1. Nous changeons actuel-
lement de paradigme
économique pour entrer dans
une ère noétique (du grec
noôs «connaissance»). La valeur
des produits et des services
dépendra plus de l’intelligence
que l’on y injectera que des
matériaux utilisés. Aujourd’hui,
plus de 2,5 quintillions d’octets
de données se créent par jour.
En2020,onestimeà75 milliards
lenombred’objetsconnectés.La
noosphère est cette couche de
savoirs et d’informations cou-
vranttoutelaterre.Noussommes
sept milliards d’humains mais
il y a plus de huit milliards de
recherches sur Google par jour
et plus de sept milliards d’abon-
nés au téléphone mobile. Notre
univers est celui des réseaux où
tout est connecté, partout, tout
le temps. Nous passons d’un
monde compliqué à un monde
complexe, d’un consommateur
à un consommActeur, d’une
économie industrielle à une
économie de l’immatériel.
Dans ce monde réticulaire (en
réseaux),incertain,complexe,en
perpétuel mouvement, nous ne
pouvonsplusfairedescopier-col-
ler du passé. Il est urgent que les
acheteursréfléchissentdifférem-
ment.PourparaphraserEinstein,
nous ne pouvons résoudre les
problèmes en ayant recours à
la même façon de penser que
celle qui les a générés.
Un créatif au service
du business
Dans ce nouveau paradigme,
pour créer de la valeur, les ache-
teurs doivent développer une
approche entrepreneuriale. Un
entrepreneur, est une personne
qui voit des possibilités là où les
autres voient des problèmes.
Il sait saisir des opportunités
et est capable de transformer
une idée en une innovation.
L’entrepreneur initie le chan-
gement. A l’origine de toute
démarche entrepreneuriale
il y a la créativité. La créativité
précède l’innovation. Et la créa-
tivité s’apprend ! Il existe de très
nombreuses méthodes (CPS
Creative Problem Solving, cartes
heuristiques…). On ne nait pas
entrepreneur on le devient. La
finalité d’une démarche entre-
preneuriale pour un acheteur
n’est pas la création d’entreprise
mais la création de valeur, pour
son entreprise.
Cette approche doit se concré-
tiser au moins à quatre niveaux.
Premièrement, l’acheteur
doit développer une attitude
entrepreneurialeeninterneavec
ses Business Partners. La clé est
d’avoir une compréhension
fine du Business Model de son
entreprise, de son évolution
future. Sans cette orientation
business, il ne pourra pas jouer
son rôle de vigie des signaux
faiblesdumarchéfournisseurset
de« scouttechnologique »pour
orienter l’entreprise dans son
ressourcement technologique.
Deuxièmement, l’acheteur
doit avoir une démarche
entrepreneuriale dans l’acte
d’achat lui-même. Un acheteur
investissement dans un centre
hospitalier peut acheter un
IRM et chercher à optimiser la
maintenance. Il pourrait ache-
ter des images et demain des
diagnostics. L’ère noétique, issue
desrévolutionsinformatiqueset
numériques,nécessitederepen-
ser l’acte d’achat : les entreprises
achèteront de moins de moins
des produits et de plus en plus
des usages, des solutions. Pour
cela, l’acheteur doit développer
uneréflexionetunapprentissage
enDouble-LoopausensdeChris
Argyris (voir schéma en page 9).
L’approche en Single-Loop est
une recherche d’optimisation
de l’existant, certes intéressante,
mais l’enjeu est de remettre en
L’acheteur,
un nouvel entrepreneur
Elle milite pour que la démarche entrepreneuriale soit au programme
des formations achats. directrice du programme Master Desma
de l’IAE Grenoble, elle l’a fait. Natacha Tréhan nous dit ici pourquoi
cette démarche peut favoriser la création de valeur. Booster la créativité
de l’acheteur, c’est avant tout contribuer au développement
de l’entreprise. A condition de savoir s’affranchir. Démonstration.
Par Natacha Tréhan*
8 | la lettre des achats n° 257 | fevrier 2017
tendances
Recherche
2. question nos croyances, nos
fondamentaux… Ce n’est pas
enaméliorantlabougiequel’on
a inventé l’ampoule électrique.
Pourquoiachetons-nousceque
nous achetons ? Se poser cette
question c’est être entrepre-
neur, c’est être innovant. Nous
sommesaucœurdel’économie
de la fonctionnalité.
Prolonger cette interroga-
tion « Pourquoi achetons-nous
ce que nous achetons ? » nous
mène vers l’économie du par-
tageinterentreprises.Monentre-
prise a besoin de web design
et possède des bancs de tests
sous utilisés. Plutôt que d’ache-
ter ce service, elle peut valoriser
sur une plateforme d’échange
interentreprises ses bancs de
tests et obtenir en échange de
cettevalorisationunserviceweb
design en provenance d’une
tierce entreprise. FranceBarter
ou ECO Capacity Exchange pro-
posentcetypedeprestationsqui
supprimentlessortiesdecashet
optimisent la rotation des actifs.
Inclure
les fournisseurs dans
le développement
Troisièmement, l’acheteur doit
développer une démarche
entrepreneuriale dans le sour-
cing fournisseur. Pour impacter
le chiffre d’affaires et non plus
seulement la marge opération-
nelle, l’acheteur doit s’inscrire
dans une logique de Business
Development. Une source
importante d’innovation réside
danslesstart-ups.Pour78 %des
grandes entreprises, travailler
avec des start-ups contribue à
leur croissance et à leur innova-
tion. Il s’agit d’être présent dans
leurs écosystèmes. Par exemple,
Antoine Perrin, directeur achats
stratégie et innovation de
Schneider est aussi vice-pré-
sident de Minalogic, pôle de
compétitivitésurlesmicro-nano-
technologies. Il s’agit d’aller à la
rencontre des start-ups. Martin
de Neuville, directeur achats de
Pierre & Vacances Center Parcs,
par le biais de l’ADRA, organise
des rencontres entre grands
comptes et start-ups. Ensuite,
il faut revoir ses critères de
sélection des fournisseurs. Une
start-up ne passera jamais les
critères classiques d’entrée dans
les panels.
Il convient d’innover aussi dans
ses méthodes de sourcing.
L’open innovation est au cœur
de ces nouvelles approches. Il
s’agit de soumettre sur internet
des challenges ouverts à tous
(problèmes technologiques,
informatiques, recherche de
nouveaux matériaux…). Le site
Connect & Develop de Procter
& Gamble est emblématique
de l’open innovation. Le Panier
à Phosphorer, lancé par Olivier
Djezvedjian, directeur achats
du groupe Rocher, s’inscrit dans
cette logique en proposant aux
fournisseurs de déposer leurs
idées innovantes sur son site
internet. Avec ces approches,
les acheteurs doivent être prêts
à gérer des fournisseurs protéi-
formes et à revoir les approches
deco-développementclassiques,
car l’innovation s’inscrira davan-
tagedansunelogiqueréticulaire.
Quatrièmement, l’acheteur
doit développer une démarche
entrepreneuriale dans le mana-
gement de ses ressources
fournisseurs. Si l’acheteur veut
être client cible de fournisseurs
innovants, il doit se différencier
de ses concurrents à l’achat
dans sa façon même de les
manager, de les rétribuer. La
majoritédesentreprisesfontdes
contrats de productivité. Moins
de10 %proposentdescontrats
de partages de grains. Le pour-
centage s’amoindrit lorsqu’il
s’agit de modes de rémuné-
rations de type « pay as you
grow » ou « revenue sharing».
La rétribution peut aussi être
nonpécuniaire.Ils’agitlàencore
d’être créatif : mise à disposi-
tion de ressources matérielles,
humaines, intégration dans des
réseaux d’apprentissage… Se
différencier de ses concurrents
à l’achat permet de se rendre
plus attractif en tant que client.
N’oublions pas qu’un acheteur
doitsavoirvendresonentreprise
sur le marché fournisseur…
La démarche entrepreneuriale,
la créativité s’apprennent. En
tant qu’universitaire, nous mili-
tons pour que ces approches
soient intégrées dans les pro-
grammes de formation des
acheteurs. ■
* Maître de conférences
– chercheur au CERAG/
CNRS. directrice Master
DESMA de Grenoble IAE –
Université Grenoble Alpes.
la lettre des achats n° 257 | février 2017 | 9
tendances
Recherche