Qu'est-ce que le contrôle de gestion ?
Voici un compte rendu d'un des classiques du domaine : le contrôle de gestion, du professeur Henri Bouquin, de l'Université Dauphine.
1. Henri Bouquin, Le Contrôle de Gestion, 5
ème
édition, 2001, PUF.
Note de lectures de Christophe Faurie
1 Préliminaire
Cette note de lecture a été rédigée en 2003, dans le cadre de la mise au point d’un cours de
sociologie des organisations pour les contrôleurs de gestion (orienté conduite du changement) du
DESS 202 de l’Université Dauphine, DESS diirigé par le professeur Henri Bouquin, auteur du livre.
Cette note lui a par ailleurs été envoyée, pour vérification.
2 Le contrôle de gestion
2.1 Le modèle classique (Taylor / Sloan)
Il est basé sur la notion de centre de compétence indépendant, à qui est délégué des objectifs et des
ressources.
Le moyen de le piloter est le budget : celui-ci est négocié entre le responsable du centre et le
management du groupe. Une fois négocié, il est supposé guider les actes des managers
1
.
Le contrôle d’exécution dicte aux niveaux inférieurs ce qu’ils doivent faire (taylorisme).
Faiblesses du modèle :
Une
modélisation
simpliste
Le système marche d’autant mieux que l’entreprise est faite de composants
indépendants, eux-mêmes organisés de manière hiérarchique, qui fonctionnent en
régime « nominal » et dans un environnement certain, causes et conséquences
étant immédiatement liées dans l’espace et le temps.
En fait, chaque phase du cycle de vie d’un composant du portefeuille d’activité de
l’entreprise (au sens matrice BCG du terme) devrait faire l’objet d’un traitement
spécifique
2
.
Notamment :
limitations
théoriques
cf. calcul des prix de transfert, en l’absence d’un marché réel
3
, évaluation
« objective » de la performance d’un centre de profit.
Qui entraîne
des effets
la construction de budget tend à encourager les managers à « cacher leur jeu »,
afin de faire triompher leur intérêt à court terme, qui est contraire à celui de
1
l’hypothèse de Taylor étant que la motivation humaine est l’argent
2
Remarque : si l’entreprise est faite de divisions indépendantes, il n’y a aucun intérêt économique à rassembler
toutes ces sous-entreprises indépendantes dans un même conglomérat, qui ne leur apporte rien sinon des
charges supplémentaires, le modèle « idéal » de ce type de contrôle de gestion ne semble pas viable.
3
à mon avis, la notion de « valeur » n’a aucun sens intrinsèque, sinon la différence entre ce qu’un client est prêt à
payer et les coûts encourus (cf. la « valeur » des tableaux de Van Gogh, qui était nulle de son vivant).
2. pervers l’entreprise, etc.
Notamment : la
négociation
budgétaire est un
Yalta
vise à répartir les ressources de l’entreprise entre ses composants, et ce en
fonction de leur pouvoir d’influence, mais non à créer de nouvelles richesses ou à
en réduire les coûts
2.2 3 (ou 4 ?) types de contrôle
ils sont interdépendants.
contrôle stratégique Finalise
contrôle de gestion. « gestion des interactions entre la stratégie et les opérations courantes ». « assurer la
cohérence d’ensemble du contrôle d’entreprise ».
contrôle d’exécution
à ceci il faudrait peut-être ajouter le « contrôle invisible » qui est le contrôle effectué par la culture de
l’entreprise (qui est le fruit de multiples autres cultures et peut comprendre des sous-cultures).
2.3 La mission du contrôle de gestion4
Mission
fondamentale
faire aller management et intérêts de l’entreprise dans la même direction
« installer et maintenir autour des managers les conditions leur permettant d’identifier
les objectifs pertinents et de maximiser les chances de les atteindre tant qu’ils restent
pertinents (donc de les modifier en temps utiles s’ils ne sont pas pertinents) »
5
.
Les 3 rôles du
contrôle de
gestion
« intégrateur des logiques multiples du management » : efficacité, efficience,
développement des compétences (atouts) de la société
ou aussi : compétitivité, rentabilité – création de valeur -, pérennité.
4
Remarque : est-il sûr que le « modèle classique » ait été conçu avec ces idées en tête ? N’est-ce l’amorce d’un
renouveau ?
5
Une question : est-ce que cette définition ne part pas d’une conception d’un manager isolé ? Ne faudrait-il pas la
faire évoluer pour tenir compte du fait que la performance de l’entreprise est de plus en plus une performance de
groupe face à des événements imprévus ?
Par exemple un responsable commercial d’une entreprise industrielle doit arriver à faire évoluer la demande de
son client de façon à ce qu’elle puisse être satisfaite rentablement par ses usines, ce qui demande non
seulement de connaître plus que son métier mais aussi d’arriver en peu de temps à un compromis opérationnel
avec l’ensemble de l’entreprise. Dans ces conditions ne faut-il pas faire plus qu’entourer le manager des bons
outils, notamment l’aider à développer des réflexes d’équipe ?
3. 2.4 La nature du contrôle de gestion
Langage « une des missions les plus importantes du contrôle de gestion est de coordonner les spécialités
différentes et les horizons de temps différents en les conduisant à partager une représentation
commune de l’entreprise et de ses finalités. Les doter d’un langage commun est une condition
clé pour l’obtention de cette représentation commune. »
Pivot Le contrôle de gestion doit intégrer les trois horizons de l’entreprise (2.6) et être le pivot
des différents types de contrôle de l’entreprise (2.5).
Gestion des
paradoxes
Les sources de paradoxes sont multiples. Notamment :
1) Poussé à l’extrême chacun des 3 rôles ci-dessus (2.3) est incompatible avec les
autres, seul le compromis est possible. Le contrôle de gestion est donc un art de
l’équilibre entre intérêts conflictuels.
2) Les différents horizons, les différents niveaux de contrôle ont des exigences
apparemment contradictoires
3) Chaque nouvelle mesure crée des « déséquilibres », effets pervers qu’il faut corriger
à leur tour.
Le danger : l’entreprise peut refuser un exercice qu’elle juge impossible. Le contrôle
de gestion « est alors guetté par le dogmatisme : celui des nouveaux concepteurs
d’outils qui omettent de dire que les outils sont des langages, des représentations et
pas des vérités ou celui des soft managers qui ont oublié de tester leurs recettes. »
2.5 3 étapes du contrôle de gestion
Finalisation Facteurs clés de
succès
comprendre la stratégie de l’entreprise de manière à mettre en
place le contrôle de gestion qui lui correspond. En fait, peu de
personnes morales ou physiques savent réellement ce qu’est
leur stratégie, ce qu’elle veulent faire (une stratégie semble
généralement émerger comme une rationalisation a posteriori
des actes de l’individu ou du groupe). Celle-ci « émerge » de
leur confrontation avec leur environnement. Par contre, elles
savent généralement ce qui est important qu’elles réussissent
pour atteindre leur objectif implicite : ce sont les Facteurs clés
de succès.
Le contrôle de gestion doit donc se caler sur ces FCS.
Faute de finalité bien comprise, le contrôle risque de tomber
dans la ritualisation (application de procédures = contrôle),
l’application des règles étant supposée assurer le bon
fonctionnement de l’entreprise.
4. style de direction « style de direction clair apte à proposer aux responsables non
seulement les autorités nécessaires à l’exercice effectif de
leurs missions, mais un « jeu » qu’ils jugeront susceptible de
leur procurer des avantages réels. »
Pilotage Règles
d’organisation
(structures, critères
de gestion des
unités, indicateurs de
performance)
Postévaluatio
n
Outils d’aide à la
décision et de suivi,
qui font fonctionner le
système
Le contrôle de gestion doit être « un système de vigilance » qui
est en permanence sur le qui-vive en ce qui concerne :
la cohérence entre « stratégie et quotidien »,
« les incertitudes essentielles auxquelles il faudra réagir pour
assurer la bonne gestion des FCS »,
« détecter les dérives lorsqu’elles commencent à se produire,
et non pas seulement quand elles se traduisent dans les
comptes »
mais qui permet aussi « l’émergence de stratégies » en
informant la direction de l’entreprise de nouvelles tendances.
2.6 Les horizons du contrôle de gestion
Stratégie Direction à long terme (« mission »).
Court terme année
Gestion courante Jour ou semaine
Le contrôle de gestion doit intégrer ces trois niveaux et être le pivot des différents contrôles de
l’entreprise.
5. 2.7 Principes méthodologiques
L’acteur
autonome : base
du contrôle de
gestion
Contrairement au contrôle d’exécution, programmatique, le contrôle de gestion
travaille avec des « acteurs autonomes », « la reconnaissance d’acteurs
autonomes implique qu’ils soient à même d’exercer leurs initiatives, notamment
devant des situations que les plans ou les procédures ne prévoient pas ».
Le contrôle de gestion, donc, privilégie l’influence, le conseil.
Repérer les
acteurs
Il « identifie les acteurs de la mise en œuvre stratégique pour organiser une
régulation et une interaction cohérentes ».
La notion clé de
responsabilité
Il attire l’attention des managers sur leurs responsabilités réelles (ce qui compte
le plus dans leur rôle à un instant donné).
En particulier, le contrôle de gestion doit intervenir sur la cause des coûts et non
uniquement sur leurs conséquences. Il doit donc amener les concepteurs à
mesurer les coûts de leurs décisions.
À noter aussi que de demander aux managers de répondre uniquement de l’effet
des causes qu’ils peuvent influencer, peut priver l’entreprise de leur créativité.
La notion clé de
motivation et de
compétence ?
Il doit comprendre que « au delà des tentatives techniques, il reste vrai que le
plus cohérent des systèmes de management ne remplace jamais la ressource
majeure et permanente que constitue un personnel mobilisé et conscient des
politiques de l’entreprise. »
Influencer et non
imposer
Il joue sur la connaissance des comportements pour les orienter
Le principe du contrôle de gestion est la gestion des paradoxes : le contrôle de
gestion n’applique donc pas des techniques « a priori », mais cherche à
influencer positivement la culture d’entreprise.
Accompagner le
manager
« Il aide les managers à résoudre quatre grands problèmes : communiquer des
valeurs, fixer des limites aux choix acceptables, disposer de suivi avec feedback
automatique quand cela est possible mais aussi de systèmes interactifs »
L’aider à rester sur
le qui-vive
Il analyse les écarts entre le prévu et le réel, et incite le managers à chercher
quelles actions il doit en déduire.
Le contrôle de gestion et la structure de gestion. Il s’assure :
Que la structure est contrôlable
6
6. Que les composants qui constituent le « système
de vigilance » de l’entreprise fonctionnent
correctement et sont en interaction.
6
Les études que j’ai menées il y a 20 ans sur le contrôle des systèmes me font douter que l’on puisse réellement
rendre totalement contrôlable quoi que ce soit : les meilleurs spécialistes ne savaient même pas contrôler la
plupart des systèmes ayant une entrée et une sortie… Et le nombre « d’entrées » et de « sorties » d’une
entreprise est vraisemblablement indéfinissable.
7. 2.8 Critères de réussite de la mise en place d’un contrôle de gestion
Une approche
progressive
« chercher d’abord à identifier les points clés des décisions courantes et mettre en
place des tableaux de bord, ensuite prévoir à court terme et budgéter, enfin instaurer
progressivement un système de management stratégique »
mais « il ne saurait concevoir (ces tableaux de bord) en faisant l’économie d’une
analyse stratégique et organisationnelle ».
Faire la
démonstration
de son intérêt
« la réussite en matière de contrôle de gestion est fortement liée à la
reconnaissance, par les opérationnels, de la réalité des services que peut leur offrir le
système de contrôle de gestion »
2.9 Le contrôleur de gestion
Son action n’est pas assimilable au contrôle de gestion. D’ailleurs, « le processus de contrôle de
gestion est l’affaire des managers »
7
.
Architecte C’est « l’architecte et l’animateur » du processus de contrôle de gestion, « du
processus de vigilance ».
Garant de la
doctrine de
contrôle de gestion
Il est important qu’il y ait « une centralisation de la méthodologie », ainsi qu’une
« rigoureuse définition des langages utilisés » (doctrine de contrôle de gestion
centralisée).
Rôle opérationnel « « attirer l’attention » sur des écarts ou des incohérences, à donner son
opinion » sur les orientations souhaitables, à « aider à choisir », voire à contester
les choix envisagés par les opérationnels ».
Ses fonctions hors
contrôle de gestion
« comptabilité, gestion financière, informatique,… »
Les domaines qui
le concernent
Loin d’être simplement un financier ou un comptable, il doit être « porteur de la diversité
des logiques (techniques, financières, commerciale, humaine, etc.) qui font la
performance ».
Les sources de
son pouvoir
Son pouvoir est plus d’influence que direct.
Pour réussir « il semble que ce qui importe le plus ne soit pas l’existence de tel
ou tel lien de subordination mais bien plus la reconnaissance d’une compétence
adaptée aux caractéristiques de l’entreprise ».
7
après tout, si les managers vont d’eux mêmes dans la bonne direction, il n’y a pas besoin de contrôleurs de
gestion (« management control »).
8. Critères de succès Se faire accepter des opérationnels
Que l’on tienne compte de ses opinions, de manière à ce qu’il puisse jouer son
rôle (cf. plus haut).
9. 3 L’avenir du contrôle de gestion ?
Le modèle classique de contrôle de gestion a donc des limites sévères, mais comment le faire
évoluer ?
3.1 Processus
La notion de processus (ensemble d’activités tournées vers le client), introduit un nouveau modèle en
représentant l’entreprise non sous forme hiérarchique, mais sous forme de système
8
.
3.2 Le modèle Z
La Théorie Z de Ouchi, est basé sur le modèle culturel japonais : « le contrôle par le clan », « c’est le
contrôle par la culture d’entreprise par la solidarité, c’est-à-dire par l’informel, l’ « invisible » ».
« ainsi la bureaucratie sanctionnerait l’échec du marché, et la culture d’entreprise l’échec de la
bureaucratie »
9
.
Mais ce modèle prometteur n’a pas débouché sur une méthodologie pratique de contrôle de gestion.
3.3 Remarque finale
Il semble cependant, que ces deux tentatives montrent la voie à suivre, à l’avenir :
• Nécessité d’une vision systémique de l’entreprise ;
• Développement nécessaire d’une maîtrise de moyens de « contrôles invisibles ».
8
Je ne suis pas très à l’aise avec la notion de processus. Pour pouvoir en parler, il faut que l’activité de
l’organisation soit relativement stabilisée. Ce qui est de moins en moins le cas : cf. l’exemple très général du
travail du responsable de compte de l’entreprise industrielle, qui exige une improvisation d’équipe de tous les
instants et semble montrer que définir sous forme de procédure le processus de vente est complexe, pour le
moins.
9
Ouchi semble s’appuyer sur Durkheim. Mais Durkheim me paraît avoir dit différemment de Ouchi : si j’ai bien
compris : le groupe primitif humain est réglé par une culture qu’il partage (« mécanique »), mais lorsque la société
s’étend, ce mécanisme n’est plus possible. La division des tâches crée une solidarité de fait (« organique »). Mais
la société peut alors rentrer dans une 3
ème
phase : l’éloignement peut briser le minimum de conscience commune
existant entre individus (anomie). Il reste à rétablir ce minimum vital (construire une morale).
10. 3 L’avenir du contrôle de gestion ?
Le modèle classique de contrôle de gestion a donc des limites sévères, mais comment le faire
évoluer ?
3.1 Processus
La notion de processus (ensemble d’activités tournées vers le client), introduit un nouveau modèle en
représentant l’entreprise non sous forme hiérarchique, mais sous forme de système
8
.
3.2 Le modèle Z
La Théorie Z de Ouchi, est basé sur le modèle culturel japonais : « le contrôle par le clan », « c’est le
contrôle par la culture d’entreprise par la solidarité, c’est-à-dire par l’informel, l’ « invisible » ».
« ainsi la bureaucratie sanctionnerait l’échec du marché, et la culture d’entreprise l’échec de la
bureaucratie »
9
.
Mais ce modèle prometteur n’a pas débouché sur une méthodologie pratique de contrôle de gestion.
3.3 Remarque finale
Il semble cependant, que ces deux tentatives montrent la voie à suivre, à l’avenir :
• Nécessité d’une vision systémique de l’entreprise ;
• Développement nécessaire d’une maîtrise de moyens de « contrôles invisibles ».
8
Je ne suis pas très à l’aise avec la notion de processus. Pour pouvoir en parler, il faut que l’activité de
l’organisation soit relativement stabilisée. Ce qui est de moins en moins le cas : cf. l’exemple très général du
travail du responsable de compte de l’entreprise industrielle, qui exige une improvisation d’équipe de tous les
instants et semble montrer que définir sous forme de procédure le processus de vente est complexe, pour le
moins.
9
Ouchi semble s’appuyer sur Durkheim. Mais Durkheim me paraît avoir dit différemment de Ouchi : si j’ai bien
compris : le groupe primitif humain est réglé par une culture qu’il partage (« mécanique »), mais lorsque la société
s’étend, ce mécanisme n’est plus possible. La division des tâches crée une solidarité de fait (« organique »). Mais
la société peut alors rentrer dans une 3
ème
phase : l’éloignement peut briser le minimum de conscience commune
existant entre individus (anomie). Il reste à rétablir ce minimum vital (construire une morale).