Vaccins contre le papillomavirus, ce que l’on sait… ou pas…
ASCO 2015
1. 02 LE FAIT DU JOUR Aujourd’hui en France
Vendredi 29 mai 2015
au verrou qu’enclenche la tumeur
pour freiner la réponse immunitai-
re. » Trois traitements ont déjà été
découverts. « La réserve de recherche
est encore grande », estime le profes-
seur Sigaux. Ethique oblige, ces nou-
velles approches sont d’abord mises
à l’essai chez les patients en phase
très avancée, en échec thérapeuti-
que. Mais les résultats sont si pro-
metteurs que les médecins prédisent
des traitements innovants, incluant
l’immunothérapie, de plus en plus
précoces. Les malades ne deman-
dent pas mieux. CLAUDINE PROUST
ponse immunitaire plus forte. Les ré-
sultats sur les animaux promettaient
beaucoup, mais l’espoir est retombé :
à trop booster cette réponse, on pro-
voque aussi des maladies auto-im-
munes, explique le médecin. La trou-
vaille, c’est d’avoir compris qu’il fal-
lait aussi s’intéresser au côté négatif :
P
aradoxe étrange et
rassurant : tandis
que les hôpitaux
français s’enfoncent
lentement dans une
profonde crise sociale,
nos médecins et
chercheurs
impressionnent la
planète par leurs
performances dans la
lutte contre le cancer.
L’Institut Curie, à Paris,
et l’hôpital Gustave-
Roussy, à Villejuif, sont à
la pointe du
développement de
l’immunothérapie et des
thérapies ciblées, deux
innovations
expérimentées avec
succès dans notre pays.
Evidemment, cela coûte
cher et il est tentant
d’opposer ces dépenses à
la situation financière
désastreuse de la plupart
des hôpitaux publics. Il
est pourtant vital de
maintenir cette
dynamique. Pour les
malades bien sûr, mais
aussi pour continuer à
croire en l’avenir de
notre modèle de santé.
FRÉDÉRIC VÉZARD
fvezard@leparisien.fr
n L’ÉDITO
Vital
CHAQUE DÉBUT JUIN, l’Asco fait
l’actualité avec son lot de
nouveautés et de promesses en
cancérologie. L’Asco, c’est quoi ?
Au départ juste l’acronyme de
l’American Society of Clinical
Oncology. Une société savante
américaine créée en 1964, qui
rassemble les médecins et
spécialistes se penchant au chevet
du cancer outre-Atlantique.
Réunions, publications, colloques :
elle tient en outre chaque année
un congrès, devenu LE
thermomètre planétaire des
avancées et espoirs dans la lutte
acharnée pour soigner et espérer
guérir les cancers. Cette grand-
messe mondiale se tient à
Chicago, capitale de l’Illinois qui
attire alors plus de
40 000 médecins, chercheurs et
laboratoires accourus du monde
entier pour y apprendre ce qui
permettra ensuite de modifier
parfois leurs pratiques et la prise
en charge de leurs patients.
Pendant cinq jours, les
présentations d’études et d’essais
cliniques s’enchaînent dans un
foisonnement impressionnant :
4 883 communications sont ainsi
prévues cette année, parmi
lesquelles la France tient, en tête
des pays européens, une belle
place. Signe que la recherche
clinique n’y est pas si à la traîne
que ça ! « Le congrès étant
financé par les grands laboratoires
pharmaceutiques en cancérologie,
il est essentiellement orienté sur
les avancées thérapeutiques des
médicaments », rappelle la
présidente de l’Institut national du
cancer (INCa), Agnès Buzyn.
C.P
40 000
chercheurs
attendus
et de l’innovation à l’Institut national
du cancer (INCa). On se doutait de
longue date que le système immuni-
taire avait un rôle, laissant se déve-
lopper sans réagir une tumeur dans
nos corps. « Pendant des années, les
chercheurs ont travaillé sur le côté
positif : comment produire une ré-
UN GRAND changement arrive
dans le traitement des cancers. Il a
pour nom l’immunothérapie. Et ses
résultats sont prometteurs. Soigner
les cancers, les réduire, les contenir
par des trithérapies, comme on l’a
fait pour le VIH, n’a plus rien d’une
utopie. Directeur du service d’onco-
logie et de médecine de précision à
l’Institut Curie à Paris, Christophe
Letourneau y croit. Il n’est pas le
seul. Alors que s’ouvre aujourd’hui à
Chicago (Etats-Unis) le congrès an-
nuel de l’Asco, grand-messe mondia-
le des spécialistes du cancer, méde-
cins et chercheurs s’y précipitent
avec une « excitation scientifique »
sans précédent, face à ce qu’ils quali-
fient unanimement de « boulever-
sement ». Parmi les plus de
4 800 études qui doivent y être dé-
voilées, ressort en effet la promesse
d’un changement d’approche radical
d’une maladie que l’on a longtemps
soignée organe par organe.
A l’essai chez les patients
en phase très avancée
Les thérapies ciblées ont ouvert la
voie à ce changement. Mais la révo-
lution, à laquelle l’édition 2015 de ce
congrès ouvre la porte en grand, et
dont peuvent déjà bénéficier certains
malades pourtant atteints de tu-
meurs redoutables, « c’est la confir-
mation éclatante de la place centrale
de l’immunothérapie dans l’arsenal
thérapeutique », souligne le Pr
Fran-
çois Sigaux, directeur de la recherche
L’immunothérapie,la rSANTÉ. Les plus grands chercheurs, réunis à Chicago à partir d’aujourd’hui, croient
en un nouveau traitement. Il est fondé sur la réaction de notre système immunitaire.
Encore trop
de cas
nMême s’il y a encore trop de
cancers en France, la nouvelle,
un peu réjouissante, est qu’ils sont
en diminution. C’est surtout le cas
chez les hommes, avec une baisse
de 1,3 % entre 2005 et 2012, selon
les chiffres de l’Institut national du
cancer. Chez les femmes, en
revanche, ils sont en légère
augmentation de 0,2 %,
mais cela progresse moins vite
qu’il y a quelques années. Avec
355 000 nouveaux cas par an, tous
sexes confondus, le cancer reste
évidemment un défi majeur.
85 000 hommes en décèdent
chaque année et 63 000 femmes.
R.C.
ma part. Le principe de
l’immunothérapie,
c’est de comprendre
que la cellule maligne
n’est pas seule à
l’œuvre dans un can-
cer. Les cellules immu-
nitaires (les lymphocy-
tes), en principe capa-
bles de se défendre
contre un ennemi, se
retrouvent paralysées.
On a trouvé les molé-
cules en cause dans ce
« verrou » et on a développé des anti-
corps capables de déverrouiller les
lymphocytes pour qu’ils repartent à
l’attaque. Si bien qu’ils limitent effi-
cacement et durablement la progres-
sion de la tumeur.
On en est aux prémices
de ces traitements ?
Cela va aller très vite. On peut au-
jourd’hui l’envisager comme une
arme additionnelle contre le cancer.
Les Etats-Unis ont déjà autorisé
deux traitements depuis la fin 2014.
Chez nous, ils ne pouvaient être déli-
vrés que dans le cadre d’une autori-
sation temporaire d’utilisation
(ATU), système de mise à disposi-
tion anticipée que la France est la
seule à avoir inscrit dans sa loi. Mais
les autorités européennes vont pro-
chainement délivrer des autorisa-
tions de mise sur le marché pour
pouvoir traiter ainsi une forme de
cancer du poumon et le mélanome.
Propos recueillis par C.P.
POUR CE cancérologue,
qui travaille depuis tren-
te ans sur les traitements
innovants, les avancées
qui vont se confirmer au
congrès cette année sont
plus que prometteuses.
En quoi les avancées
dévoilées cette année
sont-elles si excitantes
pour les médecins,
et les malades ?
GILLES VASSAL. Ce
qui est totalement nou-
veau, c’est que l’immunothérapie
permet des traitements efficaces
contre des cancers très agressifs,
pour lesquels on ne disposait que de
peu de solutions. On a d’abord eu
des résultats importants pour les
mélanomes avancés, premier cancer
dans lequel cette approche a été ex-
périmentée. L’efficacité du concept
ainsi prouvée, on pouvait pressentir
que cela aurait peut-être un intérêt
également contre le cancer des
reins, de la vessie, certains cancers
du poumon, ce qui se confirme pour
ce dernier : personne n’aurait parié
là-dessus il y a dix ans ! Et Gustave-
Roussy va également présenter lors
de ce congrès les tout premiers ré-
sultats d’une étude de phase I, qui
montre des signaux intéressants
dans le cancer de l’ovaire.
Qu’y a-t-il de révolutionnaire
dans l’immunothérapie ?
On n’a jamais connu tel bouleverse-
ment, et ce n’est pas de l’emphase de
«Unvrai
bouleversement»
Professeur Gilles Vassal, directeur de la recherche
clinique à Gustave-Roussy
Globule blanc Cellule cancéreuse
1. Sans traitement
Lacellulecancéreuseprolifère:
larencontreentrelerécepteurduglobuleblanc(PD-1) etuneprotéinegénérée
parlacellulecancéreuse(PD-L1)bloquelesystèmeimmunitaire.
PD-1 PD-L1
Globule blanc Cellule cancéreuse
LathérapieempêchelelienentrePD-1etPD-L1:
leglobuleblancreconnaîtdenouveaulacellulecancéreuseetpeutlatuer.
Pourqu’unglobuleblanctueunecellulecancéreuse,ildoitreconnaîtreunantigène
(moléculesituéeàlasurfacedecettecellule)quidéclenchesaréponseimmunitaire.
PD-1 PD-L1
STOP
LP/Infographie-C.Têche.
Le cancer se
développe
Le cancer ne se
développe pas
LES SECRETS DE L’IMMUNOTHÉRAPIE
2.Avec traitement
(Chéron.)
Aujourd’hui en France
Vendredi 29 mai 2015
LE FAIT DU JOUR 03
révolutionanticancer
« JE NE DIS PAS que je suis sauvée,
mieux vaut parler de rémission. En-
core que, depuis quelques mois, j’y
crois, et je me projette ! » Annie sou-
rit. Des projets, cette Nantaise qui a
fêté ses 50 ans cette année, jouissant
d’une disparition extraordinaire du
mélanome qui gagnait dans tout son
corps, grâce à un traitement d’im-
munothérapie, en a en effet. Agran-
dir son cabinet d’esthétique, faire ve-
nir sa grande fille de Paris pour éten-
dre cette activité à deux… « En 2008,
je me disais tu n’es plus là dans qua-
tre mois », se souvient-elle. « J’allais
tous les ans faire un bilan chez le
dermato, ma mère étant morte d’un
mélanome métastatique, en 1997. En
quatre mois… A l’époque, il n’y avait
vraiment aucun traitement. »
Au bas du dos d’Annie, un grain de
beauté, « super petit ». Comme il la
gêne au contact des vêtements, le
médecin le retire, « lui-même n’était
pas inquiet ». Mais
quinze jours après, il
la rappelle : « C’est
un mélanome. » Le
diagnostic sonne
comme une senten-
ce. Dans un premier temps, les mé-
decins s’en tiennent à une nouvelle
excision, élargie, autour du grain de
beauté : « A 0,57 mm d’épaisseur, la
rechute était exceptionnelle. » Mais
un an plus tard, Annie sent un gan-
glion à l’aine, « du même côté, ça a
fait tilt ». Une intervention au CHU le
lui ôte, nettoie la chaîne ganglionnai-
re mais confirme : ce sont des métas-
tases. Annie bénéficie alors d’un pre-
mier traitement innovant qui doit
booster l’ensemble de son système
immunitaire : un cocktail entre un
médicament (de l’interleukine) et ses
propres lymphocytes (cellules im-
munitaires), prélevés puis réinjectés
« comme un vaccin ». A la troisième
injection, tout est arrêté : l’inconvé-
nient de stimuler tout l’organisme,
c’est que l’on risque la surréaction et
Annie déclenche un début d’œdème
de Quincke, manifestation allergique
la plus grave. En 2010, puis en 2011,
les contrôles au Petscan montrent de
nouveaux nodules : les métastases
ont migré sous les pectoraux, dans le
cou. « On m’a proposé une chimio
classique, comme pour ma mère.
Juste pour durer quatre mois de
plus, j’ai refusé net. »
Poussée par sa fille, l’aînée de ses
trois enfants, et son mari, Alain, de-
venu à force de recherches et lectu-
res expert de la maladie et des essais
cliniques prometteurs, Annie file,
son dossier médical sous le bras à
Gustave Roussy, pour deuxième avis.
Direction le service de dermatologie
du docteur Caroline Robert, à la
pointe de la recherche. C’est là,
qu’elle finit par entrer dans un proto-
cole pour un nouvel essai d’immu-
nothérapie, en
mars 2012. On lui in-
jecte un anticorps
(anti-PD-1) qui réac-
tive les lymphocytes
juste à l’endroit où
se trouvent les cellules cancéreuses.
« Il ne restait qu’une place dans cet
essai, et moi je n’en pouvais plus, les
métastases gagnaient le pancréas… »
En quatre injections de ce traite-
ment, qu’elle poursuivra tous les
quinze jours pendant deux ans, « les
tumeurs sous la peau ont régressé à
vue d’œil ». Au bout d’un an, les exa-
mens montrent une disparition tota-
le des tumeurs. Depuis mars 2013,
Annie est en rémission totale. Elle se
sait chanceuse : « Nous ne sommes
qu’un peu moins de 8 % en rémis-
sion totale. Mais ce traitement, qui
marche aussi très bien sur le lym-
phome, stabilise ou réduit les tu-
meurs chez 40 %. C’est énorme ! »
C. P
Lestumeursd’Annie
ontdisparu
« Les tumeurs sous la peau ont régressé à vue d’œil », raconte Annie, esthéticienne de 50 ans, qui, atteinte d’un mélanome,
a participé à un essai d’immunothérapie. (LP/Bertrand Bechard.)
APPARUES à la fin des années
1990, les thérapies ciblées ne sont
pas oubliées de la recherche. Loin
de là : près de 800 molécules sont
actuellement en développement
dans le monde. Et 5 à 10 % seule-
ment deviendront effectivement
des médicaments, mais tout de
même. La nouveauté dans ce do-
maine cette année, c’est que les étu-
des, qui seront diffusées lors de ce
congrès de l’Asco, montrent l’intérêt
d’en user de plus en plus tôt dans la
maladie, en combinaison entre elles
ou avec des chimiothérapies classi-
ques, analyse la présidente de
l’INCa, Agnès Buzyn.
Les thérapies ciblées, dont quinze
bénéficient déjà d’une autorisation
de mise sur le marché en Europe,
s’attaquent aux cellules cancéreuses
en ciblant spécifiquement un bio-
marqueur que l’on peut retrouver
aussi bien dans un cancer de la peau
que du poumon, un cancer du sein
que de l’estomac. Avantage : ces mo-
lécules sont moins nocives pour les
cellules saines autour. Le problème,
c’est de trouver la cible. La biologie
moléculaire qui séquence le gène de
la tumeur et y détecte les anomalies
est ainsi appelée à devenir in-
contournable, adossée aux services
de cancérologie. Le problème pour
l’instant, c’est que « dans 40 % des
cas on trouve une cible, mais cela en
laisse 60 % où l’on n’en trouve pas »,
indique le professeur Gilles Vassal,
de Gustave-Roussy, où se mène ac-
tuellement un essai clinique où l’on
propose aux patients d’analyser l’en-
semble de leurs différences molécu-
laires sur la biopsie de leur tumeur,
afin de leur proposer le traitement
ciblé correspondant.
Plus efficaces
« Quand une patiente a un cancer
du sein métastatique, on en est pres-
que à souhaiter que sa tumeur pré-
sente une mutation HER2, ce qui ne
se présente que dans 15 % des cas »,
confie Christophe Le Tourneau, on-
cologue à l’institut Curie. « L’effica-
cité de ces traitements est en effet
variable » explique le médecin qui
doit présenter les résultats de l’étu-
de, baptisée Shiva. Menée entre 2012
et 2014 auprès de 700 patients, at-
teints de cancers réfractaires aux
traitements habituels, elle visait à
tester l’intérêt de donner une théra-
pie ciblée non plus en fonction de
l’organe touché mais du profil molé-
culaire de la tumeur. Par tirage au
sort, la moitié a reçu une chimio
classique, l’autre une thérapie ci-
blée. Résultat : le groupe thérapie
ciblée manifeste des effets secondai-
res non négligeables, mais ce traite-
ment innovant est aussi bel et bien
plus efficace quand il cible précisé-
ment l’anomalie contre laquelle il a
été mis au point. C.P.
Lesthérapiescibléesprogressent
Les études montrent que les thérapies ciblées doivent être utilisées de plus en plus
tôt en combinaison entre elles ou avec des chimiothérapies classiques. (Phanie/Garo.)
« En 2008, je me disais
tu n’es plus là
dans quatre mois »
nAccélérer l’accès aux traitements
innovants du plus grand nombre
de malades en France. C’est un objectif
affiché haut et fort par l’Institut
national du cancer (INCa). Il ne s’agit
pas de proposer d’emblée tout l’arsenal
d’innovation à ceux pour qui un
combiné chirurgie-radiothérapie s’avère
efficace, mais à tous ceux qui sont
atteints de formes de cancers plus
graves, résistantes aux traitements
classiques. Lorsque les molécules n’ont
pas encore d’autorisation de mise sur le
marché — l’immunothérapie par
exemple, jusqu’ici délivrée dans le cadre
d’études cliniques —, la France a mis en
place le dispositif d’autorisation
temporaire d’utilisation. Sous
condition : le produit pharmaceutique
qui en bénéficie traite une maladie rare
ou grave, qui ne trouve aucun autre
traitement approprié. Côté thérapies
ciblées, l’Inca développe aussi l’accès
aux traitements innovants. D’abord en
élargissant l’accès aux analyses
destinées à traquer sur la tumeur
l’anomalie qui pourrait répondre à un
traitement ciblé. « 28 plates-formes de
génétique moléculaire labellisées font
ce genre d’analyse en routine pour le
cancer du poumon, cherchant à
identifier parmi une dizaine de
biomarqueurs trois gènes-cibles, confie
le professeur Gilles Vassal. La France
est la seule à l’avoir fait. Les Japonais
nous l’envient. » Pour les traitements,
le programme Acsé a été lancé en
juin 2013 afin de pouvoir proposer aux
patients, adultes et enfants, en échec
thérapeutique, des traitements ciblés.
C.P.
Quel accès et pour qui ?