Procidence de la membrane nictitante - Frank FAMOSE
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EN
FORMATION
> QUESTIONS DE COURS
La procidence de la membrane
F. FAMOSE, DV, CES
ophtalmologie vétérinaire
Clinique vétérinaire des Acacias
42 avenue Lucien-Servanty
31700 Blagnac
OBJECTIFS
PÉDAGOGIQUES
Connaître et être capable
de diagnostiquer la
procidence de la membrane
nictitante chez le Chien et
le Chat.
nictitante
La procidence de la membrane nictitante est une affection courante
chez les Carnivores domestiques. Son diagnostic repose sur une
démarche clinique rigoureuse. L’objet de cet article est de donner les
éléments anatomiques et fonctionnels à connaître pour le diagnostic
de cette affection.
l
a procidence de la membrane nictitante (MN, syn. : corps clignotant, troisième paupière)
est une affection courante chez le Chien et le Chat. Elle peut être due à des causes
nombreuses qu’il convient de différencier.
Le traitement de l’affection ne sera pas abordé.
La MN est un repli de conjonctive situé à l’angle médial de la fente palpébrale, entre le globe
oculaire et le plan palpébral [1].
RÉSUMÉ
La procidence de la MN
est une affection courante
chez le Chien et le Chat. Sa
position à l’angle médial de
la fente palpébrale dépend
de l’équilibre du système
nerveux autonome, du
volume et de la position
du globe oculaire ainsi que
du contenu de l’orbite. Le
diagnostic différentiel entre
ces différentes affections
fait appel à une démarche
diagnostique organisée basée
sur l’examen ophtalmologique
et la réalisation du
test à la phényléphrine
(Néosynephrine®[H]) à 1 %
ou sur l’imagerie orbitaire et
aussi cervico-thoracique.
Déclaration publique
d’intérêts sous la
responsabilité du ou des
auteurs : néant.
CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE
La lecture de cet article ouvre droit à
0,05 CFC. La déclaration de lecture,
individuelle et volontaire, est à
effectuer auprès du CFCV
(cf. sommaire).
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La musculature contrôlant les mouvements de la MN est vestigiale chez les Carnivores
domestiques mais serait plus développée chez le Chat que chez le Chien : la membrane se
déplace de manière passive à la surface de la cornée. La MN est normalement maintenue en
position ventro-médiale par les muscles orbitaires lisses dont le tonus est déterminé par le
système nerveux orthosympathique [2].
Lorsque le globe est rétracté par son muscle rétracteur, la troisième paupière est déplacée en
direction supéro-temporale vers ligament orbitaire. La position de la membrane dépend de
l’équilibre du système nerveux autonome, du volume et de la position du globe oculaire ainsi
que du contenu de l’orbite [3].
Quelles sont les causes de la procidence
de la membrane nictitante (TABLEAU 1) [1-3] ?
Énophtalmie
L’enfoncement du globe dans l’orbite a pour
cause la plus fréquente la douleur oculaire
(en particulier l’origine cornéenne), qui se
manifeste par la rétraction du globe s’accompagnant de la procidence de la MN (PHOTO 1).
La fonte de la graisse orbitaire se traduit par
une énophtalmie. Celle-ci se produit lors
d’amaigrissement intense, en particulier chez
le Chat. De même, une déshydratation majeure peut s’accompagner d’une procidence
de la MN.
La rétraction du globe oculaire est également
observée lors d’atrophie musculaire (de myosite chronique, paralysie du nerf trijumeau).
Tableau 1. Causes de
procidence de la membrane
nictitante.
Énophtalmie : douleur oculaire, amaigrissement
intense, déshydratation majeure, atrophie musculaire
Affections nerveuses
Le syndrome de Claude Bernard-Horner (SCBH)
Le tétanos
Le syndrome de dysautonomie féline
La procidence bilatérale de la MN idiopathique
Tranquillisants (acépromazine)
Réduction de la taille du globe oculaire : phtisie du
globe, microphtalmie
Lésions orbitaires : abcès, de tumeurs ou de kystes
orbitaires
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Photo 1. Procidence de la MN chez un chat présentant une plaie cornéenne
non perforante.
Affections nerveuses
Photo 2. Syndrome de Claude Bernard-Horner chez un chien. La pupille
est en myosis et la MN recouvre plus de la moitié de la surface cornéenne.
l’élévation incomplète de la paupière
supérieure.
ganglionnaire et l’évolution est favorable
en six à huit semaines [5].
Le défaut de rétraction de la MN se traduit par sa procidence. Le défaut d’innervation du muscle dilatateur de la pupille
provoque un myosis anisocorique.
Une démarche diagnostique doit malgré
tout être entreprise face à chacun de ces
cas.
■ Le syndrome de Claude Bernard-Horner
(SCBH) est dû à un déficit de l’innervation orthosympathique de l’œil. Il se
manifeste par un cortège de symptômes
oculaires : énophtalmie, ptose de la paupière supérieure, myosis et procidence de
la MN. Cette affection est habituellement
unilatérale [4,5] (PHOTO 2).
Sur un plan anatomique, l’innervation
orthosympathique est structurée en
trois groupes successifs de neurones.
Les neurones centraux ont pour origine l’hypothalamus, le tectum et le
tegmentum et sont reliés aux neurones
préganglionnaires via le tractus spinal
tecto-segmentaire. Les corps cellulaires
préganglionnaires sont localisés dans les
trois premiers segments de la moelle épinière thoracique.
Ces axones préganglionnaires quittent la
moelle épinière par le rameau communiquant et rejoignent le tronc sympathique
thoracique à l’intérieur du thorax. Ils se
dirigent crânialement, sans synapse,
jusqu’au ganglion cervical crânial dans
lequel ils se connectent aux neurones
postganglionnaires.
Le trajet des axones des neurones postganglionnaires s’effectue rostralement
à proximité du rocher et de l’oreille
moyenne puis le long du nerf trijumeau
pour rejoindre l’orbite.
Lors de déficit l’innervation sympathique, on observe une réduction du
tonus des muscles lisses orbitaires et une
rétraction du globe oculaire dans l’orbite.
La perte du tonus du muscle de Müller (muscle lisse releveur de la paupière
supérieure) engendre une légère fermeture de la fente palpébrale résultant de
(707) PratiqueVet (2014) 49 : 706-709
La présence simultanée de ces quatre
symptômes constitue le SCBH qui peut
être provoqué par toute lésion se situant
sur le trajet de l’innervation orthosympathique de l’œil. Associée à ces signes
oculaires, on décrit également une vasodilatation périphérique s’accompagnant
d’une augmentation de la température
de la peau, notamment celle de l’oreille.
Ce signe reste difficile à détecter chez les
Carnivores domestiques.
L’énophtalmie semble moins constante
chez le Chien que chez le Chat, la présence de fibres musculaires lisses orbitaires étant inconstante.
Les causes possibles du SCBH sont nombreuses et par ordre d’importance décroissante :
otite moyenne avec troubles vestibulaires ou paralysie faciale associée ;
■
■ affection
de la moelle thoracique (fracture vertébrale, compression) ;
lésions du tronc sympathique cervical
par morsure ou traumatisme chirurgical ;
■
■ arrachement du plexus brachial avec
parésie ou paralysie du membre correspondant ;
■ lésions médiastinales (lymphome thoracique) avec compression du tronc sympathique thoracique.
La grande majorité des cas de syndrome
de SCBH chez le Chien est idiopathique.
La localisation des lésions (cf. démarche
diagnostique) est le plus souvent post-
■ Dans le tétanos, le globe est rétracté
activement par la contraction spastique
des muscles rétracteurs du globe. Ceci
provoque une procidence bilatérale de la
MN. D’autres signes nerveux sont associés : paralysie spastique, contractions
musculaires incoercibles. Le même mécanisme de procidence est décrit dans
d’autres affections nerveuses (rage, maladie de Carré, méningites, intoxication à la
strychnine, …).
■ Le syndrome de dysautonomie féline est
une perturbation nerveuse qui se caractérise sur un plan anatomique par la réduction du nombre de neurones dans les
ganglions du système nerveux autonome
[6,7]. Elle aboutit à la perte complète de
l’innervation autonome (ortho- et parasympathique) de l’œil et des autres organes.
Son diagnostic repose sur l’observation
des signes cliniques dont la procidence
bilatérale de la MN associée à la dilatation
des pupilles et à la sécheresse lacrymale.
Cette affection a été décrite essentiellement au Royaume-Uni chez le Chat.
Dans cette espèce en France entre 1980 et
1990 des cas ont été diagnostiqués, puis
l’affection a disparu [7]. Elle a été décrite
également de manière sporadique chez le
Chien [8].
■ La procidence bilatérale de la MN est
observée très fréquemment chez le Chat.
Elle peut être associée à des affections
systémiques, à la déshydratation ou la
fonte de la graisse orbitaire chez les animaux âgés (voir ci-dessus). Elle est observée également chez des chats présentant
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Photo 3. Microphtalmie chez un jeune Shar-Peï. Le globe oculaire est
complètement masqué par la MN.
un historique récent de diarrhée pour
laquelle une origine infectieuse a été suspectée. Elle est remarquée, également, de
manière idiopathique, chez des chats ne
présentant aucun autre symptôme, avec
une résolution spontanée en quelques
jours ou quelques semaines [2].
■ Certains tranquillisants (acépromazine)
peuvent également provoquer une procidence bilatérale de la MN.
Photo 4. Abcès orbitaire chez un chien. La MN est poussée vers l’avant
par l’accumulation de pus.
Réduction de la taille du globe
oculaire
développement lors de microphtalmie
[2] (PHOTO 3).
La réduction de la taille du globe oculaire
est une lésion fréquemment associée à
la procidence de la MN. En effet, la taille
réduite du globe oculaire provoque son
enfoncement et la MN recouvre le globe.
Les causes de réduction de la taille oculaire sont de deux ordres : réduction acquise lors de phtisie du globe, défaut de
Lésions orbitaires
La présence d’une masse orbitaire peut,
par effet mécanique de pression sur la
base de la MN, s’accompagner de sa procidence. Ce symptôme est observé lors
d’abcès, de tumeurs ou de kystes orbitaires [3] (PHOTO 4).
Quelle est la démarche diagnostique ?
L
a démarche diagnostique recommandée lors
de procidence de la MN est
décrite sur la FIGURE 1. Elle diffère selon le caractère uni ou
bilatéral de l’affection.
■ Le recueil des commémoratifs permet d’établir un
lien entre les symptômes et
l’anamnèse traumatique ou
médicale de l’animal (intervention chirurgicale, traumatisme cervical, diarrhée,
traitement préalable).
■ L’examen clinique peut permettre de mettre en évidence
des symptômes associés (digestifs, nerveux).
L’examen ophtalmologique
permet d’identifier selon les
cas les éléments suivants :
■
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Figure 1 : Démarche diagnostique face à une procidence de la membrane nictitante.
Affections
bilatérales
Affections
unilatérales
Rechercher les affections systémiques :
- Tétanos
- Dysautonomie
- Intoxication (strychnine)
- Médicamenteuse (acepromazine)
Examen ophtalmologique :
- Douleur oculaire
- Taille du globe oculaire
- Position du globe
- Taille et motricité de la pupille
Test à la Néosynephrine 1% (SCBH) :
- Réponse en moins de 20 minutes : lésion postganglionnaire
- Réponse en 20-40 minutes : lésion pré-ganglionnaire
Imagerie orbitaire, cervicale ou thoracique
(radiographie, échographie, scanner)
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