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VICTOR HUGO OU LES PARADOXES DE L’ARCHITECTURE. DU LIVRE DE
PIERRE AU LIVRE DE PAPIER
Architectes et architecture dans la littérature française.
Actes du Colloque International de L’ADIREL (Sorbonne, 1997).
Madeleine Bertaud (ed.), Travaux de Littérature (Paris), 12 (1999), p. 163-171
Dans Notre-Dame de Paris, la réflexion sur l’architecture s’organise en trois grands volets:
l’évocation d’un passé artistique, la configuration actuelle d’une société et la vision du futur. Nous ne
nous arrêterons qu’au premier et au troisième. En effet, l’étude de la trentaine de pages consacrées à
la description de cette forme condensée de la société qu’est la ville1 aurait sa place dans la quatrième
section de ce colloque: elle nous amènerait à sortir du cadre des “discours de l’architecture”, auquel
nous devons nous tenir.
Le “discours” de Hugo, dans ce roman qu’il est bien inutile de présenter, est lié à la constatation
d’un fait navrant: la décadence de l’architecture dès la fin du moyen âge. Cette décadence intervient
tandis que naît et se développe l’imprimerie, alors même que le reste des arts s’émancipe.
Mais Hugo tient à tirer profit des effets négatifs entraînés par le déclin de l’architecture. Il y
parvient grâce à un cheminement mental qui fait intervenir deux ordres de réflexion: l’un historique
–et nostalgique–, l’autre prophétique, visionnaire.
Car c’est bien en visionnaire que le poète-romancier exprime son désir personnel d’une
réhabilitation universelle –de l’homme et de la société– qui comprenne celle de l’architecture. Et par
un de ces paradoxes auquel il nous a habitués, cette réhabilitation lui paraît s’accomplir par le moyen
même de ce qu’il avait d’abord présenté comme la grande ennemie de l’architecture: l’imprimerie.
Dès la préface du roman, Victor Hugo s’attaque à la mutilation des merveilleuses églises du
moyen âge. “Le prêtre les badigeonne, l’architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les démolit”
(p. 3). Cette constatation prend une forme agressive dans le réquisitoire de la “Note ajoutée à l’édition
définitive (1832)”. On y trouve un rapide bilan des “actes de vandalisme” qui se commettent tous les
jours à Paris. Sont démolis des édifices de peu de goût, mais d’autres bien plus précieux subissent le
même sort. Ainsi l’évêché est détruit, les vitraux de la Sainte-Chapelle s’effondrent, l’abbaye de Saint-
Germain-des-Prés est mutilée, sans parler d’autres destructions qui ne tarderont pas à se commettre
(p. 8-9).
Au premier chapitre du premier livre, Hugo reconstruit en somme pour son lecteur l’immense
salle du Palais de Justice telle qu’elle devait se présenter en 1482. Tout le soin qu’il met à décrire cet
édifice ne donne cependant qu’une “idée confuse de l’ensemble”. La raison de ce demi-échec tient à
une décadence qui a entraîné, pour des raisons surtout politiques, la disparition du Palais du Justice
en 1618 (I, I, p. 15).
Toute constatation d’un résultat négatif devient plus saisissante lorsqu’on met en relief les
pertes, ce dont on jouissait et qui n’est plus. On ne s’étonnera donc pas du recours au motif littéraire
par excellence de cette mise en relief: l’ubi sunt. Ici Hugo est plus romantique que dans toute la suite
du roman, lorsqu’il raconte le drame amoureux de Quasimodo. Il énumère les disparitions de
l’“histoire gauloise” et de l’“art gothique”, dont peu de chose est resté, car les “diverses restaurations
successives” ont pris soin d’achever les catastrophes de l’incendie (I, I, p. 16-17). Plus loin, il dressera
1 Paris, Éditions Garnier, 1959, livre III, ch. 2, “Paris au vol d’oiseau”. Dans les pages qui suivent, les références, qui
renvoient toutes à cette édition, seront données au fil du texte.
2
un nouveau rapport des “choses importantes [qui] manquent aujourd’hui” à la cathédrale de Paris.
Le temps a fait son œuvre en mettant à bas le degré de onze marches qui exhaussait jadis Notre-
Dame au-dessus du sol. Mais l’homme ronge davantage que le temps: la série inférieure de statues
qui occupait les niches des trois portails, la série supérieure des vingt-huit plus anciens rois de France,
le vieil autel gothique, les vitraux, le petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la
croisée… (III, I, p. 125-128). Nous reviendrons plus tard sur le motif de l’ubi sunt. Il suffit pour le
moment de noter cette constatation de l’appauvrissement d’un patrimoine architectural exceptionnel.
Ayant ainsi posé les points d’appui sur lesquels il pourra asseoir son tableau, Victor Hugo
considère le caractère changeant de l’architecture. Les bâtiments ne sont pas si résistants qu’on le
croit. Le matériau principal utilisé, la pierre, est dur, mais non pas invulnérable. Le rappel de ce qui
existait au moyen âge souligne cette friabilité des édifices. D’habitude on accuse le temps des blessures
subies par les grands monuments du passé; Hugo prend au contraire parti pour le temps contre
l’homme. Certes, le premier altère constamment et insensiblement la surface des bâtiments, mais
ceux-ci changent bien plus du fait des hommes. Des allusions faites aux révolutions politiques et
religieuses, aux mouvements artistiques et aux “faux professeurs d’école”, la première –sur les
révolutions– n’a pas de suite. Nous verrons tout à l’heure le motif essentiel de ce silence.
Cette vitalité de l’art est manifeste dans la cathédrale de Paris. Précisément parce qu’elle
n’appartient pas à un style précis –ce n’est ni une église romane ni une église gothique (voir III, I, p.
130-131). Aussi fournit-elle au romancier l’occasion d’évoquer en un clin d’œil l’ensemble des styles
majeurs de l’architecture européenne chrétienne: n’est-elle pas “divisée en trois zones bien tranchées
qui se superposent: la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance” (III, I, p. 133)? Disons
en passant que la zone romane a, dans son esprit, des architectures sœurs et parallèles (lombarde,
saxonne et byzantine), et que la zone de la renaissance est aussi appelée zone gréco-romaine (ibid.).
Passer en revue les différents styles conduit tout droit, selon un procédé hugolien bien connu,
à des considérations générales. Comme il lui arrive souvent de le faire dans Les Misérables ou dans La
Légende des Siècles, l’auteur de Notre-Dame de Paris déduit d’éléments particuliers des affirmations à
caractère universel. Ainsi, l’évocation de monuments (peu importe qu’il s’agisse du Palais de Justice,
de la place de Grève ou de Notre-Dame), entraîne des réflexions bien plus profondes sur l’art en soi:
toute variété architecturale est digne d’être étudiée; chaque bâtiment, qu’il soit hybride ou pur, porte
en lui la marque humaine. Au fond, chaque grand édifice est le produit d’un ouvrage où le temps et
l’humanité collaborent comme le feraient l’architecte et le maçon. En ce sens, chaque pierre œuvrée
est un condensé d’histoire humaine (voir III, I, p. 131-133).
Enfin, le caractère changeant de l’architecture est imputable à l’influence des “faux professeurs
d’école”. A ce propos, on lira le dernier paragraphe de la “Note ajoutée à l’édition définitive (1832)”
(p. 9) et son réquisitoire contre des architectes tels que Salomon de Brosse (I, I, p. 17). Le constat de
nuisibilité auquel nous faisions allusion au début devient plus virulent encore au premier chapitre du
troisième livre. L’indulgence face à “la part du temps” n’y sert qu’à dénoncer plus vigoureusement
“celle des hommes” (III, I, p. 125). Ainsi les pages consacrées à la cathédrale de Paris contiennent-
elles un rapide mais minutieux rapport des “diverses traces de destruction imprimées à l’antique
église” par “des hommes de l’art” (III, I, p. 125-126).
En matière d’architecture, les modes ont fait plus de mal que tout le reste; “de plus en plus
grotesques et sottes, [elles] se sont succédé dans la décadence nécessaire de l’architecture”. Ce sont
les modes, nées du “travail […] barbare” et du “bon goût” des professeurs, qui “ont tranché dans le
vif, elles ont attaqué la charpente osseuse de l’art, elles ont coupé, taillé, désorganisé, tué l’édifice,
dans la forme comme dans le symbole, dans sa logique comme dans sa beauté” (III, I, p. 129). La
dénonciation atteint ici son acmé.
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Ce sont donc trois sortes de ravages que l’architecture gothique a subis: “Rides et verrues à
l’épiderme, c’est l’œuvre du temps; voies de fait, brutalités, contusions, fractures, c’est l’œuvre des
révolutions depuis Luther jusqu’à Mirabeau. Mutilations, amputations, dislocations de la membrure,
restaurations, c’est le travail grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve et Vignole. Cet art
magnifique que les vandales avaient produit, les académies l’ont tué” (III, I, p. 129-130).
Nous tenons maintenant un premier élément des théories de Victor Hugo sur l’architecture:
cette conjonction du facteur chronologique et du facteur humain, le rôle le plus important revenant
au second. Un monument reflète l’art, les révolutions et même les erreurs humaines. L’évocation de
Notre-Dame a été dans ce roman le prétexte pour le dire.
On aura remarqué le caractère agressif des passages cités, qui ne vont pas sans afficher quelque
misanthropie: c’est une variante de l’écrivain à l’époque romantique. Le motif de l’ubi sunt est utilisé
non pas sur le ton de la nostalgie mais plutôt dans le cadre d’un réquisitoire. Avec un acharnement
comparable à celui qu’on trouve dans les Contemplations, Hugo s’en prend à toutes les générations qui
ont rendu impossible la conservation intacte du passé. Aussi part-il en croisade contre l’infidèle qui a
rendu infâme le lieu saint (voir III, I, p. 128). On se souviendra cependant qu’il a épargné les
révolutions. La raison de cette indulgence est double: en premier lieu, il ne voit pas d’un œil ennemi
ces secousses qui détrônent les rois dont la décadence a entraîné celle de l’architecture; en second
lieu, il est une révolution qu’il veut chanter: celle de Gutenberg. Après avoir tout détruit dans les
siècles précédents, au XIXe siècle elle va reconstruire (voir V, II, p. 221).
Nous arrivons ainsi au futur de l’architecture. Ici, le seul agent est l’homme, l’homme confronté
avec lui-même, l’homme divisé entre deux composantes de son pouvoir créateur: pouvoir de
construire, pouvoir d’écrire. Non pas qu’il n’ait eu recours depuis fort longtemps à l’écriture, mais
une nouvelle forme d’écriture a fait irruption à la fin de la période gothique: l’imprimerie.
Hugo a pris son temps avant d’en venir à ce point. Si nous l’en croyons (et pourquoi ne pas le
faire?), cette confrontation aurait pu ne pas apparaître dans la forme définitive de Notre-Dame de Paris.
Dans la “Note ajoutée à l’édition définitive (1832)”, il affirme avoir retrouvé le dossier contenant trois
articles du manuscrit et les avoir alors remis à leur place. Il aurait pu s’en passer, notamment pour le
dernier chapitre du livre IV, intitulé “Impopularité”. Mais il ne peut pas ne pas donner au public les
deux chapitres du livre V, intitulés “Abbas Beati Martini”: et “Ceci tuera cela”: peu importants sans
doute pour le déroulement du “drame”, ils se révèlent utiles pour “étudier la pensée d’esthétique et
de philosophie cachée” dans son roman; ils sont indispensables pour comprendre “le système de
l’historien et le but de l’artiste à travers la création telle quelle du poète” (p. 5-6).
Le premier est consacré à l’alchimie. Dom Claude Frollo s’entretient avec le docteur Jacques
Coictier et lui fait part de ses pensées. D’après lui, la médecine et l’astrologie (représentées par
Hippocrate et Uranie) doivent s’effacer face à l’alchimie (Hermès). Comme Coictier demande à Frollo
de l’initier à ces mystères, l’archidiacre commence sa leçon par le décryptage des signes cachés dans
les édifices qui les entourent, la cathédrale en premier. Il vaut la peine de relever quelques phrases de
la fin de ce chapitre:
L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa
main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table et sa main gauche vers Notre-Dame, et
promenant un triste regard du livre à l’église: – Hélas! dit-il, ceci tuera cela.
Son interlocuteur ne semble pas comprendre le sens de ces mots: un livre de Pierre Lombard
ne peut nuire au majestueux bâtiment. Enfin, il pose la question fondamentale:
4
– Est-ce parce qu’il est imprimé? – Vous l’avez dit, répondit Claude. […] Puis il ajouta ces paroles
mystérieuses: – Hélas! hélas! les petites choses viennent à bout des grandes; une dent triomphe d’une
masse. Le rat du Nil tue le crocodile, l’espadon tue la baleine, le livre tuera l’édifice! (V, I, p. 207-208).
Ce passage est à rattacher à la “Note” de l’édition définitive, déjà citée, qui annonce la
décadence “presque inévitable de cet art-roi” qu’est l’architecture (p. 7). L’un et l’autre sont
longuement développés dans le chapitre intitulé précisément: “Ceci tuera cela”, où Victor Hugo
exprime son opinion sur l’histoire et sur le but de l’artiste.
L’utilisation du futur dans cette phrase-titre est éloquente. Elle évoque les perspectives d’un
art dont auparavant seul le passé avait été envisagé. Par ailleurs, le verbe “tuer” est définitif: dépassant
le simple constat de dégradation, l’auteur marque qu’il a accepté une réalité irréfutable.
Les deux phrases clés (“Ceci tuera cela” et “le livre tuera l’édifice”) renfermaient, nous dit
Hugo, deux “faces”. La première était celle du prêtre effrayé devant l’imprimerie. Les anciennes
méthodes d’enseignement (la chaire et le manuscrit) étaient menacées par les nouvelles (la parole
imprimée). L’archidiacre prophétisait une émancipation du savoir et, partant, l’écroulement de la
société théocratique. Cette pensée pourrait être formulée autrement: “La presse tuera l’église” (V, II,
p. 209). Mais cette première pensée était simple, nous dirons même simpliste, et Hugo convient qu’il
ne faut pas lui accorder trop d’intérêt. Aussi passe-t-il incontinent à décrire la deuxième face, non pas
celle du prêtre mais celle du savant et de l’artiste: “C’était le pressentiment que la pensée humaine en
changeant de forme allait changer de mode d’expression, […] que le livre de pierre, si solide et si
durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la
vague formule de l’archidiacre avait un second sens; elle signifiait qu’un art allait détrôner un autre
art. Elle voulait dire: L’imprimerie tuera l’architecture” (p. 210).
Cette formule exige que l’auteur s’explique sur sa conception des deux arts en rivalité –car il
s’agit bien d’un combat entre deux manières humaines de laisser trace. Le premier développement est
donc consacré à l’art qui était destiné à mourir; le deuxième, à l’art naissant qui devait le remplacer.
Habile à mettre en rapport les notions les plus disparates, Hugo raconte l’histoire de
l’architecture en recourant à des éléments de linguistique. Le tout commença lorsque l’homme
ressentit le besoin de laisser une trace de son passage. En ce sens, il est clair que l’architecture peut
être considérée comme la plus monumentale mémoire de l’humanité. Les traces, ce sont des signes
linguistiques devenant de plus en plus riches et complexes. Une pierre est une lettre, un dolmen est
une syllabe, une pyramide est une phrase; enfin, la conjonction de plusieurs phrases, mises “en
mouvement à la fois par une loi de géométrie et par une loi de poésie […] sous la dictée de l’idée
générale d’une époque”, est un livre (p. 210-211). Parmi tant d’autres, une pierre levée, un tumulus
étrusque, l’entassement de Karnac et le temple de Salomon sont des exemples de cette progression
linguistique et architecturale. Ainsi, “l’architecture a été la grande écriture du genre humain” (p. 212).
Bien plus, elle a été le grand miroir du monde, elle reflète avec précision les phases de
l’humanité. Or, puisque celle-ci est mouvante, l’architecture doit refléter ce mouvement: “La face de
l’Europe est changée. Eh bien! la face de l’architecture est changée aussi” (p. 213). Jusqu’au XVe siècle,
elle a été le seul grand miroir, car elle avait étendu sa toute-puissance à tous les autres arts: “Alors,
quiconque naissait poète se faisait architecte” (p. 215). Le peintre, le musicien, le poète étaient au
service de l’art-roi.
Dans le second développement, afin de souligner l’unité de son propos et de faire vivre son
idée, Hugo invente à nouveau une formule comme un maçon cisèlerait une statue: “Jusqu’à
Gutenberg, l’architecture est l’écriture principale, l’écriture universelle. Ce livre granitique commencé
par l’Orient, continué par l’antiquité grecque et romaine, le moyen âge en a écrit la dernière page” (p.
215-216).
5
Ces phrases, où la force des images vise à faire oublier que le discours n’est pas purement
historique, ne manquent pas de beauté. Hugo doit laisser de côté la disposition romantique à la
nostalgie afin d’accéder à la prophétie, elle aussi propre au poète romantique. La constatation amère
des premiers moments fait place à la vision. On sait que les hypotiposes se pressent sous sa plume
lorsqu’il veut faire passer une idée; mais regardons ce chapitre de plus près.
La métaphore sur le moyen âge rédigeant une page est belle et puissante car le thème est
combiné avec deux phores surajoutés: le temps et l’espace. A leur tour, le temps et l’espace
comprennent un sens pluriel. Ainsi, le moyen âge et la page de pierre renvoient non seulement à un
laps de siècles et à un matériau, mais aussi à une conception du cosmos, de l’humanité et de Dieu. Le
thème, quant à lui, demeure un et invariable: le besoin, ressenti par toute pensée, de “se perpétuer”,
de “laisser trace”. L’on observera que, le plus souvent, le thème était sous-estimé au profit du phore:
peu après l’achèvement des grands bâtiments, l’humanité oubliait le message et restait comme collée,
attachée à la trace que le bâtisseur avait voulu laisser. Le point crucial de cette métaphore, peut-être
celui qui a échappé à Hugo, est qu’avec l’avènement de l’imprimerie le thème reprend le dessus au
détriment du moyen. Exception faite de l’intérêt que lui portent les bibliophiles, l’enveloppe,
auparavant tant prisée, est désormais mise de côté afin de centrer l’attention sur la lettre.
Non content d’engendrer ces images, le poète-romancier les renforce par le recours à la
métamorphose. L’imprimerie devient “la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une
autre”. Dans ce sens, l’imprimerie concourt au “changement de peau de ce serpent symbolique qui,
depuis Adam, représente l’intelligence” (p. 218). Mieux, cette métamorphose de la pensée humaine
est secondée d’une antithèse: si la pensée sous sa forme architecturale ne s’empare que de siècles et
de lieux précis, la pensée dans sa forme imprimée occupe à la fois tous les temps et les espaces.
L’antithèse repose sur l’ironie des croyances humaines. Les hommes avaient cru que le bois et la
pierre étaient indestructibles en raison de leur résistance. Rien n’est moins vrai: le papier et l’encre
sont réellement insaisissables et indestructibles grâce, précisément, à leur caractère volatile. “On peut
démolir une masse, comment extirper l’ubiquité?” (p. 218). Nous sommes ici confrontés à deux sortes
de durée de la pensée selon les moyens utilisés: l’architecture et l’imprimerie. Une longue suite de
comparaisons abonde dans ce même sens. La complexité, le coût et les limites de l’œuvre
architecturale ne tiennent pas face à la simplicité, la commodité et l’universalité de l’imprimerie.
Arrivé à ce point de son discours, Hugo entreprend de décrire le déclin de l’architecture, non
sans recourir de nouveau à l’antithèse. Bravant les partis pris et les idées universellement admises, il
affirme que la décadence de l’architecture est ce “qu’on appelle renaissance” (p. 219). Le
refroidissement de l’architecture était “à peu près insensible au quinzième siècle”; en revanche, “dès
le seizième siècle, la maladie de l’architecture est visible; elle n’exprime déjà plus essentiellement la
société; elle se fait misérablement art classique; de gauloise, d’européenne, d’indigène, elle devient
grecque et romaine, de vraie et de moderne, pseudo-antique”. Critique lapidaire et sans appel: hormis
Saint-Pierre de Rome, tous les monuments de cette époque sentent le manque de caractère. Pire, le
recours systématique à l’“entassement hybride d’arcades latines et de colonnades corinthiennes” n’est
qu’une preuve supplémentaire de toute absence d’originalité, de vie et d’intelligence. Parallèlement,
l’architecture n’est plus cet art-roi tout-puissant qu’elle était auparavant: tous les autres arts
s’émancipent et se redéfinissent –“la sculpture devient statuaire, l’imagerie devient peinture, le canon
devient musique” (p. 219)–, et leur prise d’identité entraîne pour l’architecture une perte de la sienne:
“Réduite à elle-même, abandonnée des autres arts parce que la pensée humaine l’abandonne, elle
appelle des manœuvres à défaut d’artistes. La vitre remplace le vitrail. Le tailleur de pierre succède au
sculpteur” (p. 220). On l’aura compris, Hugo profite de l’occasion pour clamer sa haine du XVIe siècle.
A ce propos, il n’est pas inutile de penser au Satyre, qui dans La Légende des Siècles occupe, à lui tout
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seul et de façon paradoxale, la place consacrée au même XVIe siècle: le satyre dévoile la fausseté des
soi-disant dieux comme l’imprimerie assiste au déclin de l’architecture.
Cette critique des productions de la Renaissance atteint son degré ultime justement après la
mention de Saint-Pierre de Rome, “dernière originalité de l’architecture”. Après cette “grande œuvre
qui méritait de rester unique”, la “misérable architecture” qui survit se limite à calquer ce monument
partout, en Angleterre, comme en France ou en Russie. Mais la perte de vitalité de l’architecture ne
peut se limiter à la parodie. Comme tout ce qui vit, elle accuse sa décadence par des “phénomènes de
décroissance et d’étisie” (p. 221). Depuis François II jusqu’à Louis XV, “le mal a crû en progression
géométrique”: les maisons de brique de Henri iv, les églises de Louis XIII, chargées d’un dôme comme
d’une bosse, le mauvais pasticcio de l’architecture mazarine, les casernes glaciales de Louis XIV, les
vermicelles de la vieille architecture édentée de Louis XV font preuve de l’agonie d’un art qui “n’a
plus que la peau sur les os” (p. 221). Chez Hugo il ne fait aucun doute que la décadence de l’art-roi
suit fidèlement celle des arts des rois jusqu’à la Révolution.
On a déjà vu qu’il n’avait pas mentionné la Révolution parmi les grands destructeurs du
patrimoine architectural de la France. En revanche, la Révolution représente à ses yeux l’avènement
de la liberté de la presse. Or celle-ci, symbole de la liberté du peuple face à maintes formes
d’intolérance, a été rendue possible en grande partie grâce à l’imprimerie. De fait, à peine a-t-il fini de
décrire la décadence de l’architecture qu’il étale la toute-puissance de l’imprimerie, ce nouvel art –il
l’appelle bel et bien un “art”. L’imprimerie remplace l’architecture. Elle paraît exprimer mieux qu’elle
le mouvement universel de la pensée humaine. Cela n’exclut pas l’apparition ici ou là de beaux
monuments, mais ce sont des chefs-d’œuvre isolés, des exceptions: “le grand poème, le grand édifice,
le grand œuvre de l’humanité ne se bâtira plus, il s’imprimera” (p. 222).
Mais voici que, sous la plume du visionnaire, l’imprimerie devient l’architecture des temps
modernes. Comme s’il ne se résignait pas à voir disparaître celle dont, au tout début du roman, il
prévoyait la mort “presque inévitable”, non sans ressentir le besoin d’exprimer le vif désir “que
l’avenir lui donne tort un jour” (p. 7). Plus tard, après avoir retracé la lutte entre l’architecture et
l’imprimerie, il annonçait encore que cette dernière était destinée à reconstruire (p. 221). Maintenant
qu’il entreprend la description de l’imprimerie, il le fait exactement comme il le ferait d’un édifice. La
métamorphose est de nouveau à l’œuvre. L’écrivain ne parle plus de la presse, mais de l’édifice de
l’imprimerie. Il rappelle la statistique selon laquelle “en superposant l’un à l’autre tous les volumes
sortis de la presse depuis Gutenberg on comblerait l’intervalle de la terre à la lune” (p. 223). Cette
superposition des livres imprimés est déjà en soi construction. Mais il veut aller plus loin dans ce sens,
évoquant la portée de l’imprimerie comme s’il était question d’un monument architectural: l’ensemble
de ces produits de l’imprimerie apparaît “comme une immense construction”; la fourmilière des
intelligences travaille sans relâche à bâtir un édifice décrit comme l’avaient été auparavant le Palais de
Justice ou la cathédrale de Notre-Dame. Nous ne résistons pas à transcrire ces lignes, dans lesquelles
la confusion volontaire de l’architecture et de l’imprimerie est patente:
L’édifice a mille étages. Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science
qui s’entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l’art fait luxurier à l’œil ses arabesques, ses
rosaces et ses dentelles. Là chaque œuvre individuelle, si capricieuse et si isolée qu’elle semble, a sa place
et sa saillie. L’harmonie résulte de tout. Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu’à la mosquée de
Byron, mille clochetons s’encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. A sa base,
on a récrit quelques anciens titres de l’humanité que l’architecture n’avait pas enregistrés. A gauche de
l’entrée, on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d’Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses
sept têtes. L’hydre du Romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et
les Niebelungen. […] Le genre humain tout entier est sur l’échafaudage (p. 224).
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Cette confusion des arts, hybridation dont Hugo a toujours été friand, entraîne comme par
ricochet une autre confusion, relative à l’un des principaux matériaux de l’imprimerie: celle des
langues –la même qui apparut précisément lors de la construction d’un autre édifice colossal.
L’imprimerie est devenue “la seconde tour de Babel du genre humain”. L’image pourrait suggérer,
négativement, l’impossibilité de communication, mais il n’en est rien: cette tour de Babel est le lieu
d’une “activité incessante, labeur infatigable, concours acharné de l’humanité tout entière, refuge
promis à l’intelligence contre un nouveau déluge” (p. 224).
En somme, toute réflexion sur l’imprimerie implique une réflexion sur l’architecture, et vice-
versa. C’est que pour Hugo toute manifestation du genre humain se réduit en dernière instance à
“deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l’imprimerie, la bible de pierre et la
bible de papier” (p. 223).
Le mouvement de sa pensée se conforme un moment à la ligne du romantisme: regretter un
temps passé sans applaudir au temps présent. Mais il la dépasse par son acceptation finale du déclin
de l’architecture dans un optimisme retrouvé: le remplacement de l’architecture par l’imprimerie est
une invitation à l’espoir. Le futur, temps où doit se vérifier la foi de l’homme en un progrès universel,
est accueilli par lui comme le temps idéal. Symbolisé par l’imprimerie, il ne peut pas ne pas faire une
place à l’architecture. Là est bien le paradoxe: l’écrivain s’érige en chantre de cette réhabilitation de
l’architecture, qui est mise en œuvre non par le burin et la pierre, mais par la presse et la parole.

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Victor Hugo ou les paradoxes de l’architecture. Du livre de pierre au livre de papier.pdf

  • 1. 1 VICTOR HUGO OU LES PARADOXES DE L’ARCHITECTURE. DU LIVRE DE PIERRE AU LIVRE DE PAPIER Architectes et architecture dans la littérature française. Actes du Colloque International de L’ADIREL (Sorbonne, 1997). Madeleine Bertaud (ed.), Travaux de Littérature (Paris), 12 (1999), p. 163-171 Dans Notre-Dame de Paris, la réflexion sur l’architecture s’organise en trois grands volets: l’évocation d’un passé artistique, la configuration actuelle d’une société et la vision du futur. Nous ne nous arrêterons qu’au premier et au troisième. En effet, l’étude de la trentaine de pages consacrées à la description de cette forme condensée de la société qu’est la ville1 aurait sa place dans la quatrième section de ce colloque: elle nous amènerait à sortir du cadre des “discours de l’architecture”, auquel nous devons nous tenir. Le “discours” de Hugo, dans ce roman qu’il est bien inutile de présenter, est lié à la constatation d’un fait navrant: la décadence de l’architecture dès la fin du moyen âge. Cette décadence intervient tandis que naît et se développe l’imprimerie, alors même que le reste des arts s’émancipe. Mais Hugo tient à tirer profit des effets négatifs entraînés par le déclin de l’architecture. Il y parvient grâce à un cheminement mental qui fait intervenir deux ordres de réflexion: l’un historique –et nostalgique–, l’autre prophétique, visionnaire. Car c’est bien en visionnaire que le poète-romancier exprime son désir personnel d’une réhabilitation universelle –de l’homme et de la société– qui comprenne celle de l’architecture. Et par un de ces paradoxes auquel il nous a habitués, cette réhabilitation lui paraît s’accomplir par le moyen même de ce qu’il avait d’abord présenté comme la grande ennemie de l’architecture: l’imprimerie. Dès la préface du roman, Victor Hugo s’attaque à la mutilation des merveilleuses églises du moyen âge. “Le prêtre les badigeonne, l’architecte les gratte, puis le peuple survient, qui les démolit” (p. 3). Cette constatation prend une forme agressive dans le réquisitoire de la “Note ajoutée à l’édition définitive (1832)”. On y trouve un rapide bilan des “actes de vandalisme” qui se commettent tous les jours à Paris. Sont démolis des édifices de peu de goût, mais d’autres bien plus précieux subissent le même sort. Ainsi l’évêché est détruit, les vitraux de la Sainte-Chapelle s’effondrent, l’abbaye de Saint- Germain-des-Prés est mutilée, sans parler d’autres destructions qui ne tarderont pas à se commettre (p. 8-9). Au premier chapitre du premier livre, Hugo reconstruit en somme pour son lecteur l’immense salle du Palais de Justice telle qu’elle devait se présenter en 1482. Tout le soin qu’il met à décrire cet édifice ne donne cependant qu’une “idée confuse de l’ensemble”. La raison de ce demi-échec tient à une décadence qui a entraîné, pour des raisons surtout politiques, la disparition du Palais du Justice en 1618 (I, I, p. 15). Toute constatation d’un résultat négatif devient plus saisissante lorsqu’on met en relief les pertes, ce dont on jouissait et qui n’est plus. On ne s’étonnera donc pas du recours au motif littéraire par excellence de cette mise en relief: l’ubi sunt. Ici Hugo est plus romantique que dans toute la suite du roman, lorsqu’il raconte le drame amoureux de Quasimodo. Il énumère les disparitions de l’“histoire gauloise” et de l’“art gothique”, dont peu de chose est resté, car les “diverses restaurations successives” ont pris soin d’achever les catastrophes de l’incendie (I, I, p. 16-17). Plus loin, il dressera 1 Paris, Éditions Garnier, 1959, livre III, ch. 2, “Paris au vol d’oiseau”. Dans les pages qui suivent, les références, qui renvoient toutes à cette édition, seront données au fil du texte.
  • 2. 2 un nouveau rapport des “choses importantes [qui] manquent aujourd’hui” à la cathédrale de Paris. Le temps a fait son œuvre en mettant à bas le degré de onze marches qui exhaussait jadis Notre- Dame au-dessus du sol. Mais l’homme ronge davantage que le temps: la série inférieure de statues qui occupait les niches des trois portails, la série supérieure des vingt-huit plus anciens rois de France, le vieil autel gothique, les vitraux, le petit clocher qui s’appuyait sur le point d’intersection de la croisée… (III, I, p. 125-128). Nous reviendrons plus tard sur le motif de l’ubi sunt. Il suffit pour le moment de noter cette constatation de l’appauvrissement d’un patrimoine architectural exceptionnel. Ayant ainsi posé les points d’appui sur lesquels il pourra asseoir son tableau, Victor Hugo considère le caractère changeant de l’architecture. Les bâtiments ne sont pas si résistants qu’on le croit. Le matériau principal utilisé, la pierre, est dur, mais non pas invulnérable. Le rappel de ce qui existait au moyen âge souligne cette friabilité des édifices. D’habitude on accuse le temps des blessures subies par les grands monuments du passé; Hugo prend au contraire parti pour le temps contre l’homme. Certes, le premier altère constamment et insensiblement la surface des bâtiments, mais ceux-ci changent bien plus du fait des hommes. Des allusions faites aux révolutions politiques et religieuses, aux mouvements artistiques et aux “faux professeurs d’école”, la première –sur les révolutions– n’a pas de suite. Nous verrons tout à l’heure le motif essentiel de ce silence. Cette vitalité de l’art est manifeste dans la cathédrale de Paris. Précisément parce qu’elle n’appartient pas à un style précis –ce n’est ni une église romane ni une église gothique (voir III, I, p. 130-131). Aussi fournit-elle au romancier l’occasion d’évoquer en un clin d’œil l’ensemble des styles majeurs de l’architecture européenne chrétienne: n’est-elle pas “divisée en trois zones bien tranchées qui se superposent: la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance” (III, I, p. 133)? Disons en passant que la zone romane a, dans son esprit, des architectures sœurs et parallèles (lombarde, saxonne et byzantine), et que la zone de la renaissance est aussi appelée zone gréco-romaine (ibid.). Passer en revue les différents styles conduit tout droit, selon un procédé hugolien bien connu, à des considérations générales. Comme il lui arrive souvent de le faire dans Les Misérables ou dans La Légende des Siècles, l’auteur de Notre-Dame de Paris déduit d’éléments particuliers des affirmations à caractère universel. Ainsi, l’évocation de monuments (peu importe qu’il s’agisse du Palais de Justice, de la place de Grève ou de Notre-Dame), entraîne des réflexions bien plus profondes sur l’art en soi: toute variété architecturale est digne d’être étudiée; chaque bâtiment, qu’il soit hybride ou pur, porte en lui la marque humaine. Au fond, chaque grand édifice est le produit d’un ouvrage où le temps et l’humanité collaborent comme le feraient l’architecte et le maçon. En ce sens, chaque pierre œuvrée est un condensé d’histoire humaine (voir III, I, p. 131-133). Enfin, le caractère changeant de l’architecture est imputable à l’influence des “faux professeurs d’école”. A ce propos, on lira le dernier paragraphe de la “Note ajoutée à l’édition définitive (1832)” (p. 9) et son réquisitoire contre des architectes tels que Salomon de Brosse (I, I, p. 17). Le constat de nuisibilité auquel nous faisions allusion au début devient plus virulent encore au premier chapitre du troisième livre. L’indulgence face à “la part du temps” n’y sert qu’à dénoncer plus vigoureusement “celle des hommes” (III, I, p. 125). Ainsi les pages consacrées à la cathédrale de Paris contiennent- elles un rapide mais minutieux rapport des “diverses traces de destruction imprimées à l’antique église” par “des hommes de l’art” (III, I, p. 125-126). En matière d’architecture, les modes ont fait plus de mal que tout le reste; “de plus en plus grotesques et sottes, [elles] se sont succédé dans la décadence nécessaire de l’architecture”. Ce sont les modes, nées du “travail […] barbare” et du “bon goût” des professeurs, qui “ont tranché dans le vif, elles ont attaqué la charpente osseuse de l’art, elles ont coupé, taillé, désorganisé, tué l’édifice, dans la forme comme dans le symbole, dans sa logique comme dans sa beauté” (III, I, p. 129). La dénonciation atteint ici son acmé.
  • 3. 3 Ce sont donc trois sortes de ravages que l’architecture gothique a subis: “Rides et verrues à l’épiderme, c’est l’œuvre du temps; voies de fait, brutalités, contusions, fractures, c’est l’œuvre des révolutions depuis Luther jusqu’à Mirabeau. Mutilations, amputations, dislocations de la membrure, restaurations, c’est le travail grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve et Vignole. Cet art magnifique que les vandales avaient produit, les académies l’ont tué” (III, I, p. 129-130). Nous tenons maintenant un premier élément des théories de Victor Hugo sur l’architecture: cette conjonction du facteur chronologique et du facteur humain, le rôle le plus important revenant au second. Un monument reflète l’art, les révolutions et même les erreurs humaines. L’évocation de Notre-Dame a été dans ce roman le prétexte pour le dire. On aura remarqué le caractère agressif des passages cités, qui ne vont pas sans afficher quelque misanthropie: c’est une variante de l’écrivain à l’époque romantique. Le motif de l’ubi sunt est utilisé non pas sur le ton de la nostalgie mais plutôt dans le cadre d’un réquisitoire. Avec un acharnement comparable à celui qu’on trouve dans les Contemplations, Hugo s’en prend à toutes les générations qui ont rendu impossible la conservation intacte du passé. Aussi part-il en croisade contre l’infidèle qui a rendu infâme le lieu saint (voir III, I, p. 128). On se souviendra cependant qu’il a épargné les révolutions. La raison de cette indulgence est double: en premier lieu, il ne voit pas d’un œil ennemi ces secousses qui détrônent les rois dont la décadence a entraîné celle de l’architecture; en second lieu, il est une révolution qu’il veut chanter: celle de Gutenberg. Après avoir tout détruit dans les siècles précédents, au XIXe siècle elle va reconstruire (voir V, II, p. 221). Nous arrivons ainsi au futur de l’architecture. Ici, le seul agent est l’homme, l’homme confronté avec lui-même, l’homme divisé entre deux composantes de son pouvoir créateur: pouvoir de construire, pouvoir d’écrire. Non pas qu’il n’ait eu recours depuis fort longtemps à l’écriture, mais une nouvelle forme d’écriture a fait irruption à la fin de la période gothique: l’imprimerie. Hugo a pris son temps avant d’en venir à ce point. Si nous l’en croyons (et pourquoi ne pas le faire?), cette confrontation aurait pu ne pas apparaître dans la forme définitive de Notre-Dame de Paris. Dans la “Note ajoutée à l’édition définitive (1832)”, il affirme avoir retrouvé le dossier contenant trois articles du manuscrit et les avoir alors remis à leur place. Il aurait pu s’en passer, notamment pour le dernier chapitre du livre IV, intitulé “Impopularité”. Mais il ne peut pas ne pas donner au public les deux chapitres du livre V, intitulés “Abbas Beati Martini”: et “Ceci tuera cela”: peu importants sans doute pour le déroulement du “drame”, ils se révèlent utiles pour “étudier la pensée d’esthétique et de philosophie cachée” dans son roman; ils sont indispensables pour comprendre “le système de l’historien et le but de l’artiste à travers la création telle quelle du poète” (p. 5-6). Le premier est consacré à l’alchimie. Dom Claude Frollo s’entretient avec le docteur Jacques Coictier et lui fait part de ses pensées. D’après lui, la médecine et l’astrologie (représentées par Hippocrate et Uranie) doivent s’effacer face à l’alchimie (Hermès). Comme Coictier demande à Frollo de l’initier à ces mystères, l’archidiacre commence sa leçon par le décryptage des signes cachés dans les édifices qui les entourent, la cathédrale en premier. Il vaut la peine de relever quelques phrases de la fin de ce chapitre: L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice, puis étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table et sa main gauche vers Notre-Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église: – Hélas! dit-il, ceci tuera cela. Son interlocuteur ne semble pas comprendre le sens de ces mots: un livre de Pierre Lombard ne peut nuire au majestueux bâtiment. Enfin, il pose la question fondamentale:
  • 4. 4 – Est-ce parce qu’il est imprimé? – Vous l’avez dit, répondit Claude. […] Puis il ajouta ces paroles mystérieuses: – Hélas! hélas! les petites choses viennent à bout des grandes; une dent triomphe d’une masse. Le rat du Nil tue le crocodile, l’espadon tue la baleine, le livre tuera l’édifice! (V, I, p. 207-208). Ce passage est à rattacher à la “Note” de l’édition définitive, déjà citée, qui annonce la décadence “presque inévitable de cet art-roi” qu’est l’architecture (p. 7). L’un et l’autre sont longuement développés dans le chapitre intitulé précisément: “Ceci tuera cela”, où Victor Hugo exprime son opinion sur l’histoire et sur le but de l’artiste. L’utilisation du futur dans cette phrase-titre est éloquente. Elle évoque les perspectives d’un art dont auparavant seul le passé avait été envisagé. Par ailleurs, le verbe “tuer” est définitif: dépassant le simple constat de dégradation, l’auteur marque qu’il a accepté une réalité irréfutable. Les deux phrases clés (“Ceci tuera cela” et “le livre tuera l’édifice”) renfermaient, nous dit Hugo, deux “faces”. La première était celle du prêtre effrayé devant l’imprimerie. Les anciennes méthodes d’enseignement (la chaire et le manuscrit) étaient menacées par les nouvelles (la parole imprimée). L’archidiacre prophétisait une émancipation du savoir et, partant, l’écroulement de la société théocratique. Cette pensée pourrait être formulée autrement: “La presse tuera l’église” (V, II, p. 209). Mais cette première pensée était simple, nous dirons même simpliste, et Hugo convient qu’il ne faut pas lui accorder trop d’intérêt. Aussi passe-t-il incontinent à décrire la deuxième face, non pas celle du prêtre mais celle du savant et de l’artiste: “C’était le pressentiment que la pensée humaine en changeant de forme allait changer de mode d’expression, […] que le livre de pierre, si solide et si durable, allait faire place au livre de papier, plus solide et plus durable encore. Sous ce rapport, la vague formule de l’archidiacre avait un second sens; elle signifiait qu’un art allait détrôner un autre art. Elle voulait dire: L’imprimerie tuera l’architecture” (p. 210). Cette formule exige que l’auteur s’explique sur sa conception des deux arts en rivalité –car il s’agit bien d’un combat entre deux manières humaines de laisser trace. Le premier développement est donc consacré à l’art qui était destiné à mourir; le deuxième, à l’art naissant qui devait le remplacer. Habile à mettre en rapport les notions les plus disparates, Hugo raconte l’histoire de l’architecture en recourant à des éléments de linguistique. Le tout commença lorsque l’homme ressentit le besoin de laisser une trace de son passage. En ce sens, il est clair que l’architecture peut être considérée comme la plus monumentale mémoire de l’humanité. Les traces, ce sont des signes linguistiques devenant de plus en plus riches et complexes. Une pierre est une lettre, un dolmen est une syllabe, une pyramide est une phrase; enfin, la conjonction de plusieurs phrases, mises “en mouvement à la fois par une loi de géométrie et par une loi de poésie […] sous la dictée de l’idée générale d’une époque”, est un livre (p. 210-211). Parmi tant d’autres, une pierre levée, un tumulus étrusque, l’entassement de Karnac et le temple de Salomon sont des exemples de cette progression linguistique et architecturale. Ainsi, “l’architecture a été la grande écriture du genre humain” (p. 212). Bien plus, elle a été le grand miroir du monde, elle reflète avec précision les phases de l’humanité. Or, puisque celle-ci est mouvante, l’architecture doit refléter ce mouvement: “La face de l’Europe est changée. Eh bien! la face de l’architecture est changée aussi” (p. 213). Jusqu’au XVe siècle, elle a été le seul grand miroir, car elle avait étendu sa toute-puissance à tous les autres arts: “Alors, quiconque naissait poète se faisait architecte” (p. 215). Le peintre, le musicien, le poète étaient au service de l’art-roi. Dans le second développement, afin de souligner l’unité de son propos et de faire vivre son idée, Hugo invente à nouveau une formule comme un maçon cisèlerait une statue: “Jusqu’à Gutenberg, l’architecture est l’écriture principale, l’écriture universelle. Ce livre granitique commencé par l’Orient, continué par l’antiquité grecque et romaine, le moyen âge en a écrit la dernière page” (p. 215-216).
  • 5. 5 Ces phrases, où la force des images vise à faire oublier que le discours n’est pas purement historique, ne manquent pas de beauté. Hugo doit laisser de côté la disposition romantique à la nostalgie afin d’accéder à la prophétie, elle aussi propre au poète romantique. La constatation amère des premiers moments fait place à la vision. On sait que les hypotiposes se pressent sous sa plume lorsqu’il veut faire passer une idée; mais regardons ce chapitre de plus près. La métaphore sur le moyen âge rédigeant une page est belle et puissante car le thème est combiné avec deux phores surajoutés: le temps et l’espace. A leur tour, le temps et l’espace comprennent un sens pluriel. Ainsi, le moyen âge et la page de pierre renvoient non seulement à un laps de siècles et à un matériau, mais aussi à une conception du cosmos, de l’humanité et de Dieu. Le thème, quant à lui, demeure un et invariable: le besoin, ressenti par toute pensée, de “se perpétuer”, de “laisser trace”. L’on observera que, le plus souvent, le thème était sous-estimé au profit du phore: peu après l’achèvement des grands bâtiments, l’humanité oubliait le message et restait comme collée, attachée à la trace que le bâtisseur avait voulu laisser. Le point crucial de cette métaphore, peut-être celui qui a échappé à Hugo, est qu’avec l’avènement de l’imprimerie le thème reprend le dessus au détriment du moyen. Exception faite de l’intérêt que lui portent les bibliophiles, l’enveloppe, auparavant tant prisée, est désormais mise de côté afin de centrer l’attention sur la lettre. Non content d’engendrer ces images, le poète-romancier les renforce par le recours à la métamorphose. L’imprimerie devient “la pensée humaine qui dépouille une forme et en revêt une autre”. Dans ce sens, l’imprimerie concourt au “changement de peau de ce serpent symbolique qui, depuis Adam, représente l’intelligence” (p. 218). Mieux, cette métamorphose de la pensée humaine est secondée d’une antithèse: si la pensée sous sa forme architecturale ne s’empare que de siècles et de lieux précis, la pensée dans sa forme imprimée occupe à la fois tous les temps et les espaces. L’antithèse repose sur l’ironie des croyances humaines. Les hommes avaient cru que le bois et la pierre étaient indestructibles en raison de leur résistance. Rien n’est moins vrai: le papier et l’encre sont réellement insaisissables et indestructibles grâce, précisément, à leur caractère volatile. “On peut démolir une masse, comment extirper l’ubiquité?” (p. 218). Nous sommes ici confrontés à deux sortes de durée de la pensée selon les moyens utilisés: l’architecture et l’imprimerie. Une longue suite de comparaisons abonde dans ce même sens. La complexité, le coût et les limites de l’œuvre architecturale ne tiennent pas face à la simplicité, la commodité et l’universalité de l’imprimerie. Arrivé à ce point de son discours, Hugo entreprend de décrire le déclin de l’architecture, non sans recourir de nouveau à l’antithèse. Bravant les partis pris et les idées universellement admises, il affirme que la décadence de l’architecture est ce “qu’on appelle renaissance” (p. 219). Le refroidissement de l’architecture était “à peu près insensible au quinzième siècle”; en revanche, “dès le seizième siècle, la maladie de l’architecture est visible; elle n’exprime déjà plus essentiellement la société; elle se fait misérablement art classique; de gauloise, d’européenne, d’indigène, elle devient grecque et romaine, de vraie et de moderne, pseudo-antique”. Critique lapidaire et sans appel: hormis Saint-Pierre de Rome, tous les monuments de cette époque sentent le manque de caractère. Pire, le recours systématique à l’“entassement hybride d’arcades latines et de colonnades corinthiennes” n’est qu’une preuve supplémentaire de toute absence d’originalité, de vie et d’intelligence. Parallèlement, l’architecture n’est plus cet art-roi tout-puissant qu’elle était auparavant: tous les autres arts s’émancipent et se redéfinissent –“la sculpture devient statuaire, l’imagerie devient peinture, le canon devient musique” (p. 219)–, et leur prise d’identité entraîne pour l’architecture une perte de la sienne: “Réduite à elle-même, abandonnée des autres arts parce que la pensée humaine l’abandonne, elle appelle des manœuvres à défaut d’artistes. La vitre remplace le vitrail. Le tailleur de pierre succède au sculpteur” (p. 220). On l’aura compris, Hugo profite de l’occasion pour clamer sa haine du XVIe siècle. A ce propos, il n’est pas inutile de penser au Satyre, qui dans La Légende des Siècles occupe, à lui tout
  • 6. 6 seul et de façon paradoxale, la place consacrée au même XVIe siècle: le satyre dévoile la fausseté des soi-disant dieux comme l’imprimerie assiste au déclin de l’architecture. Cette critique des productions de la Renaissance atteint son degré ultime justement après la mention de Saint-Pierre de Rome, “dernière originalité de l’architecture”. Après cette “grande œuvre qui méritait de rester unique”, la “misérable architecture” qui survit se limite à calquer ce monument partout, en Angleterre, comme en France ou en Russie. Mais la perte de vitalité de l’architecture ne peut se limiter à la parodie. Comme tout ce qui vit, elle accuse sa décadence par des “phénomènes de décroissance et d’étisie” (p. 221). Depuis François II jusqu’à Louis XV, “le mal a crû en progression géométrique”: les maisons de brique de Henri iv, les églises de Louis XIII, chargées d’un dôme comme d’une bosse, le mauvais pasticcio de l’architecture mazarine, les casernes glaciales de Louis XIV, les vermicelles de la vieille architecture édentée de Louis XV font preuve de l’agonie d’un art qui “n’a plus que la peau sur les os” (p. 221). Chez Hugo il ne fait aucun doute que la décadence de l’art-roi suit fidèlement celle des arts des rois jusqu’à la Révolution. On a déjà vu qu’il n’avait pas mentionné la Révolution parmi les grands destructeurs du patrimoine architectural de la France. En revanche, la Révolution représente à ses yeux l’avènement de la liberté de la presse. Or celle-ci, symbole de la liberté du peuple face à maintes formes d’intolérance, a été rendue possible en grande partie grâce à l’imprimerie. De fait, à peine a-t-il fini de décrire la décadence de l’architecture qu’il étale la toute-puissance de l’imprimerie, ce nouvel art –il l’appelle bel et bien un “art”. L’imprimerie remplace l’architecture. Elle paraît exprimer mieux qu’elle le mouvement universel de la pensée humaine. Cela n’exclut pas l’apparition ici ou là de beaux monuments, mais ce sont des chefs-d’œuvre isolés, des exceptions: “le grand poème, le grand édifice, le grand œuvre de l’humanité ne se bâtira plus, il s’imprimera” (p. 222). Mais voici que, sous la plume du visionnaire, l’imprimerie devient l’architecture des temps modernes. Comme s’il ne se résignait pas à voir disparaître celle dont, au tout début du roman, il prévoyait la mort “presque inévitable”, non sans ressentir le besoin d’exprimer le vif désir “que l’avenir lui donne tort un jour” (p. 7). Plus tard, après avoir retracé la lutte entre l’architecture et l’imprimerie, il annonçait encore que cette dernière était destinée à reconstruire (p. 221). Maintenant qu’il entreprend la description de l’imprimerie, il le fait exactement comme il le ferait d’un édifice. La métamorphose est de nouveau à l’œuvre. L’écrivain ne parle plus de la presse, mais de l’édifice de l’imprimerie. Il rappelle la statistique selon laquelle “en superposant l’un à l’autre tous les volumes sortis de la presse depuis Gutenberg on comblerait l’intervalle de la terre à la lune” (p. 223). Cette superposition des livres imprimés est déjà en soi construction. Mais il veut aller plus loin dans ce sens, évoquant la portée de l’imprimerie comme s’il était question d’un monument architectural: l’ensemble de ces produits de l’imprimerie apparaît “comme une immense construction”; la fourmilière des intelligences travaille sans relâche à bâtir un édifice décrit comme l’avaient été auparavant le Palais de Justice ou la cathédrale de Notre-Dame. Nous ne résistons pas à transcrire ces lignes, dans lesquelles la confusion volontaire de l’architecture et de l’imprimerie est patente: L’édifice a mille étages. Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science qui s’entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l’art fait luxurier à l’œil ses arabesques, ses rosaces et ses dentelles. Là chaque œuvre individuelle, si capricieuse et si isolée qu’elle semble, a sa place et sa saillie. L’harmonie résulte de tout. Depuis la cathédrale de Shakespeare jusqu’à la mosquée de Byron, mille clochetons s’encombrent pêle-mêle sur cette métropole de la pensée universelle. A sa base, on a récrit quelques anciens titres de l’humanité que l’architecture n’avait pas enregistrés. A gauche de l’entrée, on a scellé le vieux bas-relief en marbre blanc d’Homère, à droite la Bible polyglotte dresse ses sept têtes. L’hydre du Romancero se hérisse plus loin, et quelques autres formes hybrides, les Védas et les Niebelungen. […] Le genre humain tout entier est sur l’échafaudage (p. 224).
  • 7. 7 Cette confusion des arts, hybridation dont Hugo a toujours été friand, entraîne comme par ricochet une autre confusion, relative à l’un des principaux matériaux de l’imprimerie: celle des langues –la même qui apparut précisément lors de la construction d’un autre édifice colossal. L’imprimerie est devenue “la seconde tour de Babel du genre humain”. L’image pourrait suggérer, négativement, l’impossibilité de communication, mais il n’en est rien: cette tour de Babel est le lieu d’une “activité incessante, labeur infatigable, concours acharné de l’humanité tout entière, refuge promis à l’intelligence contre un nouveau déluge” (p. 224). En somme, toute réflexion sur l’imprimerie implique une réflexion sur l’architecture, et vice- versa. C’est que pour Hugo toute manifestation du genre humain se réduit en dernière instance à “deux livres, deux registres, deux testaments, la maçonnerie et l’imprimerie, la bible de pierre et la bible de papier” (p. 223). Le mouvement de sa pensée se conforme un moment à la ligne du romantisme: regretter un temps passé sans applaudir au temps présent. Mais il la dépasse par son acceptation finale du déclin de l’architecture dans un optimisme retrouvé: le remplacement de l’architecture par l’imprimerie est une invitation à l’espoir. Le futur, temps où doit se vérifier la foi de l’homme en un progrès universel, est accueilli par lui comme le temps idéal. Symbolisé par l’imprimerie, il ne peut pas ne pas faire une place à l’architecture. Là est bien le paradoxe: l’écrivain s’érige en chantre de cette réhabilitation de l’architecture, qui est mise en œuvre non par le burin et la pierre, mais par la presse et la parole.