4. ¶
morale péjorative (qui tend à transformer la victime en coupable), explique que les médecins soient aussi mal à l’aise face à
ces symptômes, comme l’avait déjà noté Balint (que nous
citerons largement tout au long de cet article) : « ... les maladies
sont ordonnées en une sorte de classification hiérarchique
correspondant approximativement à la gravité des altérations
anatomiques dont on peut supposer qu’elles s’accompagnent.
Malheureusement cette classification hiérarchique ne s’applique
pas seulement aux maladies, mais aussi aux malades qui ... s’y
rattachent. Les patients dont les troubles peuvent être ramenés
à des altérations anatomiques ou physiologiques apparentes ou
vraisemblables sont d’une catégorie supérieure tandis que les
névrosés sont en quelque sorte la lie qui subsiste lorsque tout
le reste a été éliminé. Il est donc compréhensible que chaque
médecin, lorsqu’il se trouve face à un nouveau patient, ... ne le
relègue dans la catégorie de névrosés que lorsqu’il ne trouve
rien qui puisse lui conférer un statut respectable » [3].
Le diagnostic de trouble fonctionnel entraîne une souffrance
paradoxale chez le patient et le médecin. Chez le patient la
souffrance vient du symptôme lui-même (douleur, fatigue,
malaise, etc.), de l’incertitude sur sa cause, et de l’absence de
légitimité médicale de la plainte. Chez le médecin, elle trouve
sa source dans le doute diagnostique, et dans la difficulté à
rassurer et à soulager. « Après une série d’examens consciencieux
et approfondis, lorsqu’on dit à un malade qu’il n’a rien, les
médecins espèrent qu’il va se sentir soulagé et même guéri. Cela
arrive, en effet, assez souvent ; mais dans un grand nombre de
cas, c’est juste le contraire qui se produit et le médecin réagit à
cette situation - toujours inattendue malgré sa fréquence - par
une surprise douloureuse et de l’indignation. » [3]
On comprend donc qu’il soit délicat d’aborder la nature
fonctionnelle d’un symptôme avec les patients, mais aussi qu’il
soit difficile d’en parler entre professionnels de santé, tant les
malentendus sont nombreux sur les concepts visant à rendre
compte de ce type de situation. Il faut donc s’interroger sur les
mots utilisés par les médecins pour caractériser les plaintes
somatiques médicalement inexpliquées : symptômes fonctionnels, symptômes médicalement inexpliqués, plainte fonctionnelle, somatisation, troubles somatoformes, syndromes somatiques fonctionnels. Chacun de ces termes recouvre en fait des
facettes distinctes d’un même phénomène, qui méritent qu’on
s’y arrête.
■ Terminologie et concepts
de la « somatisation »
Symptômes fonctionnels
Ils s’opposent aux symptômes « d’origine organique » de
cause lésionnelle, ou relevant d’une physiopathologie établie. Ils
sont subjectifs, au contraire des signes d’examen, des anomalies
d’imagerie et des résultats de laboratoire. Ils ont une connotation de bénignité, parfois trompeuse, car certains symptômes
fonctionnels peuvent être invalidants : « Les médecins, conditionnés par leur formation, pensent généralement d’abord à un
diagnostic “physique”. Les raisons qu’on avance d’habitude sont
qu’une maladie physique est plus sérieuse, plus dangereuse
qu’une maladie fonctionnelle. C’est une demi-vérité dangereuse ; dans certains cas la maladie physique représente effectivement une menace plus grave ... mais dans d’autres, la maladie
fonctionnelle est nettement le danger le plus grand... » [3].
Symptômes médicalement inexpliqués
Ils sont définis « en négatif » et résultent de la représentation
de la tâche primaire du médecin comme celle de « l’élimination » d’une cause organique (ou « médicale », ce qui impliquerait que lorsque celle-ci n’est pas trouvée, le problème sort du
champ de la médecine). Ce processus d’élimination d’une cause
organique peut contribuer, comme on le verra plus loin, à la
construction, à partir de symptômes fonctionnels banals, de
situations de somatisation chronique et invalidante. D’autre
part, il y a incontestablement un certain arbitraire à attribuer un
symptôme à une cause unique (qu’elle soit organique ou
psychologique, d’ailleurs) : l’arthrose lombaire visible sur les
radiographies explique-t-elle à elle seule ces douleurs rachidiennes invalidantes ? Cette discrète anémie justifie-t-elle une
asthénie aussi profonde ?
Ampleur du problème des symptômes
fonctionnels ou médicalement inexpliqués
Les symptômes, médicalement expliqués ou non, sont extrêmement fréquents dans la population générale : en un mois
donné, sur 1 000 adultes, 800 présentent des symptômes,
327 envisagent de consulter et 217 le font effectivement en
médecine de premier recours, 13 se présentent aux urgences, et
8 sont hospitalisés [4]. Confronté à un symptôme quel qu’il soit,
le médecin doit donc se représenter qu’il n’observe que la partie
émergée d’un iceberg. En soins primaires, en moyenne un tiers
des symptômes restent médicalement inexpliqués (de 20 % à
74 % selon les études) [5] . En consultations spécialisées ou
hospitalières, la proportion est grosso modo identique. Même à
l’hôpital, les symptômes médicalement inexpliqués ne sont pas
exceptionnels : dans une étude danoise [6] 20 % des patients
admis plus de 10 fois en 8 ans n’ont pas de maladie organique.
Plainte fonctionnelle
Balint disait que la plainte représente le stade « inorganisé » de
la maladie : à ce stade, on ne sait pas si ce qui est important est
de se plaindre, ou le symptôme lui-même [3]. L’avantage du
terme de « plainte » est qu’il situe le problème davantage au
niveau du recours aux soins que du symptôme lui-même. Or, les
déterminants du recours aux soins relèvent d’un enchevêtrement
complexe de facteurs sociologiques, économiques, cognitifs,
émotionnels, et propres à l’histoire de chaque patient. Parmi
eux, on doit citer l’expérience antérieure du symptôme, le
niveau d’inquiétude qu’il entraîne, la perception du normal et
du pathologique dans un milieu socioculturel donné, l’accessibilité des soins médicaux, les conduites de maladie apprises dans
l’enfance, les traits de personnalité, les événements traumatiques,
et enfin, last but not least, la détresse psychologique au sens
large, et les troubles psychiatriques caractérisés [7].
Somatisation
C’est un concept ambigu. Une première définition fait de la
somatisation l’expression atypique, quoique fréquente, d’une
maladie psychiatrique (essentiellement dépression et troubles
anxieux) sous la forme d’une plainte somatique [8]. La somatisation est alors conçue comme l’expression « masquée » des
troubles psychiatriques (presenting somatisation des AngloSaxons), et il est prouvé que cette présentation « atypique »
entraîne un défaut de reconnaissance des troubles mentaux par
les médecins. En fait, la présentation somatique de la dépression
et de l’anxiété, en médecine générale, est la règle plutôt que
l’exception : elle concerne plus de la moitié des cas de consultations pour troubles psychiatriques, alors que la présentation
« psychiatrique » (symptômes émotionnels exprimés d’emblée)
ne concerne que 15 % des consultations pour troubles psychiatriques [9]. Une définition moins restreinte de la somatisation en
fait une « conduite de maladie » particulière : tendance à
ressentir et à exprimer des symptômes somatiques dont ne rend
pas compte une pathologie organique, à les attribuer à une
maladie physique, et à rechercher pour eux une aide médicale [10]. La pathologie psychiatrique n’est plus indispensable, le
conflit d’attribution devient central, et le recours aux soins fait
partie intégrante de la définition. Enfin, certains auteurs ont
choisi de définir la somatisation comme une plainte durable de
symptômes fonctionnels invalidants, en mentionnant que leur
étiologie est multifactorielle, et que les troubles psychiatriques
sont fréquemment, mais non constamment, présents (functional
somatisation) [11]. Dans cette perspective, les troubles psychiatriques, et plus largement la détresse psychique, sont conçus
davantage comme comorbidité que comme cause des symptômes fonctionnels.
5. ¶
Troubles somatoformes
Il s’agit d’un groupe de troubles psychiatriques ayant en
commun la présence de symptômes somatiques sans explication
organique, et un recours aux soins médicaux. Les troubles
somatoformes du Diagnostic and Statistical Manual of Mental
Disorders IV (DSM IV) [12] comprennent le trouble somatisation,
le trouble somatoforme indifférencié, le trouble de conversion,
le trouble douloureux, l’hypocondrie, la dysmorphophobie, et le
trouble somatoforme non spécifié. Il n’est pas question de
reprendre ici les critères de chacun de ces troubles, et de
discuter de leur pertinence en psychiatrie de liaison, mais on
peut tout de même avancer que les troubles somatoformes du
DSM IV ou de la Classification internationale des maladies
(CIM 10) représentent l’approche catégorielle en psychiatrie
dans ce qu’elle a de plus contestable. Les entités sont purement
descriptives, n’impliquant aucune psychopathologie spécifique,
les seuils de définition sont arbitraires et variables (nombre de
symptômes par exemple), la validité des catégories est douteuse,
l’interpénétration entre elles est importante, et les catégories
résiduelles sont hypertrophiées. Ces troubles sont fréquemment
comorbides avec d’autres troubles psychiatriques, et avec des
troubles de la personnalité. Enfin, certaines catégories pourraient être reclassées utilement dans d’autres groupes de troubles
mentaux : l’hypocondrie comme un trouble anxieux centré sur
la santé, la conversion comme un trouble dissociatif, le trouble
douloureux comme un ensemble de « facteurs psychologiques
influençant une maladie organique », etc. [13]. Tout cela explique que ces catégories soient peu utilisées en pratique, même en
psychiatrie.
Syndromes somatiques fonctionnels
Au contraire des troubles somatoformes, qui sont des catégories développées par les psychiatres au contact de patients vus
en psychiatrie de liaison, les syndromes somatiques fonctionnels
sont des étiquettes médicales descriptives posées par les somaticiens : ensemble de symptômes médicalement inexpliqués et
sans explication physiopathologique solidement admise, dont
chaque spécialité médicale connaît au moins un type : fibromyalgie pour la rhumatologie, syndrome de l’intestin irritable
pour les gastroentérologues, syndrome de fatigue chronique
pour les internistes et infectiologues, syndrome d’hyperventilation et douleurs thoraciques non cardiaques pour les pneumologues et les cardiologues, etc. Ces catégories résiduelles de la
médecine d’organe sont volontiers utilisées par les médecins, et
font parfois l’objet d’autodiagnostics par les patients. Or, ce
découpage paraît répondre davantage à celui des disciplines
médicales qu’à la cohérence clinique des syndromes euxmêmes. Les syndromes somatiques fonctionnels s’avèrent
fréquemment associés entre eux, sont significativement associés
à la détresse psychique, à la dépression et à l’anxiété, et à des
facteurs de risque communs à l’ensemble des situations de
troubles fonctionnels. Leur physiopathologie, certes mal
connue, a de nombreux points communs (en particulier le
phénomène neurologique dit « d’hypersensibilité centrale »), et
les traitements qui ont montré quelque efficacité dans ces
syndromes n’ont rien de spécifique (antidépresseurs, thérapies
comportementales et cognitives) [14].
Somatisation : un processus plutôt
que des catégories
Il faut donc se représenter l’important recoupement entre
présentation somatique de la dépression et des troubles anxieux,
troubles somatoformes et syndromes somatiques fonctionnels.
L’interface, qu’on pourrait considérer comme le noyau phénoménologique de la somatisation, relève d’un processus caractérisé par : une plainte durable de symptômes fonctionnels, leur
attribution par le patient à une cause organique et la répugnance à relier les symptômes à une détresse psychique pourtant souvent perceptible, la quête infructueuse de soulagement
auprès des professionnels de santé, et un retentissement
familial, social et professionnel. La somatisation chronique ainsi
caractérisée induit une relation médecin-malade insatisfaisante
et iatrogène, qui tend à la pérenniser. Les investigations
multiples restent négatives, et alors que cela est vécu comme
rassurant par le médecin, c’est comme une négation de la réalité
des symptômes que l’entend le patient. Les explications médicales confuses et discordantes renforcent l’anxiété et la perte de
confiance. Le conflit moral de « légitimité » des symptômes
devient central dans la relation et induit des crispations souvent
irréversibles : si la contribution psychologique n’a pas été
abordée jusque-là, la détresse émotionnelle négligée par le
médecin devient farouchement niée par le malade [15].
■ Effets pervers de la recherche
d’organicité
Le contexte social de la somatisation est celui de la médicalisation de la vie quotidienne, conçue comme l’amplification
des préoccupations de santé de la population et l’extension du
champ de compétences de la médecine [16]. La médicalisation
promeut la croyance que tout symptôme doit avoir une cause
ou une explication, que toute souffrance relève de la médecine,
et que celle-ci dispose de thérapeutiques efficaces, pour peu
qu’on ait la chance de rencontrer le « bon médecin » [16] .
L’orientation de la biomédecine vers les maladies (et leur
substratum lésionnel ou biologique), plutôt que sur les malades
et leurs symptômes, fait qu’une plainte somatique est d’abord
considérée comme l’indice d’une pathologie organique à mettre
en évidence ou à éliminer. Et l’organisation du système de soins
pousse à ce que chaque médecin consulté ne se sente responsable que d’écarter une maladie organique relevant de sa spécialité, contribuant à une dilution des responsabilités vis-à-vis du
parcours médical du patient (ce que Balint appelait la « collusion de l’anonymat » [3]). La tendance moderne à la judiciarisation de la pratique médicale est un facteur supplémentaire de
surinvestigation des symptômes : avoir « manqué » un diagnostic de maladie organique est considéré comme une faute
professionnelle, alors qu’il n’est jamais reproché aux médecins
la cascade iatrogène des examens complémentaires contribuant
à des situations réfractaires de somatisation.
Médecins et malades veulent avoir de plus en plus de certitudes. Cependant, la médecine clinique est irréductiblement un
domaine de complexité et d’incertitudes. Vouloir réduire
l’incertitude est la raison principale des investigations paracliniques réalisées en cascade [17]. Le médecin assume que si les
examens complémentaires sont négatifs, on est en droit de
rassurer le patient, mais le malade peut quant à lui comprendre
que le « bon examen complémentaire » n’a pas été fait, ou que
le « bon spécialiste » n’a pas encore été rencontré. Son anxiété
croît dans l’attente des résultats, ce qui renforce sa focalisation
sur les manifestations corporelles et favorise la déclaration de
nouveaux symptômes. Les attentes déçues créent une détresse
supplémentaire. Au pire, les examens complémentaires mettent
en évidence des anomalies de signification douteuse (« incidentalomes » biologiques ou radiologiques ; « faux positifs »
d’autant plus fréquents que la probabilité de la maladie que l’on
cherche à éliminer est faible) qui génèrent de nouveaux examens ou consultations, et majorent l’angoisse. La découverte
d’anomalies fortuites lors d’examens complémentaires est un
facteur majeur de « construction » de situations bloquées [18].
Ainsi, loin de réduire l’incertitude, les examens complémentaires prescrits sans discernement peuvent l’accroître, renforcer les
conduites de maladie des patients, et favoriser la chronicité des
symptômes fonctionnels. Comme le notait Balint, « l’“élimination par les examens scientifiques appropriés” est également
fallacieuse d’un autre point de vue. Elle implique, bien que cela
ne soit pas explicitement établi, qu’un patient n’est pas modifié
ou influencé par le processus de l’“élimination” [...] Cette
opinion peut être fausse. L’attitude du patient est habituellement modifiée d’une manière considérable pendant et par les
examens physiques. Ces changements qui peuvent influencer
profondément le cours d’une maladie chronique ne sont pas
pris au sérieux [...] (et) n’ont jamais fait l’objet d’une véritable
investigation scientifique » [3].
6. ¶
Contrairement à une idée reçue, il n’existe en général pas de
pression explicite des patients sur les médecins pour obtenir des
explorations complémentaires ou des traitements somatiques [19,
20], mais cela n’empêche pas les soignants de se sentir « contrôlés » par les patients dans ces situations [21]. Indépendamment
des attributions faites pour les symptômes par les malades, des
« interventions somatiques » (explorations complémentaires,
avis spécialisés, prescriptions médicamenteuses, etc.) sont plus
fréquemment proposées aux patients qui décrivent leurs
symptômes en détail dans le but d’impliquer davantage leur
médecin, ou qui n’abordent pas explicitement leurs difficultés
psychologiques. Lorsque les médecins favorisent l’expression des
problèmes psychosociaux, la probabilité d’intervention somatique s’en trouve diminuée [20, 22].
■ Explorer : du symptôme
au contexte
Dans la perspective « bio-psycho-sociale » proposée par
Engel [23], les facteurs psychologiques et sociaux interviennent
dans toutes les situations pathologiques, qu’il y ait ou non une
lésion organique, ou un mécanisme physiopathologique plausible. L’approche psychosomatique moderne considère qu’il n’y a
pas de causalité linéaire entre problèmes psychologiques et
symptômes (ou maladies) somatiques, mais que certains facteurs
psychologiques et sociaux jouent un rôle important dans la
prédisposition, la survenue et surtout la pérennisation des
symptômes et syndromes fonctionnels, comme dans celles des
maladies organiques, au sein d’une causalité circulaire.
Dans l’approche thérapeutique des troubles fonctionnels,
l’évaluation des symptômes et du contexte est un préalable
indispensable, et peut s’avérer à elle seule thérapeutique [24]. La
démarche diagnostique aboutissant au diagnostic de somatisation passe théoriquement par l’exclusion d’un trouble organique
responsable des symptômes, et la recherche d’arguments positifs
en faveur d’une psychogenèse des symptômes. Mais les symptômes fonctionnels ne sont pas tout « dans la tête » [25] , et
beaucoup résultent de mécanismes physiopathologiques relativement simples : activation du système nerveux autonome en
réponse au stress et aux émotions, tension musculaire, hyperventilation, conséquences des troubles du sommeil, effets de
l’inactivité, et traitement neurologique des informations somatiques, en particulier douloureuses (phénomènes « d’hypersensibilité centrale ») [26]. En conséquence, et pour éviter toute
dichotomie caricaturale, la démarche diagnostique ne doit pas
s’effectuer de façon séquentielle (abord des problèmes psychosociaux une fois la recherche d’organicité « épuisée ») mais de
façon parallèle, en gardant en tête la possibilité d’une pathologie
organique d’une part, et celle d’un trouble psychiatrique (épisode
dépressif et troubles anxieux essentiellement) parfois susceptible
d’expliquer à lui seul les symptômes, d’autre part. Il est aussi
nécessaire à un stade précoce, d’explorer le vécu et les représentations des symptômes, les attentes et les craintes, ce qui
constitue l’axe de l’approche « centrée sur le patient » [27] .
L’entretien doit être initialement aussi peu dirigé que possible,
l’interrogatoire attentif, secondairement recentré, puis complété
de l’examen clinique, dont l’importance est considérable (le
malade pouvant avoir l’impression de ne pas être pris au sérieux
s’il est négligé). Les explorations complémentaires doivent être
parcimonieuses et choisies en fonction des craintes et des
attentes des malades, et il faut expliciter avec le patient leurs
intérêts, limites, et résultats attendus. Enfin, il ne faut pas hésiter
à proposer une nouvelle consultation pour respecter ses propres
impératifs horaires car le manque de temps engendre toujours
des solutions de facilité.
En pratique, la majorité des patients exposent leurs symptômes en faisant des références implicites à une préoccupation
psychologique ou sociale sous-jacente [28, 29]. Cependant, les
médecins ne les relèvent que trop peu souvent en n’explorant
les symptômes que d’un point de vue somatique [28]. Négliger
de reconnaître le « savoir du malade » peut conduire le médecin
à se priver de clés qui pourraient s’avérer très utiles pour faire
« changer l’agenda », c’est-à-dire glisser sans heurts de la plainte
somatique à la détresse psychique [30].
L’évaluation des symptômes doit prendre en compte les
facteurs prédisposants, précipitants, et d’entretien ou de renforcement de la somatisation [10] . Un modèle étiologique des
symptômes fonctionnels et de la somatisation au sens large,
prenant en compte différents facteurs étiologiques et certains des
cercles vicieux pérennisant les symptômes, est présenté dans la
Figure 1 [2]. L’évaluation doit être personnalisée, le poids relatif
de ces différents facteurs s’avérant très variable d’un patient à
l’autre. C’est dans cette perspective que l’évaluation permet de
découvrir des explications potentiellement congruentes avec les
représentations du patient et du médecin. Il faut bien distinguer
les facteurs ayant pu initier les symptômes somatiques de ceux
qui ont contribué à les pérenniser. Par exemple, un patient
asthénique chronique met en avant l’épisode infectieux qui a
marqué le début de sa fatigue, mais n’est pas conscient du
facteur d’entretien que représente le déconditionnement
musculaire secondaire à l’inactivité. Il faut pouvoir lui expliquer
que la recherche du virus n’a pas d’intérêt (« le cambrioleur a
quitté la maison »), mais qu’on peut agir sur le comportement
problématique que représente un repos prolongé (« mieux vaut
remplacer les objets volés que de se lamenter sur leur perte en
restant assis à ne rien faire »). C’est par la mise à jour de ces
cercles vicieux pathogènes que passe le traitement de la somatisation et des troubles fonctionnels, dans une perspective comportementale et cognitive tout à fait applicable à la médecine
générale [31, 32].
■ Rassurer : un acte médical
essentiel mais plus difficile
qu’il n’y paraît
La prise en charge des symptômes fonctionnels est réputée
difficile pour les médecins. Ceux-ci conçoivent l’importance de
leur rôle dans cette prise en charge à travers leurs explications,
leurs conseils, et leur rôle de garde-fou pour éviter les investigations inutiles et néfastes [33]. Lorsque les symptômes sont
chroniques, ils cherchent avant tout à maintenir une relation
médecin-patient de bonne qualité [34]. Dans tous les cas, ils
insistent sur l’importance de rassurer les patients. Mais est-ce si
simple ?
La réassurance peut être définie comme une communication
entre médecin et patient visant à soulager les inquiétudes du
patient vis-à-vis de sa santé. Le processus implique de fournir
une explication pour les symptômes et l’assurance qu’ils ne
peuvent être dus à une maladie grave [35]. La réassurance est
l’exemple d’une activité psychothérapeutique « spontanée » et
quotidienne du médecin [36], pourtant absente dans l’enseignement à la faculté ou à l’hôpital. La plupart des praticiens
estiment que leur empathie et leur autorité scientifique et
morale sont les conditions nécessaires et suffisantes à une
bonne réassurance. Mais il n’en est rien. Tout un corpus de
recherche empirique indique que les médecins échouent
souvent à rassurer leurs patients [35]. Parfois des facteurs liés aux
patients sont en cause : sujets ayant de fortes croyances hétérodoxes sur la santé ou une expérience antérieure d’erreur
diagnostique, sujets hypocondriaques (l’hypocondrie est par
nature une pathologie de la réassurance [37]), patients anxieux
faisant une interprétation catastrophique des symptômes (le
médecin peut sous-estimer le « scénario du pire » que le patient
n’ose le plus souvent pas exprimer spontanément). L’omniprésence du médical dans le champ des médias est un fond culturel
renforçant à la fois la perception d’une vulnérabilité et de la
faillibilité des médecins. Face à un patient de plus en plus
informé, il est devenu difficile d’affirmer sans douter « qu’il n’y
a rien de grave ». Les médecins peuvent échouer à rassurer, en
exprimant leurs doutes, en fournissant des explications ambiguës, ou en prescrivant des examens complémentaires. Les
examens paracliniques peuvent en effet parfois permettre de
crédibiliser un diagnostic de bénignité et contribuer ainsi à
7. ¶
Facteurs prédisposants :
- génétiques
- apprentissage
intrafamilial des
conduites de maladie
- antécédents médicaux
- maltraitance et
traumatismes
- culture et classe
sociale
- personnalité
Facteurs déclenchants :
- événements de vie
- stress non spécifique
- maladie organique
- trouble dépressif
et/ou anxieux
Sensations somatiques d'origine
physiologique ou pathologique
Interprétation des sensations
corporelles comme symptômes
(amplification somatique) :
- attention sélective au corps
- attribution somatique
- inquiétudes sur la santé
Facteurs d'entretien
biologiques et
comportementaux :
- concomitants
physiologiques de
l'émotion
- hyperventilation
- hyperalgésie
- déconditionnement
musculaire
- troubles du sommeil
- recherche de
réassurance
Facteurs d'entretien
psychosociaux :
- renforcement du rôle
de malade par famille
et proches
- dépression et anxiété
- iatrogénie
- systèmes de
compensation
- conflits avec les
organismes sociaux
Recherche de soins
Symptômes chroniques
Invalidité
Figure 1.
Modèle étiologique de la somatisation et des symptômes fonctionnels (d’après [2]).
réduire la symptomatologie et l’anxiété. Cependant, cet effet
peut n’être que transitoire, voire inexistant en pratique [38, 39],
et paradoxalement, la prescription d’un examen complémentaire peut induire ou renforcer chez le malade la croyance
« qu’il y a quelque chose à trouver », quoi qu’en dise le
médecin, et aggraver la focalisation sur les symptômes [40]. De
façon générale, plus les investigations sont invasives, plus elles
ont le pouvoir de renforcer les inquiétudes vis-à-vis des maladies
physiques, les symptômes, et l’invalidité, l’exemple le plus
caricatural étant celui des douleurs thoraciques persistant après
une coronarographie normale chez un patient souffrant d’un
trouble anxieux [41]. Le recours à des consultations spécialisées
rendant des avis discordants, sources d’inquiétude, ou encore les
hospitalisations pour « bilan », qui créent des attentes irréalistes
et favorisent l’adoption de conduites de maladie, ont le même
pouvoir iatrogène.
La réassurance doit reposer sur un diagnostic le plus précis
possible où le symptôme est exploré et compris dans le contexte
du patient. Idéalement, des explications tangibles, « disculpantes », et « impliquantes » délivrées aux patients sont seules
susceptibles de rassurer, et de limiter l’insatisfaction des deux
parties [42]. La première étape de la réassurance est de reconnaître le symptôme comme réel et la plainte comme légitime. Pour
délivrer une information médicale réellement rassurante [35, 36],
il ne faut pas rassurer prématurément, le patient risquant de
considérer qu’il n’a pas été pris au sérieux. Il faut rechercher
derrière le problème mis en avant d’autres craintes parfois plus
importantes. « Le premier principe doit donc être : ne jamais
conseiller ou rassurer un patient avant d’avoir mis à jour le
problème véritable. » [3] Il est nécessaire d’évaluer l’impact des
symptômes sur la vie quotidienne, l’activité de réassurance étant
bien sûr plus difficile si cet impact est majeur (retentissement
familial, arrêt de travail prolongé, etc.). Il faut explorer attentivement le sens du symptôme pour le malade en lui faisant
préciser ses explications spontanées. En cas d’examens complémentaires, il faut préparer le patient à la possibilité de résultats
négatifs, ambigus, ou faussement positifs [35]. Ne jamais s’en
tenir au verdict « vous n’avez rien », qui, selon Balint « ne
rassure presque jamais un névrosé, bien qu’il puisse rassurer un
patient physiquement malade » [3]. La réassurance ne se résume
pas à l’affirmation « qu’il n’y a rien de grave » mais doit être
fondée sur des explications alternatives plausibles et congruentes avec les modèles explicatifs du patient, en faisant autant que
possible le lien entre les facteurs physiques et psychologiques
(rôle du « stress », de la tension musculaire induite par l’anxiété,
place des cercles vicieux comportementaux et cognitifs tels que
l’hypervigilance involontaire aux sensations corporelles, le
déconditionnement musculaire, l’hyperventilation, etc.) [31, 32].
8. ¶
“
Points essentiels
Principes généraux de « prise en charge » des symptômes fonctionnels et de la somatisation (d’après [2]).
1. Établir une relation empathique et de confiance. Ne pas contester la réalité des symptômes (et de la détresse qu’ils entraînent).
Accepter les symptômes comme une plainte a priori légitime.
2. Évaluer chaque symptôme en se gardant de le relier trop vite à une origine psychogène. Faire toujours un examen clinique. Faire
une synthèse des constatations médicales (positives et négatives) incontestables.
3. Limiter les investigations complémentaires. Centrer celles qui paraissent indispensables sur les craintes spécifiques du patient. Ne
pas se débarrasser du malade en l’adressant à un nouveau spécialiste.
4. Mettre à jour les explications spontanées du patient pour ses symptômes, qui laissent souvent la porte ouverte à la part de psychoou de sociogenèse. Être attentif aux « clés » psychosociales fournies par les patients. Toujours faire expliquer au patient ses craintes,
ses représentations du symptôme et ses attentes vis-à-vis de la médecine.
5. S’intéresser aux symptômes. Centrer l’entretien sur la façon dont ils sont perçus et gérés, plutôt que sur les éventuelles maladies à
découvrir. Glisser progressivement des symptômes au contexte psychosocial (personnalité, événements contemporains de
l’installation des symptômes, possibles bénéfices secondaires, conflits familiaux, professionnels, ou avec les organismes sociaux, etc.).
6. Ne pas se contenter « d’éliminer » des maladies. Proposer des explications positives basées sur une causalité circulaire (mise à jour
des cercles vicieux renforçant et entraînant les symptômes et la détresse). Éviter les « diagnostics » fallacieux.
7. Établir (et négocier) des objectifs thérapeutiques raisonnables. Viser le soulagement des symptômes et l’amélioration de la qualité
de vie plutôt que la « guérison ».
8. Proposer un suivi régulier indépendamment des symptômes et de leurs fluctuations. Éviter les consultations en urgence.
9. Dépister et traiter la dépression et l’anxiété si elles existent. Dans le cas contraire, éviter les médicaments.
10. Aborder explicitement les conflits entre malade et médecin. Gérer les émotions pénibles (souffrance, hostilité) et être attentif à ses
propres attitudes contre-transférentielles.
11. Ne jamais adresser le patient au psychiatre sans avoir discuté avec lui des motifs de cette consultation, et sans prévoir de le revoir
ensuite. Éviter le dualisme (« tout physique » ou « tout psychologique »). Un seul praticien doit se sentir responsable de l’intégration
des différentes « prises en charge ».
.
Le langage utilisé pour expliquer la nature fonctionnelle des
symptômes doit être facile à comprendre et à retenir (comme la
métaphore d’une machinerie corporelle « déréglée » et non
« cassée »). Comme dans toute activité d’information, il
convient enfin de vérifier la bonne compréhension de ces
explications.
■ Références
■ Conclusion : l’impérieuse
nécessité d’une médecine centrée
sur le patient
[3]
[4]
À l’approche biomédicale conventionnelle centrée sur la
maladie (disease) en tant qu’entité physiopathologique définie,
l’approche clinique « centrée sur le patient » apporte la considération de la maladie en tant que vécu par le patient (illness) [27]. L’abord du patient doit ainsi être une investigation
parallèle de deux « agendas » : celui « du médecin » et celui « du
patient ». Le premier consiste à émettre des hypothèses diagnostiques en fonction d’une anamnèse, d’un examen clinique
et parfois d’explorations complémentaires, quand le second
s’intéresse à l’expérience du malade face à sa maladie avec ses
représentations, ses craintes, ses attentes et ses espoirs. Dans le
cas de symptômes fonctionnels, l’approche centrée sur la
maladie s’avère particulièrement inopérante et frustrante pour le
malade comme pour le médecin, au contraire de l’approche
centrée sur le patient, qui permet de s’intéresser réellement au
patient « qui n’a rien » [1], et à ses symptômes, plutôt qu’à une
improbable maladie organique ou psychiatrique sous-jacente.
L’objectif d’une médecine centrée sur le patient est d’intégrer de
façon personnalisée et cohérente les symptômes somatiques
et/ou la pathologie organique, le contexte psycho(patho)logique
et social. Elle peut représenter la première ébauche d’une
psychothérapie, dont les objectifs dans les situations de somatisation sont surtout de modifier des comportements (par
exemple l’inactivité) et d’aider le patient à « réattribuer » ses
sensations corporelles anormales à des phénomènes physiologiques bénins (hyperventilation, tension et déconditionnement
musculaires) ou psychologiques (anxiété) [31, 32].
[6]
[1]
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11. et les nausées y sont moins fréquentes. La céphalée
peut être absente et on parle alors d’« aura isolée ».
Variétés rares de migraine
Elles posent des difficultés diagnostiques et
nécessitent, contrairement aux formes précédentes,
la pratique d’explorations : imagerie par résonance
magnétique (IRM) ou scanner, électroencéphalogramme (EEG), ponction lombaire
selon les cas.
Dans la migraine basilaire, l’aura comporte, de
façon diversement associée, des troubles visuels et
sensitifs bilatéraux, des vertiges, une ataxie, une
dysarthrie, une diplopie, des troubles de la vigilance.
La migraine hémiplégique familiale est une forme
rare, transmise selon un mode autosomal dominant,
dont l’aura comporte une hémiparésie ou une
hémiplégie.
La migraine ophtalmoplégique, également très
rare, débute presque toujours dans l’enfance. La
céphalée y est suivie d’une paralysie unilatérale d’un
ou plusieurs nerfs oculomoteurs, qui régresse en
quelques jours à quelques semaines. C’est un
diagnostic d’élimination, et une paralysie
douloureuse du III doit faire rechercher avant tout
un anévrysme de la terminaison de la carotide
interne.
Complications de la migraine
L’état de mal migraineux est la persistance d’une
céphalée qui a, au départ, les caractères d’une
migraine et se transforme, au fil des jours, en
céphalée chronique, presque toujours associée à un
abus des médicaments de crise et à un état anxieux
ou dépressif.
L’infarctus migraineux : on le rencontre
exceptionnellement lors d’une crise de migraine
avec aura ; les symptômes de l’aura ne sont pas
réversibles et un infarctus est confirmé par la
neuro-imagerie. Une étiologie migraineuse ne peut
être retenue qu’une fois éliminées toutes les autres
causes d’accident ischémique cérébral. Le bilan doit
être complet et comporter une artériographie
cérébrale, un bilan d’hémostase, un bilan
inflammatoire et immunologique, une échographie
cardiaque avec sonde transœsophagienne.
Migraines symptomatiques
Des crises migraineuses peuvent parfois être
symptomatiques d’une lésion cérébrale, en
particulier d’une malformation vasculaire.
Lorsqu’elles surviennent toujours strictement du
même côté et surtout lorsqu’existent des atypies
sémiologiques ou des signes neurologiques
d’examen, la poursuite des investigations est
nécessaire. Une symptomatologie migraineuse peut
aussi s’observer dans des maladies générales telles
que le lupus, le syndrome des antiphospholipides, le
cadasil, les thrombocytémies, les cytopathies
mitochondriales.
Migraine de l’enfant
Elle diffère peu de celle de l’adulte. La céphalée est
souvent frontale, les vomissements et les douleurs
abdominales volontiers au premier plan. Le sommeil
est presque toujours réparateur. Les auras visuelles
extraordinaires à type de micropsie, d’inversion
d’image ne sont pas rares. Certains phénomènes
récurrents observés chez l’enfant, tels que des
douleurs abdominales, des vomissements cycliques,
des vertiges aigus récidivants, sont considérés
comme des « équivalents migraineux ». Il faut se
garder de porter trop vite ce diagnostic et réaliser les
examens complémentaires nécessaires pour
éliminer une lésion organique [7].
‚ Migraine et vie quotidienne
peu plus élevé en cas de migraine avec aura et
augmente avec le tabac et les contraceptifs oraux,
d’autant plus que leur contenu en œstrogène est
élevé. La migraine ne représente pas une
contre-indication à la contraception orale, sous
réserve de quelques règles de prudence : une
migraineuse sous œstroprogestatifs ne devrait pas
fumer ; chez les femmes souffrant de migraines, il
faut préférer les pilules faiblement dosées en
œstrogènes ; une aggravation importante des
migraines sous pilule nécessite d’interrompre celle-ci,
surtout s’il s’agit de crises avec aura.
Facteurs déclenchants des crises
‚ Physiopathologie
Leur liste est longue : facteurs psychologiques,
aliments (chocolat, alcool…), modifications du
rythme de vie (week-end, grasse matinée…), repas
sautés, bruit, lumière, effort physique, odeurs… Il ne
faut pas confondre la maladie et ses facteurs
déclenchants : la migraine n’est pas plus une
maladie psychologique parce que les crises
surviennent après une contrariété qu’elle n’est une
maladie digestive parce que le chocolat déclenche
les crises. Il est rare qu’un patient identifie un facteur
déclenchant unique, et la crise peut aussi survenir de
façon totalement imprévisible.
La physiopathologie de la migraine reste encore
mal connue. Selon les hypothèses actuelles, le
cerveau migraineux serait caractérisé par des
anomalies des fonctions corticales et hypothalamiques de régulation de la douleur et du tonus
vasculaire. Chez ces sujets porteurs d’un « seuil
migraineux » bas, un certain nombre de facteurs
peuvent déclencher la crise : stimuli externes (stress,
aliments, émotions, lumières vives, odeurs) ou
internes (variations hormonales chez la femme…).
Durant l’aura migraineuse, existe une diminution
régionale du débit sanguin cérébral. La zone
d’hypoperfusion progresse des régions postérieures
vers l’avant, à la vitesse de 2 mm/min, et est
contemporaine d’anomalies métaboliques. Cette
progression est superposable à la marche
migraineuse et s’expliquerait par un phénomène de
dépression corticale propagée, qui cependant n’a été
mis en évidence pour l’instant que chez l’animal,
après stimulation du cortex. Un modèle animal de la
céphalée migraineuse a été proposé par
Moskowitz [1] : la stimulation antidromique des fibres
du trijumeau qui innervent les vaisseaux méningés
entraîne la libération de neuropeptides : substance P,
calcitomine-gene-related peptite (CGRP) et
neurokinine A. Il en résulte une inflammation
neurogène de la dure-mère, avec vasodilatation,
extravasation de protéines plasmatiques,
dégranulation mastocytaire. Les fibres sensitives
afférentes sont alors stimulées en retour dans le sens
orthodromique et véhiculent l’influx vers les noyaux
hypothalamiques et thalamiques et vers le cortex, ce
qui rend compte des nausées, des vomissements et
de la douleur. Durant la crise migraineuse, on a
retrouvé chez l’homme une élévation du taux
plasmatique de CGRP dans le sang veineux jugulaire
du côté de la céphalée [2].
Des récepteurs de la sérotonine 5 HT1 sont
localisés sur les terminaisons du trijumeau et sur les
artères cérébrales. Le sumatriptan, l’ergotamine,
agonistes de ces récepteurs, sont des médicaments
de la crise migraineuse ; ils sont vasoconstricteurs et
bloquent l’inflammation neurogène de la dure-mère
chez l’animal. Le système nerveux central est
également riche en récepteurs sérotoninergiques, en
particulier dans les structures du contrôle endogène
de la douleur. Les récepteurs 5 HT1 sont à ce niveau
principalement inhibiteurs et les 5 HT2 excitateurs ;
certains traitements de fond antimigraineux sont des
antagonistes des récepteurs 5 HT2.
Diverses anomalies ont été mises en évidence
chez les migraineux : une diminution de la
Profil évolutif de la migraine
La migraine est une maladie capricieuse ; les
crises sont variables d’un patient à l’autre, et chez un
même patient, d’une période de la vie à l’autre. La
fréquence moyenne des crises est de une à deux par
mois, mais la variabilité est extrême entre les
patients qui n’ont que quelques crises dans leur vie
et ceux qui en ont plus de dix par mois.
Migraine et vie hormonale de la femme
La vie hormonale de la femme a une influence
importante sur le cours de la maladie migraineuse.
La prépondérance féminine de la migraine
n’apparaît qu’après la puberté, période durant
laquelle 20 % des migraineuses voient débuter leur
maladie. Cinquante pour cent des femmes
établissent un lien entre leurs migraines et leurs
règles, et 5 % des migraineuses présentent
uniquement des crises menstruelles. Durant la
grossesse, la migraine s’améliore ou disparaît chez
près de 70 % des femmes ; elle peut néanmoins
rester inchangée ou s’aggraver. Contrairement à une
idée reçue, la migraine ne disparaît pas toujours à la
ménopause et elle a même tendance à s’aggraver
transitoirement lors de l’installation de celle-ci. La
contraception orale peut modifier l’évolution de la
maladie migraineuse, dans le sens d’une
aggravation ou d’une amélioration, ou la laisser
inchangée. En cas d’apparition des migraines sous
pilule, l’arrêt des contraceptifs n’apporte pas toujours
une amélioration immédiate des crises et, dans
certains cas, la maladie migraineuse continue
d’évoluer pour elle-même. Plusieurs études récentes
ont montré que la migraine représente un facteur de
risque d’accident ischémique cérébral chez les
femmes de moins de 45 ans [9]. Néanmoins, le risque
absolu reste extrêmement faible : il est d’environ
6/100 000 par an chez les non-migraineuses et de
19/100 000 chez les migraineuses. Le risque est un
12. concentration de magnésium cérébral, une élévation
de certains acides aminés excitateurs, une
hyperactivité catécholaminergique centrale, une
formation excessive d’oxyde nitrique (NO), molécule
susceptible de déclencher des crises migraineuses.
Le caractère familial de la migraine est bien
connu. Les bases génétiques des variétés habituelles
de migraine sont en cours d’exploration. Dans une
forme rare de migraine, la migraine hémiplégique
familiale, la moitié des familles atteintes ont une
anomalie d’un gène du chromosome 19 [6], qui code
pour un canal calcique [8].
‚ Approche thérapeutique
Avant de lui prescrire un traitement, il est
indispensable d’expliquer au patient que la migraine
est une maladie à part entière, qu’il n’a pas une
tumeur cérébrale, un problème vasculaire ou une
« maladie de foie », et qu’il est inutile de pratiquer des
examens complémentaires. Tout en étant rassurant,
il faut montrer que l’on prend en compte le
caractère invalidant de sa maladie. Les principaux
facteurs déclenchants des crises seront rappelés, afin
de les éliminer lorsque c’est possible. La différence
entre le traitement de crise et le traitement de fond
sera soulignée.
Tableau III. – Médicaments de la crise
migraineuse.
Antalgiques
Aspirine
Phénacétine (contenue dans de nombreuses spécialités)
Dextropropoxyphène (contenu dans de nombreuses spécialités)
Noramidopyrine (contenue dans de nombreuses
spécialités dont Optalidont)
Paracétamol (contenu dans de nombreuses spécialités)
Anti-inflammatoires
Ibuprofène (Brufent, Nureflext, Advilt…)
Naproxène (Naprosynet, Apranaxt)
Flurbiprofène (Cebutidt)
Acide méfénamique (Ponstylt)
Diclofénac (Voltarènet)
Indométacine (Indocidt)
Dérivés de l’ergot de seigle
Tartrate d’ergotamine (Gynergènet caféiné : cp
à 1 mg, supp à 2 mg ; Migwellt : cp à 2 mg)
Dihydroergotamine
(Dihydroergotamine-Sandozt injectable IM, SC
ou IV ; Diergot-Spray nasal)
Sumatriptan
Imigranet : cp à 100 mg, injection SC à 6 mg
IM : intramusculaire ; SC : sous-cutanée ; IV : intraveineuse.
Traitement de crise
Quelques gestes simples peuvent aider à soulager
la céphalée : application de froid ou de chaleur sur le
crâne, pression sur la tempe, repos à l’abri du bruit et
de la lumière, prise de thé ou de café. Quatre
groupes de substances ont une efficacité démontrée
dans le traitement de la crise migraineuse (tableau
III). Les antalgiques et les anti-inflammatoires non
stéroïdiens (AINS) sont des médicaments de
première intention. Des anti-inflammatoires
différents méritent d’être utilisés sur des crises
successives car il n’y a pas d’efficacité croisée entre
eux. En cas d’échec de ces traitements, on a recours
aux antimigraineux dits « •spécifiques » que sont les
dérivés ergotés et le sumatriptan. Ces substances
sont vasoconstrictrices, et il est nécessaire de
respecter les contre-indications cardiovasculaires en
rapport avec cette propriété (coronaropathie,
hypertension artérielle sévère ou mal contrôlée,
artériopathie). Certains médicaments adjuvants sont
susceptibles d’augmenter l’efficacité des traitements
de crise : la caféine, les anxiolytiques, les
antiémétiques. Chez les migraineux qui souffrent de
nausées et de vomissements, la voie orale est à
déconseiller au profit des voies rectale, nasale ou
injectable. Les traitements doivent être pris dès le
début de la crise ; au moment de l’aura, il est
préférable d’utiliser de l’aspirine ou des AINS. Les
prises de médicaments de crise ne doivent pas être
trop fréquentes, en raison de la toxicité propre des
substances et surtout du risque d’accoutumance et
d’apparition d’une céphalée chronique avec abus
médicamenteux.
Traitement de fond
Il a pour objectif la réduction de la fréquence des
crises. Il est généralement proposé aux patients qui
souffrent d’au moins deux crises par mois. Son
indication dépend aussi de la réponse aux
traitements des crises, de la durée et de l’intensité de
celles-ci, de leur retentissement sur la qualité de vie
et du risque éventuel d’abus d’antalgiques. Les
médicaments de fond majeurs, dont l’efficacité a été
démontrée dans au moins deux essais contrôlés
contre placebo sont : certains bêtabloquants, le
pizotifène (Sanmigrant), le méthysergide
(Désernil-Sandozt), l’oxétorone (Nocertonet), la
Tableau IV. – Traitements antimigraineux de fond majeurs.
Posologie par jour
Effets secondaires
Contre-indications
Bêtabloquants
Propranolol (Avlocardylt)
Métoprolol (Lopressort, Selokent)
Timolol (Timacort)
Aténolol (Ténorminet)
40-240 mg
100-200 mg
10-20 mg
100 mg
Fréquents : asthénie, mauvaise tolérance à l’effort
Nadolol (Corgardt)
80-240 mg
Asthme, insuffısance cardiaque, bloc
auriculoventriculaire, bradycardie,
syndrome de Raynaud
NB : possibilité d’aggravation des migraines avec aura. Potentialisation de
l’effet vasoconstricteur du tartrate d’ergotamine
Pizotifène (Sanmigrant)
2 mg (3 cp) en une prise le soir
Somnolence, prise de poids
Oxétorone (Nocertonet)
120-180 mg (2-3 cp) en une prise le
soir
Fréquents : somnolence
Rares : diarrhée nécessitant l’arrêt du
traitement
Méthysergide (Désernil-Sandozt)
4-6 mg (2-3 cp).
Fréquents : nausées, vertiges, insomnie
Rares : ergotisme, fibrose rétropéritonéale
Hypertension artérielle, insuffısance
coronarienne, artériopathies, ulcère
gastrique, insuffısance hépatique et
rénale
Arrêt nécessaire 1 mois tous les 6 mois
Rares : insomnie, cauchemars, impuissance, dépression
Glaucome, adénome prostatique
Flunarizine (Sibéliumt)
10 mg (1 cp) le soir, pas plus de 6 mois
d’affılée
Fréquents : somnolence, prise de poids
Rares : dépression, syndrome extrapyramidal
Syndrome dépressif, syndrome extrapyramidal
Amitriptyline
(Laroxylt, Élavilt)
20-50 mg le soir
Sécheresse de la bouche, somnolence,
prise de poids
Glaucome, adénome prostatique
AINS
Ex : naproxène
(Naprosynet, Apranaxt)
1 100 mg
Troubles digestifs, ulcère, baisse d’effıcacité du stérilet
Ulcère digestif, stérilet
Valproate de sodium
(Dépakinet)
500-1 000 mg
Nausées, prise de poids
somnolence, tremblements,
alopécie, atteinte hépatique
Pathologies hépatiques
13. flunarizine (Sibéliumt), l’amitriptyline (Laroxylt,
Élavilt), les AINS et le valproate de sodium
(Dépakinet). Leur posologie, leurs effets secondaires
et contre-indications sont résumés dans le tableau
IV. D’autres substances peuvent aussi être utilisées
en traitement de fond : la dihydroergotamine,
l’aspirine, l’indoramine (Vidorat), le vérapamil
(Isoptinet). Un traitement de fond est jugé efficace
lorsqu’il permet de réduire la fréquence des crises
d’au moins 50 %, ce qu’il faut expliquer au patient
qui pense souvent que ses crises vont complètement
disparaître. Aucun essai contrôlé n’ayant démontré
la supériorité d’un de ces médicaments par rapport à
l’autre, le choix du premier traitement à essayer
repose sur plusieurs éléments : les effets secondaires
et les contre-indications de la substance, les
éventuelles pathologies associées du patient et le
type des crises migraineuses. Par exemple, la femme
jeune préférera éviter les traitements qui font
prendre du poids, le sujet sportif les bêtabloquants ;
les migraines du réveil sont souvent sensibles à
l’oxétorone et les migraines avec aura à l’aspirine.
Dans la plupart des cas cependant, il est impossible
de prédire quel médicament aura le meilleur rapport
efficacité/tolérance chez un patient donné, et il est
souvent nécessaire d’essayer plusieurs traitements
successivement avant de trouver le plus approprié.
Les doses des médicaments seront toujours
augmentées très lentement afin de limiter les effets
secondaires fréquents chez ces patients. Si la tolérance
est bonne, un traitement de fond doit être pris au
moins pendant 2 à 3 mois, durant lesquels le patient
tiendra un calendrier de ses crises. À la fin de cette
période, en cas d’échec, un autre traitement sera mis
en route. En cas de succès, la dose efficace est
maintenue pendant environ 6 mois, puis diminuée
très lentement afin d’essayer d’arrêter le traitement ou,
au moins, de trouver la dose minimale efficace.
Les traitements non médicamenteux : l’acupuncture, la relaxation, les méthodes de biofeedback
sont aussi susceptibles d’apporter une amélioration
des migraines.
Cas particuliers
Chez certains patients, les crises de migraine sont
strictement unilatérales et débutent toujours dans la
région latérocervicale haute, avec un facteur
déclenchant positionnel. Dans ces cas très rares, les
crises peuvent s’améliorer après infiltrations ou
manipulations cervicales.
La migraine cataméniale : chez les femmes
souffrant de migraines exclusivement cataméniales
et dont les cycles sont réguliers, l’estradiol en gel
percutané à la dose de 1,5 mg/j (Œstrogelt, Estrevat)
a une bonne efficacité préventive lorsqu’il est
commencé 48 heures avant la date prévue de
survenue de la migraine et poursuivi pendant les 7
jours suivants.
s
Céphalées de tension
La définition qu’en donne l’IHS est purement
descriptive : il s’agit de céphalées à type de
pression ou de serrement, non pulsatiles,
d’intensité modérée ou moyenne, le plus souvent
bilatérales, ne s’aggravant pas avec l’effort
physique. Les nausées, la photophobie et la
phonophobie sont généralement absentes. Les
céphalées de tension épisodiques, qui surviennent
avec une fréquence inférieure à 15 jours par mois,
touchent près de deux tiers de la population. Les
céphalées de tension sont dites « chroniques »
lorsqu’elles sont présentes au moins 15 jours par
mois depuis plus de 6 mois ; leur prévalence est
d’environ 3 %, avec une prépondérance féminine.
La physiopathologie de ces céphalées reste
obscure. Plusieurs mécanismes entrent
certainement en jeu : un dysfonctionnement du
contrôle central de la douleur, une tension
excessive des muscles craniocervicaux, des
troubles psychiques de nature très variable, une
prédisposition génétique. Le traitement des
céphalées de tension épisodiques repose sur la
relaxation, les antalgiques et les AINS. Le
traitement des céphalées de tension chroniques est
souvent difficile. Il est essentiel de proscrire la prise
quotidienne d’antalgiques, qui est un facteur
d’aggravation. La relaxation, associée éventuellement au biofeedback musculaire, et de faibles
doses d’amitriptyline peuvent apporter une
amélioration. Lorsqu’il existe une pathologie
psychiatrique bien définie, une prise en charge
spécialisée est nécessaire.
Il n’est pas rare qu’un patient souffre à la fois de
migraines et de céphalées de tension. Leurs
traitements sont différents, et il est important de les
distinguer par un interrogatoire extrêmement précis
et la tenue d’un agenda des céphalées.
s
Céphalées liées à un abus
d’antalgiques
Chez les patients souffrant de migraines ou de
céphalées de tension, la prise trop fréquente de
médicaments de crise, quelle qu’en soit la nature, peut
conduire à une accoutumance responsable d’une
céphalée chronique quotidienne. Cet abus
d’antalgiques est loin d’être exceptionnel [10], et il est
souvent sous-estimé car le patient ne le mentionne
pas spontanément. Le traitement nécessite
impérativement l’arrêt des médicaments responsables,
ce qui entraîne durant plusieurs jours un syndrome de
sevrage avec recrudescence des céphalées, et parfois
nausées et vomissements, anxiété, insomnie. Certains
patients parviennent à interrompre l’abus
d’antalgiques en externe, aidés par exemple par des
doses modérées d’amitriptyline (30 à 50 mg) ; pour
d’autres, une hospitalisation est nécessaire.
s
Algie vasculaire de la face
Beaucoup moins fréquente que la migraine,
l’algie vasculaire de la face (AVF) a une prévalence
d’environ 0,1 %. Elle touche l’homme cinq à six fois
plus souvent que la femme, et débute généralement
entre 20 et 30 ans. Le tableau clinique est
stéréotypé : les douleurs sont strictement unilatérales
à prédominance orbitaire et temporale,
extrêmement sévères, évoluant par crises
quotidiennes (de une à huit, en moyenne deux à
trois), qui durent de 15 à 180 minutes. Les crises
s’accompagnent souvent de signes homolatéraux à
la douleur : injection conjonctivale, larmoiement,
congestion nasale, rhinorrhée, sudation de la face,
myosis, ptosis, œdème de la paupière. Dans l’AVF
épisodique – la plus fréquente –, les crises
surviennent par salves, appelées « accès » ou
« épisodes », qui durent de 2 à 8 semaines en
Tableau V. – Traitements de l’algie vasculaire de la face (AVF).
Traitements préventifs
Posologie moyenne par jour
Traitements de crise autoriés
AVF épisodiques
re
1 intention
Vérapamil (Isoptinet)
360-480 mg
Imijectt ou oxygène
Si échec
Méthysergide (Désernil-Sandozt)
Tartrate d’ergotamine (Gynergène caféinét, Migwellt)
Prednisone (Cortancylt, Solupredt)
Indométacine (Indocidt)
6-12 mg
1-4 mg
40-60 mg
75-150 mg
Oxygène seulement
Oxygène seulement
Imijectt ou oxygène
Imijectt ou oxygène
AVF chroniques
Substance
Vérapamil (Isoptinet)
Lithium (Téralithet)
Posologie moyenne par jour
360-480 mg
500-750 mg (lithiémie < 0,9 mEq/l)
Traitements de crise autorisés
Imijectt ou oxygène
Oxygène seulement
14. moyenne et se reproduisent une à deux fois par an.
Dix pour cent environ des patients souffrent d’une
forme chronique avec des crises quotidiennes, soit
d’emblée, soit après quelques années de forme
épisodique. Les crises peuvent être déclenchées par
l’alcool. La physiopathologie de l’AVF reste
totalement inconnue.
Le but essentiel du traitement est la prévention
des crises durant la période de l’accès dans les
formes épisodiques ou au long cours dans les
formes chroniques [3]. Les médicaments de fond de
l’algie vasculaire de la face et leur mode d’utilisation
sont résumés dans le tableau V. En crise, seuls deux
traitements ont fait la preuve de leur efficacité :
l’inhalation d’oxygène pur à un débit de 7 L/min
pendant 15 minutes et le sumatriptan en injection
sous-cutanée à la dose de 6 mg (Imijectt, remboursé
dans cette indication sur prescription de médicament
d’exception).
s
Hémicranie paroxystique
chronique
Il s’agit d’une variante rare d’algie vasculaire de la
face, caractérisée par la fréquence élevée des crises
(de 5 à 30 par jour), leur brièveté (de 2 à 45 minutes),
la forte prédominance féminine, et la disparition
totale des crises sous indométacine (Indocidt) à la
dose de 75 à 150 mg/j.
s
Autres céphalées essentielles
‚ Céphalées en « coup de piolet » (icepick
headaches)
Ce sont des douleurs extrêmement brèves et
aiguës ressenties comme des « coups de poignard ».
Dans les rares cas où un traitement est rendu
nécessaire par leur fréquence, l’indométacine ou le
propranolol peuvent être utilisés.
‚ Céphalées liées à la toux
Elles sont bilatérales, de survenue soudaine,
durant moins d’une minute après un effort de toux.
Avant d’en affirmer le caractère bénin, il importe
d’éliminer une pathologie intracrânienne, en
particulier les malformations de la base du crâne et
les tumeurs.
‚ Céphalées d’effort
Elles doivent également faire l’objet d’une
enquête étiologique approfondie, car bien des
céphalées symptomatiques peuvent s’exacerber à
l’effort. Les céphalées essentielles déclenchées par
l’effort peuvent, chez certains patients, être
prévenues par le propranolol ou l’indométacine.
‚ Céphalées sexuelles bénignes
Elles apparaissent soit progressivement, soit
brutalement au moment de l’orgasme. Lorsque la
survenue de la céphalée est très brutale, en « coup de
tonnerre », il est nécessaire d’éliminer un anévrysme.
Le propranolol peut être proposé préventivement si
leur fréquence devient gênante.
s
Conclusion
L’interrogatoire est l’élément essentiel du
diagnostic d’une céphalée. En précisant son profil
évolutif, il permet de distinguer les urgences
neurologiques des céphalées essentielles bénignes.
Celles-ci ne nécessitent, la plupart du temps, aucun
examen complémentaire. La migraine est une
maladie très fréquente et invalidante, que l’on peut,
dans la majorité des cas, soulager en essayant de
façon successive les médicaments de crise et, le cas
échéant, les traitements de fond. L’abus
d’antalgiques est un problème souvent sous-estimé
chez les patients souffrant de migraines ou de
céphalées de tension ; il est responsable d’une
céphalée chronique quotidienne, qui nécessite un
sevrage parfois très pénible. L’algie vasculaire de la
face est une affection extrêmement douloureuse qui
relève de traitements spécifiques. Son profil évolutif
caractéristique permet de l’identifier aisément.
Références
[1] Buzzi MG, Bonamini M, Moskowitz MA. Neurogenic model of migraine.
Cephalalgia 1995 ; 15 : 277-280
[6] Joutel A, Bousser MG, Biousse V, Labauge P, Chabriat H, Nibbio A et al. A
gene for familial hemiplegic migraine maps to chromosoms 19. Nat Genet 1993 ;
5 : 40-45
[2] Edvinsson L, Goadsby PJ. Neuropeptides in the cerebral circulation: relevance to headache. Cephalalgia 1995 ; 15 : 272-276
[7] Massiou H. Migraine de l’enfant. Neuro-Psy 1996 ; 11 : 299-304
[3] Ekbom K. Treatment of cluster headache: clinical trials, design and results.
Cephalalgia 1995 ; 15 (suppl) : 33-36
[8] Ophoff RA, Terwindt GM, Vergouwe MN, Eijk RV, Oefner PJ, Hoffman SM
et al. Familial hemiplegic migraine and episodic ataxia type-2 are caused by
mutations in the Ca channel gene CACNL1A4. Cell 1996 ; 87 : 543-552
[4] Headache classification committee of the International Headache Society.
Classification and diagnostic criteria for headache disorders, cranial neuralgias
and facial pain. Cephalalgia 1988 ; 8 (suppl 17) : 1-96
[9] Tzourio C, Tehindrazanarivelo A, Iglésias S, Alperovitch A, Chedru F, D’Anglejan Chatillon J et al. Case-control study of migraine and risk of ischaemic
stroke in young women. Br Med J 1995 ; 310 : 830-833
[5] Henry P, Michel P, Brochet B, Dartigue JF, Tison S, Salomon R. A nationwide
survey of migraine in France: prevalence and clinical features in adults. Cephalalgia 1992 ; 12 : 229-237
[10] Vonkorff M, Galer BS, Stang P. Chronic use of symptomatic headache medications. Pain 1995 ; 62 : 179-186
5
16. ¶
■ Historique
Son relevé a plus qu’un intérêt purement académique. La
fibromyalgie fut bien connue et décrite, dès le début du
e
XX siècle, en Angleterre où les traités de médecine et les
premiers traités de rhumatologie la décrivaient d’une façon
précise.
Le début de l’étude scientifique de l’affection remonte à 1976,
avec les travaux de Smythe sur les points douloureux provoqués
et de Moldowski sur les troubles du sommeil in [2]. Et c’est en
1981 que nous l’avons présenté au public médical français [3].
Depuis sa reconnaissance par l’Organisation mondiale de la
santé (OMS), plus de 4 000 publications, de nombreux livres [2,
4] , une présence de plus en plus massive dans les congrès
internationaux ont fixé son statut.
En France, l’excellent rapport de Menkes et Godeau [5] à
l’Académie de médecine est venu apporter une consécration
officielle longtemps attendue.
■ Clinique
La fibromyalgie est une affection essentiellement féminine.
Dans la plupart des travaux portant sur de larges séries, 85 à
95 % des cas sont des femmes. Elle a été observée dans le
monde entier, y compris, plus récemment, en Asie. Dans ce qui
suit, nous parlons donc de patientes. Le plus souvent, le début
se fait à ce que l’on nomme l’âge moyen, de 25 à 65 ans.
Certaines formes débutent plus jeunes, mais dans la plupart des
enquêtes, après la puberté.
L’existence de formes infantiles, prépubertaires a été invoquée
mais reste contestée.
À l’autre extrémité de la vie, il est exceptionnel de voir
débuter une fibromyalgie primitive, après 70 ans.
Le début peut succéder de façon assez brutale à un traumatisme physique ou psychique [6]. Dans ce dernier cas, la perte
d’un proche, un divorce, un problème professionnel majeur
sont souvent invoqués.
Ce début peut être polyalgique d’emblée. Les douleurs sont à
prédominance axiale, spontanées, permanentes, aggravées par le
mouvement, les efforts, le contact, mal calmées par le repos.
L’intrication est quasi constante avec une fatigue générale et
locale, dans ce dernier cas se manifestant aux efforts surtout
répétitifs et aggravant les douleurs dans les zones intéressées.
Mais souvent, le début peut être plus ou moins localisé, cause
d’erreurs de diagnostic [3].
Les zones les plus souvent intéressées sont les régions
cervicoscapulaires et trapéziennes, les lombes et les fesses, les
régions périarticulaires aux genoux et aux coudes.
À l’inverse, les régions distales, mains et pieds, sont rarement
mentionnées spontanément par les patientes, sauf coïncidence
ou association.
La généralisation des phénomènes douloureux peut prendre
un temps variable, des mois, parfois des années.
Dans les formes en apparence localisées, l’interrogatoire
retrouve les autres localisations douloureuses et la fatigue.
D’autres manifestations que douleur et fatigue sont souvent
associées. Les plus fréquentes sont les troubles du sommeil, les
problèmes d’anxiété et de dépression. Plus rarement peuvent
exister des céphalées, des dystonies temporomandibulaires, une
colopathie fonctionnelle.
Leur évolution est en général parallèle à celle du tableau
douloureux et asthénique.
Les troubles du sommeil [7] ne sont pas une insomnie totale,
bien qu’elle puisse exister. C’est essentiellement un sommeil de
mauvaise qualité, avec des réveils fréquents, et la sensation au
matin qu’il n’a pas été réparateur. La fatigue est présente avec
les douleurs dès le lever.
Un syndrome anxiodépressif est très fréquent, présent dans
plus de la moitié des cas. La note dépressive aggravée par les
douleurs, la fatigue et les difficultés familiales et professionnelles
peut devenir la manifestation prédominante et faire ainsi partie
d’un cercle vicieux délétère difficile à combattre.
La note anxieuse est complexe [2]. Elle a trois composantes :
• une anxiété permanente avec, comme dans les névroses
anxieuses primitives, des phobies – agoraphobie par exemple ;
• une anxiété de situation, centrée sur la crainte d’un avenir de
plus en plus sombre, marqué par une invalidité majeure avec
paralysie et dépendance ;
• mais il existe fréquemment en plus des crises d’anxiété
paroxystique (attaques de panique) dont les manifestations
somatiques (sensation d’étouffement entraînant une hyperpnée) peuvent entraîner des symptômes tétaniques [8]. Il n’est
pas rare de voir des patientes qui ont été étiquetées « spasmophiles » en raison de ces manifestations.
Ces présentations semblent très spécifiques pour les femmes.
Les hommes chez qui le diagnostic de fibromyalgie a été porté
ont beaucoup plus rarement ces manifestations [9] . Ils se
présentent souvent, en tout cas dans notre expérience, comme
de grands obsessionnels, compulsifs, sans que des éléments
anxiodépressifs soient présents [10].
■ Examen clinique
Il comporte bien sûr un interrogatoire précis qui relève le
mode d’apparition et le détail des symptômes évoqués ci-dessus
et leur retentissement sur la vie quotidienne, familiale et
professionnelle.
On note tout d’abord l’absence de toute manifestation visible,
articulaire, musculaire ou cutanée.
En fait si le diagnostic est envisagé, l’examen va être centré
sur la recherche des points douloureux, probablement déjà
signalés par Valleix au XIX e siècle, mais surtout précisés et
standardisés par Hugh Smythe in [2].
Les zones considérées siègent surtout là où les téguments sont
proches d’un socle osseux, et non, par exemple, au milieu des
masses musculaires. L’American College of Rheumatology
(ACR), dans sa présentation des critères de classification, en a
décrits 18, la plupart symétriques (Fig. 1) en précisant que la
présence de 11 définissait la positivité du critère.
La pression (4 kg/cm3) correspond à celle exercée par le pouce
et aboutissant au blanchiment de l’ongle. La patiente doit
esquisser une grimace ou un retrait du membre pour valider la
positivité de la recherche.
La valeur absolue de ce critère a fait l’objet de controverses.
On l’a dit absent ou douteux dans des cas de fibromyalgie
apparemment authentiques, et à l’inverse, présent sans que les
sujets aient un tableau douloureux spontané.
Malgré ces réserves, la valeur sémiologique de la recherche de
ces points douloureux reste certaine.
Pour rendre cette recherche plus précise et plus spécifique, on
a utilisé des instruments divers : algomètres calibrés, brassards.
Aucun de ces procédés ne fait partie de critères standardisés.
Cette sensibilité à la douleur provoquée n’est pas isolée. Les
patients atteints de fibromyalgie ont souvent une intolérance
aux bruits, à la lumière vive et aux odeurs. L’examen clinique
peut également quantifier la fatigabilité musculaire aux efforts
répétitifs ou soutenus, par exemple en mesurant le temps de
tolérance du port d’une charge (500 g à 1 kg) portée à l’extrémité du membre supérieur, bras tendu.
Le reste de l’examen clinique est, par définition, négatif, sauf
association ou coïncidence.
Il en va de même pour les examens complémentaires dans les
domaines de l’imagerie et de la biologie. En ce qui concerne
l’imagerie, le problème n’est pas toujours simple dans la mesure
où l’on connaît la fréquence des remaniements – par exemple
vertébraux – sans signification mais pouvant conduire à des
thérapeutiques inutiles ou intempestives.
L’évolution de la fibromyalgie s’étend sur des années. Cette
durée constitue souvent un argument diagnostique après des
périodes d’hésitation. Cette évolution est fluctuante même s’il
persiste en permanence un fond douloureux continu. Il est
habituel que les périodes estivales, surtout si elles comportent
un dépaysement agréable, améliorent les symptômes, sans
toutefois les voir disparaître. Le rôle du temps qu’il fait [11] et
celui du tabagisme restent controversés [12].
17. ¶
■ Diagnostic de la fibromyalgie
Diagnostic positif
(Fig. 2)
Il fait l’objet, depuis 20 ans, de controverses in [14].
C’est il y a 20 ans que des critères de classification proposés
par l’American College of Rheumatology ont été publiés [15]. On
les trouve dans le Tableau 1.
Ces critères n’étaient pas présentés comme critères de diagnostic. Ils devaient uniquement servir pour unifier les travaux
de recherche. Mais en pratique, on a assisté à un dérapage qui
a fait qu’on les a utilisés à visée diagnostique malgré les
recommandations d’un de ceux qui avaient contribuer à les
établir [16, 17].
Ils étaient pourtant très critiquables. Les biais méthodologiques qui ont entachés leur contribution expliquent largement
leur insuffisance in [14].
Outre la durée trop brève requise pour que la fibromyalgie
soit reconnue, il y a le fait qu’en dehors de l’élément douloureux subjectif et des points douloureux provoqués, aucun des
autres éléments tels que fatigue, troubles du sommeil [7] et
dépression n’a été pris en compte. Des critères épidémiologiques
plus satisfaisants et intégrant la fatigue ont été proposés par des
auteurs canadiens [1].
Mais le point le plus litigieux – et qui le reste – est la nondistinction entre la fibromyalgie primitive et les formes de
fibromyalgie dites « associées » ou « concomitantes » qui ont été
indistinctement mélangées lors de l’établissement des critères de
l’ACR. Or il apparaît que ces formes dites « associées » sont en
fait des diagnostics différentiels.
Sur quels éléments peut-on alors asseoir un diagnostic positif
de fibromyalgie ? En attendant que des méthodes totalement
objectives soient mises au point et validées, on peut proposer de
garder les éléments subjectifs et semi-objectifs des critères de
l’ACR, en allongeant le critère de temps à au moins 6 mois, en
ajoutant comme critère majeur la fatigue (générale et/ou locale),
un syndrome anxiodépressif caractérisé, et les troubles du
sommeil. Et comme critère d’élimination, toute pathologie
précise entraînant un tableau polyalgique.
Figure 1. Critères de classification American College of Rheumatology
(ACR) de la fibromyalgie : les points douloureux.
Diagnostic différentiel
En revanche, les problèmes de vie entraînent souvent l’aggravation de ces symptômes en même temps qu’ils rendent leur
tolérance plus difficile.
Les grossesses, parfois redoutées par les patientes, sont en
général bien tolérées et entraînent même assez souvent une
amélioration transitoire. Mais les suites et les premières années
de soins maternels, avec leur surcroît inévitable d’efforts et de
fatigue, peuvent produire une aggravation de l’état.
La ménopause est incontestablement une période critique
pour la fibromyalgie. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir débuter
la symptomatologie à cette période, y compris dans les quelques
années qui la précèdent.
L’arrêt brutal des traitements substitutifs estroprogestatifs, dû
aux inquiétudes suscitées par des études récentes d’outreAtlantique à propos de cancers mammaires, a vu survenir une
véritable épidémie de syndromes de type fibromyalgique [13],
rappelant le rôle probable des hormones dans la modulation des
phénomènes douloureux et bien entendu, la prédominance
massive des femmes.
L’évolution dans le troisième (et même le quatrième) âge
soulève une question encore débattue.
Le suivi à 20 ans de patientes vues à l’âge de la ménopause
semble montrer que la symptomatologie douloureuse a tendance à s’atténuer, ou en tout cas à être mieux supportée. Ces
vues, en somme plutôt optimistes, ne font pas l’unanimité.
Mais aucun cas d’évolution vers une incapacité motrice totale
n’a jamais été vu et signalé et doit faire douter du diagnostic.
• Un certain nombre de pathologies précises sont susceptibles
de s’accompagner d’un syndrome douloureux subjectif et
provoqué, très proche de celui que réalise la fibromyalgie.
• Les trois diagnostics les plus fréquents sont le syndrome de
Sjögren, les pathologies thyroïdiennes (thyroïdite de Hashimoto et myxœdème primitif ou secondaire) et les causes
iatrogènes.
• Ensuite il faut citer certaines maladies virales à évolution
prolongée, l’hyperparathyroïdie et les diabètes phosphorés.
• Les formes enthésalgiques des spondylarthropathies, et
notamment du rhumatisme psoriasique, peuvent poser des
problèmes difficiles que les progrès de l’imagerie permettront
peut-être de résoudre.
• En ce qui concerne les médicaments responsables, il faut
ranger en premier les hypocholestérolémiants, de toute
nature car c’est un effet classe. Moins fréquemment, il faut
citer l’usage abusif des laxatifs et des diurétiques entraînant
une déplétion potassique. Nous avons vu (cf. supra) le rôle
possible de l’arrêt brutal des estroprogestatifs [13].
On peut déduire de ce qui précède les examens complémentaires à pratiquer (Tableau 2) sans qu’il soit nécessaire de les
répéter inlassablement.
À côté de ces pathologies organiques et définies, il faut
envisager des syndromes fonctionnels plus ou moins proches
et dont l’intrication avec la fibromyalgie reste un sujet de
controverses.
• Le syndrome de fatigue chronique [17] est considéré par
certains comme une variété de fibromyalgie. Décrit initialement comme conséquence d’une infection persistante à virus
Epstein-Barr, puis d’une réaction immunologique exagérée à
diverses infections, son diagnostic repose sur des critères
précis in [17] pour éviter que toute asthénie lui soit attribuée