Droit des faillites : « un projet d'ordonnance dangereux »
1. Droit des faillites : un projet
d'ordonnance dangereux
Le Monde.fr | 17.03.2014 à 15h04 • Mis à jour le 17.03.2014 à 15h07
Le projet d’ordonnance portant réforme des procédures collectives, présenté le
12 mars 2014 par la Garde des Sceaux Christiane Taubira, entérine une
financiarisation du droit des faillites pour le plus grand profit des créanciers.
Il est certain que le projet contient certains aménagements techniques
bienvenus, comme la possibilité de désigner un mandataire à l’exécution de
l’accord intervenu avec les créanciers dans le cadre d’un mandat ad hoc ; la
volonté d’anticiper les difficultés pour permettre des restructurations équitables
et équilibrées ; l'encadrement de la rémunération des professionnels désignés
par le tribunal, notamment en interdisant la rémunération indexée sur les
abandons de créance ; la simplification de la liquidation judiciaire pour les
personnes physiques, par la création d’une enquête renforcée permettant de
parvenir à un rétablissement personnel sans liquidation.
Mais ces améliorations sont l’arbre qui cache la forêt. En effet, il n’est pas
exagéré de prétendre que cette réforme - la quatrième en 20 ans ! - signe une
reddition sans concession à l’air du temps, voire l’acte de décès de la loi
Badinter du 25 janvier 1985, qui avait instauré la dynamique du redressement
judiciaire de l’entreprise. Les trois mots clés de cette notion permettait de
trouver un juste équilibre entre les forces en présence. En effet, il était confié au
juge d’apprécier si le redressement d’une entreprise était possible, quitte pour
cela à remettre en cause les droits acquis par les créanciers. Le cœur de la
réforme de 1985 était l’entreprise, comprise comme la synthèse entre l’activité
économique, la fourniture d’emploi et accessoirement le règlement des
créanciers.
Avec la réforme Taubira, nous assistons à un changement de paradigme
au profit exclusif des créanciers. Cela est clairement affirmé dans l’objectif
assigné à la réforme : « renforcer la prévention des difficultés des entreprises et
garantir que les procédures judiciaires auxquelles sont soumises les entreprises
en difficulté favorisent lorsque c’est possible le redressement des entreprises et
assurent au mieux le remboursement des créanciers pour ne pas affecter la
distribution du crédit ou fragiliser le tissu économique ». Cette conception est
clairement issue du rapport du Conseil d’analyse économique (CAE) relative
aux « enjeux économiques du droit des faillites » (Notes du CAE n° 7, Juin
2013), qui considère que les créanciers sont moins bien remboursés en France
qu’à l’étranger. Or , cette affirmation est fausse car le CAE oublie d’intégrer les
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2. recouvrements indirects tels que les condamnations versées par les dirigeants-
cautions. Et cette erreur conceptuelle affecte toute la réforme, car les créanciers
n’ont pas besoin de voir leurs droits renforcés pour améliorer l’impact
économique du droit des faillites en France .
Cette réforme soulève en réalité une triple question : qui cette réforme
cherche-t-elle à protéger , les entreprises ou les créanciers ? Quels sont les
droits acquis par ces derniers ? Quels peuvent être les effets de cette réforme ?
Remarquons tout d’abord que le « rebond de l’entreprise » n’apparaît qu’à la fin
du projet d'ordonnance, après qu'ait été reconnu la nécessité de donner « un
rôle plus important aux créanciers » et de renforcer ce rôle dans le cadre de la
procédure de redressement judiciaire.
Mais le terme de créancier lui-même soulève une double difficulté.
D’une part, il s’agit d’un terme polymorphe qui peut contenir désigner aussi bien
les concurrents d’une entreprise en difficulté que ses salariés ; aussi bien les
investisseurs privés que l’Etat collecteur d’impôts ; aussi bien les banquiers
que les organismes sociaux. Quelle peut être la communauté d’intérêt de ces
créanciers disparates dont les intérêts sont contradictoires et les objectifs
divers ? S’il s’agit d’être uniquement payé, la réforme consacre alors le sacrifice
de l’entreprise que l’on prétend sauver .
D’autre part, plusieurs indices laissent à penser que cette expression est un
masque qui dissimule la volonté d’offrir le contrôle de la procédure à une seule
catégorie de créanciers, les banques. Si tel n’est pas le cas, il faut prendre
conscience que, dans la majorité des procédures, les créanciers sont d’abord
publics et parapublics. Veut-on favoriser la nationalisation des entreprises en
difficulté en permettant à l’Etat et aux organismes sociaux de transformer leurs
créances en parts dans le capital ? Rien n’est moins sûr, mais c’est pourtant
cette finalité qui semble mise en exergue.
Il faut méconnaitre le droit des entreprises et la réalité économique pour oser
écrire que « Dans la mesure où la société est en cessation de paiement, [cela]
signifie que l’entreprise a manqué à ses obligations envers ses créanciers ». On
pourrait croire que l’entreprise a volontairement manqué à ses obligations alors
que les causes de cette défaillance peuvent être multiples, conjoncturelles ou
structurelles : d’un renchérissement du prix des matières premières à la perte
d’un marché essentiel, du refus d’un crédit par une banque ou des contraintes
réglementaires nouvelles et onéreuses, sans oublier , il est vrai, des erreurs de
gestion commises par les dirigeants.
A lire le projet d’ordonnance, il affleure comme une once de condescendance
moralisatrice à l’encontre des dirigeants et des actionnaires qui n’ont pas été en
mesure de respecter leurs engagements vis-à-vis des créanciers.
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3. A partir de ce point de vue suranné, on reconnaît aux créanciers des droits
exorbitants : la cession forcée à l’encontre des associés contrôlant la société ; la
possibilité pour les créanciers de proposer au tribunal un plan de continuation
concurrent de celui du débiteur.
En ce qui concerne la cession forcée, qui s’apparente à une expropriation pour
cause d’utilité… privée, on sent bien que le projet est mal à l’aise car il anticipe
les critiques du Conseil constitutionnel qui reconnaît à la propriété privée une
valeur constitutionnelle.
En ce qui concerne la présentation d’un plan concurrent par les créanciers, le
projet propose que « si ce plan prévoit des modifications du capital pour faire
entrer des investisseurs, le tribunal pourra désigner un mandataire pour voter à
la place des actionnaires opposants, et pourra indiquer que le vote se fera à la
majorité simple. Si les actionnaires refusent de voter les modifications de capital
prévues au plan, une cession forcée de leurs titres sera possible »
L’aveuglement idéologique atteint ici son comble : les actionnaires qui n’ont pas
les moyens, faute de liquidités, se retrouvent de facto excluent. Pourtant, ils ont
souvent créé l’entreprise ; par leur travail, ils l’ont développé ; ils ont consenti
des efforts colossaux et ils se trouveraient privés de l’œuvre d’une vie par le
transfert à des créanciers qui seraient en mesure de transformer des créances
papiers (et sans valeur puisque l’entreprise est en cessation des paiements) en
actions leur donnant la propriété de l’entreprise ? Cela ne paraît ni juste ni
efficace
Ce texte est la consécration d’une financiarisation du droit des faillites.
Jusqu’à présent, les créanciers étaient mal traités car cela permettait de
restructurer l’entreprise en allégeant le fardeau de la dette, seul moyen de
permettre un nouveau départ.
Avec cette réforme, on sacralise la dette qu’il faut payer par tous les moyens, y
compris en transformant cette dette en capital social et en évinçant ceux qui ont
créé de la valeur pendant des années, les privant ainsi du fruit de leurs efforts.
Cette mécanique entrainera à termes des effets contreproductifs qui seront
préjudiciables à l’attractivité économique de notre droit et de notre pays.
Sanctionner les associés d’aujourd’hui peut freiner l'investissement de demain.
On se retrouve ainsi face à un paradoxe : en raison de la frilosité des banquiers,
les entreprises se sont tournées vers de nouveaux moyens de financement,
notamment en ayant recours au private equity ou en laissant entrer des
financiers dans leur capital. Si la réforme est adoptée, les associés ne
souhaitant pas participer à la restructuration pour payer les créanciers
(principalement bancaires) se trouveront exclus et ils perdront leur
investissement.
Mais si les banquiers ne prêtent plus (comme le déplorent les chefs
d’entreprise) et si les investisseurs hésitent à investir compte tenu de cette
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4. menace, comment va-t-on financer la croissance et le développement des
entreprises françaises ?
Au final, ce projet de réforme renforce la dérive vers la financiarisation de
l'économie en privilégiant le remboursement de la dette sur la réorganisation
industrielle ou le projet d’entreprise. Il est aberrant de résumer la vie d'une
entreprise à son bilan et de ne pas valoriser le travail des hommes qui la crée, la
développe et la porte.
En prétendant le contraire, cette réforme constitue une négation du droit des
entreprises, notamment celles qui sont en difficulté. Il s’agit d’une réforme
oxymore et anxiogène, tout le contraire de ce qu’attendent les entreprises
françaises, qui ont besoin d’un second souffle pour participer activement à la
guerre économique et au développement de notre pays. Ce n’est pas avec une
telle réforme que l’on donnera aux Français en général, et aux entrepreneurs en
particulier, le goût de l’avenir.
Christophe Lèguevaques est avocat au barreau de Paris et auteur de
« Droit des défaillances bancaires » (Economica, 2002)
12 mars 2014
[1] http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/07/15/danger-sur-le-
droit-des-faillites_3447777_3234.html (/economie/article/2013/07/15/danger-sur-le-droit-
des-faillites_3447777_3234.html)
[2] http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20140312trib000819523
/reforme-du-droit-des-faillites-il-faut-aller-plus-loin.html (http://www.latribune.fr/opinions
/tribunes/20140312trib000819523/reforme-du-droit-des-faillites-il-faut-aller-plus-loin.html)
Droit des faillites : « Un projet d'ordonnance dangereux » http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/03/17/droit-des-fa...
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