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Immortalité et
alchimie intérieure en Chine
1 Religions & Histoire no 52
DOSSIER Immortalité. Croyances et pratiques dans les religions du monde
L’immortalité a préoccupé bon nombre de grandes civilisations. La Chine s’y est pour sa part
intéressée depuis la plus haute Antiquité. Ses récits mythiques évoquent les immortels au corps
radiant couvert de plumes, se nourrissant de rosée, chevauchant des grues ou des dragons,
tandis que l’histoire témoigne de la recherche effrénée des îles d’immortalité et des ingrédients
rédempteurs. Une alchimie d’un genre particulier a également été conçue en Chine pour permettre
à l’homme d’obtenir la « longue vie ».
Muriel CHEMOUNY, chargée de mission à la Fondation maison des sciences de l’homme (FMSH, Paris)
Candidats à l’immortalité
La série d’empereurs, de rois et de lettrés
préoccupés de « longue vie » – une vie
« aussi longue que le ciel et la terre »,
dit-on dans les textes – commence avec
le plus spectaculaire d’entre eux, Qin
Shihuangdi (259-210 avant notre ère).
Fondateur du premier empire chinois en
221 avant notre ère, réputé et critiqué
pour sa mégalomanie et son autorita-
risme, il est dépeint dans les Mémoires
historiques par l’historiographe des Han,
Sima Qian (145-86 avant notre ère).
Les conquêtes des États rivaux, l’unifica-
tion de l’Empire ainsi que les multiples
expéditions maritimes envoyées vers les
« îles des Bienheureux » pour rechercher
l’élixir d’immortalité caractérisent son
règne. Malgré sa puissance, ses richesses,
l’appui de conseillers avisés, il ne parvient
pas à mener à bien cette quête : les îles
merveilleuses tant convoitées s’éclipsent,
les immortels se cachent, l’élixir reste
inaccessible à celui qui ne possède pas
les qualités requises pour y prétendre,
tout Fils du Ciel qu’il soit. « Puisque telle
est sa soif d’autorité, nous ne saurions
rechercher en sa faveur la drogue des
immortels », concluent deux lettrés de
l’entourage impérial (Sima Qian, Mémoires
historiques, Annales principales, chapitre
VI). Et quelle triste fin pour la dépouille
de Qin Shihuangdi, dont l’exhalaison
pestilentielle fut masquée, sur décision
de son principal ministre, Li Si, par des
charrettes de poissons séchés défilant
dans le cortège funéraire!
La crédulité d’un de ses successeurs,
également candidat à l’immortalité,
l’empereur Wudi (156-87 avant notre ère),
fut dénoncée par Jean-François de La
Harpe (1739-1803) dans son Abrégé de
l’histoire générale des voyages (tome VII) :
« Wudi, sixième empereur de la dynastie
des Han, se livra uniquement à l’étude
des livres magiques sous un chef de
cette secte [celle des partisans de Laozi,
les taoïstes] nommé Li Shaojun. Son
exemple entraîna quantité de seigneurs
dans les mêmes sentiments, et remplit sa
cour d’une multitude de faux docteurs. »
Ce regard ironique porté sur les adeptes
de l’immortalité est encore une manière
de confirmer l’obsession périodique de
l’Empire du Milieu pour la « longue vie »
et les pratiques qui lui sont liées.
Le « chef de cette secte », Li Shaojun,
que mentionne La Harpe, était un de ces
2Religions & Histoire no 52
Immortels et îles d’immortalité
Le mythe de l’immortalité et la quête de longévité en Chine sont liés à l’Empereur Jaune, Huangdi, premier des cinq souverains
mythiques et considéré comme le père de la civilisation chinoise. La tradition rapporte qu’il aurait accompli son ascension
céleste en plein jour – autrement dit, qu’il aurait obtenu l’immortalité – emporté par un dragon, après avoir pratiqué un rituel.
Outre ce garant des techniques d’immortalité, patron des forgerons, des médecins, des alchimistes et des devins, d’autres
immortels sont évoqués dès l’époque des Royaumes combattants dans le Laozi et le Zhuangzi (vers la fin du IVe
siècle - IIe
siècle
avant notre ère), puis dans maints autres écrits, particulièrement sous les Han, où leur est consacré un recueil intitulé
Biographies des immortels célèbres, Liexian zhuan, traditionnellement attribué à Liu Xiang (79-8 avant notre ère). À la fin
des Song (XIIe
-XIIIe
siècle) sont finalement regroupés huit immortels, dont les plus importants, Zhongli Quan et Lü Dongbin,
deviennent les patriarches de l’école taoïste Quanzhen (Perfection totale). Il existe une hiérarchie des immortels, variable
selon les écoles. Aujourd’hui encore, les cultes populaires autour de ces figures sont très vivants. Chevauchant des dragons,
des phénix, des grues, des licornes, des nuées et autres montures, « aspirant le vent et s’abreuvant de rosée » (Zhuangzi) ou
encore se nourrissant des pêches d’immortalité, ces immortels – ailés ou couverts de poils, parfois hybrides mi-hommes, mi
animaux – ont leurs lieux de prédilection. S’ils peuvent séjourner dans les grottes célestes, les étoiles ou au fond des eaux,
ils affectionnent tout particulièrement la montagne, comme l’indique l’étymologie du sinogramme désignant l’immortel,
l’homme-montagne. Le mont Kunlun, dans l’Ouest, et les îles des Bienheureux – chapelet de trois îles montagneuses
mythiques de la mer de l’Est : Penglai, Fangzhang, Yingzhou – apparaissent comme les paradis essentiels.
Le Paradis des immortels,
jade, Chine, XVIIIe
siècle, New York,
The Metropolitan Museum of Art.
© The Metropolitan Museum of Art,
Dist. RMN - Grand Palais / Image of the MMA
La période des Royaumes combattants qui
succède à celle des Printemps et Automnes
s’étend de 453 à 221 avant notre ère
(unification de l’empire par Qin Shihuangdi).
Les Han, qui succèdent à la dynastie des
Qin, règnent de 206 avant notre ère à 220
de notre ère.
parce que le langage est emprunté à
l’alchimie. L’œuvre alchimique ne se pro-
duit désormais plus à l’extérieur de soi,
mais dans le corps symbolique, modèle
analogique de l’univers chinois, avec la
tête ronde comme le ciel, les pieds carrés
comme la terre et les cinq viscères
comme les planètes. L’alchimie intérieure
puise sa symbolique dans le fonds cultu-
rel chinois. La représentation de la marche
de l’univers, de son processus – tout
comme celle du corps humain – se fonde
sur les mutations telles qu’elles ont été
représentées et systématisées dans le
Yijing ou Classique des mutations (VIIIe
-
IIIe
siècle avant notre ère)1. Ce livre
recueille les figures qu’aurait tracées
l’empereur mythique Fuxi (vers 4000 avant
notre ère) à partir de l’observation du ciel
et de la terre. « Dans les temps anciens,
[Fuxi] régna sur le monde. Levant les yeux,
il contempla les figurations qui sont dans
le ciel et, baissant les yeux, contempla
les phénomènes qui sont sur la terre. Il
considéra les marques visibles sur le corps
des oiseaux et des animaux ainsi que les
dispositions avantageuses offertes par la
terre; il emprunta, à proximité, à sa propre
personne de même que, à distance, aux
réalités extérieures. Il commença alors à
créer les huit trigrammes afin de commu-
niquer avec le pouvoir de l’Efficience infi-
nie [à l’œuvre dans l’univers] et de classer
les conditions de tous les êtres. » (Yijing,
Xici II, 2).
Les huit trigrammes fondamentaux men-
tionnés dans le texte sont formés de trois
traits superposés dont les uns sont conti-
nus et les autres discontinus, le tout s’ins-
crivant dans un carré virtuel. Le continu
et le discontinu représentent les deux
souffles primordiaux Yin et Yang, source
des transformations et des mutations
dans l’univers symbolique chinois. Les
Occidentaux nomment volontiers ces deux
souffles primordiaux « matière-énergie ».
Ils sont à la fois opposés et complé-
mentaires. Obscur/lumineux, pair/impair,
féminin/masculin, sommeil/éveil, souple/
rigide, intérieur/extérieur, froid/chaud,
3 Religions & Histoire no 52
DOSSIER Immortalité. Croyances et pratiques dans les religions du monde
Les Tang, qui succèdent à la dynastie des
Sui, règnent de 618 à 907.
fangshi, « maîtres des techniques », spé-
cialistes lettrés des arts ésotériques
(devins, géomanciens astrologues, thau-
maturges, alchimistes, etc.) instruits de
la Voie du ciel et de la terre et des inter-
actions et transmutations à l’œuvre dans
l’univers. Il se présenta à l’empereur Wudi
afin de lui transmettre les enseignements
relatifs à la fabrication de l’or alchimi-
que comme « art de prolonger la vie
selon les pratiques de l’Empereur
Jaune ». C’est ainsi que ce Fils
du Ciel, le premier, pratiqua
en personne l’alchimie afin
de convoquer les immortels.
En effet, seule leur présence
permettrait de fabriquer l’or
alchimique, dont on façon-
nerait ensuite des ustensiles
pour boire et pour manger aux
propriétés de pureté, d’inalté-
rabilité, d’incorruptibilité
et de pérennité qui se
transmettraient à celui
qui les utiliserait. Mais en
dépit de sa pratique alchi-
mique, Wudi ne parvint pas
davantage que son prédéces-
seur à éviter la mort…
Tête ronde et pieds carrés
À l’époque des Tang émerge
une alchimie dont les pratiques
relatives à la longévité s’exercent
non plus sur des substances exté-
rieures minérales, végétales ou
autres, mais sur les propres ingré-
dients du corps de l’adepte, que ce
dernier purifie et transmute par des
méthodes psychophysiologiques (thé-
rapeutiques, gymniques, sexuelles)
et par des exercices respira-
toires et de visualisation
que mentionnait déjà
l’alchimiste Ge Hong
au IIIe
siècle dans
son Traité ésoté-
rique du Maître
qui embrasse
la simplicité
(Baopuzi nei-
pian). On parle
alors d’alchimie
intérieure, neidan,
etc., sont les valeurs symboliques qui leur
correspondent. Et « Yin-Yang coordonnés,
c’est le Dao », nous dit le grand commen-
taire du Classique des Mutations (Yijing,
Xici I, 5). Le processus de transformation
de ces deux souffles est réglé par le Tao
(Dao), la Voie unificatrice, celle du
Daodejing, classique taoïste2 du IIIe
siècle
avant notre ère traditionnellement attribué
au Vieux Maître ou Vieil Enfant, Laozi(dont
l’historicité est douteuse).
Les trigrammes, symboles de la triade terre-
homme-ciel où s’opèrent les mutations,
engendrent en se combinant soixante-
quatre hexagrammes composés chacun de
deux trigrammes superposés. Ces figures,
trigrammes et hexagrammes, représentent
symboliquement les interactions dyna-
miques entre les membres de la triade,
ainsi que les transformations générées par
ces interactions qui animent la marche de
l’univers et la marche de l’homme.
Dans la pensée chinoise, l’homme accom-
pli (dont le représentant sur terre est
l’empereur, ou Fils du Ciel) se place à la
croisée des mondes terrestre et céleste.
Il est traversé et animé par les mêmes
souffles multiples qui y circulent et qu’en
vertu de son rôle de médiateur il est chargé
de régler. Il gouverne et se gouverne selon
la Voie royale du centre. L’alchimiste, tel
le Fils du Ciel, ordonne son monde inté-
rieur. Le corps est univers, royaume ou
paysage en miniature, selon les écoles
d’alchimie et les textes auxquels elles se
réfèrent. Mais quelle que soit la représen-
tation choisie, l’homme se tient au centre,
en maître de son espace-temps intérieur
dont la structure et le processus sont
calqués sur l’ordre de l’univers, synthétisé
par la combinatoire des soixante-quatre
hexagrammes. Ce modèle, repris au
XVIIe
siècle par le philosophe et mathé-
maticien allemand Leibniz, qui était
proche des pères des missions jésuites
françaises en Chine, l’inspira pour créer
son arithmétique binaire, et servit de socle
à des recherches postérieures qui ont
abouti au langage informatique actuel.
Une façon de valider le modèle antique
sur lequel se fonde le travail alchimique,
ou encore l’occidentalisation d’un mythe
lointain et fascinant qui passe à la réalité
par le truchement de la science.
Cet article reprend le propos d’une confé-
rence intitulée « L’or d’immortalité : une
quête alchimique en Chine » dispensée lors
des Dix-septièmes Rencontres d’Aubrac en
août 2012 (rencontresaubrac.free.fr).
BIBLIOGRAPHIE
BARYOSHER-CHEMOUNY Muriel, La quête de l’immortalité
en Chine. Alchimie et paysage intérieur sous les Song,
Paris, Dervy, 1996.
DESPEUX Catherine, Taoïsme et connaissance de soi,
Paris, Guy Trédaniel, 2012.
JAVARY Cyrille J.-D. et FAURE Pierre. Yi Jing. Le livre des
changements, Paris, Albin Michel, 2012.
Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien, traduits
et annotés par Édouard Chavannes, Paris, Librairie
d’Amérique et d’Orient Adrien-Maisonneuve, 1969,
vol. 6, p. 5-73.
NOTES
1 Des commentaires attribués à Confucius furent ajoutés
au Yijing sous les Han antérieurs (206-9 avant notre
ère).
2 La datation du texte est controversée. Les versions
fragmentaires les plus anciennes découvertes à Guodian
(Hubei) dateraient de la fin du IVe
siècle avant notre
ère; d’autres, découvertes à Mawangdui (Hunan),
seraient du IIe
siècle avant notre ère.
4Religions & Histoire no 52
CI-DESSUS. Fuxi tenant un médaillon avec les
trigrammes et le symbole Yin-Yang, Chine,
fin du XVIIIe
siècle, collection particulière.
© Collection Dagli Orti / Collection privée / CCI
PAGE DE GAUCHE. L’immortel Dongfang Shuo dérobe
au dieu Xiwangmu les pêches d’immortalité,
céramique émaillée, Chine, XIXe
siècle, Paris,
musée d’Ennery. © RMN - Grand Palais (musée
Guimet, Paris) / Thierry Ollivier

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Immortalité et alchimie intérieure en Chine (Muriel Baryosher-Chemouny)

  • 1. Immortalité et alchimie intérieure en Chine 1 Religions & Histoire no 52 DOSSIER Immortalité. Croyances et pratiques dans les religions du monde L’immortalité a préoccupé bon nombre de grandes civilisations. La Chine s’y est pour sa part intéressée depuis la plus haute Antiquité. Ses récits mythiques évoquent les immortels au corps radiant couvert de plumes, se nourrissant de rosée, chevauchant des grues ou des dragons, tandis que l’histoire témoigne de la recherche effrénée des îles d’immortalité et des ingrédients rédempteurs. Une alchimie d’un genre particulier a également été conçue en Chine pour permettre à l’homme d’obtenir la « longue vie ». Muriel CHEMOUNY, chargée de mission à la Fondation maison des sciences de l’homme (FMSH, Paris)
  • 2. Candidats à l’immortalité La série d’empereurs, de rois et de lettrés préoccupés de « longue vie » – une vie « aussi longue que le ciel et la terre », dit-on dans les textes – commence avec le plus spectaculaire d’entre eux, Qin Shihuangdi (259-210 avant notre ère). Fondateur du premier empire chinois en 221 avant notre ère, réputé et critiqué pour sa mégalomanie et son autorita- risme, il est dépeint dans les Mémoires historiques par l’historiographe des Han, Sima Qian (145-86 avant notre ère). Les conquêtes des États rivaux, l’unifica- tion de l’Empire ainsi que les multiples expéditions maritimes envoyées vers les « îles des Bienheureux » pour rechercher l’élixir d’immortalité caractérisent son règne. Malgré sa puissance, ses richesses, l’appui de conseillers avisés, il ne parvient pas à mener à bien cette quête : les îles merveilleuses tant convoitées s’éclipsent, les immortels se cachent, l’élixir reste inaccessible à celui qui ne possède pas les qualités requises pour y prétendre, tout Fils du Ciel qu’il soit. « Puisque telle est sa soif d’autorité, nous ne saurions rechercher en sa faveur la drogue des immortels », concluent deux lettrés de l’entourage impérial (Sima Qian, Mémoires historiques, Annales principales, chapitre VI). Et quelle triste fin pour la dépouille de Qin Shihuangdi, dont l’exhalaison pestilentielle fut masquée, sur décision de son principal ministre, Li Si, par des charrettes de poissons séchés défilant dans le cortège funéraire! La crédulité d’un de ses successeurs, également candidat à l’immortalité, l’empereur Wudi (156-87 avant notre ère), fut dénoncée par Jean-François de La Harpe (1739-1803) dans son Abrégé de l’histoire générale des voyages (tome VII) : « Wudi, sixième empereur de la dynastie des Han, se livra uniquement à l’étude des livres magiques sous un chef de cette secte [celle des partisans de Laozi, les taoïstes] nommé Li Shaojun. Son exemple entraîna quantité de seigneurs dans les mêmes sentiments, et remplit sa cour d’une multitude de faux docteurs. » Ce regard ironique porté sur les adeptes de l’immortalité est encore une manière de confirmer l’obsession périodique de l’Empire du Milieu pour la « longue vie » et les pratiques qui lui sont liées. Le « chef de cette secte », Li Shaojun, que mentionne La Harpe, était un de ces 2Religions & Histoire no 52 Immortels et îles d’immortalité Le mythe de l’immortalité et la quête de longévité en Chine sont liés à l’Empereur Jaune, Huangdi, premier des cinq souverains mythiques et considéré comme le père de la civilisation chinoise. La tradition rapporte qu’il aurait accompli son ascension céleste en plein jour – autrement dit, qu’il aurait obtenu l’immortalité – emporté par un dragon, après avoir pratiqué un rituel. Outre ce garant des techniques d’immortalité, patron des forgerons, des médecins, des alchimistes et des devins, d’autres immortels sont évoqués dès l’époque des Royaumes combattants dans le Laozi et le Zhuangzi (vers la fin du IVe siècle - IIe siècle avant notre ère), puis dans maints autres écrits, particulièrement sous les Han, où leur est consacré un recueil intitulé Biographies des immortels célèbres, Liexian zhuan, traditionnellement attribué à Liu Xiang (79-8 avant notre ère). À la fin des Song (XIIe -XIIIe siècle) sont finalement regroupés huit immortels, dont les plus importants, Zhongli Quan et Lü Dongbin, deviennent les patriarches de l’école taoïste Quanzhen (Perfection totale). Il existe une hiérarchie des immortels, variable selon les écoles. Aujourd’hui encore, les cultes populaires autour de ces figures sont très vivants. Chevauchant des dragons, des phénix, des grues, des licornes, des nuées et autres montures, « aspirant le vent et s’abreuvant de rosée » (Zhuangzi) ou encore se nourrissant des pêches d’immortalité, ces immortels – ailés ou couverts de poils, parfois hybrides mi-hommes, mi animaux – ont leurs lieux de prédilection. S’ils peuvent séjourner dans les grottes célestes, les étoiles ou au fond des eaux, ils affectionnent tout particulièrement la montagne, comme l’indique l’étymologie du sinogramme désignant l’immortel, l’homme-montagne. Le mont Kunlun, dans l’Ouest, et les îles des Bienheureux – chapelet de trois îles montagneuses mythiques de la mer de l’Est : Penglai, Fangzhang, Yingzhou – apparaissent comme les paradis essentiels. Le Paradis des immortels, jade, Chine, XVIIIe siècle, New York, The Metropolitan Museum of Art. © The Metropolitan Museum of Art, Dist. RMN - Grand Palais / Image of the MMA La période des Royaumes combattants qui succède à celle des Printemps et Automnes s’étend de 453 à 221 avant notre ère (unification de l’empire par Qin Shihuangdi). Les Han, qui succèdent à la dynastie des Qin, règnent de 206 avant notre ère à 220 de notre ère.
  • 3. parce que le langage est emprunté à l’alchimie. L’œuvre alchimique ne se pro- duit désormais plus à l’extérieur de soi, mais dans le corps symbolique, modèle analogique de l’univers chinois, avec la tête ronde comme le ciel, les pieds carrés comme la terre et les cinq viscères comme les planètes. L’alchimie intérieure puise sa symbolique dans le fonds cultu- rel chinois. La représentation de la marche de l’univers, de son processus – tout comme celle du corps humain – se fonde sur les mutations telles qu’elles ont été représentées et systématisées dans le Yijing ou Classique des mutations (VIIIe - IIIe siècle avant notre ère)1. Ce livre recueille les figures qu’aurait tracées l’empereur mythique Fuxi (vers 4000 avant notre ère) à partir de l’observation du ciel et de la terre. « Dans les temps anciens, [Fuxi] régna sur le monde. Levant les yeux, il contempla les figurations qui sont dans le ciel et, baissant les yeux, contempla les phénomènes qui sont sur la terre. Il considéra les marques visibles sur le corps des oiseaux et des animaux ainsi que les dispositions avantageuses offertes par la terre; il emprunta, à proximité, à sa propre personne de même que, à distance, aux réalités extérieures. Il commença alors à créer les huit trigrammes afin de commu- niquer avec le pouvoir de l’Efficience infi- nie [à l’œuvre dans l’univers] et de classer les conditions de tous les êtres. » (Yijing, Xici II, 2). Les huit trigrammes fondamentaux men- tionnés dans le texte sont formés de trois traits superposés dont les uns sont conti- nus et les autres discontinus, le tout s’ins- crivant dans un carré virtuel. Le continu et le discontinu représentent les deux souffles primordiaux Yin et Yang, source des transformations et des mutations dans l’univers symbolique chinois. Les Occidentaux nomment volontiers ces deux souffles primordiaux « matière-énergie ». Ils sont à la fois opposés et complé- mentaires. Obscur/lumineux, pair/impair, féminin/masculin, sommeil/éveil, souple/ rigide, intérieur/extérieur, froid/chaud, 3 Religions & Histoire no 52 DOSSIER Immortalité. Croyances et pratiques dans les religions du monde Les Tang, qui succèdent à la dynastie des Sui, règnent de 618 à 907. fangshi, « maîtres des techniques », spé- cialistes lettrés des arts ésotériques (devins, géomanciens astrologues, thau- maturges, alchimistes, etc.) instruits de la Voie du ciel et de la terre et des inter- actions et transmutations à l’œuvre dans l’univers. Il se présenta à l’empereur Wudi afin de lui transmettre les enseignements relatifs à la fabrication de l’or alchimi- que comme « art de prolonger la vie selon les pratiques de l’Empereur Jaune ». C’est ainsi que ce Fils du Ciel, le premier, pratiqua en personne l’alchimie afin de convoquer les immortels. En effet, seule leur présence permettrait de fabriquer l’or alchimique, dont on façon- nerait ensuite des ustensiles pour boire et pour manger aux propriétés de pureté, d’inalté- rabilité, d’incorruptibilité et de pérennité qui se transmettraient à celui qui les utiliserait. Mais en dépit de sa pratique alchi- mique, Wudi ne parvint pas davantage que son prédéces- seur à éviter la mort… Tête ronde et pieds carrés À l’époque des Tang émerge une alchimie dont les pratiques relatives à la longévité s’exercent non plus sur des substances exté- rieures minérales, végétales ou autres, mais sur les propres ingré- dients du corps de l’adepte, que ce dernier purifie et transmute par des méthodes psychophysiologiques (thé- rapeutiques, gymniques, sexuelles) et par des exercices respira- toires et de visualisation que mentionnait déjà l’alchimiste Ge Hong au IIIe siècle dans son Traité ésoté- rique du Maître qui embrasse la simplicité (Baopuzi nei- pian). On parle alors d’alchimie intérieure, neidan,
  • 4. etc., sont les valeurs symboliques qui leur correspondent. Et « Yin-Yang coordonnés, c’est le Dao », nous dit le grand commen- taire du Classique des Mutations (Yijing, Xici I, 5). Le processus de transformation de ces deux souffles est réglé par le Tao (Dao), la Voie unificatrice, celle du Daodejing, classique taoïste2 du IIIe siècle avant notre ère traditionnellement attribué au Vieux Maître ou Vieil Enfant, Laozi(dont l’historicité est douteuse). Les trigrammes, symboles de la triade terre- homme-ciel où s’opèrent les mutations, engendrent en se combinant soixante- quatre hexagrammes composés chacun de deux trigrammes superposés. Ces figures, trigrammes et hexagrammes, représentent symboliquement les interactions dyna- miques entre les membres de la triade, ainsi que les transformations générées par ces interactions qui animent la marche de l’univers et la marche de l’homme. Dans la pensée chinoise, l’homme accom- pli (dont le représentant sur terre est l’empereur, ou Fils du Ciel) se place à la croisée des mondes terrestre et céleste. Il est traversé et animé par les mêmes souffles multiples qui y circulent et qu’en vertu de son rôle de médiateur il est chargé de régler. Il gouverne et se gouverne selon la Voie royale du centre. L’alchimiste, tel le Fils du Ciel, ordonne son monde inté- rieur. Le corps est univers, royaume ou paysage en miniature, selon les écoles d’alchimie et les textes auxquels elles se réfèrent. Mais quelle que soit la représen- tation choisie, l’homme se tient au centre, en maître de son espace-temps intérieur dont la structure et le processus sont calqués sur l’ordre de l’univers, synthétisé par la combinatoire des soixante-quatre hexagrammes. Ce modèle, repris au XVIIe siècle par le philosophe et mathé- maticien allemand Leibniz, qui était proche des pères des missions jésuites françaises en Chine, l’inspira pour créer son arithmétique binaire, et servit de socle à des recherches postérieures qui ont abouti au langage informatique actuel. Une façon de valider le modèle antique sur lequel se fonde le travail alchimique, ou encore l’occidentalisation d’un mythe lointain et fascinant qui passe à la réalité par le truchement de la science. Cet article reprend le propos d’une confé- rence intitulée « L’or d’immortalité : une quête alchimique en Chine » dispensée lors des Dix-septièmes Rencontres d’Aubrac en août 2012 (rencontresaubrac.free.fr). BIBLIOGRAPHIE BARYOSHER-CHEMOUNY Muriel, La quête de l’immortalité en Chine. Alchimie et paysage intérieur sous les Song, Paris, Dervy, 1996. DESPEUX Catherine, Taoïsme et connaissance de soi, Paris, Guy Trédaniel, 2012. JAVARY Cyrille J.-D. et FAURE Pierre. Yi Jing. Le livre des changements, Paris, Albin Michel, 2012. Les Mémoires historiques de Se-ma Ts’ien, traduits et annotés par Édouard Chavannes, Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien-Maisonneuve, 1969, vol. 6, p. 5-73. NOTES 1 Des commentaires attribués à Confucius furent ajoutés au Yijing sous les Han antérieurs (206-9 avant notre ère). 2 La datation du texte est controversée. Les versions fragmentaires les plus anciennes découvertes à Guodian (Hubei) dateraient de la fin du IVe siècle avant notre ère; d’autres, découvertes à Mawangdui (Hunan), seraient du IIe siècle avant notre ère. 4Religions & Histoire no 52 CI-DESSUS. Fuxi tenant un médaillon avec les trigrammes et le symbole Yin-Yang, Chine, fin du XVIIIe siècle, collection particulière. © Collection Dagli Orti / Collection privée / CCI PAGE DE GAUCHE. L’immortel Dongfang Shuo dérobe au dieu Xiwangmu les pêches d’immortalité, céramique émaillée, Chine, XIXe siècle, Paris, musée d’Ennery. © RMN - Grand Palais (musée Guimet, Paris) / Thierry Ollivier