SlideShare une entreprise Scribd logo
1  sur  7
Télécharger pour lire hors ligne
LA RÉCEPTION DU RÉALISME ESPAGNOL EN FRANCE
Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle. Didier Souiller (éd.),
Dijon: Presses de l’Université de Bourgogne, 2002, p. 121-130
Les études littéraires ont longtemps véhiculé l’idée, à l’évidence simpliste, que l’impression de
réalisme naissait d’une description de la réalité extérieure, notamment celle du quotidien. A cela on
ajoutera une certaine tendance, perceptible aujourd’hui encore, à insister sur le côté technique des
ouvrages espagnols au détriment du côté psychologique. Cela va parfois jusqu’à réduire les
compositions espagnoles et celles de leurs adaptateurs à un amalgame de bonnes intrigues. Ces pages
voudraient montrer que le sens du réel venu d’Espagne est également d’ordre psychologique et que
c’est précisément pour cela que la littérature française l’a si bien accueilli dans la première moitié du
XVIIe siècle.
Prenons l’exemple d’une comédie: Le Gouvernement de Sanche Pansa, de Guyon Guérin de
Bouscal, adaptée du Don Quijote de la Mancha, de Cervantès (2e partie, chap. 44-53).
La pièce de Guérin de Bouscal est la troisième de sa célèbre trilogie. On y trouve un curieux
mélange de réel et d’irréel, car les limites de l’un et de l’autre ne sont pas nettement cernées. Sanche
Pansa est nommé gouverneur de l’île: il doit la régir et y administrer la justice. Dans l’esprit du
protagoniste, la réalité coïncide avec ce qu’il voit et il entend; plus précisément, avec l’interprétation
de ce qu’il voit et entend. En revanche, dans celui des autres personnages, la réalité vue par Sanche
n’est qu’une farce préparée d’avance. Tout comme dans l’original espagnol, l’écuyer croit vraiment à
sa nomination comme gouverneur de l’île: c’est l’accomplissement d’une promesse de son maître.
Tout le monde est de mèche et collabore au déroulement de la tromperie.
L’accueil enthousiaste fait au nouveau gouverneur lors de son arrivée dans l’île a pour but de
le ridiculiser. Tout concourt à augmenter l’illusion de l’écuyer, surtout les jugements, ici au nombre
de trois: celui du paysan (II, 3), celui de l’Égyptienne (III, 2) et celui du filou (III, 4-5). Dans le premier
jugement, Campusane, jouant le paysan, présente plusieurs plaintes au gouverneur, puis lui demande
cinq ou six cents ducats et se fait aussitôt renvoyer. Dans le second jugement, l’Égyptienne dénonce
un paysan qui lui a volé six ducats: le gouverneur découvre la vérité et renvoie dos à dos l’accusatrice
et l’accusé. Dans le troisième jugement, le maître d’hôtel du duc présente au juge le filou Basile, surpris
en train de voler un marchand. Sanche, dont le Docteur et Don Quixot doivent tempérer le zèle et
l’impatience à plusieurs reprises, s’enquiert auprès de ses sujets, dévoile des pans de vérité et prononce
des sentences non exemptes de justice.
Ces épisodes sont significatifs: le gouverneur n’a pas dévoilé la vérité pure et simple, mais la
vérité dans le mensonge; quant à ses verdicts, ils sont destinés à rétablir la justice dans un monde où
l’injustice est feinte, certes, mais dans la représentation seulement que ce monde se donne de lui-
même. Regardée de près, la réalité montre sa face une et multiple. Aux yeux de l’écuyer, elle est simple:
c’est celle que lui montrent ses yeux; la coïncidence, pense-t-il, est parfaite. Il en va tout autrement
pour les autres personnages. Il y a, d’abord, ce qu’ils voient: un écuyer devenu si facilement
gouverneur (c’est là, précisément, le sens du nom de l’île dans l’original espagnol: ínsula Barataria, de
barato, car son maître l’a eue à très bon marché); il y a, ensuite, ce qu’ils savent: que les mets ne lui
sont présentés que par divertissement, que les ennemis de l’île sont chimériques. Tout se passe comme
dans un théâtre, où seuls les spectateurs sont censés connaître non seulement la réalité mais la vérité;
il y a, enfin, ce que voyaient les spectateurs réels de Guérin de Bouscal et que nous, lecteurs, savons:
2
2
la pièce est conçue selon la technique du théâtre dans le théâtre. C’est dans cette mise en abîme qu’est
dévoilée la dernière réalité et, partant, la vérité totale.
La technique utilisée mérite attention. Chez Guérin, il s’agit de théâtre dans le théâtre, alors
que chez Cervantès il s’agit, à proprement parler, “du théâtre dans le roman” (sauf qu’ici le
protagoniste ignore qu’il joue un rôle sur des planches). Dans les deux cas il se produit un effet fictif
comparable à celui que provoque tout récit métadiégétique. Cervantès l’avait utilisé auparavant pour
un autre épisode célèbre: celui du Curieux impertinent (1e partie, chap. 33-35); sa reprise par Baudoin
(1608), Oudin (1608), Brosse le Jeune (1645) et le comédien Marcel (1672), prouve sa bonne réception
en France.
De fait, la technique donne des résultats de qualité. Un degré de fiction est obtenu: ceux qui
sont sains d’esprit trompent ceux qui sont fous; le spectateur, lui aussi, se range du côté des sains,
sans se rendre compte que ce n’est, somme toute, qu’une fiction. Mieux, grâce à ce procédé, la scène
gagne en réalisme, dans un des sens actuels du mot: du coup, le spectateur croit davantage à l’épisode
et le pacte de fiction est plus fortement scellé. Ici deux traits méritent d’être relevés: en premier lieu,
la modification artificielle de la réalité par ceux qui sont sains d’esprit, et qui se proposent de tromper
les fous; en deuxième lieu et surtout, la valeur psychologique de cette modification: elle n’a lieu que
dans le for intérieur du protagoniste.
D’autres exemples pourraient confirmer cette collaboration d’éléments structurels et
psychologiques. Qu’on songe à La Force du sang, tragi-comédie d’Alexandre Hardy, adaptation de la
novela de Cervantès La fuerza de la sangre. Les réactions successives de Léocadie et de Rodolphe, victime
et bourreau respectivement, sont dépeintes avec une tension dramatique considérable. Contrairement
à ce qui se passe dans l’œuvre de Guérin de Bouscal, chez Hardy l’illusion de réalisme est plus subtile,
sans doute parce qu’elle est plus profonde. La tension dramatique, notamment lors de la
reconnaissance finale, augmente sans que l’auteur ait recours à des imbroglios et à des péripéties.
Ainsi, ce jeu mêlé de technique et de profondeur psychologique est très apprécié des
dramaturges français de la première moitié du XVIIe siècle. Plusieurs écrits théoriques de dramaturges
et de romanciers permettent de le comprendre.
Sorel admire les ouvrages espagnols, notamment ceux de Cervantès. Ses Nouvelles françaises
(1623), en fournissent implicitement la preuve. Une simple lecture permet de se rendre compte à quel
point il emprunte une grande partie de la technique de Cervantès. Comme le romancier espagnol, il
choisit souvent des intrigues qui offrent des possibilités de rebondissements; il approfondit des
épisodes, s’attarde sur des phrases. Chez lui, la nouvelle se coule dans le moule romanesque du modèle
espagnol. Les novelas espagnoles comptent certainement pour beaucoup dans la tournure réaliste de
l’art de Sorel, et c’est en partie au moins sous leur influence qu’il essaie, en insistant sur toutes sortes
de petits détails familiers, de donner un certain degré de vraisemblance à ses récits même les plus
franchement romanesques. Ses Nouvelles françaises passent pour un authentique essai d’adaptation du
type espagnol au goût français (vid. Hainsworth, 1933: 128-131, Godenne, 1970: 30-31 et Losada,
1999: 154).
D’ailleurs, dans sa Bibliothèque française, plus tardive, Sorel souligne bien la nouveauté des novelas
espagnoles. Dans la section intitulée: “Des romans vraisemblables et des nouvelles”, après avoir
évoqué la “barbarie” des romans de Nervèze et de ses émules, il note que les lecteurs de bon goût
s’en garantissaient par la lecture de L’Astrée; il ajoute ensuite:
On commençait aussi de connaître ce que c’était des choses vraisemblables par de petites
narrations dont la mode vint, qui s’appelaient des nouvelles. On les pouvait comparer aux histoires
véritables de quelques accidents particuliers des hommes. Nous avions déjà vu les Nouvelles de Boccace
et celles de la reine de Navarre. Le livre du Printemps d’Yver avait été estimé fort agréable pour les cinq
3
3
nouvelles qu’on y racontait. Nous avions vu encore les Histoires tragiques de Bandel, qu’on avait traduites
d’Italien, qui étaient autant de nouvelles, mais les Espagnols nous en donnèrent de plus naturelles et
de plus circonstanciées, qui furent les Nouvelles de Miguel de Cervantes, remplies de naïvetés et
d’agréments. On a vu depuis celles de Montalban1 et quelques autres qui ont toutes eu grand cours, à
cause que les dames les pouvaient lire sans appréhension, au lieu que quelques-unes d’auparavant
étaient fort condamnées, comme celles de Boccace, qui sont de très mauvais exemple (1664: 159-160;
1667: 178-179).
La différence que Sorel fait entre la nouvelle italienne et la nouvelle espagnole est nette. Toutes
les deux sont vraisemblables, dans le sens qu’elles excluent les prouesses surhumaines des héros
romanesques. Mais les nouvelles espagnoles ne sont pas immorales et leur récit est moins
schématique, plus détaillé, plus chargé d’événements que celui des nouvelles antérieures. Enfin, elles
sont plus “naturelles”, terme capital pour l’époque (vid. Deloffre, 1967: 19). Retraçant le parcours de
la nouvelle en France, Sorel en vient à parler de celles que lui-même a écrites; il avoue, avec une
simplicité forte louable, qu’il préfère les récits venus d’Espagne:
Incontinent on en vit d’originaires de ce pays-ci; on imprima les Nouvelles Françaises, qui dans leur seconde
édition ayant été augmentées, ont été appelées les Nouvelles choisies. On y trouve quelque invention pour
les divers incidents, mais il semble que la naïveté ne s’y rencontre pas tant qu’à celles des Espagnols
(1664: 160; 1667: 179).
Au chapitre XXI de la première partie du Roman comique on lit encore que les Espagnols ont
[…] le secret de faire de petites histoires, qu’ils appellent Nouvelles, qui sont bien plus à notre usage et
plus à la portée de l’humanité que ces héros imaginaires de l’Antiquité qui sont quelquefois incommodes
à force d’être trop honnêtes gens (1981: 185).
Scarron admire surtout le naturel des novelas espagnoles, auxquelles il oppose justement le
caractère irréel (“imaginaire”) des héros de l’antiquité. Le mode d’être imaginaire s’applique aux êtres
de raison dont l’existence dépend du sujet qui se les représente: Cassandre, Cléopâtre, Cyrus, et, dans
un cadre historique moderne, Polexandre, sont des héros autant imaginaires qu’invraisemblables. En
revanche, ces histoires espagnoles dont Scarron parle sont plus à la portée du public, précisément
parce que leurs personnages n’ont pas ce caractère imaginaire des héros de roman qui viennent d’être
évoqués. Ainsi, de même que le caractère imaginaire des récits anciens était cause de leur impression
d’irréalité, le caractère humain des nouvelles espagnoles est cause de leur impression de réalité.
C’est pourquoi Scarron, admirateur du genre vraisemblable et bien fait des Espagnols, leur
emprunte ces récits à la fois actuels et alertes, pour les insérer dans son Roman comique.
Il en va de même pour les Novelas de María de Zayas, dont la critique a souligné l’aspect “pré-
réaliste”: ancrées dans la société espagnole de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, elles
permettent au lecteur de croire à la réalité de tel ou tel personnage, tous des êtres mortels et investis
d’une certaine mediocritas absente chez les héros des Anciens (Ventura, 2000: 342).
On constate que Sorel et Scarron avaient des perceptions différentes de ce qu’étaient les
bonnes mœurs: ce qui était perçu comme comportement naïf chez le premier est devenu sagesse chez
le second. C’est un point qui a son importance. Face au dévergondage des Italiens (Boccace
notamment), Sorel préfère la candeur des Espagnols; pour sa part, face à l’excès d’honnêteté des
Anciens, Scarron préfère la discrète dose de passion des Espagnols. Leur niveau d’exigence morale
est différent: Sorel récuse le laxisme des Italiens; Scarron, moins rigoriste, rejette l’excessive rigueur
1
Sans doute Sorel parle-t-il des Sucesos y prodigios de amor et du Para todos, traduits par Rampalle et Vanel: Les Nouvelles de
Montalbán et La Semaine de Montalbán, respectivement.
4
4
des Anciens. Toujours est-il que les Espagnols occupent le bon milieu. C’est normal: la mentalité de
la critique littéraire de l’époque voulait que les extrêmes fussent bannis; de la sorte, le comportement
discrètement passionné des personnages espagnols attirait les romanciers et les théoriciens d’alors
autant que la conjonction de vertu et de vice des personnages devait attirer, à peine une dizaine
d’années plus tard et sur les traces d’Aristote, les dramaturges et les poéticiens classiques. Quelques
précisions sur ce point nous permettront d’approfondir notre sujet.
Sorel parle de “choses vraisemblables”; c’est une allusion à l’une des règles classiques. Une
petite nuance sépare cependant sa conception de la règle telle que les doctes l’entendent: chez lui un
récit vraisemblable peut être comparé à un récit véritable, et un récit est véritable parce qu’il est: est
effectivement arrivé à un homme (Sorel parle des “accidents particuliers des hommes”: accidens, qui
survient, au sens classique). Ici, contrairement à la doctrine classique, les “choses vraisemblables”
sont assimilables aux choses réellement survenues, dont la valeur de vérité ne saurait être négligée.
Les nouvelles des Espagnols sont plus “naturelles”: ut pictura poesis A l’âge classique,
l’application de la formule horacienne, avec les lumières du génie et du goût, permet de faire plus vrai
(Bray, 1969: 141). L’écrivain classique a le souci du naturel, et la célèbre formule du Latin “exprime
la conformité de l’œuvre d’art à un modèle idéal qu’on appelle conventionnellement la nature” (Bray,
1969: 143). Ce souci du naturel remonte au XVIe siècle, à Ronsard, se poursuit pendant la génération
de Richelieu chez la plupart des théoriciens, et s’étend sans conteste chez tous les classiques
(Chapelain, qui couvre deux générations, loue la “naïveté” et les “couleurs naturelles” des Contes de
La Fontaine, 1883, I: 519; Boileau proclame: “Jamais de la nature il ne faut s’écarter”, Art poétique, III,
v. 414; les P. Rapin et Bouhours sont du même avis; vid. Bray, 1969: 144-145).
Sorel n’a pas cependant en tête le référent classique, mais celui de la tradition romanesque. A
la suite de l’Astrée, la peinture dont parlent les théoriciens n’est nullement la nature du dehors, mais
celle du dedans. Les préfaces d’Urfé présentent, par l’emploi de la première personne du singulier,
par la dimension eulogique et par l’affirmation d’une intention proche de l’autobiographie, un
véritable hiatus avec le roman précédent (vid. Lavocat, 1998: 310). La nature dont parlent les critiques
n’est pas la nature extérieure, mais la nature psychologique:
Un discours où on ne parle que de bois, de rivières, de prés, de campagnes, de jardins, fait sur nous une
impression bien languissante, à moins qu’il n’ait des agréments tout nouveaux; mais ce qui est de
l’humanité, les penchants, les tendresses, les affections, trouvent naturellement au fond de notre âme à
se faire sentir: la même nature les produit et les reçoit, ils passent aisément des hommes qu’on représente,
en des hommes qui voient représenter (Saint-Évremond, 1711, III: 47);
très semblables avaient été les commentaires de La Mesnardière, de Subligny, de Scudéry et de
tant d’autres (vid. Bray, 1969: 157).
En général, le but des théoriciens classiques ne s’arrête pas là: ils ne cherchent pas tant à imiter
la nature qu’à l’embellir. L’imitation classique, libérale en ce point, préfère l’arrangement de la nature:
cela explique l’exclusion généralisée de la laideur. Ce point est de première importance, car la laideur
n’existe que par rapport à la beauté (la définition romantique du grotesque est là pour le prouver). Il
s’ensuit que la beauté des classiques n’est pas de ce monde, qu’elle est une beauté conventionnelle.
Notre hypothèse est que Sorel, Scarron et tant d’autres ont apprécié chez les Espagnols non
pas ce genre de beauté, mais une beauté faite chair; non pas une beauté idéale, mais une représentation
plausible. Il suffit de penser à l’écuyer de Don Quichotte. Le physique de Sanche est seulement à la
hauteur de ses manières et de sa civilité; son port, ses défauts (bavardage et goinfrerie) ne sauraient
attirer ni l’attention d’un observateur impartial ni exciter la malveillance d’un théoricien classique.
Une lecture attentive du roman de Cervantès montre la loyauté et la sincérité profondes de ce rustre
villageois.
5
5
Qu’on songe encore aux Nouvelles exemplaires dont parlent les auteurs du Roman comique et du
Roman bourgeois: elles reflètent la vie telle qu’elle est. Dans La Force du sang, par exemple, Cervantès
prête peu d’attention au Tage ou à la ville de Tolède, et nulle description de la scène de viol n’est faite,
pas plus que des intrigues concernant le jeune homme ou ses amis. L’intérêt est centré sur le véritable
drame psychologique que vit la protagoniste Léocadie, rejetée par la société, recluse entre les quatre
murs de la maison de ses parents, réduite à enfanter dans le déshonneur familial. Cervantès, comme
Pérez de Montalbán et tant d’autres, est un écrivain qui peint la nature humaine sans la déformer et
c’est cela, précisément, ce que les écrivains préclassiques ont apprécié.
Il y a eu toujours des théoriciens qui s’en sont pris à cette manière de peindre la nature humaine.
Les griefs viennent très souvent d’une curieuse combinaison d’esprit académique et de préjugés
psychologiques non exempts d’un certain philistinisme. Ainsi les deviseurs de la Critique du livre de
Dom Quichotte de la Manche (Perrault, 1679) s’en prennent au mélange du plaisant et du sérieux, à la
longueur, au titre; ils trouvent que Cervantès pèche contre la vraisemblance dans les incidents et
contre la bienséance dans les discours des personnages; ces défauts, ajoute Eudoxe, ne sont pas tous
de l’auteur du roman: l’humeur vaine de l’Espagne entière y est aussi pour quelque chose (vid. Bardon,
1931: 233-234 et 305-314). Il convient de remarquer que l’imputation de ces défauts, à l’auteur et à
son pays, est une pratique habituelle des doctes: on la trouve également chez Chapelain, chez Balzac,
et plus tard, chez Voltaire.
Une exception de ces classiques cultivés est Saint-Évremond, déjà cité. En dépit d’un penchant
non dissimulé pour l’Angleterre, cet exilé n’en avoue pas moins sa faiblesse pour l’œuvre de
Cervantès. Sa proverbiale ouverture d’esprit lui fait apprécier la diversité des caractères de Don
Quichotte, “qui sont les plus recherchés du monde pour l’espèce, et dans leur espèce les plus naturels”
(1962-1969, IV: 115-116). Peut-être son relativisme esthétique l’a-t-il conduit à cette réflexion; mais il
est fort symptomatique que le défenseur de la nature psychologique se soit épris du chef-d’œuvre
espagnol. Il a ressenti dans sa lecture ce que bien auparavant avaient éprouvé Scarron et Sorel.
Bon nombre d’auteurs et de critiques ont su apprécier et rendre l’impression de réalité qui
imprègne les récits des Espagnols. Elle repose autant sur la technique employée que sur le souci de
vraisemblance et de naturel psychologique; une vraisemblance et un naturel fort éloignés de la
doctrine classique, mais également fort goûtés chez nous à l’époque qu’on dit trop uniformément
classique.
Bibliographie
Textes d’époque et éditions modernes
BAUDOUIN (Nicolas), Le Curieux impertinent. El Curioso impertinente. Traduit d’espagnol en français par N. Baudouin,
Paris: J. Richer, 1608.
BROSSE (le Jeune), Le Curieux impertinent, ou le Jaloux, comédie, Paris: N. de Sercy et M. Blageart, 1645.
CHAPELAIN (Jean), Lettres, publiées par Ph. Tamizey de Larroque, Paris: Imprimerie Nationale, 2 vol., 1880-
1883.
COTOLENDI (Charles), Arlequiniana, ou les Bons Mots, les histoires plaisantes et agréables, recueillies des conversations
d’Arlequin, Paris: F. et P. Delaulne et M. Brunet, 1694.
GUÉRIN DE BOUSCAL (Guyon), Le Gouvernement de Sanche Pansa, Paris: A. de Sommaville et A. Courbé, 1642.
HARDY (Alexandre), La Force du sang, in Le Théâtre, Paris: J. Quesnel, t. III, 1624-1628.
MARCEL (comédien), Le Mariage sans mariage, comédie, Paris: Le Monnier, 1672.
6
6
OUDIN (César), La Silva curiosa de Julián de Medrano, caballero navarro, en que se tratan diversas cosas sutilísimas y curiosas,
muy convenientes para damas y caballeros, en toda conversación virtuosa y honesta. Corregida en esta nueva edición y
reducida a mejor lectura por César Oudin, Paris: M. Orry, 1608.
SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, éd. Des Maizeaux, Londres: Jacob Tonson, 7 vol., 1711.
– Œuvres en prose, textes publiés avec introduction, notices et notes par René TERNOIS, Paris, STFM, 4 vol., 1962-
1969.
SCARRON (Paul), Le Roman comique, texte établi, présenté et annoté par Yves Giraud, Paris: Flammarion, 1981.
SOREL (Charles), La Bibliothèque française de M. C. Sorel, ou Le choix et l’examen des livres français qui traitent de
l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des mœurs, Paris: La Compagnie des Libraires, 1664.
– La Bibliothèque française. Seconde édition revue et augmentée, Genève: Slatkine Reprints, 1970; réimpr. de l’éd. de
Paris, 1667.
Œuvres de critique
BRAY (René), La Formation de la doctrine classique en France, Paris: Nizet, 1966.
DELOFFRE (Frédéric), La Nouvelle en France à l’âge classique, Paris: Didier, 1967.
GODENNE (René), Histoire de la nouvelle française aux XVIIe
et XVIIIe
siècles, Genève: Droz, 1970.
LAVOCAT (Françoise), Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris: Honoré Champion, 1998.
HAINSWORTH (Georges), Les “Novelas exemplares” de Cervantès en France au XVIIe
siècle. Contribution à l’étude de la
nouvelle en France, Paris: Honoré Champion, 1933.
LOSADA (José Manuel), Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVIIe
siècle, Genève: Droz, 1999.
MAZOUER (Charles), “L’illusion dans la trilogie de Guérin de Bouscal”, Cahiers de l’Association Internationale des
Études Françaises, 48 (1996): 165-184.
ROUSSET (Jean), La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon, Paris: Corti, 1954.
SERROY (Jean), Roman et réalité. Les histoires comiques au XVIIe
siècle, Paris: Minard, 1981.
VENTURA (Daniela), “L’influence de la nouvelle espagnole dans Le Roman comique de Scarron”, in VII Coloquio
APFFUE, Cádiz: Servicio de Publicaciones de la Universidad de Cádiz, 2000, t. I: 339-346.
7
7

Contenu connexe

Similaire à La réception du réalisme espagnol en France.pdf

Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
Universidad Complutense de Madrid
 
Borges l'aleph (1952)
Borges   l'aleph (1952)Borges   l'aleph (1952)
Borges l'aleph (1952)
anattaembe
 

Similaire à La réception du réalisme espagnol en France.pdf (20)

Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
Molière et la comedia espagnole. Le Linceul de Pénélope. L'exemple de Dom Jua...
 
Le legs de l’histoire dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. I...
Le legs de l’histoire dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. I...Le legs de l’histoire dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. I...
Le legs de l’histoire dans le théâtre espagnol et français du XVIIe siècle. I...
 
Agrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and JarousskyAgrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
Agrippina, from Cyrano to Handel and Jaroussky
 
Une petite histoire du théâtre [enregistrement automatique]
Une petite histoire du théâtre [enregistrement automatique]Une petite histoire du théâtre [enregistrement automatique]
Une petite histoire du théâtre [enregistrement automatique]
 
Borges - l'aleph (1952)
Borges - l'aleph (1952)Borges - l'aleph (1952)
Borges - l'aleph (1952)
 
Borges l'aleph (1952)
Borges   l'aleph (1952)Borges   l'aleph (1952)
Borges l'aleph (1952)
 
Le comte de Monte-Cristo
Le comte de Monte-CristoLe comte de Monte-Cristo
Le comte de Monte-Cristo
 
Pres intro roman
Pres intro romanPres intro roman
Pres intro roman
 
Giraudoux et l’Espagne.pdf
Giraudoux et l’Espagne.pdfGiraudoux et l’Espagne.pdf
Giraudoux et l’Espagne.pdf
 
Descriptif Reys - Ribeaupierre 2010
Descriptif Reys - Ribeaupierre 2010Descriptif Reys - Ribeaupierre 2010
Descriptif Reys - Ribeaupierre 2010
 
Le mythe d’Iphigénie en Espagne et sa réception à travers la France.pdf
Le mythe d’Iphigénie en Espagne et sa réception à travers la France.pdfLe mythe d’Iphigénie en Espagne et sa réception à travers la France.pdf
Le mythe d’Iphigénie en Espagne et sa réception à travers la France.pdf
 
La réception de La Fontaine en Espagne. La poétique d’Iriarte.pdf
La réception de La Fontaine en Espagne. La poétique d’Iriarte.pdfLa réception de La Fontaine en Espagne. La poétique d’Iriarte.pdf
La réception de La Fontaine en Espagne. La poétique d’Iriarte.pdf
 
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdfLes romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
Les romans de chevalerie en Espagne. Origine, tradition, innovation.pdf
 
Giraudoux Contes D Un Matin
Giraudoux Contes D Un MatinGiraudoux Contes D Un Matin
Giraudoux Contes D Un Matin
 
Hispanisme (Don Juan).pdf
Hispanisme (Don Juan).pdfHispanisme (Don Juan).pdf
Hispanisme (Don Juan).pdf
 
L’enlèvement de Mlle de Montmorency-Boutteville et de la fille de Lope de Veg...
L’enlèvement de Mlle de Montmorency-Boutteville et de la fille de Lope de Veg...L’enlèvement de Mlle de Montmorency-Boutteville et de la fille de Lope de Veg...
L’enlèvement de Mlle de Montmorency-Boutteville et de la fille de Lope de Veg...
 
Sur le caractère hispanique de Don Juan.pdf
Sur le caractère hispanique de Don Juan.pdfSur le caractère hispanique de Don Juan.pdf
Sur le caractère hispanique de Don Juan.pdf
 
zolaaaaaaaaaaaaaaa.pdf
zolaaaaaaaaaaaaaaa.pdfzolaaaaaaaaaaaaaaa.pdf
zolaaaaaaaaaaaaaaa.pdf
 
2
22
2
 
Dom juan Scène d' exposition - Acte I, scène 1
Dom juan  Scène d' exposition - Acte I, scène 1Dom juan  Scène d' exposition - Acte I, scène 1
Dom juan Scène d' exposition - Acte I, scène 1
 

Plus de Universidad Complutense de Madrid

Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdfMito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
Universidad Complutense de Madrid
 

Plus de Universidad Complutense de Madrid (20)

CompLit - Journal of European Literature, Arts and Society - n. 7 - Table of ...
CompLit - Journal of European Literature, Arts and Society - n. 7 - Table of ...CompLit - Journal of European Literature, Arts and Society - n. 7 - Table of ...
CompLit - Journal of European Literature, Arts and Society - n. 7 - Table of ...
 
The Referential Function of Myth - Excerpt.pdf
The Referential Function of Myth - Excerpt.pdfThe Referential Function of Myth - Excerpt.pdf
The Referential Function of Myth - Excerpt.pdf
 
Introduction - Mythical Narratives in Comparative European Literature - CompL...
Introduction - Mythical Narratives in Comparative European Literature - CompL...Introduction - Mythical Narratives in Comparative European Literature - CompL...
Introduction - Mythical Narratives in Comparative European Literature - CompL...
 
Mito y mitocrítica cultural, un itinerario personal.pdf
Mito y mitocrítica cultural, un itinerario personal.pdfMito y mitocrítica cultural, un itinerario personal.pdf
Mito y mitocrítica cultural, un itinerario personal.pdf
 
Mito - Teorías de un concepto controvertido - Introducción - Introduction.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido - Introducción - Introduction.pdfMito - Teorías de un concepto controvertido - Introducción - Introduction.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido - Introducción - Introduction.pdf
 
Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdfMito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
Mito - Teorías de un concepto controvertido.pdf
 
La vejez inmortal. Consideraciones sobre el mitema de la inmortalidad.pdf
La vejez inmortal. Consideraciones sobre el mitema de la inmortalidad.pdfLa vejez inmortal. Consideraciones sobre el mitema de la inmortalidad.pdf
La vejez inmortal. Consideraciones sobre el mitema de la inmortalidad.pdf
 
Mito y símbolo.pdf
Mito y símbolo.pdfMito y símbolo.pdf
Mito y símbolo.pdf
 
Mito y clasificación social.pdf
Mito y clasificación social.pdfMito y clasificación social.pdf
Mito y clasificación social.pdf
 
Hacia una mitocrítica de las emociones.pdf
Hacia una mitocrítica de las emociones.pdfHacia una mitocrítica de las emociones.pdf
Hacia una mitocrítica de las emociones.pdf
 
Fortunes et infortunes du précepte horatien 'utile dulci' dans la littérature...
Fortunes et infortunes du précepte horatien 'utile dulci' dans la littérature...Fortunes et infortunes du précepte horatien 'utile dulci' dans la littérature...
Fortunes et infortunes du précepte horatien 'utile dulci' dans la littérature...
 
El mito y la era digital.pdf
El mito y la era digital.pdfEl mito y la era digital.pdf
El mito y la era digital.pdf
 
Mito y antropogonía en la literatura hispanoamericana - Hombres de maíz, de M...
Mito y antropogonía en la literatura hispanoamericana - Hombres de maíz, de M...Mito y antropogonía en la literatura hispanoamericana - Hombres de maíz, de M...
Mito y antropogonía en la literatura hispanoamericana - Hombres de maíz, de M...
 
Cultural Myth Criticism and Today’s Challenges to Myth - Brill.pdf
Cultural Myth Criticism and Today’s Challenges to Myth - Brill.pdfCultural Myth Criticism and Today’s Challenges to Myth - Brill.pdf
Cultural Myth Criticism and Today’s Challenges to Myth - Brill.pdf
 
Révolution de l’image à l’avènement de la Modernité.pdf
Révolution de l’image à l’avènement de la Modernité.pdfRévolution de l’image à l’avènement de la Modernité.pdf
Révolution de l’image à l’avènement de la Modernité.pdf
 
La trascendencia de la ciencia ficción.pdf
La trascendencia de la ciencia ficción.pdfLa trascendencia de la ciencia ficción.pdf
La trascendencia de la ciencia ficción.pdf
 
Calderón de la Barca. 'El laurel de Apolo'.pdf
Calderón de la Barca. 'El laurel de Apolo'.pdfCalderón de la Barca. 'El laurel de Apolo'.pdf
Calderón de la Barca. 'El laurel de Apolo'.pdf
 
La littérature comparée et l’interculturel. L’exemple franco-espagnol.pdf
La littérature comparée et l’interculturel. L’exemple franco-espagnol.pdfLa littérature comparée et l’interculturel. L’exemple franco-espagnol.pdf
La littérature comparée et l’interculturel. L’exemple franco-espagnol.pdf
 
Péché et punition dans 'L’Abuseur de Séville'.pdf
Péché et punition dans 'L’Abuseur de Séville'.pdfPéché et punition dans 'L’Abuseur de Séville'.pdf
Péché et punition dans 'L’Abuseur de Séville'.pdf
 
La concepción del honor en el teatro español y francés del siglo XVII. Proble...
La concepción del honor en el teatro español y francés del siglo XVII. Proble...La concepción del honor en el teatro español y francés del siglo XVII. Proble...
La concepción del honor en el teatro español y francés del siglo XVII. Proble...
 

Dernier

Bilan énergétique des chambres froides.pdf
Bilan énergétique des chambres froides.pdfBilan énergétique des chambres froides.pdf
Bilan énergétique des chambres froides.pdf
AmgdoulHatim
 
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdfCours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
ssuserc72852
 
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptxCopie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
ikospam0
 

Dernier (20)

Boléro. pptx Film français réalisé par une femme.
Boléro.  pptx   Film   français   réalisé  par une  femme.Boléro.  pptx   Film   français   réalisé  par une  femme.
Boléro. pptx Film français réalisé par une femme.
 
Formation qhse - GIASE saqit_105135.pptx
Formation qhse - GIASE saqit_105135.pptxFormation qhse - GIASE saqit_105135.pptx
Formation qhse - GIASE saqit_105135.pptx
 
Bilan énergétique des chambres froides.pdf
Bilan énergétique des chambres froides.pdfBilan énergétique des chambres froides.pdf
Bilan énergétique des chambres froides.pdf
 
Apolonia, Apolonia.pptx Film documentaire
Apolonia, Apolonia.pptx         Film documentaireApolonia, Apolonia.pptx         Film documentaire
Apolonia, Apolonia.pptx Film documentaire
 
Sidonie au Japon . pptx Un film français
Sidonie    au   Japon  .  pptx  Un film françaisSidonie    au   Japon  .  pptx  Un film français
Sidonie au Japon . pptx Un film français
 
Formation échiquéenne jwhyCHESS, parallèle avec la planification de projet
Formation échiquéenne jwhyCHESS, parallèle avec la planification de projetFormation échiquéenne jwhyCHESS, parallèle avec la planification de projet
Formation échiquéenne jwhyCHESS, parallèle avec la planification de projet
 
Les roches magmatique géodynamique interne.pptx
Les roches magmatique géodynamique interne.pptxLes roches magmatique géodynamique interne.pptx
Les roches magmatique géodynamique interne.pptx
 
Conférence Sommet de la formation 2024 : Développer des compétences pour la m...
Conférence Sommet de la formation 2024 : Développer des compétences pour la m...Conférence Sommet de la formation 2024 : Développer des compétences pour la m...
Conférence Sommet de la formation 2024 : Développer des compétences pour la m...
 
RAPPORT DE STAGE D'INTERIM DE ATTIJARIWAFA BANK
RAPPORT DE STAGE D'INTERIM DE ATTIJARIWAFA BANKRAPPORT DE STAGE D'INTERIM DE ATTIJARIWAFA BANK
RAPPORT DE STAGE D'INTERIM DE ATTIJARIWAFA BANK
 
Chapitre 2 du cours de JavaScript. Bon Cours
Chapitre 2 du cours de JavaScript. Bon CoursChapitre 2 du cours de JavaScript. Bon Cours
Chapitre 2 du cours de JavaScript. Bon Cours
 
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdfCours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
Cours Préparation à l’ISO 27001 version 2022.pdf
 
La mondialisation avantages et inconvénients
La mondialisation avantages et inconvénientsLa mondialisation avantages et inconvénients
La mondialisation avantages et inconvénients
 
Computer Parts in French - Les parties de l'ordinateur.pptx
Computer Parts in French - Les parties de l'ordinateur.pptxComputer Parts in French - Les parties de l'ordinateur.pptx
Computer Parts in French - Les parties de l'ordinateur.pptx
 
les_infections_a_streptocoques.pptkioljhk
les_infections_a_streptocoques.pptkioljhkles_infections_a_streptocoques.pptkioljhk
les_infections_a_streptocoques.pptkioljhk
 
La nouvelle femme . pptx Film français
La   nouvelle   femme  . pptx  Film françaisLa   nouvelle   femme  . pptx  Film français
La nouvelle femme . pptx Film français
 
GIÁO ÁN DẠY THÊM (KẾ HOẠCH BÀI DẠY BUỔI 2) - TIẾNG ANH 6, 7 GLOBAL SUCCESS (2...
GIÁO ÁN DẠY THÊM (KẾ HOẠCH BÀI DẠY BUỔI 2) - TIẾNG ANH 6, 7 GLOBAL SUCCESS (2...GIÁO ÁN DẠY THÊM (KẾ HOẠCH BÀI DẠY BUỔI 2) - TIẾNG ANH 6, 7 GLOBAL SUCCESS (2...
GIÁO ÁN DẠY THÊM (KẾ HOẠCH BÀI DẠY BUỔI 2) - TIẾNG ANH 6, 7 GLOBAL SUCCESS (2...
 
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptxCopie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
Copie de Engineering Software Marketing Plan by Slidesgo.pptx.pptx
 
Cours ofppt du Trade-Marketing-Présentation.pdf
Cours ofppt du Trade-Marketing-Présentation.pdfCours ofppt du Trade-Marketing-Présentation.pdf
Cours ofppt du Trade-Marketing-Présentation.pdf
 
L'expression du but : fiche et exercices niveau C1 FLE
L'expression du but : fiche et exercices  niveau C1 FLEL'expression du but : fiche et exercices  niveau C1 FLE
L'expression du but : fiche et exercices niveau C1 FLE
 
L application de la physique classique dans le golf.pptx
L application de la physique classique dans le golf.pptxL application de la physique classique dans le golf.pptx
L application de la physique classique dans le golf.pptx
 

La réception du réalisme espagnol en France.pdf

  • 1. LA RÉCEPTION DU RÉALISME ESPAGNOL EN FRANCE Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle. Didier Souiller (éd.), Dijon: Presses de l’Université de Bourgogne, 2002, p. 121-130 Les études littéraires ont longtemps véhiculé l’idée, à l’évidence simpliste, que l’impression de réalisme naissait d’une description de la réalité extérieure, notamment celle du quotidien. A cela on ajoutera une certaine tendance, perceptible aujourd’hui encore, à insister sur le côté technique des ouvrages espagnols au détriment du côté psychologique. Cela va parfois jusqu’à réduire les compositions espagnoles et celles de leurs adaptateurs à un amalgame de bonnes intrigues. Ces pages voudraient montrer que le sens du réel venu d’Espagne est également d’ordre psychologique et que c’est précisément pour cela que la littérature française l’a si bien accueilli dans la première moitié du XVIIe siècle. Prenons l’exemple d’une comédie: Le Gouvernement de Sanche Pansa, de Guyon Guérin de Bouscal, adaptée du Don Quijote de la Mancha, de Cervantès (2e partie, chap. 44-53). La pièce de Guérin de Bouscal est la troisième de sa célèbre trilogie. On y trouve un curieux mélange de réel et d’irréel, car les limites de l’un et de l’autre ne sont pas nettement cernées. Sanche Pansa est nommé gouverneur de l’île: il doit la régir et y administrer la justice. Dans l’esprit du protagoniste, la réalité coïncide avec ce qu’il voit et il entend; plus précisément, avec l’interprétation de ce qu’il voit et entend. En revanche, dans celui des autres personnages, la réalité vue par Sanche n’est qu’une farce préparée d’avance. Tout comme dans l’original espagnol, l’écuyer croit vraiment à sa nomination comme gouverneur de l’île: c’est l’accomplissement d’une promesse de son maître. Tout le monde est de mèche et collabore au déroulement de la tromperie. L’accueil enthousiaste fait au nouveau gouverneur lors de son arrivée dans l’île a pour but de le ridiculiser. Tout concourt à augmenter l’illusion de l’écuyer, surtout les jugements, ici au nombre de trois: celui du paysan (II, 3), celui de l’Égyptienne (III, 2) et celui du filou (III, 4-5). Dans le premier jugement, Campusane, jouant le paysan, présente plusieurs plaintes au gouverneur, puis lui demande cinq ou six cents ducats et se fait aussitôt renvoyer. Dans le second jugement, l’Égyptienne dénonce un paysan qui lui a volé six ducats: le gouverneur découvre la vérité et renvoie dos à dos l’accusatrice et l’accusé. Dans le troisième jugement, le maître d’hôtel du duc présente au juge le filou Basile, surpris en train de voler un marchand. Sanche, dont le Docteur et Don Quixot doivent tempérer le zèle et l’impatience à plusieurs reprises, s’enquiert auprès de ses sujets, dévoile des pans de vérité et prononce des sentences non exemptes de justice. Ces épisodes sont significatifs: le gouverneur n’a pas dévoilé la vérité pure et simple, mais la vérité dans le mensonge; quant à ses verdicts, ils sont destinés à rétablir la justice dans un monde où l’injustice est feinte, certes, mais dans la représentation seulement que ce monde se donne de lui- même. Regardée de près, la réalité montre sa face une et multiple. Aux yeux de l’écuyer, elle est simple: c’est celle que lui montrent ses yeux; la coïncidence, pense-t-il, est parfaite. Il en va tout autrement pour les autres personnages. Il y a, d’abord, ce qu’ils voient: un écuyer devenu si facilement gouverneur (c’est là, précisément, le sens du nom de l’île dans l’original espagnol: ínsula Barataria, de barato, car son maître l’a eue à très bon marché); il y a, ensuite, ce qu’ils savent: que les mets ne lui sont présentés que par divertissement, que les ennemis de l’île sont chimériques. Tout se passe comme dans un théâtre, où seuls les spectateurs sont censés connaître non seulement la réalité mais la vérité; il y a, enfin, ce que voyaient les spectateurs réels de Guérin de Bouscal et que nous, lecteurs, savons:
  • 2. 2 2 la pièce est conçue selon la technique du théâtre dans le théâtre. C’est dans cette mise en abîme qu’est dévoilée la dernière réalité et, partant, la vérité totale. La technique utilisée mérite attention. Chez Guérin, il s’agit de théâtre dans le théâtre, alors que chez Cervantès il s’agit, à proprement parler, “du théâtre dans le roman” (sauf qu’ici le protagoniste ignore qu’il joue un rôle sur des planches). Dans les deux cas il se produit un effet fictif comparable à celui que provoque tout récit métadiégétique. Cervantès l’avait utilisé auparavant pour un autre épisode célèbre: celui du Curieux impertinent (1e partie, chap. 33-35); sa reprise par Baudoin (1608), Oudin (1608), Brosse le Jeune (1645) et le comédien Marcel (1672), prouve sa bonne réception en France. De fait, la technique donne des résultats de qualité. Un degré de fiction est obtenu: ceux qui sont sains d’esprit trompent ceux qui sont fous; le spectateur, lui aussi, se range du côté des sains, sans se rendre compte que ce n’est, somme toute, qu’une fiction. Mieux, grâce à ce procédé, la scène gagne en réalisme, dans un des sens actuels du mot: du coup, le spectateur croit davantage à l’épisode et le pacte de fiction est plus fortement scellé. Ici deux traits méritent d’être relevés: en premier lieu, la modification artificielle de la réalité par ceux qui sont sains d’esprit, et qui se proposent de tromper les fous; en deuxième lieu et surtout, la valeur psychologique de cette modification: elle n’a lieu que dans le for intérieur du protagoniste. D’autres exemples pourraient confirmer cette collaboration d’éléments structurels et psychologiques. Qu’on songe à La Force du sang, tragi-comédie d’Alexandre Hardy, adaptation de la novela de Cervantès La fuerza de la sangre. Les réactions successives de Léocadie et de Rodolphe, victime et bourreau respectivement, sont dépeintes avec une tension dramatique considérable. Contrairement à ce qui se passe dans l’œuvre de Guérin de Bouscal, chez Hardy l’illusion de réalisme est plus subtile, sans doute parce qu’elle est plus profonde. La tension dramatique, notamment lors de la reconnaissance finale, augmente sans que l’auteur ait recours à des imbroglios et à des péripéties. Ainsi, ce jeu mêlé de technique et de profondeur psychologique est très apprécié des dramaturges français de la première moitié du XVIIe siècle. Plusieurs écrits théoriques de dramaturges et de romanciers permettent de le comprendre. Sorel admire les ouvrages espagnols, notamment ceux de Cervantès. Ses Nouvelles françaises (1623), en fournissent implicitement la preuve. Une simple lecture permet de se rendre compte à quel point il emprunte une grande partie de la technique de Cervantès. Comme le romancier espagnol, il choisit souvent des intrigues qui offrent des possibilités de rebondissements; il approfondit des épisodes, s’attarde sur des phrases. Chez lui, la nouvelle se coule dans le moule romanesque du modèle espagnol. Les novelas espagnoles comptent certainement pour beaucoup dans la tournure réaliste de l’art de Sorel, et c’est en partie au moins sous leur influence qu’il essaie, en insistant sur toutes sortes de petits détails familiers, de donner un certain degré de vraisemblance à ses récits même les plus franchement romanesques. Ses Nouvelles françaises passent pour un authentique essai d’adaptation du type espagnol au goût français (vid. Hainsworth, 1933: 128-131, Godenne, 1970: 30-31 et Losada, 1999: 154). D’ailleurs, dans sa Bibliothèque française, plus tardive, Sorel souligne bien la nouveauté des novelas espagnoles. Dans la section intitulée: “Des romans vraisemblables et des nouvelles”, après avoir évoqué la “barbarie” des romans de Nervèze et de ses émules, il note que les lecteurs de bon goût s’en garantissaient par la lecture de L’Astrée; il ajoute ensuite: On commençait aussi de connaître ce que c’était des choses vraisemblables par de petites narrations dont la mode vint, qui s’appelaient des nouvelles. On les pouvait comparer aux histoires véritables de quelques accidents particuliers des hommes. Nous avions déjà vu les Nouvelles de Boccace et celles de la reine de Navarre. Le livre du Printemps d’Yver avait été estimé fort agréable pour les cinq
  • 3. 3 3 nouvelles qu’on y racontait. Nous avions vu encore les Histoires tragiques de Bandel, qu’on avait traduites d’Italien, qui étaient autant de nouvelles, mais les Espagnols nous en donnèrent de plus naturelles et de plus circonstanciées, qui furent les Nouvelles de Miguel de Cervantes, remplies de naïvetés et d’agréments. On a vu depuis celles de Montalban1 et quelques autres qui ont toutes eu grand cours, à cause que les dames les pouvaient lire sans appréhension, au lieu que quelques-unes d’auparavant étaient fort condamnées, comme celles de Boccace, qui sont de très mauvais exemple (1664: 159-160; 1667: 178-179). La différence que Sorel fait entre la nouvelle italienne et la nouvelle espagnole est nette. Toutes les deux sont vraisemblables, dans le sens qu’elles excluent les prouesses surhumaines des héros romanesques. Mais les nouvelles espagnoles ne sont pas immorales et leur récit est moins schématique, plus détaillé, plus chargé d’événements que celui des nouvelles antérieures. Enfin, elles sont plus “naturelles”, terme capital pour l’époque (vid. Deloffre, 1967: 19). Retraçant le parcours de la nouvelle en France, Sorel en vient à parler de celles que lui-même a écrites; il avoue, avec une simplicité forte louable, qu’il préfère les récits venus d’Espagne: Incontinent on en vit d’originaires de ce pays-ci; on imprima les Nouvelles Françaises, qui dans leur seconde édition ayant été augmentées, ont été appelées les Nouvelles choisies. On y trouve quelque invention pour les divers incidents, mais il semble que la naïveté ne s’y rencontre pas tant qu’à celles des Espagnols (1664: 160; 1667: 179). Au chapitre XXI de la première partie du Roman comique on lit encore que les Espagnols ont […] le secret de faire de petites histoires, qu’ils appellent Nouvelles, qui sont bien plus à notre usage et plus à la portée de l’humanité que ces héros imaginaires de l’Antiquité qui sont quelquefois incommodes à force d’être trop honnêtes gens (1981: 185). Scarron admire surtout le naturel des novelas espagnoles, auxquelles il oppose justement le caractère irréel (“imaginaire”) des héros de l’antiquité. Le mode d’être imaginaire s’applique aux êtres de raison dont l’existence dépend du sujet qui se les représente: Cassandre, Cléopâtre, Cyrus, et, dans un cadre historique moderne, Polexandre, sont des héros autant imaginaires qu’invraisemblables. En revanche, ces histoires espagnoles dont Scarron parle sont plus à la portée du public, précisément parce que leurs personnages n’ont pas ce caractère imaginaire des héros de roman qui viennent d’être évoqués. Ainsi, de même que le caractère imaginaire des récits anciens était cause de leur impression d’irréalité, le caractère humain des nouvelles espagnoles est cause de leur impression de réalité. C’est pourquoi Scarron, admirateur du genre vraisemblable et bien fait des Espagnols, leur emprunte ces récits à la fois actuels et alertes, pour les insérer dans son Roman comique. Il en va de même pour les Novelas de María de Zayas, dont la critique a souligné l’aspect “pré- réaliste”: ancrées dans la société espagnole de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, elles permettent au lecteur de croire à la réalité de tel ou tel personnage, tous des êtres mortels et investis d’une certaine mediocritas absente chez les héros des Anciens (Ventura, 2000: 342). On constate que Sorel et Scarron avaient des perceptions différentes de ce qu’étaient les bonnes mœurs: ce qui était perçu comme comportement naïf chez le premier est devenu sagesse chez le second. C’est un point qui a son importance. Face au dévergondage des Italiens (Boccace notamment), Sorel préfère la candeur des Espagnols; pour sa part, face à l’excès d’honnêteté des Anciens, Scarron préfère la discrète dose de passion des Espagnols. Leur niveau d’exigence morale est différent: Sorel récuse le laxisme des Italiens; Scarron, moins rigoriste, rejette l’excessive rigueur 1 Sans doute Sorel parle-t-il des Sucesos y prodigios de amor et du Para todos, traduits par Rampalle et Vanel: Les Nouvelles de Montalbán et La Semaine de Montalbán, respectivement.
  • 4. 4 4 des Anciens. Toujours est-il que les Espagnols occupent le bon milieu. C’est normal: la mentalité de la critique littéraire de l’époque voulait que les extrêmes fussent bannis; de la sorte, le comportement discrètement passionné des personnages espagnols attirait les romanciers et les théoriciens d’alors autant que la conjonction de vertu et de vice des personnages devait attirer, à peine une dizaine d’années plus tard et sur les traces d’Aristote, les dramaturges et les poéticiens classiques. Quelques précisions sur ce point nous permettront d’approfondir notre sujet. Sorel parle de “choses vraisemblables”; c’est une allusion à l’une des règles classiques. Une petite nuance sépare cependant sa conception de la règle telle que les doctes l’entendent: chez lui un récit vraisemblable peut être comparé à un récit véritable, et un récit est véritable parce qu’il est: est effectivement arrivé à un homme (Sorel parle des “accidents particuliers des hommes”: accidens, qui survient, au sens classique). Ici, contrairement à la doctrine classique, les “choses vraisemblables” sont assimilables aux choses réellement survenues, dont la valeur de vérité ne saurait être négligée. Les nouvelles des Espagnols sont plus “naturelles”: ut pictura poesis A l’âge classique, l’application de la formule horacienne, avec les lumières du génie et du goût, permet de faire plus vrai (Bray, 1969: 141). L’écrivain classique a le souci du naturel, et la célèbre formule du Latin “exprime la conformité de l’œuvre d’art à un modèle idéal qu’on appelle conventionnellement la nature” (Bray, 1969: 143). Ce souci du naturel remonte au XVIe siècle, à Ronsard, se poursuit pendant la génération de Richelieu chez la plupart des théoriciens, et s’étend sans conteste chez tous les classiques (Chapelain, qui couvre deux générations, loue la “naïveté” et les “couleurs naturelles” des Contes de La Fontaine, 1883, I: 519; Boileau proclame: “Jamais de la nature il ne faut s’écarter”, Art poétique, III, v. 414; les P. Rapin et Bouhours sont du même avis; vid. Bray, 1969: 144-145). Sorel n’a pas cependant en tête le référent classique, mais celui de la tradition romanesque. A la suite de l’Astrée, la peinture dont parlent les théoriciens n’est nullement la nature du dehors, mais celle du dedans. Les préfaces d’Urfé présentent, par l’emploi de la première personne du singulier, par la dimension eulogique et par l’affirmation d’une intention proche de l’autobiographie, un véritable hiatus avec le roman précédent (vid. Lavocat, 1998: 310). La nature dont parlent les critiques n’est pas la nature extérieure, mais la nature psychologique: Un discours où on ne parle que de bois, de rivières, de prés, de campagnes, de jardins, fait sur nous une impression bien languissante, à moins qu’il n’ait des agréments tout nouveaux; mais ce qui est de l’humanité, les penchants, les tendresses, les affections, trouvent naturellement au fond de notre âme à se faire sentir: la même nature les produit et les reçoit, ils passent aisément des hommes qu’on représente, en des hommes qui voient représenter (Saint-Évremond, 1711, III: 47); très semblables avaient été les commentaires de La Mesnardière, de Subligny, de Scudéry et de tant d’autres (vid. Bray, 1969: 157). En général, le but des théoriciens classiques ne s’arrête pas là: ils ne cherchent pas tant à imiter la nature qu’à l’embellir. L’imitation classique, libérale en ce point, préfère l’arrangement de la nature: cela explique l’exclusion généralisée de la laideur. Ce point est de première importance, car la laideur n’existe que par rapport à la beauté (la définition romantique du grotesque est là pour le prouver). Il s’ensuit que la beauté des classiques n’est pas de ce monde, qu’elle est une beauté conventionnelle. Notre hypothèse est que Sorel, Scarron et tant d’autres ont apprécié chez les Espagnols non pas ce genre de beauté, mais une beauté faite chair; non pas une beauté idéale, mais une représentation plausible. Il suffit de penser à l’écuyer de Don Quichotte. Le physique de Sanche est seulement à la hauteur de ses manières et de sa civilité; son port, ses défauts (bavardage et goinfrerie) ne sauraient attirer ni l’attention d’un observateur impartial ni exciter la malveillance d’un théoricien classique. Une lecture attentive du roman de Cervantès montre la loyauté et la sincérité profondes de ce rustre villageois.
  • 5. 5 5 Qu’on songe encore aux Nouvelles exemplaires dont parlent les auteurs du Roman comique et du Roman bourgeois: elles reflètent la vie telle qu’elle est. Dans La Force du sang, par exemple, Cervantès prête peu d’attention au Tage ou à la ville de Tolède, et nulle description de la scène de viol n’est faite, pas plus que des intrigues concernant le jeune homme ou ses amis. L’intérêt est centré sur le véritable drame psychologique que vit la protagoniste Léocadie, rejetée par la société, recluse entre les quatre murs de la maison de ses parents, réduite à enfanter dans le déshonneur familial. Cervantès, comme Pérez de Montalbán et tant d’autres, est un écrivain qui peint la nature humaine sans la déformer et c’est cela, précisément, ce que les écrivains préclassiques ont apprécié. Il y a eu toujours des théoriciens qui s’en sont pris à cette manière de peindre la nature humaine. Les griefs viennent très souvent d’une curieuse combinaison d’esprit académique et de préjugés psychologiques non exempts d’un certain philistinisme. Ainsi les deviseurs de la Critique du livre de Dom Quichotte de la Manche (Perrault, 1679) s’en prennent au mélange du plaisant et du sérieux, à la longueur, au titre; ils trouvent que Cervantès pèche contre la vraisemblance dans les incidents et contre la bienséance dans les discours des personnages; ces défauts, ajoute Eudoxe, ne sont pas tous de l’auteur du roman: l’humeur vaine de l’Espagne entière y est aussi pour quelque chose (vid. Bardon, 1931: 233-234 et 305-314). Il convient de remarquer que l’imputation de ces défauts, à l’auteur et à son pays, est une pratique habituelle des doctes: on la trouve également chez Chapelain, chez Balzac, et plus tard, chez Voltaire. Une exception de ces classiques cultivés est Saint-Évremond, déjà cité. En dépit d’un penchant non dissimulé pour l’Angleterre, cet exilé n’en avoue pas moins sa faiblesse pour l’œuvre de Cervantès. Sa proverbiale ouverture d’esprit lui fait apprécier la diversité des caractères de Don Quichotte, “qui sont les plus recherchés du monde pour l’espèce, et dans leur espèce les plus naturels” (1962-1969, IV: 115-116). Peut-être son relativisme esthétique l’a-t-il conduit à cette réflexion; mais il est fort symptomatique que le défenseur de la nature psychologique se soit épris du chef-d’œuvre espagnol. Il a ressenti dans sa lecture ce que bien auparavant avaient éprouvé Scarron et Sorel. Bon nombre d’auteurs et de critiques ont su apprécier et rendre l’impression de réalité qui imprègne les récits des Espagnols. Elle repose autant sur la technique employée que sur le souci de vraisemblance et de naturel psychologique; une vraisemblance et un naturel fort éloignés de la doctrine classique, mais également fort goûtés chez nous à l’époque qu’on dit trop uniformément classique. Bibliographie Textes d’époque et éditions modernes BAUDOUIN (Nicolas), Le Curieux impertinent. El Curioso impertinente. Traduit d’espagnol en français par N. Baudouin, Paris: J. Richer, 1608. BROSSE (le Jeune), Le Curieux impertinent, ou le Jaloux, comédie, Paris: N. de Sercy et M. Blageart, 1645. CHAPELAIN (Jean), Lettres, publiées par Ph. Tamizey de Larroque, Paris: Imprimerie Nationale, 2 vol., 1880- 1883. COTOLENDI (Charles), Arlequiniana, ou les Bons Mots, les histoires plaisantes et agréables, recueillies des conversations d’Arlequin, Paris: F. et P. Delaulne et M. Brunet, 1694. GUÉRIN DE BOUSCAL (Guyon), Le Gouvernement de Sanche Pansa, Paris: A. de Sommaville et A. Courbé, 1642. HARDY (Alexandre), La Force du sang, in Le Théâtre, Paris: J. Quesnel, t. III, 1624-1628. MARCEL (comédien), Le Mariage sans mariage, comédie, Paris: Le Monnier, 1672.
  • 6. 6 6 OUDIN (César), La Silva curiosa de Julián de Medrano, caballero navarro, en que se tratan diversas cosas sutilísimas y curiosas, muy convenientes para damas y caballeros, en toda conversación virtuosa y honesta. Corregida en esta nueva edición y reducida a mejor lectura por César Oudin, Paris: M. Orry, 1608. SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, éd. Des Maizeaux, Londres: Jacob Tonson, 7 vol., 1711. – Œuvres en prose, textes publiés avec introduction, notices et notes par René TERNOIS, Paris, STFM, 4 vol., 1962- 1969. SCARRON (Paul), Le Roman comique, texte établi, présenté et annoté par Yves Giraud, Paris: Flammarion, 1981. SOREL (Charles), La Bibliothèque française de M. C. Sorel, ou Le choix et l’examen des livres français qui traitent de l’éloquence, de la philosophie, de la dévotion et de la conduite des mœurs, Paris: La Compagnie des Libraires, 1664. – La Bibliothèque française. Seconde édition revue et augmentée, Genève: Slatkine Reprints, 1970; réimpr. de l’éd. de Paris, 1667. Œuvres de critique BRAY (René), La Formation de la doctrine classique en France, Paris: Nizet, 1966. DELOFFRE (Frédéric), La Nouvelle en France à l’âge classique, Paris: Didier, 1967. GODENNE (René), Histoire de la nouvelle française aux XVIIe et XVIIIe siècles, Genève: Droz, 1970. LAVOCAT (Françoise), Arcadies malheureuses. Aux origines du roman moderne, Paris: Honoré Champion, 1998. HAINSWORTH (Georges), Les “Novelas exemplares” de Cervantès en France au XVIIe siècle. Contribution à l’étude de la nouvelle en France, Paris: Honoré Champion, 1933. LOSADA (José Manuel), Bibliographie critique de la littérature espagnole en France au XVIIe siècle, Genève: Droz, 1999. MAZOUER (Charles), “L’illusion dans la trilogie de Guérin de Bouscal”, Cahiers de l’Association Internationale des Études Françaises, 48 (1996): 165-184. ROUSSET (Jean), La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon, Paris: Corti, 1954. SERROY (Jean), Roman et réalité. Les histoires comiques au XVIIe siècle, Paris: Minard, 1981. VENTURA (Daniela), “L’influence de la nouvelle espagnole dans Le Roman comique de Scarron”, in VII Coloquio APFFUE, Cádiz: Servicio de Publicaciones de la Universidad de Cádiz, 2000, t. I: 339-346.
  • 7. 7 7