Le rôle central de la médecine interne dans l’évolution des systèmes de santé...
L'actualité ALIMENTAIRE | V10 N5 | Vins et plaisirs
1. VINS ET PLAISIRS
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CHARDONNAY,PINOTNOIRETCOMPAGNIE
Les cépages internationaux au Québec
PAR PATRICK LESORT
DANS LE MONDE ENTIER, ON CULTIVE DES CÉPAGES INTERNATIONAUX ISSUS DE L’ESPÈCE VITIS VINIFERA. C’EST UNE QUESTION DE GOÛT
MAIS AUSSI DE MARKETING. FRAGILES, ILS S’ADAPTENT PLUS OU MOINS BIEN AU CLIMAT QUÉBÉCOIS. TOUTEFOIS, IL EST CERTAINEMENT
PLUS FACILE DE VENDRE UN CHARDONNAY – UNE VALEUR SÛRE POUR LE CONSOMMATEUR – QU’UN ST-PÉPIN. CET HYBRIDE, MIEUX ADAPTÉ
À NOS RÉGIONS, MÉRITERAIT POURTANT D’ÊTRE DÉCOUVERT.
R
evenons un instant à l’époque de la
Nouvelle-France et aux observations
de Jacques Cartier à propos de l’île
d’Orléans. En 1535, il la trouve couverte de
vignes sauvages et décide donc de la baptiser
« île de Bacchus ». Ce sont des Vitis riparia,
des cépages autochtones qui y poussent
très bien. Les premiers colons en tirent un
vin âpre qui provoque quelques brûlures
d’estomac. Soixante-dix ans plus tard (vers
1608), Samuel de Champlain fait planter des
cépages venus de France, des Vitis vinifera
qui ont bien du mal à résister au climat. Seuls
les prêtres continuent d’en produire en faible
quantité, car l’importation de vins français
s’avère la meilleure solution pour alimen-
ter la consommation de l’époque : 32 litres
annuellement par adulte (environ 22 litres
en 2012). Par la suite, la vigne est délaissée
et quasiment abandonnée jusqu’à l’époque
de la Confédération : les Anglais privilégient
la bière et les alcools forts de leurs colonies.
L’importation de vin, provenant essentiel-
lement de la France, est par conséquent
presque arrêtée. Débute alors une période
sombre pour la vigne québécoise et le vin
comme elle l’a d’ailleurs été pour le cidre…
Après quelques soubresauts contrecarrés
par le pouvoir religieux – omniprésent au
début du XXe
siècle –, la prohibition et les
deux grandes guerres mondiales, il a fallu
attendre le retour des importations fran-
çaises et de nouvelles vagues d’immigrants
européens (Italiens, Portugais, etc.) ame-
nant leurs habitudes alimentaires, pour
susciter un regain d’intérêt pour la viticul-
ture dans les années 70. La recherche autour
des hybrides adaptés au climat québécois
prend alors son envol. Ce sont des croi-
sements entre les cépages Vitis vinefera
européens et Vitisriparia ou Vitislambresca
d’Amérique du Nord qui résistent mieux à
l’hiver rigoureux et aux gels du printemps.
Leur floraison tardive et leur maturation
plus précoce les aident à affronter les aléas
de notre météo. Depuis les années 80, les
viticulteurs ont adopté ces hybrides qui
permettent de réaliser des vins de plus en
plus surprenants : savoir-faire et âge des
vignes contribuent à leur qualité sans cesse
croissante. Qui n’a jamais bu un seyval ou
un vidal pour les blancs ou pour les excel-
lents vins de glace ? Toutefois, chacun a
conscience que la notoriété des chardon-
nays ou des pinots noirs, par exemple, est
une plus-value commerciale indéniable. Il
y a toujours eu des tentatives d’adapter
des vinifera comme ceux-ci au Québec,
et le mouvement semble s’amplifier. Nous
avons rencontré Jérémie d’Hauteville et
Richard Bastien, œnologues réputés et
propriétaires d’OenoQuébec, afin de pré-
ciser quelques points.
POURQUOI PLANTER
DE LA VITIS VINIFERA AU QUÉBEC ?
À l’instar des vignobles des Pervenches ou
des Côtes d’Ardoise qui réalisent de très bons
vins avec des vinifera depuis des années, de
nombreuxviticulteursauQuébecenplantent
de plus en plus. Il y a bien entendu le côté
attrayant de la commercialisation : plus facile
de vendre en magasin le nom « chardon-
nay », par exemple, que celui d’un hybride
sur l’étiquette. De plus, il y a aussi leur ca-
ractère noble que les gens recherchent. Ce
sont des standards de dégustation faciles
à analyser et à évaluer, par exemple sur un
riesling québécois comparable à des ries-
lings alsaciens ou allemands.
« La Vitis vinifera
pourra être certainement
développée ici et sera
toujours un produit d’appel
pour les viticulteurs. »
Par contre, il est peut-être plus difficile pour
certains d’avoir une opinion tranchée sur des
cépages qui ont des goûts distincts comme
certainshybridesquel’onneretrouvequ’ici.
2. VINS ET PLAISIRS
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Il ne faut pas oublier le travail supplémen-
taire que représentent aussi ces cépages.
Originaire du Moyen-Orient, la Vitisvinifera
n’est pas spécialement adaptée à nos climats.
C’est avec des soins hivernaux particuliers
que l’on peut la cultiver : buttage (pieds de
vigne couverts de terre), couverture avec des
géotextiles ou de la paille, puis traitements
spéciaux à longueur d’année en raison de
sa sensibilité aux maladies et aux parasites.
Cela représente entre trois et quatre fois
plus de soins qu’avec des hybrides qui n’ont,
généralement, pas besoin de buttage. Il faut
aussi savoir que ces vignes ont un rende-
ment moindre à l’hectare. Il existe de belles
réussites au Québec, mais le travail derrière
est en proportion. Mis à part le côté noble
ou expérimental, certains viticulteurs voient
également dans ces vins des produits phares
qui donnent de la notoriété à leur vignoble.
AVEC LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES,
ONT-ILS UN AVENIR AU QUÉBEC ?
Le climat est désormais en dents de scie.
Difficile de prévoir et de généraliser d’une
année à l’autre. 2012 a été excellente : un beau
printemps sans gel et un été chaud avec un
raisin en pleine maturation à la récolte. L’an-
née 2013 a, quant à elle, commencé avec des
gels printaniers qui ont touché beaucoup
la viticulture. Plus que les froids d’hiver, ce
sont les risques de gels au printemps qui
sont plus difficiles à prévenir. L’investis-
sement que l’on peut allouer peut être un
atout avec l’achat d’équipement de géo-
thermie sophistiqué afin de réchauffer la
vigne comme au Vignoble du Ruisseau à
Dunham qui a misé sur les vinifera. La Vitis
vinifera pourra être certainement dévelop-
pée ici et sera toujours un produit d’appel
pour les viticulteurs. Ils n’oublieront pas les
hybrides qui ont un gros potentiel écono-
mique à moindre risque. De plus, la qualité
de ces vins s’accroît, les vignes prennent de
l’âge et le professionnalisme des viticulteurs
est en forte hausse. Il ne faut pas abandonner
ceshybridesquandçacommenceàfonction-
ner ! Il y a aussi fidélisation d’une clientèle de
plus en plus éduquée et habituée à ces vins.
De plus, il faut noter qu’il y a de moins en
moins de perception et d’a priori négatifs
même du côté des journalistes qui n’hésitent
plus à présenter les vins québécois issus de
cépages hybrides, gagnants même de prix
internationaux.Alors, pourquoi tout arrêter
pour passer à des cépages à gros risques
financiers comme les vinifera ? Pour les gros
vignobles, les hybrides seront toujours plus
rentables et mieux adaptés aux aléas du cli-
mat. La vinifera est plus destinée aux petites
structures ou à des propriétaires capables
de financer l’énorme investissement.
IL N’EMPÊCHE QU’IL Y A
DES ESSAIS AFIN D’IMPLANTER
DE NOUVEAUX CÉPAGES AU QUÉBEC...
C’est un sujet sur lequel nous travaillons beau-
coup.Noussiégeonsauconseild’administration
du Centre de recherche agroalimentaire de
Mirabel (CRAM), un organisme à but non lu-
cratif qui offre des services de recherche et
de transfert technologique en horticulture.
OenoQuébec participe avec le CRAM et en
partenariat avec le MAPAQ à des recherches
sur les cépages et leur adaptation au Québec
comme l’évaluation des caractéristiques
œnologiques des cépages prometteurs.
Actuellement, nous effectuons des essais
sur 14 cépages et sur différentes conduites
de la vigne.
Par ailleurs, le CRAM en collaboration avec
l’AssociationdesvigneronsduQuébecaédité
le Guide d’identification des cépages culti-
vés en climat froid. Le but de tout ceci est de
cerner les cépages les mieux adaptés et au
potentielqualitatifleplusprometteur.Lereste
n’est qu’une question d’implantation pro
gressive de ces cépages et de patience avant
de voir le résultat en bouteille…
[www.oenoquebec.com]
JÉRÉMIE D’HAUTEVILLE ET RICHARD BASTIEN D’OENOQUÉBEC
PHOTO :JOSEPHSIMONE
LES PRINCIPAUX VITIS VINEFERA AU QUÉBEC
BLANCS
++ Chardonnay
++ Gewurztraminer
++ Riesling
ROUGES
++ Cabernet franc
++ Gamay
++ Pinot noir
Étonnamment, les excellents cépages utilisés
dans le Jura, en Savoie ou en Suisse, des régions
viticoles aux hivers rigoureux comme ici, ne sont
pas utilisés au Québec. Les savagnin, chasselas,
jacquère, mondeuse, trousseau et autre poulsard
seraient pourtant bien intéressants à essayer ici.
Seul le gamaret suisse est actuellement testé au
CRAM.Parcontre,peuconnusdesconsommateurs
québécois, ces cépages risqueraient peut-être
d’être boudés comme les hybrides, au détriment
des sempiternels cabernet, pinot noir, syrah, char-
donnay et compagnie.