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5.2 - La résistance civile
contre les dictatures
et “démocratures”
: Hong Kong, Algérie, Biélorussie
Étienne Godinot
28.02.2022
Série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’
Sous-série 4 - ‘Préparer une défense civile non-violente’
Diaporama n° 5
La résistance civile non-armée
contre les dictatures et "démocratures"
Sommaire
5.1 - Portugal (Caetano, 1974)
- Iran (1979)
- Uruguay (1983-1984)
- Haïti (Duvalier,1985-1986)
- Philippines (Marcos, 1986)
- Corée du Sud (Chun Doo-hwan, 1987)
- Ukraine ("Révolution orange", 2004)
- Tunisie (Ben Ali, 2010-2011)
5.2 - Hong Kong (2013-2014; 2019)
- Algérie (2019-2020)
- Biélorussie (Loukachenko, 2020)
Voir aussi la résistance au coup d’État militaire en Birmanie
dans le diaporama « Résistance civile aux coups d’État »
Rappel : ce diaporama fait partie de la sous-série
3 - ‘Préparer une défense civile non-violente’
qui fait elle-même partie de la série ‘Vers une politique de
sécurité et de paix au XXIème siècle’ sur irnc.org
8 - Résistance civile à Hong Kong,
2013-2015, 2019
Hong Kong, ex-colonie britannique de 7,4 millions d’habitants,
est - avec Macao, ex-colonie portugaise - une des deux ‘régions
administratives spéciales’ de la République populaire de Chine. C’est
aussi la 3ème place financière mondiale.
Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, Pékin tente
de renforcer son contrôle sur Hong Kong. En 2017, pour la première
fois dans l’histoire de Hong Kong, des élections doivent avoir lieu au
suffrage universel pour désigner le successeur de Leung Chun-ying à
la tête du gouvernement régional. Mais seulement 2 ou 3 candidats
approuvés par le régime chinois seront autorisés à se présenter
devant les électeurs.
En réaction à cette restriction anti-démocratique, le mouvement
de désobéissance civile Occupy Central, très informel, s’est constitué
autour d’une seule et unique revendication : des élections libres.
Photos : - Carte de Hong Kong (1 100 km²)
- Joshua Wong, fondateur du groupe Scholarism, et un des leader d’Occupy
Central
Sources : Presse, Internet, -Faim et Développement (CCFD Terre solidaire), janv.-.fév. 2015 :
“Les parapluies de Hong Kong”,
Article de presse, réunions, référendum
En janvier 2013, Benny Tai, universitaire et juriste, propose, dans
un article paru dans la presse, des formes d’action pacifique, mais
incluant la désobéissance civile.
Dans les mois qui suivent, 3 grands débats publics sont organisés
à l’initiative d’Occupy Central, en juin 2013, mars et mai 2014. Ils
rassemblent un large spectre de personnes et d’organisations
démocratiques et élaborent les modalités d’un scrutin démocratique.
Du 20 au 29 juin 2014, Occupy organise un référendum proposant
aux Hongkongais de se prononcer sur les modalités du scrutin
proposées à l’issue des 3 débats. 800 000 personnes (sur 3,7 millions
d’électeurs) y participent.
4 leaders d’Occupy, Joseph Zen, Chu
Yiu-ming, Chan Kin-man et Benny Tai.
Plus de détails sur chacun dans le
"Trombinoscope de la non-violence"
Voir Tai, 1964
Une énorme manifestation
Le 1er juillet 2014, date de commémoration de la
restitution de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 1997, une
manifestation est organisée comme chaque année par le
Front civil des droits de l'homme, mais avec l’appui d’Occupy.
500 000 manifestants défilent (photo du haut) pour réclamer
des élections libres.
Après la manifestation, la police arrête 511 personnes
qui occupaient le quartier des affaires (photo du bas).
En effet, les gros bonnets de la finance et de l’industrie, les
tycoons, sont favorables au pouvoir de Pékin pour faire
fructifier leur capital en Chine, et ne veulent pas une
évolution démocratique qui sanctionnerait les atteintes au
droit du travail et les inégalités sociales abyssales.
Lycéens et étudiants, syndicats
Initié par Occupy Central, le lancement du mouvement de
désobéissance civile était planifié pour le 1er octobre 2014. Mais,
quelques jours avant la date prévue, étudiants et lycéens (photo
du haut) se mettent en grève et tentent d’occuper les bâtiments
administratifs. La police riposte à coup de grenades lacrymogènes
et arrête plusieurs leaders étudiants.
Les Hongkongais, choqués, descendent par milliers dans la
rue pour soutenir les étudiants. La confédération des syndicats de
Hong Kong (Hong Kong Confederation of Trade Unions - HKCTU)
lance un mot d’ordre de grève.
Les parapluies utilisés fin septembre 2014 par les
manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes ont été
largement médiatisés par la presse internationale et les réseaux
sociaux (hashtag #umbrellarevolution) : c’est le "mouvement des
parapluies" (photo du bas).
Deux mois d’occupation de quartiers
Des campements d’occupation s’installent pendant plus de 2
mois dans divers quartiers : Admiralty, Wan Chaï, Mong Kok,
Causeway Bay, etc. , mais perturbent les activités commerciales :
des manifestations anti-Occupy plus ou moins spontanées éclatent,
avec des hommes de main des triades, la mafia chinoise, que l’on
dit téléguidés par la Chine…
Le mouvement n'obtient aucun résultat concret. L’opinion
publique, lassée par les embouteillages et les perturbations, ne le
soutient plus. Il est désormais partagé entre ceux qui veulent
radicaliser l'action et ceux qui voudraient changer de forme de lutte.
Fin novembre, les barricades élevées dans le quartier de
Mongkok, sur la presqu’île de Kowloon, sont dégagées manu
militari, entraînant des dizaines de blessés et plus de 160
arrestations.
La fin des occupations,
pas du mouvement…
Le 3 décembre 2014, les fondateurs d’Occupy appellent
à une fin des manifestations et à une participation au débat sur
les réformes politiques. Ils se rendent symboliquement à la
police et se constituent prisonniers pour « participation à une
réunion non autorisée ».
Une ordonnance d’évacuation rendue par la Haute Cour,
saisie par une compagnie de bus, est publiée par la presse le
9 décembre.
Le 15 décembre 2014, la police déloge en douceur les
derniers irréductibles du campement de Causeway Bay.
Une expérience utile pour l’avenir
« Hong Kong n’avait jamais rien connu de semblable.
Toutes proportions gardés, les Hongkongais viennent de vivre
leur Tien’anmen. Ils ont écrit une page d’histoire. Et à long terme,
ils ont expérimenté de nouvelles formes de socialisation. (…)
Les gens sont descendus dans la rue, ils se sont rencontrés, ont
débattu de sujets politiques.(…)
Des milliers de jeunes ont fait l’expérience inédite, grisante,
inoubliable, de la solidarité et de l’action collective, ils ont pris la
parole, bousculé les hiérarchies.(…)
La mobilisation reste porteuse d’espoir. »
Cai Chongguo, ancien de Tien’Anmen,
membre de l’équipe du China Labour Bulletin
Un mouvement à suivre…
Nul doute que la "révolution des parapluies" n’est pas finie.
Sous toutes les formes, les démocrates ont affiché We’ll be
back, « Nous reviendrons ! », It’s just the béginning, « ça ne fait
que commencer ! »
Pour preuve, une manifestation le 1er février 2015 réunit
10 000 démocrates. Mais le pouvoir pro-Pékin tente de
restreindre les libertés*.
* En 2015, cinq professionnels du livre, connus pour publier ou
commercialiser des ouvrages critiques envers Pékin, ne donnent plus
signe de vie du jour au lendemain. Ils réapparaissent quelques mois plus
tard, et restent très vagues sur ce qui leur est arrivé.
2019, résistance populaire à une "loi maléfique"
Lors de l'élection du directeur général en 2017, Carrie Lam (photo),
favorable au régime de Pékin, obtient 777 voix et devient nouvelle
directrice générale de la région administrative spéciale de Hong Kong.
En 2019, elle présente un projet de loi autorisant l’extradition en Chine
des opposants politiques.
Du fait que les droits humains ne sont pas respectés et que la
Justice est aux ordres du Parti Communiste, ce projet est massivement
rejeté, la loi est qualifiée de "maléfique" par Joshua Wong, un leader du
"mouvement des parapluies" de 2014.
Le 9 juin 2019, un million de personnes descendent dans la rue
contre ce projet. Le mercredi suivant, un nouveau rassemblement massif
est violemment réprimé par la police, qui utilise des balles en caoutchouc
pour disperser la foule. Avec 80 blessés, dont 22 policiers, il s'agit du
plus grave épisode de violence politique survenu sur la péninsule depuis
la rétrocession de 1997.
Le 16 juin 2019, 2 millions de personnes défilent
dans la rue. Carrie Lam annonce la « suspension » du
projet et présente ses excuses à la population.
9 - Combats pour la démocratie
en Algérie (2019-2021)
Le Hirak (en arabe, ’mouvement’) désigne une série de
manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 16 février 2019 en
Algérie pour protester dans un premier temps contre la candidature
d’Abdelaziz Bouteflika (photo du haut) à un 5ème mandat présidentiel.
D'une ampleur inédite depuis des décennies, ces manifestations,
qui ont essentiellement lieu les vendredis et mardis (pour les étudiants),
conduisent Bouteflika à démissionner le 2 avril 2019, après 20 ans de
règne, suite à la défection de l‘’Armée nationale populaire’, qui
s'opposait à son projet de se maintenir au pouvoir au-delà de son
mandat dans le cadre d'une transition et de réformes. Il est remplacé
par intérim par Abdelkader Bensalah.
• Par la suite, les protestataires réclament la mise en place
d'une Deuxième République, et le départ des dignitaires du régime,
notam-ment parce que ceux-ci organisent le prochain scrutin avec
les candi-datures de caciques du régime.
Photo du bas : manifestation du 22 février 2019 à Alger
Sources : Internet; presse; Hervé Ott, Hirak : prolonger le mouvement ?
Face à la répression
Malgré le départ de Bouteflika, la répression se poursuit contre
le mouvement démocratique. Ainsi, Brahim Laalami (photo 1), un des
pionniers du Hirak, a été incarcéré plusieurs fois, de même que Karim
Tabbou (photo 2), autre figure du Hirak, porte-parole de ‘l'Union
démocratique et sociale’ (UDS).
Ainsi, le journaliste Khaled Drareni (photo 3), fondateur de
Casbah Tribune, est arrêté et incarcéré par les autorités algériennes
en mars 2020 pour avoir couvert des manifestations du Hirak, puis
condamné à trois ans de prison ferme le 10 août 2020 pour
« incitation à attroupement non armé et atteinte à l'intégrité du
territoire national ».
Au 1er oct. 2020, le ‘Comité national pour la libération des
détenus’ (CNLD) recense 61 détenus d’opinion, certains incarcérés
depuis de longs mois, tel l’étudiant Walid Nekiche (photo 4), en
détention provisoire depuis novembre 2019.
Le 30 septembre et le 1er octobre 2020, ‘l’Union nationale de
l’ordre des avocats’ appelle à une grève générale de deux jours pour
exiger une justice indépendante et le respect des droits de la défense.
Quelques changements
à la tête de l’État…
Le 20 mai 2020, le général Ahmed Gaïd Salah (image du haut) , nouvel
homme fort du pays, rejette les principales demandes du Hirak : report de
la présidentielle convoquée le 4 juillet et départ des figures honnies du
« système » en place depuis l'indépendance en 1962.
Les Algériens continuent à manifester massivement et pacifiquement
tous les vendredis, en particulier à Alger.
Le 18 septembre, l'armée durcit le ton, indiquant qu'elle empêchera
désormais les manifestants des autres régions de se joindre aux cortèges
d'Alger. Des enquêtes pour corruption et népotisme sont lancées après la
démission de M. Bouteflika, conduisant à de multiples procès médiatisés.
Le 12 décembre, Abdelmadjid Tebboune (image du bas) , un ancien fidèle
de l'ancien président Bouteflika, remporte l'élection présidentielle, massi-
vement boycottée par l'opposition. Il invite le Hirak au dialogue mais les
protestataires le conspuent.
… qui n’apaisent pas le Hirak
Le 1er novembre 2020, le "Oui" l'emporte au référendum sur une
révision constitutionnelle – projet phare de M. Tebboune –, mais le
scrutin est sanctionné par le taux d'abstention le plus élevé de l'histoire
de l'Algérie.
Le 18, le président Tebboune fait un geste d'apaisement en
graciant des dizaines de détenus d'opinion et appelle à des élections
anticipées pour faire face à la crise politique. Il promet un
remaniement ministériel alors que des appels à manifester le 22 dans
toute l'Algérie circulent sur les réseaux sociaux.
Le 19 novembre, plus de 30 détenus d'opinion sont libérés,
dont Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison en septem-
bre 2019 et devenu le symbole du combat pour la liberté de la
presse en Algérie.
Une résistance populaire
Toute la population est impliquée : les femmes (par ex. le
‘Mouvement national de féministes algériennes’), les hommes,
les personnes âgées, les enfants, les jeunes (les chants qu’on
entend depuis plusieurs années dans les stades sont éminem-
ment politiques, les slogans aussi : « Pour la première fois, je
n’ai pas envie de quitter mon Algérie ») et particulièrement les
étudiants.
Toutes les catégories socio-professionnelles y participent :
quartiers populaires, couches moyennes, cadres, professions
libérales, dirigeants d’entreprises. « La force du mouvement tient
au fait qu’aucune classe n’avance de revendication socio-
économique ou catégorielle, écrit Madjid Zerroki. Il y a un objectif
commun, une détermination collective à rompre avec le
système. »
Ce qui unit la population, c’est le désir de trouver une
véritable indépendance face aux rouages du pouvoir, dénoncé
comme un "système" qui fonctionne en circuit fermé, contre le
peuple.
Une résistance non-violente
Ces manifestations sont pacifiques, et ont déjoué les
provocations, même si, ici ou là, au début, il y a eu de rares
réactions de violence : suite à des jets de pierres sur les forces de
l’ordre, les manifestants, après la 8ème marche pour la dignité et le
départ des « 3 B* » (photo du milieu) , ont présenté leurs excuses aux
CRS.
C’est une condition essentielle à leur ampleur et à leur durée
dans le temps. En créant de la sécurité, elles ont favorisé une
participation très importante, notamment de personnes qui n’ont
pas l’habitude de manifester : on n’envisage pas la violence avec
un bébé accroché dans le dos, lorsqu’on accompagne un grand-
père, voire des malades ou des handicapés. Il est impressionnant
de voir sur les photos le nombre de femmes mûres et âgées. Cette
diversité empêche les face-à-face exclusifs et à risques entre
jeunes garçons et policiers.
L’humour, trait caractéristique des manifestations non-
violentes, est évidemment présent (photo du bas).
* Abdelkader Bensalah (président du Sénat), Tayeb Belaiz (président du Conseil
constitutionnel) et Noureddine Bedoui (Premier ministre), trois hommes clés à qui la
Constitution confie les rênes de l'intérim.
La non-collaboration de chacun
La grève générale est un moyen de derniers recours, car elle
doit pouvoir durer très longtemps, et car elle doit absolument réussir. Il
est donc plus pertinent de mettre en œuvre progressivement des actions
de non-coopération et de désobéissance civile sur des objectifs ciblés,
précis, limités et symboliques, susceptibles d’impliquer de plus en plus
de monde. Au début, le pouvoir feint de les ignorer. Quand il réagit par la
répression, il les amplifie.
Ces actions
- sont menées par toutes les catégories de la population, depuis les
enfants jusqu’aux personnes âgées,
- sont en prise avec la vie quotidienne, et recyclent une partie des flux
financiers en dehors des circuits officiels (impôts, banques, etc.),
- génèrent de la solidarité, sortent les gens des attitudes de passivité où
l’on attend tout de l’État, ../..
Photos du bas : La chanteuse Amel Zen. “Djamila, ya Djamila, ne t’inquiète pas, tes enfants ne se
tairont pas, Djamila, y’a Djamila, un jour viendra où ils te libéreront...”
Une lutte inscrite dans la durée
- sont une école de démocratie locale, car les décisions sont
prises par les personnes concernées,
- sont décentralisées, pour limiter le risque d’une cessation
par l’arrestation des leaders en vue.
Jusqu’à présent, le Hirak est dans cette pratique-là.
Le 22 février 2021, des dizaines de milliers d’Algériens
manifestent dans les rues de la capitale, deux ans jour pour
jour après la première marche algéroise du 22 février 2019.
En province, des marches ont lieu aussi, notamment à
Annaba, Oran, Béjaïa, Sétif, Bouira, Mostaganem et
Constantine.
« Mais ce que je déplorais, depuis le début, me
préoccupe toujours : le hirak n’arrive toujours pas à
proposer des représentants. Le mouvement massif et
intarissable n’est pas incarné. Cette absence physique
laisse une marge de manoeuvre au régime qui dispose des
outils de sa longévité. » À suivre…
Photo du bas : Mohammed Moulessehoul, alias l’écrivain Yasmina Khadra
10 - Résistance non-violente
en Biélorussie (2020-2021)
Alexandre Loukachenko, élu chef de l’État de la Biélorussie en
1994, est souvent qualifié, en Occident, de « dernier dictateur d'Europe »
en référence à la restriction continuelle des libertés publiques dans son
pays et au coup de force de 1996 ayant installé un régime autoritaire.
Après 26 ans à la tête de la Biélorussie, il est réélu président au
cours d’un scrutin frauduleux, le 9 août 2020, avec 80,23 % des voix face
à Svetlana Tsikhanovskaïa, qui n’aurait remporté que 9,9 % des suf-
frages.
Face à la contestation de la population, Loukachenko s'entretient le
15 août 2020 avec le président russe, Vladimir Poutine. Celui-ci lui
promet une aide sécuritaire pour « préserver la sécurité de la nation
biélorusse ». Le 23 septembre, Loukachenko prête serment pour un
sixième mandat lors d'une cérémonie tenue secrète.
Le lendemain, l'Union européenne refuse de le reconnaître comme
chef d'État légitime du pays. Le chef de la diplomatie européenne déclare
qu'il y a un « manque de légitimité démocratique », et que l'élection du 9
août n'était « ni libre ni équitable ».
Photos : Haut : Alexandre Loukachenko.
Bas : Svetlana Tsikhanovskaïa
Sources ; Internet, presse, Pauline Boyer, La force de la non-violence du mouvement biélorusse
pour la chute du dernier dictateur d’Europe, 3 mars 2021, Médiapart et revue ANV
Une contestation populaire
et non-violente
Svetlana Tikhanovskaïa, candidate de l’opposition
« par amour » pour son mari, blogueur emprisonné, mène la
résistance depuis Vilnius, capitale de la Lituanie, où elle s’est
réfugiée avec ses enfants.
Depuis le 9 août 2020, la contestation massive, populaire
et non-violente n’a pas cessé…Tous les dimanches, les cito-
yen·ne·s biélorusses descendent dans les rues de Minsk et de
toutes les grandes villes du pays pour contester ces résultats et
réclamer la proclamation de la victoire de Svetlana.
La répression
L’autocrate réplique en orchestrant une répression féroce de
toutes formes d'oppositions au régime. En six mois, plus de 30 000
personnes sont détenues, plusieurs sont mortes, des centaines sont
torturées, blessées et des dizaines de milliers contraintes de quitter
le pays.
Le régime veille à la désinformation générale de la population
et les campagnes reculées se font bercer par la propagande. Louka-
chenko tente de diviser la population en discréditant les manifes-
tants. Il prétend que ceux et celles qui défilent dans la rue représen-
tent seulement 10% de la population et sont tous alcooliques ou
toxicomanes.
Le régime mise sur l’extinction du mouvement par l’intimida-
tion de la population en instaurant un climat de terreur. Les forces
spéciales anti-émeute, les "OMON" (photo du haut), sont redoutables.
Cette répression ne réussit pas à entamer la détermination
d’un peuple qui tire sa force de sa lutte organisée selon une stratégie
non-violente.
Photo du bas : Sergueï Tikhanovski, YouTubeur, blogueur vidéo, dissident politique
biélorusse, époux de Svetlana Tikhanovskaïa, incarcéré plusieurs fois en raison de son
combat pour la démocratie.
Les femmes
en première ligne
Svetlana Tikhanovskaïa avait fait alliance avec Veronika
Tsepkalo, femme de Valeri Tsepkalo, opposant en exil, et Maria
Kolesnikova, directrice de campagne de Viktor Babaryko, un
autre aspirant candidat placé derrière les barreaux.*
Les femmes se révèlent être le fer de lance de la contes-
tation. Chaque samedi, à Minsk, elles organisent une "marche
des femmes" sans craindre les arrestations pourtant massives.
Vêtues de blanc et portant des fleurs à la main qu’elles offrent
aux policiers, elles forment des chaînes humaines et réclament
inlassablement la libération des personnes emprisonnées.
Tous les samedis a lieu la marche des femmes.
* Depuis l’élection, Svetlana Tikhanovskaïa a dû fuir en Lituanie
pour éviter la prison et rejoindre ses enfants qu’elle avait mis à l’abri.
Veronika Tsepkalo a fui en Pologne et Maria Kolesnikova, ayant refusé de
quitter le pays, y est emprisonnée.
La résistance
Plus l'État attaque des membres de la société civile, plus la mobilisation et la
cohésion entre les citoyens se renforcent. En septembre 2020, des joueurs du club de
foot sont tabassés par la police. Au match suivant, les tribunes sont pleines à craquer
de supporters.
Des fleurs sont amenées à des sauveteurs qui avaient secouru en bateau des
manifestants tombés dans le fleuve pour échapper au mouvement de foule provoqué
par l'attaque des forces anti-émeutes.
Des files d’attente interminables se forment devant tel café qui avait ouvert ses
portes pour protéger les manifestants, ou devant la boutique d’un fleuriste de Minsk
venant d’être interpellé, pour acheter le café et les fleurs de la solidarité.
Suite à l’arrestation brutale et arbitraire de photographes, puis à leur condam-
nation à plusieurs jours de prison, les journaux paraissent le 17 septembre 2020 avec
des articles noir et blanc, illustrés d’un appareil photo barré sous lequel on peut lire
« Ici aurait pu être une photo. »
.
Grève
Malgré les menaces de licenciement ou les
menaces à l’encontre de leur famille, les ouvriers des
mines de potasse multiplient les mouvements de grève.
Lors de son déplacement à l’usine de tracteurs
MTZ de Minsk, Loukachenko se fait huer, à sa grande
surprise, par les ouvriers qui lui disent « Va-t-en ! »
La chaîne de télévision principale biélorusse, “Belarus 1”
fait grève le 17 août 2020.
Le 26 octobre 2020, une grève générale est déclarée. Les
grandes entreprises et principales usines du pays y participent.
Non-coopération massive
Dans un pays où le théâtre est vecteur essentiel de culture, les
directeurs artistiques et le personnel du théâtre national académique Inaka
Kupala (photo du haut) sont renvoyés ou finissent par démissionner pour ne
plus coopérer avec le régime, après avoir écrit une lettre ouverte.
Des applications permettant d’identifier les magasins et les produits
dont les bénéfices vont au régime voient le jour. Les Biélorusses peuvent
donc faire leurs courses sans coopérer indirectement avec le dictateur
encore en place.
Un "livre des crimes" est ouvert sur une plate-forme Internet pour
documenter l’ensemble des violations des droits humains et les preuves
de falsification du scrutin présidentiel.
Andreï Ostapovich (photo du bas), ex-haut fonctionnaire spécialisé dans
les affaires criminelles auprès du comité d’enquête de Minsk, directement
placé sous l’autorité du président, s'exile en Pologne après avoir dénoncé
dans un long rapport envoyé à sa hiérarchie les violences commises par
les policiers sur les Biélorusses pacifiques : « Je ne resterai pas silen-
cieux. Je ne participerai pas à la dissimulation de crimes et n’exécuterai
pas des ordres criminels ».
Drapeau de la résistance,
flashs mobs, deuil
La population regorge d'idées pour envahir l’espace
public des couleurs de la révolution et continuer à manifester.
Une robe de mariée relookée, des fanions lestés semés le
long d’un footing, des sapins de Noël clignotant aux couleurs
de la résistance...
L’affirmation du choix électoral s’affiche jusqu’au bout
des ongles, avec la manucure tendance blanc, rouge, blanc.
De nouvelles actions sont imaginées constamment, souvent
entre voisins de quartier, renforçant la cohésion au sein du mouvement.
Des actions joyeuses comme des flashs mobs dans des centres
commerciaux, des gares et d’autres lieux publics, où des personnes qui
n’étaient apparemment pas ensemble entonnent soudain l’hymne
national.
D’autres actions prennent des tonalités plus graves comme
celles menées pour célébrer Roman Bondarenko (photo du bas), un jeune
artiste peintre tué le 13 novembre 2020 après avoir été violemment pris
à partie dans son quartier par des défenseurs du régime.
La solidarité
Pour tenir dans le temps, un système d’entraide s’est constitué sous la forme de
cagnottes. L’une d’elles, baptisée Bysol, cherche à soutenir financièrement et
moralement les employés du service public, dont d’anciens policiers, ayant quitté leur
emploi, pour payer leurs amendes et leurs frais
d’avocat. D’autres caisses de grève circulent
et sont alimentées par des soutiens à l’étranger,
avec une mobilisation énorme de la diaspora
biélorusse.
Le mouvement s’organise notamment par quartiers, largement
grâce à des applications de messagerie cryptée comme Telegram.
Des centaines de tchats, accessibles uniquement sur invitation pour
des raisons de sécurité, sont créés afin de rassembler les
communautés et organiser les actions de désobéissance civile.
Compte tenu du nombre de leaders en prison ou exilés, les
gens sont obligés de s’organiser en réseaux. Le mouvement conti-
nue, porté massivement par la population.
Le soutien international
Après le résultat des élections, la présidente de la
Commission européenne, Ursula von der Leyen, demande un
décompte exact des voix et déclare que « le harcèlement et la
répression violente des manifestants pacifiques n’ont pas leur
place en Europe »
Le 26 septembre, le président de la République française,
Emmanuel Macron, déclare qu'il est « clair que Loukachenko doit
partir et quitter le pouvoir ». Il salue également « le courage des
manifestants qui se battent depuis des semaines pour faire vivre
une véritable démocratie ».
Le mouvement de contestation peut compter dès le début
sur les pays voisins, comme la Pologne et la Lituanie. Historique-
ment liée à la Biélorussie, la Lituanie ouvre grand ses portes, déli-
vre des visas aux opposants et reconnaît Svetlana Tikanovskaïa
comme unique chef d'État de Biélorussie.
La construction de ‘l’après’
Depuis six mois, une nation est en train de naître, sous le drapeau
blanc rouge blanc. Elle émerge lentement mais inexorablement de
l’ingéniosité de la lutte non-violente d’un mouvement populaire, dont la
ténacité face à la férocité de la répression force l’admiration et forge sa
légitimité aux yeux du monde.
« La nouvelle Biélorussie » prend forme dans tous les espaces
créés pour organiser la lutte, dans les assemblées de quartier, devant les
commissariats, dans les prisons. La construction de « l’après » est une
partie essentielle de la lutte.
Avec 20 % des Biélorusses impliqués dans le mouvement de
contestation, le souffle du changement nourrit la population. La chute du
dernier dictateur d’Europe paraît n’être qu’une question de temps.
Les tentatives de démonstration de force mises en scène par
Alexandre Loukachenko, comme sa descente d’un avion une Kalachnikov
à la main (photo du bas), le tournent en ridicule.
Les trois femmes les plus célèbres de Biélorussie, Svetlana
Tikhanovskaïa, Maria Kolesnikova et Veronika Tsepkalo, viennent d’être
nominées pour le prix Nobel de la paix 2021.
■

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Préparer la défense civile non-violente. — 05-2. La résistance civile contre les dictatures et les « démocratures » (2013-2020)

  • 1. 5.2 - La résistance civile contre les dictatures et “démocratures” : Hong Kong, Algérie, Biélorussie Étienne Godinot 28.02.2022 Série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’ Sous-série 4 - ‘Préparer une défense civile non-violente’ Diaporama n° 5
  • 2. La résistance civile non-armée contre les dictatures et "démocratures" Sommaire 5.1 - Portugal (Caetano, 1974) - Iran (1979) - Uruguay (1983-1984) - Haïti (Duvalier,1985-1986) - Philippines (Marcos, 1986) - Corée du Sud (Chun Doo-hwan, 1987) - Ukraine ("Révolution orange", 2004) - Tunisie (Ben Ali, 2010-2011) 5.2 - Hong Kong (2013-2014; 2019) - Algérie (2019-2020) - Biélorussie (Loukachenko, 2020) Voir aussi la résistance au coup d’État militaire en Birmanie dans le diaporama « Résistance civile aux coups d’État » Rappel : ce diaporama fait partie de la sous-série 3 - ‘Préparer une défense civile non-violente’ qui fait elle-même partie de la série ‘Vers une politique de sécurité et de paix au XXIème siècle’ sur irnc.org
  • 3. 8 - Résistance civile à Hong Kong, 2013-2015, 2019 Hong Kong, ex-colonie britannique de 7,4 millions d’habitants, est - avec Macao, ex-colonie portugaise - une des deux ‘régions administratives spéciales’ de la République populaire de Chine. C’est aussi la 3ème place financière mondiale. Depuis l'arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012, Pékin tente de renforcer son contrôle sur Hong Kong. En 2017, pour la première fois dans l’histoire de Hong Kong, des élections doivent avoir lieu au suffrage universel pour désigner le successeur de Leung Chun-ying à la tête du gouvernement régional. Mais seulement 2 ou 3 candidats approuvés par le régime chinois seront autorisés à se présenter devant les électeurs. En réaction à cette restriction anti-démocratique, le mouvement de désobéissance civile Occupy Central, très informel, s’est constitué autour d’une seule et unique revendication : des élections libres. Photos : - Carte de Hong Kong (1 100 km²) - Joshua Wong, fondateur du groupe Scholarism, et un des leader d’Occupy Central Sources : Presse, Internet, -Faim et Développement (CCFD Terre solidaire), janv.-.fév. 2015 : “Les parapluies de Hong Kong”,
  • 4. Article de presse, réunions, référendum En janvier 2013, Benny Tai, universitaire et juriste, propose, dans un article paru dans la presse, des formes d’action pacifique, mais incluant la désobéissance civile. Dans les mois qui suivent, 3 grands débats publics sont organisés à l’initiative d’Occupy Central, en juin 2013, mars et mai 2014. Ils rassemblent un large spectre de personnes et d’organisations démocratiques et élaborent les modalités d’un scrutin démocratique. Du 20 au 29 juin 2014, Occupy organise un référendum proposant aux Hongkongais de se prononcer sur les modalités du scrutin proposées à l’issue des 3 débats. 800 000 personnes (sur 3,7 millions d’électeurs) y participent. 4 leaders d’Occupy, Joseph Zen, Chu Yiu-ming, Chan Kin-man et Benny Tai. Plus de détails sur chacun dans le "Trombinoscope de la non-violence" Voir Tai, 1964
  • 5. Une énorme manifestation Le 1er juillet 2014, date de commémoration de la restitution de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 1997, une manifestation est organisée comme chaque année par le Front civil des droits de l'homme, mais avec l’appui d’Occupy. 500 000 manifestants défilent (photo du haut) pour réclamer des élections libres. Après la manifestation, la police arrête 511 personnes qui occupaient le quartier des affaires (photo du bas). En effet, les gros bonnets de la finance et de l’industrie, les tycoons, sont favorables au pouvoir de Pékin pour faire fructifier leur capital en Chine, et ne veulent pas une évolution démocratique qui sanctionnerait les atteintes au droit du travail et les inégalités sociales abyssales.
  • 6. Lycéens et étudiants, syndicats Initié par Occupy Central, le lancement du mouvement de désobéissance civile était planifié pour le 1er octobre 2014. Mais, quelques jours avant la date prévue, étudiants et lycéens (photo du haut) se mettent en grève et tentent d’occuper les bâtiments administratifs. La police riposte à coup de grenades lacrymogènes et arrête plusieurs leaders étudiants. Les Hongkongais, choqués, descendent par milliers dans la rue pour soutenir les étudiants. La confédération des syndicats de Hong Kong (Hong Kong Confederation of Trade Unions - HKCTU) lance un mot d’ordre de grève. Les parapluies utilisés fin septembre 2014 par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes ont été largement médiatisés par la presse internationale et les réseaux sociaux (hashtag #umbrellarevolution) : c’est le "mouvement des parapluies" (photo du bas).
  • 7. Deux mois d’occupation de quartiers Des campements d’occupation s’installent pendant plus de 2 mois dans divers quartiers : Admiralty, Wan Chaï, Mong Kok, Causeway Bay, etc. , mais perturbent les activités commerciales : des manifestations anti-Occupy plus ou moins spontanées éclatent, avec des hommes de main des triades, la mafia chinoise, que l’on dit téléguidés par la Chine… Le mouvement n'obtient aucun résultat concret. L’opinion publique, lassée par les embouteillages et les perturbations, ne le soutient plus. Il est désormais partagé entre ceux qui veulent radicaliser l'action et ceux qui voudraient changer de forme de lutte. Fin novembre, les barricades élevées dans le quartier de Mongkok, sur la presqu’île de Kowloon, sont dégagées manu militari, entraînant des dizaines de blessés et plus de 160 arrestations.
  • 8. La fin des occupations, pas du mouvement… Le 3 décembre 2014, les fondateurs d’Occupy appellent à une fin des manifestations et à une participation au débat sur les réformes politiques. Ils se rendent symboliquement à la police et se constituent prisonniers pour « participation à une réunion non autorisée ». Une ordonnance d’évacuation rendue par la Haute Cour, saisie par une compagnie de bus, est publiée par la presse le 9 décembre. Le 15 décembre 2014, la police déloge en douceur les derniers irréductibles du campement de Causeway Bay.
  • 9. Une expérience utile pour l’avenir « Hong Kong n’avait jamais rien connu de semblable. Toutes proportions gardés, les Hongkongais viennent de vivre leur Tien’anmen. Ils ont écrit une page d’histoire. Et à long terme, ils ont expérimenté de nouvelles formes de socialisation. (…) Les gens sont descendus dans la rue, ils se sont rencontrés, ont débattu de sujets politiques.(…) Des milliers de jeunes ont fait l’expérience inédite, grisante, inoubliable, de la solidarité et de l’action collective, ils ont pris la parole, bousculé les hiérarchies.(…) La mobilisation reste porteuse d’espoir. » Cai Chongguo, ancien de Tien’Anmen, membre de l’équipe du China Labour Bulletin
  • 10. Un mouvement à suivre… Nul doute que la "révolution des parapluies" n’est pas finie. Sous toutes les formes, les démocrates ont affiché We’ll be back, « Nous reviendrons ! », It’s just the béginning, « ça ne fait que commencer ! » Pour preuve, une manifestation le 1er février 2015 réunit 10 000 démocrates. Mais le pouvoir pro-Pékin tente de restreindre les libertés*. * En 2015, cinq professionnels du livre, connus pour publier ou commercialiser des ouvrages critiques envers Pékin, ne donnent plus signe de vie du jour au lendemain. Ils réapparaissent quelques mois plus tard, et restent très vagues sur ce qui leur est arrivé.
  • 11. 2019, résistance populaire à une "loi maléfique" Lors de l'élection du directeur général en 2017, Carrie Lam (photo), favorable au régime de Pékin, obtient 777 voix et devient nouvelle directrice générale de la région administrative spéciale de Hong Kong. En 2019, elle présente un projet de loi autorisant l’extradition en Chine des opposants politiques. Du fait que les droits humains ne sont pas respectés et que la Justice est aux ordres du Parti Communiste, ce projet est massivement rejeté, la loi est qualifiée de "maléfique" par Joshua Wong, un leader du "mouvement des parapluies" de 2014. Le 9 juin 2019, un million de personnes descendent dans la rue contre ce projet. Le mercredi suivant, un nouveau rassemblement massif est violemment réprimé par la police, qui utilise des balles en caoutchouc pour disperser la foule. Avec 80 blessés, dont 22 policiers, il s'agit du plus grave épisode de violence politique survenu sur la péninsule depuis la rétrocession de 1997. Le 16 juin 2019, 2 millions de personnes défilent dans la rue. Carrie Lam annonce la « suspension » du projet et présente ses excuses à la population.
  • 12. 9 - Combats pour la démocratie en Algérie (2019-2021) Le Hirak (en arabe, ’mouvement’) désigne une série de manifestations sporadiques qui ont lieu depuis le 16 février 2019 en Algérie pour protester dans un premier temps contre la candidature d’Abdelaziz Bouteflika (photo du haut) à un 5ème mandat présidentiel. D'une ampleur inédite depuis des décennies, ces manifestations, qui ont essentiellement lieu les vendredis et mardis (pour les étudiants), conduisent Bouteflika à démissionner le 2 avril 2019, après 20 ans de règne, suite à la défection de l‘’Armée nationale populaire’, qui s'opposait à son projet de se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat dans le cadre d'une transition et de réformes. Il est remplacé par intérim par Abdelkader Bensalah. • Par la suite, les protestataires réclament la mise en place d'une Deuxième République, et le départ des dignitaires du régime, notam-ment parce que ceux-ci organisent le prochain scrutin avec les candi-datures de caciques du régime. Photo du bas : manifestation du 22 février 2019 à Alger Sources : Internet; presse; Hervé Ott, Hirak : prolonger le mouvement ?
  • 13. Face à la répression Malgré le départ de Bouteflika, la répression se poursuit contre le mouvement démocratique. Ainsi, Brahim Laalami (photo 1), un des pionniers du Hirak, a été incarcéré plusieurs fois, de même que Karim Tabbou (photo 2), autre figure du Hirak, porte-parole de ‘l'Union démocratique et sociale’ (UDS). Ainsi, le journaliste Khaled Drareni (photo 3), fondateur de Casbah Tribune, est arrêté et incarcéré par les autorités algériennes en mars 2020 pour avoir couvert des manifestations du Hirak, puis condamné à trois ans de prison ferme le 10 août 2020 pour « incitation à attroupement non armé et atteinte à l'intégrité du territoire national ». Au 1er oct. 2020, le ‘Comité national pour la libération des détenus’ (CNLD) recense 61 détenus d’opinion, certains incarcérés depuis de longs mois, tel l’étudiant Walid Nekiche (photo 4), en détention provisoire depuis novembre 2019. Le 30 septembre et le 1er octobre 2020, ‘l’Union nationale de l’ordre des avocats’ appelle à une grève générale de deux jours pour exiger une justice indépendante et le respect des droits de la défense.
  • 14. Quelques changements à la tête de l’État… Le 20 mai 2020, le général Ahmed Gaïd Salah (image du haut) , nouvel homme fort du pays, rejette les principales demandes du Hirak : report de la présidentielle convoquée le 4 juillet et départ des figures honnies du « système » en place depuis l'indépendance en 1962. Les Algériens continuent à manifester massivement et pacifiquement tous les vendredis, en particulier à Alger. Le 18 septembre, l'armée durcit le ton, indiquant qu'elle empêchera désormais les manifestants des autres régions de se joindre aux cortèges d'Alger. Des enquêtes pour corruption et népotisme sont lancées après la démission de M. Bouteflika, conduisant à de multiples procès médiatisés. Le 12 décembre, Abdelmadjid Tebboune (image du bas) , un ancien fidèle de l'ancien président Bouteflika, remporte l'élection présidentielle, massi- vement boycottée par l'opposition. Il invite le Hirak au dialogue mais les protestataires le conspuent.
  • 15. … qui n’apaisent pas le Hirak Le 1er novembre 2020, le "Oui" l'emporte au référendum sur une révision constitutionnelle – projet phare de M. Tebboune –, mais le scrutin est sanctionné par le taux d'abstention le plus élevé de l'histoire de l'Algérie. Le 18, le président Tebboune fait un geste d'apaisement en graciant des dizaines de détenus d'opinion et appelle à des élections anticipées pour faire face à la crise politique. Il promet un remaniement ministériel alors que des appels à manifester le 22 dans toute l'Algérie circulent sur les réseaux sociaux. Le 19 novembre, plus de 30 détenus d'opinion sont libérés, dont Khaled Drareni, condamné à deux ans de prison en septem- bre 2019 et devenu le symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie.
  • 16. Une résistance populaire Toute la population est impliquée : les femmes (par ex. le ‘Mouvement national de féministes algériennes’), les hommes, les personnes âgées, les enfants, les jeunes (les chants qu’on entend depuis plusieurs années dans les stades sont éminem- ment politiques, les slogans aussi : « Pour la première fois, je n’ai pas envie de quitter mon Algérie ») et particulièrement les étudiants. Toutes les catégories socio-professionnelles y participent : quartiers populaires, couches moyennes, cadres, professions libérales, dirigeants d’entreprises. « La force du mouvement tient au fait qu’aucune classe n’avance de revendication socio- économique ou catégorielle, écrit Madjid Zerroki. Il y a un objectif commun, une détermination collective à rompre avec le système. » Ce qui unit la population, c’est le désir de trouver une véritable indépendance face aux rouages du pouvoir, dénoncé comme un "système" qui fonctionne en circuit fermé, contre le peuple.
  • 17. Une résistance non-violente Ces manifestations sont pacifiques, et ont déjoué les provocations, même si, ici ou là, au début, il y a eu de rares réactions de violence : suite à des jets de pierres sur les forces de l’ordre, les manifestants, après la 8ème marche pour la dignité et le départ des « 3 B* » (photo du milieu) , ont présenté leurs excuses aux CRS. C’est une condition essentielle à leur ampleur et à leur durée dans le temps. En créant de la sécurité, elles ont favorisé une participation très importante, notamment de personnes qui n’ont pas l’habitude de manifester : on n’envisage pas la violence avec un bébé accroché dans le dos, lorsqu’on accompagne un grand- père, voire des malades ou des handicapés. Il est impressionnant de voir sur les photos le nombre de femmes mûres et âgées. Cette diversité empêche les face-à-face exclusifs et à risques entre jeunes garçons et policiers. L’humour, trait caractéristique des manifestations non- violentes, est évidemment présent (photo du bas). * Abdelkader Bensalah (président du Sénat), Tayeb Belaiz (président du Conseil constitutionnel) et Noureddine Bedoui (Premier ministre), trois hommes clés à qui la Constitution confie les rênes de l'intérim.
  • 18. La non-collaboration de chacun La grève générale est un moyen de derniers recours, car elle doit pouvoir durer très longtemps, et car elle doit absolument réussir. Il est donc plus pertinent de mettre en œuvre progressivement des actions de non-coopération et de désobéissance civile sur des objectifs ciblés, précis, limités et symboliques, susceptibles d’impliquer de plus en plus de monde. Au début, le pouvoir feint de les ignorer. Quand il réagit par la répression, il les amplifie. Ces actions - sont menées par toutes les catégories de la population, depuis les enfants jusqu’aux personnes âgées, - sont en prise avec la vie quotidienne, et recyclent une partie des flux financiers en dehors des circuits officiels (impôts, banques, etc.), - génèrent de la solidarité, sortent les gens des attitudes de passivité où l’on attend tout de l’État, ../.. Photos du bas : La chanteuse Amel Zen. “Djamila, ya Djamila, ne t’inquiète pas, tes enfants ne se tairont pas, Djamila, y’a Djamila, un jour viendra où ils te libéreront...”
  • 19. Une lutte inscrite dans la durée - sont une école de démocratie locale, car les décisions sont prises par les personnes concernées, - sont décentralisées, pour limiter le risque d’une cessation par l’arrestation des leaders en vue. Jusqu’à présent, le Hirak est dans cette pratique-là. Le 22 février 2021, des dizaines de milliers d’Algériens manifestent dans les rues de la capitale, deux ans jour pour jour après la première marche algéroise du 22 février 2019. En province, des marches ont lieu aussi, notamment à Annaba, Oran, Béjaïa, Sétif, Bouira, Mostaganem et Constantine. « Mais ce que je déplorais, depuis le début, me préoccupe toujours : le hirak n’arrive toujours pas à proposer des représentants. Le mouvement massif et intarissable n’est pas incarné. Cette absence physique laisse une marge de manoeuvre au régime qui dispose des outils de sa longévité. » À suivre… Photo du bas : Mohammed Moulessehoul, alias l’écrivain Yasmina Khadra
  • 20. 10 - Résistance non-violente en Biélorussie (2020-2021) Alexandre Loukachenko, élu chef de l’État de la Biélorussie en 1994, est souvent qualifié, en Occident, de « dernier dictateur d'Europe » en référence à la restriction continuelle des libertés publiques dans son pays et au coup de force de 1996 ayant installé un régime autoritaire. Après 26 ans à la tête de la Biélorussie, il est réélu président au cours d’un scrutin frauduleux, le 9 août 2020, avec 80,23 % des voix face à Svetlana Tsikhanovskaïa, qui n’aurait remporté que 9,9 % des suf- frages. Face à la contestation de la population, Loukachenko s'entretient le 15 août 2020 avec le président russe, Vladimir Poutine. Celui-ci lui promet une aide sécuritaire pour « préserver la sécurité de la nation biélorusse ». Le 23 septembre, Loukachenko prête serment pour un sixième mandat lors d'une cérémonie tenue secrète. Le lendemain, l'Union européenne refuse de le reconnaître comme chef d'État légitime du pays. Le chef de la diplomatie européenne déclare qu'il y a un « manque de légitimité démocratique », et que l'élection du 9 août n'était « ni libre ni équitable ». Photos : Haut : Alexandre Loukachenko. Bas : Svetlana Tsikhanovskaïa Sources ; Internet, presse, Pauline Boyer, La force de la non-violence du mouvement biélorusse pour la chute du dernier dictateur d’Europe, 3 mars 2021, Médiapart et revue ANV
  • 21. Une contestation populaire et non-violente Svetlana Tikhanovskaïa, candidate de l’opposition « par amour » pour son mari, blogueur emprisonné, mène la résistance depuis Vilnius, capitale de la Lituanie, où elle s’est réfugiée avec ses enfants. Depuis le 9 août 2020, la contestation massive, populaire et non-violente n’a pas cessé…Tous les dimanches, les cito- yen·ne·s biélorusses descendent dans les rues de Minsk et de toutes les grandes villes du pays pour contester ces résultats et réclamer la proclamation de la victoire de Svetlana.
  • 22. La répression L’autocrate réplique en orchestrant une répression féroce de toutes formes d'oppositions au régime. En six mois, plus de 30 000 personnes sont détenues, plusieurs sont mortes, des centaines sont torturées, blessées et des dizaines de milliers contraintes de quitter le pays. Le régime veille à la désinformation générale de la population et les campagnes reculées se font bercer par la propagande. Louka- chenko tente de diviser la population en discréditant les manifes- tants. Il prétend que ceux et celles qui défilent dans la rue représen- tent seulement 10% de la population et sont tous alcooliques ou toxicomanes. Le régime mise sur l’extinction du mouvement par l’intimida- tion de la population en instaurant un climat de terreur. Les forces spéciales anti-émeute, les "OMON" (photo du haut), sont redoutables. Cette répression ne réussit pas à entamer la détermination d’un peuple qui tire sa force de sa lutte organisée selon une stratégie non-violente. Photo du bas : Sergueï Tikhanovski, YouTubeur, blogueur vidéo, dissident politique biélorusse, époux de Svetlana Tikhanovskaïa, incarcéré plusieurs fois en raison de son combat pour la démocratie.
  • 23. Les femmes en première ligne Svetlana Tikhanovskaïa avait fait alliance avec Veronika Tsepkalo, femme de Valeri Tsepkalo, opposant en exil, et Maria Kolesnikova, directrice de campagne de Viktor Babaryko, un autre aspirant candidat placé derrière les barreaux.* Les femmes se révèlent être le fer de lance de la contes- tation. Chaque samedi, à Minsk, elles organisent une "marche des femmes" sans craindre les arrestations pourtant massives. Vêtues de blanc et portant des fleurs à la main qu’elles offrent aux policiers, elles forment des chaînes humaines et réclament inlassablement la libération des personnes emprisonnées. Tous les samedis a lieu la marche des femmes. * Depuis l’élection, Svetlana Tikhanovskaïa a dû fuir en Lituanie pour éviter la prison et rejoindre ses enfants qu’elle avait mis à l’abri. Veronika Tsepkalo a fui en Pologne et Maria Kolesnikova, ayant refusé de quitter le pays, y est emprisonnée.
  • 24. La résistance Plus l'État attaque des membres de la société civile, plus la mobilisation et la cohésion entre les citoyens se renforcent. En septembre 2020, des joueurs du club de foot sont tabassés par la police. Au match suivant, les tribunes sont pleines à craquer de supporters. Des fleurs sont amenées à des sauveteurs qui avaient secouru en bateau des manifestants tombés dans le fleuve pour échapper au mouvement de foule provoqué par l'attaque des forces anti-émeutes. Des files d’attente interminables se forment devant tel café qui avait ouvert ses portes pour protéger les manifestants, ou devant la boutique d’un fleuriste de Minsk venant d’être interpellé, pour acheter le café et les fleurs de la solidarité. Suite à l’arrestation brutale et arbitraire de photographes, puis à leur condam- nation à plusieurs jours de prison, les journaux paraissent le 17 septembre 2020 avec des articles noir et blanc, illustrés d’un appareil photo barré sous lequel on peut lire « Ici aurait pu être une photo. » .
  • 25. Grève Malgré les menaces de licenciement ou les menaces à l’encontre de leur famille, les ouvriers des mines de potasse multiplient les mouvements de grève. Lors de son déplacement à l’usine de tracteurs MTZ de Minsk, Loukachenko se fait huer, à sa grande surprise, par les ouvriers qui lui disent « Va-t-en ! » La chaîne de télévision principale biélorusse, “Belarus 1” fait grève le 17 août 2020. Le 26 octobre 2020, une grève générale est déclarée. Les grandes entreprises et principales usines du pays y participent.
  • 26. Non-coopération massive Dans un pays où le théâtre est vecteur essentiel de culture, les directeurs artistiques et le personnel du théâtre national académique Inaka Kupala (photo du haut) sont renvoyés ou finissent par démissionner pour ne plus coopérer avec le régime, après avoir écrit une lettre ouverte. Des applications permettant d’identifier les magasins et les produits dont les bénéfices vont au régime voient le jour. Les Biélorusses peuvent donc faire leurs courses sans coopérer indirectement avec le dictateur encore en place. Un "livre des crimes" est ouvert sur une plate-forme Internet pour documenter l’ensemble des violations des droits humains et les preuves de falsification du scrutin présidentiel. Andreï Ostapovich (photo du bas), ex-haut fonctionnaire spécialisé dans les affaires criminelles auprès du comité d’enquête de Minsk, directement placé sous l’autorité du président, s'exile en Pologne après avoir dénoncé dans un long rapport envoyé à sa hiérarchie les violences commises par les policiers sur les Biélorusses pacifiques : « Je ne resterai pas silen- cieux. Je ne participerai pas à la dissimulation de crimes et n’exécuterai pas des ordres criminels ».
  • 27. Drapeau de la résistance, flashs mobs, deuil La population regorge d'idées pour envahir l’espace public des couleurs de la révolution et continuer à manifester. Une robe de mariée relookée, des fanions lestés semés le long d’un footing, des sapins de Noël clignotant aux couleurs de la résistance... L’affirmation du choix électoral s’affiche jusqu’au bout des ongles, avec la manucure tendance blanc, rouge, blanc. De nouvelles actions sont imaginées constamment, souvent entre voisins de quartier, renforçant la cohésion au sein du mouvement. Des actions joyeuses comme des flashs mobs dans des centres commerciaux, des gares et d’autres lieux publics, où des personnes qui n’étaient apparemment pas ensemble entonnent soudain l’hymne national. D’autres actions prennent des tonalités plus graves comme celles menées pour célébrer Roman Bondarenko (photo du bas), un jeune artiste peintre tué le 13 novembre 2020 après avoir été violemment pris à partie dans son quartier par des défenseurs du régime.
  • 28. La solidarité Pour tenir dans le temps, un système d’entraide s’est constitué sous la forme de cagnottes. L’une d’elles, baptisée Bysol, cherche à soutenir financièrement et moralement les employés du service public, dont d’anciens policiers, ayant quitté leur emploi, pour payer leurs amendes et leurs frais d’avocat. D’autres caisses de grève circulent et sont alimentées par des soutiens à l’étranger, avec une mobilisation énorme de la diaspora biélorusse. Le mouvement s’organise notamment par quartiers, largement grâce à des applications de messagerie cryptée comme Telegram. Des centaines de tchats, accessibles uniquement sur invitation pour des raisons de sécurité, sont créés afin de rassembler les communautés et organiser les actions de désobéissance civile. Compte tenu du nombre de leaders en prison ou exilés, les gens sont obligés de s’organiser en réseaux. Le mouvement conti- nue, porté massivement par la population.
  • 29. Le soutien international Après le résultat des élections, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, demande un décompte exact des voix et déclare que « le harcèlement et la répression violente des manifestants pacifiques n’ont pas leur place en Europe » Le 26 septembre, le président de la République française, Emmanuel Macron, déclare qu'il est « clair que Loukachenko doit partir et quitter le pouvoir ». Il salue également « le courage des manifestants qui se battent depuis des semaines pour faire vivre une véritable démocratie ». Le mouvement de contestation peut compter dès le début sur les pays voisins, comme la Pologne et la Lituanie. Historique- ment liée à la Biélorussie, la Lituanie ouvre grand ses portes, déli- vre des visas aux opposants et reconnaît Svetlana Tikanovskaïa comme unique chef d'État de Biélorussie.
  • 30. La construction de ‘l’après’ Depuis six mois, une nation est en train de naître, sous le drapeau blanc rouge blanc. Elle émerge lentement mais inexorablement de l’ingéniosité de la lutte non-violente d’un mouvement populaire, dont la ténacité face à la férocité de la répression force l’admiration et forge sa légitimité aux yeux du monde. « La nouvelle Biélorussie » prend forme dans tous les espaces créés pour organiser la lutte, dans les assemblées de quartier, devant les commissariats, dans les prisons. La construction de « l’après » est une partie essentielle de la lutte. Avec 20 % des Biélorusses impliqués dans le mouvement de contestation, le souffle du changement nourrit la population. La chute du dernier dictateur d’Europe paraît n’être qu’une question de temps. Les tentatives de démonstration de force mises en scène par Alexandre Loukachenko, comme sa descente d’un avion une Kalachnikov à la main (photo du bas), le tournent en ridicule. Les trois femmes les plus célèbres de Biélorussie, Svetlana Tikhanovskaïa, Maria Kolesnikova et Veronika Tsepkalo, viennent d’être nominées pour le prix Nobel de la paix 2021. ■