Interview d'Albine Villeger, chargée du marketing territorial et de la communication en développement économique au sein de la Communauté d’agglomération Evry Centre Essonne.
Les stratégies de marques de la ville de Paris : interview de Gildas Robert
Marketing territorial : "c'est faire de la marqueterie avec les atouts du territoire"
1. Cercle des communicants francophones
Itw #16
« Dans les années 90, on passe du territoire-lieu au territoire-lien, c’est-
à-dire que le territoire acquiert une vocation communicationnelle »
Albine Villeger, chargée du marketing territorial et de la communication en développement
économique au sein de la Communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, a répondu aux
questions du Cercle des communicants francophones (@leCCF).
Quand est-ce que le marketing territorial s'est développé en France ? Pourquoi ?
Albine Villeger (AV) : Historiquement, le marketing territorial se
pratiquait - sans usage du vocable - en mode attractivité
touristique. A l’origine de ces démarches concurrentielles, il y
avait la valorisation de la nature. Cette valorisation trouvait sa
source dans les œuvres des peintres paysagistes de l’école
française. Leurs œuvres mettaient en comparaison les sites entre
eux. Et, de fait, la notion de paysage - entendue dans un sens
large - reste un paradigme opérant, si l’on veut marcher sur les
deux pieds du marketing territorial, que sont l’offre et l’image.
L’offre qui qualifie et quantifie ce que le territoire propose,
objectivement, rationnellement et l’image qui relève d’une
représentation médiatique, plus symbolique, supposant d’activer
des ressorts émotionnels, à l’instar de l’esthétique du paysage
naguère.
Dans les années 70, la ville de Montpellier fait figure de pionnière. Elle lance « Montpellier la
surdouée ». Ce n’était pas qu’une signature publicitaire. Ce slogan collait à une stratégie de
développement pensée avec l’arrivée de l’entreprise IBM (donc un rajeunissement en mode CSP+)
et de grandes signatures urba-culturelles d’architectes à la notoriété internationale (l’offre), pour
une métamorphose attractive de la ville, pensée concomitamment à une stratégie de marketing et de
communication, tant intra qu’extra-muros (l’image).
Avec la décentralisation, dans les années 80, l’identité territoriale s’est superposée à l’identité
partisane, coïncidant avec l’émergence du développement économique, managé en mode projet par
les collectivités locales. Ce processus concerté et partenarial avec les acteurs privés, en lieu et place
de la décision politique des seuls élus ou institutions, succède à une vision fonctionnelle
d’aménagement. Ce processus transforme dans les années 90 le territoire-lieu en un territoire-lien, à
vocation communicante.
Quel regard portez-vous sur le marketing territorial qui est mis en œuvre
actuellement ?
(AV) : Nous sortons petit à petit, mais encore difficilement, de la logique du marketing silos, où la
production de l’offre et la communication afférente restent segmentées (tourisme, culture,
développement économique, projets urbains, habitat, sport etc.).
Comment construit-on un plan d'action efficace afin de renforcer l'attractivité de son
territoire ? Quelle est la méthode ? Sur quoi doit-on fonder sa stratégie ?
(AV) : Diagnostic, état des lieux de son territoire et de ceux qui peuvent présenter une offre
concurrentielle – si possible partagé dès le départ avec les acteurs locaux – étude de la demande et
2. publics cibles, benchmark, mutualisation des objectifs et mise en commun des moyens le cas
échéant... telles sont les grandes étapes à respecter.
Il faut également bien préciser les objectifs : notoriété du territoire et des équipements dont il
dispose, évolution qualitative de son image, commercialisation du foncier économique, meilleure
attractivité des services publics ou de l’offre urba-culturelle, développement de la destination
touristique, attractivité résidentielle et communication autour des programmes de construction en
habitat ? A partir de là, la stratégie de marketing territorial - qui ne peut être que l’interface entre le
diagnostic et le projet du territoire - permettra d’identifier les cibles, et donc de jeter les bases de
l’évaluation et des indicateurs ad hoc à anticiper.
Il faut aussi poser les bons mots sur la réalité attractive que l’on veut donner à voir. Au plus les
valeurs et l’identité du territoire – spontanée ou révélée – sont fortes, au plus le message de
communication externe sera percutant.
Après tout cela, on peut enfin bâtir une stratégie. Celle-ci doit être basée sur trois axes : prospection,
promotion et relations. Ces axes doivent être déclinés en plan d’actions. Ceux-ci doivent prendre en
compte la spécificité des potentiels fonciers (tant économiques que résidentiels) et mettre en place
des démarches, réalisations et outils partagés par les acteurs locaux (salons, magazine,
communication digitale et attractivité numérique, événements économiques BtoB du territoire…).
Quels sont les partenaires, les relais, sur lesquels une collectivité peut s’appuyer pour
renforcer son attractivité ?
(AV) : Parmi les partenaires, il y a notamment les entreprises, les établissements de formation,
d’enseignement supérieur, de recherche et d’innovation, les institutions consulaires, les élus et
administrations des autres collectivités locales ou établissements publics, les organismes mixtes
(CDT, EPIC, SEM etc.) ou encore les ambassadeurs du territoire (club d’entreprises et personnalités
célèbres).
L'élaboration d'une marque de territoire est-elle consubstantielle d'une démarche de
marketing territorial ? Pourriez-vous nous donner quelques exemples ?
(AV) : Il faut bien distinguer marketing territorial, marque de territoire, marque sur le territoire et
marqueur du territoire.
Je ne pense pas que la marque de territoire soit incontournable, et la mode consistant à en faire
l’alpha et l’omega de l’attractivité peut être source autant de dépenses budgétivores que d’erreur
stratégique.
Au sein d’une région comme l’Île-de-France, en matière de développement économique, Paris ou
Grand Paris (Région/Métropole) s’impose en tant que marque tandis que les territoires
intercommunaux sont le plus souvent dépourvus d’identité historique, culturelle ou sociale, sans
compter un périmètre en perpétuelle évolution. On peut par contre trouver des repères identitaires
(et de fait des marques) basés sur une construction économique, comme La Défense ou Roissy
Hupstars, qui inverse le sens généralement donné à une démarche de marketing territorial : territoire
+ identité = attractivité. Là, c’est attractivité + identité = territoire. Pour autant, comment imaginer
que les territoires franciliens ne mènent aucune démarche de marketing territorial, compte-tenu des
enjeux économiques.
A Evry Centre Essonne, il avait été clairement acté au moment de la mise en place de la mission
marketing territorial, en 2012, que la bonne stratégie ne consistait pas en la création d’une marque
de territoire. L’atomisation de l’organisation intercommunale en Île-de-France et le contexte de
neutralité identitaire ne s’y prêtaient guère, mais il fallait mettre en synergie les différents éléments
d’attractivité territoriale et mieux partager avec les acteurs locaux des actions de promotion. La
mise en place d’une signature du territoire (jusqu’au 1er janvier 2016 « La Porte Sud du Grand
Paris ») permettait d’avoir une bannière pour les supports, traduisant l’agrégation des thèmes
(développement économique, aménagement, habitat, culture, sport, environnement…).
3. A Evry Centre Essonne, nous avons parallèlement élaboré une stratégie de marqueur du territoire à
partir du marketing du service public local, un enjeu fort pour les intercommunalités en mal de
reconnaissance par les citoyens. L’eau de l’agglo - avec le passage en régie publique de la
distribution - fût autant l’occasion de donner toute sa place au rôle majeur joué par les services
publics en matière d’attractivité, que de permettre la préemption d’une thématique universelle,
fédératrice et à l’identité bien présente sur le territoire (fleuve Seine, patrimoine de l’aqueduc, éco-
activités, coopération décentralisée sur l’assainissement, sculptures etc.). En outre, le repère
géographique n’est pas absent, bien au contraire : il apparaît, d’une part dans la signature et dans le
fait de s’adosser à la marque de territoire « Paris Region, source of inspiration » avec le logo sur les
supports. En matière d’attractivité territoriale, il faut s’adapter au territoire et aux réalités tant
économiques que géographiques (en l’espèce, la notoriété et l’attractivité du Grand Paris) !
Evidence qu’il est indispensable, inlassablement, de rappeler, car il n’y a pas de recette miracle.
Pour donner un exemple rigoureusement inverse à celui que je viens d’évoquer, certains territoires
se sont construits et développés sur des identités extrêmement fortes, consubstantielles de leurs
caractéristiques économiques, culturelles, sociales, historiques, environnementales. Et dans ce cas,
non seulement la marque de territoire est la solution, mais il peut même y en avoir plusieurs, dans la
mesure où elles s’articulent entre elles. Voyez les deux marques de territoire Bretagne (Région) et
Finistère (Département) : cohérence graphique et complémentarité, prenant en compte, entre autres,
le fait que le Finistère est le plus grand département maritime de France.
A l’inverse, certains contre-exemples liés à des dissensions politiques montrent la voie à ne pas
suivre. Avant les harmonisations issues des municipales de 2014, certaines villes centre (Bordeaux
ou Montpellier) n’étaient pas à l’unisson de leurs intercommunalités. Résultat : des démarches qui
au mieux s’enlisent ou, au pire, se contredisent. La situation actuelle de la première métropole
française, Aix-Marseille-Provence est également peu propice, à ce stade, à une synergie de tous les
acteurs locaux. La raison économique et le bon sens territorial finissent souvent par l’emporter,
mais avec beaucoup de temps et d’énergie gaspillés en route.
Enfin, autre solution, qui a été mise en œuvre dans le cadre d’un périmètre d’attractivité qui ne
correspondait pas à un découpage institutionnel mais à une logique de bassin de vie et d’emploi :
des installations d’art contemporain « Estuaires » ont joué le rôle de marques sur le territoire pour
permettre un repérage attractif, visible et partagé intra-muros de l’aire métropolitaine Nantes/Saint-
Nazaire.
Qu’est-ce qui est le plus important dans le marketing territorial ?
(AV) : L’important, c’est la mise en place d’une coordination, formelle ou pas, autour d’un acteur,
perçu comme légitime, qui fédère les énergies et les talents locaux ; le marketing territorial, ce n’est
pas une compétence attribuée à tel ou tel, mais bien la capacité à unir les acteurs privés et publics
autour de l’objectif d’attractivité. L’acteur public territorial est donc assez logiquement celui qui
peut jouer ce rôle d’intérêt général. Christophe Alaux parle d’ailleurs de « management territorial ».
Les démarches de la Marque Bretagne et d’OnlyLyon, à cet égard, auront sans aucun doute fait date
grâce à un fonctionnement avec une agence de développement, où l’on retrouve au sein d’une
instance de direction les partenaires publics et privés. Ce qui permet, en outre, un meilleur
financement ; dans ce domaine, la France a du retard … A Amsterdam, c’est au moins 70% du
budget de Iamsterdam qui est d’origine entrepreneuriale.
Comment peut-on évaluer une démarche de marketing territorial ?
(AV) : Question difficile pour une communicante ! L’évaluation n’est possible que si celle-ci a été
posée dès le départ comme séquence incontournable, en fonction de ce que les acteurs ont fixé
comme objectifs, car évaluer c’est de facto accepter d’évoluer. Et du coup, l’évaluation c’est aussi
du sur-mesure.
S’agit-il de marketing du service public ? Des enquêtes de performance, avec des techniques
4. adaptées, permettent de connaître la satisfaction des usagers.
S’agit-il d’une marque de territoire ? On peut mesurer le nombre de partenaires adhérant à la charte,
au code de marque et le nombre d’ambassadeurs, ainsi que le nombre d’établissements, entreprises,
associations, collectivités ayant adopté les repères graphiques, qui partagés dans l’environnement
communicationnel sont aisément repérables.
S’agit-il de foncier économique ? Le diagnostic initial devra alors inclure une étude des offres
concurrentielles, et mesurer in fine l’évaluation concurrentielle de la situation.
S’agissant de l’offre, on peut quantifier les éléments de développement économique, notamment
endogènes. Les grandes ambitions de développement exogène, avec l’arrivée spectaculaire
d’entreprises étrangères ne sont plus toujours de mise, ou tout du moins si elles restent souhaitées,
ne fondent pas une stratégie de développement exclusivement. Du coup, le nombre d’emplois est
certes un indicateur rationnel et objectif, mais son impact positif sur les populations locales n’est
pas toujours connecté à la dynamique économique du territoire. Bref, en matière d’évaluation, le
quantitatif se conjugue avec le qualitatif.
S’agissant de l’image, c’est délicat. On peut trouver des indicateurs dans le fait que les entreprises
fassent valoir leur ancrage territorial, partagent des outils de communication, d’animation, des
actions de promotion… Nous sommes entrés dans l’ère de l’influence et de la réputation, plus que
de l’image ou de la communication. Du coup, les réseaux sociaux peuvent se muer en une enquête
de notoriété à moindre coût et de caisse de résonance à ce paradoxe du territoire-ancrage local
exporté, car source de valeur ajoutée dans un environnement globalisé.
Si vous deviez esquisser une définition du marketing territorial, quelle serait-elle ?
(AV) : Faire de la marqueterie avec les atouts du territoire. C’est une définition très personnelle. Le
marketing territorial, c’est un peu de marketing et beaucoup de territoire !
Auriez-vous quelques supports à conseiller pour mieux comprendre le marketing
territorial ?
(AV) : Je conseille de lire l’ouvrage de Benoit Meyronin (« Le marketing territorial »), celui de Joël
Gayet (« Place Marketing Trend-Tendances et nouvelles pratiques du marketing territorial ») et de
consulter le blog de Vincent Gollain (blog http://www.marketing-territorial.org/), d’Hervé
Monier (http://brandnewsblog.com/) et de Marc Thébault (http://thebaultmarc.expertpublic.fr).
Interview réalisée par Damien ARNAUD (@laCOMenchantier) en février 2016
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