3. • "Il n’y a rien que l’homme soit capable de vraiment dominer : tout est tout de suite trop
grand ou trop petit pour lui, trop mélangé ou composé de couches successives qui
dissimulent au regard ce qu’il voudrait observer. Si ! Pourtant, une chose et une seule se
domine du regard : c’est une feuille de papier étalée sur une table ou punaisée sur un
mur. L’histoire des sciences et des techniques est pour une large part celle des ruses
permettant d’amener le monde sur cette surface de papier. Alors, oui, l’esprit le domine
et le voit. Rien ne peut se cacher, s’obscurcir, se dissimuler." Bruno Latour, Culture
technique, 14, 1985 (cité par Christian Jacob dans L’Empire des cartes, Albin Michel,
1992).
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4. • "Il n’y a rien que l’homme soit capable de vraiment dominer : tout est tout de suite trop
grand ou trop petit pour lui, trop mélangé ou composé de couches successives qui
dissimulent au regard ce qu’il voudrait observer. Si ! Pourtant, une chose et une seule se
domine du regard : c’est une feuille de papier étalée sur une table ou punaisée sur un
mur. L’histoire des sciences et des techniques est pour une large part celle des ruses
permettant d’amener le monde sur cette surface de papier. Alors, oui, l’esprit le domine
et le voit. Rien ne peut se cacher, s’obscurcir, se dissimuler." Bruno Latour, Culture
technique, 14, 1985 (cité par Christian Jacob dans L’Empire des cartes, Albin Michel,
1992).
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Je crois que la carte est avant tout une ruse.
6. L’histoire d’internet et du web a commencé par une carte.
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[rapidement] Retracer [une partie de] l’histoire du web dans son
rapport aux cartes
7. Les visionnaires
[1945-1987]
• Dès que l’on a compris (Vannevar Bush, « As We May
Think », 1945) que l’accès aux connaissances
passerait par des liens associatifs (et non plus
uniquement hiérarchiques, arborescents), on a
entrevu le souci de les cartographier et de s’y
orienter / repérer. Et donc la nécessité
« d’adresser ».
• Problème des cartes et de l’orientation a précédé le
web (1989) et était là dès les premiers
environnements hypertextuels logiciels : Conklin en
1987 « lost in hyperspace problem » Hypertext: A
survey and introduction. In: IEEE Computer, 20(9),
1987, S. 17–41
7
8. La carte du web ?
[Les pionniers. Circa 2000]
• Aujourd’hui il y a des cartes partout sur le
web et dans nos smartphones. La carte est
presqu’un invariant.
• Début des années 2000 on essayait de faire
la carte du web comme espace topologique
(théorie du nœud papillon).
• A. Broder, R. Kumar, F. Maghoul, P. Raghavan, S. Rajagopalan, R. Stata, A. Tomkins et J. Wiener, “Graph Structure in the Web”, Computer Networks, 33 (1-6), 2000, pp. 309-320.
• Cœur du réseau : environ 30% des sites les plus interconnectés qui se partagent et où convergent un maximum de liens et de trafic ;
• Sites d’origine : environ 20% des sites d’où les internautes sont dirigés vers le cœur du réseau, avec très peu de liens qui pointent en sens inverse ;
• Sites de destination : environ 20% de pages accessibles depuis le cœur mais n’y renvoyant que très peu ;
• Excroissances permettant de passer directement de l’un à l’autre
• Sites déconnectés : environ 30% d’îlots épars n’ayant que peu de liens et générant peu de trafic.
• Et les travaux Barabasi, Franck Ghitalla (https://books.openedition.org/oep/15415) … 8
10. Se perdre et s’égarer.
[Les romantiques]
• Romantisation du web des débuts : éloge de l’errance. Lazy web, Wilfing (What I Was Looking For), naviguerrance,
sérendipité, « feeling lucky » …
• Et bien sûr les métaphores : les « navigateurs », le « surf », le « deep web VS web de surface » (approche topographique)
• Interfaces graphiques / clustering : cartographies essentiellement métaphoriques : (2001 - 2010 Kartoo), Google Wonder
Wheel, Mooter, Grokker … qui favorisent « l’exploration » (des résultats)
10
11. L’âge d’or.
Essor et domination de l’approche « cartography – only »
[Les pragmatiques]
• 2004 : Open Street Map (pour sortir d’une enclosure gouvernementale)
• 2005 : Google Maps / Google Earth (Superman Experience)
• 2007 : Google Street View / Plans (Apple)*
• Les cartes à l’échelle du territoire.
11
* [alimenté par Google Maps jusqu’en 2012]
12. Le(s) paradoxe(s) de l’âge d’or.
[Les pragmatiques]
• La carte est censée déclencher ou
« supporter » un désir, désir de visite, désir
de découverte, désir [a minima] de
déplacement.
• Mais cartographie numérique, en ses
différentes « couches », a la possibilité de
simultanément déclencher et combler ce
désir …
• en faisant l’économie du déplacement (ou
en faisant se déplacer les autres)
• Il n’y a jamais eu autant de cartes et de
moyens de locomotions. Et on ne s’est
jamais autant fait livrer à domicile … (Quick
Commerce, Flex – Amazon / dernier
kilomètre)
12
14. 14
• Une (gig) économie qui féodalise notre rapport au territoire et fait de la carte algorithmisée un nouveau
contremaître (fixation par « zonage » des conditions salariales, primes, affectations …).
Le(s) paradoxe(s) de l’âge d’or.
[Les contremaîtres]
• Services essentiellement cartographiques.
• Parce qu’ils dépendent de cartes et d’adressages
• Parce qu’ils reconfigurent notre rapport au déplacement (à nos déplacements et à ceux des autres) mais aussi au
travail, à l’habitat, etc.
15. L’âge de l’effacement. La carte en
sous-texte
[les contremaîtres]
• Discrétisation des interfaces cartographiques correspondant en symétrie inverse à la systématisation des logiques de géolocalisation.
• Les cartes sont bien sûr toujours très présentes (dans nos déplacements, pour l’organisation de nos trajets, loisirs, mobilités …)
• MAIS il y a AUSSI des cartes invisibles, discrètes, implicites :
• derrière chacune de nos requêtes sur les moteurs de recherche,
• derrière chacune de nos propositions d’amis sur les réseaux sociaux,
• derrière chacun des profils proposés sur les sites de rencontre,
• …
• SANS que nous ayons toujours explicité un critère géographique (et qu’il soit ou non légitime ou utile).
• OR ces cartes invisibles occupent et conditionnent aujourd’hui l’essentiel du temps de nos activités connectées.
• [Nota-Bene] les adresses (URL) disparaissent aussi des navigateurs (et des usages) ainsi que les liens hypertextes (qui impliquent de
connaître l’adresse précise) au profit des likes / partages dans un même espace - silo.
• Question : pourquoi ?
15
Homme invisible consultant une carte invisible
16. VOULEZ
ÇA
Et une fois que ça marche dans un sens …
La systématisation de la carte, la
capacité d’en permanence nous situer,
est un moyen de nous assigner à nos
désirs, à nos pulsions.
Si je sais où vous êtes je sais ce que vous faites.
Si je sais ce que vous faites, je peux inférer ce que vous ferez.
16
17. VOULEZ
ÇA
… ne reste plus qu’à le retourner dans l’autre sens.
Parce que
Passer d’une logique de l’opportunité
à une logique de conditionnement
17
19. Merci à toutes et tous pour …
19
l’alternative (aux « jardins fermés »)
les géocommuns (contre les topocraties*)
La géoprivacy (by design) qui reste encore à inventer, à déployer et à garantir
* Topocratie : Juin 2020 Meta rachète Mapillary (crowdsourcing de photos géotaguées)
Quand Zuckerberg décrit son « métavers » il est dans un fantasme topocratique.
21. Lisbonne. 1755.
• Tremblement de terre de Lisbonne. 1er Novembre 1755. Le tremblement de
terre secoua bien plus que des villes et des bâtiments. Lisbonne était, et
demeure, la capitale d’un pays profondément catholique, qui était réputé
pour la foi de ses habitants et la vigueur de l’évangélisation dans ses
colonies. La catastrophe survint le jour d’une fête catholique essentielle (la
Toussaint) et détruisit la plupart des églises et édifices religieux les plus
importants. La théologie et la philosophie du 18ème siècle pouvaient
difficilement expliquer une telle manifestation de colère divine. Le
tremblement de terre eut une forte influence sur de nombreux penseurs
européens de l’époque des Lumières.
21
22. San Andreas. (2055 ?)
• Tout le cœur de l’industrie numérique des
services s’est déployé sur une zone qui
annonce la plus grande catastrophe
sismique à venir. Voilà ce que nous
apprend la carte.
22
23. Éditorialisation cartographique
(comme acte de production du réel)
• Dès que la carte s’efface, passe en sous-texte, remontent à la surface les questions
« documentaires » et éditoriales de la carte
• Intégrité documentaire.
• Quelle est la véracité, la vérifiabilité, des cartes qui circulent ?
• Quand (et par qui - collectivité, entreprise, individualité) cette carte a-t-elle été « achevée » ?
Question de la stabilisation éditoriale (vernissage, achevé d’imprimer)
• Indexation collaborative (labels)
• Peut-on faire confiance à son GPS ? (question philosophique au moins autant que technique / ex
guerre en ukraine ou voitures autonomes)
• Weenect, une start-up qui vend des balises de géolocalisation pour « donner plus de liberté et
d'autonomie aux enfants et aux personnes âgées » : « On n’est pas responsables de ce que
font les parents. Mais, on est convaincus que nos clients et nos utilisateurs utilisent la balise
GPS de manière très juste et non pas dans un but de réprimander leurs enfants. » (2018)
23
25. La question du droit de cartographier, du droit
de tracer.
• Peut-on tout cartographier ?
• Peut-on fabriquer une carte des endroits où l’on se suicide le plus* ?
• Que peut produire une telle carte ?
• faciliter l’accès à ces points (on les trouvera plus facilement) et augmenter
le nombre de suicides ?
• Faciliter l’accès à ces points et diminuer le nombre de suicides (parce
qu’on y trouvera souvent du monde et que cela inhibera la passage à
l’acte) ?
• Nouvelle responsabilité « éditoriale » du cartographe.
• Frontière de l’intentionnalité est plus floue, plus partagée, plus opaque aussi.
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* https://kulturegeek.fr/news-94926/pokemon-go-aurait-effet-benefique-candidats-japonais-suicide
27. La carte est (géo)politique
• Guerre en Ukraine et Google Maps
• 24 Février : Mouvements de troupes russes visibles quelques heures
avant l’information publique de l’envahissement
https://www.washingtonpost.com/technology/2022/02/25/google-
maps-ukraine-invasion/
• 28 février : Google Maps désactive informations liées au trafic
routier et données de fréquentation des lieux publics (notamment
les magasins, les restaurants ou les parcs)
• 28 Février : le collectif Anonymous appelle à utiliser les critiques de
restaurants et lieux touristiques en Russie pour ajouter infos sur
guerre en Ukraine
https://twitter.com/YourAnonNews/status/1498337491056836610
• 2 Mars : Google bloque ajout et modifications sur cartes de la
Russie et de l’Ukraine.
• Sur le terrain : faillite de l’orientation GPS (mauvaise connexion de
l’armée russe). Guerre des panneaux (population Ukrainienne
modifie ou enlève les panneaux de circulation pour égarer les
troupes Russes)
Burger King de Moscou
27
28. Réalité augmentée : la carte ouvre un « tiers-
espace »
• Tous les Pokestop palestiniens sont situés en Israël : un utilisateur palestinien de
PokemonGo, en train de jouer à PokemonGO sur l'un des territoires palestiniens, ne
pourra trouver et localiser des Pokémons, des arènes et des pokéstops ... qu'en
territoire israélien.
• Il évolue ainsi simultanément dans trois pans de réalité différents et partiellement
antagoniques :
• Il est habitant de l'état Palestinien : ça c'est la réalité géopolitique.
• Il vit et habite sur l'un des territoires palestiniens : ça c'est la réalité
géographique.
• Mais (en tout cas pour Google Maps et quand il joue à PokemonGO), il joue et
se déplace sur la représentation numérique de l'état d'Israël.
• Qui fournit les données ? Quelle est la nature de ces données géographiques
(exactes ou faussées, libres ou propriétaires) ?
• La carte est à l’échelle du territoire mais que se passe-t-il (pour nous singulièrement,
pour l’administration des territoires et pour les collectifs humains qui les peuplent) si
il s’opère une disjonction entre la carte et le territoire alors même que nous sommes
dans cet espace tiers ?
28
29. Géo-privacy et Géo-communs.
• « How to remove your house from Google Street View » (2014)
https://www.huffpost.com/entry/remove-google-street-
view_n_5563939
• Droit de se retirer au nom de la propriété est-il en conflit avec la
conception d’un Commun ?
• Pourquoi flouter la maison d’une célébrité ou d’un quidam ?
29
30. Hacker la carte.
Guerres d’édition cartographiques
• Pour leurrer les applications de traffic routier (Waze, Google Maps)
• Soit dans une logique de performance artistique (faux embouteillage à Berlin :
https://korii.slate.fr/tech/hack-google-maps-artiste-allemand-vider-rue-voitures-berlin-faux-
embouteillage)
• Soit parce que les itinéraires Bis en cas d’embouteillages ne tiennent pas compte de la réalité
des infrastructures ni de la vie des riverains mais uniquement du paramètre de saturation du
trafic, déplaçant les bouchons ailleurs, et créant une forme de Digital Labor égocentrée
(visant à signaler des bouchons pour préserver sa quiétude pavillonnaire)
https://www.leparisien.fr/info-paris-ile-de-france-oise/transports/circulation-waze-l-appli-
qui-agace-les-riverains-04-06-2018-7752765.php
• Dynamique cartographique en commun négatif, en externalités négatives (de la même
manière que AirBn’B a modifié et gentrifié les habitats des grands centre ville (raréfier l’offre
de logements à coût abordable : https://www.urbislemag.fr/-airbnb-rarefie-l-offre-de-
logements-abordables--billet-433-urbis-le-mag.html)
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31. Quelle géotechni(qu)e pour le numérique ?
• « Géotechnique : dans le groupe des géosciences, la géotechnique est la technoscience consacrée à l’étude
pratique de la subsurface terrestre sur laquelle notre action directe est possible pour son aménagement
et/ou son exploitation, lors d’opérations de BTP, de gestion des eaux souterraines et de prévention des
risques naturels. » (WKP)
• Géotechnie numérique : technoscience consacrée à l’étude de l’espace numérique dans lequel notre
action directe est possible pour son aménagement et/ou son exploitation, lors d’instanciations virtuelles
ou augmentées.
• Dans le cas de PokemonGo : accidents de la route, irruption dans des espaces privés, rassemblements
spontanés (Central Park 2016), etc.
• « Géotechnie située » (à l’instar de cognition située) : quand la cartographie du réel, quand la carte à
l’échelle du territoire n’a plus pour unique fonction d’en rendre compte mais d’être le support et le
prétexte de comportements (ludiques, pathologiques, transactionnels …) alors quel savoir géographique /
topologique est au service de quelle action, de quelle orientation, de quel mouvement, de quel
déplacement ?
31
On m’a donné Carte blanche (merci), à charge pour moi d’essayer de ne pas transformer ça en carte muette. Alors j’ai cherché de quoi j’allais bien pouvoir vous parler.
Commencer par une citation …
Je vais vous parler de géolocalisation, du web, de liens, de mèmes, de pokemons, de surveillance, de guerres d’édition et de guerres de signalisation. Et je ne vais probablement pas avoir le temps de vous parler de tout ça
On comprend qu’on va avoir besoin de visualiser cet espace. On comprend que « c’est » un espace.
Le constat de Steve Coast a été que l'agence cartographique publique de son pays, l’Ordnance Survey, conserve le droit de reproduction à son profit, alors qu'elle est financée par ses principaux utilisateurs, les contribuables britanniques
Le constat de Steve Coast a été que l'agence cartographique publique de son pays, l’Ordnance Survey, conserve le droit de reproduction à son profit, alors qu'elle est financée par ses principaux utilisateurs, les contribuables britanniques
On m’a donné Carte blanche (merci), à charge pour moi d’essayer de ne pas transformer ça en carte muette. Alors j’ai cherché de quoi j’allais bien pouvoir vous parler.
Il y a aussi des bombes numériques
Une pétition a presqu'immédiatement été lancée pour réclamer le retour de la Palestine dans Google Maps. L'article de France-Inter revient parfaitement sur l'ambiguïté de cette "suppression" en rappelant que, "selon l'ONU, la Palestine est un Etat, observateur mais non-membre de l'ONU, donc pas officiellement reconnu par la communauté internationale. Un statut pas très clair fait pour ménager toutes les sensibilités" et en interrogeant un sociologie israélien qui indique que :
"En 2013, l'entreprise a changé le nom de sa page d'accueil de "Google territoire palestiniens" à "Google Palestine", ça a beaucoup énervé le gouvernement israélien. Mais d'un autre côté, Google ne nomme pas la Palestine sur ses cartes et donc les palestiniens s'énervent à leur tour. Mais Google est une entreprise ! En fait, elle essaie simplement de satisfaire un maximum de ses clients."
Tous les chemins mènent à La Haye (tribunal pénal international)
*La cognition située est une théorie qui pose le principe que le savoir est inséparable de l'action. Par conséquent, toute connaissance est située dans une activité qui est liée aux contextes sociaux, culturels et physiques.