900 milliards d’euros partis en fumée sur un mois… Alors que le millésime 2020 s’annonçait bien pour l’industrie de la gestion en Europe, la crise du coronavirus est venue prendre à contre-pied les gérants qui subissent deux effets négatifs : d’une part, la baisse violente des marchés et, d’autre part, la décollecte tout aussi violente, toutes stratégies confondues.
Un choc darwinien pour la gestion d’actifs : Beaucoup vont s’adapter, les dinosaures disparaître
1. Gestion d’actifsEtudes
900 milliards d’euros partis en fumée
sur un mois… Alors que le millésime
2020 s’annonçait bien pour l’industrie
de la gestion en Europe, la crise du
coronavirus est venue prendre à
contre-pied les gérants qui subissent
deux effets négatifs: d’une part,
la baisse violente des marchés et,
d’autre part, la décollecte tout aussi
violente, toutes stratégies confondues.
J
usqu’en février tout se passait pour le mieux.
L’industrie de la gestion en Europe commençait
à peine à sortir d’une période de forte décollecte
sur les actifs risqués entamée en 2018 et qui
avait été particulièrement sévère pour les
actions européennes. Sur cette catégorie, toute la collecte
nette des années 2016 et 2017 s’était volatilisée en 2018,
et même début 2019.
Après plusieurs mois de vents contraires, les sociétés de
gestion retrouvaient du vent dans les voiles à partir du
mois de septembre 2019. Sur la fin d’année 2019, on avait
identifié un retour des investisseurs sur les fonds actions
qui s’était poursuivi sur le début 2020.
Les planètes étaient alors alignées: retour de la croissance
mondiale, fin de la guerre commerciale entre les Etats-
Unis et la Chine, politiques monétaires toujours accom-
modantes de la part des Banques centrales, taux d’inté-
rêt bas, voire négatifs… Le scénario « Goldilocks » ou
« Tina » (There is no alternative) était à l’œuvre pour le
plus grand bonheur des sociétés de gestion et des inves-
tisseurs. Pour beaucoup de gérants, la perspective d’une
hausse forte des marchés actions, et notamment des mar-
chés européens, était évidente.
Par ailleurs, le « mix-produit », comme on dit en marke-
ting, était aussi positif pour l’industrie de la gestion,
puisque pendant que les investisseurs reprenaient goût
aux actifs risqués, on constatait un début de décollecte
sur les fonds monétaires fin 2019!
Rappelons que près d’un euro sur deux est géré à travers
des fonds investis en taux que l’on retrouve dans les fonds
monétaires, obligataires, en grande partie dans les fonds
diversifiés prudents etc.
Alors que le
millésime 2020
s’annonçait bien
pour l’industrie
de la gestion en
Europe, la crise
du coronavirus est
venue prendre
à contre-pied
les gérants qui
subissent deux
effets négatifs.
L’industrie de la gestion
touchée par le coronavirus
JEAN-FRANÇOIS BAY, directeur général en charge de l’international de
Quantalys.
Un problème microscopique
et exogène
C’était sans compter sur un élément microscopique et
exogène, un virus qui est venu perturber cette belle
mécanique. Et étant donné les dégâts générés depuis
quelques semaines, on peut dire qu’il s’agit moins d’un
grain de sable qui est venu gripper la machine, mais
plutôt d’un tsunami qui a tout emporté !
En effet, la baisse des encours sous gestion est estimée
à environ 900 milliards d’euros, rien que sur le mois
de mars, avec des encours totaux passant de 5 800 mil-
liards d’euros à 4 900 milliards d’euros. Depuis le
début de l’année 2020, la baisse est même de
1 100 milliards d’euros environ, un record historique
depuis que Quantalys suit la collecte et les encours des
fonds d’investissement.
14 - Avril - Mai - Juin 2020 - Profession CGP
EN COUVERTURE
2. Gestion d’actifsEtudes
Le premier effet qui vient expliquer cette forte baisse des
capitaux gérés est sans doute le plus connu: il s’agit de
l’effet marché. Touchant toutes les classes d’actifs, entre
-34 % sur un mois pour la catégorie des fonds actions
euro et près de - 5 % pour la catégorie obligations euro,
ou -18 % pour les fonds diversifiés euro, l’impact pour
l’industrie de la gestion se traduit par une baisse de
600 milliards d’euros environ (donc un effet marché néga-
tif global de l’ordre de -10 % pour l’industrie uniquement
pour le mois de mars).
Et dans la panique générale, cette baisse historique et
mondiale des marchés s’est doublée d’une sortie histo-
rique des investisseurs de l’ordre de - 300 milliards d’eu-
ros sur le mois de mars (soit un effet décollecte nette de
-6 % pour l’industrie), ce qui donne une collecte négative
sur le premier trimestre 2020 de -170 milliards d’euros.
Aucune stratégie, aucun gérant n’a pu échapper à la vague
de décollecte sur cette période: même les fonds obliga-
taires qui avaient pourtant collecté plus de 230 milliards
en 2019 ont rendu plus de la moitié sur le mois de mars
avec une décollecte de - 120 milliards!
Est-ce que l’on constate
une certaine logique?
Face à une telle baisse des marchés et une telle décollecte,
on a l’impression que le mouvement de panique est indis-
criminé. En fait, à y regarder de plus près, on constate
que les marchés ont respecté une certaine logique.
En effet, en ce qui concerne les performances des mar-
chés, les catégories Quantalys qui ont bien résisté dans
la baisse sont les marchés asiatiques, comme la Chine ou
le Japon (18 % d’écart entre la Chine et l’Allemagne par
exemple sur le mois). Le traitement de la crise sanitaire,
l’organisation des pays, le passage du pic de l’épidémie
et l’entrée en « convalescence » de l’Asie sont venus ras-
surer les marchés. Au contraire, l’entrée dans la pandé-
mie pour les pays européens durant cette période, la
désorganisation des systèmes de santé, l’obligation d’un
confinement total des économies, tous ces facteurs ont
fait que les marchés européens ont été plus durement tou-
chés sans discernement (Allemagne, France, Italie,
Espagne…). Plus à l’ouest, n’étant pas encore entrés dans
la crise sanitaire, les marchés américains ont mieux résisté
que les marchés européens. On voit donc que les marchés
ont suivi la logique de la pandémie d’Est en Ouest.
En termes de collecte, on peut constater une logique
similaire: l’Europe est la zone géographique à subir les
plus grosses sorties, et ceci depuis plusieurs mois déjà.
Les fonds actions Asie, comme les fonds actions US,
ont bien résisté.
Dans ces conditions, rien d’étonnant à voir une collecte
positive ou une bonne résistance depuis le début de l’an-
née sur des fonds actions investis dans des secteurs défen-
sifs, comme l’or, la santé ou la technologie. Inversement,
les secteurs les plus impactés sont des secteurs cycliques,
comme l’énergie, l’industrie ou les services financiers.
En ce qui concerne les fonds diversifiés, qui représentent
une catégorie très prisée par les conseillers et banquiers
privés, on constate que les actifs sous gestion sont sur-
tout concentrés sur les fonds ayant un SRRI de 4 (57 %
des AuM). Les fonds ayant un SRRI 3 ou 4 ou 5 concen-
trent 96 % des actifs sous gestion en Europe (plus >>>
Dans la panique
générale, cette
baisse historique
et mondiale des
marchés s’est
doublée d’une
sortie historique
des investisseurs
de l’ordre de
- 300 milliards
d’euros sur le mois
de mars…
Collecte nette mensuelle en Europe sur les fonds actions
Performance des catégories actions Quantalys
entre le 16 février et le 16 mars 2020
Performance des grandes catégories Quantalys entre le 16 février et le 16 mars 2020
Source: Quantalys
Source: Quantalys
Source : Quantalys
15 - Avril - Mai - Juin 2020 - Profession CGP
3. Gestion d’actifsEtudes
de 600 milliards d’euros). Avec - 25 milliards d’euros en
mars, la décollecte récente a été en relatif moins forte sur
les fonds diversifiés (-3 % des actifs gérés) que sur les
autres classes d’actifs (pour rappel, -120 milliards d’eu-
ros sur les fonds obligataires, soit une baisse de plus de 8 %
des actifs gérés). Pourtant, dans cette crise, les rachats ont
surtout respecté une logique de niveau de risque. En rela-
tif par rapport aux actifs gérés, ce sont surtout les fonds
diversifiés les plus risqués qui ont enregistré les plus fortes
décollectes. Les arbitrages ont, sans doute, porté sur les
fonds diversifiés qui enregistrent des collectes légèrement
positives, même pendant cette période!
Les grands gérants mondiaux ont
été les plus touchés
Lorsque l’on analyse cette décollecte exceptionnelle
depuis mi-février, on s’aperçoit que les sorties ont tou-
ché principalement les grandes maisons de gestion mon-
diales qui gèrent plus de 50 milliards d’euros. Alors que
ces acteurs mondiaux concentrent 68 % des actifs gérés
en Europe, ils ont représenté près de 75 % de la décol-
lecte nette (plus de 200 milliards sur un mois)! De leurs
côtés, les sociétés de gestion locales s’en sortent mieux,
avec une décollecte qui représente uniquement -3 % de
leurs actifs gérés.
Cinq facteurs expliquent, sans doute, ce phénomène.
D’abord, ces gérants avaient profité de la forte collecte,
ces derniers mois ou dernières années, sur les stratégies
obligataires, qui ont été victimes de fortes sorties durant
le mois de mars, comme nous l’avons exposé précé-
demment (des gérants, comme Pimco, M&G, Temple-
ton, etc.). Ensuite, parce qu’il s’agit souvent de très gros
fonds qui, lorsque l’on recherche de la liquidité, sont
plus facilement arbitrés. Les arbitrages et sorties se sont
également concentrés en février et mars sur les ETF,
fonds indiciels cotés souvent gérés par de grandes mai-
sons de gestion.
Dernier point en faveur des petites maisons de gestion
locales: elles sont souvent plus proches de leurs clients,
alors que les grands fonds européens sont distribués par-
tout en Europe par des sociétés de gestion qui maîtri-
sent parfois moins bien le passif des fonds. On constate
une bonne résilience des fonds ISR dans cette crise. Un
angle ESG et investissements thématiques responsables
et durables où les sociétés de gestion en Europe de taille
moyenne ou petite ont été pionnières et qui a donc joué
positivement dans la baisse.
Et demain? Les conséquences
seront-elles conjoncturelles
ou structurelles?
Difficile de faire des projections si peu de temps après ce
premier épisode d’une crise qui semble s’installer dans la
durée. Mais il est fort à parier qu’une fois déconfiné, le
monde de la gestion ne repartira pas comme avant,
« comme si de rien n’était », et vivra des mutations suite
à cette période qui agira comme une sorte d’accélérateur
de particules.
Frilosité
Des investisseurs qui seront encore plus frileux. Institu-
tionnels et épargnants étaient déjà considérés comme
prudents. La perspective de plus d’impôts, plus de dettes
et d’une nouvelle politique de rigueur ne va rien arran-
ger. Dans des pays vieillissants, ce sera plus de l’Income
Management que de l’Asset Management!
Rappelons, par exemple, que le placement préféré des
Français est le cash et les produits liquides (Livret A, etc.):
en 2019, ils ont épargné environ 50 milliards d’euros en
dépôts à vue et 40 milliards en livrets d’épargne.
En 2019, les versements en assurance-vie se sont établis
à 145 milliards d'euros (contre 140 milliards en 2018).
Les sociétés
de gestion locales
s’en sortent
mieux, avec
une décollecte
qui représente
uniquement
- 3 % de leurs
actifs gérés.
Décollecte sur les fonds ouverts en Europe
sur le 1er
trimestre 2020
Source:Quantalys
Evolution de la collecte des fonds actions
en milliards d’euros depuis janvier 2019
Source:Quantalys
Répartition des actifs gérés par les fonds
ouverts en Europe par classe d'actifs
au 31 mars 2020
Source:Quantalys
16 - Avril - Mai - Juin 2020 - Profession CGP
EN COUVERTURE
4. Gestion d’actifsEtudes
Les versements sur
les unités de compte
(UC) n’ont repré-
senté que 27 % des
versements.
Tangible
Des investisseurs qui
continueront à se
tourner vers les
actifs tangibles (or,
immobilier, infra-
structures, etc.)
dans un environne-
ment inondé de
liquidités et en proie
aux questions de
déflation ou d’inflation.
C’est aussi la meilleure réponse de la gestion active ou
très active face à la montée en puissance des gestions
passives! En 2019, les SCPI ont collecté 8,6 milliards
d’euros (+ 68 % par rapport à 2018). L’encours total
des SCPI était de 65,1 milliards d’euros à fin 2019 (soit
+17 % par rapport à 2018).
Environnement, santé, éducation…
La crise du coronavirus vient de modifier en quinze jours
le comportement que beaucoup anticipaient dans quinze
ans et ceci pour des milliards d’individus!
Elle vient aussi rappeler l’importance d’investir locale-
ment, pas uniquement pour des raisons géostratégiques
ou sociales, mais également environnementales. La ges-
tion d’actifs devra participer au financement de ces tran-
sitions et faire en sorte d’avoir un réel impact. Plus que
la gestion investissement socialement responsable (ISR),
c’est ce que l’on appelle la gestion à impact où l’investis-
seur sait précisément à quoi sert son argent.
Tech et digital
Autre tendance forte révélée par cette crise! En télétra-
vail, tous les acteurs de l’écosystème financier se sont
aperçus in vivo de l’importance de la technologie et
du digital (gestion des données clients, des arbitrages,
du reporting, etc.). L’industrie de la gestion ne pourra
plus faire marche arrière et, au contraire, devra accélé-
rer dans ce domaine. La gestion pilotée mise en place
par des conseillers « augmentés » devrait en profiter et
se démocratiser.
ETF
Pour les fonds traditionnels, la concurrence des gérants
mondiaux et des fonds indiciels et ETF va s’intensifier.
Quoi de mieux demain qu’un fonds coté promettant une
liquidité instantanée pour répondre aux exigences de digi-
talisation de la distribution de produits financiers?
Et avec une promesse de gestion « low cost »: par rapport
aux frais de gestion courants des fonds actions tradi-
tionnels à 1,58 %, les frais de gestion courants moyens
pour les ETF actions sont à 0,38 % et les fonds actions
classés « indiciels » ont affiché des frais moyens de 0,99 %.
En période de crise et de taux négatifs, les frais et marges
sont orientés à la baisse.
Réglementation
Alors que les plans de soutien se multiplient, notamment
en Europe afin de sécuriser le système financier, la régle-
mentation et le poids des Etats sera encore plus impor-
tant.
M&A
Pour toutes ces raisons, alors même que les opérations
de fusions-acquisitions avaient été assez modestes après
la crise de 2008, nous devrions assister à une vague de
rapprochements entre les acteurs de la gestion d’actifs en
Europe dans les années à venir. ●
Jean-François Bay, directeur général
en charge de l’international de Quantalys
Une fois
déconfiné,
le monde de
la gestion ne
repartira pas
comme avant,
« comme si de
rien n’était »,
et vivra des
mutations suite
à cette période
qui agira comme
une sorte
d’accélérateur
de particules.
Top et flop de la collecte sur les fonds et
ETF sectoriels au 1er
trimestre 2020 (en Md€)
Collecte des fonds diversifiés au T1 2020 par
SRRI en relatif par rapport aux actifs gérés
Source:Quantalys
Collecte nette cumulée des sociétés de gestion européennes par taille depuis 2019
Source: Quantalys
17 - Avril - Mai - Juin 2020 - Profession CGP
Source:Quantalys