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Victor Hugo et le grotesque
José Manuel LOSADA
Universidad Complutense de Madrid
Departamento de Filología Francesa
josemanuellosada@wanadoo.es
RÉSUMÉ
La contribution de Victor Hugo à la catégorie du grotesque est double: d’une part il agrandit le corpus
métalittéraire du grotesque, d’une autre il apporte une masse considérable d’écrits de fiction où le gro-
tesque joue un rôle de choix. Dans sa réflexion littéraire il faut surtout faire mention de la Préface de
Cromwell et, dans une moindre mesure, de William Shakespeare. Dans sa création littéraire on peut
distinguer les œuvres dramatiques, les romans et les poésies. Il y a du grotesque, entre autres, dans
Hernani et dans Ruy Blas, dans Notre-Dame de Paris et dans L’Homme qui rit, dans plusieurs poèmes
de La Légende des Siècles. Ceci prouve que la théorie hugolienne sur le grotesque est profonde et orga-
nisée. Ces pages étudient la combinaison du sublime et du grotesque dans quelques textes de Hugo.
Mots clés: Victor Hugo, grotesque, sublime
Víctor Hugo y lo grotesco
RESUMEN
La contribución de Víctor Hugo a la categoría de lo grotesco es doble: por un lado este autor aumenta
el corpus metaliterario de lo grotesco, por otro aporta un volumen considerable de escritos de ficción
en los que lo grotesco juega un papel preponderante. Entre los textos de reflexión es preciso mentar el
prefacio de Cromwell y, en menor medida, William Shakespeare; entre los textos de creación literaria
lo grotesco aparece en las obras dramáticas, novelescas y poéticas. Hay grotesco en Hernani y en Ruy
Blas, en Notre-Dame de Paris y en L’Homme qui rit, en varios poemas de La Légende des Siècles, prue-
ba evidente de que la teoría hugoliana sobre lo grotesco es profunda y está fuertemente organizada.
Estas páginas estudian la combinación de lo sublime y lo grotesco en algunos textos de Hugo.
Palabras clave: Víctor Hugo, grotesco, sublime
Victor Hugo and the grotesque
ABSTRACT
Victor Hugo’s contribution to the category of grotesque is twofold: on the one hand he increases the
metaliterary corpus of the grotesque, on the other hand he adds a considerable quantity of fiction writ-
ings in which the grotesque plays a preponderant role. Among the reflection texts it is necessary to
mention the foreword of Cromwell and, in a smaller measure, William Shakespeare. Among the texts
of literary creation the grotesque appears in the dramatic, novelesque, and poetic works. There is
grotesque in Hernani and in Ruy Blas, in Notre-Dame de Paris and in L’Homme qui rit, in several
Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses ISSN: 1139-9368
2006, 21, 115-124
poems of La Légende des Siècles; the Hugolian theory on the grotesque is deep and strongly organ-
ized. These pages study the combination of the sublime and the grotesque in Hugo’s texts.
Key words: Victor Hugo, grotesque, sublime
CLASSIQUES ET PRÉROMANTIQUES: LE STATUT DU BEAU
Chez les classiques, le grotesque est universellement banni; il n’en est pas de
même du sublime, qui provoque des opinions contraires. Pour Boileau, bien que le
sublime ne tienne pas compte des règles, il est au-dessus de tout raisonnement
logique. Cette position est réfutée par Perrault. Dans son Parallèle des Anciens et
des Modernes, il considère également le grotesque comme irrégulier, excentrique et
souvent irrévérencieux, mais il ne s’en prend pas moins au sublime, nature brute et
déraisonnable, que l’art s’exerce à polir et à raffiner; Saint-Évremond préfère la
“belle nature” au sublime (vid. Savoie, 1995: 24-29). Les préromantiques sont de
l’avis de Boileau: “qu’il soit ou non naturel, le grotesque chez Mme de Staël et chez
Chateaubriand échappe à la représentation. Hors des règles, seuls les éléments
sublimes de la nature accèdent avec les préromantiques du beau” (ibid.: 53). Entre
autres, il reviendra à Victor Hugo de parfaire la révolution esthétique en réintrodui-
sant le grotesque dans l’art. Pour ce faire, il lui faut de modifier le statut du beau.
Selon les classiques, seul le beau objectif a droit de cité en poésie car il se rap-
porte à la raison. Chez Hugo, le beau objectif est incomplet et restreint; il est, par
conséquent, contraire à la vérité. Au beau objectif, Hugo oppose le beau subjectif
(vid. Préface de l’éd. des Odes en 1826). Pierre Savoie a démontré que ce beau sub-
jectif trouve son expression philosophique précédente chez Kant: “la forme résulte
du rapport heureux entre la représentation sensible (l’expression) et la présentation
d’un concept de l’entendement (l’idée). Et cette forme, chez Kant comme chez
Hugo, correspond au beau” (1995: 66). La différence entre la réflexion kantienne et
la réflexion hugolienne est la possibilité de représentation de cette beauté, dans cer-
tains cas, défendue par l’écrivain français. Pour le philosophe, le mélange de subli-
me et de grotesque donne des êtres difformes, et pas beaux: pour lui, ni l’objet subli-
me ni l’objet grotesque ne peuvent être délimités, car ils sont tantôt démesurés, tantôt
absurdes. Le pur grotesque et le sublime naturel produisent des objets informes et,
par conséquent, ils ne participent ni l’un ni l’autre du beau. En revanche, pour
l’écrivain, le sublime et le grotesque sont susceptibles d’être mis en forme, à condi-
tion que le génie délimite l’objet. À différence de Kant, chez Hugo la forme vient
de l’idée et non pas du concept: c’est que, pour lui, l’idée est d’abord une image:
“Fouillez des étymologies, arrivez à la racine des vocables, image et idée sont le
même mot” (“Le goût”, in Proses philosophiques de 1860-1865, 1985: 575). Ces
images du sublime et du grotesque sont des images de la vérité divine, de l’infini
patent, doublement manifesté: par la Nature et par l’Art. Le génie, prêtre et outil de
Dieu, participe de la vérité divine et de la vérité absolue de la nature (vid. “Les
génies”, in William Shakespeare, 1985: 261). Et Savoie de conclure: “Dans cette pers-
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pective, le grotesque et le sublime, qui participent également de la nature, peuvent
trouver une expression convenable, afin de prendre forme dans une œuvre d’art”
(1995: 68-69). Ceci explique que le grotesque peut, quelquefois, devenir beau;
autrement Vénus ne se serait pas exclamée à la vue d’un pied-de-chèvre: “Il est
beau!” (“le Satyre”, 1950: 423).
TROIS ÉPOQUES LITTÉRAIRES
Dans sa Préface de Cromwell, Hugo distingue trois époques dans l’évolution de
la littérature. La première, celle de la Genèse biblique, ne paraît pas l’intéresser ici
d’une manière spéciale. La deuxième époque, dont le couronnement est l’épopée
homérique, décèle quelques aspects du grotesque. Or le grotesque ne s’y trouve que
d’une manière fort timide, secondaire même par rapport à la place occupée par la
beauté, le divin, le gigantesque et le colossal. C’est surtout dans la troisième gran-
de époque littéraire que le grotesque se montre sans fard. Celui-ci devient un type
fondamental: de l’ode au drame, de l’œuvre de Dante à Shakespeare, le grotesque
est partout. Cette omniprésence n’est pas cependant synonyme de préséance; Hugo
lui-même l’explique: “Il est vrai de dire qu’à l’époque où nous venons de nous arrê-
ter la prédominance du grotesque sur le sublime, dans les lettres, est vivement mar-
quée. Mais c’est une fièvre de réaction, une ardeur de nouveauté qui passe; c’est un
premier flot qui se retire peu à peu, le type du beau reprendra bientôt son rôle et son
droit, qui n’est pas d’exclure l’autre principe, mais de prévaloir sur lui” (Préface de
Cromwell, 1963: 422).
Ainsi y a-t-il deux compagnons de voyage: le beau et le laid, intimement liés
entre eux-mêmes et avec deux catégories littéraires: le sublime et le grotesque. Le
beau doit exercer son droit d’aînesse, mais sans annihiler pour autant son frère
cadet. Ce “petit frère” se contente de peu: il lui suffit d’un coin du tableau dans les
fresques royales de Murillo, dans les pages sacrées de Véronèse. Cette réflexion
guide notre auteur, pour la première fois dans sa préface, vers Shakespeare, prin-
cipale colonne de l’édifice de la troisième civilisation littéraire, parfaitement arc-
boutée, de part et d’autre, par Dante et par Milton. L’idée lui semble intéressante
au point même de la développer dans une préface postérieure, celle de Marie Tudor
(17 novembre 1833). Hugo y explique que “Shakespeare, tout comme Michel-
Ange, semble avoir été créé pour résoudre ce problème étrange dont le simple
énoncé paraît absurde: –rester toujours dans la nature, tout en en sortant quelque-
fois–” (1964: 413); et de préciser: “Shakespeare exagère les proportions, mais il
maintient les rapports”.
Voici un autre point à retenir du grotesque hugolien; contrairement à d’autres
écrivains –par exemple, Rabelais– Hugo tient à garantir l’agrément de la composi-
tion dans sa globalité. Certes, d’une manière générale, Victor Hugo n’est pas un
poète qui se caractérise par la mesure: son verbiage domine toute son expression
comme son énormité remplit tous les espaces. Souvenons-nous du faune devenu
démesuré pendant son chant au point que “…des peuples errants demandaient leur
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chemin / Perdus au carrefour des cinq doigts de sa main” (“Le Satyre”, 1950: 429).
Pourtant, l’auteur prend soin de garder les rapports dans la disproportion. Ainsi, au
fur et à mesure que le corps du satyre augmente, sa lyre “…devenue en le touchant
géante, / Chantait, pleurait, grondait, tonnait, jetait des cris; / Les ouragans étaient
dans les sept cordes pris / Comme des moucherons dans de lugubres toiles; / Sa poi-
trine terrible était pleine d’étoiles” (ibid.). En l’occurrence, c’est une particulière
“esthétique de la démesure” qui provoque cette vision. Le grotesque est ici doublé
du gigantesque (vid. Duits, 1975: 96-121).
Ce respect des rapports est intimement lié au goût de l’ensemble. Le comporte-
ment de Ruy Blas est grotesque, mais il ne masque pas “l’unité d’action ou d’en-
semble, la seule vraie et fondée” (Préface de Cromwell, 1963: 427). Qui plus est, les
personnages d’une œuvre, et l’œuvre elle-même, respectent toujours l’ensemble de
la production hugolienne: “la vérité absolue n’est que dans l’ensemble de l’œuvre”
(Préface de Ruy Blas, 1963: 1494). C’est ainsi que le grotesque parfait la fonction
qui lui a été assignée. Prenons un exemple: tout comme La Légende des Siècles par
rapport à Dieu et à Satan, Hernani ne serait, par rapport à Ruy Blas et à Torquema-
da (dans l’idée générale que Hugo s’était faite de l’histoire de l’Espagne), “que la
première pierre d’un édifice qui existe tout construit dans la tête de son auteur, mais
dont l’ensemble peut seul donner valeur à ce drame” (Préface d’Hernani, 1963:
1150). C’est uniquement de la sorte, en ne perdant pas de vue la globalité, que le
grotesque évite le ridicule et se rend efficace. Hugo lui-même ajoute, en ayant
recours à un exemple grotesque: “Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour
la fantaisie qui [m’]a pris de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte
presque moresque à [ma] cathédrale gothique” (ibid.).
Une fois le grotesque localisé dans la troisième époque littéraire, il est plus aisé
de préciser sa fonction. Pour Hugo, le grotesque caractérise profondément cette
époque en ce qu’il instaure le temps de la transparence. Jusqu’ici, ce fut le temps de
la naïveté (première époque) et de la simplicité (deuxième époque); maintenant,
c’est le temps de la vérité (Préface de Cromwell, 1963: 423). De même que la pre-
mière époque était celle des colosses et que la seconde était celle des géants, cette
troisième époque appartient aux hommes. Le temps de la vérité est celui des
hommes. Hugo veut faire une nette distinction entre les âges précédents et le sien.
Les autres seraient en effet des âges littéraires peu vraisemblables: les colosses et
les géants le sont aussi peu les uns que les autres. En revanche, l’homme est instal-
lé dans des coordonnées spatiales et temporelles beaucoup plus proches et précises.
Il y a un rapprochement conscient entre ce nouvel âge et la vie elle-même, une syn-
thèse jusqu’alors insoupçonnée entre les différents phénomènes qui nous entourent.
Quel est, sinon le grotesque, l’élément générateur de cette nouvelle perception? Par
son pouvoir de caractérisation, le grotesque renferme une source inouïe de succes-
sives modélisations, aussi bien dans le relatif que dans l’absolu. C’est le grotesque,
par son pouvoir d’attraction, qui nous mène à l’homme tel qu’il est, avec ses heurs
et ses malheurs, le véritable homme; non l’homme naïf ni l’homme simple, mais
l’homme vrai; l’homme qui aspire et qui conspire, le même qui rêve de pouvoir et
d’amour, le même encore qui souffre son propre drame: c’est Hamlet, Macbeth,
Othello; c’est enfin l’homme selon Shakespeare.
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Le grotesque permet d’atteindre la symbiose parfaite, grâce à lui l’homme réel
est à portée de main dans la littérature générale. On peut suivre le même processus
à l’intérieur des littératures particulières. Ainsi, Corneille c’est le grand et Molière
le vrai, mais Shakespeare c’est les deux à la fois ou, si l’on préfère, “le vrai dans le
grand” (Préface de Marie Tudor, 1963: 413; vid. aussi celle de Ruy Blas, 1963:
1490). Hugo procède à la combinaison de grandeur et vérité, deux qualités que jus-
qu’alors on trouvait séparées; il parvient au réel dont vit et se nourrit le drame. Ainsi
la boucle est-elle fermée: “le caractère du drame est le réel; le réel résulte de la com-
binaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent
dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création” (Préface de
Cromwell, 1963: 425). Victor Hugo touche ici du doigt deux points capitaux. Le
premier, annoncé plus haut, c’est le drame. Le drame, en effet, est la clef de voûte
de la réflexion hugolienne autour du grotesque; ainsi l’attestent les protagonistes
choisis pour appuyer cette théorie: “C’est lui [le grotesque] qui sera tour à tour Iago,
Tartufe, Basile; Polonius, Harpagon, Bartholo; Falstaff, Scapin, Figaro” (ibid.:
420). Le deuxième point est la juxtaposition de qualités.
LA JUXTAPOSITION DE QUALITÉS
Pour les classiques comme pour les préromantiques, une triade doit toujours être
respectée: unité, clarté, régularité. À cette triade Hugo lui substitue une autre: dua-
lité, ambivalence, liberté. Son goût de l’antithèse le pousse à dévoiler partout le jeu
des transcendants contraires qui se cachent derrière tout objet apparemment uni-
voque: le bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, l’un et le multiple1. Ce
penchant pour la dualité n’implique ni ambiguïté ni confusion; chez Hugo les
contraires s’harmonisent parfaitement de sorte que la dualité “conserve à chaque
partie son absolue intégrité dans un ensemble unique” (Savoie, 1995: 73; vid. aussi
Richard, 1970: 196-197).
Ainsi donc, combinaison du sublime et du grotesque. Le grotesque ne peut inon-
der toute l’œuvre, cela deviendrait aberrant et risquerait de fausser la vérité de
l’œuvre. Il s’agit d’une juxtaposition savamment confectionnée, une combinaison
de rires et de larmes (Préface de Marie Tudor), de grands et de petits (Préface de
Ruy Blas). Tout comme la nature, la poésie doit mêler dans ses créations, sans pour
autant les confondre, l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime (Préface de
Cromwell). D’où ce jeu de contrastes qui conforme une des caractéristiques essen-
tielles du grotesque: un vif contraste entre les événements douloureux et comiques
José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco
1 Ce dualisme est au cœur du fondement sociologique et littéraire dont Hugo veut investir le grotesque.
Plus précisément, il s’agit d’un dualisme chrétien, même si l’auteur ne parvient pas à nouer tous les fils du
problème: “Hugo, gêné par les thèses de Chateaubriand, éprouve la plus grande difficulté à faire de l’in-
fluence chrétienne sur la littérature une théorie cohérente. Comme lui, il voit dans le paganisme le règne de
la matérialité du corps, mais dans la mesure où il est amené à identifier le grotesque et le corps, il ne sait
plus comment expliquer que le christianisme spiritualiste coïncide justement avec l’invasion du grotesque”
(Ubersfeld, 1974: 463, nt. 13).
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qui conforment l’essence de l’homme véritable. Prenons, par exemple, Ruy Blas.
Lorsque Hugo entreprend d’expliquer les étapes qu’a connues la noblesse espagno-
le au moment de sa décrépitude, il a recours aux termes de mélange, ou à d’autres
semblables, pour désigner cette classe sociale de l’histoire de l’Espagne à la fin du
dix-septième siècle: “Du reste, bonne, brave, loyale et intelligente nature; mélange
du poète, du gueux et du prince; (...) alliant dans sa manière, avec quelque grâce,
l’impudence du marquis à l’effronterie du zingaro” (Préface de Ruy Blas, 1963:
1492). En effet, quoi de plus dramatique, quoi de plus grotesque et de plus sublime
qu’un laquais aimant une reine et aimé d’elle?
L’unité paradoxale naît de cette combinaison du grotesque et du sublime (vid.
Collot, 1985: 100). Dans la vision dualiste hugolienne, le grotesque s’étend jusqu’à
réclamer la présence du sublime, comme si par voie d’induction le “grotesque impli-
qu[ait] le sublime” (Rosen, 1991: 59). La juxtaposition de qualités est une condition
indispensable pour Hugo, au point qu’on peut dire que sans elle le grotesque n’y
apparaît pas. Chez lui, le grotesque n’est jamais présent qu’en compagnie du subli-
me. Privés de cette juxtaposition, ses romans donneraient dans la monstruosité et le
ridicule. Leur curieux pouvoir d’attraction réside dans une nouvelle esthétique où
sublime et grotesque se complémentent à merveille.
Pensons à Notre-Dame de Paris. À peine y a-t-il un seul chapitre où le grotesque
ne paraisse, depuis l’élection du pape des fous, en passant par la célèbre procession
et jusqu’à la scène du pilori. Qu’on se souvienne la scène qui a promu Quasimodo
à la dignité de pape d’une journée: visage hideux et grimace grotesque entourés, en
guise d’auréole, par la splendide rosace de Notre-Dame. Cette union paradoxale fait
jaillir l’image du couple grotesque-sublime, contradictoire selon l’esthétique clas-
sique, mais dont la teneur carnavalesque est immédiatement acceptée par la foule.
Le lecteur, quant à lui, est invité à se joindre au truchement des valeurs tradition-
nelles qui se poursuit dans la scène du célèbre cortège:
Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur
leur épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte-Geneviè-
ve en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nou-
veau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu.
Chacune des sections de cette procession grotesque avait sa musique particuliè-
re. Les égyptiens faisaient détonner leurs balafos et leurs tambourins d’Afrique. Les
argotiers, race fort peu musicale, en étaient encore à la viole, au cornet à bouquin et
à la gothique rubebbe du douzième siècle. L’empire de Galilée n’était guère plus
avancé; à peine distinguait-on dans sa musique quelque misérable rebec de l’enfan-
ce de l’art, encore emprisonné dans le ré-la-mi. Mais c’est autour du pape des fous
que se déployaient, dans une cacophonie magnifique, toutes les richesses musicales
de l’époque (1975: 68-69).
Les éléments grotesques de la scène (des fous porteurs d’un brancard comblé de
cierges, un bossu couronné, des misérables musiciens munis de piètres instruments,
la cacophonie musicale qui en sort) sont habilement combinés avec les éléments
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sublimes directement ou indirectement évoqués (la châsse de la sainte patronne de
la ville, la splendeur de la papauté, la musique d’un fabuleux cortège ecclésiastique
absent). Le résultat en est une “procession grotesque”, signale l’auteur; la proces-
sion est grotesque parce que le lecteur implicite éprouve le contraste de la juxtapo-
sition du grotesque au sublime.
Un autre exemple: la combinaison de la laideur d’un personnage avec la beauté
d’un autre. Quoi de plus abject, selon l’esthétique classique, que ce corps du son-
neur de la cathédrale?
Pas une voix ne s’éleva autour du malheureux patient, si ce n’est pour lui faire
raillerie de sa soif. Il est certain qu’en ce moment il était grotesque et repoussant plus
encore que pitoyable, avec sa face empourprée et ruisselante, son œil égaré, sa
bouche écumante de colère et de souffrance, et sa langue à demi tirée (ibid. 231-233).
Pris à lui seul, son visage est monstrueux, grotesque; mais il ne peut être pris à
lui tout seul: il “est” en fonction de la beauté de l’Égyptienne:
Elle s’approcha, sans dire une parole, du patient qui se tordait vainement pour lui
échapper, et, détachant une gourde de sa ceinture, elle la porta doucement aux lèvres
arides du misérable.
C’est la mise en rapport des deux extrêmes qui provoque le charme de la scène:
C’eût été partout un spectacle touchant que cette belle fille, fraîche, pure, char-
mante, et si faible en même temps, ainsi pieusement accourue au secours de tant de
misère, de difformité et de méchanceté. Sur un pilori, ce spectacle était sublime.
Il en est de même pour les sentiments du bossu: qu’y a-t-il de plus ridicule que
l’amour de Quasimodo pour la Esméralda? C’est la symbiose romanesque de la
belle et la bête qui fait l’authentique innovation du roman romantique.
LE RABAISSEMENT ET LE RIRE
Il est un autre aspect fondamental du grotesque. Étudié notamment par Bakhti-
ne, “le trait marquant du réalisme grotesque est le rabaissement” (1970: 29). Plus
précisément, il s’agit d’un “transfert de tout ce qui est élevé, spirituel, idéal et abs-
trait sur le plan matériel et corporel”. En un mot, c’est le “rabaissement du sublime”
(30). Hugo lui-même aurait souscrit à la formule de Bakhtine; pour le constater, il
suffit de se reporter à un autre texte théorique de Hugo: William Shakespeare.
Lorsqu’il y examine la grandeur des poètes, Hugo théoricien voit dans le valet
de Don Quichotte une synthèse du bon sens. Mais, comparé au sublime de son
maître, il fait piètre figure; Sancho Pança cristallise le rabaissement: “Il arrive
comme le Silène de Plaute, et lui aussi peut dire: Je suis le dieu monté sur un âne”
(“Les génies” in William Shakespeare, 1985: 281). Sancho, c’est le bon sens qui
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a pris chair dans le corps laid d’un simple valet; cette juxtaposition de qualités
contraires est doublée de celle de son maître:
Le bon sens n’est pas la sagesse, et n’est pas la raison; il est un peu l’une et un
peu l’autre, avec une nuance d’égoïsme. Cervantes [sic] le met à cheval sur l’igno-
rance, et en même temps, achevant sa dérision profonde, il donne pour monture à
l’héroïsme la fatigue. Ainsi il montre l’un après l’autre, l’un avec l’autre, les deux
profils de l’homme, et les parodie, sans plus de pitié pour le sublime que pour le gro-
tesque. L’hippogriffe devient Rossinante. Derrière le personnage équestre, Cervantes
crée et met en marge le personnage asinal (ibid.).
Bakhtine établit une différence fondamentale entre le grotesque du Moyen Âge
et de la Renaissance (“directement lié à la culture populaire et empreint d’un carac-
tère universel et public”) et le grotesque romantique (“grotesque de chambre, une
manière de carnaval que l’individu vit dans la solitude, avec la conscience aiguë de
son isolement”, 1970: 47). La suite est d’importance: “le rire subsiste”, mais il “est
diminué, il prend la forme de l’humour, de l’ironie, du sarcasme” (ibid.). Le gro-
tesque aurait perdu son ton joyeux et gai au profit d’un grotesque marqué par la sati-
re, la peur et le tragique. Il y a ici point commun avec la théorie de Kayser. Pour ce
critique, si le grotesque provoque le rire et l’horreur, il n’en reste pas moins vrai
qu’il “s’assujettit aux aspects démoniaques du monde” (1968: 188), de telle sorte
que le rire se pétrifie face au pouvoir de l’étrangeté. Jean Onimus partage ce point
de vue, selon lequel le rire se “fige vite en angoisse” (1966: 292; vid. Savoie, 1995:
87-88). De fait, “le trait caractéristique du grotesque hugolien de la Préface [de
Cromwell] est peut-être l’horreur” (Ubersfeld, 1974: 466).
Gaieté et tristesse, comique et tragique, hilarité et colère sont les deux faces de
l’ambivalence du grotesque. Tout dépend de l’acte de communication entre le locu-
teur et l’auditoire: c’est que, face au grotesque, le rire résulte de l’impossibilité de
communication; lorsque la communication se rend possible, l’hilarité se mue en
colère.
L’Homme qui rit est l’un des textes de Hugo où le grotesque tient le plus de
place; grotesque par la juxtaposition des qualités, grotesque aussi par le caractère
monstrueux du protagoniste (vid. Ubersfeld, 1974: 481). Par son visage difforme et
par son rire éternel, “Gwynplaine [est] un clown, un bateleur, un saltimbanque, un
grotesque” (IIe partie, II, III; 1982: 349-350); sur ce point, il rejoint Quasimodo.
Mais, il n’y a pas que le visage. Dans son étude sur la parole grotesque, Pierre
Savoie a bien montré que Gwynplaine se trouve “fracturé” face au monde; il en va
de même pour sa parole, qui devient ambivalente. Ainsi, à la chambre des lords, la
parole de Gwynplaine est vaine et provoque tantôt l’hilarité générale, tantôt l’indi-
gnation. “L’écart entre l’énoncé et le locuteur provoque chez les auditeurs une sur-
prise. Celle-ci crée un effet comique qui ne se dément plus, d’autant plus comique
que les propos de Gwynplaine se font tragiques” (Savoie, 1995: 187). Le change-
ment subit d’interlocuteurs –lorsqu’il parle aux commis– n’améliore point l’affaire:
“Ici Gwynplaine se tourna vers les sous-clercs agenouillés qui écrivaient sur le qua-
trième sac de laine. – […] Levez-vous, vous êtes des hommes. / Cette brusque apos-
José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco
122 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses
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trophe à des subalternes qu’un lord ne doit pas même apercevoir, mit le comble aux
joies. On avait crié bravo, on cria hurrah! Du battement des mains on passa au tré-
pignement” (IIe partie, VIII, VII; 1982: 290). Dans ce succédané de conversation,
seuls les lords qui le prennent au sérieux se fâchent contre Gwynplaine, les autres
rient du grotesque cramponné au sublime.
On a ainsi deux ripostes face au grotesque de la parole ambivalente: la colère et
l’hilarité. Si la colère est le fruit d’une communication où les personnages sont
confrontés à une réalité incommode et fâcheuse, l’hilarité résulte d’une impossibi-
lité de communication où l’auditoire, incapable d’entendre, ne voit que le rabaisse-
ment du sublime.
Ce n’est là qu’une manifestation de la structure duelle des romans hugoliens; il
y en a d’autres, comme le clivage net des personnages: dans L’Homme qui rit, Bar-
kilphedro s’oppose à Ursus comme Josiane à Dea et Lord David à Gwynplaine (vid.
Peyrache-Leborgne, 1997: 326-329). La tension provoquée par ces doublets anti-
thétiques, symbiose de grotesque et de sublime, illustre les multiples parcours de
rédemption accomplis par les héros.
L’innovation que Victor Hugo introduit dans la tradition littéraire est que, pour
lui, il ne peut avoir de représentation du sublime sans représentation du grotesque:
face aux classiques, aux préromantiques et au rationalisme kantien, les deux caté-
gories esthétiques vont de pair à partir de l’avènement du romantisme. Ceci n’im-
plique aucun mélange du sublime avec le grotesque, mais plutôt une juxtaposition
de qualités, fruit du rabaissement de l’esprit sur la matière.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco
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  • 1. Victor Hugo et le grotesque José Manuel LOSADA Universidad Complutense de Madrid Departamento de Filología Francesa josemanuellosada@wanadoo.es RÉSUMÉ La contribution de Victor Hugo à la catégorie du grotesque est double: d’une part il agrandit le corpus métalittéraire du grotesque, d’une autre il apporte une masse considérable d’écrits de fiction où le gro- tesque joue un rôle de choix. Dans sa réflexion littéraire il faut surtout faire mention de la Préface de Cromwell et, dans une moindre mesure, de William Shakespeare. Dans sa création littéraire on peut distinguer les œuvres dramatiques, les romans et les poésies. Il y a du grotesque, entre autres, dans Hernani et dans Ruy Blas, dans Notre-Dame de Paris et dans L’Homme qui rit, dans plusieurs poèmes de La Légende des Siècles. Ceci prouve que la théorie hugolienne sur le grotesque est profonde et orga- nisée. Ces pages étudient la combinaison du sublime et du grotesque dans quelques textes de Hugo. Mots clés: Victor Hugo, grotesque, sublime Víctor Hugo y lo grotesco RESUMEN La contribución de Víctor Hugo a la categoría de lo grotesco es doble: por un lado este autor aumenta el corpus metaliterario de lo grotesco, por otro aporta un volumen considerable de escritos de ficción en los que lo grotesco juega un papel preponderante. Entre los textos de reflexión es preciso mentar el prefacio de Cromwell y, en menor medida, William Shakespeare; entre los textos de creación literaria lo grotesco aparece en las obras dramáticas, novelescas y poéticas. Hay grotesco en Hernani y en Ruy Blas, en Notre-Dame de Paris y en L’Homme qui rit, en varios poemas de La Légende des Siècles, prue- ba evidente de que la teoría hugoliana sobre lo grotesco es profunda y está fuertemente organizada. Estas páginas estudian la combinación de lo sublime y lo grotesco en algunos textos de Hugo. Palabras clave: Víctor Hugo, grotesco, sublime Victor Hugo and the grotesque ABSTRACT Victor Hugo’s contribution to the category of grotesque is twofold: on the one hand he increases the metaliterary corpus of the grotesque, on the other hand he adds a considerable quantity of fiction writ- ings in which the grotesque plays a preponderant role. Among the reflection texts it is necessary to mention the foreword of Cromwell and, in a smaller measure, William Shakespeare. Among the texts of literary creation the grotesque appears in the dramatic, novelesque, and poetic works. There is grotesque in Hernani and in Ruy Blas, in Notre-Dame de Paris and in L’Homme qui rit, in several Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses ISSN: 1139-9368 2006, 21, 115-124
  • 2. poems of La Légende des Siècles; the Hugolian theory on the grotesque is deep and strongly organ- ized. These pages study the combination of the sublime and the grotesque in Hugo’s texts. Key words: Victor Hugo, grotesque, sublime CLASSIQUES ET PRÉROMANTIQUES: LE STATUT DU BEAU Chez les classiques, le grotesque est universellement banni; il n’en est pas de même du sublime, qui provoque des opinions contraires. Pour Boileau, bien que le sublime ne tienne pas compte des règles, il est au-dessus de tout raisonnement logique. Cette position est réfutée par Perrault. Dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, il considère également le grotesque comme irrégulier, excentrique et souvent irrévérencieux, mais il ne s’en prend pas moins au sublime, nature brute et déraisonnable, que l’art s’exerce à polir et à raffiner; Saint-Évremond préfère la “belle nature” au sublime (vid. Savoie, 1995: 24-29). Les préromantiques sont de l’avis de Boileau: “qu’il soit ou non naturel, le grotesque chez Mme de Staël et chez Chateaubriand échappe à la représentation. Hors des règles, seuls les éléments sublimes de la nature accèdent avec les préromantiques du beau” (ibid.: 53). Entre autres, il reviendra à Victor Hugo de parfaire la révolution esthétique en réintrodui- sant le grotesque dans l’art. Pour ce faire, il lui faut de modifier le statut du beau. Selon les classiques, seul le beau objectif a droit de cité en poésie car il se rap- porte à la raison. Chez Hugo, le beau objectif est incomplet et restreint; il est, par conséquent, contraire à la vérité. Au beau objectif, Hugo oppose le beau subjectif (vid. Préface de l’éd. des Odes en 1826). Pierre Savoie a démontré que ce beau sub- jectif trouve son expression philosophique précédente chez Kant: “la forme résulte du rapport heureux entre la représentation sensible (l’expression) et la présentation d’un concept de l’entendement (l’idée). Et cette forme, chez Kant comme chez Hugo, correspond au beau” (1995: 66). La différence entre la réflexion kantienne et la réflexion hugolienne est la possibilité de représentation de cette beauté, dans cer- tains cas, défendue par l’écrivain français. Pour le philosophe, le mélange de subli- me et de grotesque donne des êtres difformes, et pas beaux: pour lui, ni l’objet subli- me ni l’objet grotesque ne peuvent être délimités, car ils sont tantôt démesurés, tantôt absurdes. Le pur grotesque et le sublime naturel produisent des objets informes et, par conséquent, ils ne participent ni l’un ni l’autre du beau. En revanche, pour l’écrivain, le sublime et le grotesque sont susceptibles d’être mis en forme, à condi- tion que le génie délimite l’objet. À différence de Kant, chez Hugo la forme vient de l’idée et non pas du concept: c’est que, pour lui, l’idée est d’abord une image: “Fouillez des étymologies, arrivez à la racine des vocables, image et idée sont le même mot” (“Le goût”, in Proses philosophiques de 1860-1865, 1985: 575). Ces images du sublime et du grotesque sont des images de la vérité divine, de l’infini patent, doublement manifesté: par la Nature et par l’Art. Le génie, prêtre et outil de Dieu, participe de la vérité divine et de la vérité absolue de la nature (vid. “Les génies”, in William Shakespeare, 1985: 261). Et Savoie de conclure: “Dans cette pers- José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 116 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2006, 21, 115-124
  • 3. pective, le grotesque et le sublime, qui participent également de la nature, peuvent trouver une expression convenable, afin de prendre forme dans une œuvre d’art” (1995: 68-69). Ceci explique que le grotesque peut, quelquefois, devenir beau; autrement Vénus ne se serait pas exclamée à la vue d’un pied-de-chèvre: “Il est beau!” (“le Satyre”, 1950: 423). TROIS ÉPOQUES LITTÉRAIRES Dans sa Préface de Cromwell, Hugo distingue trois époques dans l’évolution de la littérature. La première, celle de la Genèse biblique, ne paraît pas l’intéresser ici d’une manière spéciale. La deuxième époque, dont le couronnement est l’épopée homérique, décèle quelques aspects du grotesque. Or le grotesque ne s’y trouve que d’une manière fort timide, secondaire même par rapport à la place occupée par la beauté, le divin, le gigantesque et le colossal. C’est surtout dans la troisième gran- de époque littéraire que le grotesque se montre sans fard. Celui-ci devient un type fondamental: de l’ode au drame, de l’œuvre de Dante à Shakespeare, le grotesque est partout. Cette omniprésence n’est pas cependant synonyme de préséance; Hugo lui-même l’explique: “Il est vrai de dire qu’à l’époque où nous venons de nous arrê- ter la prédominance du grotesque sur le sublime, dans les lettres, est vivement mar- quée. Mais c’est une fièvre de réaction, une ardeur de nouveauté qui passe; c’est un premier flot qui se retire peu à peu, le type du beau reprendra bientôt son rôle et son droit, qui n’est pas d’exclure l’autre principe, mais de prévaloir sur lui” (Préface de Cromwell, 1963: 422). Ainsi y a-t-il deux compagnons de voyage: le beau et le laid, intimement liés entre eux-mêmes et avec deux catégories littéraires: le sublime et le grotesque. Le beau doit exercer son droit d’aînesse, mais sans annihiler pour autant son frère cadet. Ce “petit frère” se contente de peu: il lui suffit d’un coin du tableau dans les fresques royales de Murillo, dans les pages sacrées de Véronèse. Cette réflexion guide notre auteur, pour la première fois dans sa préface, vers Shakespeare, prin- cipale colonne de l’édifice de la troisième civilisation littéraire, parfaitement arc- boutée, de part et d’autre, par Dante et par Milton. L’idée lui semble intéressante au point même de la développer dans une préface postérieure, celle de Marie Tudor (17 novembre 1833). Hugo y explique que “Shakespeare, tout comme Michel- Ange, semble avoir été créé pour résoudre ce problème étrange dont le simple énoncé paraît absurde: –rester toujours dans la nature, tout en en sortant quelque- fois–” (1964: 413); et de préciser: “Shakespeare exagère les proportions, mais il maintient les rapports”. Voici un autre point à retenir du grotesque hugolien; contrairement à d’autres écrivains –par exemple, Rabelais– Hugo tient à garantir l’agrément de la composi- tion dans sa globalité. Certes, d’une manière générale, Victor Hugo n’est pas un poète qui se caractérise par la mesure: son verbiage domine toute son expression comme son énormité remplit tous les espaces. Souvenons-nous du faune devenu démesuré pendant son chant au point que “…des peuples errants demandaient leur José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 117 2006, 21, 115-124
  • 4. chemin / Perdus au carrefour des cinq doigts de sa main” (“Le Satyre”, 1950: 429). Pourtant, l’auteur prend soin de garder les rapports dans la disproportion. Ainsi, au fur et à mesure que le corps du satyre augmente, sa lyre “…devenue en le touchant géante, / Chantait, pleurait, grondait, tonnait, jetait des cris; / Les ouragans étaient dans les sept cordes pris / Comme des moucherons dans de lugubres toiles; / Sa poi- trine terrible était pleine d’étoiles” (ibid.). En l’occurrence, c’est une particulière “esthétique de la démesure” qui provoque cette vision. Le grotesque est ici doublé du gigantesque (vid. Duits, 1975: 96-121). Ce respect des rapports est intimement lié au goût de l’ensemble. Le comporte- ment de Ruy Blas est grotesque, mais il ne masque pas “l’unité d’action ou d’en- semble, la seule vraie et fondée” (Préface de Cromwell, 1963: 427). Qui plus est, les personnages d’une œuvre, et l’œuvre elle-même, respectent toujours l’ensemble de la production hugolienne: “la vérité absolue n’est que dans l’ensemble de l’œuvre” (Préface de Ruy Blas, 1963: 1494). C’est ainsi que le grotesque parfait la fonction qui lui a été assignée. Prenons un exemple: tout comme La Légende des Siècles par rapport à Dieu et à Satan, Hernani ne serait, par rapport à Ruy Blas et à Torquema- da (dans l’idée générale que Hugo s’était faite de l’histoire de l’Espagne), “que la première pierre d’un édifice qui existe tout construit dans la tête de son auteur, mais dont l’ensemble peut seul donner valeur à ce drame” (Préface d’Hernani, 1963: 1150). C’est uniquement de la sorte, en ne perdant pas de vue la globalité, que le grotesque évite le ridicule et se rend efficace. Hugo lui-même ajoute, en ayant recours à un exemple grotesque: “Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui [m’]a pris de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à [ma] cathédrale gothique” (ibid.). Une fois le grotesque localisé dans la troisième époque littéraire, il est plus aisé de préciser sa fonction. Pour Hugo, le grotesque caractérise profondément cette époque en ce qu’il instaure le temps de la transparence. Jusqu’ici, ce fut le temps de la naïveté (première époque) et de la simplicité (deuxième époque); maintenant, c’est le temps de la vérité (Préface de Cromwell, 1963: 423). De même que la pre- mière époque était celle des colosses et que la seconde était celle des géants, cette troisième époque appartient aux hommes. Le temps de la vérité est celui des hommes. Hugo veut faire une nette distinction entre les âges précédents et le sien. Les autres seraient en effet des âges littéraires peu vraisemblables: les colosses et les géants le sont aussi peu les uns que les autres. En revanche, l’homme est instal- lé dans des coordonnées spatiales et temporelles beaucoup plus proches et précises. Il y a un rapprochement conscient entre ce nouvel âge et la vie elle-même, une syn- thèse jusqu’alors insoupçonnée entre les différents phénomènes qui nous entourent. Quel est, sinon le grotesque, l’élément générateur de cette nouvelle perception? Par son pouvoir de caractérisation, le grotesque renferme une source inouïe de succes- sives modélisations, aussi bien dans le relatif que dans l’absolu. C’est le grotesque, par son pouvoir d’attraction, qui nous mène à l’homme tel qu’il est, avec ses heurs et ses malheurs, le véritable homme; non l’homme naïf ni l’homme simple, mais l’homme vrai; l’homme qui aspire et qui conspire, le même qui rêve de pouvoir et d’amour, le même encore qui souffre son propre drame: c’est Hamlet, Macbeth, Othello; c’est enfin l’homme selon Shakespeare. José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 118 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2006, 21, 115-124
  • 5. Le grotesque permet d’atteindre la symbiose parfaite, grâce à lui l’homme réel est à portée de main dans la littérature générale. On peut suivre le même processus à l’intérieur des littératures particulières. Ainsi, Corneille c’est le grand et Molière le vrai, mais Shakespeare c’est les deux à la fois ou, si l’on préfère, “le vrai dans le grand” (Préface de Marie Tudor, 1963: 413; vid. aussi celle de Ruy Blas, 1963: 1490). Hugo procède à la combinaison de grandeur et vérité, deux qualités que jus- qu’alors on trouvait séparées; il parvient au réel dont vit et se nourrit le drame. Ainsi la boucle est-elle fermée: “le caractère du drame est le réel; le réel résulte de la com- binaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame, comme ils se croisent dans la vie et dans la création” (Préface de Cromwell, 1963: 425). Victor Hugo touche ici du doigt deux points capitaux. Le premier, annoncé plus haut, c’est le drame. Le drame, en effet, est la clef de voûte de la réflexion hugolienne autour du grotesque; ainsi l’attestent les protagonistes choisis pour appuyer cette théorie: “C’est lui [le grotesque] qui sera tour à tour Iago, Tartufe, Basile; Polonius, Harpagon, Bartholo; Falstaff, Scapin, Figaro” (ibid.: 420). Le deuxième point est la juxtaposition de qualités. LA JUXTAPOSITION DE QUALITÉS Pour les classiques comme pour les préromantiques, une triade doit toujours être respectée: unité, clarté, régularité. À cette triade Hugo lui substitue une autre: dua- lité, ambivalence, liberté. Son goût de l’antithèse le pousse à dévoiler partout le jeu des transcendants contraires qui se cachent derrière tout objet apparemment uni- voque: le bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, l’un et le multiple1. Ce penchant pour la dualité n’implique ni ambiguïté ni confusion; chez Hugo les contraires s’harmonisent parfaitement de sorte que la dualité “conserve à chaque partie son absolue intégrité dans un ensemble unique” (Savoie, 1995: 73; vid. aussi Richard, 1970: 196-197). Ainsi donc, combinaison du sublime et du grotesque. Le grotesque ne peut inon- der toute l’œuvre, cela deviendrait aberrant et risquerait de fausser la vérité de l’œuvre. Il s’agit d’une juxtaposition savamment confectionnée, une combinaison de rires et de larmes (Préface de Marie Tudor), de grands et de petits (Préface de Ruy Blas). Tout comme la nature, la poésie doit mêler dans ses créations, sans pour autant les confondre, l’ombre à la lumière, le grotesque au sublime (Préface de Cromwell). D’où ce jeu de contrastes qui conforme une des caractéristiques essen- tielles du grotesque: un vif contraste entre les événements douloureux et comiques José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 1 Ce dualisme est au cœur du fondement sociologique et littéraire dont Hugo veut investir le grotesque. Plus précisément, il s’agit d’un dualisme chrétien, même si l’auteur ne parvient pas à nouer tous les fils du problème: “Hugo, gêné par les thèses de Chateaubriand, éprouve la plus grande difficulté à faire de l’in- fluence chrétienne sur la littérature une théorie cohérente. Comme lui, il voit dans le paganisme le règne de la matérialité du corps, mais dans la mesure où il est amené à identifier le grotesque et le corps, il ne sait plus comment expliquer que le christianisme spiritualiste coïncide justement avec l’invasion du grotesque” (Ubersfeld, 1974: 463, nt. 13). Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 119 2006, 21, 115-124
  • 6. qui conforment l’essence de l’homme véritable. Prenons, par exemple, Ruy Blas. Lorsque Hugo entreprend d’expliquer les étapes qu’a connues la noblesse espagno- le au moment de sa décrépitude, il a recours aux termes de mélange, ou à d’autres semblables, pour désigner cette classe sociale de l’histoire de l’Espagne à la fin du dix-septième siècle: “Du reste, bonne, brave, loyale et intelligente nature; mélange du poète, du gueux et du prince; (...) alliant dans sa manière, avec quelque grâce, l’impudence du marquis à l’effronterie du zingaro” (Préface de Ruy Blas, 1963: 1492). En effet, quoi de plus dramatique, quoi de plus grotesque et de plus sublime qu’un laquais aimant une reine et aimé d’elle? L’unité paradoxale naît de cette combinaison du grotesque et du sublime (vid. Collot, 1985: 100). Dans la vision dualiste hugolienne, le grotesque s’étend jusqu’à réclamer la présence du sublime, comme si par voie d’induction le “grotesque impli- qu[ait] le sublime” (Rosen, 1991: 59). La juxtaposition de qualités est une condition indispensable pour Hugo, au point qu’on peut dire que sans elle le grotesque n’y apparaît pas. Chez lui, le grotesque n’est jamais présent qu’en compagnie du subli- me. Privés de cette juxtaposition, ses romans donneraient dans la monstruosité et le ridicule. Leur curieux pouvoir d’attraction réside dans une nouvelle esthétique où sublime et grotesque se complémentent à merveille. Pensons à Notre-Dame de Paris. À peine y a-t-il un seul chapitre où le grotesque ne paraisse, depuis l’élection du pape des fous, en passant par la célèbre procession et jusqu’à la scène du pilori. Qu’on se souvienne la scène qui a promu Quasimodo à la dignité de pape d’une journée: visage hideux et grimace grotesque entourés, en guise d’auréole, par la splendide rosace de Notre-Dame. Cette union paradoxale fait jaillir l’image du couple grotesque-sublime, contradictoire selon l’esthétique clas- sique, mais dont la teneur carnavalesque est immédiatement acceptée par la foule. Le lecteur, quant à lui, est invité à se joindre au truchement des valeurs tradition- nelles qui se poursuit dans la scène du célèbre cortège: Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur leur épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte-Geneviè- ve en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nou- veau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu. Chacune des sections de cette procession grotesque avait sa musique particuliè- re. Les égyptiens faisaient détonner leurs balafos et leurs tambourins d’Afrique. Les argotiers, race fort peu musicale, en étaient encore à la viole, au cornet à bouquin et à la gothique rubebbe du douzième siècle. L’empire de Galilée n’était guère plus avancé; à peine distinguait-on dans sa musique quelque misérable rebec de l’enfan- ce de l’art, encore emprisonné dans le ré-la-mi. Mais c’est autour du pape des fous que se déployaient, dans une cacophonie magnifique, toutes les richesses musicales de l’époque (1975: 68-69). Les éléments grotesques de la scène (des fous porteurs d’un brancard comblé de cierges, un bossu couronné, des misérables musiciens munis de piètres instruments, la cacophonie musicale qui en sort) sont habilement combinés avec les éléments José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 120 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2006, 21, 115-124
  • 7. sublimes directement ou indirectement évoqués (la châsse de la sainte patronne de la ville, la splendeur de la papauté, la musique d’un fabuleux cortège ecclésiastique absent). Le résultat en est une “procession grotesque”, signale l’auteur; la proces- sion est grotesque parce que le lecteur implicite éprouve le contraste de la juxtapo- sition du grotesque au sublime. Un autre exemple: la combinaison de la laideur d’un personnage avec la beauté d’un autre. Quoi de plus abject, selon l’esthétique classique, que ce corps du son- neur de la cathédrale? Pas une voix ne s’éleva autour du malheureux patient, si ce n’est pour lui faire raillerie de sa soif. Il est certain qu’en ce moment il était grotesque et repoussant plus encore que pitoyable, avec sa face empourprée et ruisselante, son œil égaré, sa bouche écumante de colère et de souffrance, et sa langue à demi tirée (ibid. 231-233). Pris à lui seul, son visage est monstrueux, grotesque; mais il ne peut être pris à lui tout seul: il “est” en fonction de la beauté de l’Égyptienne: Elle s’approcha, sans dire une parole, du patient qui se tordait vainement pour lui échapper, et, détachant une gourde de sa ceinture, elle la porta doucement aux lèvres arides du misérable. C’est la mise en rapport des deux extrêmes qui provoque le charme de la scène: C’eût été partout un spectacle touchant que cette belle fille, fraîche, pure, char- mante, et si faible en même temps, ainsi pieusement accourue au secours de tant de misère, de difformité et de méchanceté. Sur un pilori, ce spectacle était sublime. Il en est de même pour les sentiments du bossu: qu’y a-t-il de plus ridicule que l’amour de Quasimodo pour la Esméralda? C’est la symbiose romanesque de la belle et la bête qui fait l’authentique innovation du roman romantique. LE RABAISSEMENT ET LE RIRE Il est un autre aspect fondamental du grotesque. Étudié notamment par Bakhti- ne, “le trait marquant du réalisme grotesque est le rabaissement” (1970: 29). Plus précisément, il s’agit d’un “transfert de tout ce qui est élevé, spirituel, idéal et abs- trait sur le plan matériel et corporel”. En un mot, c’est le “rabaissement du sublime” (30). Hugo lui-même aurait souscrit à la formule de Bakhtine; pour le constater, il suffit de se reporter à un autre texte théorique de Hugo: William Shakespeare. Lorsqu’il y examine la grandeur des poètes, Hugo théoricien voit dans le valet de Don Quichotte une synthèse du bon sens. Mais, comparé au sublime de son maître, il fait piètre figure; Sancho Pança cristallise le rabaissement: “Il arrive comme le Silène de Plaute, et lui aussi peut dire: Je suis le dieu monté sur un âne” (“Les génies” in William Shakespeare, 1985: 281). Sancho, c’est le bon sens qui José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 121 2006, 21, 115-124
  • 8. a pris chair dans le corps laid d’un simple valet; cette juxtaposition de qualités contraires est doublée de celle de son maître: Le bon sens n’est pas la sagesse, et n’est pas la raison; il est un peu l’une et un peu l’autre, avec une nuance d’égoïsme. Cervantes [sic] le met à cheval sur l’igno- rance, et en même temps, achevant sa dérision profonde, il donne pour monture à l’héroïsme la fatigue. Ainsi il montre l’un après l’autre, l’un avec l’autre, les deux profils de l’homme, et les parodie, sans plus de pitié pour le sublime que pour le gro- tesque. L’hippogriffe devient Rossinante. Derrière le personnage équestre, Cervantes crée et met en marge le personnage asinal (ibid.). Bakhtine établit une différence fondamentale entre le grotesque du Moyen Âge et de la Renaissance (“directement lié à la culture populaire et empreint d’un carac- tère universel et public”) et le grotesque romantique (“grotesque de chambre, une manière de carnaval que l’individu vit dans la solitude, avec la conscience aiguë de son isolement”, 1970: 47). La suite est d’importance: “le rire subsiste”, mais il “est diminué, il prend la forme de l’humour, de l’ironie, du sarcasme” (ibid.). Le gro- tesque aurait perdu son ton joyeux et gai au profit d’un grotesque marqué par la sati- re, la peur et le tragique. Il y a ici point commun avec la théorie de Kayser. Pour ce critique, si le grotesque provoque le rire et l’horreur, il n’en reste pas moins vrai qu’il “s’assujettit aux aspects démoniaques du monde” (1968: 188), de telle sorte que le rire se pétrifie face au pouvoir de l’étrangeté. Jean Onimus partage ce point de vue, selon lequel le rire se “fige vite en angoisse” (1966: 292; vid. Savoie, 1995: 87-88). De fait, “le trait caractéristique du grotesque hugolien de la Préface [de Cromwell] est peut-être l’horreur” (Ubersfeld, 1974: 466). Gaieté et tristesse, comique et tragique, hilarité et colère sont les deux faces de l’ambivalence du grotesque. Tout dépend de l’acte de communication entre le locu- teur et l’auditoire: c’est que, face au grotesque, le rire résulte de l’impossibilité de communication; lorsque la communication se rend possible, l’hilarité se mue en colère. L’Homme qui rit est l’un des textes de Hugo où le grotesque tient le plus de place; grotesque par la juxtaposition des qualités, grotesque aussi par le caractère monstrueux du protagoniste (vid. Ubersfeld, 1974: 481). Par son visage difforme et par son rire éternel, “Gwynplaine [est] un clown, un bateleur, un saltimbanque, un grotesque” (IIe partie, II, III; 1982: 349-350); sur ce point, il rejoint Quasimodo. Mais, il n’y a pas que le visage. Dans son étude sur la parole grotesque, Pierre Savoie a bien montré que Gwynplaine se trouve “fracturé” face au monde; il en va de même pour sa parole, qui devient ambivalente. Ainsi, à la chambre des lords, la parole de Gwynplaine est vaine et provoque tantôt l’hilarité générale, tantôt l’indi- gnation. “L’écart entre l’énoncé et le locuteur provoque chez les auditeurs une sur- prise. Celle-ci crée un effet comique qui ne se dément plus, d’autant plus comique que les propos de Gwynplaine se font tragiques” (Savoie, 1995: 187). Le change- ment subit d’interlocuteurs –lorsqu’il parle aux commis– n’améliore point l’affaire: “Ici Gwynplaine se tourna vers les sous-clercs agenouillés qui écrivaient sur le qua- trième sac de laine. – […] Levez-vous, vous êtes des hommes. / Cette brusque apos- José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 122 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2006, 21, 115-124
  • 9. trophe à des subalternes qu’un lord ne doit pas même apercevoir, mit le comble aux joies. On avait crié bravo, on cria hurrah! Du battement des mains on passa au tré- pignement” (IIe partie, VIII, VII; 1982: 290). Dans ce succédané de conversation, seuls les lords qui le prennent au sérieux se fâchent contre Gwynplaine, les autres rient du grotesque cramponné au sublime. On a ainsi deux ripostes face au grotesque de la parole ambivalente: la colère et l’hilarité. Si la colère est le fruit d’une communication où les personnages sont confrontés à une réalité incommode et fâcheuse, l’hilarité résulte d’une impossibi- lité de communication où l’auditoire, incapable d’entendre, ne voit que le rabaisse- ment du sublime. Ce n’est là qu’une manifestation de la structure duelle des romans hugoliens; il y en a d’autres, comme le clivage net des personnages: dans L’Homme qui rit, Bar- kilphedro s’oppose à Ursus comme Josiane à Dea et Lord David à Gwynplaine (vid. Peyrache-Leborgne, 1997: 326-329). La tension provoquée par ces doublets anti- thétiques, symbiose de grotesque et de sublime, illustre les multiples parcours de rédemption accomplis par les héros. L’innovation que Victor Hugo introduit dans la tradition littéraire est que, pour lui, il ne peut avoir de représentation du sublime sans représentation du grotesque: face aux classiques, aux préromantiques et au rationalisme kantien, les deux caté- gories esthétiques vont de pair à partir de l’avènement du romantisme. Ceci n’im- plique aucun mélange du sublime avec le grotesque, mais plutôt une juxtaposition de qualités, fruit du rabaissement de l’esprit sur la matière. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BAKHTINE, M. (1970, rééd. 1998): L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard. COLLOT, M. (1985), “L’esthétique baroque dans l’Homme qui rit”, in “L’Homme qui rit” ou la parole-monstre de Victor Hugo, Paris, Sedes. DUITS, Ch. (1975), Victor Hugo. Le grand échevelé de l’air, Paris, Pierre Belfond. HUGO, V. (1950, rééd. 1984), La Légende des Siècles. La Fin de Satan. Dieu, éd. J. Truchet, Paris, Pléiade. — (1963, rééd. 1985), Préface de Cromwell, dans Théâtre complet de Victor Hugo, I, éd. J.- J. Thierry et J. Mélèze, Paris, Pléiade. — (1964, rééd. 1986), Théâtre complet de Victor Hugo, II, éd. J.-J. Thierry et J. Mélèze, Paris, Pléiade. — (1975), Notre-Dame de Paris, 1482. Les Travailleurs de la mer, éd. J. Seebacher et Y. Gohin, Paris, Pléiade. — (1982, 2000), L’Homme qui rit, Paris, Flammarion, “GF”, introd. M. Eigeldinger et G. Schaeffer, chron. et notes G. Schaeffer. — (1985), Critique, présentation de J.-P. Reynaud, Paris, Robert Laffond. KAYSER, W. (1968), The Grotesque in Art and Literature, Gloucester, Peter Smith. ONIMUS, J. (1966), “Le grotesque et l’expérience de la ‘lucidité’”, Revue d’Esthétique, 19, 290-299. José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 123 2006, 21, 115-124
  • 10. PEYRACHE-LEBORGNE, D. (1997), La Poétique du sublime de la fin des Lumières au roman- tisme, Paris, Honoré Champion. RICHARD, J.-P. (1970), Études sur le romantisme, Paris, Seuil. ROSEN, E. (1991), Sur le grotesque. L’ancien et le nouveau dans la réflexion esthétique, Paris, Presses Universitaires de France. SAVOIE, P. (1995), L’Esthétique grotesque et “l’Homme qui rit” de Victor Hugo, thèse de doctorat, Université de Montréal. UBERSFELD, A. (1974), Le Roi et le bouffon. Étude sur le théâtre de Hugo de 1830 à 1839, Paris, José Corti. José Manuel Losada Víctor Hugo y lo grotesco 124 Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses 2006, 21, 115-124