L’accessibilité à l’enseignement supérieur en Haïti est liée à un concept fondamental dénommé les inégalités. Dans ce sens, nous pouvons parler des inégalités scolaires, parce qu’on ne peut pas poser la problématique de l’accessibilité à l’enseignement supérieur sans soulever la question des inégalités scolaires.
Ilionor Louis - Problématique de l’accessibilité à l’enseignement supérieur en Haïti
1. Ilionor LOUIS (Ph. D)
Sociologue, professeur à l’Université de Port-au-Prince
2. L’accessibilité à l’enseignement supérieur en Haïti est liée à un
concept fondamental dénommé les inégalités. Dans ce sens, nous
pouvons parler des inégalités scolaires, parce qu’on ne peut pas
poser la problématique de l’accessibilité à l’enseignement
supérieur sans soulever la question des inégalités scolaires. En
évoquant les inégalités scolaires, on peut les associer au genre, à
l’accès par les personnes handicapées à l’école régulière ou à
l’université par exemple. On poserait le binôme : inégalités
scolaires et genre, ou bien inégalités scolaires et handicap. On
pourrait mettre en relation également l’origine sociale et les
inégalités scolaires; ceci nous conduirait directement à la
problématique de l’accessibilité à l’enseignement supérieur, étant
entendu que l’enseignement supérieur concerne, entre autres, la
formation universitaire étendue sur trois cycles. Je m’intéresse
particulièrement à la problématique de l’accessibilité au premier
cycle d’études universitaires, sans pour autant sous-estimer des
paramètres tels que le genre, le handicap et les origines sociales
3. Je ne pose pas le questionnement comme on fait dans une
question de recherche. Je n’évoque pas non plus d’hypothèse au
sens d’une démarche hypothético-déductive ou bien d’étude
quantitative procédant par corrélation ou covariance. Je suppose,
même si c’est une évidence, qu’il est difficile d’accéder à
l’université en Haïti. En d’autres termes, la demande d’accès à
l’Université par nos jeunes bacheliers n’est pas satisfaite. J’évite de
dire qu’elle excède l’offre, car il me semble que des Universités, ce
n’est pas ce qui manque en Haïti, si on en dénombre 260
institutions universitaires. C’est, à mon avis, une offre importante
de places. Alors pourquoi cette demande reste insatisfaite? C’est
une question de recherche que je ne suis pas en mesure de
répondre maintenant. En termes d’hypothèse, je me demande, est-
ce que l’accès à l’Université n’est pas déterminée par la
marchandisation croissante du droit à la formation universitaire et
de l’incapacité de l’État de créer un cadre normatif de
fonctionnement des universités et d’appui à tous les jeunes
désireux de faire des études supérieures?
4. Ma première hypothèse a été posée en termes d’insatisfaction de
la demande d’accès aux études supérieures. Cette insatisfaction,
dis-je, est due au fait de la marchandisation de l’enseignement
supérieur et de l’incapacité de l’État de créer un cadre légal et une
structure de financement accessible à tous/tes postulants (tes).
Récemment, une étude du Programme international pour le suivi
des acquis des élèves (PISA) « révèle que la France bat des records
d'injustice. Que son école, prétendument pour tous, est d'abord
faite pour une élite, mais se révèle incapable de faire réussir les
enfants les moins privilégiés. Elle en est même de moins en moins
capable ». Sans avoir la prétention de nous comparer à la France,
que dirions-nous de la situation chez nous ? En Haïti, nous avons
un système scolaire à vitesses multiple. Le système scolaire haïtien
n’est pas en mesure d’assurer la réussite des élèves issus des
couches populaires ou défavorisées.
5. Selon l’agence universitaire de la Francophonie
(AUF), les inégalités scolaires persistent en Haïti à
l’heure actuelle «… (Elles) renvoient généralement
à la transmission des inégalités sociales par
l’intermédiaire du système scolaire. Un système
éducatif qui développe des inégalités des chances
scolaires facilite au sein de la société en question
des inégalités sociales car les inégalités des chances
scolaires engendrent des inégalités sociales ».
Auteure de ce texte sur le site de l’AUF pour la
région Caraïbe, Melissa Étienne fait remonter
l’origine des inégalités scolaires à la fondation
même de l’État d’Haïti.
6. Selon elle : « Après l’indépendance d’Haïti en 1804, l’accès à
l’éducation était réservé à une classe sociale précise: les
enfants des hauts gradés de l’armée et ceux dont les parents
sont morts pour les causes de l’indépendance sans avoir
laissé de moyens pour prendre en charge les coûts de
l’éducation. À la création du Département de l’Instruction
Publique, l’accès était encore limité et cette situation persiste
encore à l’heure actuelle. Les 500 000 enfants exclus du
système continuent d’augmenter. Les plus touchés sont les
enfants des familles qui habitent en milieu rural et ceux des
familles pauvres. Plus l’enfant habite en milieu rural, moins
il a accès à l’éducation. Plus l’enfant est issu d’une famille
pauvre, plus il est exclu du système. La politique
d’éducation pour tous et de l’enseignement de base en Haïti
doit tenir compte entre autre de ces deux paramètres ».
7. Dans ce que nous venons de voir, les inégalités scolaires, au
départ, étaient moins liées à la situation socio-économique des
parents de l’enfant qu’à leur rang, leur prestige social. L’école
haïtienne n’était que l’affaire d’une élite. Que pouvons-nous dire
des universités? Avant, il n’y avait que l’Université d’État d’Haïti,
ci-devant Université d’Haïti. Si nous considérons la période allant
des années 1960 à aujourd’hui, on dira de l’Université d’État
d’Haïti qu’elle est passée d’une phase d’instrumentalisation
politique à une phase de marginalisation. En effet, sous le régime
des Duvalier, il était difficile aux bacheliers d’entrer dans l’une
des facultés, notamment les Facultés de médecine, de droit,
d’agronomie sans la bénédiction d’un « parrain ». Mais, après la
chute de la dictature, les luttes étudiantes ont fait disparaitre cette
pratique : des concours sont organisés pour recruter une nouvelle
promotion, chaque année, même si on trouve encore des pratiques
de corruption. L’UEH n’est en mesure d’accueillir que 4000
diplômés du bac par an, tandis que chaque année des dizaines de
milliers de jeunes demandent une place à l’Université.
9. En effet, pendant les 5 dernières années, 94513
jeunes terminent leurs études classiques et
devaient rentrer soit à l’université soit dans des
écoles techniques et professionnelles. Combien ont
pu trouver effectivement une place gratuitement à
l’Université d’État et dans des centres techniques
et professionnels publics? Combien ont pu s’en
acheter une dans les centres universitaires privés?
Les données ne sont pas disponibles pour que je
puisse donner une réponse à cette question.
Somme toute la demande est considérable mais le
marché n’arrive pas à l’absorber. Dans ce cas, c’est
vers la République Dominicaine que nos jeunes se
tournent.
10. Selon un rapport de la banque centrale
dominicaine, « les Haïtiens représenteraient 73%
des étrangers étudiant dans les universités
dominicaines, Après les Haïtiens, les étudiants de
nationalité américaine sont les plus nombreux
dans ce pays où ils représentent 20,1% de la
population estudiantine étrangère. Depuis le
tremblement de terre de janvier 2010, le nombre
d`Haïtiens ayant traversé la frontière pour faire
des études universitaires, a considérablement
augmenté. Une réalité qui s`explique en partie par
la destruction de la plupart des infrastructures
universitaires haïtiennes » (AHP, 2012)
11. « Selon la dernière enquête de la banque centrale
dominicaine 9,7% des étudiants s'orientent vers la gestion
des affaires, 3.9% les sciences économiques, 5.8%
l`ingénierie, 3.4% les langues et 1.9% étudient le droits.
L`enquête a été menée par 20 étudiants enquêteurs dans 24
universités de la République dominicaine qui accueillent les
étudiants étrangers. Il s'agit entre autres, de l'Université
autonome de Santo-Domigo, UNIBE, PUCMM,
UNICARIBE et UNICDA. Entre 10.000 et 12.000 Haïtiens
étudieraient dans ces universités. En 2006, le vice-recteur
d'alors aux affaires académiques de l'Université d'État
d'Haïti, Wilson Laleau, avait estimé à 65 millions de dollars,
l'an, le montant annuel dépensé par les étudiants. Le
nombre total d'Haïtiens (dominico-haïtiens compris) vivant
en République dominicaine est d'environ 1 million, alors
que les Dominicains en Haïti seraient aujourd'hui environ
10.000.
12.
Au regard du nombre de jeunes qui terminent
avec succès leur cycle d’études secondaires en
Haïti, considérant l’offre universitaire en place,
prenant en compte les conditions d’étude, de
recherche et de travail dans les établissements
universitaires en Haïti, considérant le nombre
de jeunes qui s’en vont vers la république
Dominicaine pour étudier, nous sommes en
face d’un défi de taille que je m’efforce de
résumer en trois points :
13. Garantir l’accès à l’enseignement supérieur aux
étudiants (tes) de toutes les catégories sociales par la
mise en place d’un programme de prêts et bourses.
Dans ce sens, la création d’un partenariat public-
privé pour le financement des études à travers ledit
programme s’avère une nécessité
Le renforcement et la structuration de
l’enseignement supérieur en Haïti par la création
d’un cadre légal régissant la formation des
universités, la mise en application de ce cadre et la
création de plusieurs fonds de recherche dans
plusieurs domaines afin de stimuler la recherche
universitaire
14. La compétitivité du champ universitaire haïtien. Quel est notre niveau de
compétitivité aujourd’hui? D’une part, si la compétitivité se mesure par
nombre de diplômes décernés chaque année, par la place que les
diplômés occupent ou sont capables d’occuper sur le marché aux plans
national et international, combien en avons-nous, effectivement?
Combien d’étudiants étrangers sont immatriculés dans nos universités
aujourd’hui? Quelles sont les réponses apportées par notre système
universitaire à certains défis de notre pays, au niveau de l’éducation, de
la santé, de la reconstruction des villes dévastées par le tremblement de
terre, des nouvelles technologies de l’information et de la
communication? Comment et quand le système universitaire haïtien
pourra-t-il aider à réduire notre dépendance vis-à-vis de l’étranger pour
la consommation, au moins, des produits de base? Combien avons-nous
de revues scientifiques dans plusieurs domaines de la vie nationale? À
Quand la création d’une académie scientifique nationale? Tels sont mes
questionnements que je crois faire partie des défis que nous avons à
relever pour avoir un système