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Les deux sœurs, 1915
«Autrefois les peintres étaient fous et les
acheteurs de tableaux intelligents. Au-
jourd’hui, les peintres sont intelligents et les
acheteurs sont fous.»
Giorgio de Chirico
Huile sur toile, 97 x 66 cm Milan,
Collection particulière
Les muses inquiétantes
GIORGIO DE CHIRICO
À partir de 1912, les paysages inanimés des tableaux de
Giorgio de Chirico ne sont plus seulement peuplés de statues
et de monuments, le peintre y introduit des personnages — des
marionnettes gigantesques — dont le caractère anonyme et
l’aspect évoquent aussi bien les mannequins de vitrine que les
poupées articulées dont se servent les peintres pour étayer
leurs études anatomiques. Impossible d’identifier ces figures
dénuées de bras, parfois dotées de charnières, de clous et
de fil de fer, parfois maintenues par des dispositifs ce sou-
tien complexes, et qui ne semblent pas non plus générer une
atmosphère spécifique. On songe aux êtres humains mécanisés
de oeuvre Dada de Francis Picabia, mais on se souvient aussi
de la déconstruction de l’homme entreprise par le Cubisme et
à laquelle De Chirico s’est certainement confronté de manière
intensive, son contact étroit avec Guillaume Apollinaire et Pablo
Picasso n’en étant cas la moindre raison. Le monde est une
scène sur laquelle un théâtre de marionnettes joue une pièce
absurde, dénuée de sens - cette idée qui domine dès le départ
les tableaux « métaphysiques» de De Chirico, acquiert avec
l’apparition des fragiles
poupées articulées une
importance plus grande
encore. «Face à l’orien-
tation de plus en plus
matérialiste et pragmatique
de notre époque... il n’est
pas erroné d’envisager à
l’avenir un statut social,
dans lequel l’homme qui vit
uniquement pour les plai-
sirs spirituels, n’aura plus
le droit de revendiquer sa
place au soleil. L’écrivain,
le penseur, le rêveur, le
poète, le métaphysicien, l’observateur... celui qui sonde, juge les
énigmes, devient une figure anachronique destinée à disparaître
de la surface de la terre comme l’ichtyosaure et le mammouth.»
On peut conclure de ces paroles du peintre italien que le monde
est vide de sens ; la question de sa signification n’a plus de rai-
son d’être. Ses Muses inquiétantes (La muse inquiétante) nous
éclairent sur ce point. Elles apparaissent devant l’ancienne rési-
dence de la famille d’Este, ces grands amateurs d’art, à Ferrare.
Il est révélateur que ce palais près duquel De Chirico a vécu
durant la Première Guerre mondiale doive s’imposer derrière
une scène ascendante, à côté de bâtiments industriels, de che-
minées d’usines et d’un silo. La forteresse se dresse, couleur
de rouille, sur le ciel turquoise de l’arrière-plan. Au devant de la
scène que barrent des zones d’ombre nettement découpées ap-
paraissent deux muses — des mannequins vêtus à l’antique —,
l’une debout, sans visage, l’autre assise, sans tête. On distingue
à côté d’elles divers accessoires, dont un masque rouge et une
baguette, les attributs traditionnels de Thalie et Melpomène, les
muses de la comédie et de la tragédie. En revanche, Apollon,
le guide des muses, apparaît à l’arrière-plan dans la pénombre,
sous forme de statue sur un socle. Il semble aussi inanimé que
les muses. Où va-t-il les conduire ? C’est la question que l’on
pourrait se poser face à la mélancolie profonde dans laquelle
ses compagnes sans visage sont manifestement plongées.
35
36
Huile sur bois, 35 x 27 cm
Bâle, Kunstmuseum Basel, Emanuel-Hoffmann-Stiftung
Girafes en flammes
«Je crois que je suis dans ce que je crée un
peintre vraiment moyen. Ce que je considère
comme génial c’est ma vision, pas ce que je
suis en train de réaliser.»
SALVADOR DALI
SALVADOR DALI
La Vénus de Milo aux tiroirs,
1936/1964
Le célèbre motif du corps humain doté de tiroirs apparaît plu-
sieurs fois en 1936 dans l’oeuvre de Salvador Dali. L’exemple le
plus provocant étant celui d’une copie de la Vénus de Milo que
Dali a parée au niveau du ventre et de la poitrine, du front et du
genou, de tiroirs que l’on peut tirer à l’aide d’un coquet pompon
de fourrure. Le symbole de la beauté classique, sans cesse ad-
miré et cité dans l’art européen du Moyen Age à nos jours, n’est
pas seulement réduit à l’état d’objet dans cette statue classique
manipulée, il est fondamentale-
ment remis en question. Il s’agit
moins ici de la problématique du
concept de beauté véhiculé par
la Vénus de Milo que dé la thèse
avancée par les surréalistes
selon laquelle l’idéalité, l’équilibre
et l’harmonie du corps humain
que représente la statue antique
est une idée dépassée. La belle
façade dissimule l’insoupçonné,
le déconcertant, l’effrayant. Une
idée qu’illustre l’image des tiroirs
qui, semble-t-il, donnent accès à
l’intérieur du corps humain.
Ce qu’une telle idée a de trau-
matisant nous est révélé par la
Girafe en flammes, un tableau
peint la même année que la
Vénus de Milo aux tiroirs. Le
blanc classique de la statue s’est
transformé en un bleu onirique
intense, la couleur de la nuit, qui
ne recouvre pas seulement le ciel
mais aussi les deux person-
nages féminins qui se déplacent
lentement, les yeux fermés, comme des somnambules. Ils
n’avancent que péniblement, leurs corps maigres et osseux
sont gênés par des tiroirs, des excroissances artificielles et des
béquilles. Le contra posto équilibré de la Vénus de Milo a cédé
la place à un vacillement, un effort pour trouver l’équilibre, car ils
sont très chargés par le contenu énigmatique des tiroirs.
Les figures ne restent debout que grâce à leurs béquilles;
aveugles, elles sont à la merci de la nuit qu’il faut, on le
pressent. comprendre comme une parabole. Elle représente
l’« autre» face de l’être humain, les domaines inconscients de
son ego, ceux auxquels il n’a pas accès, qu’il ne peut contrôler
rationnellement, mais qui pourtant déterminent son existence.
L’être humain ne sait ni où il va ni ce qui le pousse. Il vit dans un
monde qui lui est devenu étranger depuis qu’il s’est éloigné de
la nature. Peut-être la girafe en flammes symbolise-t-elle l’ab-
surdité de l’existence aux temps modernes. «Contrairement à
l’homme, écrit Wieland Schmied dans <Salvador Dali. Das Rät-
sel der Begierde>, la nature est encore ce qu’elle doit être chez
l’animal. Son essence animale semble indestructible. La girafe
qui brûle sans autre forme de procès a passé un pacte avec les
éléments. Sans pensées, sans passion même, elle peut s’offrir
aux flammes sans périr. L’idée de durée vient s’ajouter au règne
de la nature, aux minéraux, aux éléments, et l’animal y prend
part. L’être humain, en revanche, est soumis au temps, à l’âge,
à la précarité — ils ont marqué notre somnambule au visage,
aux mains, dans son mouvement.»
37
38
La durée poignardée
RENÉ MAGRITTE
La voix du silence, 1928
Huile sur toile, 147 x 99 cm
Chicago, The Art Institute of Chicago, Collection Joseph Winterbotharn
«Le temps de plomb» — S’il est possible de formuler avec des
mots une telle expression et les sentiments qui y sont liés, René
Magritte a réussi à le faire dans ce tableau. Sa mise en scène
qui semble muséale reflète dans chaque détail la longueur des
minutes qui s’écoulent sur l’horloge posée sur la cheminée. La
pièce vide dont Magritte nous montre un cadrage d’une grande
précision, semble caractérisée par le fait qu’il ne s’y passe
absolument rien et que cet état de choses va durer éternelle-
ment, on le sent. Seul le tic-tac de la pendule entre les deux
bougeoirs devant le miroir gris insondable rompt le silence, ceci
toutefois avec une monotonie qui ne génère, elle aussi, que
l’ennui. Qu’attendons-nous ? Que s’est-il passé ici? Que va-t-il
se passer?
Dans cette atmosphère tendue, nous sommes presque soula-
gés de voir une locomotive sortir de la cheminée, toute absurde
qu’elle soit. Seul un événement de cette ampleur, aussi inexo-
rable et bruyant, pouvait rompre le silence lourd de pressenti-
ments de la pièce étrangère, hostile. Bizarrement, au-delà de
ces constations, on a l’impression que la locomotive beaucoup
trop petite et dont la fumée passe au-dessus de l’âtre, est en
accord avec la pièce. Sa forme, caractérisée par sa précision
technique, montre une certaine parenté avec les autres objets et
structures de la pièce; la pendule noire, la cheminée classique,
le miroir sobre et les bougeoirs dépouillés — un fait qui aug-
mente encore le caractère énigmatique de la scène.
«Théâtre au coeur de la vie», c’est
ainsi que Magritte intitule un texte
rédigé en 1928 et qui traite de ce
phénomène. Il y décrit sa peinture
comme une scène, sur laquelle
les lois naturelles de l’espace et
du temps sont abrogées : «Une
princesse traverse un mur, des
fruits sur une table représentent
des oiseaux, il y a des ombres sans motif, derrière des portes
ouvertes il n’y a rien ».
La même atmosphère surréelle caractérise aussi La voix du
silence, peint par Magritte en 1928. Le tableau est divisé en
deux parties, à droite nous voyons une salle de séjour bour-
geoise avec canapé, tableau, étagère et plante en pot; à gauche
une obscurité impénétrable. Nous jetons un regard dans le
vide, dans l’abîme noir des périls imaginaires et des craintes,
un vague sentiment de menace et de désespoir nous étreint.
Soudain, la pièce familière de la partie droite semble n’être
plus qu’une façade qui dissimule l’indicible, un masque derrière
lequel nous nous cachons craintivement.
Comment vivre avec cet élément énigmatique qui peut appa-
raître brusquement dans chaque existence, rompre toute scène
si banale soit-elle et dont Magritte fait le thème de son oeuvre?
L’artiste, tel que le conçoit Magritte, oriente sa conscience en
premier lieu sur la vie, pas sur la pensée comme le ferait le
philosophe, et sur l’art comme le fait l’artiste qui se contente
d’avoir du succès dans le monde de l’art. Rien n’est un but en
soi pour le peintre surréaliste hormis la vie; l’art (un moyen de
penser) est son produit dérivé; ses tableaux ne perturbent plus
la vie immédiate.
39
40
Huile sur toile, 125 x 108 cm
Londres, Tate Modem
L’éléphant de Célèbes
MAX ERNST
Au premier mot limpide, 1923
En 1921, Paul Eluard achète un tableau à Max Ernst dont il
vient de faire la connaissance et à qui il a rendu visite à Co-
logne. La toile intitulée L’éléphant de Célèbes est la première
d’une série d’oeuvres qu’Eluard achètera à son ami avant
de lui passer une commande importante : décorer sa maison
d’Eaubonne de peintures murales.L’éléphant de Célèbes, qui a
vu le jour à Cologne, transpose le principe du collage en pein-
ture. Les éléments de la représentation ne sont pas présentés
comme des fragments découpés dans divers livres, lexiques ou
catalogues, au contraire: le principe du collage, le mariage de
choses paradoxales et hétéroclites qui ne vont pas ensemble,
est traduit en une peinture illusionniste qui imite les différents
matériaux. C’est justement dans l’effet « réaliste» du tableau
que réside l’effet « hallucinatoire» recherché par le peintre, un
effet que Max Ernst associe au collage comme le précise un
passage de ses notices autobiographiques: «Un jour de pluie,
à Cologne sur le Rhin, le
catalogue d’un établisse-
ment de matériel pédago-
gique éveille mon attention.
Je vois des annonces de
modèles en tout genre,
mathématiques, géomé-
triques, anthropologiques,
zoologiques, botaniques,
anatomiques, minéralo-
giques, paléontologiques et
ainsi de suite. Des éléments
de nature si différente que
l’absurdité de leur accumu-
lation semblait déconcer-
ter le regard et les sens,
générait des hallucinations,
donnait aux objets représen-
tés des significations nouvelles, croissant rapidement. Je sentis
mon acuité visuelle soudain si augmentée que je vis apparaître
les objets nouvellement créés sur un nouveau fond. Pour fixer
celui-ci, il suffisait d’un peu de couleur ou de quelques lignes,
d’un horizon, d’un désert, d’un ciel, d’un plancher et ce genre
de choses. Ainsi mon hallucination était fixée.» (1919)Dans le
cas de L’éléphant de Célèbes, le «nouveau fond» est le premier
indice d’une nouvelle, d’une autre réalité. La créature mons-
trueuse se dresse dans un espace que l’on identifie seulement
au second coup d’oeil comme un paysage subaquatique. Sur ce
que nous croyons être le ciel, deux poissons s’ébattent devant
un fond lui-même énigmatique puisqu’il est agrémenté de trous
à travers lesquels passe une corde. Mais ceci n’est que la
moindre cause de confusion. L’animal représenté n’évoque un
éléphant que par son corps arrondi et son tuyau/trompe. En fait,
il s’agit d’un appareil dont Max Ernst a trouvé le modèle dans
une revue anthropologique. Il y a vu la reproduction d’un grenier
à mil en glaise africain dont il a repris la simple forme ronde, la
parant d’une trompe dotée d’une manchette et d’une tête cornue
munie de défenses.Le nom du monstre renvoie à une comptine
allemande obscène que Max Ernst a entendue à l’école. Dans
ce contexte, on pourrait interpréter la tour qui se dresse à droite
et rappelle les constructions de De Chirico comme un symbole
phallique. La mythologie expliquerait la présence de la belle
femme nue: Max Ernst ferait référence à l’enlèvement d’Europe
par Zeus, roi des dieux, transformé pour l’occasion en taureau.
Le peintre aurait peint une tête à cornes au bout de la trompe de
l’éléphant pour attirer l’attention sur le mythe.
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Exercice PAO

  • 1. 34 Les deux sœurs, 1915 «Autrefois les peintres étaient fous et les acheteurs de tableaux intelligents. Au- jourd’hui, les peintres sont intelligents et les acheteurs sont fous.» Giorgio de Chirico Huile sur toile, 97 x 66 cm Milan, Collection particulière Les muses inquiétantes GIORGIO DE CHIRICO À partir de 1912, les paysages inanimés des tableaux de Giorgio de Chirico ne sont plus seulement peuplés de statues et de monuments, le peintre y introduit des personnages — des marionnettes gigantesques — dont le caractère anonyme et l’aspect évoquent aussi bien les mannequins de vitrine que les poupées articulées dont se servent les peintres pour étayer leurs études anatomiques. Impossible d’identifier ces figures dénuées de bras, parfois dotées de charnières, de clous et de fil de fer, parfois maintenues par des dispositifs ce sou- tien complexes, et qui ne semblent pas non plus générer une atmosphère spécifique. On songe aux êtres humains mécanisés de oeuvre Dada de Francis Picabia, mais on se souvient aussi de la déconstruction de l’homme entreprise par le Cubisme et à laquelle De Chirico s’est certainement confronté de manière intensive, son contact étroit avec Guillaume Apollinaire et Pablo Picasso n’en étant cas la moindre raison. Le monde est une scène sur laquelle un théâtre de marionnettes joue une pièce absurde, dénuée de sens - cette idée qui domine dès le départ les tableaux « métaphysiques» de De Chirico, acquiert avec l’apparition des fragiles poupées articulées une importance plus grande encore. «Face à l’orien- tation de plus en plus matérialiste et pragmatique de notre époque... il n’est pas erroné d’envisager à l’avenir un statut social, dans lequel l’homme qui vit uniquement pour les plai- sirs spirituels, n’aura plus le droit de revendiquer sa place au soleil. L’écrivain, le penseur, le rêveur, le poète, le métaphysicien, l’observateur... celui qui sonde, juge les énigmes, devient une figure anachronique destinée à disparaître de la surface de la terre comme l’ichtyosaure et le mammouth.» On peut conclure de ces paroles du peintre italien que le monde est vide de sens ; la question de sa signification n’a plus de rai- son d’être. Ses Muses inquiétantes (La muse inquiétante) nous éclairent sur ce point. Elles apparaissent devant l’ancienne rési- dence de la famille d’Este, ces grands amateurs d’art, à Ferrare. Il est révélateur que ce palais près duquel De Chirico a vécu durant la Première Guerre mondiale doive s’imposer derrière une scène ascendante, à côté de bâtiments industriels, de che- minées d’usines et d’un silo. La forteresse se dresse, couleur de rouille, sur le ciel turquoise de l’arrière-plan. Au devant de la scène que barrent des zones d’ombre nettement découpées ap- paraissent deux muses — des mannequins vêtus à l’antique —, l’une debout, sans visage, l’autre assise, sans tête. On distingue à côté d’elles divers accessoires, dont un masque rouge et une baguette, les attributs traditionnels de Thalie et Melpomène, les muses de la comédie et de la tragédie. En revanche, Apollon, le guide des muses, apparaît à l’arrière-plan dans la pénombre, sous forme de statue sur un socle. Il semble aussi inanimé que les muses. Où va-t-il les conduire ? C’est la question que l’on pourrait se poser face à la mélancolie profonde dans laquelle ses compagnes sans visage sont manifestement plongées.
  • 2. 35
  • 3. 36 Huile sur bois, 35 x 27 cm Bâle, Kunstmuseum Basel, Emanuel-Hoffmann-Stiftung Girafes en flammes «Je crois que je suis dans ce que je crée un peintre vraiment moyen. Ce que je considère comme génial c’est ma vision, pas ce que je suis en train de réaliser.» SALVADOR DALI SALVADOR DALI La Vénus de Milo aux tiroirs, 1936/1964 Le célèbre motif du corps humain doté de tiroirs apparaît plu- sieurs fois en 1936 dans l’oeuvre de Salvador Dali. L’exemple le plus provocant étant celui d’une copie de la Vénus de Milo que Dali a parée au niveau du ventre et de la poitrine, du front et du genou, de tiroirs que l’on peut tirer à l’aide d’un coquet pompon de fourrure. Le symbole de la beauté classique, sans cesse ad- miré et cité dans l’art européen du Moyen Age à nos jours, n’est pas seulement réduit à l’état d’objet dans cette statue classique manipulée, il est fondamentale- ment remis en question. Il s’agit moins ici de la problématique du concept de beauté véhiculé par la Vénus de Milo que dé la thèse avancée par les surréalistes selon laquelle l’idéalité, l’équilibre et l’harmonie du corps humain que représente la statue antique est une idée dépassée. La belle façade dissimule l’insoupçonné, le déconcertant, l’effrayant. Une idée qu’illustre l’image des tiroirs qui, semble-t-il, donnent accès à l’intérieur du corps humain. Ce qu’une telle idée a de trau- matisant nous est révélé par la Girafe en flammes, un tableau peint la même année que la Vénus de Milo aux tiroirs. Le blanc classique de la statue s’est transformé en un bleu onirique intense, la couleur de la nuit, qui ne recouvre pas seulement le ciel mais aussi les deux person- nages féminins qui se déplacent lentement, les yeux fermés, comme des somnambules. Ils n’avancent que péniblement, leurs corps maigres et osseux sont gênés par des tiroirs, des excroissances artificielles et des béquilles. Le contra posto équilibré de la Vénus de Milo a cédé la place à un vacillement, un effort pour trouver l’équilibre, car ils sont très chargés par le contenu énigmatique des tiroirs. Les figures ne restent debout que grâce à leurs béquilles; aveugles, elles sont à la merci de la nuit qu’il faut, on le pressent. comprendre comme une parabole. Elle représente l’« autre» face de l’être humain, les domaines inconscients de son ego, ceux auxquels il n’a pas accès, qu’il ne peut contrôler rationnellement, mais qui pourtant déterminent son existence. L’être humain ne sait ni où il va ni ce qui le pousse. Il vit dans un monde qui lui est devenu étranger depuis qu’il s’est éloigné de la nature. Peut-être la girafe en flammes symbolise-t-elle l’ab- surdité de l’existence aux temps modernes. «Contrairement à l’homme, écrit Wieland Schmied dans <Salvador Dali. Das Rät- sel der Begierde>, la nature est encore ce qu’elle doit être chez l’animal. Son essence animale semble indestructible. La girafe qui brûle sans autre forme de procès a passé un pacte avec les éléments. Sans pensées, sans passion même, elle peut s’offrir aux flammes sans périr. L’idée de durée vient s’ajouter au règne de la nature, aux minéraux, aux éléments, et l’animal y prend part. L’être humain, en revanche, est soumis au temps, à l’âge, à la précarité — ils ont marqué notre somnambule au visage, aux mains, dans son mouvement.»
  • 4. 37
  • 5. 38 La durée poignardée RENÉ MAGRITTE La voix du silence, 1928 Huile sur toile, 147 x 99 cm Chicago, The Art Institute of Chicago, Collection Joseph Winterbotharn «Le temps de plomb» — S’il est possible de formuler avec des mots une telle expression et les sentiments qui y sont liés, René Magritte a réussi à le faire dans ce tableau. Sa mise en scène qui semble muséale reflète dans chaque détail la longueur des minutes qui s’écoulent sur l’horloge posée sur la cheminée. La pièce vide dont Magritte nous montre un cadrage d’une grande précision, semble caractérisée par le fait qu’il ne s’y passe absolument rien et que cet état de choses va durer éternelle- ment, on le sent. Seul le tic-tac de la pendule entre les deux bougeoirs devant le miroir gris insondable rompt le silence, ceci toutefois avec une monotonie qui ne génère, elle aussi, que l’ennui. Qu’attendons-nous ? Que s’est-il passé ici? Que va-t-il se passer? Dans cette atmosphère tendue, nous sommes presque soula- gés de voir une locomotive sortir de la cheminée, toute absurde qu’elle soit. Seul un événement de cette ampleur, aussi inexo- rable et bruyant, pouvait rompre le silence lourd de pressenti- ments de la pièce étrangère, hostile. Bizarrement, au-delà de ces constations, on a l’impression que la locomotive beaucoup trop petite et dont la fumée passe au-dessus de l’âtre, est en accord avec la pièce. Sa forme, caractérisée par sa précision technique, montre une certaine parenté avec les autres objets et structures de la pièce; la pendule noire, la cheminée classique, le miroir sobre et les bougeoirs dépouillés — un fait qui aug- mente encore le caractère énigmatique de la scène. «Théâtre au coeur de la vie», c’est ainsi que Magritte intitule un texte rédigé en 1928 et qui traite de ce phénomène. Il y décrit sa peinture comme une scène, sur laquelle les lois naturelles de l’espace et du temps sont abrogées : «Une princesse traverse un mur, des fruits sur une table représentent des oiseaux, il y a des ombres sans motif, derrière des portes ouvertes il n’y a rien ». La même atmosphère surréelle caractérise aussi La voix du silence, peint par Magritte en 1928. Le tableau est divisé en deux parties, à droite nous voyons une salle de séjour bour- geoise avec canapé, tableau, étagère et plante en pot; à gauche une obscurité impénétrable. Nous jetons un regard dans le vide, dans l’abîme noir des périls imaginaires et des craintes, un vague sentiment de menace et de désespoir nous étreint. Soudain, la pièce familière de la partie droite semble n’être plus qu’une façade qui dissimule l’indicible, un masque derrière lequel nous nous cachons craintivement. Comment vivre avec cet élément énigmatique qui peut appa- raître brusquement dans chaque existence, rompre toute scène si banale soit-elle et dont Magritte fait le thème de son oeuvre? L’artiste, tel que le conçoit Magritte, oriente sa conscience en premier lieu sur la vie, pas sur la pensée comme le ferait le philosophe, et sur l’art comme le fait l’artiste qui se contente d’avoir du succès dans le monde de l’art. Rien n’est un but en soi pour le peintre surréaliste hormis la vie; l’art (un moyen de penser) est son produit dérivé; ses tableaux ne perturbent plus la vie immédiate.
  • 6. 39
  • 7. 40 Huile sur toile, 125 x 108 cm Londres, Tate Modem L’éléphant de Célèbes MAX ERNST Au premier mot limpide, 1923 En 1921, Paul Eluard achète un tableau à Max Ernst dont il vient de faire la connaissance et à qui il a rendu visite à Co- logne. La toile intitulée L’éléphant de Célèbes est la première d’une série d’oeuvres qu’Eluard achètera à son ami avant de lui passer une commande importante : décorer sa maison d’Eaubonne de peintures murales.L’éléphant de Célèbes, qui a vu le jour à Cologne, transpose le principe du collage en pein- ture. Les éléments de la représentation ne sont pas présentés comme des fragments découpés dans divers livres, lexiques ou catalogues, au contraire: le principe du collage, le mariage de choses paradoxales et hétéroclites qui ne vont pas ensemble, est traduit en une peinture illusionniste qui imite les différents matériaux. C’est justement dans l’effet « réaliste» du tableau que réside l’effet « hallucinatoire» recherché par le peintre, un effet que Max Ernst associe au collage comme le précise un passage de ses notices autobiographiques: «Un jour de pluie, à Cologne sur le Rhin, le catalogue d’un établisse- ment de matériel pédago- gique éveille mon attention. Je vois des annonces de modèles en tout genre, mathématiques, géomé- triques, anthropologiques, zoologiques, botaniques, anatomiques, minéralo- giques, paléontologiques et ainsi de suite. Des éléments de nature si différente que l’absurdité de leur accumu- lation semblait déconcer- ter le regard et les sens, générait des hallucinations, donnait aux objets représen- tés des significations nouvelles, croissant rapidement. Je sentis mon acuité visuelle soudain si augmentée que je vis apparaître les objets nouvellement créés sur un nouveau fond. Pour fixer celui-ci, il suffisait d’un peu de couleur ou de quelques lignes, d’un horizon, d’un désert, d’un ciel, d’un plancher et ce genre de choses. Ainsi mon hallucination était fixée.» (1919)Dans le cas de L’éléphant de Célèbes, le «nouveau fond» est le premier indice d’une nouvelle, d’une autre réalité. La créature mons- trueuse se dresse dans un espace que l’on identifie seulement au second coup d’oeil comme un paysage subaquatique. Sur ce que nous croyons être le ciel, deux poissons s’ébattent devant un fond lui-même énigmatique puisqu’il est agrémenté de trous à travers lesquels passe une corde. Mais ceci n’est que la moindre cause de confusion. L’animal représenté n’évoque un éléphant que par son corps arrondi et son tuyau/trompe. En fait, il s’agit d’un appareil dont Max Ernst a trouvé le modèle dans une revue anthropologique. Il y a vu la reproduction d’un grenier à mil en glaise africain dont il a repris la simple forme ronde, la parant d’une trompe dotée d’une manchette et d’une tête cornue munie de défenses.Le nom du monstre renvoie à une comptine allemande obscène que Max Ernst a entendue à l’école. Dans ce contexte, on pourrait interpréter la tour qui se dresse à droite et rappelle les constructions de De Chirico comme un symbole phallique. La mythologie expliquerait la présence de la belle femme nue: Max Ernst ferait référence à l’enlèvement d’Europe par Zeus, roi des dieux, transformé pour l’occasion en taureau. Le peintre aurait peint une tête à cornes au bout de la trompe de l’éléphant pour attirer l’attention sur le mythe.
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