La dextérité des jeunes chirurgiens mise à mal par l'usage des écrans
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Publié le 1 Novembre 2018 - Mis à jour le 2 Novembre 2018
Alerte rouge
Alerte à la chirurgie : cette surprenante raison pour laquelle les
étudiants d’aujourd’hui font preuve de nettement moins de
dextérité que leurs prédécesseurs
Roger Kneebone, professeur d'éducation chirurgicale à l'Imperial College de Londres, a déclaré que les
futurs chirurgiens britanniques ont si peu d'expérience manuelle qu'ils ont des difficultés à exercer
concrètement la chirurgie.
Avec Guy-André Pelouze
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Atlantico : Roger Kneebone, professeur d'éducation chirurgicale à l'Imperial
College de Londres, a déclaré que les futurs chirurgiens britanniques ont si
peu d'expérience manuelle qu'ils ont des difficultés à exercer concrètement
la chirurgie. Le même constat s'applique-t-il aux futurs chirurgiens français
? Pourquoi ce manque de pratique ?
Guy-André Pelouze : C’est une question complexe car il faut faire la part des choses entre les différents facteurs
qui peuvent influer sur la dextérité et la capacité technique des jeunes chirurgiens. Toutefois beaucoup de
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chirurgiens séniors partagent ce point de vue. Pour autant la situation est différente d’un pays à un autre même si
il existe des facteurs qui se retrouvent dans tous les pays développés.
Tout d’abord la dextérité et la capacité technique sont elles un déterminant du résultat chirurgical?
Curieusement ce sujet n’a pas été abordé fréquemment. Peu d’études ont directement évalué les compétences
techniques des chirurgiens et aucune, avant 2013, n’avait établi de lien entre le niveau de compétence technique
en chirurgie et les résultats cliniques. Quand l’étude des liens entre performance technique et résultats de la
chirurgie bariatrique de vingt centres du Michigan est parue elle n’a pas eu un écho à la hauteur des résultats. A
l’aide d’un outil de mesure de la performance technique les auteurs démontrèrent qu’il existait une différence
substantielle entre les capacités techniques des chirurgiens et que ceux qui avaient l’expertise technique la plus
élevée avaient moins de complications (5,2% pour le quartile des meilleurs techniciens versus 14,5% pour le
dernier quartile) (Figure N°1).
Ainsi, comme cela est généralement pressenti, tant par les médecins que les patients, il apparaît que la réponse à
cette question est positive. En conséquence il faut accepter le fait que les chirurgiens sont de niveau différent et
que toute tentative pour les rendre égaux est vouée à l’échec. Pire une telle politique conduirait à abaisser le
niveau moyen en vertu du principe de régression à la moyenne (Daniel Kahneman Système 1 système 2, p 214
Flammarion 2011). Un objectif plus adapté est de créer une dynamique d’excellence et de cibler ceux qui sont
dans le quartile inférieur de l’expertise technique.
Figure N°1. Relation entre l'évaluation sommaire de la compétence technique par les pairs et le taux de
complications après ajustement du risque pour une dérivation gastrique laparoscopique. Chaque diamant dans le
diagramme de dispersion représente l'un des 20 chirurgiens bariatriques en activité.
Deuxième question: mesure-t-on la dextérité et la capacité technique des chirurgiens pendant leur cursus et pour
la délivrance du diplôme? En France et dans d’autres pays d’Europe la réponse est non même si des expériences
sont conduites. Pour autant il y a un suivi en continu dans les évaluations de stage (chaque 6 mois pendant
l’Internat) qui peuvent conduire à conseiller une réorientation ou même une interruption du cursus chirurgical. En
Europe le diplôme européen (par exemple pour la chirurgie cardiovasculaire) que je recommande de passer à tout
jeune chirurgien comprend un seuil minimum d’interventions réalisées comme premier opérateur. Combiné aux
résultats postopératoires, au temps d’intervention et à la technique choisie il s’agit là d’une évaluation assez
précise de la technicité. Par exemple un candidat qui réalise une intervention cardiaque ou vasculaire standard en
un temps très long à la fois sur le plan du clampage de l’artère (interruption totale du flux) ou du temps total fait
montre d’une technicité insuffisante… De même pour les temps opératoires d’une intervention de prothèse de
hanche ou de genou, de prostatectomie ou de gastrectomie. Nous le constatons cette mesure est difficile mais elle
est possible et devrait avoir un poids plus important dans l’évaluation. Or elle est actuellement sous estimée dans
l’évaluation du chirurgien en formation au bénéfice de la connaissance théorique des données de la littérature qui
fonde les indications. Le but de cette surévaluation théorique est de former des chirurgiens posant de bonnes
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indications au lieu de former uniquement des chirurgiens habiles techniciens.
La formation théorique a pris peu à peu le pas sur la formation pratique, mais est-ce la cause principale? La
génération qui part en ce moment en retraite a été formée par compagnonnage avec des chirurgiens très pointus
sur le plan technique. En imitant le geste et en complétant l’apprentissage en salle d’opération par des séances
sur cadavres les chirurgiens de cette génération ont acquis une excellente dextérité technique et singulièrement en
France où l’anatomie chirurgicale a été enseignée magistralement. Mais n’oublions jamais un facteur critique:
l’immersion en salle d’opération ou de dissection occupait de très longues heures. Et les semaines se déroulaient
sans décompte horaire, sans jour de repos pour garde ou intervention nocturne. Les internes en formation ne
laissaient aucune place libre comme aide-opératoire et ils quittaient la salle d’opération après le pansement ce qui
leur valait de très rapidement apprendre les techniques de base d’ouverture ou de fermeture et plus si l’interne
était capable. Progressivement deux changements importants vont survenir.
Le premier, chronologiquement, est le développement de l’evidence based surgery. Indiquer une opération
chirurgicale est rapidement devenu un raisonnement rationnel d’évaluation du bénéfice/risque basé sur des
données de la littérature. Conseiller un remplacement d’une valve du coeur et le type de valve, un pontage des
membres inférieurs, une dilatation d’une artère carotide (de même dans les autres spécialités) n’est plus une
appréciation basée sur sa propre expérience mais avant tout sur l’expérience consensuelle issue des résultats
publiés régulièrement.
Or ces résultats ne sont pas des recettes. Il faut en évaluer la validité et la pertinence ce qui demande un
investissement important sur le plan théorique. Cet investissement en temps crée un effet d’éviction sur le temps
consacré à la technique. Ce d’autant qu’un deuxième changement est venu contrarier singulièrement le premier:
la régulation du temps de travail. Les lois récemment promulguées ont drastiquement limité la possibilité de faire
les deux dans le même temps de formation. Ce facteur a pris en France une grande importance comme souvent
quand par penchant bureaucratique ou idéologique nous prétendons faire plus et mieux que tout le monde.
Si bien que le résultat final est devant nous, les capacités techniques ont en moyenne reculé mais il manque une
métrologie publiée dans un journal à comité de lecture pour en juger. Par exemple il est probable que l’écart entre
les centres de haut niveau et les autres se soit creusé ces dernières années en raison du recrutement de patients
et de la taille des équipes.
Mais en fait ne s’agit il pas d’un jugement des chirurgiens séniors qui refusent de prendre en compte les
évolutions du métier dans un contexte sociétal différent? Cet argument est en partie exact.
Le métier évolue et dans certaines spécialités de manière radicale. Le chirurgien anatomiste, excellent dans la
dissection atraumatique des tissus et des organes comme le recommandait Halsted cède peu à peu la place pour
de nombreuses interventions au poseur de “device”. Qu’est ce à dire? La technologie a envahie la médecine et
de multiples implants remplacent des parties d’organes ou des réparations chirurgicales.
Un exemple intéressant est la transformation du traitement des anévrismes de l’aorte. Les endoprothèses ont
apporté une solution simple qui ne nécessite pas l’expertise technique de la réparation ouverte qu’il s’agisse des
anévrismes de l’aorte abdominale ou thoracique. Mais voilà il faut encore réparer par voie ouverte certains
anévrismes et les opérateurs chevronnés disparaissent car le nombre de ces procédures diminue. Toute période
transitionnelle expose à ce dilemme.
Le contexte sociétal est par contre un argument irrecevable pour plusieurs raisons.Tout d’abord ce métier est un
choix positif exigeant et rien ne pourra exonérer le candidat de cet effort permanent et insensible aux modes
sociétales. Les programmes opératoires longs, l’urgence, les interventions difficiles nécessitent une grande
maîtrise et une opiniâtreté qui peuvent être psychiquement, physiquement et familialement éprouvantes. Mieux
vaut s'entraîner à un niveau suffisant pour y faire face car il ne peut y avoir d’improvisation. A ce sujet la
comparaison avec le sport est illustrative. On ne s'entraîne pas pour des épreuves difficiles (même à un niveau
loisir) en faisant la moitié des efforts parce qu’on a des engagements sociaux ou familiaux, on doit choisir et
arbitrer. Ensuite les réglementations mises en place en France sont par trop rigides. Les gardes, les horaires
tardifs ne sont pas des anomalies mais le quotidien de la chirurgie. Introduire des lois contraignantes conduit à une
éviction supplémentaire du temps de formation technique. Dans ce domaine la transposition du droit du travail
français des salariés (alors que nous savons que notre temps de travail est un des plus faibles au monde) à des
individus en formation est inapproprié. Enfin beaucoup d’autres facteurs interviennent pour aggraver la situation.
En voici un qui m’a toujours étonné. Les formations académiques des internes en chirurgie ne sont pas adaptées
(toujours la rigidité) aux horaires de bloc ce qui conduit à quitter le bloc opératoire en début d’après midi voire à
midi pour y assister...
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Est-ce un problème régulièrement soulevé en France ? Les autorités
publiques françaises se sont-elles déjà emparé du problème ?
Cette question fait partie des sujets pour lesquels les chirurgiens des services qui accueillent des internes ont des
possibilités très limitées. L’interne est le salarié de l’hôpital et disons le franchement il rend d’immenses services
en terme de gardes et d’astreintes. Sans les internes, l’hôpital, universitaire ou non, dysfonctionnerait gravement.
En revanche compte tenu de l'ambiguïté de sa position vis à vis de la faculté de médecine l’interne en chirurgie ne
bénéficie pas en France d’un environnement de formation à la hauteur des enjeux. Si bien que la question de
l’expertise technique est plutôt tue. Tous les acteurs s’en remettent à l’immersion...
Pour la deuxième partie de la question ma réponse sera plus courte. Je n’ai aucune preuve que l’état soit d’un
secours quelconque dans la formation des chirurgiens. Au contraire dans la période récente l’obstination du
numerus clausus (44 ans…), les critères de sélection essentiellement mnésiques, les lois et règlements sur le
temps de travail, le salaire indigne des internes dans les hôpitaux et la sous valorisation des actes chirurgicaux ont
contribué à détériorer la situation...
Concrètement, selon vous, par quoi passerait une politique efficace en ce
domaine ? Comment ce manque de pratique pourrait-il être résolu ?
La première solution est de rendre les écoles et facultés de médecine totalement libres de leur modalités de
formation. En effet la diversité des voies choisies deviendrait immédiatement une dynamique concurrentielle vers
l’excellence. C’est ce qui existait dans les années 60-80 notamment avec l’internat régional et c’est ce qui a pu
contribué à de meilleurs résultats. Au contraire l’uniformité dans un contexte d’accélération du renouvellement
des connaissances est un handicap.
La deuxième solution est de considérer que l’innovation apporte des solutions aux problèmes posés grâce à la
recherche/développement. Un exemple, la technologie HoloLens vient d’être approuvée par la FDA. Il s’agit d’un
outil de réalité augmentée pour réaliser des gestes interventionnels (Figure N°2). D’autres systèmes de formation
pratique existent du plus simple au plus sophistiqué. Par exemple il faut investir dans des laboratoires de chirurgie
expérimentale pour que les internes y aient accès avec leurs enseignants au lieu de se reposer sur l’industrie qui
fait des efforts intéressants dans ce sens.
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Figure N°2 a et b: réalité augmentée en vue d’un geste interventionnel au niveau cérébral (a) et lombaire (b).
Technologie HoloLens (avec l'aimable autorisation de Novarad ®).
La troisième est la possibilité de choisir un service de formation validant dans l’ensemble des établissements qui
se portent candidats et ont réussi l’évaluation. En effet les internes sont souvent trop nombreux en réalité pour un
tutorat technique. Ou bien le service dans lequel ils ont choisi a un volume réduit. Comment fonctionne aujourd'hui
le système? Il est hospitalo-centré et et il n’est pas évalué. Par exemple les services des CHU sont
automatiquement validants alors que ceux des CH doivent être évalués et les services des cliniques privées sont
exclus. C’est un perte de possibilités pour les internes en chirurgie. De nombreuses cliniques ont à la fois le
volume et l’expérience pour former techniquement un interne dans d’excellentes conditions. L’actuel
gouvernement qui va supprimer le numerus clausus ce qu’il faut saluer aurait pu pousser l’audace un peu plus
loin et abattre ce mur de Berlin...
Mais n’oublions pas que pour s'entraîner à faire, rien ne vaut les travaux pratiques manuels dans la mécanique, la
réparation électronique, le bricolage ou l’art… Et bien sur je pointe là, à la fois la préférence dans le secondaire
pour ce qui n’est surtout pas manuel et un défaut de la sélection purement intellectuelle et principalement
mnésique comme c’est le cas en France. Comme souvent une bonne intention est vite balayée par la réalité et un
train peut en cacher un autre. Les internes en chirurgie sont comme toute la génération Y très forts avec le bout
des doigts sur un écran plat en 2D, ils sont très habiles du pouce sur un clavier mais désemparés en 3D live dans
un corps humain avec des outils. Tout simplement parce qu’ils pratiquent surtout la première activité.
Pour ma part je suis plutôt de l’avis de Tristam Hunt, le directeur du Victoria and Albert Museum à Londres où
s’est déroulé cette conférence que relate la BBC : "Ce sont ces compétences qui permettront aux jeunes de
naviguer demain dans le monde du travail en mutation et de rester devant les robots au lieu d’avoir seulement de
bonnes notes aux examens." C’est aussi vrai pour les chirurgiens.
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