1. L’architecture et la représentation de la communauté:
l’espace, le haut et le bas
Guy Lanoue,
Université de Montréal, 2009
2. Le design monumental (le monumentalisme)
utilise:
• 1) la lumière
• 2) les masses
• 3) l’espace (le vide)
• 4) la gestalt
dans le but de définir un rapport particulier entre
l’ensemble et ses composants, qui est une
métaphore pour le rapport individu-communauté.
Dans l’architecture et le design en occident, il y a
une tension entre la structure portante (censé être
camouflée) et la façade (censé être la synecdoque
de l’édifice ou du monument), comme il y avait
un jeu visuel entre le haut et le bas, qui
représentaient, comme on peut supposer, un
système de hiérarchie sociale.
Depuis l’époque victorienne en Europe, les
architectes ont utilisé le fer pour mettre la
structure portante en évidence, plutôt de la
cacher), la transformant ainsi en entité
monumentale. Bref, la structure portante
(colonnes, arches, murs) était traditionnellement
contrastée et cachée par la façade ou «cachée»
par un toit massif; aujourd’hui, elle est devenue
(comme dans l’exemple à gauche) un véhicule
métaphorique pour le rapport entre l’individu et
le social qu’il représente.
3. Plusieurs signes architecturaux
transforment l’espace public en marqueur
du statuquo politique, mais Goodsell
(1988:10) en a identifié quatre qui
semblent être partagés en Occident depuis
l’époque classique:
• 1) tels espaces sont totalement contrôlés
par les autorités
• 2) l’accès par le public est restreint et
contrôlé
• 3) leur destination politique est bien
connue
• 4) ils sont renfermés
J’ajouterais une 5e: tels espaces sont des
lieux où se manifeste la tension entre les
signes de l’individu et les métaphores de la
communauté.
Tels lieux sont donc des espaces rituels,
car a) ils sont composés d’un nombre
limité d’objets-signes, et b) ces
composants sont organisés selon un
modèle assez précis.
Goodsell, Charles
1988 The Social Mean of Civic Space: Studying Political Authority through
Architecture, University of Kansas Press, Lawrence
4. Une maison privée (reconstruite), Ostia Antica
Les détails architecturaux de l’espace
privé sont également significatifs pour
comprendre l’image de la
communauté.
Ici, dans un style devenu iconique pour
l’Italie, le rez-de-chaussée est
clairement distingué des étages
supérieurs. Cet étage est censé être
accessible au public, en contraste avec
les autres, destinés à l’usage privé.
Aujourd’hui, les bâtiments italiens
conservent cette distinction, avec des
commerces et ateliers situés au niveau
de la rue, surmontés d’appartements
privés. Chaque édifice est
sémiotiquement organisé comme une
pyramide (sans qu’il y assume la
forme), avec la base qui représente la
dimension publique (qui est facilement
«pénétrée» et donc sémiotiquement
«féminine», et le sommet qui est signe
du privé ou de l’intime, du haut et
donc de la tête, du masculin, et du
pouvoir de la gouvernance.
5. Édifice, 16e siècle, Rome
Immeuble contemporain, Rome
Notez le rez-de-chaussée distinct
La continuité dans l’idéation de l’édifice
est signe que les tensions entre individu et communauté existent toujours; dans ce cas,
la décoration propre à chaque étage est évidemment liée à la présence d’un système de
hiérarchisation – les divisions de classe sont importantes pour cette société
7. L’Acropole, Athènes, et le message de l’État «parfait»
Il est impossible de constater visuellement
(et ceci est l’effet voulu par les architectes
de ce monument) que les bases du toit
(dans les deux dimensions de longueur et
de profondeur du linteau) ne sont pas
parfaitement droites ni parallèles à la base
de la structure. En effet, les parties
centrales des deux dimensions (indiquées
par les deux flèches) dévient de
l’horizontale d’approximativement 3 cm,
et ceci pour créer une illusion optique que
ces linteaux vus du bas sont droits et
parallèles, car l’œil, en regardant vers le
haut, les aurait déformés; une personne
aurait pensé que les architectes se sont
trompés. Le sous-texte qui lie la perfection
de l’édifice au pouvoir étatique aurait été
saboté.
Ceci est la même déformation («la distorsion en barillet») du haut et du bas
d’une photographie produit par des lentilles non corrigées utilisées dans des
appareils photo bas de gamme.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons
/thumb/5/59/Lens_distorsion.png/300px-Lens_distorsion.png
9. Les colonnes deviennent des synecdoques de
l’ensemble, car le bâtiment n’est pas techniquement
réalisable sans eux; la décoration de la colonne est
une tentative de cacher et donc d’affaiblir cette
métaphore, la transformant ainsi en métonymie,
pour cacher la structure portante, ou au moins
réduire son impact visuel. Le résultat est la
transformation de cet élément structurel en détail
esthétique, et d’orienter l’œil vers la façade, même
quand, dans le cas des structures gréco-romaines,
strictement parlant, il n’y en a pas, car les murs du
temple (la cellule; nous sommes toujours dans le
domaine du monumentalisme) sont souvent
entourés de colonnes et érigés en tout cas à
l’intérieur de l’édifice. En fait, la décoration
«végétale» transforme la base et surtout le
chapiteau en élément terrestre, comme les flutes
allègent les colonnes en faisant disparaitre leur
qualité massive dans une masse de lignes fines.
Même dans l’absence de végétation, comme dans le
style ionique, la décoration reprend les thèmes du
toit, donc une partie de la colonne est visuellement
attachée au toit par ses décorations partagées.
Les trois catégories («ordres») de
colonnes de l’Antiquité
(corinthienne, ionique, dorique)
10. Temple, Paestum (Italie centrale)
Notez la domination des colonnes, qui cachent même les murs internes du bâtiment
(la cella, «cellule», la partie interne définie par les murs intérieurs)
Les architectes devaient
affronter un problème
esthétique: le poids visuel de
cette masse de colonnes et par
les murs de la cella semble
dominer au point de créer un
déséquilibre visuel, et donc ils
ont décoré la plinthe du toit, ou
parfois ils ont placé des statues
autour de son périmètre, pour
créer l’impression d’un toit plus
massif et donc en équilibre avec
la base. Cependant, ils
risquaient de sombrer dans un
cercle vicieux, car chaque
augmentation du poids du toit
renforçait, évidemment, le
besoin d’y placer plus de
colonnes portantes.
Dans la logique du monumentalisme étatique, un haut (toit) trop petit ou visuellement faible est signe
de la faiblesse de l’État: le haut doit toujours dominer le bas. On y ajoute des décorations à la frise
précisément pour signaler l’importance du haut.
11. Même si la partie
supérieure de l’arche est
relativement massive, l’œil
est inexorablement porté
vers le bas par les arches, la
structure portante. C’est
leur qualité «ouverte»,
voulue par les architectes
pour alléger l’ensemble, qui
doit être opposée par le
linteau énorme en haut;
visuellement, la
composition semble
déséquilibrée, mais «bien»
parce que les personnes
vivant dans les régimes
étatiques ont normalisé
l’idée que le haut domine le
bas.
L’arche de Constantin, Rome
12. La technologie du toit
Dans l’économie politique du visuel, le toit définit un espace ouvert qui est symbole de la
communauté: plus tel espace est-il grand, selon la logique sémiotique de métaphorisation du
lieu, plus la communauté est solidaire. La motivation pour le développement de nouvelles
technologies est peut-être liée au besoin de mieux représenter l’unité de l’empire.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/3d/Affresco
_dell%27aspetto_antico_della_basilica_costantiniana_di_san_pietro_nel
_IV_secolo.jpg/649px-Affresco_dell%27aspetto_antico_della_basilica_
costantiniana_di_san_pietro_nel_IV_secolo.jpg
Un toit triangulé:
l’ancien St-Pierre, Rome
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/8a/
Model_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg/800px-
Model_temple_of_Aphaia_Glyptothek_Munich.jpg
Un toit à linteau:
un modèle du temple d’Aphaia, Grèce
14. Les toits grecs
Source: http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_ancient_roofs
À noter que l’envergure des toits grecs,
même ceux triangulés, est plus petite
comparée aux toits romains, par un
facteur de deux ou trois. Puisque les
deux utilisaient essentiellement la même
technologie, la différence, logiquement,
est due à des visions esthétiques
divergentes: les Romains semblaient
ressentir plus le besoin de construire en
grand, de symboliser leur communauté
diverse et hautement polarisée (par les
divisions de classe qui menaçaient de la
saboter) en créant des espaces grands
dont le symbolisme soulignait l’union
symbolique de tous les protagonistes du
social. Ils avaient également besoin de
construire de grands toits, de grandes
«têtes» qui menaient l’œil vers le haut et
donc vers l’État force motrice derrière
ces projets monumentaux.
15. Église romanesque, Milan
Notez que les espaces ouverts des arches portent l’attention de l’œil vers le bas
Est-ce que l’addition des
tours (après que l’Église ait
supprimé la décoration
massive et «païenne» des
plinthes du toit, pour
retourner vers une simplicité
symbolique) serait-elle une
tentative de mener l’œil vers
le haut, la source symbolique
de l’autorité de l’Église?
16. Église classique, Rome
Basilique St-Paul-hors-les-murs
L’ampleur de l’espace intérieur est
limitée par la capacité structurelle des
poutres (en bois) du toit; les murs
doivent être massifs pour supporter le
poids du toit; plus large est l’espace
intérieur, plus les poutres sont énormes
et donc plus les murs doivent être
renforcés pour les soutenir; le plafond
visible (qui peut cacher un toit lourd,
mais invisible de l’intérieur) est donc
parfois suspendu de la structure «vraie»
du toit pour l’alléger visuellement. On
voit ici l’utilisation de coffrets (ou
«caissons», dont l’utilisation dans la
coupole du Panthéon est son trait
signalétique). Ils vont alléger le toit
visuellement: les règles changent une
fois qu’on passe à l’intérieur, car le toit
ne doit pas être si lourd qu’il donne
l’impression d’écraser le public. C’est
un autre sous texte de l’esthétique
étatique, qui veut communiquer la
solidarité de la communauté en dépit de
ses clivages de classe.
17. Église romanesque, Venise
L’utilisation de
l’arche et de la
coupole dans une
tentative d’alléger le
poids du toit (mais en
augmentant son
impacte visuelle et
donc orienter l’œil
vers le haut; le toit
comme structure
«disparait», pour être
remplacé par une
fantaisie flottante
comme une voile.
18. Les étapes pour construire une coupole byzantine
La coupole est une arche tournée 360 degrés
19. L’intérieur du Panthéon, Rome
Attribué au Consul Agrippa mais projeté par Hadrien
L’intérieur mesure
exactement 142 pieds de
large et de haut,
et la coupole repose sur
des murs de 71 pieds de
hauteur. La coupole est
construite en béton, qui
est allégé par l’utilisation
de coffres (les éléments à
l’apparence de cellules
ou fenêtres). Le toit
massif (la coupole)
semble «disparaitre»
grâce à ce design.
Coffre
20. Une autre vue du Panthéon
Les fausses portes dans
les murs semblent les
alléger, pour dissimuler
l’épaisseur des murs
obligatoirement massifs
afin de supporter une
coupole si grande (la
plus grande de la
planète après Saint-
Pierre). Ces fausses
portes signalent une
ouverture, comme si
cette partie supérieure
était au rez-de-chaussée.
Les murs donc
apparaissent plus légers
qu’ils le sont en réalité.
21. Église néo-romaine (Rome),
avec emphase sur la façade
La façade exagérée en
hauteur (qui dépasse le
vrai toit) est une
tentative de mieux
équilibrer haut et bas,
de minimiser le rôle
des murs comme
structure portante.
23. Notez qu’avec
l’utilisation de
l’arcboutant, une partie
du rôle technique du
mur (soutenir le toit)
est transféré à
l’extérieur, et donc
désormais il devient
techniquement
possible d’alléger les
murs, vus de
l’intérieur. Il est donc
moins nécessaire
d’utiliser de plinthes
hautement décorées et
de fausses façades
pour harmoniser le
haut et le bas.
Le style gothique
L’arcboutant
24. Style gothique (Notre-Dame, Paris)
La structure portante
(les arcboutants) est ici
manifestement visible:
elle est à l’extérieur de
la structure comme
telle. L’effet est
d’alléger l’intérieur et,
ironiquement, de
partiellement cacher les
espaces ouverts définis
par l’arche exagérée du
style gothique; enfin,
ces renforcements
agissent de flèches
visuelles et portent
l’œil vers le haut de la
structure
25. Gothique, avec plan intérieur
Une des conséquences de l’adoption de ce
style est d’alléger les murs. Il est donc
possible de percer les murs avec des fenêtres,
qui vont davantage alléger les murs et aussi
augmenter la quantité de lumière qui pénètre
l’intérieur.
26. Façade, Notre-Dame, Paris
Notez la rosette centrale pour illuminer
l’intérieur; sur le plan technique, ceci
est plus facilement réalisable avec le
style gothique, avec ces murs «minces»
(relativement!); notez aussi les
tentatives de décorer les superficies du
bâtiment, car les espaces ouverts
définis par les arches gothiques sont en
fait plus grands que les ouvertures
créées par l’arche romaine. La qualité
pointue de l’arche ainsi que
l’hyperdécoration et les arcboutants
portent l’attention de l’œil vers le haut,
un message sémiotique juste pour une
église.
30. La symétrie et les portes
Pourquoi les édifices sont-il symétriques en Occident, ou l’étaient jusqu’au 20e siècle?
Autrement dit, comment est-ce que la symétrie est-elle devenue la base de l’harmonie visuelle
et donc du plaisir esthétique? Il y a bien sur plusieurs réponses, mais il ne faut pas négliger
l’aménagement de la ville romaine qui devient notre héritage architectural. La majorité était
des colonies militaires, donc, planifiées. Ces villes avaient essentiellement deux rues
principales, une Nord-Sud (Cardo Maximus, essentiellement, «le point cardinal»*), rue
dominante, et l’autre Est-Ouest (Decumanus Maximus, essentiellement, «le grand pouvoir du
dixième [légion]»), l’orientation secondaire.
http://media-2.web.britannica.com
/eb-media/95/22195-004-4AECE421.gif
Londres, 200 AD. On voit les
deux rues principales. Ce plan
était typique des villes
romaines, sauf, évidemment,
Rome, qui a grandi de façon non
planifiée.
* Hypothèse: au moment de la fondation de Rome, au nord et au sud
se trouvaient ses plus grands ennemis (les Étrusques au nord; les
Volsci au sud) et ses plus grands alliés (les Sabines, au nord).
http://www.theflorentine.net/media/issues/firenze-centro.jpg
Florence aujourd’hui; on
voit toutefois les anciens
murs romains, le Cardo et
le Decumanus (flèche)
31. Par contraste, une ville médiévale non romaine (Sibiu, Transylvanie)
Les rues sont sinueuses, le plan non rectangulaire
32. Les portes attachées à ces rues étaient des
lieux névralgiques, car elles représentaient
des points de pénétration de l’espace sacré à
l’intérieure des murs (on construisait un mur
en traçant un sillage avec une charrue, donc
en creusant dans la terre sacrée, donc en
«pénétrant» la terre, qui, comme lieu de
l’agriculture, est féminine), et en soulevant
la charrue aux endroits qu’elle traversait les
rues principales projetées. Les Romains
étaient donc conscients du symbolisme
sexuel de l’identité féminine de la ville, de la
civilisation, de la terre mère qui «enracinait»
les murs et donc la ville. En limitant, en
principe, les portes aux axes principaux, ils
limitaient l’accès à la ville non seulement
pour des raisons de sécurité et de protection,
mais également soulignaient le symbolisme
de la pénétration. En limitant ces points de
faiblesse symbolique, ils ont souligné le
symbolisme de chaque acte individuel de
pénétrer les murs. En adoptant deux axes, et
en limitant le nombre de portes – bref, en
adhérent à un modèle rigide – la ville est
transformée en espace rituel. En
combinaison avec l’image du corps politique
masculin et de la civilisation féminine, la
sexualisation de l’espace urbain moyennant
cette symétrie militaire devient la base de
l’esthétique de la ville et de ces édifices.
http://www.fotoeweb.it/Rimini/Foto
Rimini/Rimini%20Arco%20d%27Augusto.jpg
Porte romaine à
Rimini (27 av. J.-C.);
comme plusieurs de
ces portes, elle était
tellement large qu’on
ne pouvait la fermer.
Son rôle défensif n’est
donc pas primordial.
http://galenfry.com/eh61/trier.jpg
Porte romaine à
Trier (Allemagne;
190 AD); un autre
exemple d’une
porte trop grande
qu’on puisse la
fermer. Elle
symbolise que le
pouvoir sémiotique
de la ville est plus
important du
pouvoir individuel.
33. Quelques villes adhérentes au modèle romain: Turin (Castra Taurinorum, Italie); Trier (August
Treverorum, Allemagne); Speyer (Noviomagus, Allemagne); Paris (Lutetia, France); Londres
(Londinium, Grande-Bretagne); Pompéi (Italie); Lincoln (Lindum Colonia, Grande-Bretagne); Alba
Iulia (Apulum, Romanie); Tiberias (Israël); Florence (Florentia, Italie)
En ritualisant l’entrer et le sortir de leurs villes, les Romains ont créé des villes qui étaient des endroits
sacrés (selon eux), où le pouvoir sémiotique du lieu était rehaussé. Ne l’oublions pas, les villes sont
féminines et donc «faibles» pour souligner la nécessité d’une vigilance constante. En augmentant le
pouvoir de la porte et donc de la ville, l’Agir passe de l’individu à la ville. Donc, l’individu, un sujet
actif, devient passif, et la ville devient un sujet actif. Autrement dit, le fait de marcher et donc de
littéralement pénétrer la ville ne signifie pas que l’individu est «actif». Qui a plus de pouvoir sémiotique?
Clairement, la ville. Donc, c’est la ville qui agit sur l’individu et non l’inverse, dans le sens de
«l’accueillir», de «permettre» la pénétration. La symétrie du plan d’aménagement était donc le moteur
qui déclenchait ce processus de ritualisation, qui projetait le pouvoir individuel sur une entité spatiale, la
ville et ses murs.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/78/Newport_Arch2.jpg
Newport Arch, Lincoln (Lindum Colonia), Grande-
Bretagne
Quelques villes romaines avaient des portes au
bout de leurs rues principales, sans pourtant
construire les murs qui les auraient
normalement liés. Ceci démontre encore une fois
que les portes n’étaient pas nécessairement des
structures défensives, mais des engins
symboliques pour penser le rapport à la ville.
34. Les sociétés asiatiques où se trouve ce
genre de temple ont une organisation
sociale différente de celle de l’Europe
occidentale, et donc les tensions qui
entourent le rapport entre l’individu et
la communauté s’expriment de façon
différente. Par exemple, notez que la
structure portante est quasiment
complètement cachée par le décor, à
différence des églises occidentales. À
dire la vérité, les temples asiatiques
sont en général beaucoup plus petits et
intimes que les églises occidentales et
donc les architectes locaux ne doivent
pas affronter le problème de couvrir un
espace intérieur gigantesque (ce qui les
oblige, en Occident, d’adopter de toits
imposants et donc de murs portants
massifs). Un peu partout en Asie (en les
Asies!) où on pratique la riziculture, le
monumentalisme symbole de la
communauté se manifeste par
l’investissement dans les terrasses et
non dans les temples.
Temple, Thaïlande septentrionale
35. Deux tentatives d’orienter l’œil vers un élément structurel:
décoration italienne (à gauche), qui renforce l’idée du toit massif (même quand cet élément n’est pas
nécessaire sur le plan structural); décoration chinoise (à droite), qui tente de l’alléger en faisant un pont
visuel entre le toit et les poutres portantes; notez aussi l’utilisation de symboles du monde végétal
(feuilles d’acanthe) en Occident (donc, un élément terrestre), et de motifs fauniques en Orient (les lignes
évoquent le dragon, qui est une créature de l’air qui contrôle l’eau (la pluie, par exemple); il est donc
plus léger et certainement plus bénéfique que le dragon de la mythologie occidentale).
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/
thumb/1/17/Jade_dragon_2.jpg/220px-Jade_dragon_2.jpg
Bijou en jade en
forme de dragon,
approx. 300 ans
a.J.C.
36. Véranda, Asie centrale
Notez les fausses colonnes, qui agissent de trompe-œil, car elles sabotent l’idée de la
colonne comme structure portante et définissent une gestalt d’arches multiples.
37. Toit chinois traditionnel à plusieurs
niveaux et pentes, détournant l’attention
de son rôle architectural principal; sa
courbature crée l’impression que le toit
est plus léger qu’il l’est en réalité; il
semble flotter, et donc l’œil le voit plus
haut qu’il l’est en réalité.
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb
/9/9f/HighStatusRoofDeco.jpg/300px-HighStatusRoofDeco.jpg
Les architectes chinois parfois faisaient comme
leurs confrères occidentaux, en décorant le toit
pour porter l’œil vers le haut. Ceci était
généralement réservé pour les édifices étatiques
les plus importants, pour souligner le haut
(surtout que les figures sont mythologiques)
38. Temple chinois à Suzhuo,
Jiangsu
Ici, on voit mieux l’effet esthétique
du toit «détaché», qui s’intègre
mieux dans le milieu bucolique;
notez que l’attention est portée vers
le haut par la courbature du toit.
39. Grand palais, Bangkok, Thaïlande
Notez la métaphorisation du toit du palais transformé en chapeau-couronne;
un élément architectural se transforme en élément artistique;
notez également la décoration de la plinthe du toit pour cacher son rôle architectural
40. Temple vietnamien
Notez les murs portants transformés visuellement en arches et donc en galléries, pour souligner
l’espace aux dépens de la structure portante. Notez également les toits métaphorisés en plateaux
de service, métaphore du repas et de la fête. Notez aussi que le toit semble flotter, qui
symboliquement allège la structure portante inférieure.
41. La ville défendue (sacrée), Beijing, Chine
Une autre aperçue du toit flottant qui a l’effet d’alléger la structure portante
On voit qu’il est possible de construire des structures majestueuses qui communiquent l’idée
du léger (mais qui ont le même effet et but que leurs homologues occidentaux, de diminuer
l’individu devant l’architecture monumentale censée représenter le pouvoir étatique)