#SOMMEIL #SANTE ❤️
Chers membres, voici un article intéressant issu d'une #itw du Pr Pierre Phillip, Chef du service universitaire de sommeil du CHU de Bordeaux, pour la sortie de son livre Antifatigue le 2 septembre 2020.
La santé liée au sommeil est le grand défi du 21e siècle.
Nous avons aujourd’hui la certitude que le sommeil influence directement notre corps et agit sur l’ensemble de nos organes, du coeur aux poumons, en passant par le cerveau et le système immunitaire.
Je rajoute un article complémentaire sur les liens entre l'Histoire et les différents types de fatigue.
1. 34/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
Selon le professeur Philip,
10 millions de Français
sont touchés par
le manque de sommeil.
En couverture
2. 35/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
Par Nicolas Ungemuth
Être moins fatigué, mieux dormir… Des millions de Français
en rêvent. Dans un livre passionnant qui brise de nombreuses idées reçues,
“Antifatigue” , en librairie le 2 septembre,
le Pr Pierre Philip explique comment s’y prendre.
Entretien et extraits exclusifs.
Mieux dorMir pour Lutter
contre La fatigue
Les Mystères
du soMMeiL
3. 36/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
“L’usage abusif des écrans,
les nouveaux modes de transport,
la sédentarité, le manque d’activité
physique et l’insomnie
nous éloignent indubitablement
de nuits réparatrices”
Pourquoi sommes-nous fatigués ?
La fatigue est l’un des motifs de consultation les plus
fréquents. Avant de vous répondre, il me semble
important de rappeler les deux types de fatigue que nous
ressentons. La fatigue physique, qui nous pousse à « ne
plus pouvoir faire quelque chose » et la fatigue mentale,
omniprésente dans notre société, qui s’exprime par des
phrases comme « je ne veux plus faire certaines choses ».
Savez-vous qu’en trente ans, nous avons perdu
pratiquement une heure trente de sommeil par jour ?
Autrement dit, les Français ne dorment en moyenne que
six heures quarante-deux, alors que les spécialistes
recommandent entre sept et neuf heures de sommeil
pour préserver notre système immunitaire, notre
métabolisme et notre poids, réduire le risque d’accidents
cardiaques et commencer sa journée en pleine forme.
Notre fatigue est souvent liée à une mauvaise hygiène de
sommeil et à un sommeil perturbé, mais la plupart des
Français n’en ont pas conscience ou ne savent pas
comment améliorer leur sommeil. L’usage abusif des
écrans, les nouveaux modes de transport, la sédentarité,
Pierre Philip, chef du service
universitaire de médecine du
sommeil du CHU de Bordeaux et
directeur de l’unité SANPSY CNRS
3413 de l’université de Bordeaux.
le manque d’activité physique et l’insomnie nous
éloignent indubitablement de nuits réparatrices. Il est
urgent de réapprendre à bien dormir et cela commence
par une bonne hygiène de sommeil que j’explique en
détail dans mon livre.
Quellessontlesdécouvertesrécentesquimontrentquel’on
peut combattre la fatigue par le sommeil ?
Ilestvitaldecomprendreladifférenceessentiellequiexiste
entre la fatigue et le manque de sommeil car, même si leurs
symptômes se ressemblent, les traitements adaptés pour y
faire face sont divergents. La fatigue est une difficulté
croissante à effectuer des tâches physiques ou mentales.
Petit à petit, nous restreignons nos activités, même quand
celles-ci sont ludiques. Pour traiter efficacement cette
fatigue, il n’y a qu’une solution : le repos. Le manque de
sommeil, quant à lui, entraîne une difficulté croissante à se
mainteniréveillé,cequiapourconséquenceunmanquede
concentration, une lassitude et une pénibilité à réaliser des
tâches simples. Pour y remédier, et on ne le dira jamais
assez, nous devons avoir un sommeil réparateur en qualité
mais aussi en quantité, capable de restaurer notre énergie,
etdonc,notrebien-être.Souffrird’insuffisancedesommeil
dont on n’a pas forcément conscience, nous fera endurer
une immense fatigue qui menace sérieusement notre
équilibre. Nous avons aujourd’hui la certitude que le
sommeil influence directement notre corps et agit sur
l’ensemble de nos organes, du cœur aux poumons, en
passant bien sûr par le cerveau et le système immunitaire.
Il est de ce fait primordial d’analyser la fatigue et le
sommeil ensemble. Avoir un bon sommeil, ce n’est pas
simplement être reposé, c’est être en bonne santé. Et c’est
votre meilleure arme antifatigue.
4. 37/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
En couverture
“
la température corporelle
et le tempo veille/sommeil
Le fonctionnement de notre corps est régi
par des horloges qui contrôlent les périodes
d’activité des organes. en début de nuit,
la température corporelle diminue, la fréquence
cardiaque s’abaisse, et la production de
substances dites « éveillantes » (comme
les catécholamines) est mise en sommeil.
le scientifique américain thomas Wehr s’est
amusé à changer, avec des lunettes réfrigérantes,
la température des vaisseaux autour des yeux
pour modifier la température centrale du cerveau.
il a ainsi pu montrer que le niveau de température
du cerveau est lié au pourcentage de sommeil
paradoxal (qui échauffe le cerveau) et que le
passage du sommeil lent au sommeil paradoxal
est une affaire de thermostat. en clair, si vous
êtes un couche-tard, vous avez toutes les chances
de rentrer en sommeil paradoxal rapidement.
cela explique aussi les rêves plus fréquents
en fin de nuit puisque votre corps commence
à se réchauffer pour se réveiller. au contraire,
une température assez basse vous permettra
de rentrer en sommeil lent profond, comme
c’est souvent le cas en début de nuit. c’est
pourquoi il est si important de dormir
dans une chambre suffisamment fraîche
pour permettre un bon endormissement
et un sommeil profond de qualité.
Quelle est cette fameuse « hygiène du sommeil » que vous
évoquez ?
Vous l’avez compris la santé liée au sommeil touche
l’équilibre global du corps au même titre que notre ali-
mentation ou notre activité physique. Ce que j’entends
par«hygiènedusommeil»estunensembledecomporte-
ments et de rythmes à respecter que nous devons adopter
– ou se réapproprier – de toute urgence pour mieux dor-
mir. Chacun connaît les messages« 5 fruits et légumes par
jour » ou « 10 000 pas par jour » pour garantir une bonne
santé. Il est urgent d’apprendre aux Français le message
« 7 x 7 : 49 heures de sommeil par semaine », pour 7 nuits
à 7 heures de sommeil minimum par semaine. Nous dor-
mons tous, les besoins de sommeil varient d’un individu
à l’autre et évoluent avec l’âge. Néanmoins, les scientifi-
ques s’accordent pour dire qu’à l’âge adulte (entre 20 et
65 ans) la majorité des personnes a besoin de 7 heures de
sommeil minimum, 7 jours sur 7 pour satisfaire ses be-
soinsdesommeil.Monlivrevouspermettradedécouvrir
queltypededormeurvousêteset,grâceàdesconseilsélé-
mentaires, ce qu’il faut faire pour renforcer votre som-
meil. J’insiste : notre sommeil doit être le plus naturel et
le plus réparateur possible. Pour y parvenir, il nous faut
uneancrechronobiologiquequirythmevotresommeil(à
savoir une heure de lever fixe), une durée satisfaisante de
sommeil (que le livre vous apprendra à calculer) et le cas
échéant, vérifier que l'on ne souffre pas d’une pathologie
du sommeil qui altère ce dernier. Tout cela est bien expli-
qué et une bonne hygiène de sommeil commence par une
bonne connaissance de son sommeil et de ses rythmes. Il
est fondamental de comprendre l’interdépendance qui
unit chaque minute de veille à la durée du sommeil
Dans une clinique
du sommeil :
le meilleur moyen
de se soigner.
“
l’insomnie et l’âge
Les plaintes insomniaques augmentent avec
l’âge et plus on vieillit, plus le pourcentage
de veille augmente alors que le sommeil lent
profond diminue. imaginez une bouteille remplie
de 100 % de vin au début de la vie qu’on viderait
progressivement en complétant le vin par de
l’eau ; au fil de la vie, même si la bouteillereste
relativement pleine, le breuvage perd en goût.
selon cette analogie, on se dirige en vieillissant
vers un sommeil de plus en plus léger. Deux cas
de figure s’opposent alors chez les dormeurs
âgés. il y a ceux que cette veille nocturne ne
perturbe pas et qui vont se lever pour aller aux
toilettes, par exemple, avant de se recoucher
et retrouver un sommeil de bébé. et les autres,
obsédés à l’idée de ne pas retrouver le sommeil,
qui s’obstinent à rester au lit pour conserver
quelques précieuses minutes de repos qu’ils
auront tôt fait d’oublier au petit matin.
cette crainte qui peut survenir à tout âge est
le moteur du début d’une insomnie chronique.
l’un des traitements pour y palier repose sur
son déconditionnement.
____u
5. 38/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
“La santé liée au sommeil est le grand défi du XXIe
siècle”
qui s’ensuit. Grâce à « L’agenda personnalisé » de som-
meil à la fin de mon livre, tout le monde peut facilement
évaluer puis renforcer son hygiène de sommeil, de
laquelle découle une bonne santé.
Reste-t-il encore des choses à découvrir sur le sommeil ?
Mêmesinousconnaissonsavecprécisionlesmécanismes
qui rythment la veille et le sommeil, il reste bien évidem-
ment des interrogations à éclaircir. Par exemple, nous
ignorons encore les secrets du sommeil paradoxal. Nous
ne sommes également qu’aux balbutiements
d’expériences nouvelles qui nous permettront de com-
prendre les facteurs (parfois génétiques) qui agissent sur
la vulnérabilité ou sur la résistance face au manque de
sommeil. Des recherches sont également en cours à
travers le monde pour étudier plus spécifiquement
certainesmaladies,commelanarcolepsieoulesmaladies
mentales associées aux troubles du sommeil (la
dépression par exemple). Le sommeil des enfants mérite
toutautantd’êtreétudiédeprès.Noussavonsquelesom-
meil agit sur la maturation du cerveau et qu’il nous aide
à mémoriser, mais ses bénéfices sont certainement bien
plus grands. La santé liée au sommeil est le grand défi du
XXIe siècle. Dix millions de Français sont touchés par le
manque de sommeil. Un plan de santé est donc plus que
nécessaire, surtout à l’aune de nos récentes découvertes.
Vous expliquez que nous avons un « patrimoine géné-
tique » du sommeil. Le grand public l’ignorait…
Depuis la nuit des temps, le sommeil a une importance
physiologique capitale pour notre cerveau et notre
corps, au même titre que la respiration ou la fonction
cardiaque. Il était donc inévitable que nous puissions
transmettre nos caractéristiques d’une génération à
l’autre : c’est ici que les gènes se manifestent. Notre
patrimoine génétique joue donc un rôle indéniable sur
notre sommeil. Deux types de gènes régissent celui-ci :
ceux qui régulent sa durée, sa profondeur, et ceux qui
agissent directement sur nos horloges internes, en
rythmant nos périodes de veille et de sommeil. Il a été
prouvé que les enfants de grands dormeurs seront des
adeptes de la grasse matinée, et inversement. On sait
aussi que les gènes agissent sur votre résistance au
manque de sommeil et votre sensibilité à des substances
éveillantes comme le café. Certaines maladies comme la
narcolepsie ont également un fort substrat génétique.
Vous évoquez également l’importance de la lumière et
recommandez même de porter des lunettes de soleil en fin
de journée à ceux qui ont du mal à s’endormir…
Beaucoup l’ignorent, mais l’exposition à la lumière
naturelle affecte le rythme de notre sommeil. Cette
exposition interfère dans la production de mélatonine,
l’hormone du sommeil. La fluctuation lumineuse est
indispensable à notre rythme circadien parce qu’elle
envoie des signaux forts à notre corps, à l’image de la
somnolence avant l’endormissement. Ainsi, si vous avez
du mal à vous endormir, il faut éviter de vous exposer au
soleil après 17 heures. Si, au contraire, vous avez du mal
à vous réveiller, alors ouvrez grand les volets au saut du
lit, et profitez pleinement de la lumière matinale ! Idem
avec les écrans qui jouent le rôle de soleil artificiel dans
nos vies modernes.
Le sommeil est « cumulatif », dites-vous. Cela veut dire
qu’on peut récupérer le manque de sommeil durant le
week-end ou les vacances ?
Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !
Seule la dette de sommeil est cumulative, pas le sommeil
lui-même ! Aujourd’hui, cette dette est très présente au
sein des sociétés occidentales modernes, et la raison est
une fois de plus liée à une méconnaissance totale de l’hy-
giène du sommeil. Être en dette de sommeil signifie con-
crètementquevotrecorpsn’estpluscapabledesynthéti-
ser les acquis (il faut se souvenir que le sommeil est un
état actif, comme la veille). Cette dette ne s’efface mal-
heureusementpasaveclesgrassesmatinéesduweek-end
ou les vacances. Il faut une régularité hebdomadaire
En couverture
“
est-ce l’anxiété qui m’empêche de dormir
ou l’insomnie qui me rend anxieux ?
Cette question, à l’image
de celle de l’œuf et de la
poule, est cruciale quand
l’insomnie commence à devenir
« douloureuse ». souvent, au début
de la maladie, on se réveille
la nuit sans y prêter attention,
et plus le temps passe, plus
on est préoccupé par la nuit
suivante. ce mécanisme d’anxiété
anticipatoire, qui touche
un nombre important
d’insomniaques, entraîne un
dérèglement du fonctionnement
quotidien ainsi qu’une forte
fatigue. si vous souffrez
d’insomnies, vous pensez
sans doute que votre sommeil est
tout le temps mauvais, pourtant
c’est faux. dans la plupart des cas,
vous arrivez toujours à trouver,
ne serait-ce qu’une nuit par mois,
une augmentation significative
de la qualité et de la durée de votre
sommeil. en vous interrogeant
avec plus d’attention, vous verrez
que, sans raison apparente,
votre sommeil s’améliore parfois
de lui-même. si vous constatez
un effet positif majeur le lendemain
de ces bonnes nuits de sommeil
sur votre niveau d’anxiété
et la fatigue associée, alors je vais
pouvoir faire quelque chose pour
vous ! en revanche, si vous
souffrez d’anxiété quotidienne
sur des périodes prolongées et
que vous êtes réveillé la nuit par
des bouffées anxieuses, alerte
rouge : il faut consulter pour un
trouble anxieux généralisé ou
une dépression masquée. tout est
question du premier symptôme :
les personnes anxieuses
connaissent souvent des nuits
normales alors que les
insomniaques ne souffrent
généralement pas d’anxiété,
mais dorment mal la majorité
des nuits. À vous de savoir
ce qui vous handicape le plus.
6. 39/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
“Si vous vous réveillez toujours plus de quinze minutes la nuit,
je vous préconise alors de sortir du lit
et de n’y revenir que lorsque vous aurez à nouveau sommeil”
besoin ponctuel de sommeil, ressenti par celles et ceux
qui souffrent d’une dette de sommeil. Je recommande
alors à ces personnes de fermer les yeux dix à vingt
minutes maximum en programmant un réveil avec une
alarme. Toutefois, ces siestes ne doivent en aucun cas
devenir une habitude car cela altérera vos rythmes
d’endormissement et la profondeur nocturne de votre
sommeil. On vous incitera plutôt à privilégier un seul
épisode de sommeil par jour.
Quel est le dîner idéal pour garantir une bonne nuit ?
Cette question est importante puisque l’alimentation
peut modifier notre sommeil. Contrairement au déjeu-
ner, il est important d’avoir au dîner un apport calorique
moindre. Ainsi, je vous suggère vivement d’éviter la
viande rouge et de cuisiner un plat unique comme un
poisson grillé, accompagné si besoin d’un verre de vin
(rouge exclusivement). On peut aussi dîner d’une grande
salade, d’une manière générale, les régimes méditerrané-
ensdetypecrétoissontefficacespourréduirel’inflamma-
tion de notre cerveau et nous aider à
mieux dormir. Gardons en tête que
l’heure des repas impacte aussi nos hor-
loges internes. Dîner plus tôt peut aider
certaines personnes à avancer leurs ho-
raires de coucher et de lever.
Propos recueillis par Nicolas Ungemuth
Antifatigue, du Pr Pierre Philip, Albin Michel,
256 p., 18,90 €. En librairie le 2 septembre.
pourpréservercesrythmesetlaprofondeurdesommeil.
Maisrassurez-vous,jevousdonnedansmonlivretoutes
les clés pour optimiser votre sommeil et faire disparaître
durablement cette dette.
Lorsqu’onseréveilleaumilieudelanuit,quepeut-onfaire
pour retrouver le sommeil ? Rester dans son lit en espérant
se rendormir, ou se lever ?
Nombreusessontlespersonnesquiviennentnousconsul-
ter dans notre service universitaire de médecine du som-
meil du CHU de Bordeaux à ce sujet. Il faut tout d’abord
s’assurer que son hygiène de sommeil est bonne, cela règle
le problème dans plus de la moitié des cas. Si vous vous ré-
veilleztoujoursplusdequinzeminuteslanuit,jevouspré-
conise alors de sortir du lit et de n’y revenir que lorsque
vous aurez à nouveau sommeil. C’est la technique du sti-
mulus control, inventée dans les années 1970 et qui a été
testéedansdenombreuxessais.Celle-ciprésentedeuxver-
tus : s’assurer qu’on ne se rendorme pas sans s’en rendre
compte (c’est ce qu’on appelle une « insomnie subjec-
tive ») et réduire le temps passé au lit, ce qui augmentera
votre envie de dormir et facilitera votre sommeil la pro-
chaine nuit. Associée à un lever à horaire strict, cette tech-
niqueafaitsespreuves,Ellepermetaussideréduirelesan-
xiétés en freinant les ruminations dans le lit.
Vous évoquez l’utilité des siestes flash, mais rares sont
ceux qui peuvent s’endormir à la demande…
Les siestes flash ne sont pas utiles à tous et doivent être
limitées dans le temps. Elles répondent avant tout à un
7. 40/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
1932 : des ouvriers
épuisés se reposent
en altitude.
En couverture
A
la moindre fatigue, nos contempo-
rains procèdent à l’« exploration de
soi », en quête des conflits inté-
rieurs supposés être la source de
leur abattement. Tout un vocabu-
laire né de la psychologie leur per-
met d’en nommer les symptômes.
Depuis 1936, le stress, en référence
directe aux contraintes et torsions exercées sur les maté-
riaux, est devenu le coupable idéal, d’autant qu’au fil du
temps, il a été accusé de susciter le « cafard », puis la « dé-
pression », cet état dénué de toute perspective. Plus ré-
cemment, la « fatigue d’être soi », cette inaptitude à se
réaliser, a été incriminée. Dans le domaine profession-
nel, la « pénibilité » occasionnée par les contraintes phy-
siques, la manutention de produits dangereux et les
rythmes décalés, a été jugée responsable de nouvelles pa-
thologies:blocagesetinflammations,lombalgiesetdor-
salgies. Le terme a fait florès, comme le burn-out, ou
« épuisement professionnel », mis en exergue en 1980 par
lepsychologueaméricainHerbertFreudenberger.Litté-
ralement, il s’agit de la combustion de l’individu, à
l’image de l’ampoule qui saute. L’époque, pas si loin-
taine, où les régimes totalitaires rêvaient d’un « homme
nouveau » infatigable – le mineur Stakhanov pulvérisant
les records de production et le soldat de la Wehrmacht
bravant le sommeil par l’absorption d’une méthamphé-
tamine, la « pervitine » – paraît révolue.
des perceptions différentes à travers les âges
Tel est le paradoxe des sociétés occidentales contempo-
raines, pointe Georges Vigarello dans une monumentale
Histoire de la fatigue * : «… Le rêve accru d’affranchisse-
ment et de liberté ont rendu toujours plus difficile à vivre
Langueur, lassitude, épuisement, stress, burn-out, dépression, pénibilité…
À l’instar de notre vocabulaire, notre rapport à la fatigue n’a cessé d’évoluer
depuis le Moyen Âge, rappelle l’historien du corps et des émotions Georges Vigarello.
Par Emmanuel Hecht
À cHaque éPoque
Sa FaTiGue
____u
8. 42/ Le Figaro Magazine / 28 août 2020
Au Moyen Âge,
l’héroïsme était célébré
comme un antidote
contre la fatigue.
En couverture
tout ce qui peut contraindre et entraver. » Car la fatigue
ne symbolise pas seulement les limites de l’existence,
mais aussi « les oppositions du monde extérieur ». Au fil
des époques, celles-ci ont varié, tout autant que la per-
ception de la fatigue et de son antidote.
XXe siècle : on débusque enfin la bonne fatigue
Le Moyen Âge célèbre la fatigue du combattant, à l’aune
desonenduranceetdesonhéroïsme.Fautedesouliersso-
lides, celle-ci se polarise sur les pieds, ceux des voyageurs
et des pèlerins, que la souffrance, malgré tout, peut rap-
procher de la rédemption. Au XVIIe siècle, les jeunes aris-
tocrates éprouvées par les exigences de l’étiquette sont
frappées de « langueur ». Les hommes de robe ployant
sous la tâche ressentent de la « lassitude ». Les clercs et les
hommes de lettres connaissent une « fatigue de l’esprit »,
première ébauche d’une fatigue psychologique distincte
decelleducorps.Enrevanche,iln’estpasfaitgrandcasde
« l’épuisement général de la populace et des laboureurs »,
évoquée par l’évêque de Mende. Le siècle suivant exaltera
la « fatigue défi », où l’individu peut s’éprouver : celle des
grandsaventuriersdesmerscommeCooketBougainville.
Mais il faudra attendre le XXe siècle pour débusquer la
bonne fatigue du sport, vantée par le premier magazine
spécialisé, Vie au grand air (1914).
Au XXe
siècle, le magazine « Vie au grand air » est
le premier à vanter les mérites du sport.
La révolution industrielle, en quête de toujours plus d’effi-
cacité et de gestion optimale du temps, s’intéresse au corps
comme à une machine thermodynamique susceptible de
développer de l’énergie pour contrer l’abattement. Le
XIXe siècleestégalementceluidela«fatiguemalheureuse»
des ouvriers travaillant quinze heures par jour. Quelques
décenniesplustard,l’instituteurBaptisteSandredessineles
contours du surmenage, cet épuisement généré par l’accu-
mulation de tâches à gérer de plus en plus vite.
Àchaqueépoquesesthéoriesetsesremèdes.Lemondemé-
diéval loge la fatigue dans la perte d’« humeurs » et l’assè-
chement, tandis que les Lumières insistent sur la responsa-
bilité des nerfs dans une excitation éprouvante. De
nouvelles douleurs font leur apparition, à l’instar des
«courbatures»,finalementdérisoirescomparéesau «dépé-
rissement » des ouvriers, relevé par le rapport du médecin
Villermé.Iln’estplusquestionalorsd’excitantspoursoula-
gerleurdétresseetrestituerleurrobustesse,maisderecons-
tituants et de calories.
Au siècle du Covid-19, les praticiens recommandent la
détente et le relâchement, afin de rendre vigueur et sérénité
àdesindividusque«lemieux-vivreépuise»,selonlajoliefor-
mule de Georges Perec (Les Choses). ■ Emmanuel Hecht
* Histoire de la fatigue. Du Moyen Âge à nos jours, Seuil, 480 p., 25 €.
En librairie le 3 septembre.
La révolution industrielle s’intéresse au corps comme une machine
susceptible de développer de l’énergie contre l’abattement