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L’AMOUR DE DON JUAN
Dictionnaire de Don Juan.
Sous la direction de Pierre Brunel,
Paris: Robert Laffont, 1999, p. 16-23.
ISBN: 978-2221078662.
On peut faire une étude sur les diverses manifestations traditionnelles de l’amour du héros,
depuis les plus superficielles (la galanterie et l’universalité de l’amour donjuanesque) jusqu’aux plus
profondes (la recherche de la beauté et de l’idéal et l’amour salutaire).
Galanterie et Amour
Il convient de faire une distinction entre Don Juan galant et Don Juan amant. Le premier
refuse toute identification avec l’amour, passion beaucoup plus sérieuse. Il n’est pas inintéressant de
rappeler que l’on retrouve ici les véritables sources de la légende telles qu’elles sont décrites dans les
romances anonymes de l’Espagne. La galanterie, très à la mode lors des premières versions du mythe,
paraît lui convenir mieux; Don Juan lui-même prend ce parti (Dorimon). Chez Villiers l’on assiste à
la description des astuces que le galant met en œuvre pour parvenir à ses fins, dans la lignée des
galants célèbres de comédies. Adroit dans ses manières avec les femmes, Don Juan ne perd rien en
leur faisant la cour comme le ferait un galant. Si elles répondent à ses avances, pense-t-il, il pourra
grossir son catalogue; dans le cas contraire, il restera ensuite aussi libre qu’il l’était auparavant
(Zamora). Depuis le début jusqu’au XXe siècle (Grau et Torrente Ballester), Don Juan apparaît
souvent comme un galant fort courtois qui soigne avec minutie toutes ses manières avec les femmes
et qui ne supporte pas qu’elles soient maltraitées physiquement par un tiers.
Il ne fait aucun doute que l’amour de Don Juan ne peut pas avoir pour but un seul objet (sauf
à l’époque romantique). Dans ce sens, son amour est universel; il n’excepte ni les personnes
humaines… ni les animaux (Cicognini)! Don Juan avoue éprouver un sentiment si vaste qu’il aime
toutes les femmes (Mozart / Da Ponte). On peut trouver l’explication de cette démarche dans la
réflexion de Kierkegaard: dans son amour pour les femmes, Don Juan “ne s’arrête pas à une seule
mais s’étend à toutes, c’est-à-dire que toutes sont séduites, car il n’existe que dans le moment”. Cette
sensibilité face à l’instant fuyant est une caractéristique de toutes les aventures amoureuses de Don
Juan: “Je vis de tout ce qui est au présent”, avoue-t-il à Hortensia dans la pièce de Grau. On dirait
qu’il se nourrit de la fuite universelle de moments épars. Comme par définition le moment est une
somme de moments; un amour est une somme d’amours et vice-versa: toutes les amours de Don
Juan se résument dans l’unité de son essence. Cela suppose que le séducteur, se mouvant toujours
“dans le large cercle des belles femmes”, trouve chaque amour différent de celui qui le précède
(Lenau). Mais c’est justement là qu’il se trompe: ayant cru que l’amour est un suffrage universel et
que le nombre des bulletins roses décide de son succès, il a passé son temps à enfiler des perles: c’est
un défaut de perspective que le Commandeur lui dévoile: “Tu as commis le plus enfantin des
enfantillages, celui de chercher la quintessence dans la quantité” (Delteil).
Le sens de la Beauté
Pour ce qui est de la recherche de la beauté, Don Juan commet surtout une erreur de point de
vue, ayant tendance à assimiler l’amour avec la beauté. Don Juan apparaît souvent comme un obsédé
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non pas de l’amour mais de la beauté, qu’il confond avec l’amour lui-même (Villiers). Il est clair que
Don Juan aime plutôt la beauté de la femme que la personne de telle ou telle femme. Molière
développe cette démarche donjuanesque lors du premier dialogue entre le maître et le valet. Lorsque
Don Juan dit que la beauté le ravit partout où il la trouve et qu’il cède facilement à cette douce
violence, il indique que la beauté physique est pour lui la seule partie visible de l’amour. Il ne dit pas:
“J’aime telle ou telle femme” mais qu’il ressent de l’amour “pour une belle” et que son “cœur est à
toutes les belles”. Cette attitude lui sied si bien qu’il lui suffit d’être “amoureux d’une belle dame”
pour être sûr qu’elle l’aime (Mozart / Da Ponte). Sitôt dit, sitôt fait: dans les Flandres, dès qu’il voit
“une jolie femme”, tous les moyens lui sont bons pour l’obtenir; et plus tard, lors de son retour à
Séville, il ne songe qu’aux “beautés” qui l’y attendent (Mérimée).
Parmi tous les sens, Don Juan accorde un intérêt spécial à la vue, le sens qui lui est
indispensable pour mieux apprécier la beauté des femmes: “je conserve des yeux pour voir le mérite
de toutes” (Molière). Les femmes ne sont pour Don Juan que des objets intéressants en vertu de leur
beauté. Aussi ne sera-t-on pas étonné qu’il dise “un beau visage” ou “une jeune beauté” pour parler
des femmes qu’il rencontre: face à Charlotte, chez Molière, il est particulièrement attiré par le côté
esthétique. Il convient de souligner qu’en matière d’amour, Don Juan ne s’arrête pas à considérer la
condition des femmes séduites. Pourvu qu’elles aient un beau visage qui plaise à son goût, il ne
s’enquiert pas de leur lignage (Zamora). D’où sa préoccupation pour que la beauté (tout comme
l’idéal) soit parfaite: une tache suffit pour qu’il délaisse la femme choisie. Si Don Juan ne tient pas
compte de la condition des femmes, il exige du moins qu’elles soient un condensé de beauté; ce qui
explique, en dernier ressort, que le séducteur se lasse bientôt: perfectionniste en tout, il doit se résigner
à errer sans cesse à la recherche de la beauté absolue.
Tel est Don Juan, un héros qui se maintient toujours “alerte au service du beau”. C’est là que
son amour se complaît: dans son unité, car “chaque beauté est unique en ce monde” (Lenau). Cette
unicité de la beauté féminine explique la manière dont le protagoniste regarde chaque femme. Aucune
ne lui est indifférente et il les regarde toutes comme si, lors de cette contemplation extatique, chacune
était la seule femme existante dans le monde; c’est le cas de Jeannette et de Sœur Natividad (Azorín).
La quête de la beauté acquiert parfois au XXe siècle une formulation tout à fait différente.
L’expérience esthétique telle que la veut le modernité demande que le héros lui fasse une place
d’honneur au sein de son univers. C’est sensible dans la pièce de G. B. Shaw, Man and Superman. Plus
que jamais, on y assiste alors à une réflexion de l’art sur lui-même: l’art se pense et, par la suite, devient
le seul objet de son étude. Don Juan ne pouvait être étranger à cette conjecture moderniste et au défi
métalittéraire qu’elle entraîne. C’est le cas du protagoniste de Shaw, qui s’adonne complètement à la
tâche sociale et décrie l’attitude de l’artiste qui préfère voir mourir sa femme et ses enfants plutôt que
de se consacrer à des activités autres que son art. Il est impossible de ne pas entrevoir ici un sarcasme
adressé aux séquelles romantiques du mythe.
Amour et Idéal
On peut se demander si cette recherche inassouvie de la beauté ne cache pas une quête plus
profonde encore: la quête d’un idéal. Cette dimension ne pouvait apparaître dans les pièces du XVIIe
siècle, où tout se passe à une vitesse inouïe. Ces questions trouvent leur place pour la première fois
dans le romantisme. Le héros, et parfois même le narrateur, se demandent quel est l’objet ultime de
toutes les entreprises amoureuses. Aussi n’est-il pas hasardeux de penser que Don Juan cache au
tréfonds de son esprit une anxiété existentielle; de fait, il semble se débattre entre deux forces, le bien
et le mal.
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Cette dualité est chez Hoffmann le fondement de la perplexité du spectateur face à l’attitude
de Don Juan vis-à-vis de Donna Anna: “Pourquoi ne s’enfuit-il pas? Son forfait le condamne-t-il à
l’impuissance? Ou bien est-ce le combat de la haine et de l’amour dans son âme qui lui ravit son
courage et sa force?”. On découvre que c’est bien plutôt la deuxième raison qui explique le manque
de réaction de Don Juan. Cette haine et cet amour ne sont pas deux sentiments qui se trouvent dans
les premières versions du mythe; ils sont le résultat des prémisses romantiques. “Fuyant sans cesse
d’une belle femme vers une autre plus belle encore”, Don Juan espère “toujours trouver l’idéal dans
la satisfaction ultime”. Il ne tarde pas à se croire “toujours trompé dans son choix”. Cette première
déception en entraîne une autre plus grave encore: dupé par son propre raisonnement, Don Juan finit
par “trouver toute vie terrestre […] plate et morne”. La conséquence est double: la destruction de
chaque beauté qu’il rencontre à son passage et la rébellion face à un idéal qui semble le narguer.
Le constat de son incapacité à atteindre l’idéal qui donne un sens à sa vie explique le désespoir
du héros dans certaines versions du mythe. Fort loin du plaisir charnel qui porterait un coup mortel
à l’image idéale que le héros s’est faite de la femme, Don Juan aime tendrement. Ainsi, la
confrontation simultanée de son amour envers Doña Anna avec la fidélité dont celle-ci fait montre à
l’égard de feu son mari réduit Don Juan à l’état d’un “misérable sacrifié à son amour désespéré”
(Pouchkine).
Ce chercheur d’idéal est aussi chanté par Musset dans Namouna. On n’a pas de mal à
comprendre pourquoi le romantisme le préfère au Don Juan “hautain et audacieux” du XVIIe siècle.
Ce dernier est un “roué” qui, par principe, corrompt le plaisir à force de le prostituer; incapable
d’amour, il n’est amoureux que de lui-même. Les romantiques s’en sont pris au héros de Molière pour
lui préférer celui de Mozart ou de Hoffmann. Le Don Juan romantique est chercheur d’idéal par
principe; “pensif comme l’amour” et “beau comme le génie”, il ne diffère pas beaucoup de l’Homme
parfait car il est “tombé, comme le Christ, pour aimer et souffrir”. Il est donc moins frivole, il souffre
et savoure la vie par petites bouchées pleines d’émotions. Bref, c’est le Don Juan chercheur d’idéal
dont personne ne peut prédire le sort et qui fait jurer à l’amour qu’il sera éternel. Ce jeune homme,
on s’en doute, est le seul Don Juan que les romantiques pouvaient accepter. L’amour du Don Juan
romantique n’est donc que l’incarnation de la quête d’absolu.
A la suite de Mozart et de Hoffmann, Alexis Tolstoï se sert également d’Anna pour étayer sa
conception de Don Juan comme un personnage en quête d’idéal. Dès le début de sa pièce, Satan
apprend aux esprits que ce jeune homme ne regarde pas que les dames: “Il rêve aussi d’amour”. C’est
pour cela qu’il est devenu l’objet d’un choix funeste qui se résout dans un jeu dialectique: Don Juan
est simultanément l’élu du Père, Amour par essence, et de Satan, reste d’un “sombre idéal” à la suite
de sa rébellion. Ce choix provoque le malheur de Don Juan. Satan veut faire de lui une réplique
parfaite du satanisme; pour y parvenir, rien de plus astucieux que de fabriquer une femme-fantôme
suivant un schéma préconçu où soit minutieusement réalisé un condensé de perfection et de
médiocrité. De là au désenchantement, il n’y a qu’un pas: “voulant trouver le ciel sur cette terre”,
Don Juan aura rencontré son malheur. Sa rébellion contre Dieu, à l’instar de celle de Satan jadis, sera
immédiate. La lutte qu’il mène (et celle que Satan mène contre le Créateur par la personne interposée
de Don Juan) est acharnée: comme il ne peut plus croire à l’amour, il décide d’annihiler tout sentiment
amoureux; c’est une manière de s’épargner toutes les tortures qu’une nouvelle illusion lui aurait
causées. Cette femme-fantôme de Tolstoï peut être mise en rapport avec l’abstraction féminine dont
avait parlé Kierkegaard. Or, ce condensé de femme, de même que toute abstraction, n’existe que dans
l’univers imaginaire; aussi ne sera-t-on pas étonné de constater le résultat négatif de la recherche du
héros qui a toujours “cherché / la Femme dans les femmes” (Machado).
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Variantes modernes sur la recherche de l’absolu
La modernité offre plusieurs exemples d’un Don Juan en quête d’idéal, ne serait-ce que celui
d’une société parfaite. Lors de la conversation que le diable et le héros ont en enfer, ce dernier assure
ne pouvoir rester calme tant qu’il n’aura pas défriché le chemin des valeurs suprêmes (Shaw). Une
autre voie suivie par la modernité concernant l’amour du héros à la recherche de l’absolu est de le
montrer entièrement dévoué à cet idéal, au point que –poussant la formulation romantique à
l’extrême– il finisse par se donner à lui: c’est le héros devenu moine et qui trouve dans cette démarche
l’accomplissement dernier de sa quête d’absolu. Un Don Juan à la recherche de la sainteté est une
déconstruction originale du mythe! Azorín a osé cette approche. Dans la dernière partie de son
ouvrage, il montre le héros aux yeux d’une jeune femme, fort surprise du changement radical opéré
en lui; aussi lui demande-t-elle quel est l’état actuel de son âme par rapport à celui de jadis. Frère Juan
apparaît pauvre, libéré de tout attachement terrestre et les yeux fixés sur l’éternité. Les frères Machado
continuent sur cette voie et vont même plus loin. Don Juan, qui avait séduit Beatriz avant son
noviciat, apparaît à la fin de la pièce faisant le bien partout; ce contraste est saisissant si l’on considère
l’état de déchéance où est tombée la jeune femme. Elle-même le lui avoue; et la suite de cet aveu de
Beatriz est une longue considération de Don Juan sur le miracle de l’amour divin: sur terre seul est
possible l’amour où Dieu soit de la partie; le reste, ce ne sont que les chimères de l’amour.
Peut-être est-ce Delteil qui a le mieux illustré cette voie suivie par Don Juan dans sa quête de
l’amour. Le “misérable sacrifié à son amour désespéré” du Convive de Pierre de Pouchkine et le “prêtre
désespéré” de Namouna de Musset sont repris dans ce roman où le héros réalise combien ses efforts
se sont avérés inutiles: “Nous ne sommes ici-bas que de petits écoliers à qui Dieu donna un verbe à
conjuguer. Nous conjuguons: l’un le verbe rêver, et l’autre travailler, gémir, désirer, etc. Et les plus
calés –ou les plus condamnés– nous conjuguons le verbe aimer: j’aime… j’aimais… j’aimai…
j’aimerai…”. Toute l’œuvre est une espèce de roman initiatique à la recherche de l’amour annoncé
dès le début lorsque l’auteur fait référence à la Femme, la Vierge Marie, qui réunit toutes les garanties
du Beau Idéal: “Elle est la Femme du ciel et, sans doute, obscurément, mystiquement, l’idéal et l’absolu
de l’amour”. C’est cette Femme qui lui tend le “pont entre l’amour et le ciel”; aussi le héros décide-t-
il de se vouer à la Vierge par des nœuds solennels. Il est évident que cette formulation fait rentrer de
plain-pied la mystique dans l’imaginaire du mythe donjuanesque. De ce point de vue, Don Juan ne
croit plus à l’amour compris dans son acception sensuelle. Par ce truchement, on comprend mieux la
logique de Delteil: “Don Juan est le premier homme sans doute qui ait élevé l’amour physique à la
hauteur d’un Sacrement (je dis l’Amour, et non le Mariage). Si dans les siècles des siècles il exorcise
si prestigieusement les femmes, c’est que Don Juan est à leurs yeux le Prêtre de l’Amour”.
L’année de la publication du livre de Delteil, 1930, coïncide avec la mise en scène de L’Abuseur
qui n’abuse pas de Grau. L’idée de la mysticité revient lors du dialogue que le diable entretient avec
Don Juan. Comme le héros évoque son aptitude à l’enthousiasme, le diable fait une objection:
l’enthousiasme passe, seule la soif reste et augmente; et il conclut: “car vous êtes un mystique sensuel
sans le savoir”.
La pièce de Frisch évoque également cette quête d’absolu et sa déconstruction moderne
correspondante. Le soir de sa noce, Don Juan raconte à son ami Don Rodrigue la première fois qu’il
a aimé Doña Anna: c’était ce soir même autour de l’étang. Devant elle, il est tombé à genoux sur une
marche et il est resté muet, “comme frappé par la foudre”, précise-t-il. “C’était l’amour. Pour la
première et dernière fois”. La déconstruction moderne est manifeste dans cette dernière phrase. La
raison est que Don Juan a compris que Doña Anna, et par extension aucune femme, ne peut le
désaltérer de cette soif d’infini qu’il ressent; aussi décide-t-il de retourner à la géométrie. Seule la
science géométrique, dit-il, peut lui procurer une connaissance juste. Et pour cause: Don Juan veut
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éviter toute faille qui lui enlève la tranquillité d’esprit. Celle-ci, il ne peut la trouver dans une femme
car la nature humaine est par principe soumise aux lois de la contingence. L’œuvre de Frisch montre
qu’après avoir effleuré l’idéal incarné dans une femme, Don Juan l’a vu s’effriter entre ses mains; le
retour à la science de la géométrie est une issue sûre face aux limitations de toute incarnation de
l’idéal.
Dans l’œuvre de Montherlant, on retrouve cette relégation de l’amour au domaine des
contingences. Rien de plus friable que le monde des apparences, le seul cependant admis par le
personnage de La Mort qui fait le trottoir. En dehors du monde des apparences il n’y a rien. Lorsque le
héros s’exclame: “J’ai vécu ce rêve que l’homme appelle amour”, il laisse entrevoir que l’amour
n’appartient qu’à l’univers des illusions. Il l’a vécu, certes, mais sans perdre la conscience que l’amour,
suprême apparence, n’a aucune consistance en dehors de l’imagination humaine. La “mort” qui fait
le trottoir n’est autre que Don Juan: après avoir supprimé la notion romantique de l’amour en tant
qu’idéal, le protagoniste admet seulement l’amour en tant qu’apparence du seul absolu qu’est le néant
de la mort.
La recherche d’absolu apparaît aussi chez Torrente Ballester. Le jeune Don Juan n’avait
ressenti aucun besoin jusqu’à l’épisode où il introduisit sa main dans l’eau froide du Guadalquivir. Il
se sentit soudain inondé d’un plaisir et d’un bonheur immenses. Le malheur le surprit lorsqu’il réalisa
que ce n’était qu’un mirage. Quelques minutes plus tard, avec Mariana, il eut la même sensation que
celle éprouvée à côté du fleuve; c’était le besoin de se fondre avec la femme: “En l’embrassant, je
voulais tout embrasser avec mes bras”. Et enfin, le désabusement est sans cesse ressenti par Don
Juan: “Je ne crois pas qu’il y ait rien dans le monde où un homme puisse mettre plus d’espoir et où il
trouve plus de déception”. Il se sentit “abusé et triste” car “le désir d’éternité” qui avait inondé son
âme n’était qu’une illusion: Don Juan avait compris que son désir ardent de transgresser les limites
du temps et de l’espace ne pouvait être absolument assouvi entre les bras de la femme. Cette
expérience lui est désormais habituelle. Au terme de son aventure avec Doña Sol, il ne peut éviter le
désenchantement final. Il n’en veut ni à Mariana ni à Doña Sol: aucune femme, dit-il, n’était
responsable de cette déception face à l’Idéal cherché mais non pas trouvé.
Amour humain et Amour surnaturel
Sur un autre plan que l’amour humain se situe l’amour surnaturel. C’est une sublimation du
précédent mais qui se situe sur un plan supérieur dans l’échelle des amours présents dans le mythe. Il
apparaît bien présenté chez Molière avec le personnage de Done Elvire. Délaissant tout “amour
terrestre et grossier”, cette femme a laissé libre cours à la réflexion et à la prière. Le résultat est une
passion “épurée de tout commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout”.
Le but de cette sermocinatio est de faire part à Don Juan “d’un avis du Ciel” et de “tâcher de [le] retirer
du précipice” où il court. Pour appuyer son argumentation, la femme a recours à son ancien amour.
En l’occurrence, l’effet n’est qu’immédiat et très passager: Don Juan éprouve à nouveau comment
s’allume la flamme de son amour; mais cette tendre remontrance ne va pas plus loin: Don Juan est
ici un esprit trop orgueilleux pour céder à la conversion. Il faut attendre les versions romantiques du
mythe pour voir les effets salutaires de l’amour féminin.
On se souvient des réflexions de Hoffmann au sujet des déceptions que Don Juan ressentait
après chaque nouvelle conquête. Il est intéressant de constater que la suite de ces différentes méprises
et leur couronnement ultime (la séduction d’Anna, telle qu’elle est traitée par des romantiques comme
Hoffmann ou Alexis Tolstoï) exigent une nouvelle modulation du mythe. Selon les théories
romantiques, une issue assez convenable paraît celle du rôle sotériologique accordé à la femme. Cette
possibilité n’apparaît qu’à l’état d’ébauche chez Hoffmann: “Ne pourrait-on pas dire que Donna Anna
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a été destinée par le Ciel à faire reconnaître à Don Juan la nature divine qui lui est immanente?”.
Malheureusement, chez Hoffmann (de même que chez Mozart) “il l’a rencontrée trop tard”. Ce
premier essai de salut par l’amour de la femme échoue, mais il ne reste pas infructueux pour autant.
Bien que l’amour surnaturel soit présent presque partout à l’époque romantique, il ne fait aucun
doute que c’est avec Don Juan Tenorio de Zorrilla qu’il atteint son apogée. L’auteur lui-même y faisait
allusion dans ses Souvenirs du temps jadis: “Qu’a-t-il donc mon Don Juan? […] Que Doña Inès est
chrétienne”. On pourrait en dire autant de nombreuses femmes séduites par Don Juan; pourtant il
est vrai que le rôle joué par cette novice suppose une nouvelle approche concernant l’amour de Don
Juan. Les derniers travaux s’accordent pour reconnaître l’importance de cette nouvelle modulation,
déjà présente dans Le Souper chez le Commandeur de Blaze de Bury, et reprise par Dumas dans l’édition
Lévy de 1864. L’essentiel est la première conversion de Don Juan dans sa villa près du Guadalquivir.
Lors de la cour que le séducteur fait à Doña Inès, l’amour revient sans cesse sur ses lèvres. A la fin
de ses propos, Don Juan avoue qu’un étrange changement s’est opéré en lui au cours de ce dialogue:
délaissant son orgueil, il a adopté une attitude humble à l’égard de Doña Inès. La réponse de celle-ci
ne fait qu’augmenter la transformation du séducteur: “Ce mot change tout mon être, et il me semble
que le Paradis peut s’ouvrir pour moi”. Aussitôt il décide de se rendre auprès du Commandeur et de
lui demander la main de sa fille; il a l’occasion de le faire quelques minutes plus tard, car le
Commandeur lui-même arrive, en proie à l’emportement, afin de récupérer sa fille. Don Juan répète
alors à genoux un discours semblable où il parle en toute sincérité. Le virage est important dans le
sens où la beauté, jusqu’ici moteur des forfaits de Don Juan, a laissé place à un amour sincère de la
vertu; c’est l’irruption de l’amour surnaturel dans le mythe de Don Juan.
Une version de Tolstoï accentue un tel tournant du mythe, tel qu’il apparaît chez ses
prédécesseurs immédiats. La première version, celle du Rousski Vestnik (le Messager russe) d’avril 1862,
se terminait selon le dénouement traditionnel; Don Juan était foudroyé par la statue après qu’il eut
renié Dieu. Or, la version de juin de cette même année présente une modification substantielle. Ainsi,
lorsque la statue s’abat et que seuls demeurent sur la scène Don Juan et les esprits, ces derniers
annoncent le salut du héros grâce à l’amour: “L’amour, du cœur parfaite pénitence, / Et de la foi
vivante seul soutien, / L’amour sauveur atteint sa conscience, / Il poursuivra sa route vers le Bien!”.
Il convient de souligner que ce dénouement, quoique quelque peu artificiel, rassemble en une les deux
parties de l’idéal jusqu’ici dissociées: celle qui se manifeste dans la femme (la quête de la Beauté
absolue) et celle qui se cache dans la divinité (la quête de l’Idéal absolu).
Dans le roman de Torrente Ballester, ce sont deux femmes qui essayent de sauver Don Juan:
Doña Ximena, une dévote qui finit par succomber à son amour puis se suicide, et Doña Elvira, la
fille du Commandeur. Doña Elvira est pleinement convaincue de la grandeur d’âme de Don Juan et
de la possibilité qu’il a de revenir sur la bonne voie: “Le chemin de Dieu est doux et beau”. Mais la
déconstruction moderne ne permet pas de suivre la ligne tracée à l’époque romantique. Aussi Don
Juan répond-il: “Et surtout, il mène directement à tes bras qui sont le Paradis retrouvé, n’est-ce pas?
C’est curieux. Vous les femmes, vous êtes toutes convaincues que Dieu c’est vous. Qui sait? Peut-
être êtes-vous dans la vérité”. Mais il s’arrête là; il refuse de se laisser entraîner encore une fois par les
femmes car cela reviendrait à se laisser attraper par Dieu. Toujours en quête d’une réponse de Dieu,
une réponse de rage ou de miséricorde, Don Juan a mis en œuvre tous les moyens que l’amour lui
offrait pour attirer l’attention de Dieu.
On peut déduire que Don Juan ne connaît pas l’amour ou, plus exactement, que son amour
est un amour mythique en ce sens qu’il est différent de celui des mortels. Le caractère mythique du
héros fait qu’il ne peut accepter ni l’exclusivité ni la constance de son entourage: Don Juan n’oriente
ses sacrifices que dans un seul sens, celui de la conquête ou, plus précisément, de la quête
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ininterrompue. Agir d’une autre façon détruirait sa raison d’exister. En ce sens, il est pour le moins
un inadapté de l’amour. Voilà sa spécificité, son attrait et son tourment.
Bibliographie
Éditions
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BYRON, Georges Gordon, Don Juan, trad. Benjamin Laroche, nlle éd. Stéphane Michalon et Julie Pribula,
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DELTEIL, Joseph, Don Juan, Paris, Bernard Grasset, 1930.
DORIMON, Le Festin de Pierre ou le Fils criminel, in Le Festin de Pierre avant Molière. Dorimon, de Villiers, Scénario des
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MÉRIMÉE, Prosper, Les Âmes du purgatoire, in Romans et Nouvelles, t. II, éd. Maurice Parturier, Paris, Garnier
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ZAMORA, Antonio de, No hay deuda que no se pague y convidado de piedra, introd. Piero Menarini, éd. Paola
Bergamaschi, Bologna, Atesa Editrice / M.U.R.S.T., coll. “Testi e Studi Ispanici”, 1992.
ZORRILLA, José, Don Juan Tenorio, éd. Luis Fernández Cifuentes, introd. Ricardo Navas Ruiz, Barcelona,
Crítica, 1993.
Note: pour les éditions non françaises, c’est nous qui traduisons.
Études
BOYER, Henri, “Miséricorde de Dieu et Apothéose de l’Amour”, in Obliques, numéro spécial Don Juan, 4-5,
1981, p. 53-59.
DUMOULIÉ, Camille, Don Juan ou l’héroisme du desir, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
KRISTEVA, Julia, Histoires d’amour, Paris, Dénoël, coll. “Folio”, 1983, chap. V: “Don Juan ou aimer pouvoir”,
p. 243-263.
PENA, Aniano, “Don Juan Tenorio: la salvación por el amor”, in National Symposium on Hispanic Theatre, Cedar
Falls, University of Northern Iowa, 1985, p. 242-248.
PFEIFFER, Jean, “Sous le signe du désir”, in Obliques, op. cit., p. 43-45.
RAVOUX-RALLO, Élizabeth, “Don Giovanni ou l’insoutenable légèreté du désir”, in Bulletin de Liaison et
d’Information de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, XV, automne 1995, p. 191-200.
SOUILLER, Didier (éd.), Tirso de Molina. El burlador de Sevilla, Paris, Klincksieck, coll. “Parcours critique”, 1994.

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  • 1. 1 L’AMOUR DE DON JUAN Dictionnaire de Don Juan. Sous la direction de Pierre Brunel, Paris: Robert Laffont, 1999, p. 16-23. ISBN: 978-2221078662. On peut faire une étude sur les diverses manifestations traditionnelles de l’amour du héros, depuis les plus superficielles (la galanterie et l’universalité de l’amour donjuanesque) jusqu’aux plus profondes (la recherche de la beauté et de l’idéal et l’amour salutaire). Galanterie et Amour Il convient de faire une distinction entre Don Juan galant et Don Juan amant. Le premier refuse toute identification avec l’amour, passion beaucoup plus sérieuse. Il n’est pas inintéressant de rappeler que l’on retrouve ici les véritables sources de la légende telles qu’elles sont décrites dans les romances anonymes de l’Espagne. La galanterie, très à la mode lors des premières versions du mythe, paraît lui convenir mieux; Don Juan lui-même prend ce parti (Dorimon). Chez Villiers l’on assiste à la description des astuces que le galant met en œuvre pour parvenir à ses fins, dans la lignée des galants célèbres de comédies. Adroit dans ses manières avec les femmes, Don Juan ne perd rien en leur faisant la cour comme le ferait un galant. Si elles répondent à ses avances, pense-t-il, il pourra grossir son catalogue; dans le cas contraire, il restera ensuite aussi libre qu’il l’était auparavant (Zamora). Depuis le début jusqu’au XXe siècle (Grau et Torrente Ballester), Don Juan apparaît souvent comme un galant fort courtois qui soigne avec minutie toutes ses manières avec les femmes et qui ne supporte pas qu’elles soient maltraitées physiquement par un tiers. Il ne fait aucun doute que l’amour de Don Juan ne peut pas avoir pour but un seul objet (sauf à l’époque romantique). Dans ce sens, son amour est universel; il n’excepte ni les personnes humaines… ni les animaux (Cicognini)! Don Juan avoue éprouver un sentiment si vaste qu’il aime toutes les femmes (Mozart / Da Ponte). On peut trouver l’explication de cette démarche dans la réflexion de Kierkegaard: dans son amour pour les femmes, Don Juan “ne s’arrête pas à une seule mais s’étend à toutes, c’est-à-dire que toutes sont séduites, car il n’existe que dans le moment”. Cette sensibilité face à l’instant fuyant est une caractéristique de toutes les aventures amoureuses de Don Juan: “Je vis de tout ce qui est au présent”, avoue-t-il à Hortensia dans la pièce de Grau. On dirait qu’il se nourrit de la fuite universelle de moments épars. Comme par définition le moment est une somme de moments; un amour est une somme d’amours et vice-versa: toutes les amours de Don Juan se résument dans l’unité de son essence. Cela suppose que le séducteur, se mouvant toujours “dans le large cercle des belles femmes”, trouve chaque amour différent de celui qui le précède (Lenau). Mais c’est justement là qu’il se trompe: ayant cru que l’amour est un suffrage universel et que le nombre des bulletins roses décide de son succès, il a passé son temps à enfiler des perles: c’est un défaut de perspective que le Commandeur lui dévoile: “Tu as commis le plus enfantin des enfantillages, celui de chercher la quintessence dans la quantité” (Delteil). Le sens de la Beauté Pour ce qui est de la recherche de la beauté, Don Juan commet surtout une erreur de point de vue, ayant tendance à assimiler l’amour avec la beauté. Don Juan apparaît souvent comme un obsédé
  • 2. 2 non pas de l’amour mais de la beauté, qu’il confond avec l’amour lui-même (Villiers). Il est clair que Don Juan aime plutôt la beauté de la femme que la personne de telle ou telle femme. Molière développe cette démarche donjuanesque lors du premier dialogue entre le maître et le valet. Lorsque Don Juan dit que la beauté le ravit partout où il la trouve et qu’il cède facilement à cette douce violence, il indique que la beauté physique est pour lui la seule partie visible de l’amour. Il ne dit pas: “J’aime telle ou telle femme” mais qu’il ressent de l’amour “pour une belle” et que son “cœur est à toutes les belles”. Cette attitude lui sied si bien qu’il lui suffit d’être “amoureux d’une belle dame” pour être sûr qu’elle l’aime (Mozart / Da Ponte). Sitôt dit, sitôt fait: dans les Flandres, dès qu’il voit “une jolie femme”, tous les moyens lui sont bons pour l’obtenir; et plus tard, lors de son retour à Séville, il ne songe qu’aux “beautés” qui l’y attendent (Mérimée). Parmi tous les sens, Don Juan accorde un intérêt spécial à la vue, le sens qui lui est indispensable pour mieux apprécier la beauté des femmes: “je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes” (Molière). Les femmes ne sont pour Don Juan que des objets intéressants en vertu de leur beauté. Aussi ne sera-t-on pas étonné qu’il dise “un beau visage” ou “une jeune beauté” pour parler des femmes qu’il rencontre: face à Charlotte, chez Molière, il est particulièrement attiré par le côté esthétique. Il convient de souligner qu’en matière d’amour, Don Juan ne s’arrête pas à considérer la condition des femmes séduites. Pourvu qu’elles aient un beau visage qui plaise à son goût, il ne s’enquiert pas de leur lignage (Zamora). D’où sa préoccupation pour que la beauté (tout comme l’idéal) soit parfaite: une tache suffit pour qu’il délaisse la femme choisie. Si Don Juan ne tient pas compte de la condition des femmes, il exige du moins qu’elles soient un condensé de beauté; ce qui explique, en dernier ressort, que le séducteur se lasse bientôt: perfectionniste en tout, il doit se résigner à errer sans cesse à la recherche de la beauté absolue. Tel est Don Juan, un héros qui se maintient toujours “alerte au service du beau”. C’est là que son amour se complaît: dans son unité, car “chaque beauté est unique en ce monde” (Lenau). Cette unicité de la beauté féminine explique la manière dont le protagoniste regarde chaque femme. Aucune ne lui est indifférente et il les regarde toutes comme si, lors de cette contemplation extatique, chacune était la seule femme existante dans le monde; c’est le cas de Jeannette et de Sœur Natividad (Azorín). La quête de la beauté acquiert parfois au XXe siècle une formulation tout à fait différente. L’expérience esthétique telle que la veut le modernité demande que le héros lui fasse une place d’honneur au sein de son univers. C’est sensible dans la pièce de G. B. Shaw, Man and Superman. Plus que jamais, on y assiste alors à une réflexion de l’art sur lui-même: l’art se pense et, par la suite, devient le seul objet de son étude. Don Juan ne pouvait être étranger à cette conjecture moderniste et au défi métalittéraire qu’elle entraîne. C’est le cas du protagoniste de Shaw, qui s’adonne complètement à la tâche sociale et décrie l’attitude de l’artiste qui préfère voir mourir sa femme et ses enfants plutôt que de se consacrer à des activités autres que son art. Il est impossible de ne pas entrevoir ici un sarcasme adressé aux séquelles romantiques du mythe. Amour et Idéal On peut se demander si cette recherche inassouvie de la beauté ne cache pas une quête plus profonde encore: la quête d’un idéal. Cette dimension ne pouvait apparaître dans les pièces du XVIIe siècle, où tout se passe à une vitesse inouïe. Ces questions trouvent leur place pour la première fois dans le romantisme. Le héros, et parfois même le narrateur, se demandent quel est l’objet ultime de toutes les entreprises amoureuses. Aussi n’est-il pas hasardeux de penser que Don Juan cache au tréfonds de son esprit une anxiété existentielle; de fait, il semble se débattre entre deux forces, le bien et le mal.
  • 3. 3 Cette dualité est chez Hoffmann le fondement de la perplexité du spectateur face à l’attitude de Don Juan vis-à-vis de Donna Anna: “Pourquoi ne s’enfuit-il pas? Son forfait le condamne-t-il à l’impuissance? Ou bien est-ce le combat de la haine et de l’amour dans son âme qui lui ravit son courage et sa force?”. On découvre que c’est bien plutôt la deuxième raison qui explique le manque de réaction de Don Juan. Cette haine et cet amour ne sont pas deux sentiments qui se trouvent dans les premières versions du mythe; ils sont le résultat des prémisses romantiques. “Fuyant sans cesse d’une belle femme vers une autre plus belle encore”, Don Juan espère “toujours trouver l’idéal dans la satisfaction ultime”. Il ne tarde pas à se croire “toujours trompé dans son choix”. Cette première déception en entraîne une autre plus grave encore: dupé par son propre raisonnement, Don Juan finit par “trouver toute vie terrestre […] plate et morne”. La conséquence est double: la destruction de chaque beauté qu’il rencontre à son passage et la rébellion face à un idéal qui semble le narguer. Le constat de son incapacité à atteindre l’idéal qui donne un sens à sa vie explique le désespoir du héros dans certaines versions du mythe. Fort loin du plaisir charnel qui porterait un coup mortel à l’image idéale que le héros s’est faite de la femme, Don Juan aime tendrement. Ainsi, la confrontation simultanée de son amour envers Doña Anna avec la fidélité dont celle-ci fait montre à l’égard de feu son mari réduit Don Juan à l’état d’un “misérable sacrifié à son amour désespéré” (Pouchkine). Ce chercheur d’idéal est aussi chanté par Musset dans Namouna. On n’a pas de mal à comprendre pourquoi le romantisme le préfère au Don Juan “hautain et audacieux” du XVIIe siècle. Ce dernier est un “roué” qui, par principe, corrompt le plaisir à force de le prostituer; incapable d’amour, il n’est amoureux que de lui-même. Les romantiques s’en sont pris au héros de Molière pour lui préférer celui de Mozart ou de Hoffmann. Le Don Juan romantique est chercheur d’idéal par principe; “pensif comme l’amour” et “beau comme le génie”, il ne diffère pas beaucoup de l’Homme parfait car il est “tombé, comme le Christ, pour aimer et souffrir”. Il est donc moins frivole, il souffre et savoure la vie par petites bouchées pleines d’émotions. Bref, c’est le Don Juan chercheur d’idéal dont personne ne peut prédire le sort et qui fait jurer à l’amour qu’il sera éternel. Ce jeune homme, on s’en doute, est le seul Don Juan que les romantiques pouvaient accepter. L’amour du Don Juan romantique n’est donc que l’incarnation de la quête d’absolu. A la suite de Mozart et de Hoffmann, Alexis Tolstoï se sert également d’Anna pour étayer sa conception de Don Juan comme un personnage en quête d’idéal. Dès le début de sa pièce, Satan apprend aux esprits que ce jeune homme ne regarde pas que les dames: “Il rêve aussi d’amour”. C’est pour cela qu’il est devenu l’objet d’un choix funeste qui se résout dans un jeu dialectique: Don Juan est simultanément l’élu du Père, Amour par essence, et de Satan, reste d’un “sombre idéal” à la suite de sa rébellion. Ce choix provoque le malheur de Don Juan. Satan veut faire de lui une réplique parfaite du satanisme; pour y parvenir, rien de plus astucieux que de fabriquer une femme-fantôme suivant un schéma préconçu où soit minutieusement réalisé un condensé de perfection et de médiocrité. De là au désenchantement, il n’y a qu’un pas: “voulant trouver le ciel sur cette terre”, Don Juan aura rencontré son malheur. Sa rébellion contre Dieu, à l’instar de celle de Satan jadis, sera immédiate. La lutte qu’il mène (et celle que Satan mène contre le Créateur par la personne interposée de Don Juan) est acharnée: comme il ne peut plus croire à l’amour, il décide d’annihiler tout sentiment amoureux; c’est une manière de s’épargner toutes les tortures qu’une nouvelle illusion lui aurait causées. Cette femme-fantôme de Tolstoï peut être mise en rapport avec l’abstraction féminine dont avait parlé Kierkegaard. Or, ce condensé de femme, de même que toute abstraction, n’existe que dans l’univers imaginaire; aussi ne sera-t-on pas étonné de constater le résultat négatif de la recherche du héros qui a toujours “cherché / la Femme dans les femmes” (Machado).
  • 4. 4 Variantes modernes sur la recherche de l’absolu La modernité offre plusieurs exemples d’un Don Juan en quête d’idéal, ne serait-ce que celui d’une société parfaite. Lors de la conversation que le diable et le héros ont en enfer, ce dernier assure ne pouvoir rester calme tant qu’il n’aura pas défriché le chemin des valeurs suprêmes (Shaw). Une autre voie suivie par la modernité concernant l’amour du héros à la recherche de l’absolu est de le montrer entièrement dévoué à cet idéal, au point que –poussant la formulation romantique à l’extrême– il finisse par se donner à lui: c’est le héros devenu moine et qui trouve dans cette démarche l’accomplissement dernier de sa quête d’absolu. Un Don Juan à la recherche de la sainteté est une déconstruction originale du mythe! Azorín a osé cette approche. Dans la dernière partie de son ouvrage, il montre le héros aux yeux d’une jeune femme, fort surprise du changement radical opéré en lui; aussi lui demande-t-elle quel est l’état actuel de son âme par rapport à celui de jadis. Frère Juan apparaît pauvre, libéré de tout attachement terrestre et les yeux fixés sur l’éternité. Les frères Machado continuent sur cette voie et vont même plus loin. Don Juan, qui avait séduit Beatriz avant son noviciat, apparaît à la fin de la pièce faisant le bien partout; ce contraste est saisissant si l’on considère l’état de déchéance où est tombée la jeune femme. Elle-même le lui avoue; et la suite de cet aveu de Beatriz est une longue considération de Don Juan sur le miracle de l’amour divin: sur terre seul est possible l’amour où Dieu soit de la partie; le reste, ce ne sont que les chimères de l’amour. Peut-être est-ce Delteil qui a le mieux illustré cette voie suivie par Don Juan dans sa quête de l’amour. Le “misérable sacrifié à son amour désespéré” du Convive de Pierre de Pouchkine et le “prêtre désespéré” de Namouna de Musset sont repris dans ce roman où le héros réalise combien ses efforts se sont avérés inutiles: “Nous ne sommes ici-bas que de petits écoliers à qui Dieu donna un verbe à conjuguer. Nous conjuguons: l’un le verbe rêver, et l’autre travailler, gémir, désirer, etc. Et les plus calés –ou les plus condamnés– nous conjuguons le verbe aimer: j’aime… j’aimais… j’aimai… j’aimerai…”. Toute l’œuvre est une espèce de roman initiatique à la recherche de l’amour annoncé dès le début lorsque l’auteur fait référence à la Femme, la Vierge Marie, qui réunit toutes les garanties du Beau Idéal: “Elle est la Femme du ciel et, sans doute, obscurément, mystiquement, l’idéal et l’absolu de l’amour”. C’est cette Femme qui lui tend le “pont entre l’amour et le ciel”; aussi le héros décide-t- il de se vouer à la Vierge par des nœuds solennels. Il est évident que cette formulation fait rentrer de plain-pied la mystique dans l’imaginaire du mythe donjuanesque. De ce point de vue, Don Juan ne croit plus à l’amour compris dans son acception sensuelle. Par ce truchement, on comprend mieux la logique de Delteil: “Don Juan est le premier homme sans doute qui ait élevé l’amour physique à la hauteur d’un Sacrement (je dis l’Amour, et non le Mariage). Si dans les siècles des siècles il exorcise si prestigieusement les femmes, c’est que Don Juan est à leurs yeux le Prêtre de l’Amour”. L’année de la publication du livre de Delteil, 1930, coïncide avec la mise en scène de L’Abuseur qui n’abuse pas de Grau. L’idée de la mysticité revient lors du dialogue que le diable entretient avec Don Juan. Comme le héros évoque son aptitude à l’enthousiasme, le diable fait une objection: l’enthousiasme passe, seule la soif reste et augmente; et il conclut: “car vous êtes un mystique sensuel sans le savoir”. La pièce de Frisch évoque également cette quête d’absolu et sa déconstruction moderne correspondante. Le soir de sa noce, Don Juan raconte à son ami Don Rodrigue la première fois qu’il a aimé Doña Anna: c’était ce soir même autour de l’étang. Devant elle, il est tombé à genoux sur une marche et il est resté muet, “comme frappé par la foudre”, précise-t-il. “C’était l’amour. Pour la première et dernière fois”. La déconstruction moderne est manifeste dans cette dernière phrase. La raison est que Don Juan a compris que Doña Anna, et par extension aucune femme, ne peut le désaltérer de cette soif d’infini qu’il ressent; aussi décide-t-il de retourner à la géométrie. Seule la science géométrique, dit-il, peut lui procurer une connaissance juste. Et pour cause: Don Juan veut
  • 5. 5 éviter toute faille qui lui enlève la tranquillité d’esprit. Celle-ci, il ne peut la trouver dans une femme car la nature humaine est par principe soumise aux lois de la contingence. L’œuvre de Frisch montre qu’après avoir effleuré l’idéal incarné dans une femme, Don Juan l’a vu s’effriter entre ses mains; le retour à la science de la géométrie est une issue sûre face aux limitations de toute incarnation de l’idéal. Dans l’œuvre de Montherlant, on retrouve cette relégation de l’amour au domaine des contingences. Rien de plus friable que le monde des apparences, le seul cependant admis par le personnage de La Mort qui fait le trottoir. En dehors du monde des apparences il n’y a rien. Lorsque le héros s’exclame: “J’ai vécu ce rêve que l’homme appelle amour”, il laisse entrevoir que l’amour n’appartient qu’à l’univers des illusions. Il l’a vécu, certes, mais sans perdre la conscience que l’amour, suprême apparence, n’a aucune consistance en dehors de l’imagination humaine. La “mort” qui fait le trottoir n’est autre que Don Juan: après avoir supprimé la notion romantique de l’amour en tant qu’idéal, le protagoniste admet seulement l’amour en tant qu’apparence du seul absolu qu’est le néant de la mort. La recherche d’absolu apparaît aussi chez Torrente Ballester. Le jeune Don Juan n’avait ressenti aucun besoin jusqu’à l’épisode où il introduisit sa main dans l’eau froide du Guadalquivir. Il se sentit soudain inondé d’un plaisir et d’un bonheur immenses. Le malheur le surprit lorsqu’il réalisa que ce n’était qu’un mirage. Quelques minutes plus tard, avec Mariana, il eut la même sensation que celle éprouvée à côté du fleuve; c’était le besoin de se fondre avec la femme: “En l’embrassant, je voulais tout embrasser avec mes bras”. Et enfin, le désabusement est sans cesse ressenti par Don Juan: “Je ne crois pas qu’il y ait rien dans le monde où un homme puisse mettre plus d’espoir et où il trouve plus de déception”. Il se sentit “abusé et triste” car “le désir d’éternité” qui avait inondé son âme n’était qu’une illusion: Don Juan avait compris que son désir ardent de transgresser les limites du temps et de l’espace ne pouvait être absolument assouvi entre les bras de la femme. Cette expérience lui est désormais habituelle. Au terme de son aventure avec Doña Sol, il ne peut éviter le désenchantement final. Il n’en veut ni à Mariana ni à Doña Sol: aucune femme, dit-il, n’était responsable de cette déception face à l’Idéal cherché mais non pas trouvé. Amour humain et Amour surnaturel Sur un autre plan que l’amour humain se situe l’amour surnaturel. C’est une sublimation du précédent mais qui se situe sur un plan supérieur dans l’échelle des amours présents dans le mythe. Il apparaît bien présenté chez Molière avec le personnage de Done Elvire. Délaissant tout “amour terrestre et grossier”, cette femme a laissé libre cours à la réflexion et à la prière. Le résultat est une passion “épurée de tout commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout”. Le but de cette sermocinatio est de faire part à Don Juan “d’un avis du Ciel” et de “tâcher de [le] retirer du précipice” où il court. Pour appuyer son argumentation, la femme a recours à son ancien amour. En l’occurrence, l’effet n’est qu’immédiat et très passager: Don Juan éprouve à nouveau comment s’allume la flamme de son amour; mais cette tendre remontrance ne va pas plus loin: Don Juan est ici un esprit trop orgueilleux pour céder à la conversion. Il faut attendre les versions romantiques du mythe pour voir les effets salutaires de l’amour féminin. On se souvient des réflexions de Hoffmann au sujet des déceptions que Don Juan ressentait après chaque nouvelle conquête. Il est intéressant de constater que la suite de ces différentes méprises et leur couronnement ultime (la séduction d’Anna, telle qu’elle est traitée par des romantiques comme Hoffmann ou Alexis Tolstoï) exigent une nouvelle modulation du mythe. Selon les théories romantiques, une issue assez convenable paraît celle du rôle sotériologique accordé à la femme. Cette possibilité n’apparaît qu’à l’état d’ébauche chez Hoffmann: “Ne pourrait-on pas dire que Donna Anna
  • 6. 6 a été destinée par le Ciel à faire reconnaître à Don Juan la nature divine qui lui est immanente?”. Malheureusement, chez Hoffmann (de même que chez Mozart) “il l’a rencontrée trop tard”. Ce premier essai de salut par l’amour de la femme échoue, mais il ne reste pas infructueux pour autant. Bien que l’amour surnaturel soit présent presque partout à l’époque romantique, il ne fait aucun doute que c’est avec Don Juan Tenorio de Zorrilla qu’il atteint son apogée. L’auteur lui-même y faisait allusion dans ses Souvenirs du temps jadis: “Qu’a-t-il donc mon Don Juan? […] Que Doña Inès est chrétienne”. On pourrait en dire autant de nombreuses femmes séduites par Don Juan; pourtant il est vrai que le rôle joué par cette novice suppose une nouvelle approche concernant l’amour de Don Juan. Les derniers travaux s’accordent pour reconnaître l’importance de cette nouvelle modulation, déjà présente dans Le Souper chez le Commandeur de Blaze de Bury, et reprise par Dumas dans l’édition Lévy de 1864. L’essentiel est la première conversion de Don Juan dans sa villa près du Guadalquivir. Lors de la cour que le séducteur fait à Doña Inès, l’amour revient sans cesse sur ses lèvres. A la fin de ses propos, Don Juan avoue qu’un étrange changement s’est opéré en lui au cours de ce dialogue: délaissant son orgueil, il a adopté une attitude humble à l’égard de Doña Inès. La réponse de celle-ci ne fait qu’augmenter la transformation du séducteur: “Ce mot change tout mon être, et il me semble que le Paradis peut s’ouvrir pour moi”. Aussitôt il décide de se rendre auprès du Commandeur et de lui demander la main de sa fille; il a l’occasion de le faire quelques minutes plus tard, car le Commandeur lui-même arrive, en proie à l’emportement, afin de récupérer sa fille. Don Juan répète alors à genoux un discours semblable où il parle en toute sincérité. Le virage est important dans le sens où la beauté, jusqu’ici moteur des forfaits de Don Juan, a laissé place à un amour sincère de la vertu; c’est l’irruption de l’amour surnaturel dans le mythe de Don Juan. Une version de Tolstoï accentue un tel tournant du mythe, tel qu’il apparaît chez ses prédécesseurs immédiats. La première version, celle du Rousski Vestnik (le Messager russe) d’avril 1862, se terminait selon le dénouement traditionnel; Don Juan était foudroyé par la statue après qu’il eut renié Dieu. Or, la version de juin de cette même année présente une modification substantielle. Ainsi, lorsque la statue s’abat et que seuls demeurent sur la scène Don Juan et les esprits, ces derniers annoncent le salut du héros grâce à l’amour: “L’amour, du cœur parfaite pénitence, / Et de la foi vivante seul soutien, / L’amour sauveur atteint sa conscience, / Il poursuivra sa route vers le Bien!”. Il convient de souligner que ce dénouement, quoique quelque peu artificiel, rassemble en une les deux parties de l’idéal jusqu’ici dissociées: celle qui se manifeste dans la femme (la quête de la Beauté absolue) et celle qui se cache dans la divinité (la quête de l’Idéal absolu). Dans le roman de Torrente Ballester, ce sont deux femmes qui essayent de sauver Don Juan: Doña Ximena, une dévote qui finit par succomber à son amour puis se suicide, et Doña Elvira, la fille du Commandeur. Doña Elvira est pleinement convaincue de la grandeur d’âme de Don Juan et de la possibilité qu’il a de revenir sur la bonne voie: “Le chemin de Dieu est doux et beau”. Mais la déconstruction moderne ne permet pas de suivre la ligne tracée à l’époque romantique. Aussi Don Juan répond-il: “Et surtout, il mène directement à tes bras qui sont le Paradis retrouvé, n’est-ce pas? C’est curieux. Vous les femmes, vous êtes toutes convaincues que Dieu c’est vous. Qui sait? Peut- être êtes-vous dans la vérité”. Mais il s’arrête là; il refuse de se laisser entraîner encore une fois par les femmes car cela reviendrait à se laisser attraper par Dieu. Toujours en quête d’une réponse de Dieu, une réponse de rage ou de miséricorde, Don Juan a mis en œuvre tous les moyens que l’amour lui offrait pour attirer l’attention de Dieu. On peut déduire que Don Juan ne connaît pas l’amour ou, plus exactement, que son amour est un amour mythique en ce sens qu’il est différent de celui des mortels. Le caractère mythique du héros fait qu’il ne peut accepter ni l’exclusivité ni la constance de son entourage: Don Juan n’oriente ses sacrifices que dans un seul sens, celui de la conquête ou, plus précisément, de la quête
  • 7. 7 ininterrompue. Agir d’une autre façon détruirait sa raison d’exister. En ce sens, il est pour le moins un inadapté de l’amour. Voilà sa spécificité, son attrait et son tourment. Bibliographie Éditions AZORÍN, José Martínez Ruiz pseud., Don Juan, éd. José María Martínez Cachero, Madrid, Espasa-Calpe, 1977. BYRON, Georges Gordon, Don Juan, trad. Benjamin Laroche, nlle éd. Stéphane Michalon et Julie Pribula, Paris, Florent Massot, 1994. CICOGNINI, Giacinto Andrea, Il Convitato di pietra, in Vita, avventure e morte di Don Giovanni, éd. Giovanni Macchia, Milan, Adelphi, 1991. DELTEIL, Joseph, Don Juan, Paris, Bernard Grasset, 1930. DORIMON, Le Festin de Pierre ou le Fils criminel, in Le Festin de Pierre avant Molière. Dorimon, de Villiers, Scénario des Italiens, éd. G. Gendarme de Bévotte, nlle éd. Roger Guichemerre, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1988. DUMAS, Alexandre, Don Juan de Maraña, in Trois Don Juan. “Don Juan de Maraña” d’Alexandre Dumas (introd. et annotation Loïc Marcou), “Don Juan”, d’Alexis C. Tolstoï, “L’Étudiant de Salamanque” de José de Espronceda, préf. Pierre Brunel, Paris, Florent-Massot, 1995. FRISCH, Max, Don Juan ou l’Amour de la Géométrie (Don Juan oder die Liebe zur Geometrie), trad. Henry Bergerot, Paris, Gallimard, 1991 (1969). GRAU, Jacinto, El burlador que no se burla. El señor de Pigmalión, Madrid, Espasa-Calpe, coll. “Austral”, n 1612, 1977 (1927). HOFFMANN, Ernest Theodor Amadeus, Don Juan. Der Sandmann, éd. Michel-François Demet, Paris, Le Livre de Poche, 1991. KIERKEGAARD, Sören, Ou bien… Ou bien…, (Enten-Eller), trad. O. Prior et M.-H. Guignot, introd. F. Brandt, Paris, Gallimard, 1991 (1943). LENAU, Nicolaus Niembsch von Strehlenau, Don Juan. Ein dramatisches Gedicht, éd. Walther Thomas, Paris, Aubier, 1993 (1931). MACHADO, Manuel y Antonio, Don Juan de Mañara, drama en tres actos y en verso, in Obras completas de Manuel y Antonio Machado, Madrid, Editorial Plenitud, 5e éd., 1973. MÉRIMÉE, Prosper, Les Âmes du purgatoire, in Romans et Nouvelles, t. II, éd. Maurice Parturier, Paris, Garnier Frères, 1967. MOLIÈRE, Dom Juan ou le Festin de Pierre, comédie, in Molière. Œuvres complètes, éd. Georges Mongrédien, t. II, Paris, Garnier-Flammarion, 1992 (1965). MONTHERLANT, Henry de, La Mort qui fait le trottoir (Don Juan), in Théâtre, préf. Jacques de Laprade, préf. complémentaire Philippe de Saint Robert, Paris, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, 1972. MOZART, Amadeus et Lorenzo DA PONTE, Il Dissoluto punito ossia il Don Giovanni trad. Gilles de Van (1979), CD: Berlin, Jesus-Christus Kirche, coproduction Érato / Rias Berlin, 1992. MUSSET, Alfred de, Namouna. Conte oriental, in Premières Poésies (1829-1835), éd. Maurice Allem, Paris, Garnier, 1967. POUCHKINE, Alexandre Sergueievitch, Le Convive de Pierre. La Roussalka, éd. Henri Thomas, Paris, Éditions du Seuil, 1947. SHAW, Bernard, Man and Superman. A Comedy and a Philosophy, éd. Dan H. Laurence, Harmondsworth, Middlesex, Penguin Books, 1957.
  • 8. 8 TIRSO DE MOLINA, El burlador de Sevilla. Atribuida a Tirso de Molina, éd. Alfredo Rodríguez López-Vázquez, Madrid, Cátedra, coll. “Letras Hispánicas”, n 57, 7e éd., 1995. – L’Abuseur de Séville. (Don Juan). El Burlador de Sevilla, éd. Pierre Guenoun, bibliogr. nlle Bernard Sesé, Paris, Aubier, coll. “Domanine hispanique”, 1991 (1968). TOLSTOÏ, Alexis Constantinovitch, Don Juan, in Trois Don Juan, op. cit., trad., introd. et annotation Michel Cadot. TORRENTE BALLESTER, Gonzalo, Don Juan, Barcelona, Ediciones Destino, coll. “Destinolibro”, n 14, 1995 (1962). VILLIERS, Sieur de, Le Festin de Pierre ou le Fils criminel, in Le Festin de Pierre avant Molière. Dorimon, de Villiers, Scénario des Italiens, op. cit. ZAMORA, Antonio de, No hay deuda que no se pague y convidado de piedra, introd. Piero Menarini, éd. Paola Bergamaschi, Bologna, Atesa Editrice / M.U.R.S.T., coll. “Testi e Studi Ispanici”, 1992. ZORRILLA, José, Don Juan Tenorio, éd. Luis Fernández Cifuentes, introd. Ricardo Navas Ruiz, Barcelona, Crítica, 1993. Note: pour les éditions non françaises, c’est nous qui traduisons. Études BOYER, Henri, “Miséricorde de Dieu et Apothéose de l’Amour”, in Obliques, numéro spécial Don Juan, 4-5, 1981, p. 53-59. DUMOULIÉ, Camille, Don Juan ou l’héroisme du desir, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. KRISTEVA, Julia, Histoires d’amour, Paris, Dénoël, coll. “Folio”, 1983, chap. V: “Don Juan ou aimer pouvoir”, p. 243-263. PENA, Aniano, “Don Juan Tenorio: la salvación por el amor”, in National Symposium on Hispanic Theatre, Cedar Falls, University of Northern Iowa, 1985, p. 242-248. PFEIFFER, Jean, “Sous le signe du désir”, in Obliques, op. cit., p. 43-45. RAVOUX-RALLO, Élizabeth, “Don Giovanni ou l’insoutenable légèreté du désir”, in Bulletin de Liaison et d’Information de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, XV, automne 1995, p. 191-200. SOUILLER, Didier (éd.), Tirso de Molina. El burlador de Sevilla, Paris, Klincksieck, coll. “Parcours critique”, 1994.