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IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,70 €, Andorre 3,70 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,00 €, Canada 6,70 $, Danemark 42 Kr, DOM 3,80 €, Espagne 3,70 €, Etats-Unis 7,50 $, Finlande 4,00 €, Grande-Bretagne 3,00 £,
Grèce 4,00 €, Irlande 3,80 €, Israël 35 ILS, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,00 €, Maroc 33 Dh, Norvège 45 Kr, Pays-Bas 3,70 €, Portugal (cont.) 4,00 €, Slovénie 4,10 €, Suède 40 Kr, Suisse 4,70 FS, TOM 600 CFP, Tunisie 8,00 DT, Zone CFA 3 200 CFA.
viandecellulaire
lepouletpasnéestarrivéSingapour vient d’autoriser la vente de nuggets de volaille fabriquée
en laboratoire. Une première mondiale qui ravive le débat
sur les enjeux éthiques et environnementaux de la viande artificielle. pages 2-4
Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 www.liberation.fr
2 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020
E
t si les éleveurs étaient rem-
placéspardescultivateursde
viande?Si,enlieuetplacedes
bêtes paissant, des camions à bes-
tiaux et des abattoirs, émergeaient
des laboratoires, des blouses blan-
ches et des microscopes? Cauche-
mar pour certains, rêve pour d’au-
tres,laviandedesynthèseexistebel
etbiendepuislepremiersteakhaché
réalisé in vitro en 2013. Mais à
250000 euros les 140 grammes, il
était alors loin de s’inviter sur les
­tables. Mercredi, un nouveau pas a
été franchi. Un restaurant à Singa-
pour a été autorisé à vendre de la
viande de synthèse (lire ci-contre).
Une première. Ses produits auront-
ils bientôt leur place dans nos habi-
tudesalimentaires?Rienn’estmoins
sûr,carilsposentdesquestionséthi-
ques comme environnementales.
Sérum
Les nuggets autorisés à Singapour
sontlaproductiondelastart-upcali-
fornienneEatJust.Misenventepour
un«prixsimilaireaupoulethautde
gammed’unrestaurantchic», selon
l’expressiond’unporte-paroleinter-
rogéparl’AFP,ilssontconçusàpartir
decellulesanimalesetresterontsur-
veillésparuneautoritésanitairepen-
dantaumoinsvingtans.Leprincipe
de la viande de laboratoire est rela­-
tivement simple: des cellules sont
multipliées,agrégéesetcoloréesàla
betterave dans le cas de la viande
rouge.Laméthodelapluscourante
consisteàpréleverdes­cellulessou-
ches par biopsie sur des bœufs, des
cochonsouautrespoulets.Cesder-
nières sont ensuite dé­veloppées en
laboratoiredansdes­bioréacteurset
alimentéespendantplusieurssemai-
nes dans un milieu de culture pou-
vantcontenirdusérumfœtalbovin,
riche en facteurs de croissance.
Extrait de sang de fœtus provenant
de vaches gestantes, ce sérum reste
une des principales épines dans le
pieddespromoteursdelaviandere-
vendiquée comme «propre». «Son
utilisationiraitàl’encontredubien-
être des animaux, c’est pourquoi
­aucuneentreprisedeviandecultivée
necompte l’utiliser à terme»,assure
Agriculture cellulaire France, qui a
vulejourcetteannée.Pourcetteas-
sociation,leSFBn’estdéjàplusd’ac-
tualitédansdenombreusesentrepri-
seset«sonutilisationneseraitmême
pasrentabledansunelogiquedepro­-
ductionindustrielle».Danslecasdes
nuggetsEatJust,leGuardianexpli-
que que le milieu de croissance en
comprendbien,«maiscelui-ciesten
grandepartieéliminéavantconsom-
mation»etunsérumàbasedeplan-
tesdevraitêtreutiliséàl’avenir.Pour
Jean-FrançoisHocquette,directeur
derechercheàl’Institutnationalde
recherche pour l’agriculture, l’ali-
mentation et l’environnement, «la
questiondusérumdeveaufœtalpeut
serésoudreaumoinsenpartie.Enre-
vanche,onn’arriverajamaisàrepro-
duire un vrai muscle car c’est très
compliqué, au mieux on obtiendra
une sorte de steak haché»… ou des
nuggets, donc.
Bill Gates et DiCaprio
Cuir,poisson,fruitsdemer…Inspirée
de la médecine régénérative et des
greffesdetissus,laculturecellulaire
nemanquepasdeperspectivesthéo-
riques.D’autresméthodessontdéve-
loppées pour produire de la nourri-
ture de laboratoire sans impliquer
d’animaux, comme la culture dite
«acellulaire».Ungènedeprotéineest
clonédansunmicro-organismequi
Par
Aurélie Delmas
éditorial
Événement
Larecherche
surlaviande
artificielle
prendchairAvec les nuggets de poulet de la start-up Eat Just,
conçus à partir de cellules animales et autorisés
à Singapour, le nouvel eldorado alimentaire sans
agriculture devient de plus en plus concret.
Mais soulève de nombreuses questions éthiques,
sanitaires, et environnementales.
reproduiracelle-ci.Onpeutainsiobte-
nirdulait,delagélatineoudublanc
d’œuf.
Ce nouvel eldorado de l’agriculture
cellulaire attise les appétits de
start-up qui réalisent de grosses le-
vées de fonds dans l’hémisphère
Nord. Un écosystème qui serait «là
pourdurer»,àencroireCyrineBen-
Hafaïedh,enseignante-chercheuse
en entrepreneuriat, innovation et
stratégie à l’Iéseg School of Mana­-
gement. «L’argent est là, les lobbys
sont là, reste la réglementation»,
­note-t-elle. Pas de «choc électrique»
avecl’annoncedeSingapour,donc:
«C’est “business as usual”: ils ont
trouvéunpaysquiaccepte,sansdoute
le premier d’une longue liste.»
Derrièrecettemyriadedejeunesen-
treprises, on retrouve, parmi les fi-
nanceurs, des têtes d’affiche telles
queBillGates,LeonardoDiCaprioou
Sergueï Brin (cofondateur de Goo-
gle), mais aussi des géants de la
«vraie»viande,commeCargill,Tyson
FoodsouBellFood.Deslabo­ratoires
­pharmaceutiques,fournisseurspo-
tentielsdematièrepremière,nesont
pas non plus indifférents.
Pour l’instant, aucun organisme de
recherche public ne Suite page 4
Par
Alexandra
Schwartzbrod
Nature
Et voilà, nous y sommes.
Depuis le temps que nous
vous l’annonçons, la
viande artificielle arrive
dans nos assiettes. Ou plu-
tôt dans les assiettes des
habitants de Singapour
qui, depuis mercredi, peu-
vent déguster des nuggets
de poulet fabriqué en labo-
ratoire à partir de cellules
d’animaux. Ce n’est pas un
hasard si Singapour est le
premier pays à passer
à l’acte. C’est un Etat
­minuscule, qui importe
l’essentiel de son alimenta-
tion. La pandémie, qui a
stoppé nombre d’échanges
commerciaux, lui a fait réa-
liser à quel point il était dé-
pendant. L’idée de revivre
cette peur de manquer à
l’occasion de nouvelles épi-
démies lui a paru insup-
portable et on peut le com-
prendre, même si l’on
garde un souvenir ému
d’une spécialité de Singa-
pour, un crabe au poivre,
un vrai crabe sans doute
pêché dans les eaux du
­détroit, dégusté dans l’une
des multiples gargotes de
la ville. En attendant, ne
comptez pas sur nous pour
apporter un avis tranché
sur le sujet. D’abord nous
attendons de goûter pour
estimer si, gustativement,
l’intérêt est là ou pas. En-
suite, il semble bien que
cette innovation ait autant
de points positifs que né-
gatifs. Elle permettra, si
elle se généralise, de libérer
des terres agricoles dédiées
à l’élevage, ce qui est une
bonne chose quand on
sait qu’il participe pour
une large part à la défores-
tation et au changement
climatique. Elle poussera
à en finir avec l’élevage
­intensif et des pratiques
d’un autre âge, tel le gavage
des oies pour le foie gras
car il y aura même du foie
gras de synthèse. Mais
cette viande in vitro ne
pourra pas être consom-
mée par les végétariens,
car issue de cellules ani­-
males. Et, surtout, avons-
nous vraiment envie de
­vivre dans un monde où la
viande serait d’origine
­artificielle avec tout ce que
cela implique dans notre
rapport à la nature? Un
monde nourri par les labo-
ratoires des entreprises
et plus par les paysans?•
Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3
C’
estunpaysoùlaquestion
«as-tu mangé?» a rem-
placénotreconventionnel
«comment ça va?» lorsque l’on
croise un collègue, ou que l’on ren-
tre chez soi le soir. C’est un peuple
incroyablement fier de la richesse
de sa gastronomie, qui tâche d’ins-
crireàlalistedupatrimoineimma-
tériel de l’Unesco le savoir-faire de
sesnombreuxbouis-bouis,maisqui
peut déjà s’enorgueillir d’avoir été
la première nation où deux restau-
rateurs ambulants ont décroché
une étoile au guide Michelin.
«Peur». Singapour est donc un
pays où l’on aime manger, et bien
manger, mais où l’on pourra égale-
ment bientôt consommer des nug-
gets de poulet fabriqué en labora-
toire. «Viande artificielle» est
l’expression consacrée pour nom-
mer cette nouvelle technique qui
utilise des cellules-souches d’ori-
gine animale cultivées ensuite
dans un espace stérile. Le profes-
seur William Chen, directeur du
programme de science et techno­-
logie alimentaire à la Nanyang
Technological University de Sin­-
gapour, préfère, lui, parler de
«viande de culture» ou de «viande
de laboratoire».
decommercialiserdelaviandearti-
ficielle est l’aboutissement de
deux ans passés à contrôler les ris-
quessanitairesd’unetellecréation,
le professeur reconnaît tout de
mêmeque«leseffortssesontintensi-
fiés avec le coronavirus».
Singapour,malgrélesparolesrassu-
rantes de son Premier ministre qui
assuraitle8févrierquelepaysavait
des stocks alimentaires suffisants,
n’a pas échappé à ces scènes de su-
permarchésdévalisésdansunvent
de panique très éloigné des images
de civisme et d’ordre que l’on prête
généralement aux Singapouriens.
Lorsque les frontières se sont en-
suite peu à peu fermées, le petit
monde de l’élevage local a été sé-
rieusement perturbé: l’absence
d’unemain-d’œuvreenprovenance
delaMalaisievoisineaainsiralenti
de30%laproductiondevolaillesde
Toh Thye San Farm, dont les pou-
lets ne pesaient en moyenne plus
que 1,3 kilo, contre 2 auparavant.
Nuggetspionniers.Alorsquela
pandémiedecoronavirusn’esttou-
jourspascontrôléeàl’échellemon-
diale, Singapour songe déjà aux
prochaines crises sanitaires globa-
les.PourlePr Chen,«ilfauts’assurer
quel’onpeutsurvivrequelquesmois
encasd’arrêttotaldel’approvision-
nement alimentaire». Et pour un
pays urbanisé plus petit que Lon-
dres, la viande artificielle est une
solutiontoutetrouvée: «Commeles
fermes verticales, que nous cher-
chons également à développer, la
viande produite en laboratoire ne
prendpasbeaucoupdeplace.Enou-
tre, à ­Singapour, personne ne sera
perdantavecsondéveloppementcar
nous n’avons que deux entreprises
d’élevage,donccelanerisquepasde
causer de dommages à ce secteur, et
cela n’affectera pas non plus l’ur­-
banismepuisqu’iln’yapasbesoinde
pâturage.»
Aucun perdant donc pour le scien-
tifique, mais clairement plusieurs
gagnants: si la première entreprise
autorisée à vendre de la viande de
laboratoire est la start-up califor-
nienneEatJust,avecsesnuggetsde
poulet au prix d’une excellente vo-
laille fermière, tout un écosystème
singapourien est également prêt
à mettre sur le marché du lait de
synthèse, du porc ou des crevettes
de ­laboratoire.
En attendant toutes ces innova-
tions, les nuggets pionniers sem-
blent mettre toutes les chances de
leurcôtépourséduirelesSingapou-
riens.Lepouletestdéjàlapremière
viande consommée dans ce pays
multiethnique qui compte des
bouddhistes,desmusulmansetdes
hindous.Lastart-upEatJustassure
par ailleurs qu’elle veillera tout de
même à ce que son poulet artificiel
puisse être certifié halal.
Gabrielle Maréchaux
Correspondance régionale
à Kuala Lumpur
A Singapour, les faux filets
bientôt dans l’assiette
La viande cellulaire
de poulet va pouvoir
être servie aux clients
d’un restaurant
de la cité-Etat asiatique,
où le lait de synthèse,
le porc et les crevettes
sont également prêts
à être développés
en laboratoire.
Le poulet artificiel
développé par
la start-up californienne
Eat Just. Photo REUTERS
Pour le scientifique, également
membre d’un groupe d’experts au
seindel’Agencedesécuritéalimen-
tairedeSingapour,letermegénéri-
queconnotedemanièrenégativece
nouveau produit dont la vente est
autorisée à Singapour de-
puis mercredi. «Artifi-
ciel, ça fait toujours
peur, et cela peut
être ­trompeur ici:
la viande de la­-
boratoire n’utilise
par exemple pas
d’antibiotiques»,
développe-t-il.
Pour tenir ce proces-
susinéditde­fabrication
loin de l’imaginaire de
lascience-fiction,l’universitairefor­-
méenBelgiqueproposeégalement
uneanalogiebienmoinseffrayante:
«C’estcommelebrassagedelabière»,
assure-t-il. Pour ­convaincre ses
­concitoyensdelanécessitédecette
innovation, il développe une liste
d’argumentsquirésonnentdema-
nièretrès­concrèteenpleinepandé-
mie,notammentceluidel’importa-
tion. «Singapour est
unpetitpays.Nous
importons plus
de 90% de notre
alimentation, et
l’année 2020 a
montré que cela
­présentait un très
grand risque. Il y a
donc un besoin im­-
périeux de trouver de
nouvelles sources d’ali-
mentation locales et, pour
cela,dedépasserlesfron­tièresdela
technologie.»Sicettecerti­tudeétait
déjàdanslesesprits­singapouriens
avantleCovid-19,etsil’autorisation
200 km
Mer de Chine
méridionale
Mer de Java
CAMBODGE
VIETNAM
THAÏLANDE
INDONÉSIE
SINGAPOUR
MALAISIE
Kuala Lumpur
Sumatra
Ile de Bornéo
Jakarta
4 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020
serledésirdeproduitsnouveaux.
Sur le premier point, ce sont les
associationsde“défense”desani-
mauxquisontmobiliséesenmul-
tipliantimagesetdiscourscontre
“l’élevage industriel” en plaçant
finalement les consommateurs
devant une alternative: ou “l’éle-
vageindustriel”oulaviandeculti-
vée[lireLibérationdejeudi,ndlr].
Surlesecondpoint,l’ouverturede
restaurants pro­posant de la
viande cultivée est une offre de
distinctionetunmarqueurmoral
pour des consom­mateurs sensi-
blesauxvaleursdel’idéologiedo-
minante qu’ils contribueront à
propager.
«Il existe une autre voie, que les
promoteurs de la viande cultivée
refusentdeconsidérer,c’estl’éle-
vagepaysan.Nouspouvonssortir
dessystèmesindustrielssansrom-
prenosliensaveclesanimauxde
ferme en installant, non pas des
incubateursàviandeàl’entréedes
villes,maisdesmilliersdepaysans
danslescampagnes.N’endéplaise
aux actionnaires et aux “défen-
seurs”desanimaux,les­vachesne
sont pas encore sorties de l’his-
toire.»
Recueilli par S.F.
A
ncienneéleveuseetsocio­-
logue à l’Inrae, Jocelyne
Porcherdéfendl’élevageà
taillehumaineetleretouràunere-
lationplusconscienteduconsom-
mateuravecl’animalqu’ilmange.
Elles’opposeàlaviandeartificielle
danssondernierlivrenotamment,
Causeanimale,causeducapital(le
Bord de l’eau, 2019).
«L’arrivée de la viande cultivée
dans les nuggets est perçue par
certains comme l’amorce d’un
changement de paradigme ali-
mentairequiseraitbénéfiqueàla
planète, aux animaux et aux
­consommateurs. Pourtant, cette
évolution n’a rien de révolution-
naire.Elles’inscritaucontrairetrès
logiquement dans la dynamique
d’industrialisationdel’élevageen-
tamée au XIXe siècle avec l’émer-
gence du capitalisme industriel.
«Lorsqu’en 2011, Joshua Tetrick,
alors président de l’entreprise
HamptonCreekFoods(rebaptisée
EatJustàlasuitededéboiresjudi-
ciaires) affirmait: “Le monde de
l’alimentation ne fonctionne plus.
Il n’est pas durable, il est malsain
et dangereux […], nous voulons
créer un nouveau modèle qui ren-
drait le précédent obsolète”, il té-
moignaitclairementdesesinten-
tions. L’objectif est bien de créer
un nouveau modèle centré sur la
productiondelamatièreanimale
à partir d’animaux. Pour le bien
commun,ilserait,selonlui,main-
tenant préférable de produire la
matièreanimalesanslesanimaux
ou du moins à un autre niveau
d’extraction. La cellule au lieu
de l’animal entier. L’incubateur
au lieu de la vache.
«Autrement dit, il
s’agit de changer le
processus de pro-
ductionetleniveau
d’extraction mais
pas le système de
pensée sous-jacent
qui reste le même,
utilitaristeetinstru-
mental.L’animalest
toujoursréduitàsonpotentielde
production.Cequ’exprimeclaire-
ment Mark Post, pionnier des re-
cherchessurlaviandeinvitro:“La
viande in vitro de bovin est 100%
naturelle,ellegrossitendehorsde
lavache.”Autrementditcetteder-
nière n’est qu’un contenant que
l’onpeutremplacerparunincuba-
teur.Ellen’aaucuneexistenceau-
delà de son utilité productive.
«Cetteproductionhorssoldema-
tière animale supposée nourrir le
monde recèle, et c’est là son inté-
rêtprincipal,ungisementdepro-
fits quasi infinis. Car, si depuis
unedécennie,certainsmilliardai-
res et fonds d’investissement mi-
sentsurlaviandecultivée,cen’est
pas par souci des animaux ou de
la planète, qu’ils contribuent à
­détruire par ailleurs, mais parce
que ­ces innovations
sont ­potentiellement
­ultra-rentables et
qu’elles vont géné-
rer une dépendance
­alimentaire durable
des consommateurs.
«Si l’on suppose que
la production de la
matière animale en
incubateur ne pose
aujourd’hui plus de problèmes
techniquesmajeurs,lesstratégies
des investisseurs sont de fait
orientéessurlaconstructiondela
demande. Comment faire pour
que les consommateurs, n’im-
porte où dans le monde,
­consentent,voireréclament,dela
viandecultivée?Ilfautd’unepart
susciter le rejet des anciens pro-
duitsanimauxetd’autrepartatti-
Contre
DR
«Il existe une autre voie,
c’est l’élevage paysan»
semble être
­intéressé pour se lancer dans la
course. En France, les investisseurs
lorgnent plutôt d’autres substituts,
comme Xavier Niel qui soutient la
viande à base de plantes.
Les jeunes pousses de la viande
­cellulaire bousculent un modèle de
société,eteninquiètentcertains.«On
s’éloigne complètement de l’agricul-
turefamiliale.Est-cequ’onveutvrai-
mentquedegrandesentreprisescon-
trôlentlaproductiondeviandedans
lemonde?»metengardeJean-Fran-
çoisHocquette.Quantauxbienfaits
environnementaux,ilsrestentàdé-
terminer. L’arrivée de la viande in
­vitropourraitréduireconsidérable-
mentlenombred’animauxd’élevage
abattus, ce qui libérerait des terres,
feraitbaisserla­consommationd’eau
et d’énergie.
Hormones chimiques
Mais les études sur l’impact écolo­-
giquepatinentunpeu,notamment
parce qu’aucune usine n’est encore
vraiment en fonctionnement.
En 2011 puis 2014, la chercheuse
HannaTuomisto,del’universitéde
Helsinki, a mené deux études évo-
quant une «baisse substantielle des
émissionsdegazàeffetdeserre».Mais
unrapportdejanvier2019duForum
économiquemondialconsidèreque
laculturedeviandedebœufinvitro
permettrait,«danslecontextedesmé-
thodes de production», une «réduc-
tionmodeste»desgazàeffetdeserre
émisparrapportàlaproductionbo-
vineactuelle,del’ordrede7%.L’en-
quêtepréconiseplutôtunetransition
versdesalternativesàbasedeplan-
tesoud’insectes.Peuaprès,unepa-
rutiondechercheursdel’université
d’Oxford assure pour sa part que,
pourunemêmequantitéproduite,le
méthaneémisparlebétailayantune
durée de vie plus courte que le CO2
(douzeanscontreplusdecentans),
cetteindustrieémergenteetsesbio-
réacteurs gourmands en énergie
pourraientmêmeêtreplusnocifsque
l’élevageactuelsurletrèslongterme
–les projections ayant été réalisées
sur mille ans.
La question des enjeux sanitaires
resteelleaussiensuspens.Sesparti-
sansdisentlaviandecellulairemoins
grasse,sansantibiotiquesnivirusou
bactériesprésentsdanslesélevages
etlesabattoirs.Etproduitesansen-
graisnipesticides.LeForumécono-
mique mondial, lui, estime que la
viandedebœufinvitroprésentedes
conséquencessurlasantésimilaires
àceuxdelaviandenaturelle.L’atten-
tion des autoritéssanitairesdevrait
notammentportersurleshormones
synthétiquesouchimiquesutilisées
pourlacroissancedescellules,etles
risquesliésàlamultiplicationdecel-
les-ci.Siaucundangern’estavéréàce
jour,lesétudesetlestestsdevraient
prendre plusieurs années.
Enfin, un point d’interrogation de-
meuresurlaréactiondesconsomma-
teurs.Jean-FrançoisHocquette:«La
questionquiseposeest:sionadel’ar-
gentpublicàdépenser,vaut-ilmieux
l’investir sur cette technologie assez
incertaineousurd’autresrecherches
ou actions susceptibles de résoudre
lesproblèmestelsquelaréductiondu
gaspillagealimentaireetpromouvoir
unélevageplusagroécologique?»•
Suite de la page 2
L
a philosophe Florence Burgat creuse
­depuis des années les ressorts de notre
Humanité carnivore (son livre paru au
Seuil,2017).Végétariennedelonguedate,elle
estime que la viande de synthèse pourrait
­représenter un premier pas de géant vers un
monde sans tuerie animale.
«L’effroinoussaisittous,désormais,àvoirles
conditions d’élevage et d’abattage des bêtes
destinées à devenir de la viande industrielle,
­régulièrementdénoncéesparlesassociations.
Tout le monde ou presque s’accorde au-
jourd’hui pour rejeter ces pratiques, et pour-
tant, nous voulons continuer à manger de la
viande. Tout le monde ou presque aimerait
­cesser ces tueries industrielles et encourager
l’élevage “à taille humaine”, “artisanal”, et
pourtant celui-ci ne peut répondre à la de-
mande massive de viande. La viande de syn-
thèsemesembledoncrépondreauxcontradic-
tions­contemporaines:ceuxquilesouhaitent
pourraient continuer à manger de la viande,
mais fa­briquée en laboratoire à partir de
­cellules ­d’animaux.
«L’idéal,àmesyeux,seraitquenousarrêtions
tousdeconsommerdelachaireanimale.Mais
dansl’urgence(lesélevagesindustrielssontdes
nids à virus et la deuxième cause du change-
ment climatique), et puisqu’on ne basculera
pas soudainement dans un régime végétal, la
viandeinvitromesembleêtreunpremierpas
colossal.
«Jecomprendsmallavirulencedeceuxquis’y
opposent.Laréactionépidermique–“çavient
d’un labo, je ne sais pas ce qu’il y a dedans”–
peut s’entendre. Mais sait-on ce qu’on mange
quandnousingéronsdelaviandereconstituée
etbourréed’antibiotiquesissuedelafilièrein-
dustrielle, d’animaux modifiés
­génétiquement et porteurs de
­pathologies?
«On reproche aussi à la viande
­artificielle d’être la création de
start-uppersfinancéspardesmil-
liardaires –les riches ont bien le
droitdesesoucierdelacondition
animale ! – et par les grands
­groupes industriels de la filière
viande. Personne n’est naïf: les
firmes agroalimentaires ne se
sont pas réveillées du jour au lendemain sou-
cieusesdusortdesanimauxetduchangement
climatique.Ellesanticipentlafind’unsystème
à bout de souffle et flairent un nouveau mar-
ché. Mais quel est le problème si cela permet
d’éviter la tuerie de centaines de millions
d’animaux chaque année?
«Laviandeartificielleestparailleursunobjet
trèsintéressantphilosophiquement:ellenous
permetdefairelapartdeschosesetdecerner
ce à quoi nous tenons réellement dans la
viande. Pourquoi refuser la viande in vitro?
Est-ceuneaffairedegoût,deconsistance?Ces
sensationsserontsansdouteparfaitementre-
produites et la grande majorité des produits
carnés consommés aujourd’hui le sont déjà
sousuneformetransformée.Est-cealorsl’idée
demangerunanimalmort,lemeurtreenlui-
même,quinousmanqueraitsionnesenourris-
saitpasde«vraie»viande?Ontoucheiciàquel-
quechosedefondamental:pour
asseoirsasingu­larité,l’humanité
n’a pas seulement pensé sa dis-
tinctionavecl’animal,ellel’aagie
en mangeant des animaux.
«Pourtantjepensequenouspour-
rions bien adopter à l’avenir la
viande de synthèse. “Tuer des
êtresvivantspours’ennourrirpose
auxhumains,qu’ilsensoientcons-
cientsounon,unproblèmephilo-
sophiquequetouteslessociétésont
tentéderésoudre”,écritClaudeLévi-Strauss.La
viandeinvitroestpeut-êtrelaréponsecontem-
poraine à ce malaise. Le marketing est notre
nouveau créateur de mythes. Il nous a long-
tempsfaitcroirequelemorceaudeviandeque
nous avions dans ­notre assiette venait d’un
agneau élevé en plein champ (nous savions,
biensûr,quec’étaitfaux,maisnousvoulionsy
croire).Ilpourradésormaisnousfaire«croire»
qu’avec la viande de laboratoire, nous man-
geonsdelaviande«heureuse»,élevéedansune
ferme.Nouscontinueronsànousraconterdes
histoires, comme nous l’avons toujours fait.»
Recueilli par Sonya Faure
Pour
L.Sueur
«La viande de synthèse répond aux
contradictions contemporaines»
Événement

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Viande Cellulaire

  • 1. IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,70 €, Andorre 3,70 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,00 €, Canada 6,70 $, Danemark 42 Kr, DOM 3,80 €, Espagne 3,70 €, Etats-Unis 7,50 $, Finlande 4,00 €, Grande-Bretagne 3,00 £, Grèce 4,00 €, Irlande 3,80 €, Israël 35 ILS, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,00 €, Maroc 33 Dh, Norvège 45 Kr, Pays-Bas 3,70 €, Portugal (cont.) 4,00 €, Slovénie 4,10 €, Suède 40 Kr, Suisse 4,70 FS, TOM 600 CFP, Tunisie 8,00 DT, Zone CFA 3 200 CFA. viandecellulaire lepouletpasnéestarrivéSingapour vient d’autoriser la vente de nuggets de volaille fabriquée en laboratoire. Une première mondiale qui ravive le débat sur les enjeux éthiques et environnementaux de la viande artificielle. pages 2-4 Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 www.liberation.fr
  • 2. 2 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 E t si les éleveurs étaient rem- placéspardescultivateursde viande?Si,enlieuetplacedes bêtes paissant, des camions à bes- tiaux et des abattoirs, émergeaient des laboratoires, des blouses blan- ches et des microscopes? Cauche- mar pour certains, rêve pour d’au- tres,laviandedesynthèseexistebel etbiendepuislepremiersteakhaché réalisé in vitro en 2013. Mais à 250000 euros les 140 grammes, il était alors loin de s’inviter sur les ­tables. Mercredi, un nouveau pas a été franchi. Un restaurant à Singa- pour a été autorisé à vendre de la viande de synthèse (lire ci-contre). Une première. Ses produits auront- ils bientôt leur place dans nos habi- tudesalimentaires?Rienn’estmoins sûr,carilsposentdesquestionséthi- ques comme environnementales. Sérum Les nuggets autorisés à Singapour sontlaproductiondelastart-upcali- fornienneEatJust.Misenventepour un«prixsimilaireaupoulethautde gammed’unrestaurantchic», selon l’expressiond’unporte-paroleinter- rogéparl’AFP,ilssontconçusàpartir decellulesanimalesetresterontsur- veillésparuneautoritésanitairepen- dantaumoinsvingtans.Leprincipe de la viande de laboratoire est rela­- tivement simple: des cellules sont multipliées,agrégéesetcoloréesàla betterave dans le cas de la viande rouge.Laméthodelapluscourante consisteàpréleverdes­cellulessou- ches par biopsie sur des bœufs, des cochonsouautrespoulets.Cesder- nières sont ensuite dé­veloppées en laboratoiredansdes­bioréacteurset alimentéespendantplusieurssemai- nes dans un milieu de culture pou- vantcontenirdusérumfœtalbovin, riche en facteurs de croissance. Extrait de sang de fœtus provenant de vaches gestantes, ce sérum reste une des principales épines dans le pieddespromoteursdelaviandere- vendiquée comme «propre». «Son utilisationiraitàl’encontredubien- être des animaux, c’est pourquoi ­aucuneentreprisedeviandecultivée necompte l’utiliser à terme»,assure Agriculture cellulaire France, qui a vulejourcetteannée.Pourcetteas- sociation,leSFBn’estdéjàplusd’ac- tualitédansdenombreusesentrepri- seset«sonutilisationneseraitmême pasrentabledansunelogiquedepro­- ductionindustrielle».Danslecasdes nuggetsEatJust,leGuardianexpli- que que le milieu de croissance en comprendbien,«maiscelui-ciesten grandepartieéliminéavantconsom- mation»etunsérumàbasedeplan- tesdevraitêtreutiliséàl’avenir.Pour Jean-FrançoisHocquette,directeur derechercheàl’Institutnationalde recherche pour l’agriculture, l’ali- mentation et l’environnement, «la questiondusérumdeveaufœtalpeut serésoudreaumoinsenpartie.Enre- vanche,onn’arriverajamaisàrepro- duire un vrai muscle car c’est très compliqué, au mieux on obtiendra une sorte de steak haché»… ou des nuggets, donc. Bill Gates et DiCaprio Cuir,poisson,fruitsdemer…Inspirée de la médecine régénérative et des greffesdetissus,laculturecellulaire nemanquepasdeperspectivesthéo- riques.D’autresméthodessontdéve- loppées pour produire de la nourri- ture de laboratoire sans impliquer d’animaux, comme la culture dite «acellulaire».Ungènedeprotéineest clonédansunmicro-organismequi Par Aurélie Delmas éditorial Événement Larecherche surlaviande artificielle prendchairAvec les nuggets de poulet de la start-up Eat Just, conçus à partir de cellules animales et autorisés à Singapour, le nouvel eldorado alimentaire sans agriculture devient de plus en plus concret. Mais soulève de nombreuses questions éthiques, sanitaires, et environnementales. reproduiracelle-ci.Onpeutainsiobte- nirdulait,delagélatineoudublanc d’œuf. Ce nouvel eldorado de l’agriculture cellulaire attise les appétits de start-up qui réalisent de grosses le- vées de fonds dans l’hémisphère Nord. Un écosystème qui serait «là pourdurer»,àencroireCyrineBen- Hafaïedh,enseignante-chercheuse en entrepreneuriat, innovation et stratégie à l’Iéseg School of Mana­- gement. «L’argent est là, les lobbys sont là, reste la réglementation», ­note-t-elle. Pas de «choc électrique» avecl’annoncedeSingapour,donc: «C’est “business as usual”: ils ont trouvéunpaysquiaccepte,sansdoute le premier d’une longue liste.» Derrièrecettemyriadedejeunesen- treprises, on retrouve, parmi les fi- nanceurs, des têtes d’affiche telles queBillGates,LeonardoDiCaprioou Sergueï Brin (cofondateur de Goo- gle), mais aussi des géants de la «vraie»viande,commeCargill,Tyson FoodsouBellFood.Deslabo­ratoires ­pharmaceutiques,fournisseurspo- tentielsdematièrepremière,nesont pas non plus indifférents. Pour l’instant, aucun organisme de recherche public ne Suite page 4 Par Alexandra Schwartzbrod Nature Et voilà, nous y sommes. Depuis le temps que nous vous l’annonçons, la viande artificielle arrive dans nos assiettes. Ou plu- tôt dans les assiettes des habitants de Singapour qui, depuis mercredi, peu- vent déguster des nuggets de poulet fabriqué en labo- ratoire à partir de cellules d’animaux. Ce n’est pas un hasard si Singapour est le premier pays à passer à l’acte. C’est un Etat ­minuscule, qui importe l’essentiel de son alimenta- tion. La pandémie, qui a stoppé nombre d’échanges commerciaux, lui a fait réa- liser à quel point il était dé- pendant. L’idée de revivre cette peur de manquer à l’occasion de nouvelles épi- démies lui a paru insup- portable et on peut le com- prendre, même si l’on garde un souvenir ému d’une spécialité de Singa- pour, un crabe au poivre, un vrai crabe sans doute pêché dans les eaux du ­détroit, dégusté dans l’une des multiples gargotes de la ville. En attendant, ne comptez pas sur nous pour apporter un avis tranché sur le sujet. D’abord nous attendons de goûter pour estimer si, gustativement, l’intérêt est là ou pas. En- suite, il semble bien que cette innovation ait autant de points positifs que né- gatifs. Elle permettra, si elle se généralise, de libérer des terres agricoles dédiées à l’élevage, ce qui est une bonne chose quand on sait qu’il participe pour une large part à la défores- tation et au changement climatique. Elle poussera à en finir avec l’élevage ­intensif et des pratiques d’un autre âge, tel le gavage des oies pour le foie gras car il y aura même du foie gras de synthèse. Mais cette viande in vitro ne pourra pas être consom- mée par les végétariens, car issue de cellules ani­- males. Et, surtout, avons- nous vraiment envie de ­vivre dans un monde où la viande serait d’origine ­artificielle avec tout ce que cela implique dans notre rapport à la nature? Un monde nourri par les labo- ratoires des entreprises et plus par les paysans?•
  • 3. Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3 C’ estunpaysoùlaquestion «as-tu mangé?» a rem- placénotreconventionnel «comment ça va?» lorsque l’on croise un collègue, ou que l’on ren- tre chez soi le soir. C’est un peuple incroyablement fier de la richesse de sa gastronomie, qui tâche d’ins- crireàlalistedupatrimoineimma- tériel de l’Unesco le savoir-faire de sesnombreuxbouis-bouis,maisqui peut déjà s’enorgueillir d’avoir été la première nation où deux restau- rateurs ambulants ont décroché une étoile au guide Michelin. «Peur». Singapour est donc un pays où l’on aime manger, et bien manger, mais où l’on pourra égale- ment bientôt consommer des nug- gets de poulet fabriqué en labora- toire. «Viande artificielle» est l’expression consacrée pour nom- mer cette nouvelle technique qui utilise des cellules-souches d’ori- gine animale cultivées ensuite dans un espace stérile. Le profes- seur William Chen, directeur du programme de science et techno­- logie alimentaire à la Nanyang Technological University de Sin­- gapour, préfère, lui, parler de «viande de culture» ou de «viande de laboratoire». decommercialiserdelaviandearti- ficielle est l’aboutissement de deux ans passés à contrôler les ris- quessanitairesd’unetellecréation, le professeur reconnaît tout de mêmeque«leseffortssesontintensi- fiés avec le coronavirus». Singapour,malgrélesparolesrassu- rantes de son Premier ministre qui assuraitle8févrierquelepaysavait des stocks alimentaires suffisants, n’a pas échappé à ces scènes de su- permarchésdévalisésdansunvent de panique très éloigné des images de civisme et d’ordre que l’on prête généralement aux Singapouriens. Lorsque les frontières se sont en- suite peu à peu fermées, le petit monde de l’élevage local a été sé- rieusement perturbé: l’absence d’unemain-d’œuvreenprovenance delaMalaisievoisineaainsiralenti de30%laproductiondevolaillesde Toh Thye San Farm, dont les pou- lets ne pesaient en moyenne plus que 1,3 kilo, contre 2 auparavant. Nuggetspionniers.Alorsquela pandémiedecoronavirusn’esttou- jourspascontrôléeàl’échellemon- diale, Singapour songe déjà aux prochaines crises sanitaires globa- les.PourlePr Chen,«ilfauts’assurer quel’onpeutsurvivrequelquesmois encasd’arrêttotaldel’approvision- nement alimentaire». Et pour un pays urbanisé plus petit que Lon- dres, la viande artificielle est une solutiontoutetrouvée: «Commeles fermes verticales, que nous cher- chons également à développer, la viande produite en laboratoire ne prendpasbeaucoupdeplace.Enou- tre, à ­Singapour, personne ne sera perdantavecsondéveloppementcar nous n’avons que deux entreprises d’élevage,donccelanerisquepasde causer de dommages à ce secteur, et cela n’affectera pas non plus l’ur­- banismepuisqu’iln’yapasbesoinde pâturage.» Aucun perdant donc pour le scien- tifique, mais clairement plusieurs gagnants: si la première entreprise autorisée à vendre de la viande de laboratoire est la start-up califor- nienneEatJust,avecsesnuggetsde poulet au prix d’une excellente vo- laille fermière, tout un écosystème singapourien est également prêt à mettre sur le marché du lait de synthèse, du porc ou des crevettes de ­laboratoire. En attendant toutes ces innova- tions, les nuggets pionniers sem- blent mettre toutes les chances de leurcôtépourséduirelesSingapou- riens.Lepouletestdéjàlapremière viande consommée dans ce pays multiethnique qui compte des bouddhistes,desmusulmansetdes hindous.Lastart-upEatJustassure par ailleurs qu’elle veillera tout de même à ce que son poulet artificiel puisse être certifié halal. Gabrielle Maréchaux Correspondance régionale à Kuala Lumpur A Singapour, les faux filets bientôt dans l’assiette La viande cellulaire de poulet va pouvoir être servie aux clients d’un restaurant de la cité-Etat asiatique, où le lait de synthèse, le porc et les crevettes sont également prêts à être développés en laboratoire. Le poulet artificiel développé par la start-up californienne Eat Just. Photo REUTERS Pour le scientifique, également membre d’un groupe d’experts au seindel’Agencedesécuritéalimen- tairedeSingapour,letermegénéri- queconnotedemanièrenégativece nouveau produit dont la vente est autorisée à Singapour de- puis mercredi. «Artifi- ciel, ça fait toujours peur, et cela peut être ­trompeur ici: la viande de la­- boratoire n’utilise par exemple pas d’antibiotiques», développe-t-il. Pour tenir ce proces- susinéditde­fabrication loin de l’imaginaire de lascience-fiction,l’universitairefor­- méenBelgiqueproposeégalement uneanalogiebienmoinseffrayante: «C’estcommelebrassagedelabière», assure-t-il. Pour ­convaincre ses ­concitoyensdelanécessitédecette innovation, il développe une liste d’argumentsquirésonnentdema- nièretrès­concrèteenpleinepandé- mie,notammentceluidel’importa- tion. «Singapour est unpetitpays.Nous importons plus de 90% de notre alimentation, et l’année 2020 a montré que cela ­présentait un très grand risque. Il y a donc un besoin im­- périeux de trouver de nouvelles sources d’ali- mentation locales et, pour cela,dedépasserlesfron­tièresdela technologie.»Sicettecerti­tudeétait déjàdanslesesprits­singapouriens avantleCovid-19,etsil’autorisation 200 km Mer de Chine méridionale Mer de Java CAMBODGE VIETNAM THAÏLANDE INDONÉSIE SINGAPOUR MALAISIE Kuala Lumpur Sumatra Ile de Bornéo Jakarta
  • 4. 4 u Libération Samedi 5 et Dimanche 6 Décembre 2020 serledésirdeproduitsnouveaux. Sur le premier point, ce sont les associationsde“défense”desani- mauxquisontmobiliséesenmul- tipliantimagesetdiscourscontre “l’élevage industriel” en plaçant finalement les consommateurs devant une alternative: ou “l’éle- vageindustriel”oulaviandeculti- vée[lireLibérationdejeudi,ndlr]. Surlesecondpoint,l’ouverturede restaurants pro­posant de la viande cultivée est une offre de distinctionetunmarqueurmoral pour des consom­mateurs sensi- blesauxvaleursdel’idéologiedo- minante qu’ils contribueront à propager. «Il existe une autre voie, que les promoteurs de la viande cultivée refusentdeconsidérer,c’estl’éle- vagepaysan.Nouspouvonssortir dessystèmesindustrielssansrom- prenosliensaveclesanimauxde ferme en installant, non pas des incubateursàviandeàl’entréedes villes,maisdesmilliersdepaysans danslescampagnes.N’endéplaise aux actionnaires et aux “défen- seurs”desanimaux,les­vachesne sont pas encore sorties de l’his- toire.» Recueilli par S.F. A ncienneéleveuseetsocio­- logue à l’Inrae, Jocelyne Porcherdéfendl’élevageà taillehumaineetleretouràunere- lationplusconscienteduconsom- mateuravecl’animalqu’ilmange. Elles’opposeàlaviandeartificielle danssondernierlivrenotamment, Causeanimale,causeducapital(le Bord de l’eau, 2019). «L’arrivée de la viande cultivée dans les nuggets est perçue par certains comme l’amorce d’un changement de paradigme ali- mentairequiseraitbénéfiqueàla planète, aux animaux et aux ­consommateurs. Pourtant, cette évolution n’a rien de révolution- naire.Elles’inscritaucontrairetrès logiquement dans la dynamique d’industrialisationdel’élevageen- tamée au XIXe siècle avec l’émer- gence du capitalisme industriel. «Lorsqu’en 2011, Joshua Tetrick, alors président de l’entreprise HamptonCreekFoods(rebaptisée EatJustàlasuitededéboiresjudi- ciaires) affirmait: “Le monde de l’alimentation ne fonctionne plus. Il n’est pas durable, il est malsain et dangereux […], nous voulons créer un nouveau modèle qui ren- drait le précédent obsolète”, il té- moignaitclairementdesesinten- tions. L’objectif est bien de créer un nouveau modèle centré sur la productiondelamatièreanimale à partir d’animaux. Pour le bien commun,ilserait,selonlui,main- tenant préférable de produire la matièreanimalesanslesanimaux ou du moins à un autre niveau d’extraction. La cellule au lieu de l’animal entier. L’incubateur au lieu de la vache. «Autrement dit, il s’agit de changer le processus de pro- ductionetleniveau d’extraction mais pas le système de pensée sous-jacent qui reste le même, utilitaristeetinstru- mental.L’animalest toujoursréduitàsonpotentielde production.Cequ’exprimeclaire- ment Mark Post, pionnier des re- cherchessurlaviandeinvitro:“La viande in vitro de bovin est 100% naturelle,ellegrossitendehorsde lavache.”Autrementditcetteder- nière n’est qu’un contenant que l’onpeutremplacerparunincuba- teur.Ellen’aaucuneexistenceau- delà de son utilité productive. «Cetteproductionhorssoldema- tière animale supposée nourrir le monde recèle, et c’est là son inté- rêtprincipal,ungisementdepro- fits quasi infinis. Car, si depuis unedécennie,certainsmilliardai- res et fonds d’investissement mi- sentsurlaviandecultivée,cen’est pas par souci des animaux ou de la planète, qu’ils contribuent à ­détruire par ailleurs, mais parce que ­ces innovations sont ­potentiellement ­ultra-rentables et qu’elles vont géné- rer une dépendance ­alimentaire durable des consommateurs. «Si l’on suppose que la production de la matière animale en incubateur ne pose aujourd’hui plus de problèmes techniquesmajeurs,lesstratégies des investisseurs sont de fait orientéessurlaconstructiondela demande. Comment faire pour que les consommateurs, n’im- porte où dans le monde, ­consentent,voireréclament,dela viandecultivée?Ilfautd’unepart susciter le rejet des anciens pro- duitsanimauxetd’autrepartatti- Contre DR «Il existe une autre voie, c’est l’élevage paysan» semble être ­intéressé pour se lancer dans la course. En France, les investisseurs lorgnent plutôt d’autres substituts, comme Xavier Niel qui soutient la viande à base de plantes. Les jeunes pousses de la viande ­cellulaire bousculent un modèle de société,eteninquiètentcertains.«On s’éloigne complètement de l’agricul- turefamiliale.Est-cequ’onveutvrai- mentquedegrandesentreprisescon- trôlentlaproductiondeviandedans lemonde?»metengardeJean-Fran- çoisHocquette.Quantauxbienfaits environnementaux,ilsrestentàdé- terminer. L’arrivée de la viande in ­vitropourraitréduireconsidérable- mentlenombred’animauxd’élevage abattus, ce qui libérerait des terres, feraitbaisserla­consommationd’eau et d’énergie. Hormones chimiques Mais les études sur l’impact écolo­- giquepatinentunpeu,notamment parce qu’aucune usine n’est encore vraiment en fonctionnement. En 2011 puis 2014, la chercheuse HannaTuomisto,del’universitéde Helsinki, a mené deux études évo- quant une «baisse substantielle des émissionsdegazàeffetdeserre».Mais unrapportdejanvier2019duForum économiquemondialconsidèreque laculturedeviandedebœufinvitro permettrait,«danslecontextedesmé- thodes de production», une «réduc- tionmodeste»desgazàeffetdeserre émisparrapportàlaproductionbo- vineactuelle,del’ordrede7%.L’en- quêtepréconiseplutôtunetransition versdesalternativesàbasedeplan- tesoud’insectes.Peuaprès,unepa- rutiondechercheursdel’université d’Oxford assure pour sa part que, pourunemêmequantitéproduite,le méthaneémisparlebétailayantune durée de vie plus courte que le CO2 (douzeanscontreplusdecentans), cetteindustrieémergenteetsesbio- réacteurs gourmands en énergie pourraientmêmeêtreplusnocifsque l’élevageactuelsurletrèslongterme –les projections ayant été réalisées sur mille ans. La question des enjeux sanitaires resteelleaussiensuspens.Sesparti- sansdisentlaviandecellulairemoins grasse,sansantibiotiquesnivirusou bactériesprésentsdanslesélevages etlesabattoirs.Etproduitesansen- graisnipesticides.LeForumécono- mique mondial, lui, estime que la viandedebœufinvitroprésentedes conséquencessurlasantésimilaires àceuxdelaviandenaturelle.L’atten- tion des autoritéssanitairesdevrait notammentportersurleshormones synthétiquesouchimiquesutilisées pourlacroissancedescellules,etles risquesliésàlamultiplicationdecel- les-ci.Siaucundangern’estavéréàce jour,lesétudesetlestestsdevraient prendre plusieurs années. Enfin, un point d’interrogation de- meuresurlaréactiondesconsomma- teurs.Jean-FrançoisHocquette:«La questionquiseposeest:sionadel’ar- gentpublicàdépenser,vaut-ilmieux l’investir sur cette technologie assez incertaineousurd’autresrecherches ou actions susceptibles de résoudre lesproblèmestelsquelaréductiondu gaspillagealimentaireetpromouvoir unélevageplusagroécologique?»• Suite de la page 2 L a philosophe Florence Burgat creuse ­depuis des années les ressorts de notre Humanité carnivore (son livre paru au Seuil,2017).Végétariennedelonguedate,elle estime que la viande de synthèse pourrait ­représenter un premier pas de géant vers un monde sans tuerie animale. «L’effroinoussaisittous,désormais,àvoirles conditions d’élevage et d’abattage des bêtes destinées à devenir de la viande industrielle, ­régulièrementdénoncéesparlesassociations. Tout le monde ou presque s’accorde au- jourd’hui pour rejeter ces pratiques, et pour- tant, nous voulons continuer à manger de la viande. Tout le monde ou presque aimerait ­cesser ces tueries industrielles et encourager l’élevage “à taille humaine”, “artisanal”, et pourtant celui-ci ne peut répondre à la de- mande massive de viande. La viande de syn- thèsemesembledoncrépondreauxcontradic- tions­contemporaines:ceuxquilesouhaitent pourraient continuer à manger de la viande, mais fa­briquée en laboratoire à partir de ­cellules ­d’animaux. «L’idéal,àmesyeux,seraitquenousarrêtions tousdeconsommerdelachaireanimale.Mais dansl’urgence(lesélevagesindustrielssontdes nids à virus et la deuxième cause du change- ment climatique), et puisqu’on ne basculera pas soudainement dans un régime végétal, la viandeinvitromesembleêtreunpremierpas colossal. «Jecomprendsmallavirulencedeceuxquis’y opposent.Laréactionépidermique–“çavient d’un labo, je ne sais pas ce qu’il y a dedans”– peut s’entendre. Mais sait-on ce qu’on mange quandnousingéronsdelaviandereconstituée etbourréed’antibiotiquesissuedelafilièrein- dustrielle, d’animaux modifiés ­génétiquement et porteurs de ­pathologies? «On reproche aussi à la viande ­artificielle d’être la création de start-uppersfinancéspardesmil- liardaires –les riches ont bien le droitdesesoucierdelacondition animale ! – et par les grands ­groupes industriels de la filière viande. Personne n’est naïf: les firmes agroalimentaires ne se sont pas réveillées du jour au lendemain sou- cieusesdusortdesanimauxetduchangement climatique.Ellesanticipentlafind’unsystème à bout de souffle et flairent un nouveau mar- ché. Mais quel est le problème si cela permet d’éviter la tuerie de centaines de millions d’animaux chaque année? «Laviandeartificielleestparailleursunobjet trèsintéressantphilosophiquement:ellenous permetdefairelapartdeschosesetdecerner ce à quoi nous tenons réellement dans la viande. Pourquoi refuser la viande in vitro? Est-ceuneaffairedegoût,deconsistance?Ces sensationsserontsansdouteparfaitementre- produites et la grande majorité des produits carnés consommés aujourd’hui le sont déjà sousuneformetransformée.Est-cealorsl’idée demangerunanimalmort,lemeurtreenlui- même,quinousmanqueraitsionnesenourris- saitpasde«vraie»viande?Ontoucheiciàquel- quechosedefondamental:pour asseoirsasingu­larité,l’humanité n’a pas seulement pensé sa dis- tinctionavecl’animal,ellel’aagie en mangeant des animaux. «Pourtantjepensequenouspour- rions bien adopter à l’avenir la viande de synthèse. “Tuer des êtresvivantspours’ennourrirpose auxhumains,qu’ilsensoientcons- cientsounon,unproblèmephilo- sophiquequetouteslessociétésont tentéderésoudre”,écritClaudeLévi-Strauss.La viandeinvitroestpeut-êtrelaréponsecontem- poraine à ce malaise. Le marketing est notre nouveau créateur de mythes. Il nous a long- tempsfaitcroirequelemorceaudeviandeque nous avions dans ­notre assiette venait d’un agneau élevé en plein champ (nous savions, biensûr,quec’étaitfaux,maisnousvoulionsy croire).Ilpourradésormaisnousfaire«croire» qu’avec la viande de laboratoire, nous man- geonsdelaviande«heureuse»,élevéedansune ferme.Nouscontinueronsànousraconterdes histoires, comme nous l’avons toujours fait.» Recueilli par Sonya Faure Pour L.Sueur «La viande de synthèse répond aux contradictions contemporaines» Événement