Coup d’œil sur les propositions législatives de la Commission européenne au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen d’imposer aux 28 États membres de l’Union européenne l’échange automatique avec tous les autres États membres d’informations de base sur les décisions fiscales anticipées en matière transfrontière et sur les accords préalables en matière de prix de transfert.
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Un nouvel élément pour lutter contre l’évitement fiscal au sein de l’Union européenne : la transparence fiscale… entre États!
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ChroniqueUn nouvel élément pour lutter
contre l’évitement fiscal au sein
de l’Union européenne : la transparence
fiscale… entre États!
Le 18 mars 2015, la Commission européenne (« Commission ») a proposé au Conseil de l’Union
européenne (« Conseil ») et au Parlement européen de nouvelles mesures législatives sur la transparence
fiscale. Un élément clé de ces propositions législatives est d’imposer aux 28 États membres de l’Union
européenne (« UE ») l’échange automatique avec tous les autres États membres d’informations de base
sur les décisions fiscales anticipées en matière transfrontière et sur les accords préalables en matière
de prix de transfert. Ainsi, conformément aux mesures proposées, advenant qu’un pays membre de
l’UE, le Luxembourg par exemple, octroie une décision fiscale anticipée à un contribuable, il aurait
l’obligation de transmettre aux 27 autres pays membres de l’UE certains renseignements de base sur
cette décision.
Contexte général
Les décisions fiscales anticipées, notamment celles en matière transfrontière, et les accords préalables
en matière de prix de transfert permettent aux entreprises multinationales, entre autres, d’obtenir la
sécurité juridique dont elles ont besoin avant la mise en place de structures complexes, en confirmant
à l’avance, selon la législation alors en vigueur, le traitement fiscal qui sera applicable à une ou à des
opérations spécifiques.
L’octroi de décisions fiscales anticipées et la conclusion d’accords préalables en matière de prix de
transfert ne sont pas illégaux ou contraires à la législation européenne. D’ailleurs, en 2014, l’octroi de
décisions fiscales anticipées se pratiquait dans 22 des 28 États membres de l’UE.
Reconnaissant que, du point de vue des sociétés, la planification fiscale constitue une pratique légitime,
la Commission considère néanmoins que les décisions fiscales anticipées et les accords préalables en
matière de prix de transfert peuvent faciliter,volontairement ou non,et même encourager la planification
fiscale « agressive ». Elle constate qu’au cours des dernières années, à l’aide de montages de plus en
plus sophistiqués, des entreprises ont tiré profit de la complexité des règles fiscales, des incohérences
entre deux ou plusieurs régimes fiscaux (doubles déductions ou doubles non-impositions par exemple)
et du manque de coopération entre États membres pour transférer « artificiellement » leurs bénéfices
vers des États appliquant des régimes fiscaux dits favorables (faible imposition ou imposition nulle) et
ainsi réduire au minimum leurs impôts. Dans de nombreux cas, ces pratiques ont été soutenues par
des décisions fiscales anticipées et des accords préalables en matière de prix de transfert.
Selon la Commission, cette situation va à l’encontre du principe selon lequel l’imposition doit rendre
compte de l’endroit où l’activité économique a lieu. Elle entraîne une érosion des recettes fiscales
des États et porte atteinte à une répartition équitable des charges entre les contribuables. Les petites
et moyennes entreprises européennes subiraient, en raison de cette situation, une charge fiscale
supérieure de 30 % à celle des multinationales.
Coup d’œil international
Avocat, D. Fisc.,TEP
Collins Barrow Montréal
s.e.n.c.r.l.
mdurand@collinsbarrow.com
Chronique
Michel Durand
2. 35Septembre 2015 • Volume 20 - Numéro 3
[…] les États membres de
l’UE partagent actuellement
très peu d’information
entre eux concernant les
décisions fiscales anticipées
qu’ils octroient […].
Bien qu’aucun État membre de l’UE appliquant un « régime fiscal favorable » ne soit spécifiquement
mentionné par la Commission dans les documents portant sur sa proposition, il faut savoir qu’en
juin 2013, la Commission a lancé des investigations sur les décisions anticipées des autorités fiscales
de sept États membres, soit la Belgique, Chypre, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas et le
Royaume-Uni. En juin 2014, elle a annoncé l’ouverture formelle de plusieurs enquêtes approfondies
portant sur des décisions fiscales anticipées octroyées par le Luxembourg, l’Irlande et les Pays-Bas.
De même, en février 2015, elle a ouvert une enquête similaire sur le système des décisions fiscales
anticipées de la Belgique.
Les révélations par une quarantaine de médias internationaux et la publication par le Consortium
international des journalistes d’investigation, le 6 novembre 2014, de plus de 500 décisions fiscales
anticipées octroyées entre 2002 et 2010 par le Luxembourg à plus de 340 multinationales, dont
des multinationales canadiennes (« LuxLeaks »), et qualifiées de très avantageuses (parfois même de
scandaleuses par certains) ne sont également pas étrangères au constat de la Commission et au fait
qu’elle souhaite une plus grande transparence fiscale entre États pour décourager et même empêcher
certains « abus ».
Situation actuelle en matière de transparence fiscale entre États membres
de l’Union européenne
La directive 2011/16/UE du Conseil relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal
prévoit l’échange spontané et obligatoire d’information entre les États membres dans cinq cas précis
et dans certains délais. L’échange spontané d’information dans les cas où l’autorité compétente d’un
État membre a des raisons de supposer qu’il peut exister une perte d’impôts ou de taxes dans un
autre État membre s’applique déjà aux décisions fiscales qu’un État membre octroie à un contribuable
spécifique en ce qui concerne l’interprétation ou l’application de dispositions fiscales et qui ont un
caractère transfrontière.
Cela étant dit, la directive 2011/16/UE, telle qu’elle est actuellement en vigueur, n’est, de l’avis de la
Commission, tout simplement pas efficace. En effet, les États membres de l’UE partagent actuellement
très peu d’information entre eux concernant les décisions fiscales anticipées qu’ils octroient, chacun
ayant toute discrétion pour décider, sur la base de son propre cadre juridique, si une décision
particulière peut être pertinente pour un autre État membre et, le cas échéant, pour quel État membre.
De plus, la transmission d’informations peut être refusée dans le cas où elle conduirait à divulguer un
secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial, ou une information qui serait
contraire à l’ordre public.
Par conséquent, bien souvent, les États membres ne disposent pas des informations nécessaires
concernant l’incidence des pratiques et des régimes fiscaux des autres États membres sur leurs
propres systèmes fiscaux. Ils ne peuvent ainsi détecter certaines pratiques fiscales considérées
comme abusives et prendre les mesures correctrices appropriées pour contrer les pratiques fiscales
« nuisibles » appliquées dans certains autres États membres.
3. Chronique
36
Chronique
La proposition de la Commission visant à modifier la directive 2011/16/UE, fondée sur le principe selon
lequel ce sont les autres États membres qui sont les mieux placés pour évaluer les effets potentiels et
la pertinence d’une décision, plutôt que l’État qui l’octroie, a notamment pour but de remédier à cette
situation.
La proposition de la Commission
L’objectif de la Commission est de voir sa proposition adoptée avant la fin de l’année 2015 pour qu’elle
puisse entrer en vigueur au 1er
janvier 2016.
Le cas échéant, les autorités fiscales des États membres seront dès lors tenues de transmettre
automatiquement, tous les trois mois, sans possibilité d’exemption quelle qu’elle soit, aux autorités
fiscales de tous les autres États membres et à la Commission, un rapport succinct de chacune de
leurs décisions fiscales à caractère transfrontière octroyées ou modifiées et de chacun des accords
préalables en matière de prix de transfert conclus, à l’exception de ceux ne concernant et n’impliquant
exclusivement que les affaires fiscales d’une ou de plusieurs personnes physiques.
Ce rapport devra au minimum comprendre :
• l’identification du contribuable et, le cas échéant, du groupe d’entreprises auquel il appartient;
• le contenu de la décision fiscale anticipée en matière transfrontière ou de l’accord préalable en
matière de prix de transfert, y compris une description des activités commerciales, des opérations
ou de la série d’opérations concernées;
• la description de l’ensemble des critères utilisés pour déterminer la méthode de fixation des prix de
transfert ou le prix de transfert lui-même dans le cas d’un accord préalable en matière de prix de
transfert;
• l’identification des autres États membres susceptibles d’être directement ou indirectement
concernés par la décision fiscale anticipée en matière transfrontière ou l’accord préalable en
matière de prix de transfert;
• l’identification, dans les autres États membres, de toute personne, autre qu’une personne physique,
susceptible d’être directement ou indirectement concernée par la décision fiscale anticipée en
matière transfrontière ou par l’accord préalable en matière de prix de transfert, en indiquant à quel
État membre les personnes concernées sont liées.
Cette obligation s’étendra également aux décisions qui auront été octroyées et aux accords préalables
en matière de prix de transfert qui auront été conclus au cours des 10 années précédant la date à
laquelle la proposition de la Commission prendra effet et qui seront toujours valables à cette date.
[…] les autorités fiscales
des États membres seront
[…] tenues de transmettre
automatiquement, tous les
trois mois, sans possibilité
d’exemption quelle qu’elle
soit, aux autorités fiscales
de tous les autres États
membres et à la Commission,
un rapport succinct de
chacune de leurs décisions
fiscales à caractère
transfrontière octroyées
ou modifiées et de chacun
des accords préalables en
matière de prix de transfert
conclus […].
4. 37Septembre 2015 • Volume 20 - Numéro 3
Les États membres pourront ensuite demander plus de précisions concernant des décisions ou des
accords particuliers, s’ils le jugent approprié, y compris l’intégralité des décisions ou des accords
considérés comme pertinents.
Conclusion
Selon la Commission, une transparence fiscale accrue contribuera notamment à exercer une pression
par les pairs sur les États membres, pour les mener à adapter leurs pratiques fiscales nationales. Si
la Commission voit juste, cela entraînera fort probablement des changements aux régimes fiscaux
de certains pays de l’UE, ce qui aura assurément des répercussions importantes sur plusieurs
multinationales intra et extra UE, y compris sur des multinationales canadiennes, et contraindra
certaines d’entre elles à démanteler les structures les plus agressives. Également, il y a lieu de se
demander si des États non membres de l’UE pourraient avoir accès à de telles informations par le
biais de demandes de renseignements prévues en vertu de certains traités fiscaux. Pour conclure, il
convient de noter qu’en 2014, les investissements canadiens au Luxembourg, l’un des pays, sinon le
pays de l’UE le plus pointé du doigt pour sa fiscalité « très arrangeante », représentaient 31,14 milliards
de dollars. Ce petit pays d’à peine 2 586 km2
se classait ainsi au cinquième rang mondial pour les
investissements directs canadiens à l’étranger. À quoi doit-on cet engouement pour ce pays? À vous
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