1. Les JeudIST de l’IRD
Conférence-débat,
16 février 2023, 13 h 30-14 h 30
« Editeurs prédateurs
et intégrité scientifique »
Alexandre Serres,
Référent à l’intégrité scientifique
Université Rennes 2
2. En guise de plan
Introduction
Qu’est-ce que l’édition prédatrice ?
Comment fonctionne une revue dite prédatrice ?
Quelle est l’ampleur du phénomène ?
Quelles sont les causes possibles ?
Quels sont les risques ?
Quelles parades possibles ?
Conclusion
Ressources pour aller plus loin
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7. Une revue qui se revendique de l’éthique
de la publication
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Toutes les bonnes références de l’Open Access et de l’éthique !
Référence au COPE…
8. Mais des références trompeuses….
Etonnant : aucun des liens n’est actif !
Et la revue n’est pas membre du COPE !
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9. Une des deux revues est frauduleuse…
mais laquelle ?
9
Source : The Retraction Watch
Hijacked Journal Checker
10. Un cas d’école de détournement de revue
Même graphisme
Même arborescence du site
Même Comité éditorial !
Presque les mêmes contacts…
Mais des articles récents différents
Surtout :
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Pas d’accès aux archives
dans la revue frauduleuse :
https://e-afr.org/login.htmlw
Accès possible dans la bonne revue :
https://www.afrjournal.org/index.php/afr/issue/view/20
« Les revues détournées imitent les revues légitimes en adoptant leur titre,
leur ISSN et d'autres métadonnées. » (Retraction Watch)
11. Des revues qui publient n’importe quoi !
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Voir l’article sur
ResearchGate.
Et l’histoire du canular
sur « Le blog de Michaël »
12. Quelles leçons de ces exemples ?
La diversité des revues prédatrices :
des revues nouvelles (la revue de mathématiques) ;
des revues détournées, piratant des revues existantes ;
La grossièreté des pratiques :
mels totalement aberrants ;
absence totale de contrôle des articles (le canular) ;
L’habileté des revues dans l’utilisation des codes des revues scientifiques
La grande difficulté à reconnaître une revue prédatrice :
nouvelle ou détournée
La gravité du phénomène
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14. A l’origine, définition de Jeffrey Beall, bibliothécaire américain :
Observation empirique des spams reçus
Création des expressions predatory journals, predatory publishers
En 2010, publication de la première liste de revues prédatrices : la Beall’s List
Première définition des revues prédatrices :
« Des revues qui cherchent à exploiter le modèle d'accès libre dans lequel l'auteur
paie. Ces éditeurs prédateurs sont malhonnêtes et manquent de transparence. Ils
visent à tromper les chercheurs, surtout ceux qui n'ont pas d'expérience dans la
communication savante. Ils créent des sites web qui ressemblent beaucoup à ceux
d'éditeurs en ligne légitimes et publient des revues de qualité douteuse ou
médiocre. » (Beall, 2012)
Qualification des revues prédatrices reprise puis discutée et élargie
Approfondissement de la définition par un groupe de 43 experts en 2019 :
« Les revues et les éditeurs prédateurs sont des entités qui privilégient l'intérêt
personnel au détriment de l'érudition et se caractérisent par des informations fausses
ou trompeuses, un écart par rapport aux bonnes pratiques rédactionnelles et de
publication, un manque de transparence et/ou le recours à des pratiques de
sollicitation agressives et sans discernement. » (d’après H. Maisonneuve)
Comment définir l’édition prédatrice ?
14
15. Qu’est-ce que l’édition prédatrice ?
Mais difficulté croissante à définir et identifier les revues prédatrices, et à les
distinguer des revues « légitimes »
Plutôt qu’une définition univoque, proposition de l’IAP (rapport de 2022) de
« l’approche du spectre » :
Accord sur la définition consensuelle internationale :
Pratiques prédatrices donnent la priorité à l’intérêt personnel et non à la science
Notion d’éventail de pratiques douteuses, d’un vaste ensemble de
comportements prédateurs, de gravité variable ;
Proposition d’une typologie plus fine que la seule distinction binaire « revues
prédatrices vs revues légitimes »
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16. « L’approche du spectre » de l’IAP
16
Source :
Rapport de
synthèse IAP
18. Caractéristiques de l’édition prédatrice
Libre Accès :
Utilisation d’une faille du Libre Accès par des éditeurs malhonnêtes : la relation
Editeur / Auteur autour des frais de publication
Modèle auteur-payeur de la “voie dorée” du Libre Accès
Généralement frais de publication assez bas (environ 200 dollars)
À comparer avec les APC de certaines revues “légitimes” (de 1000 à 5000 $ !)
Absence d’évaluation par les pairs :
Pas ou très peu de “peer reviewing” ; articles acceptés en quelques jours, sans
expertise
Articles parfois volés, plagiés, générés automatiquement
Articles fantaisistes : voir l’exemple du canular “chloroquine et trottinettes”
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19. Caractéristiques de l’édition prédatrice
Mimétisme, voire usurpation d’identité :
Contrefaçon des revues scientifiques : emploi de tous les marqueurs habituels
n° ISSN, facteur d’impact, charte éthique, consignes aux auteurs, etc.
Comité scientifique avec des chercheurs, souvent sans leur accord ;
Utilisation de titres de revues très proches de revues existantes :
Journal of Preventive Medicine, pour être confondu avec la revue Preventive Medicine
Parfois, véritable détournement (hijacking) de sites de revues :
Exemple des Annals of Forest Research
Pratiques commerciales agressives, harcèlement :
Envoi de mels très flatteurs, apparentés à du spam ;
Harcèlement des chercheurs qui répondent ;
Pratiques d’escroquerie : sommes réclamées deux fois !
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20. Les conférences prédatrices
Même modèle que les revues prédatrices :
Imitation de sites web de sociétés savantes ou de sites de colloques
Faux comités d’experts
Dans des villes touristiques
Pas de rémunération des auteurs mais au contraire demande de
paiement de sommes élevées, en plus des frais d’inscription
2500 € payés par une chercheuse pour une fausse conférence à
Vancouver !
Conférences prédatrices payantes virtuelles en mode webinaire !
Voir l’article sur The Conversation : « Enquête : Les conférences
prédatrices, parodies lucratives de rencontres scientifiques »
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22. Un phénomène en plein essor :
En 2010 : 1800 revues, 53 000 articles ;
En 2015 : 8000 revues, 420 000 articles ;
En mai 2022 : 16 000 revues prédatrices recensées dans le Cabells
Predatory Reports
Environ 1800 nouvelles revues chaque année !
“Infiltration” des bases de données légitimes :
Dans la base Scopus, 300 revues prédatrices recensées, avec plus
de 160 000 articles en trois ans (en février 2021) (Source : article
de Nature)
Sur les conférences prédatrices :
Plus difficile à quantifier ;
Selon le rapport IAP, les conférences prédatrices seraient plus nombreuses
que les véritables conférences !
Selon le rapport IAP, 50 000 conférences prédatrices organisées en 2018
par un seul éditeur prédateur : WASET
Le phénomène de l’édition prédatrice
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23. Sur la croissance des revues
prédatrices
23
Source : IAP, Combatting Predatory Academic Journals and Conferences
(rapport complet)
24. Sur l’ampleur du phénomène :
tous les pays touchés
Un phénomène mondial :
tous les pays touchés ; surtout les pays à faible revenu (Asie du Sud, Amérique latine,
Afrique…) ;
Mais différences de perception chez les chercheurs selon les pays :
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Source : Rapport de
synthèse IAP
25. Sur l’ampleur du phénomène :
toutes les disciplines touchées
25
Source : Le Monde, « Alerte mondiale à la fausse science », 19 juillet 2018
26. Sur l’ampleur du phénomène
Selon l’enquête mondiale menée par l’IAP, auprès de 1800 chercheurs de 112
pays :
14 % des répondants ont admis avoir publié dans des revues prédatrices ou participé
à des conférences prédatrices ;
10 % par ignorance ;
En extrapolant, le rapport IAP signale que 14 % des chercheurs = 1,2 million de
chercheurs !
Impact de la Covid-19 : explosion des articles, notamment dans les revues
prédatrices ; problème de fiabilité de nombreuses études ;
Risques plus élevés dans le secteur bio-médical
Autres indicateurs d’impact :
les citations : selon quelques études, nombre de citations assez limité ; 60 % des
articles n’auraient aucune citation !
Le coût financier des spams : non négligeable !
Manque à gagner de 2,6 milliards de $ par an ! (évaluation du temps passé par les
chercheurs, quand ils répondent favorablement aux invitations)
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27. Autre pollution de la science :
les usines à articles (paper mills)
Définition (rapport COPE-STM) :
« un moulin à papier est le processus par lequel des manuscrits fabriqués sont soumis
à une revue moyennant paiement au nom de chercheurs dans le but de leur fournir
une publication facile ou d’offrir un statut d’auteur à vendre » (trad. de H.
Maisonneuve)
Fonctionnement :
Vente d’articles soit générés automatiquement, soit élaborés par les petites mains de
sociétés commerciales :
Exemple d’une société basée en Lettonie : publication de plus de 12 650 articles
Faux auteurs, faux articles mais vrais éditeurs !
Selon une analyse de 53 000 articles, de 6 éditeurs, de tous domaines, pourcentage d’articles
suspects de 2 % à 46 % ! (rapport COPE-STM)
Ampleur du phénomène relevée par le rapport COPE-STM, qui « menace de submerger les
processus éditoriaux d’un nombre significatif de revues »
« Une industrie de fraudes scientifiques de masse »
Réactions des éditeurs :
Augmentation du nombre de rétractations
Un outil de salubrité publique : « Problematic Paper Screener » (de Guillaume Cabanac et Cyril Labbé)
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29. Un faisceau de causes
Des causes historiques :
La numérisation de l’édition scientifique
Le Libre Accès
Trois causes systémiques :
La commercialisation croissante de l’édition scientifique
Le modèle PoP (Publish or Perish) et la prédominance du système d’évaluation
fondé sur les critères quantitatifs
Les lacunes du peer reviewing : manque de transparence, négligences, etc.
Des causes « sociétales » et sociales :
Extension des pratiques de cybercriminalité à la sphère académique
Emergence d’une sous-culture de la publication, comme alternative au modèle
dominant :
Ancrage de l’édition prédatrice dans la réalité sociale de la science (cf travaux de
Cherifa Boukacem)
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30. Quels profils d’auteurs
dans les revues prédatrices ?
Plusieurs profils d’auteurs publiant dans ces revues :
Cf le projet PAPERS (PredAtory PublishErs ReSearch)
Les auteurs de bonne foi :
La majorité des auteurs ;
Victimes ignorantes des pratiques prédatrices cybercriminelles ;
Les auteurs « résignés » :
Généralement, chercheurs de pays du Sud (Inde, Afrique…), se sentant exclus du
système de publication scientifique dominant
Forme de résistance par des publications rapides et faciles
Les auteurs « cyniques » :
Une minorité d’auteurs ;
Connaissent et acceptent les revues prédatrices ;
Adhésion aux valeurs de rapidité du reviewing, de vitesse de publication, de
notoriété…
(source : conférence de Cherifa Boukacem, MSH Monde, 7 février 2023)
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32. Quels risques pour les chercheurs ?
Pour les auteurs de bonne foi, piégés par une revue prédatrice :
Dangers liés aux revues elles-mêmes : escroquerie, harcèlement…
Risque d’un CV artificiellement gonflé (pour la qualification, une promotion…)
Pour les auteurs publiant sciemment dans une revue prédatrice :
Pratique assimilable à une Pratique Contestable de Recherche, voire à une
fraude scientifique
Peuvent faire l’objet de signalements pour manquement à l’intégrité scientifique
Sanctions possibles (et recommandées par l’IAP)
Dans tous les cas, altération de la réputation scientifique du
chercheur
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33. Quels dangers pour la science ?
Coût important des revues prédatrices
Détournement du Libre Accès et discrédit sur les vraies revues en Libre Accès
Baisse de la qualité scientifique globale des articles
Encouragement des PRC (Pratiques Contestables de Recherche) : embellissement des
données, biais méthodologiques, etc.
Prime à la fraude : plagiat, fabrication, falsification des données
Développement des articles générés automatiquement (paper mills), des canulars
scientifiques…
Essor de la « fake science » :
- atteinte à la crédibilité de la science et
des chercheurs
- augmentation de la défiance du public
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35. Comment repérer ou éviter les revues
prédatrices ?
Les listes :
Premier outil : les listes « noires »
Première liste d’éditeurs et de revues prédatrices : la Beall’s List, consultable sur
Archive.org
Élaborée en 2010, fermée en 2017 à cause des plaintes formulées par des éditeurs
prédateurs (dont OMICS)
Liste reprise et actualisée par un chercheur anonyme : Liste de Jeffrey Beall
Services payants par abonnement :
Cabell’s Predatory Reports :
Base de données de 15 000 revues prédatrices
Les listes blanches :
Exemple de la « Liste de revues recommandables » en Médecine, de Sorbonne
Université :
« liste non exhaustive de revues scientifiques, présumées non prédatrices et dans
lesquelles il est recommandé de soumettre des articles pour publication »
plus de 3400 titres.
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36. Comment repérer ou éviter les revues
prédatrices ?
Les outils d’aide à la détection :
Think.Check.Submit : collectif de partenaires, 2015 ;
Think.Check.Attend : pour les conférences prédatrices
Compass to Publish : Université de Liège, 2020 ;
Vérification de l’appartenance de l’éditeur à des organisations
reconnues (COPE, OASPA…), à des répertoires (DOAJ), au portail
ISSN (ROAD ISSN)…
Se fier au DOAJ et à ses critères de qualité et de
transparence
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38. Cinq conseils pour éviter les éditeurs prédateurs
38
Source : Predatory journals in anaesthesiology and critical care
Site « Penser, Vérifier,
Soumettre »
Par exemple le DOAJ
(Directory of Open
Access Journals)
Par exemple la
« Catégorisation des
revues en Économie et
en Gestion » du CNRS
39. Stratégies de lutte contre l’édition prédatrice :
quelques Recommandations de l’IAP
Revoir les définitions des pratiques prédatrices ; adopter une
approche spectrale
Développer la compréhension des pratiques prédatrices :
Offrir une formation solide sur la publication scientifique à tous les
niveaux de la recherche
Développer des outils communs, partager les expériences,
développer des normes de certification de qualité, pour répondre à
la sophistication permanente des revues prédatrices
Promouvoir les bonnes pratiques dans les mécanismes
institutionnels
Sanctionner les publications volontaires dans des revues prédatrices
Remplacer le modèle « auteur-payeur » par des modèles alternatifs
Revoir les critères d’évaluation de la science
Renforcer et faire évoluer les processus du reviewing
Développer la recherche sur l’édition prédatrice
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40. En conclusion
Nécessité de prendre conscience de la montée de
la « fake science » (et de la mauvaise science) :
Editeurs prédateurs + Paper mills + articles générés par des IA + articles
frauduleux (falsifiés, plagiés…) + études à la méthodologie douteuse +
articles ne respectant pas les règles éthiques + conflits d’intérêts + etc.
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41. Quelques sites ressources :
CIRAD. « Eviter les revues et éditeurs prédateurs : définition et indices ».
CoopIST, 2021.
Université de Rennes. Les revues prédatrices.
PDCI (Promotion du Développement des Compétences Informationnelles),
Réseau de l’Université du Québec. « Editeurs prédateurs »
L’INRS (Canada)
La rubrique Prédateurs du blog Revues et Intégrité d’Hervé Maisonneuve
Les éditeurs prédateurs comme objet de recherche :
Boukacem-Zeghmouri, Chérifa, Sarah RAKOTOARY, et Pascal Bador. « La
prédation dans le champ de la publication scientifique : un objet de recherche
révélateur des mutations de la communication scientifique ouverte »,
septembre 2020. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02941731.
Première thèse soutenue début 2021 :
« Une très bonne analyse des revues prédatrices avec la thèse de Larissa
Shamseer (Ottawa) »
Ressources sur les éditeurs prédateurs
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42. Références utilisées
Beall, Jeffrey. « Predatory publishers are corrupting open access. ». Nature, 13
septembre 2012, vol. 489, p. 179.
Boukacem-Zeghmouri, Chérifa, Rakotoary, Sarah, et Bador, Pascal. « La prédation
dans le champ de la publication scientifique : un objet de recherche révélateur des
mutations de la communication scientifique ouverte ». Preprint, septembre 2020. 20
p.
Boukacem-Zeghmouri, Chérifa. « Pour en finir avec les analyses “isolationnistes” de
la prédation dans le champ de la publication scientifique ». Billet. PAPERS (blog), 30
juin 2022.
InterAcademy Partnership (IAP). « Lutter contre les revues et
conférences académiques prédatrices ». Rapport de synthèse. IAP, mars 2022. 27 p.
La Blanchardière A. de, Barde F., Peiffer-Smadja N., Maisonneuve H. « Revues
prédatrices : simples miroirs aux alouettes ou menaces graves pour la recherche ? 1
Comprendre et reconnaître les revues prédatrices ». Preprint, octobre 2020. 20 p.
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43. Merci de votre attention !
Contact :
alexandre.serres@univ-rennes2.fr
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