Dans le cadre de notre travail et adoptant une démarche qualitative à visée exploratoire, notre recherche vise à comprendre les mécanismes qui font en sorte que certains projets obtiennent les faveurs des crowdfunders mieux que d’autres. En d’autres termes, nous cherchons à comprendre le processus de financement et les facteurs qui déterminent l’accès au crowdfunding. Pour cela, après une synthèse des différents travaux menés sur le sujet, nous avons entamé la phase d’entretien de cinq micro entrepreneurs camerounais l’ayant utilisé et ayant acquis la somme levée. L’analyse par étude de cas de ces entretiens nous a permis d’identifier 11 critères répartis en facteurs financiers et non financiers. Ces facteurs représentent les conditions à respecter a priori pour espérer le succès de telles campagnes de financement participatif.
In the context of our work, through a qualitative approach, our exploratory research aims at understanding the mechanisms that make that some projects get favors of the crowdfunders better than others. In others words, we want to understand the funding process and the factors that determine access to crowdfunding. For this, after a synthesis of the various works on the subject, we began interviews phases of five Cameroonian micro entrepreneurs having used it and having acquired the amount raised. The analysis by case study of these interviews allowed us to identify 11 criteria divided into financial and non-financial factors. These factors are the conditions to be met prior to hope for the success of such campaigns crowdfunding.
FINANCEMENT DES MICRO ENTREPRENEURS PAR CROWDFUNDING : ANALYSE DES DETERMINANTS A LA LUMIERE DE QUELQUES EXPERIENCES CAMEROUNAISES
1. UNIVERSITE DE DOUALA
ECOLE SUPERIEURE DES SCIENCES
ECONOMIQUES ET COMMERCIALES
(ESSEC DE DOUALA)
MEMOIRE
de fin d’études en vue de l’obtention du Diplôme d’Etudes Supérieures de Commerce (DESC)
Rédigé par:
CHIEGUEN NGAMAGOU GIVETTE PRUDENCE
Filière : DESC
Option : Finance et Comptabilité
Matricule : 09S1061
Sous la supervision du :
Pr FOUDA ONGODO Maurice
Professeur agrégé en Sciences de Gestion
Enseignant à l’ESSEC
Sous l’encadrement académique : Sous l’encadrement professionnel :
Dr ONOMO Cyrille M. LIMA Emmanuel
Enseignant à l’ESSEC Enseignant à l’ESSEC
THEME :
FINANCEMENT DES MICRO ENTREPRENEURS
PAR CROWDFUNDING : ANALYSE DES
DETERMINANTS A LA LUMIERE DE QUELQUES
EXPERIENCES CAMEROUNAISES
Année académique : 2016 / 2017
REPUBLIC OF CAMEROON
PEACE – WORK – FATHERLAND
MINISTRY OF HIGHER EDUCATION
REPUBLIQUE DU CAMEROUN
PAIX – TRAVAIL – PATRIE
MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
2. i
SOMMAIRE
Dédicace.....................................................................................................................................ii
Remerciements..........................................................................................................................iii
Avant-propos............................................................................................................................. iv
Liste des abréviations................................................................................................................. v
Liste des tableaux...................................................................................................................... vi
Liste des graphiques.................................................................................................................vii
Liste des schémas....................................................................................................................viii
Résumé...................................................................................................................................... ix
Abstract ...................................................................................................................................... x
INTRODUCTION GENERALE................................................................................................ 1
PREMIERE PARTIE : LE FINANCEMENT PAR CROWDFUNDING : UNE
ALTERNATIVE DU FINANCEMENT BANCAIRE .......................................................... 6
CHAPITRE 1 : LE CROWDFUNDING : UNE APPROCHE NOUVELLE DE
FINANCEMENT DES MICRO ENTREPRENEURS .............................................................. 7
Section 1 : Le financement au cœur des obstacles des micro entrepreneurs ......................... 7
Section 2 : Le crowdfunding comme solution au financement des micro entrepreneurs ..... 16
CHAPITRE 2 : LES DETERMINANTS DE L’ACCES AU FINANCEMENT PAR
CROWDFUNDING.................................................................................................................. 27
Section 1 : Le processus de financement par crowdfunding................................................. 27
Section 2 : Les facteurs explicatifs de l’accès au crowdfunding .......................................... 34
DEUXIEME PARTIE : LES DETERMINANTS DE L’ACCES AU CROWDFUNDING
AU CAMEROUN ................................................................................................................... 42
CHAPITRE 3 : ANALYSE DES EXPERIENCES DU CROWDFUNDING
AU CAMEROUN .................................................................................................................... 43
Section 1 : Démarche méthodologique de la recherche........................................................ 43
Section 2 : Processus de collecte et d’analyse des données.................................................. 53
CHAPITRE 4 : LES FACTEURS EXPLICATIFS DE L’ACCES AU CROWDFUNDING AU
CAMEROUN........................................................................................................................... 66
Section 1 : Les facteurs financiers et non financiers de l’accès au financement par
crowdfunding........................................................................................................................ 66
Section 2 : Perception du crowdfunding et voies d’amélioration des pratiques................... 82
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................... 87
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES............................................................................. 88
ANNEXES............................................................................................................................... 98
4. iii
REMERCIEMENTS
La réalisation de ce mémoire ne saurait être considérée uniquement comme le fruit
d’un effort individuel. Tout au contraire, ce travail de recherche est la symbiose d’un
ensemble conjugué de soutiens humains, intellectuels et financiers de plusieurs personnes à
qui je dois de sincères et profonds remerciements. J’exprime toute ma gratitude particulière à :
Pr FOUDA ONGODO, Agrégé en Sciences de Gestion, Vice Doyen de la FSEGA à
l’Université de Douala, pour avoir accepté de superviser et de suivre ce travail ;
Dr ONOMO Cyrille, chargé de cours à l’ESSEC de Douala, pour son encadrement,
son suivi, sa disponibilité malgré ses multiples obligations et pour son encouragement ;
M. LIMA Emmanuel, Directeur de Friesland West Africa au Cameroun et Enseignant
à l’ESSEC de Douala, pour ses infaillibles encouragements, pour son encadrement en dépit de
ses multiples occupations, pour son suivi et sa disponibilité ;
Les enseignants de l’ESSEC de Douala pour leur contribution à ma formation à travers
les enseignements de qualité ;
M. NKENGNE Yann, M. NGUENA Arnaud, M. ATEBA Brice, M. POUEME Serge
et Mme EPEE MANDENGUE Joëlle épouse EBONGUE qui m’ont accordé du temps pour
les différents entretiens malgré leurs obligations professionnelles et qui ont porté une attention
particulière à notre recherche ;
M. TCHIEGUEN Célestin, mon papa adoré, pour son amour, ses conseils et son
soutien inconditionnel au quotidien ;
Mme TCHIEGUEN Béatrice et Mme TCHIEGUEN Christiane, mes mamans, pour
leurs multiples attentions, soins, sacrifices et qui n’ont jamais cessé de me demander de
soutenir pour clôturer aussi ma formation à l’ESSEC de Douala ;
Mlle TIALEU KASU Arlette, ma cousine pour son aide précieuse dans la lecture et les
corrections orthographiques et sémantiques de mon mémoire ;
Mes frères et sœurs pour toujours supporter mes sauts d’humeurs durant cette période
assez stressante et surtout pour les instants inoubliables que nous passons ensemble ;
Mes camarades de la promotion DESC 2009 avec qui, malgré nos différends, j’ai eu le
privilège de partager les joies, les peines et les affres de la formation ;
Mes parrains académiques M. KOM FOTSO, M. YOUMBI Duplex et M. TCHANDA
Romaric pour leur assistance et leur apport en documentations durant mon séjour de
formation à l’ESSEC de Douala ;
Tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de ce chef d’œuvre.
5. iv
AVANT-PROPOS
Dans le souci d’assurer la formation des futurs cadres d’entreprises et chefs
d’entreprises nationaux et africains d’une part devant répondre efficacement et efficiencement
à la satisfaction des parties prenantes de l’entreprise, et d’autre part des créateurs d’entreprises
devant créer des emplois nouveaux afin de résorber le problème de chômage, le Cameroun
s’est doté de plusieurs écoles publiques et privées parmi lesquelles l’ESSEC (Ecole
Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales) de Douala gratifiée « Temple par
excellence du management ». Première Ecole de Gestion de la sous-région par le volume de
sa formation scientifique, et de la qualité de sa formation, elle a été créée en août 1979 au
sein de l’ancien Centre Universitaire de Douala.
Cette école en partenariat avec de nombreuses autres à l’international et de
nombreuses entreprises sur le territoire national est située à Douala dans la région du Littoral,
département du Wouri, arrondissement de Douala Vème
et dispose en filière DESC (Diplôme
d’Etudes Supérieures de Commerce) diverses options dont la Gestion Financière et
Comptabilité (FICO).
Ainsi, dans l’optique d’asseoir les connaissances théoriques et les connaissances
professionnelles, nous avons eu le privilège durant notre parcours, d’effectuer quelques stages
académiques sans détection d’un quelconque problème à résoudre. Cependant, nous avons
observé depuis quelques années le développement fulgurant d’une synergie communautaire
autour de l’accompagnement et du financement de nombreux micro entrepreneurs parmi
lesquels les micro entrepreneurs camerounais au lendemain de la crise des subprimes aux
USA en 2008. Mais le déclic est qu’on constate un taux d’échec élevé de ces campagnes au
Cameroun d’où le choix de notre thème : « Financement des micro entrepreneurs par
crowdfunding : analyse des déterminants à la lumière de quelques expériences
camerounaises ». L’intérêt de cette recherche est non seulement d’informer les micro
entrepreneurs de ce mode de financement mais aussi de mieux les outiller sur les meilleurs
pratiques du financement participatif afin d’optimiser leur chance d’accès au financement.
Ce document est donc le compte rendu de notre recherche assorti des voies
d’amélioration des pratiques. Nous pensons tout simplement avoir contribué tant soit peu au
progrès de la recherche scientifique sur ce sujet en posant les jalons susceptibles de servir de
bases aux futurs travaux qui pourraient être effectués dans ce domaine. Nous savons que ce
travail est celui d’une néophyte et de ce fait, sujet à des critiques et suggestions constructives
auxquelles nous restons réceptifs.
6. v
LISTE DES ABREVIATIONS
A4AI Alliance For Affordable Internet
BAD Banque Africaine de Développement
BCS Business Climate Survey
BD Bande Dessinée
BIT Bureau International du Travail
BM Banque Mondiale
BTP Bâtiments et Travaux Publiques
CA Chiffre d’Affaires
CNC Comité National de Crédit
CNRTL Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
CSI Capital Social Individuel
CST Capital Social Territorial
DESC Diplôme d’Etudes Supérieures de commerce
ESSEC Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales
FICO Gestion Financière et Comptabilité
GE Grande Entreprise
IFC International Finance Corporation
INS Institut National de la Statistique
LT Long Terme
LVDD La Vie D’Ebène Duta
MMC My Major Compagny
MPE Micro et Petite Entreprise
MPME Micro entreprises, Petites et Moyennes Entreprises
NTIC Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication
PE Petite Entreprise
PIB Produit Intérieur Brut
PME Petite et Moyenne Entreprise
PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement
PPE Plus Petite Entreprise
RGE Recensement Général des Entreprises
TIC Technologies de l’Information et de la Communication
TPE Très Petite Entreprise
7. vi
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 : Typologie des micro entreprises .......................................................................... 11
Tableau 2 : Total des fonds levés par région dans le monde entre 2012 et 2014 ................... 22
Tableau 3 : Comparaison entre le crowdfunding et les autres sources de financement.......... 26
Tableau 4 : Typologie des modèles de crowdfunding ............................................................ 30
Tableau 5 : Répartition de la durée des entretiens .................................................................. 51
Tableau 6 : Démographique des micro entrepreneurs camerounais ayant utilisé le
crowdfunding....................................................................................................... 70
9. viii
LISTE DE SCHEMAS
Schéma 1 : Le processus de financement d’un projet par crowdfunding................................ 65
Schéma 2 : Les critères relatifs au paramétrage du projet crowdfunding ............................... 79
Schéma 3 : Les critères relatifs au profil du micro entrepreneur ............................................ 80
Schéma 4 : Les critères relatifs à la confiance des financeurs vis-à-vis du projet et de son
promoteur .............................................................................................................. 81
Schéma 5 : Modèle conceptuel des facteurs explicatifs de l’accès au crowdfunding ............. 82
10. ix
RESUME
Clé du développement en Afrique en général et au Cameroun en particulier, les micro
entreprises peinent à émerger. Malgré un boum de l’entrepreneuriat et particulièrement du
micro entrepreneuriat, les micro entreprises ne jouent pas leur rôle moteur de l’économie ;
celui de réduire le chômage des jeunes en créant les emplois décents et permanents. Le
principal obstacle est le financement. Les banques et les institutions financières
internationales rechignent à leur accorder du crédit et préfèrent prêter aux grandes entreprises
(GE). C’est pourquoi les micro entrepreneurs camerounais se tournent de plus en plus vers des
modes de financement participatif, séduites par le succès des campagnes de financement par
crowdfunding. Cependant, s’ils sont de plus en plus tentés de se lancer dans de telles
opérations de crowdfunding, nombreux sont encore maladroits quant à la manière de procéder
pour optimiser leurs chances de réussite puisque le taux d’échec demeure important au
Cameroun.
Dans le cadre de notre travail et adoptant une démarche qualitative à visée
exploratoire, notre recherche vise à comprendre les mécanismes qui font en sorte que certains
projets obtiennent les faveurs des crowdfunders mieux que d’autres. En d’autres termes, nous
cherchons à comprendre le processus de financement et les facteurs qui déterminent l’accès au
crowdfunding. Pour cela, après une synthèse des différents travaux menés sur le sujet, nous
avons entamé la phase d’entretien de cinq micro entrepreneurs camerounais l’ayant utilisé et
ayant acquis la somme levée. L’analyse par étude de cas de ces entretiens nous a permis
d’identifier 11 critères répartis en facteurs financiers et non financiers. Ces facteurs
représentent les conditions à respecter a priori pour espérer le succès de telles campagnes de
financement participatif.
Cependant dans le souci d’une hiérarchisation de ces critères, nous avons proposé un
modèle conceptuel des facteurs explicatifs d’accès au crowdfunding. Ce modèle met en
lumière quatre parties prenantes sur lesquelles repose une collecte réussie : le paramétrage du
projet crowdfunding, le profil du micro entrepreneur, la confiance des contributeurs vis-à-vis
du projet et de son promoteur et enfin l’accès à une bonne connexion internet.
Mots clés : crowdfunding – micro entrepreneuriat – accès au financement
11. x
ABSTRACT
The key to development in Africa in general and Cameroon in particular, micro
entreprises are struggling to emerge. Despite a boom in entrepreneurship and particularly
micro entrepreneurship, micro entreprises do not play their driving role in the economy;
reducing youth unemployment by creating decent and permanent jobs. The main obstacle is
funding. Banks and international financial institutions are reluctant to give them credit and
prefer lending to large companies. This is why micro entrepreneurs in Cameroon are turning
more and more towards participatory financing, seduced by the success of crowdfunding
fundraising campaigns. However, if they are more and more tempted to engage in such
crowdfunding operations, many are still clumsy as to how to optimize their chances of success
since the failure rate remains high in Cameroon.
In the context of our work, through a qualitative approach, our exploratory research
aims at understanding the mechanisms that make that some projects get favors of the
crowdfunders better than others. In others words, we want to understand the funding process
and the factors that determine access to crowdfunding. For this, after a synthesis of the
various works on the subject, we began interviews phases of five Cameroonian micro
entrepreneurs having used it and having acquired the amount raised. The analysis by case
study of these interviews allowed us to identify 11 criteria divided into financial and non-
financial factors. These factors are the conditions to be met prior to hope for the success of
such campaigns crowdfunding.
However, in order to prioritize these criteria, we proposed a conceptual model of the
explanatory factors for access to crowdfunding. This model highlights four main factors on
which a successful fundraising is based: the setting of the crowdfunding project, the profile of
the micro entrepreneur, the confidence of the backers towards the project and its promoter,
and finally the access to good internet connection.
Key words: crowdfunding - micro entrepreneurship - access to financing
12. 1
INTRODUCTION GENERALE
D’après le rapport 2011 de l’International Finance Corporation (IFC), l’Afrique
compte 50 millions de micro, petites et moyennes entreprises. Ces entreprises contribuent à
58% aux possibilités d'emploi et 33% du produit Intérieur brut (PIB) du continent africain, les
rendant à ce titre critiques pour la croissance socioéconomique du continent (BAD, 2012).
Au Cameroun, l’Institut National de la Statistique (2010), lors du recensement général
des entreprises, estime que les Très Petites Entreprises (TPE) et les Petites et Moyennes
Entreprises (PME) représentent 99% du tissu économique national. Elles offrent 62%
d’emplois permanents et 69% d’emplois temporaires et participent à 34% du produit intérieur
brut (PIB) du pays. Le débat actuel sur le développement économique de l’Afrique
Subsaharienne en général et sur l’émergence du Cameroun à l’horizon 2035 en particulier
montre que les autorités publiques nationales et internationales misent surtout sur la
compétitivité du secteur privé, en général sur celle des PME et en particulier sur celle des
micro entreprises dont les TPE pour réduire le chômage des jeunes (Ngok Evina, 2007).
En effet, la réalité du marché du travail au Cameroun est dominée par le chômage dont
le taux élargi se situe à environ 13%1
. Ce niveau de chômage masquerait cependant un sous-
emploi dont le taux est de 75,8%. Cette situation s’est développée de manière concomitante à
un accroissement important du secteur informel2
(marchands ambulants, activités sur étales en
plein air, taxis, motos taxis, call box, etc.), principal pourvoyeur d’emplois avec environ 90%
de la population active estimée en 2009 à près de 10 millions de personnes (INS, 2010).
L’extraordinaire expansion du secteur informel, qui constitue en fait qu’un refuge pour les
jeunes en quête d’un emploi stable et rémunéré, est révélatrice d’une part de l’inefficacité des
politiques publiques menées dans le domaine de l’emploi, et d’autre part du dynamisme des
populations et de leur esprit d’entreprise, qui les pousse à trouver des emplois fussent-ils
parfois précaires.
Cependant, en se limitant uniquement aux unités de production formelles3
constituées
à 75% des TPE et 19% des PE, il n’en demeure pas moins que cette catégorie d’entreprises
1
Rapport pays de Cameroun pour la Conférence Ministérielle 2014 sur l’emploi des jeunes, Mai 2014, p. 21
2
Le BIT (1993) définit le secteur informel comme « un ensemble d’unités produisant des biens et des services
en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant
un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division
entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent,
sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales
plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme».
3
Selon l’INS/RGE (2009), ce sont les unités modernes de production localisable et, exerçant leurs activités dans
les locaux professionnels fixes et permanents
13. 2
dans leurs perspectives de création ou de croissance font face à plusieurs obstacles clés dont le
principal (ou tout du moins le plus fréquemment signalé) réside dans les difficultés liées à
l’acquisition du financement qui, sur l’unanimité des économistes et des gestionnaires est vital
au fonctionnement de la TPE/PME comme le carburant est à la voiture.
Selon la synthèse du rapport national du Business Climate Survey (BCS, 2011), 60%
des entrepreneurs camerounais éprouvent les difficultés d’accès de crédit. La Banque
Mondiale renchérit en rapportant qu’en moyenne une entreprise sur deux a un accès déficient
au crédit malgré les chiffres révélées par le Comité National de Crédit (CNC) en janvier 2015
selon lesquels les crédits bancaires accordés aux TPE/PME camerounaises auraient connu une
augmentation de 48% entre 2013 et 2014 mais avec un taux d’intérêt plus élevé que ceux
appliqués aux Grandes Entreprises (GE). Malgré la surliquidité du système bancaire décriée,
les entreprises notamment les startups et les TPE/PME n’arrivent toujours pas à accéder à des
services financiers appropriés, surtout à long terme. Ce qui constitue trop souvent un frein à la
création d’emplois et dont à la création de richesses et à la croissance économique générale.
L’investissement dans les TPE/PME est souvent considéré comme un investissement à
risque en raison de leur petite taille, de l’absence de tenue de comptabilité, de garanties
suffisantes pour assurer les prêts. De plus, selon le rapport 2011 de la Business Climate
Survey, le fait que 53% des entreprises ne disposent pas d’un Business plan est préoccupant
quant à leurs prédispositions à être crédibles devant le secteur bancaire. Par ailleurs, les taux
d’intérêt débiteurs (y compris les coûts des services financiers) accordés à ces entreprises par
les banques commerciales oscillent entre 15% et 20%4
. Ils sont négativement perçus par 60%
des entrepreneurs ; ce qui justifie probablement la 118ème
position des entreprises
camerounaises en 2015 contre la 126ème
en 2016 selon le rapport Doing Business (2016)5
, en
ce qui concerne l’obtention des prêts. Cette méfiance des banques, renforcée par la crise
financière internationale de 2008 et surtout par l’existence d’une banque unique de
développement déjà au bord de la faillite dans le paysage bancaire du Cameroun, incitent les
entrepreneurs camerounais à se tourner davantage vers des modes de financement informels.
Selon une enquête réalisée au Cameroun par Nkakleu R. et Fouda M. (2009), la famille
4
http://actucameroun.com/2016/05/21/cameroun-les-entreprises-toujours-asphyxiees-par-les-taux-dinteret-
des-banques/
5
https://www.mays-mouissi.com/2015/10/29/classement-doing-business-2016-le-recul-collectif-des-pays-de-
la-cemac/
14. 3
(35,6%) et les tontines (23,6%) sont les structures informelles les plus sollicitées auxquelles
se rattache maintenant le crowdfunding au sens de Harrison (2013)6
.
Contrairement aux banques qui exigent d’importantes garanties et aux tontines qui
obligent un avaliseur, le crowdfunding nécessite surtout des projets qui font rêver les
potentiels financeurs. C’est un moyen de financement qui nécessite l’implication d’une
grande masse d’individus le plus souvent anonyme (Schwienbacher et Larralde, 2010 ;
Lambert and Schwienbacher, 2010) mais aussi l’utilisation de l’Internet à travers le
développement du web 2.0 qui relâche les contraintes temporelles et géographiques (Agrawal
et al., 2011) en permettant à chacun de s’engager pour un/des projets qui correspond(ent) à ses
aspirations personnelles (Tarteret, 2014). Plus intégrateur que la tontine, plus démocratique et
moins contraignant que les banques, le financement par la foule favoriserait ainsi en premier
lieu l’émergence des petites startups formelles, telles que voulue par les grandes réalisations à
l’horizon 2035. Certains camerounais ambitieux, opportunistes et audacieux ont su s’arrimer à
cette nouvelle donne propulsant le Cameroun au troisième rang des pays à succès dans le
crowdfunding en Afrique en 2014 après l’Afrique du Sud et le Kenya respectivement.
Selon les statistiques de la bloggeuse camerounaise Dorothée Danedjo, sur un total de
six provenant du Cameroun sur 55 projets enregistrés en Afrique, cinq success stories ont été
financés par les plateformes étrangères comme Indiegogo, Ulule, Kisskissbankbank, etc.
collectant plus de 100 millions de FCFA entre 2009 et 2014. En 2015 seulement, son usage a
nettement évolué au Cameroun avec près de 14 campagnes de crowdfunding publiées
récoltant 50.539.775 FCFA uniquement sur les plateformes étrangères (Starter Mag, 2015).
Vu le nombre de TPE/PME camerounaises, ce montant n’est certes pas suffisant, mais il y a
une dynamique qui est entrain de se mettre en place. Si des politiques de vulgarisation au
niveau national sont mises en place, ce mode de financement apparaitrait d’ici quelques
années comme une aubaine pour les micro entrepreneurs camerounais longtemps discriminés
par les acteurs traditionnels de financement.
Pourtant, suite à une investigation effectuée par Starter Mag, le nombre de porteurs de
projet camerounais ayant tenté l’aventure du crowdfunding nous montre que les chances de
succès d’une campagne sont infimes. Selon le rapport 2015 sur l’Entrepreneuriat au
Cameroun, le taux de réussite estimé est de 29%. Ce qui rejoint le constat de Mollick (2014)
par rapport aux projets publiés sur le site américain Kickstater.com selon lequel le taux
d’échec (qui concerne donc les projets qui n’atteignent pas leurs objectifs) demeure important.
6
S. Onnée et al. (2015), « Accompagnement à la création d’entreprise et financement participatif : quelle(s)
coopération(s) ? Le cas de la Touraine», 24
ème
Congrès de l’IAE France, p.2
15. 4
Or, étant donné que les micro entrepreneurs camerounais sont de plus en plus séduits par de
telles campagnes, nous allons dans le cadre de ce mémoire, nous intéresser plus
particulièrement aux mécanismes qui font en sorte que certains projets obtiennent les faveurs
des crowdfunders mieux que d’autres d’où le thème : « Financement des micro
entrepreneurs par crowdfunding : analyse des déterminants à la lumière de quelques
expériences camerounaises ».
Au sens large, la problématique de la mobilisation des ressources notamment
financières est au cœur des préoccupations des créateurs d’entreprises malgré l’existence
d’une diversité de structures d’accompagnement pour une diversité de profils d’entrepreneurs
et d’entreprises (Nkakleu et Fouda, 2009). Pour ces derniers, l’accès au financement est un
parcours du combattant. Malgré l’utilisation de plus en plus récurrente des plateformes de
crowdfunding comme outil d’opportunités d’affaires, on a tendance à croire qu’elles sont
discriminatoires car l’acquisition du financement serait réservée à une catégorie précise
d’individus. En effet, tandis que certains micro entrepreneurs réussissent leurs campagnes de
financement, d’autres en sont incapables nous conduisant à s’interroger sur les facteurs clés
de succès des micro entrepreneurs camerounais qui ont accès au financement via le
crowdfunding. De ce fait, il convient d’orienter notre recherche autour de la question centrale
suivante : Qu’est-ce-qui détermine l’accès des micro entrepreneurs au financement par
crowdfunding au Cameroun ? Autrement dit, Quel est le processus de financement par
crowdfunding ? Quels sont les critères d’accès aux fonds levés par crowdfunding ?
La réponse à cette question centrale s’avère cruciale pour l’atteinte de l’objectif
principal de notre travail destiné à comprendre les pratiques au crowdfunding qui permettent
aux micro entrepreneurs camerounais d’obtenir les fonds requis. Afin d’être mieux élucidé,
deux objectifs spécifiques sont assignés. D’abord, comprendre le processus de financement
par crowdfunding d’une part et découvrir les critères d’accès susceptibles de conduire à la
réussite d’une collecte de financement par crowdfunding d’autre part.
Ce travail présente un double intérêt. Premièrement, du point de vue théorique, ce
travail permet sans aucune quelconque prétention, d’alimenter la littérature sur le
crowdfunding puisqu’il n’existe pas d’étude avec une pareille problématique appliquée au cas
du Cameroun. Ainsi, l’utilisation des données et informations provenant directement des
investigations sur le terrain vont permettre une analyse très proche de la réalité.
Deuxièmement, du point de vue managérial, ce travail permet aux micro entrepreneurs
d’avoir une meilleure connaissance du fonctionnement du crowdfunding afin d’optimiser
16. 5
leurs chances de réussite auprès d’un système de financement encore peu saturé par la
demande au Cameroun.
Pour accéder au réel, nous allons suivre une démarche qualitative à visée exploratoire
en faisant le choix de recourir à la méthodologie de l’étude de cas (Wacheux, 1996 ; Yin,
2009). Nous allons ainsi nous appuyer sur cinq cas au moins de micro entrepreneurs
camerounais ayant tenté au moins une campagne de financement par crowdfunding qui a
réussi. Par réussite, on entend l’accès au financement que l’objectif fixé au départ soit atteint
ou pas. L’analyse de ces créateurs de projets crowdfunding à partir des données primaires
collectées à l’aide d’un guide d’entretien structuré autour de quatre thématiques lors de la
phase d’entretien individuel semi-directif, permettra de mettre en exergue les facteurs
déterminants d’accès au crowdfunding.
Ce mémoire s’articule autour deux parties dont la première s’intitule crowdfunding et
micro entrepreneuriat : une revue de la littérature et la deuxième, l’analyse des déterminants
de succès d’une campagne de crowdfunding en contexte camerounais.
17. 6
Le financement de l’entrepreneuriat demeure un problème crucial dans l'économie
d'un pays particulièrement en Afrique. Outre les besoins en savoir-faire technique et en main-
d’œuvre, la disponibilité aux ressources financières extérieures adéquates est l’un des grands
piliers pour le développement des entreprises et la promotion de l’entrepreneuriat. Cependant,
y accéder n’est pas chose aisée surtout pour les entreprises de petites tailles. Avec
l’avènement de la crise financière internationale de 2008, le développement du web 2.0 et des
réseaux sociaux, on assiste à un phénomène communautaire récent qui change toute la donne.
Sous les slogans tels que « l’union fait la force », « les petits ruisseaux font les grandes
rivières », le développement fulgurant du financement par la foule facilite les entreprises
surtout de petites tailles ainsi que les porteurs de nouvelles idées à accéder au financement.
Mais malgré la légitimité démocratique qui lui est conférée, de nombreux promoteurs de
projets crowdfunding ne parviennent pas toujours à avoir accès aux capitaux. L’objectif visé
étant la compréhension des pratiques du crowdfunding qui permettent aux micro
entrepreneurs d’obtenir les fonds requis, nous allons articuler cette première partie autour de
deux chapitres : le crowdfunding comme une nouvelle approche de financement du micro
entrepreneuriat (chapitre 1) et les déterminants d’accès aux soutiens financiers de la foule
(chapitre 2).
PARTIE 1 :
LE FINANCEMENT PAR CROWDFUNDING : UNE ALTERNATIVE DU
FINANCEMENT BANCAIRE
18. 7
CHAPITRE 1 :
LE CROWDFUNDING : UNE APPROCHE NOUVELLE DE FINANCEMENT DES
MICRO ENTREPRENEURS
Depuis le développement du web 2.0 au début des années 2000, l’utilisation d’Internet
a connu une expansion incroyable. Le web 2.0 offre l’opportunité aux internautes de pouvoir
interagir, partager et échanger des ressources entre eux de manière simplifiée. C’est ainsi que
de nombreux fintechs ont été créés. L’un d’entre‐eux est la plateforme de crowdfunding.
Autrefois réservé aux artistes, cette approche de financement s’est étendue au financement
des micro entrepreneurs, victimes du resserrement du crédit de la part des banques surtout
après la crise économique et financière de 2008. Vus la forte croissance des fonds levés,
l’augmentation du nombre de plateformes, une foule de plus en plus nombreuse à fédérer, les
plateformes dédiées au « crowdfunding » s’imposent progressivement comme une stratégie de
financement crédible pour des micro entrepreneurs impatients de faire vivre leurs idées ou de
se développer. En nous appuyant sur les travaux existants, nous allons dans un premier temps
tenter de faire une analyse théorique de « Micro entrepreneuriat » tout en présentant ses
réalités et ses difficultés de financement (section 1) et dans un second temps s’intéresser à
l’irrévocable nécessité du crowdfunding pour la viabilité des micro entreprises (section 2).
SECTION 1 : LE FINANCEMENT AU CŒUR DES OBSTACLES AU MICRO
ENTREPRENEURIAT
Le parc des entreprises dans les pays en voie de développement est constitué dans sa
majorité d'entreprises individuelles et d'entreprises de moins de 10 salariés que Tani et Radi
(2014, p.191) qualifient de micro entreprises. Le rôle de ces micro entreprises dans la lutte
contre le chômage et dans le développement local en Afrique Subsaharienne n’est plus à
démontrer. Cependant, ce secteur jusqu’à nos jours est peu viable faute de financement. Avant
de faire fi d’une nouvelle approche de financement crédible pour ces micro entrepreneurs,
nous allons dans cette section définir et caractériser le micro entrepreneuriat d’une part, et
d’autre part présenter les réalités et les obstacles de financement que font face les acteurs de
ce secteur.
19. 8
1. LA NOTION DE MICRO ENTREPRENEURIAT
La définition et la classification peuvent différer d’un pays à un autre ou d’une
économie à une autre. Par conséquent, nous allons dans cette sous-section, d’abord tenter de
définir la notion de micro entrepreneuriat et ensuite mettre en exergue la typologie de micro
entreprises.
1.1. Définition du micro entrepreneuriat
Le micro entrepreneuriat est un concept vaste et non uniforme difficile à définir. La
difficulté d’avoir une définition précise de cette réalité économique tient au fait que la micro
entreprise est multiforme par son objet, ses ressources en capital (financier, humain) et en
compétences, par le profil du manager et de ses ambitions, par les revenus générés (ou de
chiffre d’affaires), par le contexte économique (marché, droit, réglementation, etc.) dans
lequel elle évolue. Bref, cette difficulté demeure du fait des critères retenus (quantitatifs ou
qualitatifs) pour le définir.
Or, on constate que le même type de critère choisi conduit aussi parfois à une
confusion en cas de changement de contexte. C’est le cas de Mead et Liedholm (1998)7
pour
qui le micro entrepreneuriat regroupe des activités à faibles revenus qui ne contribuent pas à
l’économie employant entre 1 et 50 travailleurs. Plus tard, Nichter et Goldmark (2009)8
définissent le micro entrepreneuriat comme l’ensemble de firmes employant plus de 50
travailleurs engagés dans les activités non primaires et vendant au moins la moitié de leur
production. En Afrique surtout francophone, ces descriptions ne correspondent plus au
domaine informel (Itaddy, 2012).
Par contre au Maroc par exemple, la prise en considération du critère « effectif »
permet à Tani et Radi (2014) de faire la distinction entre la micro entreprise pouvant être
formelle ou informelle dont le nombre de travailleurs varie entre 1 et 9 employés et la Petite
Entreprise (PE) employant plus de 10 salariés. Ils vont plus loin en affinant les types de micro
entreprise dont les Plus Petites Entreprises (PPE) comprenant de 1 à 3 personnes qui sont de
véritables micro entreprises (stricto sensu), celles moins petites de 4 à 5 personnes et surtout
celles de 6 à 9 personnes qui sont de Très Petites Entreprises (TPE).
On se rend tout de suite compte que l’effectif comme critère n’est pas pertinent au
regard des cadres juridiques qui varient d’un pays à l’autre, bien qu’étant le critère le plus
utilisé. C’est pourquoi d’autres critères qualitatifs ont été utilisés mettant en dénominateur
7
F.F. Itaddy (2012), « Le micro entrepreneuriat en Afrique subsaharienne : confusion et délimitation
conceptuelles », séminaire CREAM, IUT de Rouen, p.6
8
F.F. Itaddy (2012), op. cit., p.6
20. 9
commun des compétences techniques simples, une main d’œuvre parfois familiale, une
production de petite taille en vue de subvenir à ses besoins, des technologies simples, pas
toujours un local permanent et surtout un statut légal le plus souvent peu clair.
C’est probablement pourquoi Itaddy (2012) donne une définition qualitative du micro
entrepreneuriat en évitant le débat sur la pertinence des critères quantitatifs qui ne fait pas
l’unanimité. En insistant sur le préfixe « micro » qui caractérise la petite échelle de production
des activités économiques qui en font partie, il décrit le micro entrepreneuriat comme toutes
sortes d’activités créées ou reprises par des personnes pauvres ou non, se déroulant à petite
échelle, dans le but de générer des revenus qui constituent soit la principale source de revenus
du ménage soit une source secondaire. En d’autres termes, les promoteurs du micro
entrepreneuriat sont plus préoccupés par leur survie qui dépend des revenus générés par leur
unité productive. Ils s’inscrivent en fait dans une logique beaucoup plus sociale
qu’économique. C’est pourquoi le micro entrepreneuriat a été longtemps qualifié de manière
trop globalisante sous le terme de « secteur informel » (Chazé et Traoré, 2000). Cette
définition va dans le même sens que celui du Bureau International du Travail (2004) pour qui
il s’agit d’une « notion incluant les entreprises qui parviennent tout juste à survivre et qui
sont souvent dirigées par des travailleurs indépendants, dont un bon nombre sont des pauvres
ayant un avenir limité et ne gagnent qu’un maigre revenu ou bénéfice ».
Cependant, l’on peut globalement reconnaître un rôle économique primordial aux
micro entreprises en termes de développement des pays africains. Dynamique, créatif et
flexible même en temps de crise (Tani et Radi, 2014), c’est un secteur générateur de revenus
appréciables pour l’Etat en termes de recettes fiscales et de créateur d’emplois importants. Par
conséquent l’on ne saurait le réduire uniquement à l’informalité. Tout comme au Cameroun
que dans d’autres pays africains, le micro entrepreneuriat représente en fait un ensemble
d’acteurs économiques aux potentialités de développement différentes.
1.2. Typologie de la micro entreprise
Différentes études sur les micro entreprises menées par des acteurs internationaux
(Bureau Internationale du Travail (BIT), Programme des Nations Unies pour le
Développement (PNUD), Banque Mondiale (BM),…) et d’autres chercheurs mettent l’accent
sur l’hétérogénéité des micro entreprises et sur l’existence de micro entreprises dynamiques,
capable d’innover et de se développer (Marniesse, 1999). Ainsi, quelle affinité y a-t-il entre
une personne licenciée qui ouvre un commerce dans son village, ou un étudiant qui, après
avoir terminé ses études, loue des machines à photocopier pour offrir un tel service près de sa
21. 10
faculté, et l’ouvrier spécialisé qui, après avoir accumulé des années de formation et
d’expérience dans une grande entreprise, décide de se mettre à son propre compte, ou encore
l’ingénieur qui crée une startup dans le secteur de la haute technologie ?, demande Julien
(1990). Ils sont tous classés dans la catégorie des micro entreprises, répond (Camelleri, 2005).
En se basant sur ces critères quantitatifs, liés au chiffre d’affaires, au nombre de
salariés, au paiement de la fiscalité et sur des critères qualitatifs liés à l’entrepreneur, à sa
stratégie, au secteur dans lequel il évolue (barrières à l’entrée, type de marchés et potentiel de
développement) et à ses relations avec l’environnement, plusieurs classifications sont fournies
par différents auteurs (Torrés, 1999).
Savadogo et Walther (2012), sur la base d’une enquête dans trois pays africains
(Cameroun, Côte d’Ivoire et République Démocratique du Congo) auprès de plus de 500
petits entrepreneurs, ont constaté que les micro entreprises se divisent en deux catégories : une
première où les micro entrepreneurs ont pour objectif de survivre ou d’assurer juste le
quotidien. Une deuxième catégorie où les entrepreneurs sont engagés dans une dynamique de
développement leur permettant non seulement de gagner leur vie, mais également d’envisager
la pérennité de leur activité et bien souvent d’espérer une montée en puissance quantitative et
qualitative de leurs productions et services.
En se référant à la dynamique probable des micro entreprises, Marc Penouil (1990)9
souligne que certaines d’entre-elles ont des chances d’évoluer vers le statut d’entreprises
modernes et de subsister dans le processus de développement, alors que les autres sont
condamnées à disparaître à plus ou moins long terme (LT). Il a proposé une typologie des
micro entreprises en trois catégories :
Les micro entreprises d’artisanat traditionnel qui sont des activités productives très
organisées autour d'un groupe ethnique qui a souvent le monopole. Elles requièrent une
connaissance approfondie du métier souvent acquise après un long apprentissage auprès de
maîtres-artisans. L’accès n’est pas facile car la corporation souhaite très souvent conserver
son contrôle sur toute la chaîne de l'achat des matières premières à la commercialisation. Les
activités sont exercées selon des techniques séculaires, les produits sont de qualité, le
personnel est qualifié et les revenus sont souvent fonction de l'ancienneté dans le métier.
L’activité permet aux producteurs de se procurer les biens de consommation essentiels.
9
M. Kraiem (2015), « Les dynamisations des micro-entreprises dans les PMA : une relecture de l’économie
informelle manufacturière au Mali », Gestion et Management, Université de Versaille-Saint Quentin en
Yvelines, p.314
22. 11
Les micro entreprises de subsistance correspondent aux multiples petits métiers
exercés davantage pour survivre que pour vivre, avec un capital quasi-inexistant, un local
squatté, des outils et du matériel de récupération, parfois une production sans équipements
autres que les seuls bras des ouvriers. L’activité a lieu dans la rue, elle est souvent une activité
commerciale de vente à l'unité de produits alimentaires. Il y a pour ces emplois un accès libre
et les revenus obtenus sont très modestes.
Les micro entreprises concurrentielles correspondent aux activités dynamiques
susceptibles de se transformer en PME. Elles répondent aux besoins nouveaux créés par la
société moderne. Elles entretiennent des relations en amont et en aval avec les GE : achat de
matières premières, vente de biens à des salariés du secteur structuré, paiement d’impôts et
taxes, réalisation des formalités, embauche de salariés plus ou moins déclarés.
De son côté, Marniesse (1999) distingue quatre types de micro entreprises dont les
caractéristiques et le poids des différentes catégories sont résumés dans tableau qui suit :
Tableau 1 : Typologie des micro entreprises
Catégorie Caractéristiques %
Catégorie 1
micro entreprises
de survie
1 ou 2 personnes très peu formée(s) ; Pas de capital ;
Demande très faible ; Forte informalité
50-60% dans les
pays les moins
développés
Catégorie 2
micro entreprises
familiales
2-5 actifs ; Micro entrepreneur un peu formé et averse au
risque ; Souvent aides familiaux ou apprentis non
rémunérés ; Peu de capital productif, Demande assez faible
mais viable ; Informalité assez forte
30%
Catégorie 3
micro entreprises
mixtes
3-9 actifs ; Micro entrepreneur peu formé et décidé à
développer son entreprise ; Main d’œuvre mixte ; Capital
productif existant ; Demande instable ; Entre informalité et
formalité
5% dans les
pays les moins
développés,
davantage dans
les autres
Catégorie 4
micro entreprises
formelles
6-10 actifs ; Micro entrepreneur formé, Main-d’œuvre
salariée ; Capital productif important, Demande assez
stable ; Secteur privilégié, niches … ; Formalité
1% dans les
pays les moins
développés
Source : Kraiem (2015, p.317)
Selon l’auteur, il est judicieux de scinder le continuum de micro entreprises en 4
catégories relativement homogènes car leurs modes de fonctionnement résultent d’un
ensemble de facteurs que l’on ne peut pas réduire à un simple cadre institutionnel.
En circonscrivant les unités de production en deux groupes distincts (formalité et
informalité) au Cameroun, la loi N° 2015/010 du 16 Juillet 2015 modifiant et complétant
certaines dispositions de la loi N° 2010/001 du 13 Avril 2010 portant promotion des PME au
Cameroun définit la TPE comme toute entreprise qui emploie moins de 6 personnes et dont le
23. 12
chiffre d’affaires (CA) annuel hors taxe est inférieur à 15 millions de francs CFA. En la
transposant dans la classification ci-dessous, on constate que la TPE au Cameroun est une
micro entreprise.
2. LE FINANCEMENT DU MICRO ENTREPRENEURIAT EN AFRIQUE :
REALITES ET OBSTACLES
Le financement est vital pour le secteur privé. En l’absence d’un financement adéquat,
les investissements privés et les fonds de roulement sont étouffés, il n’y a pas de création
d’entreprises, les entreprises qui existent déjà peinent à se développer et la croissance
économique en pâtit. Or, l’accès au financement reste problématique en Afrique, en
particulier pour les micro entreprises, les petites et moyennes entreprises (MPME), qui
forment l’essentiel du secteur privé dans cette région du monde. 70% d’entreprises de cette
catégorie recensées sur ce continent ne disposeraient pas de moyens financiers suffisants alors
que leurs besoins de financement s’évaluent entre 385 et 455 milliards de dollars10
.
2.1. Le déficit de financement : une réalité des micro entreprises africaines
D’après la BAD (2011) dans son rapport sur le développement en Afrique, l’accès au
financement demeure plus pénible en Afrique que dans les autres régions au niveau de
développement économique analogue. Ce problème d’accès affecte le tiers des GE d’Afrique,
mais ce sont les micro et petites entreprises (MPE) qui en souffrent le plus. Environ la moitié
des MPE (soit une proportion trois fois plus élevée que dans les pays d’Europe en dé-
veloppement) estime que le manque d’accès au financement constitue un frein majeur à leur
développement malgré la surliquidité financière reconnue aux banques africaines.
Selon la même source, les enquêtes de la BM auprès des entreprises africaines révèlent
que seulement 22% des entreprises africaines sondées disposent d’un prêt ou d’une ligne de
crédit émanant d’un établissement financier, contre 31% dans les pays d’Asie en développe-
ment, 47% dans les pays d’Amérique en développement et 48% dans les pays d’Europe en
développement.
Cette observation plus ou moins déplorable d’accès au financement va au-delà des
questions de disponibilités financières et, soulèverait les questions sur la qualité mais aussi sur
la maturité des financements. Le coût de la finance reste élevé en Afrique et représente une
barrière qui ne permet pas au secteur privé de bénéficier des appuis financiers, même lorsque
ceux-ci sont disponibles. C’est pourquoi Beck et al (2011) insistent sur l’importance des
10
Rapport 2011 sur le développement en Afrique, p.91
24. 13
marges et des écarts de taux d’intérêt. La marge d’intérêt des banques africaines est d’environ
482 points de base contre 334 pour les banques du reste du monde. Ce coût bancaire élevé est
généralement attribué à la petite taille des secteurs financiers locaux ainsi qu’au risque élevé
que portent les emprunteurs.
S’agissant de l’accès à un financement à LT, il est peut-être la question la plus difficile
parce que les MPE ont peu accès à ce type de financement. Certains établissements financiers
locaux avancent même la nature des dépôts en majorité des dépôts à vue comme justificatif
pour expliquer leur réticence à accorder des prêts à échéance longue. En conséquence, le
crédit bancaire est essentiellement à court terme : près de 60% des prêts ont une échéance
inférieure à un an, et moins de 2 % une échéance supérieure à 10 ans. Cette rareté des
financements à LT affaiblit le potentiel de croissance et les investissements du secteur privé et
contraint ainsi les entreprises africaines à faire largement appel à des sources de financement
internes pour couvrir leurs besoins. C’est ainsi que les micro entreprises africaines du fait de
leur taille, sont celles qui recourent le plus à des moyens financiers internes. Les résultats des
enquêtes de la BM auprès des entreprises indiquent qu’elles financent environ 80% de leurs
investissements avec les financements internes. Ce qui représente une proportion bien plus
élevée que dans les autres régions.
Ainsi, face à la faible financiarisation de l’économie africaine, les banques restent la
principale source de financement externe formel pour les investissements du secteur privé. Ce
qui certifie les résultats des enquêtes menées par la BM. Les entreprises qu’elle a étudiées fi-
nancent près de 10% de leurs investissements grâce aux banques, contre 16 à 26% dans les
autres régions en développement avec des différences notées en fonction de la taille de
l’entreprise, plus marquées en Afrique qu’ailleurs. En Afrique, comparées aux petites
sociétés, ce sont les GE qui recourent le plus au crédit bancaire pour financer leurs inves-
tissements. Ce qui corrobore l’opinion publique selon laquelle, les banques en Afrique
majoritairement commerciales souhaitent le plus souvent traiter avec les GE. Toutefois, la
proportion de GE d’Afrique ayant recours à ce mode de financement pour financer leurs
investissements, ne représente que 18% inférieure à celle des PE dans les pays d’Amérique en
développement (19%) ou d’Europe en développement (23%). Cet écart constitue un signe
supplémentaire des problèmes de financement en Afrique.
Quant aux autres sources de financement externe, alternatives au financement bancaire
(telles que les places boursières, les marchés obligataires, les entreprises de crédit-bail et les
sociétés de capital-risque), elles demeurent sous-développées en Afrique. Ainsi, le crédit-bail
contribue à moins de 2% de la formation brute de capital fixe dans la plupart des pays
25. 14
d’Afrique, et il reste moins développé que dans les autres régions. En outre, les marchés
obligataires et les marchés d’actions sont souvent inexistants en Afrique, ou pas assez
liquides. Ces faibles taux de pénétration résultent du sous-développement du secteur financier,
de la domination des banques dans ce secteur et surtout de la méconnaissance de ces sources
de financement.
2.2. Les obstacles au financement des micro entreprises en Afrique
Les difficultés de financement dont souffrent les micro entreprises sont multiples.
Toutefois, même si ces obstacles peuvent parfois être surmontés, il peut y avoir toujours un
coût à supporter (Zeamari et Oudgou, 2015). Ainsi, les difficultés dont il est question en
théorie financière, sont liées à l’asymétrie informationnelle entre les apporteurs et les
demandeurs des capitaux, ce qui conduit à un rationnement de crédit et à des exigences
importantes des banquiers.
2.2.1. Asymétrie d’informations et rationnement de crédit aux micro entrepreneurs en
Afrique
L’asymétrie d’informations désigne la distribution inégale de l’information entre deux
agents économiques. L’un est le demandeur de capitaux notamment l’entreprise en possession
de l’information pertinente et stratégique sur son avenir et l’autre, le fournisseur de capitaux
notamment les banques en possession d’aucune information sur les perspectives de
l’entreprise. En effet, les dirigeants d’entreprises possèdent des informations privilégiées par
rapport aux bailleurs de fonds (actionnaires, créanciers et public). Ils connaissent par exemple
les distributions de probabilité des cash flows attendus, tandis que les autres agents les
ignorent. Ce qui devient difficile pour les apporteurs de capitaux d’évaluer les entreprises sur
la base de leurs investissements futurs. Ces faits sont d’autant plus accentués dans les
entreprises où la propriété est concentrée entre les mains du propriétaire-dirigeant, conduisant
généralement les banquiers à rationner les TPE/PME réputées plus opaques.
Le rationnement de crédit permet aux banques de se couvrir contre deux risques à la
base des obstacles pour le financement externe : sélection adverse ou anti-sélection et risque
ou aléa moral. Selon Stiglitz et Weiss (1981), il y a rationnement de crédit lorsque un
emprunteur (personne, entreprise) est disposé à accepter les conditions de financement (taux
d’intérêt, garanties, etc.) établies par le prêteur (banque) et que le prêt lui est refusé ; ou
lorsque certains emprunteurs se voient systématiquement refuser le prêt demandé ; ou lorsque
le montant de crédit obtenu est moins que le montant de crédit demandé.
26. 15
2.2.2. Les exigences des banquiers en matière de financement des micro entrepreneurs
Plusieurs études ont analysé les aspects de la relation banque-entreprise, les facteurs
qui déterminent l’accès des PME au financement, et les conditions applicables à ce
financement (St-Pièrre et Nazik, 2011). Kammogne (1993)11
affirme que les PME africaines
sont confrontées à deux difficultés majeures pour obtenir le prêt bancaire: un taux de crédit
élevé et une absence de collatéraux.
Le taux de crédit accordé aux TPE/PME est plus élevé par rapport à celui accordé aux
GE. Les TPE/PME, en raison de la faiblesse de leur structure financière, de leur gestion
souvent approximative et surtout de leur petite taille, sont considérées par les spécialistes de la
finance comme un secteur à haut risque par rapport à la GE. Ces caractéristiques de la
TPE/PME expliquent les raisons du taux de crédit élevé qui leur sont accordé. En plus,
lorsqu’il s’agit d’emprunter à un établissement financier, la taille de l’entreprise importe
encore plus en Afrique qu’ailleurs : les GE de cette région ont trois fois plus de chances que
les PE d’obtenir un prêt ou une ligne de crédit. Dans les autres régions en développement,
l’écart représente moins du double. De plus, ce coût élevé de crédit peut aussi s’expliquer par
la concentration des systèmes bancaires des pays d’Afrique. D’après la BM, plus cette
concentration est forte, plus le volume de crédit au secteur privé est modeste12
.
Des garanties importantes sont exigées aux micro entrepreneurs par la banque pour
l'octroi du prêt. En effet, la plupart des banques africaines axent leurs activités sur les prêts
garantis par des actifs et n’ont pas les compétences requises pour évaluer les demandes
présentées par les TPE/PME. Or, le manquement du micro entrepreneur africain rend difficile
la compréhension du banquier afin de permettre une confiance nécessaire à toute décision
favorable. Selon les enquêtes de la BM, la garantie demandée aux entreprises représente
139% de la valeur du prêt en moyenne.
La BAD (2011) dans son rapport sur le développement en Afrique relève trois
obstacles au financement des micro entrepreneurs en Afrique. Il s’agit tout d’abord du
manque de capacités de management. Cet élément influence l’aptitude des entreprises à
transformer des idées en projets finançables et à présenter de solides dossiers de demande de
prêt. Il affecte aussi la mauvaise gestion des ressources réduisant encore plus la capacité de
remboursement. La piètre qualité des dossiers de demande de prêt dont soulignent les
11
E. M. Antigui (2003), « La problématique du financement de la pme gabonaise: évaluation des freins reliés
aux sources de financement externes », Mémoire de recherche, Université du Québec à Trois-Rivières, p. 36
12
Rapport 2011 sur le développement en Afrique, p.100
27. 16
banquiers s’expliquerait par le faible niveau d’études des chefs d’entreprise, par l’absence de
formation à l’entrepreneuriat et par la rareté des données et statistiques relatives au marché.
Ensuite, est relevé le secteur d’activités comme obstacle au financement des
entreprises. Les nouvelles données collectées montrent par exemple que les entreprises
agricoles ou de transport sont moins susceptibles d’avoir accès au crédit bancaire que les
entreprises de transformation, de commerce, de services ou de BTP. La sévérité de la
contrainte financière dans les secteurs sous-desservis reflète à la fois des difficultés
systémiques et spécifiques. L’agriculture, par exemple, est sous-desservie financièrement
parce que le secteur reste dominé par de petits exploitants agricoles, vulnérables aux chocs
externes et qui souffrent de régime financier et de système d’enregistrement qui limitent la
possibilité de nantissement des terres. Cette situation freine l’investissement à LT dans ce
secteur, malgré l’importance de ce dernier pour la sécurité alimentaire et la création
d’emplois.
Et enfin, qui plus est, à cause des pratiques comptables et des activités d’audit peu
solides, les banques ne peuvent pas bien évaluer la situation financière d’une entreprise qui
sollicite un prêt. En Afrique, il n’est pas rare qu’une entreprise produise plusieurs versions de
ses états financiers, selon qu’ils sont destinés à sa banque, à son comptable ou aux autorités
fiscales. De telles pratiques nuisent à la crédibilité des sociétés et, partant, la volonté des
établissements financiers d’accorder un prêt. En Afrique, une PE sur trois présente des états
financiers audités par un vérificateur extérieur, contre les trois quarts des GE. Une récente
étude qui s’appuie sur un échantillon de 14 000 entreprises dans 42 pays d’Afrique fait
apparaître une relation positive entre des états financiers vérifiés et un accès moins difficile au
financement (Triki et Gajigo, 2012). La faiblesse des pratiques comptables reflète dans une
large mesure l’importance du secteur informel dans la plupart des économies africaines.
Afin que l’Afrique puisse exploiter tout son potentiel et parvenir à une croissance forte
et inclusive, il faut donc remédier au problème d’accès au financement. Cet accès dépend à la
fois de la disponibilité des moyens financiers et des caractéristiques du financement en termes
de coût et de maturité.
SECTION 2 : LE CROWDFUNDING COMME SOLUTION AU FINANCEMENT DES
MICRO ENTREPRENEURS
Dans un contexte où les banques s’avèrent en effet particulièrement prudentes face au
financement et restreignent les crédits, sont apparues sur la toile depuis les années 2000 des
28. 17
plateformes dédiées au crowdfunding. Elles sont présentées comme une solution de
financement pour des projets non considérés par les institutions bancaires classiques car jugés
trop risqués. Le témoignage d’un fort engouement en sa faveur, pour tout type d’industries,
fait naître de grands espoirs pour cette catégorie d’entrepreneurs qui connait des difficultés
croissantes dans l’accès aux prêts bancaires, souvent essentiels au démarrage ou à la poursuite
d’une activité non salariée (Vachet, 2015). Pour une ample compréhension, nous allons
d’abord présenter le concept de crowdfunding et ensuite, nous allons essayer de mettre en
avant les différents avantages de ce nouveau mécanisme de levée de fonds.
1. CONCEPT DE CROWDFUNDING
Utilisé pour la première fois par Michael Sullivan le 12 Août 2006 dans son blog
fundavlog, le néologisme anglo-saxon « crowdfunding » signifie littéralement « financement
par la foule ». Il se traduit aussi en français par financement participatif ou financement 2.0
ou sociofinancement et part du principe biblique selon lequel « demandez et on vous donnera
». En d’autres termes, il s’agit de récolter les ressources financières auprès d’une foule de
personnes. Néanmoins, il n’est pas une innovation en soi mais plutôt une transposition
moderne et sociale d’un phénomène assez ancien (Maalaoui et Conreaux, 2014)13
vu le
développement du web 2.0 et des réseaux sociaux (facebook, twitter, linkedin, youtube,
instagram, etc.). Avant l’assaut sur l’historique du crowdfunding, nous allons d’abord le
définir, et ensuite présenter le contexte actuel de ce phénomène dans le monde et au
Cameroun.
1.1. Définition du crowdfunding
Prenant ses racines dans l’Economie Sociale et Solidaire (Onnée et al, 2015), le
crowdfunding s’inscrit dans la dynamique plus large de l’évolution actuelle des modes de
consommation et de production reposant sur des valeurs telles que la confiance, l’échange, le
partage, la solidarité. Pour Glémain et Cuénoud (2014), les deux fondamentaux de
l’Economie Sociale et Solidaire sont œuvrer ensemble pour un nouvel ordre social en
s’impliquant soi-même et créer des externalités positives (accès à l’emploi, au logement, à de
nouvelles formes agricoles et culturelles, au développement international). Ceci souligne
l’évolution des mentalités ainsi que la volonté d’implication des individus dans la production
passant du statut de simple consommateur à celui de concepteur. C’est pourquoi le
13
V. Bessière et E. Stéphany (2017), Crowdfunding : Fondements et Pratiques, Editions De Boeck, 2
ème
édition,
available at https://www.decitre.fr/media/pdf/feuilletage/9/7/8/2/8/0/7/3/9782807306783.pdf, p.16
29. 18
crowdfunding peut être considéré comme un cas particulier de crowdsourcing (Howe, 2008 ;
Onnée et Renault, 2014a).
Le crowdsourcing, employé par J. Howe pour la première fois en juin 2006 dans le
Wired Magazine, consiste pour une organisation à externaliser, via un site web, une activité
auprès d’un grand nombre d’individus dont l’identité est le plus souvent anonyme (Lebraty,
2009). En d’autres termes, il s’agit pour une entreprise marchande de faire exécuter une
partie de ses activités par la foule à travers les plateformes internet, confiée traditionnellement
à des individus ou à des entités préalablement identifiés.
Dans son livre, « The wisdom of crowd », J. Surowiecki (2004) défend l’idée que
l’intelligence collective d’une foule surpasse l’intelligence individuelle des membres de cette
foule. Il explique qu’un individu seul sera moins efficace dans la résolution d’un problème
qu’un groupe de personnes et plus ce groupe est divers, plus il est efficace (Brabham, 2008).
En faisant appel à ce public aux compétences et de ressources physiques, sociales, culturelles
et financières, une firme est donc supposée trouver des alternatives et solutions plus
avantageuses et efficientes qu’en se fiant uniquement à des experts.
L’utilisation d’internet à travers le développement du web 2.0 a donc permis aux
entreprises non seulement de disposer plus facilement de cette intelligence collective
(Kleemann et al, 2008 ; Brabham, 2008) mais aussi de faire appel au portefeuille collectif
notamment grâce à l’usage des réseaux sociaux, permettant à un large éventail d’individus de
remplacer les banques et autres institutions comme source de financement. C’est pourquoi
pour Vincent Ricordeau (2013)14
, cofondateur de la plateforme française Kisskissbankbank, le
crowdfunding est le rejeton du web social.
De nombreux auteurs ont entrepris des travaux sur la définition du crowdfunding ou
financement participatif qui peut donc être expliqué de différentes façons (Valanciene et
Jegeleviciute, 2013). Lambert et Schwienbacher (2010) en se basant sur la définition du
crowdsourcing donnée par Kleemann et al (2008), décrivent le crowdfunding comme « un
appel d’offres ouvert, essentiellement à travers internet, pour la collecte des ressources
financières soit sous forme de dons en échange d’une certaine forme de récompenses et/ou de
droits de vote afin de soutenir des initiatives à des fins spécifiques ». Cette définition pourtant
large, présente l’inconvénient d’omettre certaines formes significatives du concept, comme le
peer-to-peer lending. De plus, explicitement, elle ne nous renseigne pas sur l’utilité du
crowdfunding pour l’entrepreneuriat.
14
V. Bessière et E. Stéphany (2017), op. cit., p.17
30. 19
Mollick (2014, p.2), partisan d’une définition plus étroite, se situe dans un contexte de
finance d’entreprise où il le trouve d’ailleurs plus saillant. Ainsi, il réfère le crowdfunding à
« des efforts déployés par des individus et les groupes d’entrepreneurs – culturels, sociaux et à
but lucratif – pour financer leurs projets en collectant des montants relativement petits auprès
d’un nombre relativement important de personnes en utilisant internet, sans les intermédiaires
financiers traditionnels ». Toujours dans un contexte de finance d’entreprise, il est également
perçu comme une stratégie de formation de capital qui soulève de petites quantités de fonds à
partir d’un grand groupe de personnes par des moyens en ligne (Sigar, 2012), comme un
mécanisme financier qui permet aux entreprises de démarrer en sollicitant des fonds auprès du
grand public par l’intermédiaire de site web (Powers, 2012) ou encore comme un processus de
collecte de fonds pour aider à transformer des idées prometteuses en réalités commerciales en
connectant les investisseurs avec des partisans potentiels (Ramsey, 2012)15
. S’ils s’entendent
sur les objectifs du crowdfunding, il est évident que des différences sont soulignées quant aux
moyens pour les atteindre. Aussi, on constate que le mot « crowdfunding » a une connotation
ambiguë car il peut désigner un « mode de financement » ou bien « l’outil web » qui
représente la plateforme de financement.
Ainsi, le financement par la foule est une source émergente de financement, ouverte à
tout internaute (spécialiste ou amateur), pour des contributions qui peuvent être de faibles
montants. Il permet de contourner les intermédiaires financiers en s’adressant directement au
public. Nous assistons à une forme de « désintermédiation » du système traditionnel puisque
la banque ne joue plus le rôle d’intermédiaire (Rubinton, 2011). Son principe étant de faire
fédérer autour d’un projet commun, des individus capables de le financer, ce moyen de
financement offre une légitimité de par sa construction perçue comme plus démocratique
puisque la sélection d’un projet est faite sur base des informations et des préférences de
chacun.
1.2. Genèse et évolution du crowdfunding
« Le financement participatif a trouvé son essor sur internet, alors que le concept lui-
même est aussi vieux que celui de la pratique de la tontine », disait Rémi Nedelec, AlloProd
webmaster car en remontant très loin dans le temps, on relève des cas de financement par la
foule. Chastel (2014) distingue deux temps forts dans l’histoire du crowdfunding notamment
avant l’avènement de l’internet et après l’avènement de l’internet.
15
R. Germon et A. Maalaoui (2014), « Le crowdfunding, une nouvelle voie de financement pour les PME », Le
grand Livre de l’Economie de la PME, chapitre 6, p.797
31. 20
1.2.1. Le crowdfunding avant l’avènement de l’Internet
Le crowdfunding trouve ses origines au XVIIe
siècle et était alors utilisé dans les
actions de charité actuellement appelées mécénat qui ont permis le financement de nombreux
projets illustrant siècle après siècle une histoire, une civilisation, une culture. Autrement dit, la
société savait mutualiser des ressources autour d’un projet caritatif.
C’est ainsi que l’exemple souvent cité sur le début du crowdfunding est la campagne
de promotion pour le financement de la statue de la liberté à New-York qui débuta en France,
à l’automne 1875. Lorsqu'Auguste Bartholdi a fabriqué cette œuvre, il manquait de moyens
financiers pour la réaliser. Grâce à l’appel au public qui s’est fait à l’époque par la presse, les
spectacles, les banquets, les loteries, il réussit à réunir la somme nécessaire pour la
construction de ce monument. Ces donateurs recevaient alors une Statue de la Liberté
miniature en échange de leur contribution.
Ensuite, Le cinéma est également lié au crowdfunding. Lorsque John Cassavetes, dans
les années 1950, annonce à la radio locale qu'il souhaite produire un film indépendant
« Shadows » sans l'aide des studios de cinéma, il reçoit l'aide de 2 000 donateurs anonymes
dès le lendemain.
Cazemajour (2013) souligne que cette pratique déjà très ancienne, est ancrée dans les
mœurs africaines puisqu’il trouve ce système de financement de projet proche de la tontine
africaine, où les membres de familles et les proches mettaient une partie de leurs économies
dans un pot commun, et dans lequel les membres de la diaspora puisaient sans intérêt ni
même durée de remboursement fixe pour monter leur affaire. Il arrive à la conclusion que la
tontine est donc du crowdfunding. Au Cameroun, la tontine mutuelle qui repose sur le
principe d’une caisse commune, à laquelle les membres bénéficient des biens et des services
à tour de rôle, est du crowdfunding. Il s’agit donc d’une logique sociale basée sur la solidarité
entre les membres du groupe, la confiance et les liens qui les unissent.
Si cette solidarité de proximité existe toujours, quelle est l’origine de l’émergence du
crowdfunding au 21ème
siècle ? Elle trouve ses racines dans le développement des Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) et notamment d’Internet et des
réseaux sociaux qui a permis que sa mise en œuvre soit aujourd’hui concevable dans des
dimensions plus impressionnantes qu’à l’époque.
1.2.2. L’essor du crowdfunding avec la révolution de l’Internet
Grâce à l’apparition de l’Internet, le crowdfunding prend toute son ampleur pour deux
principales raisons que sont l’augmentation de la vitesse de transmission des informations et
32. 21
l’amenuisement des contraintes géographiques (Cazemajour, 2013). Au fur et à mesure du
développement d'Internet, le crowdfunding prend peu à peu une place importante dans le
financement des projets et les plateformes se multiplient en peu de temps.
Si le crowdfunding est considéré comme le financement des projets sur le web, des
traces du financement par la foule via Internet dès 1997 peuvent être retrouvées avec le
groupe de rock anglais Marillion dont leur tournée de concert américain avait été financée par
leurs fans après une campagne sur le web.
Quelques initiatives entrepreneuriales isolées sont également signalées, au début des
années 2000, notamment celle de deux jeunes producteurs et entrepreneurs français,
Guillaume Colboc et Benjamin Pommeraud, qui décident de faire appel à la mobilisation de la
foule pour la production de leur film « Demain la veille » en août 2004. Ils lancent un site
internet dédié au financement de leur film et offrent des avantages « en nature » à leurs
producteurs en leur proposant d’être cités au générique du film, de recevoir un DVD, etc. Il
s’agissait donc d’une campagne de crowdfunding philanthropique dont le succès a été
fulgurant.
On constate que durant sa mutation, le crowdfunding s’est caractérisé tour à tour
comme l’outil de financement de projets caritatifs, culturels, artistiques ou entrepreneuriaux
procédant à la mise en commun des moyens financiers d’une communauté au profit d’un
projet.
1.3. Le crowdfunding en quelques chiffres
Les données liées à ce point sont issues des « Crowdfunding Industry Reports» de
2012, 2013 et 2015 réalisés par Massolution. Ces rapports font partie des études les plus
complètes comprenant des données quantitatives sur l’industrie du crowdfunding.
1.3.1. L’industrie du crowdfunding
Les chiffres récents font état d’une progression rapide des fonds récoltés sur les
plateformes de crowdfunding ces dernières années, passant de 530 millions de dollars en 2009
à 16,2 milliards en 2014 puis à 34,4 milliards de dollars en 2015 (estimation), soit l’équivalent
du produit intérieur brut de l’Estonie (vachet, 2015). Cette forte évolution témoigne sans
doute d’une forte prise de conscience et de confiance de la part des contributeurs et des
porteurs de projet. En 2014, la croissance la plus forte dans le crowdfunding a concerné les
projets entrepreneuriaux (41,3 % de plus par rapport à 2012 pour un volume de 6,7 milliards
de dollars). Au-delà de 2014, le magazine Forbes estime le potentiel du crowdfunding à 1 000
milliards de dollars à l’horizon de 2020.
33. 22
Graphique 1 : Evolution des montants totaux levés dans le monde
Source : D’après les données de Massolution (2010 -2015)
Nous constatons qu’il s’agit d’un secteur extrêmement dynamique avec une évolution
continue des fonds levés dans le monde. Ce nouvel outil de financement permet l'accès au
financement de projets privés de financements bancaires substitués par des financements
participatifs (BSI Economics, 2015)16
.
Si depuis 2009 l'industrie mondiale du crowdfunding est en hyper croissance, l’analyse
géographique traduit des évolutions bien différentes. Le marché nord-américain demeure
jusqu’au aujourd’hui et de loin leader avec près de 60% de montants levés. Jusqu’en 2013,
L’Europe était challenger avec plus de 36% des montants levés, ce qui laissait seulement 4%
au reste du monde avec des fonds levés très faibles. Or, depuis 2014, la donne a changé avec
la montée en puissance du marché asiatique. Les volumes de crowdfunding asiatiques ont
augmenté de 320 % par rapport à 2013, soit 3,4 milliards $ amassés en 2014. Cela met la
région légèrement en avance sur l'Europe (3,26 milliards $).
Tableau 2 : Total des fonds levés par région dans le monde entre 2012 – 2014
(Milliards de $)
2014 2013 2012 Croissance
2014 vs 2013
(%2014-2013)
Total de
fonds (T2014)
%
Total de
fonds (T2013)
%
Total de
fonds (T2012)
Afrique 0,012 101 0,006 9 131 6,5*10-5
101%
Amérique du Nord 9,46 145 3,86 140 1,606 145%
Amérique latine 0,0572 167 0,021 2 525 8*10-4
167%
Asie 3,4 320 0,81 2 355 0,033 320%
Europe 3,26 141 1,35 43 0,945 141%
Océanie 0,0432 59 0,027 - 64 0,076 59%
Total 16,2 167 6,1 126 2,7 167%
Source : d’après le rapport Massolution (2013-2015)
NB : les données de 2013 ont été calculées par l’auteur T2013= (100*T2014) / (100+%(2014-2013))
16
Available at http://www.bsi-economics.org/513-hypercroissance-crowdfunding
34. 23
En dehors de l’Océanie qui a connu une croissance moindre de 59% entre 2013 et
2014, les autres régions du monde ont connu une croissance très forte. C’est le cas par
exemple de l’Afrique dont les levées de fonds de 2013 ont été doublées en 2014. Ce qui
montre que les porteurs de projet africains s’intéressent de plus en plus à ce nouveau mode de
financement pour la réalisation de leurs projets.
1.3.2. La réalité du crowdfunding au Cameroun
Le Cameroun est classé troisième pays à succès du crowdfunding après une enquête
menée par la bloggeuse D. Danedjo en 2014. Selon le rapport de cette enquête, cinq projets de
création sur six ont été financés par ce moyen de financement communautaire plus
précisément sur les plateformes étrangères. Ils ont récolté plus de 100 millions de FCFA entre
2009 et 2014. Un an plus tard, le rapport 2015 sur l’Entrepreneuriat au Cameroun édité par
Starter Mag, publie 14 nouvelles campagnes de crowdfunding sur différentes plateformes
étrangères ayant récolté une somme globale de 50.539.775 FCFA pour celles ayant réussi.
Quant à L’industrie du crowdfunding au Cameroun, elle est quasi-inexistante bien
qu’on y relève certains exemples qui illustrent sa pratique dans le domaine social uniquement.
Il s’agit de la plateforme de crowdfunding camerounaise DevHope et de l’émission télévisée
Regard Social. En effet, le gouvernement camerounais a lancé le 22 Novembre 2013, la
plateforme « DevHope » dont l’objectif est de générer 3.500 milliards de FCFA au profit des
populations camerounaises en soutenant des projets nationaux d’intérêt général,
d’accompagnement social, d’éducation, etc. Cette initiative bien que laxiste du gouvernement
camerounais à encourager l’esprit communautaire est appréciable.
On constate d’ailleurs que cet appel à la solidarité camerounaise se manifeste même
déjà à travers les émissions télévisées au travers de l’émission Regard Social s’assimilant à
une interface entre les nécessiteux et les âmes de bonne volonté à capacité de financement.
Les dons recueillis permettent ainsi de venir en aide aux cas sociaux qui, après rétablissement
sont présentés à nouveau au public pour justifier de la bonne allocation de l’argent collecté.
2. CROWDFUNDING : UN PALLIATIF DES PROBLEMES LIES AU
FINANCEMENT DES MICRO ENTREPRENEURS
Dahlqvist, Davidsson et Wiklund (2000) dans leur étude sur les nouvelles
performances de risque et la croissance ont constaté que les deux seules conditions internes
significativement prédicteurs de forte croissance de nouvelles entreprises sont la disponibilité
du capital financier et la disponibilité du capital humain en général. Ces auteurs vont plus loin
35. 24
en affirmant que « l'accès au capital financier [...] est de loin la variable la plus importante».
Or, dans un contexte où les banques limitent les crédits aux micro entrepreneurs surtout en
phase de démarrage (Satorius et Pollard, 2010), ces derniers se tourneront vers le
crowdfunding pour obtenir le montant désiré à moindres coûts (Schwienbacher et Larralde,
2010). C’est pourquoi Tarteret (2014) estime qu’il est d’abord à rapprocher de la finance et
des modèles d’entrepreneuriat car il met en scène des entrepreneurs, des porteurs de projet à
la recherche de financement.
Les banques en général jugent de la qualité et de la fiabilité d’un projet sur sa capacité
à générer les cash-flows importants et par la détention des collatéraux par son promoteur.
L’idée pour elles est de s’assurer de la rentabilité du projet et de maîtriser les risques. Or, avec
le crowdfunding, chaque soutien apporte un peu et la prise de risque est moins grande car le
principe est de convaincre 1 000 personnes de donner 10 FCFA plutôt que de convaincre une
personne de donner 10 000 FCFA par exemple.
Il facilite la recherche de fonds propres pour le démarrage ou le développement d’un
projet à des conditions alléchantes : un ticket d’entrée très bas et une levée de fonds moins
chère. Belleflamme et al. (2012) dans leur modèle théorique montrent que le crowdfunding est
plus rentable pour des petits montants de capital demandé. De plus, cette pratique de
financement viserait la disparition de longues démarches administratives auprès des
établissements financiers. Elle permet de passer par un circuit court où le processus de
financement est extrêmement rapide pour une durée qui varie entre 20 et 90 jours maximum et
où la marge de créateur est souvent plus confortable ; ce qui s’avère plus avantageux
financièrement. C’est probablement pourquoi l’objectif principal de recourir à la foule pour
un entrepreneur est de tirer profit de l’effet de levier conséquent que peuvent représenter des
petites contributions générées par un nombre important de personnes.
Légitimement reconnu par l’aisance d’utilisation et aussi par la rapidité de levée de
fonds qu’offre ce mécanisme, le crowdfunding peut constituer un levier financier pratique
pour favoriser, par la suite, l’obtention d’un crédit bancaire. Tandis que pour certains il
représente une vraie rupture des micro entrepreneurs avec les mécanismes de financement «
classique » que sont les business angels, le capital-risque, les prêts bancaires et le love money
(Cordova et al, 2015), pour d’autres, il est simplement un complément idéal aux modes
traditionnels de financement. En faisant la preuve que le projet a pu attirer de nombreux
investisseurs, le micro entrepreneur gagne en crédibilité auprès des financiers traditionnels et
si ces derniers ne souhaitaient pas le financer au stade de lancement, ils accepteront plus
volontiers de l’accompagner dans le financement de sa croissance (Onnée et Renault, 2013).
36. 25
Un autre avantage est que les contributeurs ou les sponsors bien que nombreux et parfois non
expérimentés ont une présence limitée au capital, ce qui peut simplifier la prise de décisions
stratégiques par les porteurs de micro-projet (Blémus, 2015).
Selon Afrikstart (2016) dans son rapport intitulé « crowdfunding in Africa », le
crowdfunding est en forte croissance en Afrique atteignant les 126,9 millions $ soit 32,3
millions $ levés par les plateformes d’Afrique et 94,6 millions $ levés par les plateformes
étrangères en 2015 contre 650 000 $ en 2012. Une performance qui reste toutefois inférieure à
0,4% de l'activité mondiale de crowdfunding. Ce montant collecté en 2015 a servi à financer
plus de 4 939 projets africains dont nombreux sont les projets entrepreneuriaux (startups,
PME, immobiliers, tourisme).
En démocratisant l’accès de tout un chacun à la levée de fonds, le financement par la
foule est un exemple concret de l’économie du partage, collaborative et horizontale.
Cependant, il est plus qu’une nouvelle façon d’attirer des fonds. En effet, les plateformes de
crowdfunding sont un moyen efficace d’opérer en mode agile en faisant connaître son projet
pour obtenir une validation directe de son marché et de son produit grâce aux nombreux feed-
back et commentaires des contributeurs (Gerber et al, 2012). Par ailleurs, le crowdfunding
traduit une forme de transformation de capital social en capital financier dans la mesure où le
réseau social participe activement au financement du projet considéré (Röthler & Wenzlaf,
2011). Les contributeurs apportent des conseils et des contacts aux micro entrepreneurs,
partagent l’information sur les projets avec des tiers (bouche à oreille, réseaux sociaux…) et
évaluent de manière instantanée et communautaire les projets.
Comme Belleflamme et al. (2013) précisent que cette dynamique est hautement
dépendante d’Internet, elle repose ainsi sur deux principes du web social : la transparence et la
participation (Germon et Maalaoui, 2014). La transparence, car les porteurs de projet et les
investisseurs sont clairement identifiés. La participation, car chacun en fonction de l’effort
consenti contribue à la genèse d’un projet en participant au financement de ce dernier. Le
tableau 3 synthétise l’ensemble des différences fondamentales entre le crowdfunding et les
sources classiques de financement.
37. 26
Tableau 3 : comparaison entre le crowdfunding et les autres sources de financement
Crowdfunding
Love
money
Capital-
risque
Business
angel
Prêt
bancaire
Interaction directe avec les
investisseurs
Oui Oui Non Oui Non
Retour direct des clients Oui Non Non Non Non
Transparence dans le
processus de financement
Oui Oui Oui Oui Non
Rassembler une communauté
et l’engager
Oui Non Non Non Non
Source : Germon et Maalaoui (2014, p.802)
La mobilisation de son capital social représente ainsi un moyen idéal pour les
entrepreneurs en quête de financement d’acquérir les ressources nécessaires au processus de
financement de leur entreprise (Stam, 2010). Ainsi, Twitter, Facebook, etc. constituent des
outils importants permettant de communiquer sur les projets faisant appel au crowdfunding,
mais également ils attirent des investisseurs potentiels. De ce fait, la clé du succès d’une
campagne de crowdfunding repose sur le lien étroit entre la portée du projet, sa nature et sur la
capacité à gérer des communautés en ligne afin d’accroître l’écho du projet et de finaliser son
financement. En effet, à travers les plateformes de crowdfunding, les projets sont mis en
concurrence les uns avec les autres, leur capacité à récolter des fonds dépend alors de leur
capacité à mobiliser leur capital social à la fois online et offline (Germon et Maalaoui, 2014).
Le crowdfunding apparaît comme un levier de mobilisation supplémentaire des
épargnants (Mollick, 2014) dans un esprit de réappropriation citoyenne du financement et
peut répondre aux besoins de nombreuses startups et micro entreprises.
Il a été présenté une analyse théorique de « Micro entrepreneuriat » en étalant ses
réalités et ses difficultés de financement en Afrique d’une part et d’autre part, montré que le
crowdfunding est un palliatif aux problèmes de financement de ces micro entreprises à travers
une mobilisation suffisante de la foule. On comprend qu’au jour d’aujourd’hui les GE ne
semblent pas encore concernées par le crowdfunding et cela s’expliquerait par le fait que les
montants récoltés sont généralement trop faibles. Dans la suite de ce travail, nous allons
présenter les facteurs qui enclenchent la mobilisation suffisante de la foule au point de
bénéficier de leurs apports financiers.
38. 27
CHAPITRE 2 :
LES DETERMINANTS DE L’ACCES AU FINANCEMENT PAR CROWDFUNDING
Nous parlons de succès ou de réussite d’une campagne de financement par
crowdfunding dès lors que l’entrepreneur accède au financement à la fin de la collecte. Le
financement par la foule est un moyen par lequel des porteurs de projets peuvent solliciter du
financement auprès de la communauté des internautes. Notons cependant que les projets qui
échouent à leur campagne de financement sont bien plus nombreux que ceux qui réussissent.
C’est pourquoi nous allons tenter d’énumérer les critères d’accès susceptibles de conduire à la
réussite d’une collecte de financement par crowdfunding (section 2). Mais avant d’y arriver,
nous allons d’abord établir le processus de financement par crowdfunding (section 1).
SECTION 1 : LE PROCESSUS DE FINANCEMENT PAR CROWDFUNDING
Modèle émergent d’intermédiation financière, le crowdfunding est une notion
générique qui recouvre une réalité et des pratiques différenciées. Et même si les plateformes
de crowdfunding diffèrent selon leur métier et leurs spécialisations, elles répondent aux
mêmes principes constitutifs. D’ailleurs, Bessière et Stéphany (2017) découpent en quatre
étapes une opération de financement de projet via le crowdfunding. Mais, avant de structurer
notre démarche autour de l’analyse du processus de financement par crowdfunding, nous
allons d’abord présenter les différentes formes de financement participatif.
1. LA DIVERSITE DES MODELES DE CROWDFUNDING OU FINANCEMENT
PARTICIPATIF
Les porteurs de projets peuvent se tourner vers quatre modèles de financement (Onnée
et Renault, 2013 ; Bessière et Stéphany, 2017). Il s’agit du don, du reward-based, du lending-
based crowdfunding, et de l’equity-based crowdfunding.
1.1. Le don ou donation-based crowdfunding
Le don dit « simple », modèle le plus ancien, est un acte altruiste, où les gens donnent
de l’argent à un projet sans que le demandeur de fonds n’ait une quelconque obligation de
donner quelque chose en échange (Riga, 2014). Autrement dit, le public investit de petits
montants en vue d’atteindre l’objectif de financement plus large d’un projet de bienfaisance
donné, mais sans rien attendre en retour. Sur les plateformes qui valorisent ce type de
39. 28
financement, les porteurs de projet, souvent des associations caritatives ou des organisations
non gouvernementales (ONG) qui conservent toute leur propriété intellectuelle.
1.2. Le reward-based crowdfunding
Dans ce modèle, les internautes versent une contribution pour soutenir des projets
créatifs ou innovants présentés sur une plateforme en échange d’une contrepartie
préalablement définie par le porteur de projet. Cette contrepartie peut prendre diverses formes
allant de la simple récompense à une participation aux bénéfices. Onnée et Renault (2013)
distingue trois catégories de contreparties :
1.2.1. Le don contre don
Le donateur est rétribué pour sa participation en lui octroyant une récompense en
nature liée au projet. En effet, Les campagnes de crowdfunding basées sur les récompenses en
nature offrent, en échange de contributions, des produits ou des services d’une valeur plus
faible. Généralement, ces récompenses dont la valeur est corrélée positivement avec la taille
du don (Riga, 2014) ont une valeur symbolique.
1.2.2. La prévente
Les campagnes de crowdfunding avec prévente sont en réalité des campagnes de
préfinancement d’un produit. Le principe est le suivant : un entrepreneur avec une idée pour
un produit ne dispose pas des fonds nécessaires pour lancer la production de son produit.
C’est alors qu’il fait appel à la foule. Le public peut alors précommander le produit en payant
la somme demandée à l’avance. Une fois le produit crée, il est envoyé à tous les contributeurs.
On peut considérer que les contributeurs font un achat en ligne à un moment où le produit
n’est pas encore développé (Commission Européenne, 2013).
1.2.3. Partage de profits/recettes
Les artistes/entreprises peuvent partager les futurs profits ou recettes indexée sur la
réussite du projet financé avec le public en contrepartie d’un financement immédiat. Chez les
artistes, ce modèle prend le nom spécifique de coproduction mais quand il s’agit des
entreprises, on parle de royalty.
1.3. Le prêt ou le lending-based crowdfunding
Le lending-based crowdfunding ou tout simplement le prêt est un modèle de
crowdfunding où les investisseurs ont l’occasion de prêter leur argent à des personnes en
quête de financement pendant une période déterminée. Le prêt peut avoir lieu avec ou sans
40. 29
intérêts et ces intérêts peuvent être payés annuellement ou à terme de la période de prêt
convenue.
1.3.1. Le prêt solidaire
C’est le prêt accordé par une personne physique à un autre individu en déficit de
financement sans taux d’intérêt ou à un taux très bas. Il s’agit en fait du micro prêt accordé
par des individus habitant les pays occidentaux aux personnes habitant les pays du sud. Ce
modèle fait aujourd’hui polémique car il passe souvent par un organisme de crédit local qui,
lui, ne donne pas de prêt à taux préférentiel.
1.3.2. Le prêt entre particuliers avec taux d’intérêt
Le public prête de l’argent à une société en sachant que l’argent sera remboursé avec
des intérêts. Ce type de financement ressemble fortement aux emprunts traditionnels proposés
par une banque, si ce n’est que vous empruntez à un grand nombre d’investisseurs.
1.4. L’equity-based crowdfunding
Encore appelé prise de participation ou investissement en fonds propres, il s’agit de la
vente de participations dans une entreprise à plusieurs investisseurs en contrepartie de leur
investissement via internet. Ce type de financement est similaire à l’achat ou à la vente
d’actions ordinaires sur une place boursière ou à du capital-risque (Commission Européenne,
2015). Ce modèle recouvre deux pratiques notamment le modèle du holding qui implique la
collecte des fonds auprès des individus et de les rassembler au cœur du holding qui sont
ensuite réinvestis dans des projets potentiels. Puis, le modèle du club qui suppose le
recrutement par les plateformes des personnes fortunées susceptibles d’investir dans des
projets. Il s’agit de créer un club fermé.
Le tableau ci-dessous récapitule ces différentes formes de financement par la foule.
41. 30
Tableau 4 : Typologie des modèles de crowdfunding
Types Don Reward-based
Lending-
based
Equity
crowdfunding
concept Financement
philanthropique
Financement « coup de
cœur » ou
philanthropique ;
Financement artistique,
culturel, caritatif…
Prêts entre
particuliers
ou aux
TPE/PME
Investissement
et prise de
participation
dans le capital
d’entreprises
Projets
financés
Projets
humanitaires,
associatifs ;
Projets
personnels
Projets culturels,
innovants et créatifs,
entrepreneuriaux
Particuliers,
PME,
projets…
Jeunes
entreprises
en phase
d’amorçage,
PME, TPE
Rétributions Aucune Royalties, contreparties
(en nature,
précommande)
Intérêts (ou
non)
Dividendes, plus-
value à la revente
Source: V. Bessière et E. Stéphany (2017, p.19)
Selon ces derniers, si les deux premières formes de financement par la foule relèvent
de dynamiques sociales ou solidaires, les deux dernières relèvent du champ de la finance
spéculative c’est-à-dire reposent sur un espoir de rentabilité. Cependant, le versement de prêt
sans intérêt est assimilable à de la microfinance d’où la finance solidaire.
2. LES ETAPES CONSTITUTIVES D’UNE OPERATION DE FINANCEMENT
PAR LA FOULE
Comme dit plus haut, même si les plateformes de financement participatif diffèrent
selon leur métier et leurs spécialisations, elles répondent aux mêmes principes constitutifs. On
peut découper en quatre étapes une opération de financement de projet (Bessière et Stéphany,
2017).
2.1. La préparation du dossier
Le porteur du projet se devra de préparer un dossier solide avant de le soumettre à la
plateforme préalablement choisie. En effet, avoir un bon projet n'est pas suffisant pour réussir
son opération de crowdfunding, la spécificité d'internet et du financement participatif
implique de prendre en compte la maîtrise des techniques de communication du projet et sa
présentation sur la plateforme afin de rendre son projet le plus attractif possible auprès des
internautes.
Selon Bessière et Stéphany (2017), les informations à communiquer doivent répondre
aux attentes des contributeurs, afin qu’ils puissent évaluer le projet et l’équipe
entrepreneuriale à travers les questions suivantes : pourquoi ce projet ? Quelle est sa
42. 31
pertinence ? En quoi le porteur de projet est-il compétent pour le mener à bien ? Quel montant
levé et pour quelle utilisation ? Quel retour sur investissement ?
En réalité, ces questions sont similaires à celles que se posent classiquement les
investisseurs dans une société lors d'une due diligence 17
d’un projet entrepreneurial.
Néanmoins, dans l’environnement actuel interactif et interconnecté, le recours à une vidéo de
présentation par exemple serait un atout supplémentaire à la réussite du financement du
projet. C’est donc une stratégie de communication qui doit être définie avant l’intégration du
projet sur la plateforme. Ainsi, trois axes sont mis en avant :
Le rythme de la communication : une campagne de levée de fonds en crowdfunding a
une durée qui varie généralement de 20 à 90 jours selon les plateformes. Elle suit une
évolution similaire (dite courbe en « u ») : une forte intensité au départ, liée au lancement du
projet sur la plateforme, une diminution de l’intensité à mi-chemin, puis enfin une nouvelle
dynamique quelques jours avant la clôture de l’opération de financement. L'entrepreneur
devra adapter sa communication suivant ce schéma afin de parvenir à réduire le laps de temps
durant lequel la campagne va connaitre un creux en intensifiant sa promotion.
Les cibles de la communication : le public auquel l'entrepreneur fait appel durant sa
campagne de crowdfunding peut se décomposer en trois cercles suivant sa proximité avec
elles (Onnée et Renault, 2014b). Il y a d'abord le premier cercle constitué de la famille, des
amis, des proches, les fans ou membres du réseau social du porteur de projet. Vient ensuite le
second cercle que l'on peut qualifier de relais d’influence (les amis des amis) et enfin le
dernier cercle représenté par le grand public (les parfaits inconnus). En fonction des cibles,
l'entrepreneur se devra d'adapter sa communication pour n'engager ses ressources en temps et
en promotion que sur le public pertinent.
Les relais de communication : dans la stratégie de communication, les porteurs de
projets doivent être actifs sur les médias et réseaux sociaux en envisageant l’utilisation de
plusieurs supports : les campagnes d’e-mailing, les communiqués de presse, twitter, des
vidéos sur youtube… Là encore, une réflexion préalable est nécessaire pour la structuration
des messages et des informations communiquées selon les supports mobilisés. Par exemple,
l’utilisation de twitter s’inscrit dans une gestion de la relation client et de la marque. La cible
est constituée de technophiles et de proches. L’efficacité de la communication est fonction du
nombre de followers et du nombre de retweets. La fréquence est ici spontanée et quotidienne.
Sur facebook, l’objectif est double : d’une part, fidéliser sa communauté et, d’autre part, créer
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La due diligence (ou diligence raisonnable) correspond à l’ensemble des vérifications qu’un investisseur
potentiel réalise avant une transaction, afin de préciser la situation de l’entreprise.