragraphe tout entier. Lorsqu’il est suivi du pronom indé- fini quantificateur tout, voilà condense et clôture en même temps ce qui précède. [29] Il grimpe au sommet de la montagne, s’envole dans les nuages, at- trape les dragons de la pluie par la queue. Il les fourre dans un gros pot, ferme le couvercle. – Voilà, dit-il, maintenant je suis tranquille. Il ne pleuvra plus de si tôt. (L’ermite Unicorne, 131) [30] − Aurais-tu donc oublié que tu m’as chassé de ta maison ? Je m’en vais. Voilà tout. Je reviens chez mes parents. (Satana renvoyée chez ses parents, 342) Le type de liaisons diaphoriques que voici/voilà instaurent s’inscrit dans ces relations qui forment un fil rouge entre les phrases ou des pans de texte. On pourrait donc concevoir ces deux formes verbales comme des marqueurs référentiels, voire des « organisateurs »8 qui se 8 La classe (élargie) des organisateurs remplirait, tout bien considéré, la fonction pri- maire d’annoncer ou de fermer des portions de textes (Adam 2004 : 58-59). SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 43 23/06/2023 11:58:44
  • 43. 44 Luciana T. Soliman différencient des connecteurs dont le rôle est plutôt d’orienter argu- mentativement le récit. Qui plus est, si ces outils jouent autour de la réalité référentielle spatiale et temporelle au point que l’on pourrait parler parfois de voici/voilà comme des cadratifs tout court en début de phrase, l’implication d’un raisonnement peut les rapprocher occa- sionnellement du rôle de ces articulateurs logiques avec lesquels ils ont également la capacité de se combiner. En effet, la transition événe- mentielle, qui peut être nuancée par l’idée d’opposition, est évoquée par la structure suivante : et/mais voici/voilà (que). C’est là un moyen dynamique qui assure la bonne mise en intrigue et qui s’avère utile afin de compliquer l’équilibre de la situation précédente et de faire avancer rapidement l’histoire. Conclusion Les formes verbales voici/voilà, qui ont été explorées dans un cor- pus de légendes défini, répondent à une exigence commune d’écono- mie linguistique. En effet, le choix d’une syntaxe réduite dériverait de la volonté de promouvoir essentiellement un mouvement scénique. Il est clair que l’édification en langue de la phrase avec voici/voilà est liée à l’« empreinte » cognitive préalable à l’orientation formelle que le locuteur donne à son dire, la cohérence du psychique coordonnant le sémiologique. En psychomécanique du langage, le contexte, ce pré- cieux allié, remplit une fonction de filtre9 permettant de choisir ce qui se prête à la construction du sens. L’étude fonctionnelle que nous avons conduite après un traitement quantitatif des formes verbales voici/voilà a mis la lumière sur leur actualisation. C’est la visée de dis- cours d’une phrase avec voici/voilà qui permet d’aboutir à identifier un être ou un objet, à définir une circonstance, à énoncer la présence de cet être/objet, à retirer une image de celui-ci du fond de tableau évoqué. Pour ce qui est des liaisons fortes que voici/voilà construisent 9 Guillaume (1985 : 78) traite du rôle du contexte dans sa leçon du 25 janvier 1946 à propos de l’article. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 44 23/06/2023 11:58:44
  • 44. Les formes verbales voici/voilà en contexte narratif fictif 45 entre les phrases de ces légendes, les morphèmes soudés -ci et -là as- surent l’anticipation ou le rappel d’un segment du texte subséquent ou antérieur selon la bonne règle classique de l’endophore in situ, le conteur offrant au lecteur, avec un style très fin, des légendes au par- fum d’antan. Bibliographie Adam, J.-M. (2004) : Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes, Paris, Nathan Université. Brunot, F., Bruneau, Ch. (1969) : Précis de grammaire historique, Paris, Mas- son. Charaudeau, F. (1992) : Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Ha- chette Livre. Chevalier, J.-C. (1969) : « Exercices portant sur le fonctionnement des pré- sentatifs », Langue française, 1, p. 82-92. Combettes, B. (2021) : « Les constructions disloquées, clivées et présenta- tives », in Abeillé, A., Godard, D. (éds), La Grande Grammaire du Fran- çais, t. 2, Arles, Actes Sud, p. 1940-1970. De Cesare, A.-M. (2011) : « L’italien ecco et les français voici, voilà. Regards croisés sur leurs emplois dans les textes écrits », Langages, 4, 184, p. 51- 67. Delahaie, J. (2009): « voilà le facteur ou voici le facteur ? Étude syntaxique et sémantique de voilà », Cahiers de Lexicologie, 2, 95, p. 43-58. Gardes-Tamine, J. (1990) : La grammaire. Syntaxe, t. 2, Paris, Armand Colin. Grevisse, M., Goosse, A. (198612 ) : Le bon usage, Paris/Louvain-la-Neuve, Duculot, p. 1581-1587. Gougaud, H. (1979) : L’Arbre à soleils. Légendes du monde entier, Paris, Seuil. Guillaume, G. (1973) : Leçons de linguistique de Gustave Guillaume, 1948- 1949, Série C, « Grammaire particulière du français et grammaire gé- nérale (IV) », vol. 3, Valin, R., Veyrat, Ch. (éds), Québec/Paris, Les Presses de l’Université Laval/Klincksieck. Guillaume, G. (1985) : Leçons de linguistique de Gustave Guillaume, 1945- 1946, Série C, « Grammaire particulière du français et grammaire géné- rale (I) », vol. 6, Valin, R., Hirtle, W., Joly, A. (éds), Québec/Lille, Les Presses de l’Université Laval/Presses Universitaires de Lille. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 45 23/06/2023 11:58:44
  • 45. 46 Luciana T. Soliman Landragin, F. (2021) : « L’ancrage des énoncés dans l’énonciation », in Abeillé, A., Godard, D. (éds), La Grande Grammaire du Français, t. 2, Arles, Actes Sud, p. 1994-2006. Le Petit Robert (2020) : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert – SEJER. Moignet, G. (1969) : « Le verbe voici-voilà », Travaux de linguistique et de littérature de Strasbourg, 7/1, p. 189-202. Moignet, G. (1974) : « Le verbe voici-voilà », in Études de psychosystéma- tique française, Paris, Klincksieck, p. 45-58. Oppermann-Marsaux, E. (2004) : « Les présentatifs ez (vos) et veez/vez + ci/la en ancien français », in Suso López J., López Carrillo R. (éds), Le français face aux défis actuels. Histoire, langue et culture 1, Grenade, Uni- versité de Grenade, APFUE-GILEC, p. 229-237. Oppermann-Marsaux, E. (2006) : « Les origines du présentatif voici/voilà et son évolution jusqu’à la fin du XVIe siècle », Langue française, 149, p. 77-91. Oppermann-Marsaux, E. (2008) : « Le verbe voici/voilà et son éclatement catégoriel en français préclassique et classique (XVIe -XVIIIe siècles », in Fagard, B., Prévost, S., Combettes, B., Bertrand, O. (éds), Évolutions en français. Études de linguistique diachronique, Berne, Peter Lang, p. 317-328. Rey, A. (éd) (2019) : Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dic- tionnaires Le Robert. Riegel, M., Pellat, J.-Ch., Rioul, R. (20074 ): Grammaire méthodique du français, Paris, Presses Universitaires de France. TLFi (1994) : Trésor de la Langue Française informatisé, http://www.atilf.fr/ tlfi, ATILF - CNRS & Université de Lorraine (dernière interrogation : 23/03/2022). Tseng, J, Abeillé, A. (2021) : « Les classes de prépositions », in Abeillé, A., Godard, D. (éds), La Grande Grammaire du Français, t. 1, Arles, Actes Sud, p. 763-780. Wagner, R.L., Pinchon, J. (1962) : Grammaire du français classique et mo- derne, Paris, Librairie Hachette. Wartburg, W. von, Zumthor, P. (1958): Précis de syntaxe en français contem- porain, Berne, A. Francke. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 46 23/06/2023 11:58:44
  • 46. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien Sophie Saffi Aix Marseille Université, CAER Nous proposons l’analyse du texte de la bande dessinée (BD) L’Appel, dessinée par le congolais Pat Masioni, sur un scénario du franco-camerounais Christophe N’Galle Edimo – à partir d’une nou- velle de l’écrivaine belge Pascale Fonteneau, publiée par les éditions Lai-Momo en 2005. Nous remercions les Éditions Lai-Momo pour leur compréhen- sion de l’intérêt scientifique d’une étude sur l’une de leur BD et pour leur autorisation d’en reproduire ici quelques planches afin d’illustrer notre propos. Cette BD fait partie du projet pédagogique Valeurs communes por- té par Eurodialog et Lai-Momo, cofinancé par la Commission euro- péenne Direction Générale Justice, Liberté, Sécurité dans le cadre du programme INTI 2003 pour l’intégration des immigrés. Ce projet a pour but de promouvoir la culture de la paix à travers la confronta- tion et le dialogue entre les religions et les cultures qui sont à l’œuvre en Europe. Les actions du projet prévoient, en effet, d’engager les élèves, les enseignants et la population civile de quatre pays européens (Belgique, Espagne, France, Italie) dans une réflexion concernant les valeurs communes aux différents systèmes de pensées, en utilisant la BD comme outil de communication et de développement. L’Appel est la première des 5 BD publiées par le projet. Elle aborde les thèmes de l’amour et du pardon dans un récit de science-fiction : dans la SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 47 23/06/2023 11:58:44
  • 47. 48 Sophie Saffi Ville, on célèbre la Journée de l’Entente, mais c’est une fête imposée dans une cité divisée en secteurs selon l’appartenance religieuse des habitants. Ce récit embarque le lecteur pour une dimension de guerre. Dans ce monde fictif, mais aussi vrai que le nôtre, on suit le parcours d’un adolescent qui vit dans un futur proche et qui, en l’espace d’une journée, passe de l’euphorie de remporter une course au désespoir de perdre ses deux parents, disparus avec tant d’autres personnes au cours d’émeutes. Au fil de ses rencontres avec sa cousine, des camion- neurs et un metteur en scène de théâtre, le pardon devient une étape essentielle pour le dialogue et la réconciliation. Nous nous proposons de montrer les caractéristiques particulières du texte de BD qui tente majoritairement de reproduire des interactions orales dans la mise en dialogues du récit. La BD étant un média hétérogène constitué de la combinaison de deux vecteurs informationnels, l’écrit et le dessin, nous montrerons la complémentarité des textes et des dessins. Nous présenterons les constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies et les bulles. Nous tenterons de rapprocher le découpage d’un scénario de BD et l’organisation séquentielle d’un texte proposée par Adam (2011). 1. Composition de l’album L’Appel Les 28 planches de la BD sont encadrées par 2 préfaces de pré- sentation et 1 postface renvoyant au site du projet où sont téléchar- geables un guide didactique et du matériel pédagogique à l’attention des enseignants souhaitant utiliser la BD dans leurs classes. Ces textes d’encadrement définissent la visée illocutoire de l’album mais dans les usages, le lecteur de BD lit – éventuellement – ces textes d’encadre- ment après avoir lu les planches de la BD. Dès les premières planches, l’architecture des édifices (Fig. 1) et les codes vestimentaires (Fig. 2) opèrent une mise à distance fictionnelle et donne au lecteur une instruction sur l’ancrage énonciatif non actuel et sur le monde singulier futuriste du récit. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 48 23/06/2023 11:58:44
  • 48. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 49 Cependant, la course de moto et les publicités1 de la planche 1 (Fig. 1), tout comme l’écran de télévision et le mobilier du bureau-bi- bliothèque de la planche 2 (Fig. 3), ainsi que les dialogues du maire avec ses conseillers et ses invités de la planche 4 (Fig. 4), indiquent au lecteur que cet univers futuriste fonctionne selon des lois conformes à celles qui régissent son univers de référence. La rupture entre fiction 1 Le rôle du pertexte a longtemps été sous-estimé et peu étudié (cf. Manco 2015, 2016, 2018). Fig. 1. L’Appel, 1re case, p. 1. Fig. 2. L’Appel, p. 3. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 49 23/06/2023 11:58:44
  • 49. 50 Sophie Saffi et réalité du lecteur est ainsi atténuée, la cohésion sémantique globale est posée d’emblée par la caractérisation de la BD comme une fiction dans un futur proche. Fig. 3. L’Appel, p. 2. Fig. 4. L’Appel, p. 4. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 50 23/06/2023 11:58:44
  • 50. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 51 2. Caractéristiques du texte de BD Le texte d’une BD se répartit entre les bulles, les didascalies, le pertexte et les onomatopées2 (Fig. 7). Ces dernières sont généralement incluses dans le dessin mais peuvent aussi apparaître dans les bulles3 . La répartition du texte de la BD est majoritairement dédiée aux dialogues (ou monologues intérieurs) des personnages, la BD introduisant une nouvelle catégorie de langue écrite qui reproduit la langue parlée et altère la dichotomie classique « écrit vs parlé » (Gadet 2004 : 98 ; Pietrini 2008). Le texte des dialogues de L’Appel se caractérise par le respect de la langue standard alors que d’autres auteurs se permettent d’écrire en néo-standard et en argot. Dans le cas présent, l’appartenance de la BD à un projet pédagogique a peut-être conduit les auteurs à une forme d’autocensure. Les écarts à la norme du français standard relevés dans cette BD sont répartis avec parcimonie afin que le lecteur comprenne qu’un registre moins soutenu accompagne un statut social, ou quand le personnage change de registre sous le coup de l’émotion : – la marque unique de la négation (pas vs ne…pas) dans certains dialogues des camionneurs (Fig. 5) ; – l’absence de pronom personnel sujet de 3e personne en tête de phrase (Fig. 6) ; – l’interrogatif Qu’est-ce que c’est que (variante longue de Est-ce que)4 ; 2 Nous n’avons pas pris en compte d’autres textualités mineures (épitexte) telles que le numéro des planches, la signature du dessinateur qui peuvent être inclus dans les vignettes. 3 Dans la BD étudiée, 16 onomatopées sont incluses dans le dessin et 3 dans des bulles. 4 « Le double introducteur Est-ce que c’est que (ou … qui) appartient seulement à la langue parlée familière. Il est ancien pourtant. Il semble plus fréquent dans l’inter- rogation partielle que dans l’interrogation globale. Dans la littérature, où il est peu attesté, il apparaît seulement quand les auteurs font parler leurs personnages : Quand est-ce que c’est que vous en aurez ? (Pagnol, Schpountz, cit. Renchon, p. 174.) − Où donc que tu vas comme ça, ma Julia, et qu’est-ce que c’est donc que tu portes ? (Jou- handeau, Chaminadour, p. 369) » (Grevisse-Goosse 2001 : 398, a). SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 51 23/06/2023 11:58:44
  • 51. 52 Sophie Saffi – l’emploi du présentatif Il y a que, un dispositif en miroir qui in- troduit une proposition indépendante en reprenant la structure de la question à laquelle elle répond (Fig. 24) ; – le juron Putain ! (Fig. 6) et le blasphème Nom d’un chien ! (Fig. 22). Fig. 5. L’Appel, p. 17-18. Fig. 6. L’Appel, p. 3, 22. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 52 23/06/2023 11:58:44
  • 52. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 53 Fig. 7. Répartition du texte dans L’Appel5 . La bulle (ou ballon, phylactère) est l’espace, généralement cerné d’un trait, qui contient les dialogues ou les pensées des personnages. La didascalie (ou récitatif) est l’espace encadré intégrant un commentaire sur l’action ou une intervention du narrateur. Le pertexte est : […] un texte sur un support spécifique (par exemple, un graffiti sur un mur, un journal, la couverture d’un livre, une enseigne, etc.) qui est repré- senté dans un texte figuratif, tel qu’une bande dessinée ou une publicité ; la représentation du média est donc inhérente à la définition de la pertex- tualité. (Manco 2018 : 93) Enfin, les onomatopées de la BD sont des mots dont le signifiant imite le son associé au fonctionnement ou au déplacement d’un objet ou d’un personnage, ou qui reproduit les sons de la nature, les cris des animaux ou des bruits non linguistiques émis par des personnages. 5 L’Appel : texte de la BD : 2678 mots ; bulles : 1918 mots = 71,6% ; didascalies : 548 mots = 20,4% ; pertexte : 196 mots = 7,3% ; onomatopées : 16 mots = 0,6%. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 53 23/06/2023 11:58:44
  • 53. 54 Sophie Saffi Fig. 9. Autres exemples de pertexte dans L’Appel, p. 10, 23. Fig. 10. Exemples d’onomatopées dans L’Appel, p. 4, 5, 15. Fig. 8. L’Appel, p. 2. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 54 23/06/2023 11:58:45
  • 54. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 55 Les dialogues des BD sont enrichis de représentations des dis- fluences orales rarement présentes dans les textes littéraires ou de presse (Saffi 2014). Les phénomènes de disfluence sont des ruptures de la linéarité syntagmatique (Blanche-Benveniste et Jeanjean 1987), ils sont les traces d’une élaboration linguistique liées au mode de pro- duction oral (Dister 2007), qu’ils soient associés à la planification du discours (temps de réflexion, hésitation : Fig. 11) ou qu’ils dépendent de facteurs extralinguistiques (émotions, froid, essoufflements et tremblements divers). En dépit de l’absence de contenu propositionnel, les disfluences jouent un rôle important dans le discours. Elles en améliorent la compréhension par des auditeurs, signalent la complexité de propos à venir (Tree 2001, Rose 1998, cités par Adell et al. 2012) et, en situation de dialogue, faci- litent la synchronisation interlocuteurs (Clark 2002). (Qader et al. 2017) Fig. 11. L’Appel, p. 13. Les différentes représentations des disfluences en BD sont princi- palement de 4 types : la ponctuation, les propos non lexicaux (hum, heu), les répétitions de phonèmes (allongement vocalique ou dupli- cation de la consonne initiale) ou de mots, ou l’interruption de mot (Saffi 2022). La BD L’Appel n’utilise que les 2 premiers types. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 55 23/06/2023 11:58:45
  • 55. 56 Sophie Saffi 2.1. La ponctuation Les points de suspension sont indéniablement la stratégie la plus employée pour représenter une pause. Leur emploi peut marquer une pause utilisée pour un temps de réflexion (Fig. 12) ou d’hésitation (Fig. 13), l’attente après l’interpellation ou la gêne (Fig. 11). Des symboles de ponctuation peuvent aussi être utilisés seuls dans une bulle : ils remplacent alors une phrase entière et indiquent princi- palement des émotions telles que la surprise ou la stupeur : Fig. 12. L’Appel, p. 9. Fig. 13. L’Appel, p. 16. Fig. 14. L’Appel, p. 3. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 56 23/06/2023 11:58:45
  • 56. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 57 Dans une précédente publication (Saffi 2014 : 7-8), nous avons montré dans les publications Disney des années Trente, un emploi caractéristique de points de suspension surnuméraires au-delà de 3. Cette caractéristique a disparu dans les BD actuelles. L’évolution entre ces deux périodes s’explique par le changement des habitudes de lecture et l’installation de codes visuels spécifiques. Les auteurs de BD recherchant le confort de lecture afin de faciliter l’interprétation qu’ils préconisent chez le lecteur, ils suivent de près ces évolutions. Nous avons également montré une prolifération de points d’excla- mation, « signe qui, dans les numéros des années 2000, est presque assimilé au point final de phrase, comme s’il y avait la nécessité d’une marque spécifique de l’accent de phrase en lien avec la prosodie » (ibid. : 7). Nous ne remarquons rien de tel dans la BD L’Appel, ce qui s’explique par la différence du public visé : enfants et pré-ado- lescents pour Disney, adolescents et adultes pour la BD L’Appel. Ces derniers n’ont pas besoin d’une lecture guidée, ils n’apprécient pas les redondances que l’ont peu trouver dans les BD pour enfants, que ce soit entre le texte et l’image ou au sein du texte avec une ponctuation excédentaire. 2.2.Les propos non lexicaux Parmi les propos non lexicaux (Fig. 11, 13, 15) relevés dans notre corpus, figure l’emploi de euh. C’est probablement la syllabe la plus reconnue à travers le monde (Schuessler 2013), indépendamment de la géographie, de la langue, de la culture et de la nationalité (Dinge- manse et al. 2013). Dans le discours oral réel, la fréquence d’utilisation de euh reflète souvent l’état émotionnel ou de vigilance du locuteur (Clark et Fox Tree 2002 ; Corley et Oliver 2008). Dans notre corpus, elle marque une hésitation (Fig. 11, 13), l’emploi de ho et ah (Fig. 15) la surprise et celui de eh (Fig. 15) l’attaque de discours, ce qui permet d’introduire une information personnelle ou un constat. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 57 23/06/2023 11:58:45
  • 57. 58 Sophie Saffi 3. Constructions syntaxiques privilégiées dans les didascalies et les bulles de L’Appel La BD L’Appel présente 31 didascalies de diverses longueurs :12 se composent d’1 phrase6 (38,7%), 6 de 2 phrases (19,3%), 2 de 3 phrases (6,4%), 1 de 4 phrases (3,2%) et 1 de 5 phrases (3,2%) ; 6 Nous appliquons ici la définition de la phrase de Paulo De Carvalho (2005 : 90) : « […] on définira donc la phrase comme le résultat, plus ou moins « élaboré », plus ou moins complexe, d’un acte de langage, celui par lequel un être parlant répond – et c’est là une réponse typiquement humaine – à la sollicitation pressante d’un certain cas d’expérience. » Sachant que Gustave Guillaume (1971 : 29-30) définit la phrase comme une « unité de discours » dont la construction est subordonnée à celle du mot et conditionnée par les systèmes morphosyntaxiques de la langue : « L’unité de puissance une fois construite en langue, on procède, s’il y a lieu, c’est-à-dire s’il est besoin, à la construction de l’unité d’effet, qui est la phrase de discours. L’unité d’ef- fet se construit à partir des unités de puissance préconstruites et sa construction, ses possibilités de construction, dépendent de ce que sont dans la langue, de par leur constitution, les mots de puissance. Il découle de là qu’en bonne méthode, en saine linguistique, toute étude du mécanisme constructif de la phrase se subordonnera à une considération préalable de la structure du mot. » Fig. 15. L’Appel, p. 6, 18 SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 58 23/06/2023 11:58:45
  • 58. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 59 par 4 fois, 2 ou 3 didascalies séparées forment une seule et même phrase (29%, Fig. 17). Notre corpus compte 141 bulles7 : 2 ne contiennent que des signes de ponctuation, 2 autres contiennent une onomatopée. Sur les 137 bulles restantes, 94 contiennent 1 seule phrase (68,6%), 31 contiennent 2 phrases (22,6%), 11 contiennent 3 phrases (8%) et 1 bulle contient 4 phrases (0,7%). On constate que la contrainte spatiale exercée sur les textes de BD favorise la répartition dans les bulles et les didascalies d’une phrase à la fois, mais elle s’applique avec beaucoup plus de force dans les bulles de dialogue. La Fig. 17 illustre le cas d’une phrase de didascalie commencée en bas de la page se terminant en haut de la page suivante : ce stratagème fait partie des multiples stratégies développées par les auteurs de BD pour éveiller la curiosité du lecteur et l’inciter à tourner la page, c’est un principe récurrent du découpage d’une BD, l’hameçonnage peut être textuel, iconographique ou scénaristique. 7 Nous avons exclu du corpus 5 bulles contenant du texte anglais. Fig. 16. Comparaison des constructions syntaxiques des textes des didascalies et des bulles. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 59 23/06/2023 11:58:45
  • 59. 60 Sophie Saffi 3.1. Une modalité majoritairement assertive Les 42 phrases qui composent les didascalies sont assertives. Nous relevons cependant un cas où une proposition interrogative est le sujet d’une assertive (Fig. 18). Nous relevons aussi un cas de phrase dubitative avec une inversion du sujet – mais sans point d’interrogation (Fig. 19 : « Peut-être, comme pour l’appel de Etchoki viendront-ils. »). Fig. 17. L’Appel, p. 2, 3. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 60 23/06/2023 11:58:45
  • 60. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 61 Alors que les didascalies sont à 100% assertives, seulement 55% des 197 phrases utilisées dans les bulles sont assertives, 18% sont exclamatives, 16% sont interrogatives, 9% sont injonctives et, dans 2% des cas, on relève une modalité mixte avec une entame injonctive d’une phrase assertive : Fig. 19. L’Appel, p. 27. Fig. 18. L’Appel, p. 3. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 61 23/06/2023 11:58:45
  • 61. 62 Sophie Saffi Alors que le rôle des didascalies est de livrer des informations per- mettant de contextualiser le récit, celui des bulles est de représenter les interactions verbales et les pensées des personnages. Cette distinc- tion explique la différence de distribution des modalités discursives entre ces 2 types de textes de BD : les modalités injonctives, exclama- tives et interrogatives côtoient les assertions dans les discours oraux réels, ce que cherche à imiter le texte des bulles. Fig. 20. L’Appel, p. 14, 18, 26. Fig. 21. Distribution des modalités de discours dans le texte des bulles de la BD L’Appel. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 62 23/06/2023 11:58:45
  • 62. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 63 3.2. Une situation d’action langagière interne, une composante narrative Nous avons constaté que l’ensemble des didascalies présente une situation d’action langagière interne (Bronckart 1997), considérant qu’il s’agissait de la voix off du conteur qui s’avère être celle de Nor- man, le protagoniste masculin qui raconte cette histoire. Dans n’importe quelle bande dessinée, il y a un narrateur. […] il arrive que le narrateur soit l’un des personnages du récit et que cette informa- tion importante ne soit apportée que tardivement dans l’histoire… (Gor- ridge 2010 : 163) La confirmation arrive à la planche 13 quand le lecteur constate que 4 didascalies à la 1e personne représentent les pensées de Norman (13% des cas). Les didascalies représentant un long monologue inté- rieur du protagoniste qui se remémore son histoire, elles relèvent d’une situation d’action langagière interne dont le lecteur est le spectateur. Dans les bulles, nous avons constaté l’inverse : la situation d’ac- tion langagière interne est minoritaire, elle est représentée par 5 bulles aux contours de type « nuage » indiquant les pensées du protagoniste (planches 9, 10 et 11) et 2 bulles ne contenant pas de texte mais un signe de ponctuation (Fig. 14) figurant une émotion interne. La majorité des bulles situent une action langagière externe dans la représentation de l’interaction verbale. Il semble bien que les auteurs aient choisi de dis- tinguer nettement les actions langagières internes et externes en distri- buant les premières dans les didascalies et les secondes dans les bulles. Pour Adam (2011 : 30), les séquences élémentaires (prototypiques) se réduisent à quelques types d’articulation des propositions : narratif, descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal. Les textes hétérogènes sont les plus fréquents et sont généralement classés en fonction du type encadrant et non pas en fonction du type quantitativement ma- joritaire car « c’est le type encadrant qui définit l’appartenance géné- rique du tout. » (ibid. : 195) C’est pourquoi, nous en déduisons que la BD L’Appel est un texte narratif bien que dans le corps de l’album les dialogues soient quantitativement majoritaires. En effet, la 1e planche SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 63 23/06/2023 11:58:45
  • 63. 64 Sophie Saffi est une narration dessinée et la dernière vignette de la planche finale est narrative avec une didascalie qui reprend le texte de la bulle de la case précédente en l’amplifiant. Fig. 22. Première et dernière planches de L’Appel. SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 64 23/06/2023 11:58:45
  • 64. La phrase en contexte : étude d’une bande dessinée en français et en italien 65 Cependant, les bulles représentant 71,6% du texte de la BD, il convient de regarder de plus près ce texte dialogal. L’unité d’analyse de la conversation définie par Atkinson et Heritage (1984 : 5), « […] sont les séquences et les tours de parole dans une séquence, plutôt que les phrases et énoncés isolés », définition proche du modèle proposé par Adam. Selon ce dernier (Adam 2011 : 154), il convient d’ajouter d’autres unités entre les « séquence » et les « tours de pa- role », conformément à son modèle hiérarchique [Texte < Séquence < macro-phrases < phrases] : Le texte dialogal peut être défini comme une structure hiérarchisée de séquences appelées généralement « échanges ». Deux types de séquences doivent être distinguées : – les séquences phatiques d’ouverture et de clôture, – les séquences transactionnelles constituant le corps de l’interaction. En guise d’illustration, analysons les planches 11 et 12 qui ouvrent la 3e des 4 macro-séquences de la BD et qui constituent chacune une séquence : la conversation de Norman et Nautile sur l’importance des messages transportés par les ballons (Fig. 23) et la conversation de Nautile et de l’oncle Nanky qui tente de l’empêcher de partir, car Nautile veut répondre à l’Appel (Fig. 24). Planche 11, les bulles phatiques qui encadrent la transaction sont des phrases impératives. Cet échange met en place la position poli- tique du personnage féminin ainsi que son caractère tranché. La cu- riosité du lecteur pour le développement argumentatif de Nautile sur sa position politique concernant les messages, le conduit à tourner la page (hameçonnage en fin de planche). Planche 12, les bulles phatiques qui encadrent la transaction sont des prises de parole d’Oncle Nanky dont l’une introduit le sujet de cette conversation avec une question, et l’autre la conclut par un constat amer. Ce 2e dialogue reprend pour l’introduction du person- nage d’Oncle Nanky la même stratégie de découverte du personnage du dialogue précédent. Il est possible d’appliquer à nouveau les types élémentaires d’Adam aux bulles dialogales transactionnelles. On SOLIMAN-SAFFI La phrase en contexte 2023.indd 65 23/06/2023 11:58:45