Quelques leçons de la Commune de Paris au regards des luttes sociales contemporaines
1. Quelques leçons de la Commune de Paris au
regard des luttes sociales contemporaines
Saïd Bouamama, 25 avril 2021
Webinar de ILPS sur la Commune de Paris de 1871
Nous commémorons cette année le 150 -ème anniversaire de la première expérience
de gouvernement ouvrier au moment où dans le monde entier ressurgissent des luttes
sociales massives du Soudan, à l’Algérie, de l’Inde à la France. Ce retour des luttes
sociales de masse fait suite à une phase de recul enclenchée par la phase dite
« néolibérale » ou de « mondialisation » datant de la décennie 80 et accélérée par la
destruction des équilibres issus de la seconde guerre mondiale consécutive à la
disparition de l’URSS. Les leçons de la Commune de Paris revêtent dans ce contexte
une importance particulière.
Le passage rapide d’une situation prérévolutionnaire à une situation
révolutionnaire
La commune de Paris est le résultat d’une situation révolutionnaire c’est-à-dire d’une
séquence historique dans laquelle la domination « normale » de la classe dominante
est fortement ébranlée. Pour la commune de Paris cette situation révolutionnaire est
issue de la capitulation du gouvernement de la troisième République devant l’armée
prussienne qui assiège et menace Paris. Plutôt que de résister à l’occupant la classe
dominante est hantée par la peur du peuple en arme ce qui la conduit à vouloir
désarmer les parisiens et à récupérer les canons présents dans la capitale. D’autres
causes peuvent bien entendu réunir les conditions objectives d’une situation
révolutionnaire comme par exemple l’aggravation brusque des conditions matérielles
d’existence. Une situation révolutionnaire est, souligne Lénine, précédée d’une
situation prérévolutionnaire c’est-à-dire dans laquelle la colère sociale augmente sans
pour autant menacer encore la classe dominante. Le spectacle de la capitulation de la
classe dominante dans un contexte de montée de la pauvreté populaire liée à la guerre
et au siège a ainsi été constitutif d’une situation prérévolutionnaire. Il en est de même
aujourd’hui où la paupérisation et la précarisation ont atteint des sommets depuis plus
de quatre décennies. Dans de nombreux pays les éléments d’une situation
prérévolutionnaire sont réunis ou en voie de réunion.
La deuxième caractéristique de la Commune de Paris est d’avoir mis en branle toutes
les catégories de prolétaires, y compris des fractions faiblement mobilisées jusque-là.
Des couturières aux cantinières, des salariés aux artisans en passant par les
instituteurs se sont l’ensemble des catégories du prolétariat et plus largement des
classes populaires qui se sont mobilisé. Cette entrée en lutte de catégories nouvelles
du prolétariat est un second point commun avec la situation actuelle. L’entrée en lutte
de ces diversité ouvrière dans un même combat explique, à mon sens, le caractère
2. territorial visible de la Commune de Paris : les rues sont investies, la nouvelle
démocratie ouvrière s’exerce partout, les monuments réactionnaires sont détruits, des
rue et places sont rebaptisées. Toute chose égale par ailleurs l’occupation des ronds-
points, comme des places en Turquie, Soudan, Algérie, sont des processus de même
nature.
La troisième caractéristique de la Commune de Paris, en lien avec la précédente, fut
son caractère spontané. Les militants du mouvement ouvrier sont minoritaires même
si plusieurs de ceux qu’on appelait les « internationalistes » [c’est-à-dire les membres
de la première internationale] sont élus spontanément comme dirigeant de la
commune. La commune de Paris n’est pas le résultat de l’action d’un parti
révolutionnaire mais de la révolte spontanée des masses populaires. Pour le dire
autrement le facteur objectif d’une révolution était réuni mais pas le facteur subjectif.
La Commune de Paris correspond même à une rare situation de passage d’une
situation révolutionnaire à une révolution sans que ne soit présent un parti
révolutionnaire. Dans ces rares situations la révolution est fragilisée. Marx rappelons
le considérait la commune de Paris comme prématurée même s’il a immédiatement
appelé une fois celle-ci déclenchée à la soutenir et à la renforcer. La faiblesse du
facteur subjectif, c’est-à-dire l’absence d’un parti capable de diriger les luttes, est une
autre ressemblance avec la situation actuelle.
L’exemple des Gilets Jaunes
La caractéristique première des Gilets Jaunes est que ce mouvement marque l’entrée
en lutte de la partie la plus précarisée des classes populaires. Depuis plus de quatre
décennies la concurrence généralisée entre les travailleurs organisée par le capital a
été considérablement accrue. Les syndicats constituant la dernière organisation des
travailleurs significatives, ces précaires et nouveaux précaires n’ont pas bénéficiés de
la socialisation politique offerte par les structures syndicales, ni de la défense concrète
qu’offre les syndicats. De plus les principaux syndicats ouvriers ont sous-estimés
l’organisation de cette partie des travailleurs exclu d’une présence stable dans
l’entreprise. Une partie non négligeable des Gilets Jaunes est constitué de ces
travailleurs allant de l’intérim aux formations courtes, du contrat à durée déterminé à
des périodes de chômage ou de revenu minimum. La réaction première des syndicats
fut ainsi de manière significative méfiante vis-à-vis des Gilets Jaunes. De même que
les Gilets Jaunes avaient tendance à avoir un discours antisyndical, les syndicats n’ont
pas considérés les Gilets jaunes comme faisant partie de la même offensive contre la
classe dominante. Cette faiblesse de la conscience d’appartenir à la même classe est
le résultat de l’accroissement de la stratification des classes populaires. Si toutes
celles-ci connaissent une paupérisation, certaines fractions connaissent une
paupérisation accrue : femmes, travailleurs issus de l’immigration, jeunes. Ce sont ces
fractions qui s’orientent vers des mouvements spontanés comme les Gilets Jaunes ou
d’autres mouvements de luttes.
Mais le facteur le plus commun entre la Commune de Paris et le mouvement des Gilets
Jaunes par exemple est l’éparpillement idéologique de la classe ouvrière issu de
l’absence du facteur subjectif c’est-à-dire de la faiblesse de l’organisation
révolutionnaire. Cette faiblesse complétée par l’isolement de Paris vis-à-vis du reste
3. du pays, a été, comme l’a analysé Marx, fatale pour la Commune de Paris. A plus forte
raison les Gilets Jaunes pouvaient au mieux conduire à une insurrection sans
lendemain [ce qui ne veut pas dire inutile car elle participe de l’expérience des masses
populaires] pour le mieux et à un épuisement pour le pire.
Biographie : Saïd Bouamama est un sociologue marxiste, auteur de plusieurs
ouvrages sur les processus d’exploitation et de domination à l’époque impérialiste. Il
est aussi animateur du Front Uni des Immigrations et des Quartiers Populaires qui
tente d’organiser ces catégories de travailleurs les plus précarisés.