“La réception du réalisme espagnol en France”, Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle, Didier Souiller (ed.), Dijon, Presses de l’Université de Bourgogne, 2002, pp. 121-130. ISBN: 978-2913003118.
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1. LA RÉCEPTION DU RÉALISME ESPAGNOL EN FRANCE
Réalisme et réalité en question au XVIIe siècle. Didier Souiller (éd.),
Dijon: Presses de l’Université de Bourgogne, 2002, p. 121-130
Les études littéraires ont longtemps véhiculé l’idée, à l’évidence simpliste, que l’impression de
réalisme naissait d’une description de la réalité extérieure, notamment celle du quotidien. A cela on
ajoutera une certaine tendance, perceptible aujourd’hui encore, à insister sur le côté technique des
ouvrages espagnols au détriment du côté psychologique. Cela va parfois jusqu’à réduire les
compositions espagnoles et celles de leurs adaptateurs à un amalgame de bonnes intrigues. Ces pages
voudraient montrer que le sens du réel venu d’Espagne est également d’ordre psychologique et que
c’est précisément pour cela que la littérature française l’a si bien accueilli dans la première moitié du
XVIIe siècle.
Prenons l’exemple d’une comédie: Le Gouvernement de Sanche Pansa, de Guyon Guérin de
Bouscal, adaptée du Don Quijote de la Mancha, de Cervantès (2e partie, chap. 44-53).
La pièce de Guérin de Bouscal est la troisième de sa célèbre trilogie. On y trouve un curieux
mélange de réel et d’irréel, car les limites de l’un et de l’autre ne sont pas nettement cernées. Sanche
Pansa est nommé gouverneur de l’île: il doit la régir et y administrer la justice. Dans l’esprit du
protagoniste, la réalité coïncide avec ce qu’il voit et il entend; plus précisément, avec l’interprétation
de ce qu’il voit et entend. En revanche, dans celui des autres personnages, la réalité vue par Sanche
n’est qu’une farce préparée d’avance. Tout comme dans l’original espagnol, l’écuyer croit vraiment à
sa nomination comme gouverneur de l’île: c’est l’accomplissement d’une promesse de son maître.
Tout le monde est de mèche et collabore au déroulement de la tromperie.
L’accueil enthousiaste fait au nouveau gouverneur lors de son arrivée dans l’île a pour but de
le ridiculiser. Tout concourt à augmenter l’illusion de l’écuyer, surtout les jugements, ici au nombre
de trois: celui du paysan (II, 3), celui de l’Égyptienne (III, 2) et celui du filou (III, 4-5). Dans le premier
jugement, Campusane, jouant le paysan, présente plusieurs plaintes au gouverneur, puis lui demande
cinq ou six cents ducats et se fait aussitôt renvoyer. Dans le second jugement, l’Égyptienne dénonce
un paysan qui lui a volé six ducats: le gouverneur découvre la vérité et renvoie dos à dos l’accusatrice
et l’accusé. Dans le troisième jugement, le maître d’hôtel du duc présente au juge le filou Basile, surpris
en train de voler un marchand. Sanche, dont le Docteur et Don Quixot doivent tempérer le zèle et
l’impatience à plusieurs reprises, s’enquiert auprès de ses sujets, dévoile des pans de vérité et prononce
des sentences non exemptes de justice.
Ces épisodes sont significatifs: le gouverneur n’a pas dévoilé la vérité pure et simple, mais la
vérité dans le mensonge; quant à ses verdicts, ils sont destinés à rétablir la justice dans un monde où
l’injustice est feinte, certes, mais dans la représentation seulement que ce monde se donne de lui-
même. Regardée de près, la réalité montre sa face une et multiple. Aux yeux de l’écuyer, elle est simple:
c’est celle que lui montrent ses yeux; la coïncidence, pense-t-il, est parfaite. Il en va tout autrement
pour les autres personnages. Il y a, d’abord, ce qu’ils voient: un écuyer devenu si facilement
gouverneur (c’est là, précisément, le sens du nom de l’île dans l’original espagnol: ínsula Barataria, de
barato, car son maître l’a eue à très bon marché); il y a, ensuite, ce qu’ils savent: que les mets ne lui
sont présentés que par divertissement, que les ennemis de l’île sont chimériques. Tout se passe comme
dans un théâtre, où seuls les spectateurs sont censés connaître non seulement la réalité mais la vérité;
il y a, enfin, ce que voyaient les spectateurs réels de Guérin de Bouscal et que nous, lecteurs, savons:
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la pièce est conçue selon la technique du théâtre dans le théâtre. C’est dans cette mise en abîme qu’est
dévoilée la dernière réalité et, partant, la vérité totale.
La technique utilisée mérite attention. Chez Guérin, il s’agit de théâtre dans le théâtre, alors
que chez Cervantès il s’agit, à proprement parler, “du théâtre dans le roman” (sauf qu’ici le
protagoniste ignore qu’il joue un rôle sur des planches). Dans les deux cas il se produit un effet fictif
comparable à celui que provoque tout récit métadiégétique. Cervantès l’avait utilisé auparavant pour
un autre épisode célèbre: celui du Curieux impertinent (1e partie, chap. 33-35); sa reprise par Baudoin
(1608), Oudin (1608), Brosse le Jeune (1645) et le comédien Marcel (1672), prouve sa bonne réception
en France.
De fait, la technique donne des résultats de qualité. Un degré de fiction est obtenu: ceux qui
sont sains d’esprit trompent ceux qui sont fous; le spectateur, lui aussi, se range du côté des sains,
sans se rendre compte que ce n’est, somme toute, qu’une fiction. Mieux, grâce à ce procédé, la scène
gagne en réalisme, dans un des sens actuels du mot: du coup, le spectateur croit davantage à l’épisode
et le pacte de fiction est plus fortement scellé. Ici deux traits méritent d’être relevés: en premier lieu,
la modification artificielle de la réalité par ceux qui sont sains d’esprit, et qui se proposent de tromper
les fous; en deuxième lieu et surtout, la valeur psychologique de cette modification: elle n’a lieu que
dans le for intérieur du protagoniste.
D’autres exemples pourraient confirmer cette collaboration d’éléments structurels et
psychologiques. Qu’on songe à La Force du sang, tragi-comédie d’Alexandre Hardy, adaptation de la
novela de Cervantès La fuerza de la sangre. Les réactions successives de Léocadie et de Rodolphe, victime
et bourreau respectivement, sont dépeintes avec une tension dramatique considérable. Contrairement
à ce qui se passe dans l’œuvre de Guérin de Bouscal, chez Hardy l’illusion de réalisme est plus subtile,
sans doute parce qu’elle est plus profonde. La tension dramatique, notamment lors de la
reconnaissance finale, augmente sans que l’auteur ait recours à des imbroglios et à des péripéties.
Ainsi, ce jeu mêlé de technique et de profondeur psychologique est très apprécié des
dramaturges français de la première moitié du XVIIe siècle. Plusieurs écrits théoriques de dramaturges
et de romanciers permettent de le comprendre.
Sorel admire les ouvrages espagnols, notamment ceux de Cervantès. Ses Nouvelles françaises
(1623), en fournissent implicitement la preuve. Une simple lecture permet de se rendre compte à quel
point il emprunte une grande partie de la technique de Cervantès. Comme le romancier espagnol, il
choisit souvent des intrigues qui offrent des possibilités de rebondissements; il approfondit des
épisodes, s’attarde sur des phrases. Chez lui, la nouvelle se coule dans le moule romanesque du modèle
espagnol. Les novelas espagnoles comptent certainement pour beaucoup dans la tournure réaliste de
l’art de Sorel, et c’est en partie au moins sous leur influence qu’il essaie, en insistant sur toutes sortes
de petits détails familiers, de donner un certain degré de vraisemblance à ses récits même les plus
franchement romanesques. Ses Nouvelles françaises passent pour un authentique essai d’adaptation du
type espagnol au goût français (vid. Hainsworth, 1933: 128-131, Godenne, 1970: 30-31 et Losada,
1999: 154).
D’ailleurs, dans sa Bibliothèque française, plus tardive, Sorel souligne bien la nouveauté des novelas
espagnoles. Dans la section intitulée: “Des romans vraisemblables et des nouvelles”, après avoir
évoqué la “barbarie” des romans de Nervèze et de ses émules, il note que les lecteurs de bon goût
s’en garantissaient par la lecture de L’Astrée; il ajoute ensuite:
On commençait aussi de connaître ce que c’était des choses vraisemblables par de petites
narrations dont la mode vint, qui s’appelaient des nouvelles. On les pouvait comparer aux histoires
véritables de quelques accidents particuliers des hommes. Nous avions déjà vu les Nouvelles de Boccace
et celles de la reine de Navarre. Le livre du Printemps d’Yver avait été estimé fort agréable pour les cinq
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nouvelles qu’on y racontait. Nous avions vu encore les Histoires tragiques de Bandel, qu’on avait traduites
d’Italien, qui étaient autant de nouvelles, mais les Espagnols nous en donnèrent de plus naturelles et
de plus circonstanciées, qui furent les Nouvelles de Miguel de Cervantes, remplies de naïvetés et
d’agréments. On a vu depuis celles de Montalban1 et quelques autres qui ont toutes eu grand cours, à
cause que les dames les pouvaient lire sans appréhension, au lieu que quelques-unes d’auparavant
étaient fort condamnées, comme celles de Boccace, qui sont de très mauvais exemple (1664: 159-160;
1667: 178-179).
La différence que Sorel fait entre la nouvelle italienne et la nouvelle espagnole est nette. Toutes
les deux sont vraisemblables, dans le sens qu’elles excluent les prouesses surhumaines des héros
romanesques. Mais les nouvelles espagnoles ne sont pas immorales et leur récit est moins
schématique, plus détaillé, plus chargé d’événements que celui des nouvelles antérieures. Enfin, elles
sont plus “naturelles”, terme capital pour l’époque (vid. Deloffre, 1967: 19). Retraçant le parcours de
la nouvelle en France, Sorel en vient à parler de celles que lui-même a écrites; il avoue, avec une
simplicité forte louable, qu’il préfère les récits venus d’Espagne:
Incontinent on en vit d’originaires de ce pays-ci; on imprima les Nouvelles Françaises, qui dans leur seconde
édition ayant été augmentées, ont été appelées les Nouvelles choisies. On y trouve quelque invention pour
les divers incidents, mais il semble que la naïveté ne s’y rencontre pas tant qu’à celles des Espagnols
(1664: 160; 1667: 179).
Au chapitre XXI de la première partie du Roman comique on lit encore que les Espagnols ont
[…] le secret de faire de petites histoires, qu’ils appellent Nouvelles, qui sont bien plus à notre usage et
plus à la portée de l’humanité que ces héros imaginaires de l’Antiquité qui sont quelquefois incommodes
à force d’être trop honnêtes gens (1981: 185).
Scarron admire surtout le naturel des novelas espagnoles, auxquelles il oppose justement le
caractère irréel (“imaginaire”) des héros de l’antiquité. Le mode d’être imaginaire s’applique aux êtres
de raison dont l’existence dépend du sujet qui se les représente: Cassandre, Cléopâtre, Cyrus, et, dans
un cadre historique moderne, Polexandre, sont des héros autant imaginaires qu’invraisemblables. En
revanche, ces histoires espagnoles dont Scarron parle sont plus à la portée du public, précisément
parce que leurs personnages n’ont pas ce caractère imaginaire des héros de roman qui viennent d’être
évoqués. Ainsi, de même que le caractère imaginaire des récits anciens était cause de leur impression
d’irréalité, le caractère humain des nouvelles espagnoles est cause de leur impression de réalité.
C’est pourquoi Scarron, admirateur du genre vraisemblable et bien fait des Espagnols, leur
emprunte ces récits à la fois actuels et alertes, pour les insérer dans son Roman comique.
Il en va de même pour les Novelas de María de Zayas, dont la critique a souligné l’aspect “pré-
réaliste”: ancrées dans la société espagnole de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, elles
permettent au lecteur de croire à la réalité de tel ou tel personnage, tous des êtres mortels et investis
d’une certaine mediocritas absente chez les héros des Anciens (Ventura, 2000: 342).
On constate que Sorel et Scarron avaient des perceptions différentes de ce qu’étaient les
bonnes mœurs: ce qui était perçu comme comportement naïf chez le premier est devenu sagesse chez
le second. C’est un point qui a son importance. Face au dévergondage des Italiens (Boccace
notamment), Sorel préfère la candeur des Espagnols; pour sa part, face à l’excès d’honnêteté des
Anciens, Scarron préfère la discrète dose de passion des Espagnols. Leur niveau d’exigence morale
est différent: Sorel récuse le laxisme des Italiens; Scarron, moins rigoriste, rejette l’excessive rigueur
1
Sans doute Sorel parle-t-il des Sucesos y prodigios de amor et du Para todos, traduits par Rampalle et Vanel: Les Nouvelles de
Montalbán et La Semaine de Montalbán, respectivement.
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des Anciens. Toujours est-il que les Espagnols occupent le bon milieu. C’est normal: la mentalité de
la critique littéraire de l’époque voulait que les extrêmes fussent bannis; de la sorte, le comportement
discrètement passionné des personnages espagnols attirait les romanciers et les théoriciens d’alors
autant que la conjonction de vertu et de vice des personnages devait attirer, à peine une dizaine
d’années plus tard et sur les traces d’Aristote, les dramaturges et les poéticiens classiques. Quelques
précisions sur ce point nous permettront d’approfondir notre sujet.
Sorel parle de “choses vraisemblables”; c’est une allusion à l’une des règles classiques. Une
petite nuance sépare cependant sa conception de la règle telle que les doctes l’entendent: chez lui un
récit vraisemblable peut être comparé à un récit véritable, et un récit est véritable parce qu’il est: est
effectivement arrivé à un homme (Sorel parle des “accidents particuliers des hommes”: accidens, qui
survient, au sens classique). Ici, contrairement à la doctrine classique, les “choses vraisemblables”
sont assimilables aux choses réellement survenues, dont la valeur de vérité ne saurait être négligée.
Les nouvelles des Espagnols sont plus “naturelles”: ut pictura poesis A l’âge classique,
l’application de la formule horacienne, avec les lumières du génie et du goût, permet de faire plus vrai
(Bray, 1969: 141). L’écrivain classique a le souci du naturel, et la célèbre formule du Latin “exprime
la conformité de l’œuvre d’art à un modèle idéal qu’on appelle conventionnellement la nature” (Bray,
1969: 143). Ce souci du naturel remonte au XVIe siècle, à Ronsard, se poursuit pendant la génération
de Richelieu chez la plupart des théoriciens, et s’étend sans conteste chez tous les classiques
(Chapelain, qui couvre deux générations, loue la “naïveté” et les “couleurs naturelles” des Contes de
La Fontaine, 1883, I: 519; Boileau proclame: “Jamais de la nature il ne faut s’écarter”, Art poétique, III,
v. 414; les P. Rapin et Bouhours sont du même avis; vid. Bray, 1969: 144-145).
Sorel n’a pas cependant en tête le référent classique, mais celui de la tradition romanesque. A
la suite de l’Astrée, la peinture dont parlent les théoriciens n’est nullement la nature du dehors, mais
celle du dedans. Les préfaces d’Urfé présentent, par l’emploi de la première personne du singulier,
par la dimension eulogique et par l’affirmation d’une intention proche de l’autobiographie, un
véritable hiatus avec le roman précédent (vid. Lavocat, 1998: 310). La nature dont parlent les critiques
n’est pas la nature extérieure, mais la nature psychologique:
Un discours où on ne parle que de bois, de rivières, de prés, de campagnes, de jardins, fait sur nous une
impression bien languissante, à moins qu’il n’ait des agréments tout nouveaux; mais ce qui est de
l’humanité, les penchants, les tendresses, les affections, trouvent naturellement au fond de notre âme à
se faire sentir: la même nature les produit et les reçoit, ils passent aisément des hommes qu’on représente,
en des hommes qui voient représenter (Saint-Évremond, 1711, III: 47);
très semblables avaient été les commentaires de La Mesnardière, de Subligny, de Scudéry et de
tant d’autres (vid. Bray, 1969: 157).
En général, le but des théoriciens classiques ne s’arrête pas là: ils ne cherchent pas tant à imiter
la nature qu’à l’embellir. L’imitation classique, libérale en ce point, préfère l’arrangement de la nature:
cela explique l’exclusion généralisée de la laideur. Ce point est de première importance, car la laideur
n’existe que par rapport à la beauté (la définition romantique du grotesque est là pour le prouver). Il
s’ensuit que la beauté des classiques n’est pas de ce monde, qu’elle est une beauté conventionnelle.
Notre hypothèse est que Sorel, Scarron et tant d’autres ont apprécié chez les Espagnols non
pas ce genre de beauté, mais une beauté faite chair; non pas une beauté idéale, mais une représentation
plausible. Il suffit de penser à l’écuyer de Don Quichotte. Le physique de Sanche est seulement à la
hauteur de ses manières et de sa civilité; son port, ses défauts (bavardage et goinfrerie) ne sauraient
attirer ni l’attention d’un observateur impartial ni exciter la malveillance d’un théoricien classique.
Une lecture attentive du roman de Cervantès montre la loyauté et la sincérité profondes de ce rustre
villageois.
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Qu’on songe encore aux Nouvelles exemplaires dont parlent les auteurs du Roman comique et du
Roman bourgeois: elles reflètent la vie telle qu’elle est. Dans La Force du sang, par exemple, Cervantès
prête peu d’attention au Tage ou à la ville de Tolède, et nulle description de la scène de viol n’est faite,
pas plus que des intrigues concernant le jeune homme ou ses amis. L’intérêt est centré sur le véritable
drame psychologique que vit la protagoniste Léocadie, rejetée par la société, recluse entre les quatre
murs de la maison de ses parents, réduite à enfanter dans le déshonneur familial. Cervantès, comme
Pérez de Montalbán et tant d’autres, est un écrivain qui peint la nature humaine sans la déformer et
c’est cela, précisément, ce que les écrivains préclassiques ont apprécié.
Il y a eu toujours des théoriciens qui s’en sont pris à cette manière de peindre la nature humaine.
Les griefs viennent très souvent d’une curieuse combinaison d’esprit académique et de préjugés
psychologiques non exempts d’un certain philistinisme. Ainsi les deviseurs de la Critique du livre de
Dom Quichotte de la Manche (Perrault, 1679) s’en prennent au mélange du plaisant et du sérieux, à la
longueur, au titre; ils trouvent que Cervantès pèche contre la vraisemblance dans les incidents et
contre la bienséance dans les discours des personnages; ces défauts, ajoute Eudoxe, ne sont pas tous
de l’auteur du roman: l’humeur vaine de l’Espagne entière y est aussi pour quelque chose (vid. Bardon,
1931: 233-234 et 305-314). Il convient de remarquer que l’imputation de ces défauts, à l’auteur et à
son pays, est une pratique habituelle des doctes: on la trouve également chez Chapelain, chez Balzac,
et plus tard, chez Voltaire.
Une exception de ces classiques cultivés est Saint-Évremond, déjà cité. En dépit d’un penchant
non dissimulé pour l’Angleterre, cet exilé n’en avoue pas moins sa faiblesse pour l’œuvre de
Cervantès. Sa proverbiale ouverture d’esprit lui fait apprécier la diversité des caractères de Don
Quichotte, “qui sont les plus recherchés du monde pour l’espèce, et dans leur espèce les plus naturels”
(1962-1969, IV: 115-116). Peut-être son relativisme esthétique l’a-t-il conduit à cette réflexion; mais il
est fort symptomatique que le défenseur de la nature psychologique se soit épris du chef-d’œuvre
espagnol. Il a ressenti dans sa lecture ce que bien auparavant avaient éprouvé Scarron et Sorel.
Bon nombre d’auteurs et de critiques ont su apprécier et rendre l’impression de réalité qui
imprègne les récits des Espagnols. Elle repose autant sur la technique employée que sur le souci de
vraisemblance et de naturel psychologique; une vraisemblance et un naturel fort éloignés de la
doctrine classique, mais également fort goûtés chez nous à l’époque qu’on dit trop uniformément
classique.
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OUDIN (César), La Silva curiosa de Julián de Medrano, caballero navarro, en que se tratan diversas cosas sutilísimas y curiosas,
muy convenientes para damas y caballeros, en toda conversación virtuosa y honesta. Corregida en esta nueva edición y
reducida a mejor lectura por César Oudin, Paris: M. Orry, 1608.
SAINT-ÉVREMOND, Œuvres, éd. Des Maizeaux, Londres: Jacob Tonson, 7 vol., 1711.
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Paris, 1667.
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APFFUE, Cádiz: Servicio de Publicaciones de la Universidad de Cádiz, 2000, t. I: 339-346.