1. Sédation et analgésie en réanimation 441
EVALUATION DE LA PROFONDEUR
DE LA SEDATION ET DE L’ANALGESIE
EN REANIMATION
C. Guidon*
, S. Cataldi*
, X. Viviand**
, C. Martin**
-* - Département d’Anesthésie-
Réanimation - Hôpital de la Timone, 13385 Marseille -** - Département d’Anesthésie-
Réanimation - Hôpital Nord, 13915 Marseille.
INTRODUCTION
La sédation est largement utilisée en réanimation et depuis de nombreuses années
selon des modalités diverses. Elle représente dans certains cas une partie intégrante du
traitement du malade, comme dans les états de mal convulsifs, l’hypertension intra-
crânienne ou le tétanos. Ailleurs elle constitue un complément de la thérapeutique
nécessaire au malade dont elle facilite la mise en œuvre. Les buts recherchés sont alors
le confort moral et physique du malade imposant la suppression de l’anxiété, de la dou-
leur, de l’insomnie, ainsi que l’absence d’agitation et de désadaptation au ventilateur.
Dans le premier cas, le monitorage de la sédation pose peu de problèmes et repose
sur la surveillance d’un chiffre de pression intracrânienne ou l’existence de silences
électriques sur l’EEG. Plus délicate est l’évaluation de la sédation «complément» d’une
ventilation artificielle de longue durée pour des raisons pulmonaires, thoraciques ou
neuromusculaires. Il semble cependant de plus en plus évident qu’une quantification de
la sédation, soit nécessaire de façon à adapter celle-ci à l’état du malade.
Si l’on pouvait, il y a une décennie, se donner comme but un malade totalement
inconscient et curarisé de façon prolongée, il semble bien actuellement qu’il faille tenir
compte d’une part des effets secondaires des agents de la sédation tels que l’accumu-
lation de produits, le catabolisme musculaire, les escarres ou l’allongement d’un séjour
en réanimation et d’autre part du bénéfice d’une éventuelle participation du malade à sa
thérapeutique rendue accessible par des agents dont la maniabilité augmente et des
dispositifs d’administration de plus en plus performants.
L’évaluation du niveau de sédation repose d’une part, sur des moyens cliniques
consistant à caractériser la réactivité du malade à différents stimuli, et d’autre part, sur
les explorations neurophysiologiques que les progrès techniques et l’informatique
mettent peu à peu à la portée des cliniciens.
2. MAPAR 2001442
1. EVALUATION CLINIQUE DU NIVEAU DE LA SEDATION
1.1. SCORES DE SEDATION
Ils consistent à quantifier et à classer sous forme de score la réactivité du malade
soit aux stimuli auxquels il est soumis en réanimation, soit à des stimuli provoqués. Le
score le plus utilisé depuis une vingtaine d’années est le score de Ramsay [1] décrit
initialement lors de l’utilisation de l’alfatésine en sédation postopératoire (Tableau I).
Il s’agit d’un score en 6 points évaluant l’état d’agitation du malade ainsi que sa réponse
à des stimuli auditifs ou tactiles. Il présente l’avantage de la simplicité et de la repro-
ductibilité d’un observateur à l’autre, mais on peut lui reprocher son manque de précision,
l’absence de prise en compte de la ventilation artificielle et le caractère non exclusif de
ses différentes catégories. Des scores plus récents tiennent compte de la ventilation
artificielle et/ou de la curarisation. Parmi eux, le score de Cambridge [2] en 5 niveaux,
très proche du score de Ramsay évalue la réponse aux broncho-aspirations et le niveau
de curarisation. Les scores tendent à décrire le comportement du malade et à prendre en
compte les éléments cliniques traduisant douleur et anxiété : score de Kress [3] et score
de confort [4] construit sur une population pédiatrique et reposant sur 8 catégories
d’item : la vigilance, l’agitation, l’état respiratoire, la motricité, la pression artérielle et
la fréquence cardiaque, le tonus musculaire, le tonus facial.
Quel que soit le score utilisé, le niveau de sédation souhaité est celui où le patient
est réveillé par un stimulus verbal, coopérant, non agité et non désadapté du ventilateur.
Un patient non réactif aux différents stimuli est considéré comme ayant une sédation
excessive dont il faut diminuer les doses.
1.2. MANIFESTATIONS NEUROVEGETATIVES
Il s’agit essentiellement des réactions sympatho-adrénergiques en réponse à un
stimulus. Les modifications pupillaires, le larmoiement et la sudation sont des signes
trop tardifs pour pouvoir être interprétés. En pratique quotidienne, on se base sur la
fréquence cardiaque et la pression artérielle pour juger de la profondeur de la sédation.
Ces paramètres peuvent être absents en cas de traitement par certains médicaments
(ß-bloquants, inhibiteurs calciques) ou présents lors d’hypovolémies ou de troubles
respiratoires. Une échelle de cotation clinique, échelle PRST «pressure-rate-sweating-
tears», prend en compte quatre paramètres d’activation du système sympatho-adrénergique :
pouls, tension artérielle, sueurs, larmes [5]. Cette échelle ne permet pas d’apprécier avec
une fiabilité suffisante la profondeur de la sédation car la variation des quatre éléments
étudiés dépend du type d’agents utilisés [6].
La variabilité de l’espace R-R entre deux battements cardiaques a également été
proposée comme moyen de monitorage de la profondeur de la sédation. Cette variabi-
lité de l’espace R-R est un témoin de la balance entre système ortho et parasympathique.
Tableau I
Score de Ramsay [1]
NiveauNiveauNiveauNiveauNiveau DescriptionDescriptionDescriptionDescriptionDescription
1 Malade anxieux et agité
2 Malade coopérant, orienté et tranquille
3 Réponse seulement à la commande
4 Vive réponse à la stimulation de la glabelle
5 Faible réponse à la stimulation de la glabelle
6 Aucune réponse à la stimulation de la glabelle
3. Sédation et analgésie en réanimation 443
Il a été démontré une corrélation entre la variabilité de l’espace R-R et le score de Ram-
say lors de la sédation par midazolam de patients de réanimation [7]. L’existence chez le
patient de réanimation de circonstances où la variabilité du rythme cardiaque est dépen-
dante d’autres facteurs tels que la volémie, la ventilation artificielle ou l’administration
de thérapeutiques à visée cardiovasculaires limite sa spécificité et son intérêt.
2. METHODES ACCESSOIRES
2.1. CONTRACTILITE DU BAS ŒSOPHAGE
Cette méthode facilement réalisable reste essentiellement étudiée dans le domaine
de l’anesthésie. La corrélation entre le niveau de sédation et la contractilité du bas
œsophage est difficile à mettre en évidence [8].
2.2. ELECTROMYOGRAMME DU MUSCLE FRONTAL
L’électromyogramme du muscle frontal décrit par Harmel [9] pour l’anesthésie afin
de surveiller sa profondeur n’a pas trouvé d’application en réanimation. Le muscle
frontal, moins sensible aux curares que les muscles de l’éminence hypothénar est
innervé par les fibres viscérales du nerf facial. Cependant, il n’y a pas de relation dose-
effet et la grande variabilité interindividuelle des tracés électromyographiques ne permet
pas de retenir ce paramètre comme indicateur de la profondeur de la sédation [10].
Cette activité électromyographique du muscle frontal est cependant prise en compte
dans l’algorithme de calcul de l’indice bispectral.
3. EXPLORATIONS NEUROPHYSIOLOGIQUES
Les méthodes électrophysiologiques ont comme principal avantage de recueillir un
signal qui est proche du site d’action des agents de la sédation : le système nerveux central.
Ces dernières années, les progrès techniques et de l’informatique, fournissant des
processeurs de plus en plus puissants et de volume réduit, ont permis le dévelop-
pement, l’accessibilité et la plus grande facilité d’utilisation et d’interprétation, pour
les cliniciens de l’électroencéphalogramme et des potentiels évoqués.
3.1. BUTS ET CAHIER DES CHARGES D’UN SYSTEME DE MONITORAGE
Un dispositif de surveillance instrumental de la profondeur de l’anesthésie a plu-
sieurs buts :
• Assurer le confort maximal au patient. En effet, dans certaines circonstances, le
rappel de l’épreuve qui représente un séjour en réanimation peut être source de
développement de complications psychologiques à distance.
• Eviter les surdosages.
• Diminuer la morbidité (prolongation de la ventilation artificielle, infections noso-
comiales) et le coût de la sédation.
Il doit donc remplir le cahier des charges suivant :
• Etre capable de prédire le risque de mémorisation.
• Evaluer la profondeur de la sédation en cas de perte de conscience ou de patient
curarisé. Les modifications entraînées par les agents de la sédation pour un même
niveau de sédation doivent être similaires quelle que soit la classe pharmacologique
de cet agent et être dose-dépendantes.
• Prédire si l’application d’un stimulus douloureux (par exemple l’aspiration bron-
chique) entraînera un réveil du patient et une mémorisation.
4. MAPAR 2001444
3.2. POTENTIELS EVOQUES
Les potentiels évoqués représentent une activité somatosensorielle, de l’ordre du
microvolt (µV), spécifique et liée dans le temps au stimulus qui lui a donné naissance.
Le principe de la méthode est d’appliquer un stimulus et d’enregistrer les modifications
électriques du signal engendré par le stimulus le long du trajet nerveux jusqu’à la
région corticale correspondante. En fonction du type de stimulation, on distingue les
potentiels évoqués auditifs (PEA), les potentiels évoqués somesthésiques (PES) et les
potentiels évoqués visuels (PEV).
En faisant la moyenne d’une série de réponses électrophysiologiques obtenues par
répétition d’une même stimulation, le bruit de fond aléatoire est éliminé, alors que le
potentiel évoqué, temporellement lié à la stimulation, croît avec le nombre de réponses
moyennées.
Le potentiel évoqué se présente sous forme d’un graphique dont l’ordonnée est
exprimée en µV et l’abscisse en msec. Chaque onde recueillie, est interprétée en fonc-
tion de sa polarité (positive ou négative), de son amplitude en mV et de son temps de
latence en msec. Par convention, une lettre indique la polarité de l’onde (N pour négative,
P pour positive) et un chiffre indique le temps de latence. Par exemple : N20,
onde néga-
tive de 20 msec de latence. Pour les potentiels évoqués auditifs précoces cette
nomenclature est un peu différente. Les ondes positives uniquement sont annotées à
l’aide de chiffres romains.
3.2.1. POTENTIELS EVOQUES AUDITIFS
Ils reflètent l’activité électrique produite le long des voies auditives périphériques et
centrales en réponse à une stimulation auditive. On distingue trois types de potentiels évo-
qués auditifs en fonction de leur temps d’apparition et des structures auditives explorées.
3.2.1.1. Potentiels évoqués auditifs précoces (PEAP ou BAEP : Brain Auditory
Evoked Potentials)
Ils explorent le nerf cochléaire et les premiers relais au niveau du tronc cérébral.
C’est le groupe de réponses le plus précoce, apparaissant dans les dix premières milli-
secondes après la stimulation auditive. Les PEAP ne sont pratiquement pas modifiés
par les agents de la sédation. Ils ont été proposés en réanimation comme outils d’éva-
luation pronostique des états comateux, en particulier secondaires à un traumatisme
crânien [11].
3.2.1.2. Potentiels évoqués auditifs de latence moyenne (PEALM ou MLAEP :
Middle Latency auditory evoked potentials)
Ils explorent le cortex auditif primaire. Ils correspondent aux réponses obtenues
entre 20 msec et 60 msec après la stimulation. Ces réponses viennent du corps géniculé
médian du thalamus et du cortex auditif primaire. Sur la courbe se succèdent les ondes
Na, Pa, Nb, Pb. Les PEALM sont reproductibles. Les PEALM sont les plus sensibles à
l’action des agents anesthésiques. Les agents intraveineux ainsi que les halogénés
affectent significativement et de manière dose-dépendante les PEALM en augmentant
la latence et en diminuant l’amplitude de Pa et Nb [10, 11, 13-15]. Ils permettent une
meilleure discrimination des phases de transitions entre perte et retour de conscience
que l’indice bispectral [12].
3.2.1.3. Potentiels évoqués tardifs (LLAEP : Late Latency Auditory Evoked
Potentials)
Ils explorent les aires auditives associatives. Leurs latences s’échelonnent de 50 à
500 msec et ils représentent l’activité dans les aires corticales associatives. Une des
caractéristiques de ces ondes tardives est leur extrême variabilité intra- et interindivi-
5. Sédation et analgésie en réanimation 445
duelle. Ils sont corrélés chez le sujet conscient aux facultés d’attention et d’orientation
à un stimulus auditif.
3.2.2. POTENTIELS EVOQUES SOMESTHESIQUES
Ils explorent le fonctionnement des voies sensitives dans le nerf périphérique, la
moelle, le tronc cérébral, les radiations thalamo-corticales et le cortex sensori-moteur.
On distingue en particulier l’onde N20
après stimulation du nerf médian et l’onde P40
après stimulation du nerf tibial postérieur. L’etomidate augmente l’amplitude des
ondes corticales des PES des membres supérieurs contrairement aux autres hypnoti-
ques alors que les latences sont peu modifiées [13]. La perfusion continue de propofol
est associée à une augmentation progressive de la latence et une diminution de l’ampli-
tude de l’onde P40
[14]. Il augmente la latence des ondes N13
et N20
et l’amplitude de
l’onde N20
[15, 16]. Les benzodiazépines n’ont aucun effet sur les latences et les ampli-
tudes des PES [17]. L’administration de fentanyl ou de morphine provoque une
augmentation de la latence de l’onde N20
alors que son amplitude est peu affectée [18].
La stimulation chirurgicale augmente aussi les amplitudes des PES. Au cours d’un
travail effectué en anesthésie, Sebel [19] a montré que l’incision provoque de façon
significative une diminution des latences et une augmentation des amplitudes par rap-
port a l’enregistrement fait après l’induction. Lors d’une anesthésie légère, la stimulation
chirurgicale augmente le niveau de conscience pouvant se traduire par une augmen-
tation des amplitudes des PES, surtout en ce qui concerne les potentiels corticaux.
3.2.3. POTENTIELS EVOQUES DE REPONSE AUDITIVE SOUTENUE (RAS) OU 40-HZ
AUDITORY STEADY STATE RESPONSE
C’est un potentiel évoqué de forme sinusoïdale recueilli au niveau du scalp et pro-
voqué par une stimulation auditive de 40 Hz. Il apparaît être corrélé au niveau de
conscience pendant l’anesthésie. Il est diminué par les agents anesthésiques intra-
veineux et halogénés, mais peut cependant persister chez les patients comateux [20].
3.2.4. POTENTIELS EVOQUES VISUELS
Ils explorent de façon non invasive les voies optiques comprises entre la rétine et le
cortex visuel. Les potentiels évoqués visuels sont également sensibles aux agents
anesthésiques, mais sont très variables d’un agent à l’autre. De fortes doses de fentanyl
diminuent l’amplitude de l’onde P100
sans modifier sa latence [21].
En conclusion, parmi les potentiels évoqués, les potentiels auditifs de latence moyenne
semblent les plus prometteurs. Le principal inconvénient est la difficulté de leur recueil
du fait d’un faible voltage et des interférences électromagnétiques de l’environnement
de réanimation. La mise au point d’indice de profondeur d’anesthésie à partir des
PEA [22] et la disponibilité prochaine d’un appareil permettant une automatisation du
recueil et l’affichage en temps réel d’un indice de profondeur de la sédation apportera
certainement un renouveau à cette méthode.
4. ELECTROENCEPHALOGRAMME
4.1. PRINCIPES TECHNIQUES
La complexité d’interprétation en temps réel du tracé brut et le volume de papier
nécessaire ont conduit à une reconnaissance automatique des ondes et à une représen-
tation graphique plus adaptée à un contexte de surveillance continue. La reconnaissance
de forme permet, à partir d’un tracé brut, de déterminer par périodes de temps, appelées
époques (de 4 à 10 secondes), le nombre d’ondes observées, leurs fréquences et leurs
amplitudes (passage du domaine temporel au domaine fréquentiel). Les algorithmes
6. MAPAR 2001446
utilisés, après numérisation du signal, sont le plus souvent une transformation de
Fourier rapide (Fast Fourier Transform ou FFT) ou une reconnaissance «à la volée»
onde par onde (analyse apériodique, Lifescan®). Les ondes sont divisées en quatre
bandes de fréquence : delta (0,5 à 3 Hz), théta (3 à 7 Hz), alpha (7 à 13 Hz) et bêta
(13-30 Hz). Le rythme alpha est le rythme normal du sujet adulte éveillé et au repos.
Pour chaque époque, un spectre de fréquence peut être tracé avec la fréquence en abs-
cisse et l’amplitude en ordonnée. Des paramètres statistiques descriptifs sont alors
calculés dans le but de réduire la complexité du signal à un indice (fréquence médiane,
fréquence seuil 95 % ou «spectral edge», puissance totale, rapport de bandes de
fréquence…). L’évolution des spectres de fréquence et des paramètres statistiques peut
être représentée sous forme de courbes de tendance.
Le caractère intrinsèquement aléatoire («stochastique») et non linéaire de l’EEG
invalide en partie l’analyse par transformation de Fourier. L’analyse bispectrale de l’EEG
a pour but de pallier cet inconvénient. Cette technique de traitement du signal EEG
permet de prendre en compte les décalages de phase entre les différentes ondes, donc
de dépister une éventuelle relation entre elles. On établit pour chaque couple d’ondes
son degré de bicohérence qui varie de 0 % (aucune relation de phase entre les deux
ondes) à 100 % (les deux ondes ont généré une onde harmonique). En associant ces
paramètres à l’analyse classique spectrale, et grâce à une analyse statistique multi-
variée, un indice dit BIS (sans dimension et variant de 0 à 100) est créé [23].
4.2. EFFETS DESAGENTS DE SEDATION SUR L’ELECTROENCEPHALOGRAMME
Ils dépendent en partie de l’agent étudié. Schématiquement, pour les agents halogé-
nés et les morphiniques, on observe un ralentissement du rythme et une augmentation de
l’amplitude des ondes. Cela se traduit par un décalage vers la gauche des fréquences
seuils 50 % et 95 %. En revanche, les hypnotiques, comme le propofol et le midazolam,
se signalent par une augmentation de l’activité dans les bandes alpha et bêta, tout du
moins à faible concentration. Au fur et à mesure de l’augmentation des doses, des
périodes de silence électrique («burst-suppression») peuvent apparaître avec au maxi-
mum un tracé isoélectrique.
L’évolution du BIS est caractérisée par une diminution progressive en fonction des
concentrations de l’agent anesthésique utilisé, qu’il soit intraveineux ou par inhalation.
Un BIS < 80 est le témoin d’une sédation légère, la probabilité d’une mémorisation est
faible pour un BIS < 70 et en dessous de 60, la perte de conscience est généralement
observée (Figure 1). Les données concernant l’utilisation du BIS en réanimation sont
encore parcellaires. Il existe une relation entre les scores cliniques de sédation et la
valeur du BIS (Figure 2) [24, 25]. Ainsi le BIS moyen est de 62 pour un score modifié
de Ramsay de 2 (réponse à une stimulation tactile modérée) et 91 pour un score modifié
de Ramsay de 5 (patient alerte) [26]. Des valeurs très basses de BIS témoignent d’une
sédation trop profonde [25]. Le monitorage par l’indice bispectral permettrait égale-
ment de dépister la survenue d’une accumulation par la diminution progressive de l’indice
bispectral au cours du temps pour une posologie identique [27].
La qualité du signal recueilli est fondamentale pour une interprétation fiable des
indices calculés. La détection et le rejet des artéfacts ont été grandement améliorés.
Cependant des valeurs aberrantes de l’indice bispectral peuvent être observées chez
des patients non curarisés et pour des niveaux de sédation faible. L’activité électromyo-
graphique du muscle frontal peut être à l’origine de valeurs élevées du BIS non corrélées
à l’état clinique du patient [28,29]. Les modifications de la valeur de l’indice bispectral
sont dépendantes du type de l’agent de la sédation. Ainsi pour un même niveau
7. Sédation et analgésie en réanimation 447
d’hypnose, l’indice bispectral est plus élevé lors de l’administration de kétamine [30].
Des élévations paradoxales du BIS ont été décrites d’augmentation rapide de la profon-
deur de l’anesthésie probablement reliées à la mauvaise interprétation par l’algorithme
de calcul d’ondes lentes delta ou de périodes de silence électrique [31]. Une valeur de
l’indice bispectral n’est pas prédictive de l’absence de réactivité d’un patient donné
lors de l’application d’un stimulus douloureux (par exemple, lors d’une broncho-
aspiration). En effet, l’indice bispectral est essentiellement le témoin de la composante
hypnotique de l’anesthésie et/ou de la sédation. Une faible valeur de BIS peut être
observée lors de l’administration d’un agent hypnotique (midazolam, propofol) mais un
défaut d’analgésie entraîne une remontée importante de la valeur du BIS [32] survenant
d’ailleurs le plus souvent après une manifestation clinique chez un patient non curarisé.
Figure 1 : Valeurs de l’indice bispectral recommandées pour un niveau clinique de
sédation donné
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Conscience normale
Réponse à la voix normale
Réponse à la voix forte ou à la stimulation
tactile modérée
Faible probabilité de mémorisation,
absence de réponse à la stimulation verbale
Période de silence électrique
Tracé EEG plat
Indicebispectral
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
1 2 3 4 5 6
Score de Ramsay modifié
Indicebispectral
Figure 2 : Relation entre le score de Ramsay modifié et la valeur de l’indice bispectral [26]
8. MAPAR 2001448
5. LIMITES DU MONITORAGE INSTRUMENTAL
L’existence d’une pathologie neurologique sous-jacente (par exemple traumatisme
crânien) peut interférer avec les techniques électrophysiologiques. En effet, les signes de
souffrance cérébrale ou d’ischémie miment l’effet des agents de la sédation : ralentisse-
ment de la fréquence et augmentation de l’amplitude des ondes recueillies. Il devient
alors difficile de faire la part entre l’effet de la sédation et l’état neurologique sous-jacent.
Le coût de ces appareils et en particulier celui de «l’usage unique» (électrodes) est
un frein majeur à la diffusion de ces techniques pour une utilisation clinique quotidienne.
Il n’existe pas à l’heure actuelle d’étude publiée démontrant l’utilité clinique de tels
moyens de monitorage chez les patients de réanimation. Ce point est fondamental pour
assurer l’avenir de ces dispositifs.
CONCLUSION
En conclusion, la conduite de la sédation demeure à l’aube du 3e
millénaire fonda-
mentalement clinique. Le risque majeur est la survenue d’un surdosage souvent
diagnostiqué par un retard de réveil à l’arrêt de la sédation. La mise en question quoti-
dienne de l’indication et des modalités de la sédation doit permettre de diminuer ce
risque. La modification des modes d’administration devrait permettre une meilleure
adaptation de la profondeur de la sédation à l’intensité des stimuli et au rythme circa-
dien. Les techniques électrophysiologiques sont des techniques d’avenir. L’indice
bispectral et les potentiels évoqués auditifs sont les méthodes les plus prometteuses.
Cependant, leur coût (en particulier de l’usage unique) est un frein majeur à leur déve-
loppement. La littérature est très riche sur l’utilisation de ces méthodes en anesthésie.
Les données spécifiques à la réanimation sont en revanche très pauvres. De nombreux
travaux sont donc nécessaires chez les patients de réanimation pour démontrer l’utilité
clinique de ces techniques de monitorage.
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